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Forum Religion et Spiritualité

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Message  Arlitto Jeu 9 Juin 2016 - 23:16

Rappel du premier message :

Forum Religion et Spiritualité 


Question : "Quelle est la différence entre la religion et la spiritualité ?"

Réponse : 
Avant d’explorer la différence entre religion et spiritualité, nous devons tout d’abord définir les deux termes. La religion peut être définie comme la « croyance en Dieu ou en dieux qui demandent l’adoration, et habituellement exprimée sous forme de conduite ou de rite » ; ou encore « tout système spécifique de croyance, d’adoration, etc. impliquant souvent un code de morale ». La spiritualité peut être définie comme « le statut ou le fait d’être spirituel (de l’esprit), abstrait, par opposition au corporel ou au matériel » ou « qui relève du domaine de la pensée, de l’esprit, finesse dans la manière de s’exprimer ». En bref, la religion est un ensemble de croyances et de rites qui prétendent amener une personne à une juste relation avec Dieu, et la spiritualité est une focalisation sur les choses spirituelles et le monde spirituel au lieu des choses physiques et/ou terrestres.

L’erreur la plus courante à propos de la religion est de penser que le Christianisme est juste une autre religion comme l’islam, le Judaïsme, l’hindouisme, etc. Il est triste de constater que beaucoup de ceux qui disent adhérer au Christianisme, le pratiquent comme si c’était une religion. Pour beaucoup, le christianisme n’est rien de plus qu’un ensemble de règles et de rites qu’une personne doit observer pour s’assurer d’aller au ciel après la mort. Ce n’est pas cela le véritable christianisme. Le véritable christianisme n’est pas une religion, mais c’est une relation avec Dieu par Jésus-Christ, qui est le Messie-Sauveur que l’on reçoit (dans notre vie) et qui nous apporte le salut par la grâce (une faveur non méritée) par le simple moyen de la foi. Oui, le christianisme a ses rites (ex. le baptême et le repas du Seigneur ou communion). Oui, le christianisme a ses règles (ex. tu ne tueras point, aimez-vous les uns les autres, etc.) Cependant, ces rites et ces règles ne représentent pas l’essentiel du Christianisme.

Les rites et les règles du christianisme sont le fruit du salut. Lorsque nous recevons le salut par Jésus-Christ, nous nous faisons baptiser pour proclamer notre foi. Nous observons le repas du Seigneur (la communion) en mémoire du sacrifice de Jésus-Christ. Nous suivons une liste de « choses à faire et d’autres à ne pas faire » par amour pour Dieu et par gratitude pour ce qu’il a fait pour nous.

L’erreur la plus courante concernant la spiritualité est de penser qu’il y a beaucoup de formes de spiritualité et que toutes sont également valables. Méditer dans des positions corporelles inhabituelles, communier avec la nature, chercher à communiquer avec le monde des esprits etc., peuvent sembler « spirituels », mais ces activités sont en fait une fausse spiritualité. La vraie spiritualité c’est posséder l’Esprit Saint de Dieu que l’on reçoit lorsque l’on accepte le salut par Jésus-Christ. La vraie spiritualité est le fruit que le Saint Esprit produit dans la vie d’une personne : l’amour, la joie, la paix, la patience, la gentillesse, la bonté, la fidélité, la douceur, la tempérance (Galates 5 :22-23). Au cœur de la spiritualité se trouve le désir d’être transformé de plus en plus pour ressembler à Dieu, qui est Esprit (Jean 4 :24) et de voir notre caractère se conformer à son image (Romains 12 :1-2)

Ce que la religion et la spiritualité ont en commun, c’est que toutes deux peuvent être de fausses méthodes pour essayer d’arriver à une relation avec Dieu. La religion a tendance à substituer la froide observance de rites, à une véritable relation avec Dieu. La spiritualité, elle, a tendance à substituer la communication avec le monde des esprits, à une véritable relation avec Dieu. Toutes deux peuvent être, et sont le plus souvent, des fausses routes vers Dieu. Pourtant la religion peut avoir une certaine valeur dans le sens qu’elle pointe vers le fait qu’il y a un Dieu et que nous sommes en quelques sortes responsables devant lui. La seule valeur de la religion est sa capacité à nous montrer que nous ne sommes pas parfaits et que nous avons besoin d’un Sauveur. La spiritualité, elle, nous aide dans le fait qu’elle indique qu’il existe autre chose en dehors du monde physique. Les humains ne sont pas seulement ‘matière’ mais ils possèdent aussi une ‘âme et un esprit’. Il existe un monde spirituel autour de nous dont nous devrions être conscients. La vraie valeur de la spiritualité est qu’elle signale qu’il existe quelque chose et quelqu’un, au-delà de ce monde physique, avec qui nous avons besoin d’être réconciliés.

Jésus-Christ est l’accomplissement à la fois de la religion et de la spiritualité. Jésus est Celui à qui nous devons rendre compte et vers qui la religion dirige. Jésus est Celui sur qui la vraie spiritualité focalise notre attention et à qui nous avons besoin d’être rattachés.
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Message  Arlitto Jeu 9 Juin 2016 - 23:23

Philosophie, religion et spiritualité

Il n'y a pas lieu de confondre spiritualité et religion : la spiritualité n'est qu'un aspect de la religion. Par ailleurs, il existe des spiritualités en dehors de toute religion. Notre monde moderne a vu naître d'autres formes de  recherche de la vérité, d'autres formes de spiritualité.

Philosophie et religion ont réputation de ne pas faire bon ménage. Socrate est condamné au motif principal qu'il n'honorait pas les dieux de la Cité. Aristote, pour ne pas subir le même sort, sera forcé à l'exil. Inversement, quand Saint Paul prédiquera devant l'Aréopage d'Athènes, il fera (de son propre aveu) un « flop » magistral. Et quand l'empereur Justinien ordonne la fermeture de l'Académie en 529, c'est sur pression de l'Église. Signe des temps, la même année, Saint Benoît fonde le monastère de Mont Cassin. Ses « Règles de vie » deviendront la base de l'immense tradition monastique sans laquelle il n'y aurait sans doute pas eu de « civilisation occidentale ».
Mais précisément, ce passage de témoin entre écoles philosophiques et monastères montrent le domaine où les transferts, les emprunts, mais aussi les concurrences, seront les plus nombreuses entre philosophie et religion : le domaine de la spiritualité.
Quête de vérité
Commençons par définir la spiritualité : « la recherche, la pratique, l'expérience par lesquelles le sujet opère sur lui-même les transformations nécessaires pour avoir accès à la vérité ». J'emprunte cette définition à Michel Foucault, qui ajoute : « l'ensemble des pratiques, recherches et expériences qui peuvent être les purifications, les ascèses, les renoncements, les conversions du regard, les modifications d'existence, etc., qui constituent pour le sujet, le prix à payer pour avoir accès à la vérité1».
Or, il n'y a pas lieu de confondre, comme on le fait habituellement, spiritualité et religion.
D'abord, rappelons que le « fait religieux », comme on dit aujourd'hui, englobe bien d'autres choses que du « spirituel » : des rituels et des cérémonies, des obligations et des interdits, des institutions impliquant des rapports de pouvoir et des effets d'autorité, etc. La théologie elle-même, comme réflexion rationnelle sur Dieu et la Révélation, est indépendante de la spiritualité, et même souvent en conflit avec elle. En effet, l'objectif de la théologie est de démontrer « l'évidence » de l'existence de Dieu et de sa puissance créatrice, et donc, dans la foulée, d'affranchir l'accès à la vérité divine de toutes les pratiques ascétiques et ésotériques qui encombrent cette « évidence ». Le Moyen Âge a été dominé par ce conflit entre « théologiens » et « spirituels » (c'est un des thèmes collatéraux du Nom de la Rose d'Umberto Eco).
Forum Religion et Spiritualité - Page 2 Socrate
Inversement, il existe des spiritualités non-religieuses, pour lesquelles l'accès à la vérité et la transformation du sujet ne sont pas liés à la révélation d'un message divin. C'est précisément le cas de la philosophie, et en particulier des écoles philosophiques : l'Académie de Platon, le Jardin d'Épicure, le Portique (stoïcisme), etc. Seul le Lycée d'Aristote avait, semble-t-il, partiellement écarté les pratiques spirituelles de l'exercice de la philosophie. Avant de devenir une réflexion théorique sur la vérité, puis la construction de « systèmes » à travers des traités magistraux et des thèses universitaires, la philosophie a été pendant des siècles la recherche pratique de la sagesse à travers toutes sortes de « techniques de vie » (technaï tou biou) qui, la plupart du temps, n'étaient même pas exposées dans des livres. Rappelons que Socrate, Diogène ou Épictète n'ont rien écrit, ou alors que l'écriture était elle-même, non pas un mode d'exposition « théorique », mais une pratique spirituelle spécifique, comme les « lettres aux amis » (Sénèque, Cicéron), les « Manuels » (Épictète) ou « les pensées pour soi-même » (Marc-Aurèle).
Spiritualité et modernité
La science aussi, pendant longtemps, a vu son destin lié à celui de la spiritualité. Au départ, des savoirs comme la médecine, l'alchimie ou l'architecture (cf. la franc-maçonnerie) intégraient toutes sortes de pratiques initiatiques et ésotériques qui étaient le signe, non de leur immaturité intellectuelle, mais qu'elles poursuivaient un objectif de transformation intérieure du sujet autant qu'une visée de connaissance du réel. Marguerite Yourcenar a merveilleusement développé ce thème dans L'œuvre au noir.
En vérité, si la philosophie et la science passent à nos yeux pour des démarches dénuées de spiritualité, c'est parce qu'elles ont toutes les deux puissamment contribué à l'avènement de la modernité, c'est-à-dire à l'avènement d'une civilisation toute entière mobilisée, dit-on, par un projet de maîtrise des conditions exclusivement matérielles de l'existence. « Désenchantement du monde » ou « règne de la techno-science » :  l'époque moderne serait celle où la spiritualité a été recouverte et oubliée.
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Message  Arlitto Jeu 9 Juin 2016 - 23:23

Descartes
Forum Religion et Spiritualité - Page 2 Descartes_2009-08-20_16-47-26_898
Comme d'ordinaire dans ce genre de procès fait aux « Modernes », Descartes se trouve au premier rang des accusés. Avec le Discours de la méthode, il semble bien, en effet, que le sujet n'ait plus besoin de se modifier soi-même pour accéder à la vérité, puisque n'importe quel sujet, du simple fait qu'il existe comme sujet, est capable de voir ce qui est évident et, à partir de là, de raisonner méthodiquement. La première phrase du Discours le proclame d'entrée : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». En d'autres termes, l'évidence est substituée à l'ascèse. On aurait ainsi, dès le XVIIe siècle, la matrice intellectuelle d'une civilisation tournée vers l'efficacité et la productivité, et oublieuse des conditions spirituelles du bonheur et de la sagesse.
Cette vision de la modernité est réductrice. Elle manque la tentative faite par toute une veine de la culture moderne pour développer son propre mode de spiritualité.
D'abord, il faut souligner que Descartes lui-même ne tourne pas le dos à tout travail ascétique sur soi. On peut même soutenir que les Méditations métaphysiques relèvent authentiquement de l'exercice spirituel dont Descartes, ancien élève des Jésuites, aurait emprunté le modèle à Saint Ignace de Loyola. Dans les Méditations, la philosophie se révèle être pour Descartes l'expérience d'une retraite du monde (qui culmine dans le doute hyperbolique) permettant de revenir ensuite vers ce monde avec un regard renouvelé. Cheminement dont la structure est typiquement spirituelle.
En marge du modèle « cartésien » de l'évidence, on voit ensuite se développer, dès les débuts de l'ère moderne, des philosophies résolument  « matérialistes », mais dont le but est pourtant de dégager la voie à une authentique expérience spirituelle. Le cas le plus manifeste est celui de Spinoza. Chez lui, l'accès à la vérité passe par une série de modifications existentielles (les trois « genres de connaissance ») dont le sommet est une énigmatique « béatitude ». Cette exigence spirituelle est également présente dans les philosophies de Hegel, de Schopenhauer, ou encore de Nietzsche qui, dans le « Prologue » d'Ainsi parlait Zarathoustra, décrit « les métamorphoses de l'esprit » - l'esprit est le chameau qui porte les fardeaux de la morale, puis le lion qui renverse et brise les idoles, puis enfin l'enfant qui danse et qui crée.
Marxisme et psychanalyse
Allons plus loin : il est tout de même révélateur que les deux courants de pensée modernes les plus radicaux dans la voie du « matérialisme », les plus critiques aussi par rapport à la religion, sont aussi ceux qui ont été le plus loin dans l'exploration d'une nouvelle forme de vérité et d'une modification de l'être du sujet : le  marxisme et la psychanalyse.
Car quel est le but de la psychanalyse, sinon de libérer le sujet en modifiant, à travers l'analyse, l'économie des rapports inconscients qui font son être même ? Il y a une visée proprement éthique de la psychanalyse, dont Lacan (plus que Freud lui-même) a été le promoteur littéralement ésotérique. Et l'objectif de la « révolution » communiste n'est-il pas de créer un « homme nouveau », de changer l'homme aliéné dans son triple rapport aux choses, aux autres et à soi-même - et cela en accédant à une certaine vérité « pratique » de la société et du monde ? Je suis certain que l'engouement et la fascination pour le marxisme et la psychanalyse au XXe siècle sont dus, non pas tant à leur valeur théorique et scientifique (hautement discutables), qu'à la dimension spirituelle dont ils sont porteurs.
Mais l'originalité des spiritualités marxiste et freudienne par rapport aux spiritualités antérieures, c'est bien sûr de conditionner la modification de soi et l'accès à la vérité à une certaine transformation de la société dans son ensemble. C'est évident chez Marx, mais perceptible aussi chez Freud, à travers les nombreux textes qu'il a consacrés à la culture. En d'autres termes, c'est la pratique politique qui est le siège de la spiritualité moderne. L'avènement de la modernité n'a pas liquidé la spiritualité, mais en a transféré l'exercice de la vita contemplativa à la vita activa.
 
Édouard Delruelle
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Message  Arlitto Jeu 9 Juin 2016 - 23:23

Le concept islamique de la spiritualité



Avant tout, il est essentiel d’établir les différences entre le concept islamique de la spiritualité et celui des autres religions et idéologies.  Si nous n’établissons pas clairement ces différences, il est probable qu’en parlant de la notion de spiritualité, en islam, plusieurs des vagues notions populaires associées au mot « spiritualité » nous viennent à l’esprit.  Il devient alors difficile de comprendre que non seulement la spiritualité, en islam, transcende le dualisme de l’esprit et de la matière, mais constitue le cœur de son concept intégré et unifié de la vie.
Le conflit du corps et de l’âme
L’idée qui a le plus influencé la pensée philosophique et religieuse est celle de la séparation du corps et de l’âme, qui ne peuvent se développer qu’au détriment l’un de l’autre.  Pour l’âme, le corps est une prison et les activités quotidiennes sont des chaînes qui la gardent en état de servitude et freinent sa croissance.  Cette idée a, inévitablement, amené les hommes à diviser le monde en deux domaines : le spirituel et le profane.
Ceux qui ont choisi la voie séculière l’ont fait parce qu’ils étaient convaincus qu’ils ne pouvaient répondre aux exigences de la spiritualité; ils ont donc vécu des vies très matérialistes et hédonistes.  Pour eux, toutes les sphères de la vie (sociale, politique, économique ou culturelle) furent dépourvues de la lumière de la spiritualité; l’injustice et la tyrannie en furent les conséquences inévitables.
À l’opposé, ceux qui choisirent de suivre la voie de la perfection spirituelle finirent par se considérer comme de « nobles marginaux ».  Pour eux, la croissance spirituelle était incompatible avec une vie « normale »; c’est pourquoi ils croyaient le sacrifice de soi et la mortification nécessaires au développement et à la perfection de l’esprit.  Ils inventèrent des « exercices » spirituels et des pratiques ascétiques visant à tuer tout désir physique et à endormir les sens.  Ils considéraient les forêts, les montagnes et les endroits isolés comme des lieux idéaux pour le développement spirituel, car à peu près rien ne pouvait les y distraire de leurs méditations.  Bref, ils ne pouvaient concevoir un développement spirituel qu’en retrait du monde et des occupations quotidiennes.
Ce conflit entre le corps et l’âme influença l’évolution de deux idéaux différents visant la perfection de l’homme.  L’un voulait que l’homme soit entouré du plus grand confort matériel possible et qu’il ne se considère comme guerre plus qu’un animal.  Les hommes apprirent à voler comme les oiseaux, à nager comme les poissons, à courir comme les chevaux et même à terroriser et à détruire comme les loups, mais ils n’apprirent pas à vivre comme de nobles êtres humains.  L’autre voulait que non seulement les sens soient étouffés et conquis, mais que les pouvoirs extrasensoriels soient développés et que les limites du monde sensoriel soient repoussées.  Ainsi, l’homme serait capable d’entendre des voix à de grandes distances, de voir à l’œil nu comme avec un télescope et de développer des pouvoirs à travers lesquels un simple toucher de leur main pourrait guérir un malade incurable.
Le point de vue islamique diffère totalement de ces deux approches.  Selon l’islam, Dieu a fait des âmes Ses déléguées, sur terre.  Il leur a donné une certaine autorité et certaines responsabilités et obligations, puis les a fait vivre dans des corps physiques.  Le corps n’a donc été créé que pour être utilisé par l’âme dans l’exercice de son autorité et le respect de ses devoirs et responsabilités.  Le corps n’est pas une prison pour l’âme, mais son atelier de travail; et si l’âme se développe et grandit, elle ne peut le faire que par l’intermédiaire de cet atelier.  Par conséquent, ce monde n’est pas un lieu de punition dans lequel l’âme se trouve malgré elle, mais un champ où Dieu l’a envoyée travailler et accomplir ses devoirs envers Lui.
      L’homme ne doit donc pas chercher à se développer spirituellement en cherchant à se détourner de cet atelier qu’est son corps et à se retirer du monde.  L’homme doit plutôt vivre et travailler dans ce corps et faire en sorte que cette expérience soit la plus positive possible.  Il passe un examen, sur cette terre; chaque sphère de sa vie est soumise, en quelque sorte, à un questionnaire : son foyer, sa famille, son voisinage, la société, le marché, le bureau, l’usine, l’école, le système de justice, le poste de police, le parlement et le champ de bataille, tous sont soumis à des questionnaires auxquels l’homme doit répondre.  S’il laisse la plupart des questions sans réponse, il rate l’examen.  Le développement et le succès ne sont possibles que si l’homme dédie toute sa vie à cet examen et tente de répondre à toutes les questions.
L’islam rejette l’ascétisme et propose des méthodes et des processus efficaces pour le développement spirituel de l’homme qui ne se situent pas hors de ce monde, mais au sein même de ce monde.  Le meilleur lieu pour le développement de l’esprit est la vie quotidienne et non pas quelque lieu retiré où l’homme se rend pour entrer en hibernation spirituelle.
Les critères de développement spirituel
Parlons maintenant de la position de l’islam sur le développement ou le déclin spirituel.  L’homme doit répondre à Dieu de toutes ses actions sur terre.  Il est de son devoir d’utiliser à bon escient tous les pouvoirs que Dieu lui a accordés.  Il doit utiliser au meilleur de leur potentiel toutes les facultés et habiletés dont Dieu l’a pourvus afin d’obtenir l’approbation et la satisfaction de Dieu.  Dans ses rapports avec les autres, il doit se comporter de manière à plaire à Dieu.  Toutes ses énergies doivent être employées à administrer les affaires de ce monde comme Dieu le lui a demandé.  Mieux l’homme s’acquitte de cette tâche, avec obéissance et humilité et en cherchant à plaire à Dieu, plus il se rapprochera de Dieu.  Car en islam, le développement spirituel est synonyme de proximité avec Dieu.  De même, il n’arrivera pas à se rapprocher de Dieu s’il est paresseux et désobéissant.  Et l’éloignement de Dieu, en islam, signifie le déclin spirituel, pour l’homme.
Du point de vue islamique, donc, la sphère d’activité de l’homme religieux et de l’athée est la même.  Non seulement travaillent-ils dans le même contexte, mais l’homme religieux travaillera avec plus d’enthousiasme que l’athée.  Oui, l’homme religieux sera aussi actif que son opposé athée, mais pas pour les mêmes raisons.
Ce qui distinguera leurs actions sera la nature de leur relation avec Dieu et la motivation derrière chacune de leurs actions.  L’homme religieux agit en sachant qu’il devra répondre de ses actions à Dieu et qu’il doit donc s’efforcer de respecter les commandements divins.  L’athée agit dans une totale indifférence par rapport aux lois divines et n’est guidé, dans ses actions, que par des motifs personnels.  Cette différence fait en sorte que la vie matérielle de l’homme religieux devient une aventure totalement spirituelle, tandis que la vie matérielle de l’athée se réduit à une existence dépourvue d’étincelles spirituelles.
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Message  Arlitto Jeu 9 Juin 2016 - 23:24

Religion et Spiritualité : les différences


Forum Religion et Spiritualité - Page 2 Ob_b2cc73_religions-et-spiritualite
Il n’existe pas qu’une seule religion, il en existe des centaines.
La spiritualité est une seule.
La religion est pour ceux qui dorment.
La spiritualité est pour ceux qui sont éveillés.
La religion est pour ceux qui ont besoin de quelqu'un pour leur dire quoi faire et qui souhaitent être guidés.
La spiritualité est pour ceux qui écoutent la voix intérieure.
La religion a un ensemble de règles dogmatiques.
La spiritualité vous invite à penser à tout, tout remettre en question.
La religion menace et fait peur.
La spiritualité vous donne la paix intérieure.
La religion parle du péché et de la culpabilité.
La spiritualité vous dit: "apprendre avec l'erreur."
La religion réprime et fait défaut.
La spiritualité transcende tout et vous rend réel.
La religion n'est pas Dieu.
La spiritualité est tout par conséquence est en Dieu.
La religion, ne pas te poser de questions.
La spiritualité remet tout en question.
La religion est humaine et est une organisation avec des règles.
La spiritualité est divine, sans règles.
La religion est la cause de divisions.
La spiritualité est la cause de l'Union.
La religion te cherche à croire en elle.
La spiritualité est à vous de chercher.
La religion suit les préceptes d'un livre saint.
La spiritualité cherche le sacré dans tous les livres.
La religion se nourrit de la peur.
La spiritualité nourrit de confiance et de foi.
La religion vous fais vivre dans la pensée.
Spiritualité vous fais vivre dans la conscience.
La religion se préoccupe de faire.
La spiritualité se préoccupe d'Être.
La religion nourrit l'ego.
La spiritualité nous fait le transcender.
La religion nous fait renoncer au monde.
La spiritualité nous fait vivre en Dieu, et pas à le relâcher.
La religion est le culte.
La spiritualité est la méditation.
La religion rêve de la gloire du paradis.
La spiritualité nous fait vivre la gloire et le paradis ici et maintenant.
La religion vit dans le passé et dans l'avenir.
La spiritualité vit dans le présent.
La religion renferme notre mémoire.
La spiritualité libère notre conscience.
La religion croit en la vie éternelle.
La spiritualité nous fait prendre conscience de la vie éternelle.
La religion promet après la mort.
La spiritualité nous fait trouver Dieu dans notre intérieur pendant la vie.
 
Source : Auteur inconnu. Vu sur un profil Facebook.
Publié par un blog de René Dumonceau
Vous pouvez partager ce texte à condition d’en respecter l’intégralité et d'en citer la source. Utilisez toujours votre discernement par rapport à ces écrits. Vous avez un Libre-Arbitre, alors utilisez-le et surtout, écoutez ce que vous dicte votre coeur. Lui seul détient votre vérité, laissez-le vous guider.
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Message  Arlitto Jeu 9 Juin 2016 - 23:25

De la religion à la spiritualité       Forum Religion et Spiritualité - Page 2 Mp  
    Jadis, il était d’usage, dans la pensée universitaire, d’assimiler la spiritualité à la religion. On parlait de « spiritualité chrétienne », de « spiritualité de saint François d’Assise », ou de « spiritualité juive », de « spiritualité de l’Islam ». A la rigueur on admettait une « spiritualité bouddhique » et encore, sans la connaître vraiment, car le bouddhisme était considéré plutôt comme une philosophie que comme une religion. Quant à la « spiritualité indienne » la formule était la plupart du temps censée désigner de manière péjorative une nébuleuse de croyances et de pratiques dont on ne voyait guère la valeur. Sauf Forum Religion et Spiritualité - Page 2 Philo_religionpour le côté exotique au chapitre des bizarreries humaines. Dans le champ philosophique, la situation était tout aussi confuse. En guise de spiritualité, Kant ne propose que le retour au piétisme. Hegel reconstruit pour le christianisme une [url=http://www.philosophie-spiritualite.com/cours/histoire2.htm#id%C3%A9alisme historique]théologie de l’Histoire[/url]. Spinoza, jusque dans les commentaires érudits est accusé d’être « un mauvais juif », parce qu’il a rompu avec la Synagogue. Et de fait, la dimension spirituelle de l’Éthique a souvent été occultée au profit de ce que l’on a nommé le matérialisme spinoziste. Une concession peut être pour Plotin, car il est bien difficile de nier que nous ayons là une philosophie spirituelle, indépendante d’une religion établie.
    La situation contemporaine est aujourd’hui très différente. Comme le titre un livre récent Dieu a changé d’adresse. Les observateurs les plus lucides de notre époque l’ont bien compris, nous n’identifions plus aujourd’hui la spiritualité à une religion organisée. cf. Eckhart Tolle Nouvelle Terre (texte) Nous pouvons même les opposer. Ainsi le fondamentalisme et l’intégrisme sont des attitudes que nous savons rattacher au sursaut identitaire des religions organisées. Ils ont peu à voir avec un éveil du spirituel et beaucoup à voir avec les luttes des [url=http://www.philosophie-spiritualite.com/cours/nature6.htm#Identit%C3%A9 culturelle]identités culturelles[/url] de communautés soudées autour d’un credo. Nous sommes tout à fait préparés à reconnaître que la spiritualité vivante transcende les dogmes, les credo et ne se laisse enfermer dans aucune organisation. La critique sévère de la religion chez Krishnamurti ou encore chez Aurobindo ou Mère ne nous empêche d’être à même de reconnaître en eux une profondeur spirituelle indéniable.
    Il est maintenant possible de poser la question avec plus de précision : en quoi la spiritualité se distingue-t-elle de la religion ?
*  *
*

A. La religion organisée et le spirituel
    Comme nous l’avons vu, le mot religion peut s’interpréter comme ce qui re-lie, et ce qui lie à nouveau. Ce qui établit un pont ou rétablit une ancienne alliance. Cependant, toute la question est de savoir ce qui est lié et en quoi consiste le lien.

    1) Commençons par préciser des distinctions. Il y a deux possibilités :
        a) - soit voir dans la religion (re-ligare) le lien entre l’homme et l’Être, l’Englobant, la Vie, le Divin (quel que soit le terme qu’on lui donne), en admettant que le spirituel est précisément ce lien intemporel entre le relatif et l’absolu. (R)
    Dans ce premier cas, la spiritualité ne suppose pas d’organisation et cette absence d’organisation est peu propice à la formation d’un dogme. De ce point de vue, il est tout à fait possible d’admettre une grande diversité de voies d’accès à l’absolu. La spiritualité implique un mode d’accès direct à la présence du Divin. On appelle expérience intérieure ou expérience mystique, cette [url=http://www.philosophie-spiritualite.com/cours/visagphi.htm#exp%C3%A9rience spirituelle]approche spirituelle[/url]. Elle diffère d’une approche intellectuelle, propre à la raison d’un concept, comme celui de Dieu. Ce que l’on rencontre par exemple chez Leibniz ou Hegel. Elle se distingue aussi de l’approche morale recourant à l’idée de Dieu pour donner une justification à l’idée même de devoir. Voir à ce sujet les thèses de Kant dans La Critique de la Raison pratique. Elle n’est pas non plus une approche psychologique du concept de Dieu, ce que Freud propose dans certains textes, comme L’Avenir d’une illusion. Ce que par ailleurs Carl Gustav Jung ...
        Forum Religion et Spiritualité - Page 2 Icon_scissors
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    Dans ce second cas, il est évident que la religion a un sens éminemment social. Elle n’est en aucun cas séparable d’une organisation chargée de conserver, de promouvoir la doctrine et le credo d’une église. La religion ne saurait être séparée de ses rituels. L’église est une institution qui partage les caractéristiques de toutes les institutions en général : un système hiérarchique et centralisé, une volonté de se maintenir en tant qu’organisation, d'exercer un contrôle et unForum Religion et Spiritualité - Page 2 Eckhart pouvoir sur ses membres. L’église fait corps avec ses fidèles, ce qui veut dire les tient sous sa direction. Bergson, dans Les deux Sources de la Morale et de la Religion désigne cet aspect sous le terme : religion statique.
    Cependant, il peut aussi exister, au sein d’une religion organisée, une spiritualité, dans le sens défini précédemment. Elle se rencontre dans la mystique : Le christianisme a eu Saint Jean de la Croix, Maître Eckhart etc. L’islam a produit le soufisme et ses courants. L’hindouisme a toujours abrité en lui une pléiade de mystiques : de Kabir, à Ramakrishna ou près de nous Ma Ananda Moyi. Le lien entre une religion organisée et la mystique qui lui est rattachée est très, très vague. Il est une catégorie imposée de l’extérieur par ceux qui jugent. La mystique n’est pas dogmatique et très souvent les paroles des mystiques, soit-disant orthodoxes, ont des allures franchement hérétiques. Bergson, dans ce registre, parle de religion dynamique.
    Précisons encore des termes trop souvent confondus. On entend par athéisme une doctrine qui littéralement se veut sans-dieu, ce qui signifie, soit que l’athée refuse la croyance à l’existence de Dieu, soit qu’il nie son existence. (texte) C’est la position de l’anarchisme, la position de Nietzsche. Il faut cependant noter que le plus souvent, l’athéisme est une position polémique qui s’attaque au dieu moral de la religion. Même chez des auteurs aussi virulents que Nietzsche, il subsiste une appréhension d’un dieu cosmique. Nietzsche fait clairement la distinction. (Lire à ce propos Etienne Gilson L'Athéisme difficile). La position de l’incroyance est par contre différente. L’incroyant peut très bien ne pas nier qu’il y ait dans les traditions religieuses des valeurs cependant, il décide de suspendre son jugement quant aux affirmations tenues par la religion. Celui qui croit tient une proposition pour vraie, l’incroyant, lui, refuse son adhésion. Il ne croit pas. Enfin, la position de l’agnostique diffère tout à la fois de l’athéisme et de l’incroyance. L’agnostique admet qu’il existe un Absolu, cependant, il le déclare en même temps totalement inconnaissable et inaccessible. Il estime qu’il est impossible d’en avoir une quelconque expérience ou une connaissance rationnelle. Il est d’usage de classer Kant parmi les agnostiques.
    En résumé : il peut très bien y avoir une spiritualité en dehors de toute religion établie,
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    2) Ce n’est pourtant pas ce que nous avons sous les yeux. Notre époque a vu surgir un divorce sévère entre religion et spiritualité. Tandis que la religion suivait la logique totalitaire des organisations de masse, la spiritualité a pris refuge dans le cheminement de aspirations intérieures de l’être humain. Pour les sociologues de la postmodernité, la religion, comme la morale, serait victime du reflux des grandes idéologies. Elle ferait partie de l’hyperindividualisme et du repli dans la sphère du privé qui caractérise notre temps. Le déclin des métarécits aurait favorisé une sorte de reflux vers les valeurs du moi. Nous allons voir que ce type d’interprétation est erroné et que l’enjeu de la spiritualité contemporaine est autrement plus radical.
    ... dans les événements de l’actualité, c’est la crispation des religions sur elles-mêmes, crispation qui se traduit par la montée des intégrismes. Ce qui n’a rien de très « spirituel ». La montée des aspirations démocratiques des peuples s’accompagne étrangement d’une résurgence fiévreuse de l’appel au drapeau de Dieu pour justifier toutes les guerres. Comme le rappelle Frédéric Lenoir : « Il y a bien longtemps que Dieu n’avait autant été mis à contribution. Invoqué aux quatre coins de la planète, il sert de prétexte à toutes les dominations politiques, à tous les actes de barbarie perpétrés par les fanatiques. C’est l’aspect le plus hideux de la religion. Même sans tomber dans ces extrémismes, le plus souvent condamnés par les responsables religieux eux-mêmes, la religion est par essence ambiguë, car elle propose un projet collectif, parfois exclusif (on possède l’unique vérité) et reste le plus souvent inféodée à une culture, à une ethnie, à une nation ». Il est possible qu’en fait, ce soit la religion qui ai produit par réaction l’agnosticisme où campent une bonne part de nos élites. (texte)
    Nous savons qu’il est possible de différencier la religion, comme institution, et les croyances de chacun d’entre nous et nous savons que la croyance en tant que telle demeure dans l’incertitude. Comment pourrait-elle alors se draper dans une certitude définitive ? Nous ne pouvons plus entretenir d’illusion sur les errances de la religion dans l’histoire. Nous savons que l’Église a joué et joue encore le jeu du pouvoir. Nous savons qu’elle s’est fourvoyée dans l’obscurantisme, qu’elle est entrée souvent en collusion avec les puissances de l’argent, qu’elle a fait preuve d’un fanatisme criminel. Nous ne pouvons plus guère accepter un dogme et une morale qui ne fonctionnent plus dans notre monde actuel. Nous ne pouvons pas plus accepter la soumission à la transcendance d’un Dieu, vindicatif, capricieux, coléreux et vengeur. Nous ne pouvons admettre un destin de malheur imposé à toute existence, au nom du salut dans un arrière-monde. La mortification de l’ici-bas en vue de l’au-delà, l’asservissement de la personne, la haine de la vie et de la liberté choquent toute personne de bon sens. En tant qu’organisation, la religion est liée dans l’Histoire à l’État avec lequel elle partage le même caractère de tendre à l’encadrement excessif de l’individualité vivante. L’Histoire nous montre que, dans un cas comme dans l’autre, la puissance d’une idéologie maintient un état de passivité et de dépendance. dossier. La critique de la religion a montré sans difficulté que le danger qu’elle comporte est de présenter l’ignorance comme confortable et d’incliner les hommes à la résignation. Le fatalisme se fonde sur des illusions, mais des illusions qui ont la peau dure. Et que la religion peut faire durer. Être libre, c’est être responsable et devoir s’assumer par soi-même et s’il est un reproche que l’on a souvent adressé à la religion, c’est bien de saper par avance l’autorité trouvée en soi-même. De faire douter de nos propre lumières en les opposant à la foi.
    Forum Religion et Spiritualité - Page 2 Icon_scissors---------------Question donc, avec Frédéric Lenoir : « Faut-il abandonner l’idée de Dieu, renoncer à toute quête de l’absolu puisque les religions en donnent souvent un visage si cruellement humain ? Non. Car si la religion est culturelle et collective, la foi et la recherche de sens sont éminemment universelles et individuelles. Un mot permet de bien distinguer la religion communautaire de cette quête personnelle : la spiritualité. Croyant ou non, religieux ou non, nous sommes tous plus ou moins touchés par la spiritualité, dès lors que nous nous demandons si l’existence à un sens, s’il existe d’autres niveaux de réalité ou si nous sommes engagés dans un authentique travail sur nous-mêmes » (dossier).
    Ce texte n’est pas original. Il est l’expression d’une prise de conscience très largement partagée. On pourrait en exhiber des centaines du même genre dans les parutions récentes. Je cite encore un passage du même auteur : « La religion est le langage symbolique d’un groupe social, la quête spirituelle naît de la confrontation de chacun d’entre nous à l’énigme de l’existence. La religion dit à tous ce qu’il faut croire et ce qu’il faut faire, la spiritualité est un chemin où l’on s’engage seul, sans connaître le terme du voyage ». Religion et spiritualité peuvent très bien se croiser sans se rencontrer. Il existent des personnes allergiques à la religion et dont la trempe spirituelle est indéniable. Voyez en ce sens l’œuvre de Satprem. Lisez les Lettres d’un Insoumis. Inversement, il existe des croyants qui n’ont guère de vigueur spirituelle, aucun engagement sérieux et dont la religion consiste seulement dans une morale appuyée sur l’argument d’autorité de textes sacrés. Enfin, il existe bien des personnes que l’on pourrait définir comme areligieuses qui pourtant effectuent très sérieusement un travail spirituel sur elles-mêmes. Ce que les sociologues ne semblent pas bien comprendre, c’est justement que le sérieux impliqué dans la spiritualité n’a rien à voir avec ce narcissisme conformiste de la société de consommation qu’ils qualifient de « postmoderne ». Il en est bien plutôt la subversion systématique. Pratiquer l’amalgame entre spiritualité et religion est donc une aberration. Comme de mettre dans le même sac, l’intégrisme, le Forum Religion et Spiritualité - Page 2 Logoafondamentalisme pur et dur, le repli sectaire, le littéralisme fanatique de certains groupes religieux et la spiritualité vivante, dans son cheminement dans l’inconnu. La plupart des religions organisées ne voient pas d’un bon œil la spiritualité. C’est pour elles une concurrence directe, une incursion sauvage sur leur territoire. Elles ont tendance systématiquement à diaboliser toute recherche spirituelle sortant de leur contexte. La méditation, le yoga, les médecines traditionnelles, la pratique du zen, etc. sont directement ou indirectement diabolisés par les religieux. Par exemple, l’Église a, au début, pris position contre les recherches sur les NDE (dossier) alors qu’elles semblaient apporter directement de l’eau à son moulin. Voyez le collectif La Mort transfigurée et l’article du père François Brune.
    La pierre d’achoppement la plus difficile, c’est évidemment la prétention des plus grandes religions à incarner la seule voie d’accès possible vers le spirituel ; la prétention à incarner à elle seule la Vérité, tandis que tout autre chemin serait erreur ou hérésie. On a pu voir encore tout récemment des soldats américains en Irak déclarer que la seule voie d’accès à Dieu passait par Jésus Christ ! A quoi l’Islam rétorque que la guerre sainte doit continuer tant que le monde entier ne sera pas converti à la parole du Prophète ! L’occident s’est donné pour justification dans les colonisations, d’apporter aux mécréants, même au prix du sang, la « vraie religion ». Les croisés étaient absous par avance de leurs tueries par le Pape, qui leur promettait qu’ils iraient au ciel. Les fidèles d’Allah ont appris de leur religion que lorsqu’ils tuent un infidèle, ils l’envoient au paradis. S’ils sont des martyrs de la guerre sainte, c’est pour aller rejoindre Allah et s’asseoir parmi les justes. Nous vivons dans un monde dans lequel la seule appartenance religieuse suffit à vous identifier comme un ennemi. La religion semble raisonner dans une dualité : à tort/à raison, les torts sont pour le mécréant et le païen et la raison est pour le fidèle et le croyant. Jamais il ne semble venir à l’esprit du religieux qu’une part de ses croyances peut être erronée ou tout simplement non-fonctionnelle dans le monde actuel. Jamais il ne lui vient à l’esprit que l’Absolu, par définition peut accueillir toutes les voies. Que du point de vue de l’Absolu, aucune voie n’est supérieure à une autre. Que la notion même de supériorité est très humaine, trop humaine. Les religieux continuent d’entretenir une idée de Dieu qui est tellement à la ressemblance de l’homme (c’est l’homme qui a fait Dieu à son image) qu’elle fait injure à tout homme de bon sens et discrédite par avance la religion. Rien d’étonnant à ce compte à ce que le dialogue intra-religieux soit à l’heure actuelle un dialogue de sourds. Aux U.S.A. le seul fait de prier aux côtés des adeptes d’une autre religion est déjà passible de sanction de l’autorité religieuse! Alors comment imaginer un dialogue ? Comment pourrait-il y avoir une « convergence » réelle des religions ? A quoi se réduirait donc le « spirituel » en pareil cas ? Le plus petit dénominateur commun des religions ? Il doit être bien petit. Pour le croyant, reconnaître la possibilité d’une religion différente, c’est déjà remettre en cause la sienne. En bref, être religieux,
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t (texte).  
B. Spiritualité et renouveau de la philosophie
    Non, décidément, il faudrait être ignorant ou de mauvaise foi pour tenter d’assimiler la spiritualité à la religion. Il est bien plus pertinent de tenter un rapprochement entre spiritualité et philosophie. La spiritualité a plus d’accointance avec la philosophie qu’elle n’en a avec la religion, parce qu’elle participe d’une libre pensée qui se sent bien trop à l’étroit dans le carcans des dogmes religieux. De tous les dogmes. C’est une des raisons pour lesquelles d’ailleurs il y a autant de controverses autour du statut du bouddhisme. Difficile pour un esprit élevé à l’occidentale d’y voir une religion. Comment admettre une religion sans dogmes et se passant de l’hypothèse de l’existence de Dieu ? Comment parler d’une religion, quand son fondateur est explicitement reconnu comme étant seulement un être humain ? Mieux vaut y voir une philosophie. Mais personne ne peut nier qu’il y a bien une profondeur spirituelle du bouddhisme.

    1) Quelques remarques sur la terminologie de la spiritualité contemporaine. Le mot spiritualité veut dire l’essence de l’Esprit. Tel qu’il est aujourd’hui employé, ce terme signifie indissolublement :
    a) la reconnaissance du fondement de toute réalité dans le spirituel, ce qui implique le dépassement de toute vision du réel réduit à la seule matérialité. Mais c'est un dépassement négation, qui tend à réconcilier le matériel et le spirituel dans une unité vivante.
    b) la transformation concrète de l’existence humaine en relation avec le spirituel, ce qui implique des pratiques et un art de vivre permettant la manifestation du spirituel dans le matériel.
    On peut avec dédain estimer que ce terme recoupe beaucoup de confusion, l’amalgame du syncrétisme religieux, des courants new-age, de l’ésotérisme etc. Cependant, il est nécessaire que le terme de spiritualité reste flou, en accord avec ce qu’il désigne. D’autre part, comme il n’y a pas dans la spiritualité vivante de dogmatique religieuse, il est aussi indispensable de laisser à chacun le libre-choix de nommer, en fonction de sa propre démarche, ce qu’il désigne comme le fondement de toute réalité. Chacun des termes adoptés met l’accent sur un aspect privilégié, d’une réalité ultime qui ne s’enferme dans aucune définition rigide. Bien des mots sont employés dans la spiritualité vivante pour désigner la Réalité ultime. Le mot Dieu est un mot piégé, surchargé de connotations contradictoires et compromis avec la dogmatique religieuse. Comme Spinoza, qui préfère de la Substance, ou bien de la Nature, bien des auteurs contemporains évitent d'employer ce terme. Ou bien, on emploie l’expression le Divin ou encore le Sacré. Le terme le plus neutre, et un des plus riches c’est peut être celui par Karl Jaspers, l’Englobant. (texte) Il a l’avantage d’être très proche dans sa signification du sanskrit Brahman, (texte) qui enveloppe à la fois l’absolu et le relatif. Il permet aussi de faire signe vers une sensibilité holiste très présente dans la spiritualité de notre temps (texte). Le terme de Vie plus concret, est souvent utilisé. Un livre de Krishnamurti porte le beau titre La Plénitude de la Vie. L’ensemble de l’œuvre de MichelForum Religion et Spiritualité - Page 2 Spirituality Henry, de la même manière, garde une certaine pudeur quant à l’emploi du mot Dieu et se présente comme une philosophie de la Vie. De même, Michel Henry se sert souvent du terme Soi pour désigner l’ultime intériorité, la spiritualité vivante parle aussi du Soi comme présence de l’Absolu en soi-même. Le terme sanskrit correspondant est âtman. La nouvelle spiritualité n’a pas rompu avec les sciences les plus avancées. Au contraire. Des spéculations ultimes de la physique est issu un registre de vocabulaire dont on fait aujourd’hui usage. Le terme [url=http://www.philosophie-spiritualite.com/cours/matiere.htm#champ unifi%C3%A9]champ unifié[/url] est parfois employé comme référent de la dimension fondamentale de toute existence. Enfin, dans les courants proches de l’esprit du bouddhisme, on se sert du terme Vacuité. Douglas Harding y fait référence et ses exercices spirituels y reconduisent. Le mot n’est pas la chose. Il fait signe vers elle et c’est tout. Il se fond en elle quand il remplit correctement son rôle. Il porte vers Cela qui est. Et en Cela tous les noms se confondent ou s’effacent. Ce qui importe, c’est l’appel du cœur et l’élan métaphysique vers l’Être. C’est bien ce qui transparaît partout dans la spiritualité vivante.
    ...paradoxe, c’est que justement cet élan vers l’Être, il est semble épuisé dans la philosophie universitaire. Il a été miné par le travail de sape de la critique historique ; la pensée contemporaine a renoncé à la métaphysique. L’université campe dans le scepticisme larvé, le relativisme esthétisant et l’agnosticisme à la manière de Kant. Elle ne sait plus que promouvoir le commentarisme érudit, l’analyse scolastique des autorités reçues. Comme toutes les institutions, elle se maintient, fonctionne, et enseigne à partir de l’argument d’autorité. Quand elle appuie une vérité, le plus souvent ce n’est pas la sienne, mais surtout celle des théories scientifiques considérées comme acquises. Ce qui veut dire les plus anciennes. C’est parmi les philosophes par exemple que la psychanalyse jouit de la meilleure crédibilité. Alors que bien des psychologues s’en sont largement détournés. La biologie mécaniste est encore la référence des philosophes de profession, alors que la nouvelle biologie la regarde comme dépassée. La physique du XIXème siècle a les faveurs de la pensée universitaire, alors qu’elle est regardée comme obsolète dans la physique nouvelle. On arrive dès lors à une situation paradoxale, ce sont les nomades intellectuels, les transfuges, qui justement n’ont pas été formés par l’enseignement philosophique de type universitaire, qui manifestent la vigueur métaphysique la plus étonnante. Je citerai par exemple Bernard d’Espagnat, physicien quantique de profession, qui ose s’aventurer sur le terrain métaphysique là où les philosophes universitaires n’osent même plus aller.
    Forum Religion et Spiritualité - Page 2 Icon_scissors---------------Maintenant, ce qu’il est essentiel de regarder en face, c’est le sens de ce déplacement souterrain qui a eu lieu avec la spiritualité vivante contemporaine. La spiritualité vivante occupe aujourd’hui le terrain que la philosophie académique a abandonné. Indépendante des cadres rigides de l’institution, n’ayant d’autorité que celle de la liberté de penser, elle répond à un besoin métaphysique que l’enseignement classique ne sait plus satisfaire. L’esprit souffle où il veut, et pas forcément là où on voudrait l’enfermer à demeure. L’émergence des cafés philo a bien fait sentir ce courant d’air vivifiant. Mais l’enseignement ne l’a pas respiré.
    L’interprétation des grands penseurs qui ont façonné la tradition occidentale souffre d’une lecture qui tend aussi à en dévitaliser les œuvres majeures. L’ironie en la matière, c’est que c’est précisément la fréquentation des maîtres de la spiritualité vivante d’aujourd’hui, qui permet de dépoussiérer les classiques et de les redécouvrir avec un jour très inédit. Les lettres de Swami Prajnanpad à ses disciples, parues aux éditions l’Originel, sont tout à fait étonnantes par leur proximité avec le stoïcisme, notamment avec les Entretiens d’Epictète. Ce serait quand même un comble de redécouvrir le sens du stoïcisme à l’école d’un penseur indien ! Et bien la gageure est tenue. André Comte-Sponville l’a montré. De même, si Plotin est souvent présenté, comme La Gloire de la Philosophie antique (cf. le beau livre de Joseph Moreau). On a cependant des difficultés à comprendre ce qu’il entend par « l’âme », ou « l’Un ». Mais si vous fréquentez un tant soit peu le Vedânta, la vision de Plotin s’éclaire du tout au tout, et il se révèle être d’une grande profondeur. De même encore pour le mystique allemand MaîtreForum Religion et Spiritualité - Page 2 Spirit Eckhart. Tout récemment, près de nous, Stephen Jourdain a donné dans ses conférences une relecture admirable du platonisme. Revu et revisité de l’intérieur. Il a aussi très brillamment su de l’intérieur revisiter l’intuition centrale de Berkeley. Ce que nous avons oublié dans nos chères études universitaires. De même, on s’est souvent plaint de l’obscurité du dernier Heidegger et de ses thèses irrationnelles sur le dépassement de la représentation. Quiconque a lu de près Krishnamurti s’y retrouvera en paysage familier. L’approche de l’être par la négation reconduit au cœur de la problématique de l’Être chez Heidegger. Krishnamurti, par sa vigueur d’interrogation est aussi le Socrate de la postmodernité. La provocation de son œuvre est une remise en question qu’il n’est plus possible aujourd’hui d’éluder.
    2) C’est tout de même un peu gênant de devoir le répéter, mais le philosophe est littéralement, comme le rappelle Krishnamurti, l’ami de la sagesse. La philosophie est l’amour de la sagesse. Faut-il vraiment de longues démonstrations pour parvenir enfin à comprendre ce qui devrait aller de soi, que cet amour est par excellence un élan spirituel ? Que l’accomplissement de toute spiritualité est par essence sagesse ? On ne peut pas glisser entre philosophie et spiritualité l’épaisseur d’une feuille de papier conceptuel ! En arabe classique, on utilise le même mot pour philosophie et spiritualité. Dans son essence la philosophie est un pont, un itinéraire spirituel pour conduire l’âme à la sagesse. C’est ce dont les anciens n’ont jamais douté. C’est pourquoi on n’est pas surpris, dans des textes de la spiritualité vivante, de voir Platon, Aristote, Plotin ou Épictète, considérés comme des Maîtres de spiritualité. Notre érudition en a fait des bâtisseurs de systèmes et nous avons oublié qu’ils étaient aussi des maîtres de vie et des compagnons de l’âme.
    ... raison d’une identification du concept de philosophie à l’ordre de la pure spéculation détachée de l’ordre de la vie concrète et pratique. Ouvrons un manuel de philosophie d’aujourd’hui : De la philosophie de Michel Gourinat. Un excellent classique à destination des étudiants. On y trouve ceci : « On baptise aujourd'hui à tort et à travers " philosophie indienne" ou "philosophie chinoise" les vieilles sagesses indienne ou chinoise, ou "philosophie tragique" le sentiment pessimiste de la vie, qui dans la sagesse grecque a précédé l'apparition de la philosophie ». Ce texte est l’expression d’une opinion commune dans le milieu universitaire, une croyance partagée selon laquelle il n’y aurait de philosophie qu’occidentale. L’auteur s’attache à montrer que la sagesse est un terme vague, qui confond a tort la philosophie, comme activité intellectuelle, avec un art de vivre qui concernerait la pratique. Ce qui signifie que le mot philosophie est donc entendu en cassant en deux l’idée grecque de sophia, pour n’en retenir que l’idée de savoir et en écartant délibérément le sens de sagesse. Ce que l’on reproche aux philosophies « orientales », c’est de n’être que des « sagesses », contribuant à l’art de se conduire dans la vie. Elles ne viseraient pas la théorie pure, le savoir pour lui-même, ce qui serait le privilège de la philosophie occidentale. Qui serait donc la seule philosophie possible d’après la définition officielle. C’est une opinion massivement partagée dans l’enseignement scolaire et universitaire de la philosophie. Pour être conforme, l’intérêt qui nous dirige vers la philosophie se doit donc d’être strictement intellectuel, théorique et non pas, certainement pas, la visée d’une sagesse. L’enseignement institutionnel de la philosophie n’est pas fait pour éveiller un élan vers la sagesse. Il est fait pour interroger sur un savoir, sur les questions centrées sur le savoir théorique. Il met en débat le savoir. Il est entièrement ... vie et il est d’emblée fait pour ne pas avoir d’incidence sur la vie, mais seulement sur la pensée, en tant qu’elle est séparée de la vie. On peut donc, sans contradiction, être philosophe et querelleur, dévot ou fanatique, on peut être vindicatif, borné et socialement instable, cela n’a aucun rapport. La philosophie est coupée de la vie.
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    Rien d’étonnant à ce compte à ce que la pensée chinoise et la pensée indienne n’aient pas d’existence au sein de l’université. Comme en témoignent directement les manuels à destination des classes de terminale, comme l’observation le montre très clairement dans les publications universitaires. Roger Pol-Droit a écrit un livre très stimulant sur le sujet, L’oubli de l’Inde où il s’interroge sur les raisons de cette impasse. Curieusement, la leçon que Lévi-Strauss a magistralement donnée sur l’ethnocentrisme culturel n’a toujours pas été entendue dans la pensée universitaire qui vit encore dans le ghetto des idées reçues du XIXème siècle. Pour plagier Kant, elle n’est pas sortie de son sommeil dogmatique. Roger Pol-Droit avance plusieurs hypothèses. Selon lui le bouddhisme représente, vis-à-vis de la tradition judéo-chrétienne une telle monstruosité logique qu’il est difficilement assimilable. Mais ce n’est pas un argument suffisant. Ce qui est évident, c’est que la pensée occidentale a inventé de toute pièce une dualité occident/orient qu’elle n’a fait que renforcer, pour mieux mettre en exergue sa propre originalité et auto-justifier l’idée qu’elle se faisait de la philosophie. En réalité, bien sûr, il n’y a pas de pensée « orientale », pas plus qu’existe une pensée « occidentale ». Il n’y en aura jamais et il n’y en a jamais eu. Il n’y a que la pensée dans son rapport à l’Être, un point c’est tout. Orient/occident sont des catégories d’un vague et d’un fumeux qui saute aux yeux, dès qu’on tente de les préciser. Des concepts fragmentaires. Des êtres de raison. Vous pouvez prendre la même intuition sur la nature du temps dans certains passages des Vedânta Sutras commentés par Shankara, et dans les Confessions et les donner à lire à un philosophe de profession. Ce qui compte, ce n’est pas ce que dit le texte, mais le nom de l’auteur en bas de la page ! C’est sûrement génial venant de la part de Saint Augustin. C’est obscur et confus, si c’est Shankara ! C’est facile à tester avec tous les grands auteurs indiens et cela marche à tous les coups. C’est l’[url=http://www.philosophie-spiritualite.com/cours/verite1.htm#argument d%E2%80%99autorit%C3%A9]argument d’autorité[/url] qui est décisif. Vous pouvez pomper allègrement (mais sans le dire) un texte de Krishnamurti et le servir, il suffit de l’assortir d’une référence classique, par exemple Nietzsche, ou Kierkegaard. Cela passera comme une lettre à la poste. Autre exemple : la critique de l’idée de création ex-nihilo est présentée nettement dans la physique d’Aristote. Il y a exactement le même argument chez Shankara. Mais seul Aristote doit « penser » ! Shankara, c’est de la « sagesse orientale ». Pas de la philosophie.
   Forum Religion et Spiritualité - Page 2 Teachers_of_mankindOn est ici en plein préjugé. Le préjugé vient d’une croyance fausse. Mais toute croyance construit son objet. Qu’elle soit vraie ou fausse. Et le résultat, c’est bien une ignorance, un mépris à l’égard de la richesse culturelle de l’orient que l’on a un peu de mal à comprendre venant des philosophes dont la première qualité devrait être l’ouverture, l’étonnement et même l’émerveillement. L’idée d’une génération spontanée de la philosophie en Grèce est d’une naïveté qui prêterait à rire, si on n’en trouvait pas l’affirmation chez de grands auteurs. C’est un mythe, le mythe du miracle grec. Mythe forgé rétrospectivement par des historiens soucieux de donner à la fierté occidentale un objet idéal. En réalité, la Grèce n’a été coupée de l’Inde que très tardivement. Alexandre le conquérant a été jusqu’en Inde et ses lieutenants se sont convertis au bouddhisme. Pyrrhon le sceptique était du voyage. Diogène Laerce dit explicitement que c’est en Inde qu’il forma ses idées. Bien des philosophes grecs étaient des voyageurs qui s’étaient rendus en Inde. L’élan spéculatif de la pensée humaine a précédé de très loin l’émergence de la naissance de la philosophie grecque. Il faut lire, ne serait-ce que par curiosité, ce que contient par exemple le Rig Veda. On lui donne couramment 6000 ans de tradition orale. Certains hymnes sont vertigineux d’interrogation métaphysique. Il est indiscutable qu'il y a là une pensée riche et complexe. C'est elle qui va se développer dans l'élan plus tardif des six darshanas, les six systèmes classiques de la pensée indienne.
    Le contrecoup de l’ethnocentrisme, c’est paradoxalement de nous faire manquer la puissance spirituelle de notre propre tradition. Épictète a été un très grand maître. Les Entretiens sont un texte extraordinaire. Le Manuel est un livre de vie tout à fait remarquable. Mais la dimension vivante des textes a été perdue. Parce que nous avons perdu le sens même de la philosophie. En mutilant la sophia. Ce qui a été très bien compris par un large public… qui s’est retourné vers la spiritualité vivante ! L’enseignement universitaire de la philosophie est donc loin d’avoir pris réellement la mesure de ce qui se déroule aujourd’hui. Ce qui est assez regrettable. Mais, tout de même, ne serait-ce que par honnêteté intellectuelle, il serait bon que les philosophes de profession lisent quelques uns des textes phare de la spiritualité vivante. Ils comprendraient qu’ils ont là sous les yeux potentiellement un renouvellement philosophique prodigieux, qui mérite largement qu’on lui accorde une attention sérieuse. Je ne donnerai que quelques exemples de textes qui me semblent incontournables :
C. L'appel de l'âme
    Reste à préciser l’incidence de la spiritualité sur notre temps. Nous l’avons vu plus haut, les religions sont des organisations construites autour d’une idée qui prend sa source dans un mythe de l’origine, la codification du mythe est devenue une doctrine. Lorsque la doctrine s’est solidifiée, elle est devenue un dogme. La première caractéristique d’une organisation est de tendre à se conserver et à vouloir se perpétuer. En tant qu’organisation, la religion se perpétue en revendiquant l’exclusivité de la vérité de l’Origine. La religion oblige à croire, elle défend ses dogmes et les impose.
    En revanche, la spiritualité ne nous oblige pas à croire en quoi que ce soit, mais invite à porter son attention sur l’expérience personnelle. C’est l’[url=http://www.philosophie-spiritualite.com/cours/verite1.htm#exp%C3%A9rience possible]expérience[/url] personnelle qui est la pierre de touche de la spiritualité. Elle invite chacun à devenir sa propre autorité au lieu de se soumettre à l’autorité d’un autre. La spiritualité conduit chacun à l’auto-référence consciente. La connaissance que l’on tire de la religion est une connaissance de seconde main, une connaissance empruntée, qui a été répétée de génération en génération. Elle ne s’enracine pas dans l’expérience personnelle. C’est dans l’expérience personnelle que se situe le lien originel que constitue la re-ligion. Des deux interprétations du sens du mot religion, la spiritualité retient avant tout la première. La religion est ce qui relie, dans les profondeurs de l’expérience, la conscience individuelle à la Vie absolue. Elle est l’intuition métaphysique devenue vivante et sensible de la [url=http://www.philosophie-spiritualite.com/cours/nature6.htm#conscience de l%E2%80%99unit%C3%A9]conscience de l’unité[/url].

    Forum Religion et Spiritualité - Page 2 Icon_scissors---------------1) S’il est bien une chose dont nous pressentons aujourd’hui l’urgence et la nécessité, c’est bien celle d’une nouvelle spiritualité. Le monde a besoin d’une nouvelle spiritualité. Il est temps de lui offrir un nouveau paradigme spirituel. Toute la question est de savoir si cela implique un rejet radical de l’ancienne spiritualité rattachée à la religion, quelque chose qui remplacera complètement l’ancienne, ou qui la rafraîchira et en soutiendra ce qu’elle comporte de meilleur.
    Un exemple assez caractéristique de cette prise de conscience, se trouve chez Edgar Morin dans Terre-Patrie. Sa position consiste à sauver l’idée de religion, et le sentiment religieux, tout en rejetant les anciens paradigmes de la religion.
    La compréhension de la complexité de notre situation au monde, nous ramène au sens de la relation. Nous savons très bien, dans la crise que traverse notre monde actuel que seul un élan de fraternité peut nous sauver de la perdition. Edgar Morin n’hésite pas à écrire dans ce sens : « L’évangile de la fraternité est à l’éthique ce que la complexité est à la pensée : elle appelle à non plus fractionner, séparer, mais à relier, elle intrinsèquement re-ligieuse, au sens littéral du terme ».
    Il est fascinant d’observer dans notre Histoire contemporaine à quel point nous avons tenté de transposer l’idée même de religion sur des concepts issus de la représentation. Aux religions du premier type, que sont les religions fondées sur une révélation, nous avons ajouté des religions du second type, qui sont le produit du concept. « L’Europe moderne a vu apparaître des religions sans dieux qui s’ignoraient comme telles et que l’on peut appeler des religions du second type. Ainsi, l’État-nation a secrété de lui-même sa propre religion. Puis, c’est la sphère laïque, rationnelle, scientifique, qui a élaboré des religions terrestres. Robespierre a voulu une religion de la raison, Auguste Comte a cru fonder une religion de l’humanité. Marx a créé une religion du salut terrestre qui s’est proclamée science. On peut même penser que l’esprit républicain de la France de la Troisième République avait quelque chose de religieux, dans le sens où il re-liait ses fidèles par la foi républicaine et par la morale civique. Malraux,
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    Alors, « pourquoi évoquer le mot religion ? » La réponse que donne Edgar Morin est celle-ci : « Parce que nous avons besoin, pour poursuivre l’hominisation et civiliser la Terre, d’une force communicante et communiante. 
   Forum Religion et Spiritualité - Page 2 SpiritualityIl faut un élan, religieux en ce sens, pour opérer dans nos esprit la reliance entre les humains, qui elle-même stimule la volonté de relier les problèmes les un aux autres ». Bergson, en son temps, en appelait à un supplément d’âme pour affronter les défis de notre Histoire. Si Edgar Morin veut bien conserver le terme de religion, il faut donc parler ici de religion du troisième type en évitant tout amalgame avec les modèles précédents. Ce qui veut dire ? Une religion en rupture avec les précédentes, « une religion qui comporterait une mission rationnelle : sauver la planète, civiliser la Terre, accomplir l’unité humaine et sauvegarder sa diversité ».
    Cette interprétation de la religion est celle d’un idéal intellectuel et sentimental. Elle se confond avec un élan fraternel vers la Terre. Il est vrai que si les hommes pouvaient tomber en amour devant la Terre, ils se comporteraient autrement, et le visage de la Terre en serait changé. Le sens de la religion est ici minimaliste, mais ne se réduit pas au rationnel : « il contient quelque chose de sur-rationnel : participer à quelque chose qui nous dépasse, ouvrir à ce que Pascal appelait charité et que l’on peut appeler aussi la compassion. Il comprend un sentiment mystique et sacré… qui se lie à un surrationnel et à un surréel appelé dieu(x) ».
Mais, en fait bien peu de spiritualité. Il ne faut pas dissimuler la position de l’auteur : « Ce serait une religion sans dieu, mais où l’absence de dieu révélerait l’omniprésence du mystère ». Ce serait aussi « une religion sans vérité première, ni vérité finale. Nous ne savons pas pourquoi le monde est monde, pourquoi nous y disparaissons, nous ne savons pas qui nous sommes.
    Ce serait une religion sans providence, sans avenir radieux, mais qui nous lierait solidairement les uns aux autres dans l’Aventure inconnue . » Bref « une religion de la perdition ». Cette accumulation de négation n’indique guère un supplément d’âme.

    2) Et puisque nous parlons de l’accomplissement de l’unité humaine, il est intéressant de relier les textes précédents avec L’Idéal de l’Unité humaine, un texte d’un immense penseur, malheureusement oublié, Shri Aurobindo.
    Le dernier chapitre s’intitule La religion de l’Humanité. Il commence ainsi : « Une religion de l’humanité peut se présenter deux façons : comme un idéal intellectuel et sentimental, un dogme vivant ayant des effets intellectuels, psychologiques et pratiques, ou comme une aspiration et une règle de vie spirituelle, et elle peut être en partie le signe, en partie la cause d’un changement d’âme dans l’humanité ».
    Il est question ici des tentatives de la « religion de l’humanité » d’Auguste Comte. Elle a été inventée « pour détrôner le spiritualisme formaliste du christianisme ecclésiastique. Elle a tenté de se trouver un corps dans le Positivisme, qui a voulu formuler les dogmes de cette religion mais sur une base trop lourdement et trop rigoureusement rationaliste pour pouvoir être acceptée même par l’âge de la raison ». Aurobindo explique que les spectres des choses mortes du passé sont encore là, dans la conscience collective, et ils sont plutôt encombrants. « Répétant obstinément les formules sacrées du passé, ils hypnotisent les intelligences retardataires et intimident la fraction progressiste de l’humanité ». La religion intellectuelle a, elle, permis l’expression des idéaux éthiques du respect de l’humanité, et ainsi que « l’homme doit être sacré pour l’homme, indépendamment de toute distinction de race, de croyance, de couleur, de nationalité, de statut, de position politique ou sociale ». « Que le corps de l’homme doit être respecté, protégé de la violence et des outrages, fortifié par la science contre la maladie et contre une mort évitable. La vie de l’homme doit être tenue pour sacrée, garantie, fortifiée, ennoblie, exaltée…En outre, tout ceci ne doit pas être considéré comme un pieux sentiment ni comme une abstraction, mais être pratiquement et pleinement reconnu en la personne des hommes, des nations et du genre humain ».
    Cependant, Aurobindo précise que cette religion intellectuelle n’est en fait que « l’ombre d’un esprit qui n’est pas encore né, mais qui se prépare à naître ». Elle peut inspirer une élite, mais elle descend difficilement dans la conscience commune. Le problème de fond demeure qui réside dans la structure de l’ego séparateur et exclusiviste. « L’ennemi de toute religion vraie est l’égoïsme humain, l’égoïsme de l’individu, l’égoïsme de classe et de nation ».
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1.      Ô Feu vigoureux, tu relies ensemble toutes choses,
même ce qui est ennemi,
tu flamboies aux pieds de l’autel,
apporte nous les richesses. 

2.       Allez ensemble, parlez ensemble,
que vos esprits se comprennent,
de même que les divinités, autrefois, se comprenant,
ont pris chacun leur part des dons.

3.      Que la parole soit commune, que l’assemblée soit commune,
que la conscience et le désir soient commun,
je prononce pour vous une parole commune,
j’offre pour vous un don commun.

4.       Commune soit votre attention,
communs soient vos cœurs,
commune soit votre pensée,
afin de vivre ensemble dans le bonheur.
Rig Veda X, 191. (texte original)


    Forum Religion et Spiritualité - Page 2 HteamCe que l’on peut simplement remarquer, c’est que l’état actuel des religions du premier type plaide peu en leur faveur et démontre plutôt leur incapacité à relier, à conduire leurs fidèles à la conscience de l’unité. Elles sont plutôt l’instrument de la division. Ceux qui entendent l’appel de l’âme vers l’unité s’en détournent et préfèrent frayer une route qui n’a pas été balisée par la religion, plutôt que d’emprunter la voie qu’elle prétend ouverte. L’élan spirituel de notre temps est la réponse à cet appel et il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il soit devenu une aventure personnelle loin des sentiers battus. Pour rester dans notre exemple précédent, il y a un côté franc-tireur dans la démarche d’Aurobindo, qui a été remarquablement développée dans la biographie écrite par Satprem Shri Aurobindo ou l’Aventure de la Conscience. On pourrait même utiliser ce titre pour désigner la vitalité spirituelle de notre époque : bien plus une aventure de la conscience qu’un parcours « religieux » au sens où on l’entendait autrefois.
    A l’adresse de tous ceux qui cherchent à comprendre l’émergence d’une spiritualité nouvelle dans notre époque, il faudrait dire avec S. Aurobindo ceci :
    « Il faut insister sur le fait que la spiritualité ne se ramène pas à une haute intellectualité, ni à un idéalisme, ni à quelque penchant éthique du mental ou à une pureté et une austérité morale, ni à une religiosité ou ferveur émotive ardente et exaltée…Une croyance mentale, un credo ou une foi, une aspiration émotive, une réglementation de la conduite d’après une formule religieuse ou morale, ne sont pas l’expérience spirituelle et la réalisation spirituelle… la spiritualité est un éveil à la réalité intérieure de notre être, à l’Esprit, au Soi, à l’Ame qui est autre que notre mental, que notre vie et notre corps, c’est une aspiration intérieure à connaître et à sentir Cela, à entrer en contact avec la Réalité plus grande qui dépasse l’univers et le pénètre et qui habite aussi notre être lui-même . »
    On ne peut ...
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Message  Arlitto Jeu 9 Juin 2016 - 23:26

D’un « retour » à l’autre : Religion et spiritualité chez L. Kolakowski, M. de Certeau et M. Foucault
From One “Return” to Another : Religion and Spirituality in the Works of Leszek Kolakowski, Michel de Certeau and Michel Foucault


L’article propose une lecture croisée des trois œuvres de M. Foucault, M. de Certeau et L. Kolakowski, ce dans la perspective d’interroger de manière critique le thème du « retour du religieux » tel qu’il a joué le rôle d’opérateur de partage au sein du champ philosophique français depuis la décennie 1980, tendant à porter l’idée selon laquelle l’investigation philosophique se remettrait fort heureusement, depuis cette date, à traiter des questions relatives au fait religieux alors qu’un silence aurait régné sur le sujet durant la période précédente, autrement dit durant les décennies 1960 et 1970. De toute évidence, un tel silence n’eut pas lieu, comme les trois œuvres étudiés l’attestent. Alors, qu’est-ce que les paradigmes aujourd’hui dominants dans la prise en charge philosophique de l’objet religieux (i.e. la phénoménologie de la religion et les études sur le théologico-politique) refusent ou ne peuvent accepter dans ces approches pour en nier jusqu’à l’existence ? Et que dit un tel refus sur ces deux paradigmes eux-mêmes ? Voici les questions qu’il s’agira de traiter. Cette enquête abordera successivement la méthode par laquelle le fait religieux devient objet d’étude chez nos trois auteurs, leur manière de conceptualiser le champ religieux ensuite, et enfin la signification accordée, dans un tel contexte, à la figure mystique ou spirituelle

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  • 1  Cf. D. Janicaux, Le tournant théologique de la phénoménologie française, Combas, l’Éclat, 1991, re (...)

  • 2  Pour une approche générale de ce domaine de recherche, voir J.-C. Monod, La querelle de la sécular (...)


1À jeter un coup d’œil réflexif sur la situation de ma discipline, la philosophie, quant à la manière par laquelle elle se propose aujourd’hui d’accueillir, de problématiser et de conceptualiser le fait religieux, deux paradigmes semblent être tout particulièrement dominants. L’un peut être désigné, faute de mieux, par l’appellation très large de « phénoménologie de la religion », se déclinant en une phénoménologie « empirique » tirant ses hypothèses et ses méthodes d’un Carl Gustav Jung ou d’un Mircea Eliade d’une part, entretenant des rapports privilégiés avec l’histoire des religions, et une phénoménologie « fondamentale » ou « transcendantale » d’autre part, s’inscrivant quant à elle dans un héritage philosophique croisé, husserlien et heideggérien, que Dominique Janicaud a désignée sous l’appellation critique de « tournant théologique de la phénoménologie française »1. L’autre paradigme s’organise autour du couple « théologico-politique », et de manière connexe au thème de la « sécularisation ». Il se propose d’interroger, par le réinvestissement de débats portés par un Carl Schmitt, un Hans Blumenberg, un Karl Löwith ou un Éric Voegelin, les liens tant structuraux que généalogiques entre « religion » (tout particulièrement le christianisme) et « politique » (tout particulièrement l’État moderne)2.

  • 3  Les propos qui vont suivre se limiteront aux effets théoriques portés par ce thème à l’intérieur d (...)

  • 4  Ce modèle du retour ou du investissement correspond d’ailleurs assez bien à la forme qu’a effect (...)


2En-deçà des problèmes et des outils d’analyse spécifiques à chacun de ces champs de recherche, c’est un leitmotiv qu’ils portent en commun, duquel ils font procéder leur renouveau depuis le début de la décennie 1980 et sur lequel ils appuient leurs légitimités depuis lors, qui a d’abord retenu mon attention. Il s’agit du thème du « retour du religieux », tel qu’il a bien entendu traversé l’ensemble des sciences humaines et sociales depuis une trentaine d’années, mais tel qu’il a tout particulièrement joué, pour ces deux paradigmes de recherche, au sein du champ philosophique, un rôle de justification et d’opérateur de refondation théorique3. En effet, si dans son acception la plus large et la plus spontanée, ce thème y désigne, comme ailleurs, un retour des facteurs religieux sur la scène politique, sociale et médiatique récente, dans sa dimension plus opérative et active, il entend également désigner un retour des recherches philosophiques elles-mêmes portant sur la chose religieuse, autrement dit un retour de la question religieuse comme question légitime au sein d’un champ philosophique qui, avant ledit « retour », l’aurait quasiment ignorée. Sous le thème du « retour du religieux » tel que tout particulièrement porté par les deux paradigmes philosophiques précédemment cités, un certain regard sur l’histoire de la philosophie contemporaine se trouve en effet porté, indiquant en somme qu’une sorte de silence ou de vide aurait jusqu’alors régné sur la question, vide que la période actuelle refermerait en réinvestissant quelques voies de recherche desquelles nous aurions entretemps été coupés. Après un long milieu de XXe siècle dominé par le marxisme, l’historicisme, le matérialisme ou le relativisme, entend-on en substance, les circonstances récentes (la chute du communisme et de son hégémonie intellectuelle, ou la recrudescence de l’impact du religieux dans l’actualité) auraient permis une réouverture et un réveil salutaires. Après une telle période de silence et de vide, autrement dit, la philosophie se remettrait enfin à traiter de ce sérieux sujet qu’est la chose religieuse4.

  • 5  Cf. F. Cusset, French Theory : Foucault, Derrida, Deleuze & Cie et les mutations de la vie intelle (...)


3Or voilà précisément l’élément problématique duquel je voudrais partir pour parcourir, comme par jeu de décalage, les trois œuvres que j’aurai bientôt à présenter. À y regarder de plus près, en effet, et à rebours d’un tel sens implicite, ce milieu de XXe siècle ne manque pas de réflexions ni de propositions portant sur la ou les religion(s). Il n’est pas utile de détailler l’extraordinaire déploiement traversant l’ensemble des sciences humaines, tout particulière en histoire et en sociologie, par lequel se sont profondément renouvelées les études sur le religieux, non seulement à propos du christianisme dans ses diverses périodes, mais aussi à propos des religions asiatiques, moyen-orientales ou grecques anciennes. Ce ne sont pas ces disciplines que visent avant tout ce thème du retour salutaire de l’objet « religion » tel qu’il opère en direction du champ philosophique contemporain lui-même. Comme je l’ai déjà indiqué, l’appréciation implicite contenue dans ce thème du « retour » possède ici une portée critique bien plus resserrée et ciblée, faisant en l’occurrence référence à ce moment philosophique des décennies 1960 et 1970 auquel il a succédé, moment que l’expression américaine de French theory rassemble en un tout plus ou moins homogène et qui a subi, comme l’indique François Cusset, un refoulement assez profond au sein de l’Université philosophique française depuis cette même décennie 19805.

  • 6  Outre les multiples références au christianisme tout au long de l’enseignement de Lacan, voir tout (...)

  • 7  Pour alléger les notes suivantes, j’indique dès ici les principaux cours au Collège de France au s (...)

  • 8  Sur la question, voir M. Bryden (dir.), Deleuze and Religion, Londres & New York, Routledge, 2001.

  • 9  Cf. R. Barthes, Comment vivre ensemble : simulations romanesques de quelques espaces quotidiens. C (...)

  • 10  G. Lardreau et C. Jambet, L’Ange : pour une cynégétique du semblant (Ontologie de la révolution I)(...)


4Un tel « moment », cependant, ne semble pas correspondre davantage à cette impression de silence. Quelques exemples suffisent à l’attester. Jacques Lacan consacra une place de choix, au sein de ses séminaires, au christianisme et tout particulièrement à la mystique chrétienne6. Michel Foucault s’arrêta de plus en plus longuement sur le christianisme dans ses cours au Collège de France tout au long de la décennie 1970, jusqu’à lui consacrer une année entière de cours en 19807. Gilles Deleuze ne manqua pas de discuter les enjeux propres aux philosophies de la religion portées par les auteurs dont il proposa des commentaires poussés (de Spinoza à Nietzsche en passant par Hume, Leibniz, Kant ou Bergson)8. Roland Barthes consacra une grande partie de sa première année de cours au Collège de France (1976-77) à l’étude du cénobitisme et de l’érémitisme9. Enfin, comme venant accomplir une telle dynamique – que je grossis bien entendu à dessein –, certains chercheurs de la génération suivante, disciples et amis des premiers, s’orientèrent in fine vers l’étude pleine et entière des religions ; Guy Lardreau et Christian Jambet en sont peut-être les meilleurs exemples, qui, de disciples et amis d’un Lacan ou d’un Foucault, après la publication de L’Ange en 197610 – livre assez symptomatique d’une telle évolution –, devinrent historiens du christianisme oriental pour le premier, de l’islam chi’ite pour le second.
5Manifestement, le champ philosophique et intellectuel français des années 60 et 70 n’a donc pas ignoré la chose religieuse, loin s’en faut. Ce « vide » n’eut donc pas lieu, qu’un « retour » actuel viendrait combler. D’un tel constat, découlent alors quelques questions : Pourquoi voit-on aujourd’hui ces paroles comme des silences ? Qu’est-ce qui, dans cette manière d’aborder les questions religieuses, n’est plus parlant, n’est plus pertinent ou n’est plus recevable aujourd’hui ? Ou encore : Qu’est-ce que refuse un tel paradigme du » retour », qu’est-ce qu’il recouvre ou n’accepte pas dans de telles approches, pour en nier l’existence même ?

  • 11  Cette rencontre entre histoire et philosophie sera prise comme le fil conducteur réunissant ces tr (...)

  • 12  Les recherches portant sur l’approche des religions chez ces trois auteurs sont en effet restées j (...)


6Certes, se trouve ici esquissé à grands traits un vaste projet de recherche qui réclamerait bien du travail, et je n’ai pas la prétention de pouvoir en faire le tour en quelques pages. Je me contenterai plutôt d’en amorcer quelques pistes, qui plus est par un jeu de contraste provoqué par la (re)lecture de trois de ces paroles mises en silence : celles de Leszek Kolakowski, de Michel de Certeau et de Michel Foucault, que je prendrai ici comme représentatives de la manière singulière par laquelle se sont conjuguées recherches historiques et recherches philosophiques autour de la chose religieuse durant cette période que le leitmotiv du « retour du religieux » présente comme « silencieuse » et qu’il a, peut-être, lui-même rendue muette11. Là encore, bien entendu, je ne pourrai pas aborder ces trois œuvres dans toutes leurs complexités respectives. À bien des égards, il ne s’agira donc ici que d’un rapide survol, se maintenant dans l’entre-deux propre à toute démarche contrastive. Celui-ci aura cependant le double avantage de réévaluer les propositions philosophiques portées par ces trois auteurs aujourd’hui peu investis dans ce sens12, et de repérer a contrario – éclairés par ce qu’ils cachent – quelques principes épistémologiques portés ou préférés par ledit « retour » qui leur a succédé. Il s’agira en sommes de renverser le modèle porté par ce leitmotiv du « retour », pour découvrir ce de quoi une telle « réouverture » a signifié la fermeture.
7Trois questions structurantes me permettront de le faire : celle touchant à la manière par laquelle la religion devient objet de recherche, celle de la définition même du religieux, et enfin celle du statut accordé à la mystique et plus généralement à la spiritualité.
1. Un objet religieux abordé « de biais » : une pratique du décalage
8Le premier point commun entre les approches de Kolakowski, Certeau et Foucault se trouve dans leurs modes d’approche de la chose religieuse, c’est-à-dire dans la manière dont un tel « objet » est investi et constitué au sein d’un cadre problématique particulier. Il relève d’une pratique de l’hétéronomie, du décalage et du décentrement entretenue par de telles approches, tant vis-à-vis des habitudes épistémologiques présidant traditionnellement à l’étude des choses religieuses que vis-à-vis des problématiques internes structurant chacune de ces trois œuvres.

  • 13  J. Le Goff (dir.), Hérésies et sociétés dans l’Europe pré-industrielle (11e-18e siècles), Paris, M (...)

  • 14  Trad. fr. A. Posner, Paris, Gallimard, « Nrf », 1969. Après cette première vague de réception fran (...)

  • 15  Ibid., p. 10.

  • 16  Pour cette mise en contexte biographique, voirB. Piwowarczyk, op. cit., p. 81 sq.


9À ce propos, le cas de Kolakowski est peut-être le plus parlant. Alors que son œuvre fut dans un premier temps (durant la décennie 1950) profondément marquée par son engagement communiste, et prenait la voie d’une double critique marxiste du positivisme et de la religion, il entreprit, à partir de la fin de cette décennie et durant les années 1960, de se consacrer à l’histoire religieuse du XVIIe siècle, spécialité pour laquelle il fut tout particulière connu et reçu en France, de par sa participation au colloque réuni par J. Le Goff en 1962 ainsi qu’à l’ouvrage de référence qui en découla13mais surtout de par le massif Chrétiens sans Église : la conscience religieuse et le lien confessionnel au XVIIe siècle datant de 1965 et traduit en français en 196914. Dans cet ouvrage, Kolakowski se propose de mener une histoire de la conscience religieuse du XVIIe siècle, et plus précisément de ce qu’il nomme le « christianisme non-confessionnel ». Ce dont il entreprend alors de faire l’analyse, comme l’indique l’introduction, est l’ensemble de « ces idées religieuses qui – sous la forme la plus radicale – posent en principe qu’il existe un antagonisme constant entre les valeurs fondamentales du christianisme et la collectivité ecclésiastique, celle du moins qui se qualifie de mandataire visible des biens invisibles et des grâces divines »15. Une telle réorientation de l’œuvre kolakowskienne peut surprendre. Comme l’indique Bogdan Piwowarczyk dans sa biographie, le parcours intellectuel et politique de l’auteur peut cependant permettre d’en mieux comprendre la dynamique. En effet, durant la même période, Kolakowski devait s’inscrire en dissidence vis-à-vis de la ligne marxiste orthodoxe portée par le Parti communiste polonais à laquelle il adhérait jusqu’alors. De toute évidence, c’est donc la situation du « communiste sans Parti » qu’il était en train de devenir, voire de ce « socialisme sans État » qu’une telle dissidence portait en puissance, qu’il retrouvait alors et souhaitait étudier dans celle de ces « chrétiens sans Église » desquels il entreprit de repérer les lignes de fond, les évolutions et les échecs16. L’introduction de l’ouvrage annonce d’ailleurs la portée heuristique d’une telle enquête, comme si l’étude de ce déjà lointain XVIIe siècle permettait de mieux comprendre, en retour, quelques processus analogues propres au champ politique et intellectuel contemporain de l’auteur :

  • 17  Chrétiens sans Église, op. cit., p. 12.


Si j’examine, à l’aide de cas particuliers, le conflit entre la conscience religieuse et l’Église, ce qui m’intéresse davantage, ce sont plutôt les conséquences philosophiques de ces observations, soit quelque chose qui relève davantage de la philosophie des religions que de leur histoire. Les cas que je décris ont en outre une importance historique très limitée, et les formes de la conscience religieuse dont je m’occupe, lorsqu’on les situe au sein d’un tableau panoramique, doivent sembler l’exemple d’une protestation inefficace ou du moins peu efficace. Leur importance n’est pas dans leur « rôle historique », mais seulement dans le fait qu’ils permettent de saisir certains phénomènes de la conscience sociale dans une version relativement extrême et schématique, et que par là ils facilitent une réflexion généraliste17.

  • 18  Ibid., p. 11.

  • 19  Piwowarczyk rapporte avec clarté un tel principe heuristique circulaire entre l’historiographie et (...)


10Dans Chrétiens sans Église, se combinent donc deux dynamiques, au niveau méthodologique et épistémologique qui m’intéresse ici. La première consiste en une recherche philosophique délibérément menée dans l’ailleurs, dans un travail de l’histoire et tout particulièrement de l’histoire religieuse, pour traiter de questions contemporaines qu’il est plus facile, non seulement par peur de la censure, de repérer dans cet ailleurs. Cette première dynamique consiste donc en un premier décalage, opéré vis-à-vis des enjeux et des problèmes propres à l’auteur, qui entreprend au fond d’aller chercher écrites « en grosses lettres » dans l’étude historique ce qui se trouve inscrit en « petites lettres » dans sa propre actualité, quitte à s’aventurer, ce faisant, dans un domaine de recherches a priori étranger à ses propres spécialités. Kolakowski ne manque d’ailleurs pas d’indiquer, dès les premières pages, être « peu qualifié en matière d’histoire de la théologie et souffrant de toutes les tares de l’autodidacte »18. Une telle remarque indique alors la seconde dynamique, pendant de la première. Elle consiste en une situation de porte-à-faux assumée vis-à-vis de l’historiographie établie portant sur ce XVIIe siècle, historiographie ayant ses propres règles, ses propres habitudes et ses propres enjeux – que ne partage a priori pas Kolakowski –, et historiographie peu habituée, partant de ceux-ci, à prêter autant d’attention à de tels cas d’une « importance historique très limitée ». Cette deuxième dynamique porte donc un second décalage, non plus vis-à-vis des enjeux actuels que souhaite traiter Kolakowski par un tel détour historiographique, mais vis-à-vis du champ de recherches historique dans lequel il s’aventure alors, décalage par lequel apparaissent ou sont mis en relief des questions ou des objets qu’une telle historiographie était moins encline à interroger19.

  • 20  Pour ne pas apporter trop d’hétérogénéité à cette lecture croisée et me concentrer sur la relation (...)

  • 21  Cf. respectivement « Théories et institutions pénales », résumé de cours (1971-1972), in Dits et É (...)


11De tels principes d’altérité, de décalage et de circulation heuristique entretenus entre histoire et philosophie se retrouvent également, certes articulés différemment, dans l’approche foucaldienne du christianisme. Le statut de celui-ci a certes connu bien des évolutions au fil de l’œuvre de Foucault, y compris dans la période débutant avec les cours au Collège de France en 1970 sur laquelle je me concentre ici20. Quelques dynamiques de fond peuvent néanmoins être repérées, une fois rappelé schématiquement le cadre problématique général structurant de telles recherches. Alors que Foucault se propose, à partir de 1971, de produire une histoire des différentes « formes fondamentales du “pouvoir-savoir” » qui se seraient succédées ou enchevêtrées en Occident depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, un tel programme prit rapidement la forme de ce qu’il proposa in fine de nommer une « philosophie analytique du politique » ayant tout particulièrement pour tâche de repérer et d’analyser les caractéristiques propres des formes ou des dispositifs modernes de pouvoir distincts du modèle répressif, juridique et étatique qu’avait jusqu’alors exclusivement retenu la philosophie politique traditionnelle ; projet qui se déclina de nouveau, à partir de la fin de la décennie 1970, en celui d’une histoire du « sujet », de la « subjectivité » ou des « techniques de subjectivation » occidentales dans leurs rapports aux technologies de gouvernement d’une part, de production de vérité d’autre part21.

  • 22  De telles thèses portant sur l’« origine religieuse » des dispositifs modernes de pouvoir traverse (...)


12Au sein de tels cadres, deux dynamiques peuvent être repérées quant à l’étude du christianisme. Dans un premier temps, jusqu’en 1976 ou 1978, les éléments chrétiens auxquels se consacre Foucault interviennent presque exclusivement comme des antécédents généalogiques de telles formes ou techniques de pouvoir modernes. Alors que les formes plus traditionnelles de pouvoir – celle du modèle juridique, de l’État et de la souveraineté – trouvent leurs racines dans l’État médiéval puis classique, autrement dit dans une recodification des systèmes juridiques romain et germanique, indique en substance Foucault, ces nouveaux types de pouvoir représentés par les « dispositifs disciplinaires », le « biopouvoir » ou encore le « pouvoir de gouvernementalité » qui se sont imposés à partir des XVIIe et XVIIIe siècles trouvent quant à eux leurs racines au sein des différentes pratiques chrétiennes constituées durant le Moyen âge et renforcées par la Réforme et la Contre-Réforme22. Dès ici, un principe de décalage vis-à-vis d’une histoire plus classique du christianisme est repérable : en n’abordant pas le christianisme « pour lui-même », ni par les catégories historiographiques habituellement déployées, mais uniquement en cela qu’il peut annoncer ou préparer de telles formes modernes de pouvoir sur lesquels se concentre Foucault, c’est avec un regard tout particulier qu’il aborde de tels foyers chrétiens, regard prenant à dessein ses distances vis-à-vis d’une histoire de l’institution Église d’une part, des dogmes, de la théologies ou des représentations chrétiennes d’autre part, pour se consacrer plutôt sur ce qu’il nomme régulièrement les « pratiques » ou les « techniques » chrétiennes de gouvernement, et circonscrire ainsi des questions relativement nouvelles au sein de l’historiographie religieuse.

  • 23  Foucault consacre en effet plus de quatre leçons au christianisme dans Sécurité, territoire, popul (...)

  • 24  Les pages 157-158 de La Volonté de savoir donnent un premier exemple d’un tel retournement du jeu (...)


13En tant qu’antécédents généalogiques lointains de ces formes modernes de pouvoir, cependant, le christianisme occupe dans cette première grosse moitié de la décennie 1970 une place assez timide au sein des cours et ouvrages de Foucault, qui ne lui consacre alors guère plus de deux leçons par cours. À partir de 1976, date de la parution du premier tome de l’Histoire de la sexualité, une profonde évolution est cependant repérable, faisant progressivement passer un tel champ chrétien de ce statut d’antécédent généalogique lointain vers celui d’un champ complexe de plus en plus central pour l’analyse foucaldienne, comme en témoignent particulièrement les cours de 1978 et de 198023. C’est que progressivement, une profonde évolution du statut épistémologique du christianisme dans l’économie argumentative de Foucault me semble repérable. En effet, si sa qualité d’antécédent généalogique des techniques de gouvernement et de subjectivation modernes est maintenue, un tel champ chrétien y devient dans le même temps une sorte de terrain ou de champ « modèle » ou « paradigmatique » à l’intérieur duquel quelques dispositifs, quelques techniques de gouvernement, quelques relations typiques entretenues entre des formes de gouvernement, de subjectivité et de production de vérité sont tout particulièrement repérées et thématisées, permettant à Foucault de mieux les appréhender et de mieux les faire apparaître, en retour, au sein de l’époque contemporaine24.
14Dans l’un et l’autre de ces deux modèles – le modèle « généalogique » et le modèle « paradigmatique », pour le dire ainsi – une pratique du décalage épistémologique dans l’approche du christianisme est donc là encore centrale.

  • 25  Pour cette importation de méthodes « extérieures » au sein de l’historiographie religieuse, voir F (...)

  • 26  « Chaque analyse est nécessairement proportionnée à des précédents, à une histoire qui est l’histo (...)

  • 27  J. Le Brun, « Michel de Certeau historien de la spiritualité », op. cit., p. 535.


15Quant à Michel de Certeau, il pourrait sembler étrange de l’inscrire aux côtés de Foucault et de Kolakowski. Contrairement à ceux-ci, il fut en effet dès initialement historien du christianisme classique. À y regarder de plus près, son cas n’est cependant pas sans rapport avec les deux premiers : il en représente certainement le cheminement inverse. En effet, si Certeau fut d’abord un historien de la spiritualité chrétienne, le geste fondateur de son œuvre consiste certainement en une importation, au sein d’une telle historiographie qu’il réforma par là profondément, de débats, d’enjeux et surtout d’outils méthodologiques qui lui étaient étrangers, de la méthode archéologique du premier Foucaultà la psychanalyse, notamment lacanienne, en passant par la linguistique d’un Greimas et plus largement le linguistic turn traversant alors les sciences humaines25. De plus, l’approche proposée par Certeau se caractérise par l’entremêlement constant et profond entre une telle « histoire de la spiritualité » et ce qu’il nomme « l’histoire de l’histoire », autrement dit l’histoire des manières par lesquelles la religion fut constituée en objet de recherche historique depuis l’époque étudiée jusqu’à l’époque dans laquelle se situe l’historien qui l’étudie, démarche certalienne redoublant ainsi l’effet de distance ou d’« écart » – terme désignant en propre le travail de l’historien pour Certeau – entretenu avec son objet26. Ainsi Jacques Le Brun peut-il insister sur la nouveauté qu’une telle approche provoqua au sein de l’histoire du christianisme. « Pendant la première moitié du XXe siècle, indique-t-il par exemple, l’histoire de la spiritualité était liée dans une large mesure aux ordres religieux ou aux institutions ecclésiastiques, et la position des historiens en ce domaine pouvait paraître particulière », avant de préciser : « dans le cas de ce que l’on appelait l’histoire de la spiritualité ce sont le champ d’étude, les méthodes, les fins explicites ou inconscientes du travail qui étaient organisés par le statut ecclésial de celui qui s’y appliquait et des lieux dans lesquels il présentait ses travaux »27.
16Mais une telle description pourrait alors être élargie et appliquée à la situation de nos trois auteurs vis-à-vis des paradigmes portés par ou portant le « retour du religieux » des dernières décennies. Ici, ce serait tout particulièrement du paradigme phénoménologique qu’ils se distingueraient. Reprenant à son compte l’adage husserlien « revenir aux choses mêmes » et l’orientant en direction d’une posture compréhensive radicale pensée sous la forme d’un « anti-réductionisme », c’est en effet tout principe d’extériorité, d’hétéronomie, tout jeu d’écart, de distance ou de décalage vis-à-vis du phénomène abordé que refuse précisément un tel paradigme, cherchant à décrire ou à exprimer le plus fidèlement possible le mode d’expérience, l’état de conscience ou le mode de représentation du monde étudié, rejetant ainsi toute médiation entre le « phénoménologue » et le « phénomène » qu’il se propose de « re-présenter ». À l’inverse d’un tel principe d’auto-référence épistémologique de l’objet d’étude sur lui-même, les approches du religieux portées par Kolakowski, Foucault et Certeau se caractérisent donc tout d’abord par une telle pratique du déplacement et du décentrement épistémologique.
2. Un champ religieux pluriel et conflictuel
17Le deuxième point commun de ces trois auteurs découle de la conception qu’ils portent du champ religieux lui-même, ou plutôt, justement, de leurs conceptions de la religion comme étant avant tout un champ, composé de traditions, de pratiques, de sens ou d’expériences distinctes voire même antagoniques, et dont l’« unité » ne renvoie à rien d’autre qu’à l’ensemble des relations plus ou moins conflictuelles qu’ils entretiennent entre eux, sans pouvoir être réduits à un fondement unique, essentiel et homogène.

  • 28  Pour la méthode archéologique, cf. L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, et L’Ordre du (...)

  • 29  Cf. respectivement Histoire de la folie à l’âge classique, nouvelle édition, Paris, Gallimard, « T (...)

  • 30  La leçon du Pouvoir psychiatrique citée infra donne le plus bel exemple d’un tel partage entre un (...)

  • 31  Cf. respectivement Sécurité, territoire, population, op. cit., leçon du 1er mars 1978 pour les « c (...)


18Concernant l’œuvre foucaldienne, se trouve certainement ici un de ses principes méthodologiques profonds, déjà inscrit au sein de la méthode « archéologique » proposée durant les années 1960, pour laquelle l’étude des « épistémès », des « unités discursives » ou des « formations discursives » signifie l’étude des règles de répartition et de dispersion de discours hétérogènes sans présupposer un quelconque principe d’unité cachée, et principe que la méthode « généalogique » a déployé de nouveau, à partir de 1971, en inscrivant le modèle stratégique des « bifurcations », des « dérivations », des « résistances » et des « adaptations » au fondement de la conception foucaldienne du pouvoir, de l’histoire et plus généralement de la culture28. Il n’est donc pas surprenant de retrouver un tel principe de pluralisme et même de conflictualité fondamentale irréductible au sein des approches foucaldiennes du christianisme, tout d’abord diffractée de par des lignes de partage assez larges – la moralisation et la condamnation de la pauvreté portées par le protestantisme contre la « mystique de la pauvreté » du catholicisme dans l’Histoire de la folie, les dissidents protestants s’opposant à l’Église ainsi qu’aux protestantismes d’État dans la généalogie de la prison, l’opposition entre le pouvoir de souveraineté portée par l’Église et les rudiments du pouvoir disciplinaire portés par les ordres monastiques dans Le Pouvoir psychiatrique29 –,avant d’acquérir une finesse analytique croissante au fur et à mesure que l’attention de Foucault s’est attardée plus longuement et plus en détails sur de tels champs religieux. Il est d’ailleurs intéressant de noter, au-delà d’un tel survol général, qu’avec le déploiement d’une telle attention, cette inscription du modèle stratégique et conflictuel au fondement même du champ religieux fut de plus en plus affirmée, notamment à partir de 1978. En effet, là où une opposition plus classique entre une forme de pouvoir typiquement ou tendanciellement « religieuse » d’une part et une forme de pouvoir typiquement « politico-juridique » héritée de la Cité grecque, de Rome ou du droit germanique d’autre part tendait, avant cette date, à reléguer une telle structure conflictuelle intérieure au champ religieux au second plan30, la leçon du 1er mars 1978 circonscrit différentes « contre-conduites » chrétiennes et religieuses (non pas extérieures au christianisme, comme y insiste Foucault) s’opposant à la gouvernementalité pastorale elle aussi religieuse, avant que le cours de 1980 ne finisse par thématiser, au sein d’une méthodologie alors rebaptisée « anarchéologique », deux modèles typiques des rapports entre sujet, pouvoir et vérité – en l’occurrence le « système de la Loi » et le « système du Salut » – comme constituant l’antinomie fondamentale et instauratrice du christianisme31.

  • 32  Chrétiens sans Églises, op. cit., p. 11.


19Dans le cas de Kolakowski, les prémisses programmatiques indiquées précédemment permettent déjà de pressentir l’importance de ce modèle conflictuelau fondement de l’analyse proposée dans Chrétiens sans Église. Ce sont même très précisément les modalités, les dynamiques et les effets complexes d’une telle structure conflictuelle du champ religieux que cherche à préciser et à théoriser le philosophe-historien polonais, en parcourant non seulement l’ensemble des fronts par lesquels l’autorité ou la légitimité de l’Église ainsi que tout phénomène d’organisation institutionnelle du christianisme furent religieusement remis en cause, mais aussi l’ensemble des processus dialectiques reliant constamment ces deux dynamiques inverses : la « dissidence » en cela qu’elle emprunte toujours nécessairement à ce contre quoi elle s’oppose, ou dans sa tendance à se figer progressivement en une nouvelle « orthodoxie » ; et inversement toute réponse orthodoxe en cela qu’elle implique toujours une certaine adaptation aux dissidences qu’elle tente de désamorcer, provoquant alors l’absorption de quelques germes subversifs en son propre sein d’où ils pourront se déployer de nouveau. Ce sont donc bien ces « antinomies fondamentales de la pensée religieuse »32, comme il l’indique dès les premières pages de l’ouvrage, et plus précisément cette dialectique intra-religieuse que parcourt Kolakowski d’un bout à l’autre de son ouvrage.

  • 33  « Le mythe des origines » [1966], repris in La faiblesse de croire, op. cit., p. 66-86, p. 72.


20Un tel principe de multiplicité inhérente au champ religieux fut également central dans l’approche de Certeau, qui fit d’ailleurs de la remise en cause du principe d’unité ou d’homogénéité généralement admis pour traiter du christianisme ou de la religion un des thèmes centraux de ses recherches, attaquant tout particulièrement le « postulat » selon lequel une origine ou un principe premier serait à rechercher en-deçà de la pluralité des « expressions » religieuses pour en mener l’étude. « En scrutant de plus près les origines, l’analyse semble n’atteindre qu’un vide là où nous attendions la vérité », indique-t-il par exemple dans « Le mythe des origines »33, avant de dissoudre toute catégorie de « fondement » au sein d’un principe de multiplicité relationnelle irréductible dans son fameux article portant sur la « rupture instauratrice » :

  • 34  « La rupture instauratrice » [1971], repris in La faiblesse de croire, op. cit., p. 187-226, p. 21 (...)


Ainsi l’événement initial devient-il un inter-dit. Non pas qu’il soit intouchable et tabou. Mais le fondateur disparaît, impossible à saisir et à « retenir », à mesure qu’il prend corps et sens dans une pluralité d’expérience et d’opérations « chrétiennes ». Il n’y a plus de perceptible qu’une multiplicité de pratiques et de discours qui ne conservent ni ne répètent le même. L’événement est donc inter-dit, en ce sens qu’il n’est dit et donné nulle part en particulier, sinon sous la forme de ces inter-relations constituées par le réseau ouvert des expressions qui ne seraient pas sans lui34.

  • 35  Paris, Seuil, 1974 (en collaboration avec J.-M. Domenach). Voir encore, sur la même question, La C (...)

  • 36  « Autorités chrétiennes et structures sociales », op. cit., p. 100-101.


21Face à toute réduction à l’unité, réflexe que Certeau rattache à l’entreprise de définition du « religieux » par distinction du « non-religieux » portée par le partage moderne entre « religion » et « modernité », l’auteur du Christianisme éclaté35préfère donc mettre en lumière les lignes de fracture, de tension et d’opposition constitutives du champ religieux. Dès lors « le » christianisme se décompose-t-il en une série presque infinie d’éléments distincts, et le travail historique ne cherche non pas à réduire une telle pluralité à une unité essentielle et ordonnatrice cachée, mais au contraire à déplier l’« éventail bariolé » de croyances, de pratiques et de discours hétérogènes qu’une telle unité factice recouvre36. Dès lors, à un principe de réduction du multiple à l’unité, est substitué un principe de découpage par lequel des unités s’autonomisent à l’intérieur d’un champ pluriel en perpétuelle reconfiguration, comme la vaste enquête menée dans La fable mystique en fournit le plus bel exemple à propos de « la » mystique sur laquelle je reviendrai dans la dernière partie de mon propos :

  • 37  La Fable mystique (XVIe-XVIIe siècle) I, Gallimard, « Tel », 1982, p. 28. La deuxième partie de l’ (...)


Une nouvelle « forme » épistémologique apparaît en effet, au seuil de la modernité, avec les textes qui se donnent le titre de « mystiques » et se contredistinguent par là d’autres textes, contemporains ou passés (traités théologiques, commentaires de l’Écriture, etc.). Sous ce biais, le problème n’est pas de savoir si un traité exégétique de Grégoire de Nysse relève de la même expérience qu’un discours plus tard intitulé « mystique », ou s’ils se construisent tous deux selon des procédés rhétoriques partiellement analogues, mais de déterminer ce qui survient dans le champ que découpe un nom propre (« mystique ») et où s’effectue un travail soumis à un ensemble pertinent de règles. […] Au départ de l’analyse, il y a donc l’isolement d’une unité « mystique » dans le système de différenciation des discours qui articule un nouvel espace de savoir37.
22Ainsi Kolakowski, Certeau et Foucault portent-ils, chacun à sa manière, l’approche d’un champ religieux fondamentalement complexe, pluriel, hétérogène et diffracté, toujours traversé par des lignes de partage en déplacement, des dynamiques de différenciation, de distinction ou de reconfiguration perpétuelles. Ils partagent donc le refus méthodologique d’aborder le champ religieux comme un champ homogène, unitaire et unifié, et a fortiori de rechercher ce qui en constituerait le noyau essentiel et unificateur par rapport à ce qui constituerait le champ du « non-religieux ».

  • 38  Déjà structurante au sein des philosophies de la religion du XIXe siècle (depuis Schleiermacher au (...)

  • 39  Telle est par exemple la tâche formulée par Eliade de manière récurrente dans les avant-propos et (...)

  • 40  C. Schmitt indiqua par exemple avec force, dès sa première Théologie politique et plus encore dans (...)


23Or, telle semble être, a contrario, la tendance que portent les principaux paradigmes ayant pris en charge philosophiquement la question du religieux ces trente dernières années : la phénoménologie de la religion en cela qu’elle recherche, par-delà la pluralité de ses manifestations historiques, l’essence de la religion38, ou encore ce qui constituerait en propre l’expérience ou la vision du monde portée par l’homo religiosus contre celles de l’« homme moderne »39 ; et le paradigme théologico-politique en cela qu’il porte dans son fondement épistémologique même une définition a priori du religieux comme du politique comme partage préalable à toute étude de leurs relations40Peut-être de tels paradigmes rejoignent-ils en cela le fond programmatique qu’a traditionnellement porté toute « philosophie de la religion », du moins telle qu’elle s’est constituée à l’âge classique puis modifiée et renforcée aux XIXe siècle. « Qu’est-ce que la religion ? » fut en effet l’une de ses questions structurantes, et ne manqua pas d’inviter le philosophe à rechercher, à construire ou à découvrir ce qui en constituerait l’essence. De tels paradigmes actuels ne manquent pas non plus de rappeler le cadre oppositionnel au sein duquel un tel programme essentialiste a pris forme dans la tradition philosophie occidentale : définir la religion signifia en effet quasiment toujours, pour celle-ci, la définir par rapport à ce de quoi on la distinguait. Qu’une telle philosophie de la religion ait entretenu d’étroites relations avec la philosophie politique, la philosophie de la connaissance et encore la philosophie de l’histoire en donne d’ailleurs une bonne illustration : de Hobbes à Feuerbach au moins, en passant par Spinoza ou Hegel, le « politique », la « raison » et dans une certaine mesure le « progrès » ont au fond été les trois pôles extérieurs par rapport auxquels la philosophie occidentale a défini la religion – ces trois pôles s’étant d’ailleurs tout autant définis par rapport à elle. Si les paradigmes actuels se distinguent peut-être d’une telle filiation de par le retournement qu’ils opèrent dans la revalorisation positive du « religieux » face à de tels pôles, ils en maintiennent cependant le procédé définitionnel : la religion comme pôle non-rationnel, anti-rationnel ou supra-rationnel, la religion comme pôle entretenant des relations complexes avec le politique, ou la religion comme source archaïque ou originaire de sens face à ce qui devient alors le « nihilisme moderne » sont en effet quelques-unes des lignes profondes de partage sur lesquelles reposent de tels paradigmes, lignes de partage passant toujours à l’extérieur du champ religieux et provoquant ainsi nécessairement une définition essentielle de la religion.
24Ici encore, donc, les approches de Kolakowski, Certeau et Foucault dénotent : à la recherche d’une essence, elles préfèrent l’étude d’un champ ; à la recherche d’un fondement unique, elles préfèrent la mise en lumière du complexe et du multiple ; aux larges lignes de partage distinguant le « religieux » du « non-religieux », elles préfèrent les lignes de partage intérieures au champ religieux lui-même.
3. Le statut de la mystique : spiritualité et subversion
25Ce deuxième point conduit assez directement au dernier : celui concernant le statut particulier accordé par nos trois auteurs à la « mystique », et plus généralement à la « spiritualité ».

  • 41  J. Le Brun, « Michel de Certeau historien de la spiritualité », op. cit.

  • 42  Concernant la lecture certalienne de Surin ainsi que la place du jésuite mystique dans son œuvre, (...)

  • 43  La Fable mystique II, éd. L. Giard, Paris, Gallimard, « Nrf », 2013.

  • 44  Cf. l’article « Mystique » rédigé pour l’Encyclopaedia universalis en 1971 et « Histoire et mystiq (...)


26Un rapide parcours indique tout d’abord la centralité accordée à cette figure mystique au sein de ces trois approches du champ religieux. Le cas de Certeau est ici le plus évident. Historien du XVIIe siècle religieux, comme je l’ai déjà indiqué, il fut tout particulièrement « historien de la spiritualité », comme l’indique Jacques Le Brun41, et plus précisément encore historien de la mystique. De ses premiers travaux portant sur le jésuite mystique Jean-Joseph Surin dont il entreprit l’édition critique des œuvres42 jusqu’à son dernier ouvrage, La fable mystique (dont Luce Giard vient d’éditer le deuxième tome43) en passant par La possession de Loudun (où la mystique de Surin rencontre les possédées des Ursulines), L’Écriture de l’histoire et les multiples articles que Certeau lui consacra44, c’est effectivement la mystique, et plus précisément cette « mystique moderne » du XVIIe siècle qui retint avant tout son attention.

  • 45  Chrétiens sans Églises, op. cit., p. 61. Les différents chapitres historiques ou biographiques de (...)


27Un même constat s’impose concernant le Kolakowski de Chrétiens sans Églises. Alors qu’il propose, dans le chapitre introductif, une typologie des trois sources principales de la conscience chrétienne anti-institutionnelle à laquelle il souhaite se consacrer, identifiant alors l’« individualisme radical », l’« irénisme libéral » et les « sectes de saints ou de parfaits », il ne manque pas de remarquer immédiatement que « la mystique se manifeste dans toutes ces variantes », réformant ainsi une telle typologie des christianismes anti-confessionnels en une typologique des mystiques chrétiennes45.

  • 46  Pour toutes ces références, se reporter aux leçons et pages indiquées supra des cours de La Sociét (...)


28Quant à Foucault, si la centralité de la figure mystique est assez flagrante durant les années 1960, de part le lien intime qu’elle entretient avec les « expériences limites » dont il perçoit le modèle chez Bataille, Blanchot ou Klossowski, son importance est à première vue moins évidente dans la période généalogique des cours au Collège de France sur laquelle je me concentre. Cette impression première est cependant de nouveau contredite par une lecture plus attentive. En effet, des dissidents quakers abordés dans la généalogie de la prison, desquels Foucault retient tout particulièrement l’intuition mystique de la « Lumière intérieure », autrement dit de l’élément divin présent dans l’intimité de chaque individu, jusqu’aux « contre-conduites » spirituelles chrétiennes apparaissant dans le cours de 1978 (elles aussi de facture mystique comme j’y reviendrai bientôt) ou encore la composante mystique essentielle de la gnose et du « système du Salut » qu’il oppose au « système de la Loi » et autour de laquelle s’organise l’interprétation du christianisme primitif proposée dans Du gouvernement des vivants, en passant par les ordres monastiques et les communautés religieuses sur lesquels se concentre la généalogie du pouvoir disciplinaire et que retrouvera encore Foucault, par un autre biais, dans l’histoire de la vie cynique proposée dans sa dernière année de cours, un tel élément mystique fut de toute évidence une composante centrale de la plupart des traditions chrétiennes sur lesquelles il s’est attardé46.

  • 47  Pour cette interprétation certalienne de la focalisation savante autour de la spiritualité à parti (...)


29Une telle attention portée à la mystique n’est cependant pas originale en elle-même. Comme le note Certeau, il s’agit à l’inverse d’une tendance de fond des différentes approches historiques ou philosophiques de la chose religieuse depuis le dernier tiers du XIXe siècle, alors que la perte d’autorité, de légitimité ou d’efficace des différentes institutions religieuses traditionnelles ne laissait comme base solide à la disposition des esprits spirituels ou des chercheurs intéressés que l’expérience intime et intérieure du sacré. Alors que les composantes objectives traditionnelles de la religion chrétienne s’essoufflaient, pour le dire ainsi, le sentiment religieux, l’intuition, l’intériorité et l’expérience spirituelles devinrent les nouveaux lieux du religieux pour cette Europe « déchristianisée », et en tout cas les foyers autour desquels s’organisa la grande majorité des discours savants tenus sur la religion depuis le dernier tiers du XIXe siècle47.

  • 48  Je ne peux qu’évoquer rapidement ici une telle connexion entre l’étude de la spiritualité comme de (...)

  • 49  Dans ses différents travaux visant une liquidation de toute « théologie politique », Yves-Charles (...)

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Forum Religion et Spiritualité - Page 2 Empty Re: Forum Religion et Spiritualité

Message  Arlitto Jeu 9 Juin 2016 - 23:28

30Deux principes épistémologiques ont cependant accompagné une telle focalisation discursive, que les paradigmes dudit « retour » contemporain portent de nouveau, et par rapport auxquels les approches de nos trois auteurs se distinguent. Le premier consiste justement à définir la mystique comme un fait fondamentalement subjectif, relié à la question du « sujet » ou de la « personne », et jouissant ainsi d’une consistance propre, détachée de toute implication extérieure ou collective, sociale, politique ou culturelle. Le second consiste à concevoir l’expérience mystique ainsi définie subjectivement ou psychologiquement comme le fait religieux « pur » ou « premier », que l’ensemble des codifications collectives et objectives obstruerait nécessairement en tentant de le pérenniser, mais qui donnerait accès pour le philosophe ou l’historien à quelques vérités essentielles, qu’il s’agisse de vérités sur Dieu, sur la religion ou sur l’Homme48. Ainsi le paradigme phénoménologico-herméneutique prend-il aujourd’hui la forme d’une analytique de l’expérience subjective de l’Autre ou du « phénomène saturé » pour dévoiler des structures existentiales irréductibles à l’entendement rationnel, tout comme le paradigme phénoménologico-jungien entreprend de découvrir, par-delà la diversité historique des religions et tout particulièrement des différentes traditions mystiques, une voie d’accès privilégiée pour la découverte d’un ensemble d’archétypes transhistoriques touchant là encore à la définition même de l’homme. Ainsi, de même, la reconduction de la solution libérale réaffirmée ces dernières années face au dilemme théologico-religieux prétend-elle, en autonomisant le champ politique vis-à-vis du religieux, rapporter (à) ce dernier (à) sa sphère ontologique propre et légitime, à savoir, précisément, la sphère privée de la conscience individuelle49.

  • 50  Chrétiens sans Églises, op. cit., p. 31.

  • 51  Respectivement ibid., p. 31, 40-41 et 48. Certeau n’est peut-être pas tout à fait juste à l’égard (...)


31S’ils maintiennent une telle centralité à la mystique dans l’étude du religieux, Kolakowski, Certeau et Foucault se distinguent de tels cadres pour deux raisons au moins. La première concerne le cadre d’intelligibilité à l’intérieur duquel ils inscrivent celle-ci. En effet, la mystique n’est pas abordée, chez eux, comme un phénomène essentiellement subjectif ou psychologique, mais avant tout comme un fait ou une réalité culturelle en lien avec d’autres réalités culturelles, réalité quine se réduit donc pas à une indexation subjective, ni davantage au statut d’une « idéologie », catégorie impliquant le principe d’une dérivation causale et d’un caractère instrumental vis-à-vis de dynamiques ou d’intentions sociales, politiques ou comportementales, et se référant alors également à une subjectivité, fût-elle « trompée » ou « aliénée ». Ici, le long point de méthode proposé par Kolakowski dans le premier chapitre de Chrétiens sans Église est tout particulièrement significatif. « Dans nos considérations, y indique-t-il en effet, ces doctrines apparaissent en tant que faits sociaux dont le sens est défini par l’ensemble de la situation sociale au sein de laquelle ils apparaissent ; il n’est donc pas nécessaire, en outre, de se référer, pour ce qui est de ce sens, au caractère authentique ou fictif de l’expérience vécue qui est à sa racine »50. La « mystique » – que Kolakowski propose pour cette raison précise de nommer plutôt le « mysticisme » – sera donc abordée, continue-t-il, non pas sous la forme d’une expérience intime et subjective, mais uniquement « sous sa forme verbalement exprimée », sous son « aspect doctrinal », et ainsi comme « fait culturel » dont il faudra étudier les relations avec l’ensemble des autres faits doctrinaux composant le champ religieux, à l’inverse des approches psychologiques et phénoménologiques procédant l’une et l’autre d’une « réduction [de la mystique] à l’expérience religieuse vécue »51.

  • 52  Cf. notamment « une manière de procéder » dans l’introduction à La fable mystique I, op. cit., p.  (...)


32Plus proche sur ce point qu’il n’y paraît à première vue des perspectives du philosophe polonais, Certeau réaffirme une telle perspective d’analyse, enrichie par le langage de l’archéologie foucaldienne, en proposant d’aborder la mystique non pas comme une expérience vécue dont le chercheur aurait à retrouver l’émotion intime première, mais comme un « fait discursif », un « fait de langage » ou une « forme épistémique » que l’historien découvre avant tout dans un corpus textuel duquel il doit se contenter, fait discursif opérant au sein du langage ou de l’épistémè chrétienne et classique un ensemble de déplacements ou d’opérations qu’il s’agit de mettre en lumière52.

  • 53  Pour de telles questions, voir L. Paltrinieri, L’expérience du concept : Michel Foucault entre épi (...)

  • 54  Les citations données supra (cf. note 61) ainsi que les remarques qu’elles appuient en donneront u (...)


33Dans le cas de Foucault, enfin, le refus systématiquement répété d’inscrire ses recherches généalogiques au sein des cadres épistémologiques d’une « histoire des idées » ou d’une « histoire des mentalités » au profit d’une enquête portant avant tout sur des pratiques et des expériences rend un tel point plus difficile. En accomplissant un tel retour à la question de l’« expérience », cependant, Foucault ne reconduit pas l’épistémologie phénoménologique d’un sujet transcendantal, d’une expérience ou de catégories subjectivesconçues comme origine de toute représentation possible, mais en retourne bien plutôt la logique : d’un bout à l’autre de son œuvre, ce sont en effet les conditions de possibilité de l’expérience qu’il cherche à repérer, de par la circonscription des « dispositifs de pouvoir » ou des « régimes de vérité » à l’intérieur desquels des types d’expérience et donc des types de sujet sont rendus possibles53. De ce point de vue, et pour revenir à l’application d’un tel paradigme à ses études portant sur le champ chrétien, l’expérience spirituelle n’est donc pas située en position transcendantale et fondatrice vis-à-vis du champ religieux, mais à l’inverse en position dérivée ou relative vis-à-vis de celui-ci, en tant qu’expérience permiserendue possible ou appelée par tel ou tel régime discursivo-pratique chrétien dont il s’agit alors de dégager les caractéristiques propres, les conditions de constitution, de diffraction et de transformation54.
34De par ce remplacement du modèle générationnel ou transcendantal par un modèle relationnel ou immanent d’intelligibilité du fait mystique au sein du champ religieux, se présente alors le deuxième point par lequel nos trois auteurs se distinguent des paradigmes précédemment schématisés. Qu’un tel modèle sape tout fondement à l’association quasi-métonymique de l’expérience spirituelle avec le religieux, ainsi qu’à toute relation établie entre une telle expérience et une quelconque recherche ontologie (portant sur Dieu, sur la religion ou portant sur l’homme), les remarques précédentes suffisent à le comprendre : en n’ayant de sens que replacée dans un tel réseau relationnel, la mystique cesse en effet d’apparaître comme une origine ou comme un fondement. Mais il faut aller plus loin. À une telle connexion de la mystique avec l’essentiel ou l’ontologique, est en effet substituée une autre connexion, reliant alors la mystique aux thèmes du paria, du trouble-fête, du fou, du marginal, et in fine de la subversion et de la transformation au sein du champ religieux.
35En ce qui concerne l’approche kolakowskienne de Chrétiens sans Église, une telle association découle assez directement des indications précédentes :en inscrivant la majorité des christianismes anti-confessionnels sur un fondement mystique, la mystique devient en effet l’analogon, au sein du champ chrétien du Grand siècle, de la dissidence au sein du champ marxiste contemporain de l’auteur.

  • 55  M. de Certeau, L’Invention du quotidien, Paris,Union générale d’éditions, « 10/18 », 1980, rééd. G (...)

  • 56  « Cultures et spiritualités », op. cit., p. 56 et 60. J.-C. Monod a proposé d’inscrire ces proposi (...)

  • 57  « Historicités mystiques », op. cit., p. 50.


36Un tel point est tout aussi central dans l’œuvre de Certeau. Rejetant tout « théologisme », tout « spiritualisme » et tout particulièrement tout « jungisme » qui prétendraient déceler dans l’expérience mystique la voie d’accès à des réalités essentielles et immuables, la mystique est avant tout, pour lui, l’exemple paradigmatique d’une pratique du mouvement, de l’écart et de la transformation, annonçant d’ailleurs quelques propositions majeures de la sociologie des pratiques de « braconnage culturel » et plus généralement des « arts de faire » exposées dans L’Invention du quotidien55Certes, une certaine évolution peut à ce propos être repérée au sein de l’œuvre certalienne. Dans les années 1960, en une perspective encore marquée par l’hégélianisme, la mystique apparaît sous le signe de la « rupture », comme inscription d’un « vide » ou d’un « manque » au sein du discours chrétien traditionnel (notamment le discours théologique) prétendant justement apporter le « plein de sens », les « réponses » ou la « lumière » de Dieu aux hommes. La mystique y apparaît alors comme le principe critique ou négatif au sein de la culture et du langage chrétiens, principe négatif apportant à l’histoire chrétienne, tout particulièrement à partir du XVIe siècle, son principe dialectique d’évolution. « La déception du “spirituel” parle un langage qui n’a pas encore reçu ou créé sa ponctuation chrétienne », indique par exemple Certeau en 1966, avant d’ajouter que « ces réactions ou ces “ruptures” participent au mouvement nécessaire grâce auquel elle [la culture au sein de laquelle ces ruptures s’opèrent] évolue en inventant les homologies qui déplacent lentement ses “centres d’intérêts” et les valeurs postulées par la communauté »56. Certes, à ce modèle pour ainsi dire « dialectique » et « évolutionniste », ou en tout cas à cette inscription du geste négatif de la mystique au sein d’une histoire évolutive du christianisme à l’époque moderne, la méthode plus « linguistique » ou « archéologique » déployée dans la décennie 1970 substitue un modèle plus « positif » ou « pragmatique ». La mystique s’y définit alors davantage comme une opération, autrement dit comme un jeu de réorganisation ou de réagencement, comme un véritable travail de recodage opéré sur et dans la toile de pratiques et de discours qu’elle modifie ce faisant. Alors Certeau peut-il indiquer, dans l’un de ses derniers textes, que « la science mystique serait constituée par les modes divers sur lesquels ces opérations s’inscrivent dans les réseaux historiques du savoir, du langage corporel et des institutions propres à une époque et un milieu »57. D’un bout à l’autre de son œuvre, en tout cas, c’est donc bien par une pratique de l’écart et de la transformation au sein d’un champ culturel déterminé, et tout particulièrement au sein d’un champ religieux alors « braconné », que se caractérise avant tout l’« opération mystique » pour Certeau.

  • 58  Pour une étude plus détaillée ce cette évolution des figures chrétiennes dans l’œuvre de Foucault, (...)

  • 59  La leçon du 1er mars 1978 à laquelle je fais ici référence repère plus précisément cinq formes de (...)

  • 60  Pour une analyse détaillée d’un tel reportage et tout particulièrement du statut particulier qu’y (...)

  • 61  Cf. la leçon du 27 février 1980. Pour rapporter une telle thématisation en quelques mots, disons q (...)

  • 62  L’Herméneutique du sujet, op. cit., p. 241.


37Une même association entre « mystique » et « subversion » se retrouve également dans l’approche foucaldienne, là encore au terme d’une évolution propre à son œuvre que je ne peux ici que rapporter très schématiquement58. Alors que les traditions ascétiques et mystiques qui avaient retenu jusque-là l’attention de Foucault étaient abordées, comme je l’ai indiqué plus haut, comme antécédents généalogiques des formes de pouvoir dont il entreprenait l’analyse, une profonde reconfiguration thématique est en effet repérable à partir de l’année 1978, détachant cette figure mystique d’une telle histoire du pouvoir et de l’assujettissement pour la faire à l’inverse rejoindre la thématiquement de la « résistance » ou de la « subversion », elle-même alors profondément redéfinie. Pour rapporter très schématiquement une telle évolution, trois temps peuvent être repérés. Le premier est porté par la leçon du 1er mars 1978 que j’ai déjà mentionnée. Alors que Foucault y achève l’analyse des techniques de gouvernement propres au pastorat chrétien, présenté comme l’origine de la gouvernementalité moderne, voici en effet que la mystique apparaît au cœur des différentes formes de « contre-conduites » qu’il propose alors de repérer, celles-là même qui auraient selon lui profondément mis en crise cette gouvernementalité pastorale59. Annonçant d’une certaine manière la fameuse proposition de « spiritualité politique » qu’il formulera quelques mois plus tard dans son « reportage d’idée » portant sur le soulèvement iranien60, une telle leçon opère donc une première rencontre entre « mystique » et « subversion » dont quelques cours ultérieurs me semblent pousser plus avant la logique. Si cette leçon maintient en effet le modèle stratégique et circulaire pour lequel le « retournement tactique » ou les « éléments-frontières » que sont ces contre-conduites spirituelles peuvent devenir de nouveaux points d’appui pour de nouvelles économies de pouvoir-savoir (la Réforme y apparaissant par exemple comme l’entreprise d’« acclimatation » et d’« intégration » par excellence de telles contre-conduites au sein d’une nouvelle économie de gouvernement), une deuxième étape peut être repérée dans l’approche pour ainsi dire « néo-archéologique » du cours de 1980. Dans ce cours, l’opposition entre spiritualité mystique et gouvernement religieux sort en effet d’une telle dynamique circulaire pour être inscrite, comme je l’ai également déjà annoncé, dans les fondements mêmes du christianisme : le « système du Salut », tout particulièrement porté par la figure mystique ainsi que par la gnose, devient un point de fuite constant à travers l’histoire chrétienne, indique Foucault, porteur d’un type de subjectivité que le « système de la Loi » ne put jamais complètement intégrer en son sein, tout en ne pouvant par ailleurs jamais le supprimer complètement61. Alors, le cours de 1982 peut être lu tout à la fois comme la conséquence de telles remarques, et comme la dernière étape de la reconfiguration des figures du gouvernement, de la résistance et de la spiritualité dans les dernières recherches de Foucault, tout particulièrement de par l’éclatement du thème des « techniques de soi » qu’il opère. En effet, alors que l’ensemble des propositions foucaldiens des années 1970 avaient fait du sujet et de la subjectivité des effets du pouvoir plutôt que des réalités a priori que celui-ci viendrait limiter de manière a posteriori, alors que le pouvoir se définissait donc comme une entreprise d’assujettissement, c’est-à-dire de constitution des sujets, et qu’à ce propos Foucault avait progressivement découvert les pratiques d’aveu et de manifestation de soi comme techniques fondamentales d’auto-assujettissement dans l’histoire des pouvoirs et des sujets occidentaux, voici que le cours de 1982 découvre, face à de telles pratiques d’« herméneutique de soi » qui ne deviennent alors qu’une des formes possibles de technique de soi, la forme du « souci de soi » ou des « pratiques éthopoiétiques », désignant à l’inverse des pratiques de transformation de soi par lesquels le sujet se déprend des structures d’identité dans lesquelles il est initialement pris. Là encore, ce qui apparaît comme un retour à la question de l’expérience et du sujet chez le « dernier Foucault » ne doit pas être trop rapidement vu comme contradictoire avec ses recherches antérieures. En effet, que Foucault revienne au « sujet », notamment dans le cours de 1982, ne signifie pas que le « pouvoir », autrement dit les différents dispositifs de gouvernement et régimes de vérité, ne soient plus premiers relativement aux subjectivités qui restent toujours conditionnés par ceux-cimais qu’en étant ce lieu de coagulation première du pouvoir, le « sujet » et le « soi » en deviennent nécessairement aussi le premier lieu de permutation, de déprise et de retournement possibles. « C’est peut-être une tâche urgente, politiquement indispensable, peut ainsi indiquer Foucault au cœur de ce cours apparemment si peu politique, que de constituer une éthique de soi, s’il est vrai après tout qu’il n’y a pas d’autre point, premier et ultime, de résistance au pouvoir politique que dans le rapport de soi à soi »62. Le terme qu’associe Foucault à de telles pratiques de « souci de soi » d’un bout à l’autre de ce cours ne va alors pas sans rappeler l’évolution débutée en 1978 que je viens de schématiser : par spiritualité, ce n’est plus l’origine des techniques modernes d’assujettissement qu’il désigne, mais bien le modèle d’une pratique de subversion des jeux de vérité et d’identité constitutifs des formes de gouvernementalité que ses recherches antérieures avaient thématisées.
38Ainsi, en accordant une telle place à la spiritualité et à la mystique dans l’étude des religions, ce ne sont plus les ultimes représentants du sens et de l’ontologie portés par la religion au sein d’un monde déchristianisé que perçoivent Kolakowski, Certeau et Foucault, mais bien une figure de la subversion, subversion de la religion elle-même tout d’abord, c’est-à-dire du nexus théorético-pratique qui la compose, et in fine subversion « tout court », alors que le rapport à soi et les structures de pouvoir ne sont plus perçues comme deux réalités distinctes ou opposées mais au contraire comme deux pratiques indexées l’une sur l’autre.
Conclusion : d’un retour à l’autre…

  • 63  Cf. « Pour une morale de l’inconfort », in Dits et Écrits II, op. cit., p. 783-787.

  • 64  Cf. F. Cusset, op. cit., p. 324 sq.


39Qu’est-ce que n’accepte pas, avais-je initialement demandé, qu’est-ce que cache ou refuse le « retour » des recherches philosophiques sur le religieux des trente dernières années, et qu’est-ce que l’inversion du jeu d’optique permettant de le regarder depuis ce qu’il a transformé en silence peut apporter à l’étude actuelle de ses principes épistémologiques ? Au terme de cette enquête, les réponses à ces questions paraissent bien maigres, et plutôt comme des points de départ pour de nouvelles recherches que comme des conclusions définitives. Face à un goût de l’exercice, de la complexité et des décalages, face à cette « morale de l’inconfort » dont parlait Foucault suite aux événements iraniens63 et que nos trois auteurs posent au fondement de l’exercice historico-philosophique, apparaît alors l’affirmation de ce qu’il est possible de nommer un « esprit de sérieux » ou de « solennité » traversant les études philosophiques récentes consacrées à la chose religieuse, esprit pouvant d’ailleurs caractériser le retour plus général aux « grands auteurs », aux « grandes questions » et à ce que François Cusset nomme les « gros concepts » depuis le tournant des années 198064. Face à une recherche des écarts, de l’hétérogène et des multiples déplacements, apparaît la recherche de l’essentiel, du constant et du fondamental. Face à une conception du champ religieux comme exemple paradigmatique de ce que les hommes, pris dans des jeux de vérité et d’expérience, peuvent sans cesse accomplir comme recodages, comme transformations et in fine comme subversions, apparaît la définition du religieux comme fond structurant profond auquel aboutirait toute réflexion sur l’ordre politique, l’ordre humain et finalement l’ordre anthropologique. Enfin, face à des approches pour lesquelles l’étrangeté du religieux dans le monde contemporain est pris comme un état de fait, dégagé de tout engagement passionné, à partir duquel le religieux peut devenir cet autre que l’« oiseau de Minerve » peut alors penser sereinement, et plus encore peut investir comme un de ces lieux autres, l’une de ces hétérotopies au sein desquelles l’exercice de la pensée se pratique, apparaît la reconduction d’une opposition entre « défenseurs » et « détracteurs » de la religion.
40De tels contrats rendent certainement visibles quelques frontières qu’a tracées le fameux thème du « retour du religieux » dans la manière d’aborder la chose religieuse en philosophie ces dernières années. Mais ces questions initiales m’ont surtout servi de questions directrices, me permettant de réinvestir et de reparcourir quelques approches pour ainsi dire « pré-retour » trop souvent ignorées, lorsqu’elles ne sont pas caricaturées. Dès lors, face à un retour contemporain que je semblais vouloir dépasser, ne me suis-je pas contenté, un peu facilement, d’un autre retour, reconduisant alors ce saut vers l’avant contre un présent lui-même appuyé sur une reprise antérieure ? Un tel constat n’est certes pas faux, à condition de lui ajouter un autre : tout comme le « retour » entamé depuis les années 1980 se distinguait de ce qu’il réinvestissait par le fait qu’il le réinvestissait dans une situation particulière et contre des paradigmes que ce passé réinvesti ignorait, le « retour » que j’ai accompli presque malgré moi se distingue également de ce qu’il réinvestit de par la situation nouvelle au sein de laquelle il l’accomplit. Alors, dans ces multiples et répétés jeux de reprise, de saute-génération et de retours décalés, se présente peut-être l’un des processus, l’un des principes, l’une des modalités par lesquels s’accomplissent les constructions et tout simplement le travail disciplinaires sur lesquels j’ai tenté de porter ici quelque lumière.

Notes
1  Cf. D. Janicaux, Le tournant théologique de la phénoménologie française, Combas, l’Éclat, 1991, repris dans La phénoménologie dans tous ses états, Paris, Gallimard, « Folio-essais », 2009.
2  Pour une approche générale de ce domaine de recherche, voir J.-C. Monod, La querelle de la sécularisation : théologie politique et philosophie de l’histoire de Hegel à Blumenberg, 2e éd., Vrin, « Problèmes et controverses », 2002 ; P. Capelle-Dumont (dir.), Dieu et la cité : le statut contemporain du théologico-politique, Paris, Cerf, « Philosophie et théologie », 2008 ; A. D. Ogougbe, La question théologico-politique chez Karl Löwith, Carl Schmitt et Hans Blumenberg (2 tomes), Paris, L’Harmattan, « Ouverture philosophique », 2010.
3  Les propos qui vont suivre se limiteront aux effets théoriques portés par ce thème à l’intérieur du champ philosophique durant ces trente dernières années, sans présupposer de la dimension transversale de tels enjeux pour l’ensemble des sciences humaines et sociales. Il est probable, en effet, que par-delà cette dimension transversale évidente, ce motif du « retour » fut codé, problématisé et organisé conceptuellement d’une manière spécifique pour chacune de ces disciplines en fonction de leurs dynamiques théoriques respectives.
4  Ce modèle du retour ou du investissement correspond d’ailleurs assez bien à la forme qu’a effectivement prise le nouvel accueil de l’objet religieux dans les recherches philosophiques à partir de la décennie 1980. Celui-ci a d’abord signifié, en effet, un vaste travail de (re)découverte, de traduction et de commentaire portant sur des questions et des programmes de recherche ayant connu leurs premiers déploiements à partir de la fin du XIXe siècle et surtout durant le premier tiers du XXe siècle, tout particulièrement en Allemagne, qu’il s’agisse de la phénoménologie de la religion ou des recherches sur le théologico-politique.
5  Cf. F. Cusset, French Theory : Foucault, Derrida, Deleuze & Cie et les mutations de la vie intellectuelle aux États-Unis, Paris, La Découverte, « Poche », 2003, rééd. 2005, notamment chap. 14 (« Et pendant ce temps-là en France… »), p. 323 sq.
6  Outre les multiples références au christianisme tout au long de l’enseignement de Lacan, voir tout particulièrement les Séminaires IX (« L’identification ») portant sur saint François d’Assise (non publié), et XX (« Encore »), portant sur sainte Thérèse (Séminaire, livre XX, « Encore », Paris, Seuil, 1974, rééd. 1999). Voir également J. Lacan, Le triomphe de la religion, précédé de Discours aux catholiques, Paris, Seuil, 2005. Sur la question, se reporter à S. Askofaré, « Du Nom-du-Père au sinthome : Lacan et la religion », in Estudos e pesquisas em psicologia 1 (2008), p. 12-23, ainsi qu’à l’ouvrage de P. Daviot, Jacques Lacan et le sentiment religieux, Toulouse, Erès, « Analyse laïque », 2006.
7  Pour alléger les notes suivantes, j’indique dès ici les principaux cours au Collège de France au sein desquels Foucault traite du christianisme, tous publiés aux éditions Seuil/Gallimard, coll. « Hautes Études » : La Société punitive (1972-1973), éd. B.E. Harcourt, 2013 ; Le Pouvoir psychiatrique (1973-1974), éd. J. Lagrange, 2003 ; Les Anormaux (1974-1975), éd. V. Marchetti et A. Salomoni, 1999 ; Sécurité, territoire, population (1977-1978), éd. M. Senellart, 2004 ; Du Gouvernement des vivants (1979-1980),éd. M. Senellart, 2012 ; L’Herméneutique du sujet (1981-1982), éd. F. Gros, 2001 ; Le courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II (1984), éd. F. Gros, 2009. Voir aussi le cours donné à Louvain en 1981, Mal faire, dire vrai : Fonction de l’aveu en justice. Cours de Louvain (1981), éd. F. Brion et B. E. Harcourt, Louvain, Presses universitaires de Louvain, 2012.
8  Sur la question, voir M. Bryden (dir.), Deleuze and Religion, Londres & New York, Routledge, 2001.
9  Cf. R. Barthes, Comment vivre ensemble : simulations romanesques de quelques espaces quotidiens. Cours et séminaires au Collège de France (1976-1977), éd. C. Coste et E. Marty E., Paris, Seuil, Caen, IMEC, 2002.
10  G. Lardreau et C. Jambet, L’Ange : pour une cynégétique du semblant (Ontologie de la révolution I), Paris, Grasset, « Figures », 1976.
11  Cette rencontre entre histoire et philosophie sera prise comme le fil conducteur réunissant ces trois auteurs, raison pour laquelle je n’aborderai pas, dans ces pages, les approches proposées par tous ceux précédemment cités, pour lesquels d’autres jeux disciplinaires sont à l’œuvre. Pour une mise en lumière de tels enjeux au sein de l’œuvre islamologique de Christian Jambet et en complément de ce qui pourra être dit ici, voir J. Cavagnis, « Corbin, Hadot, Foucault : mise en dialogue de Qu’est-ce que la philosophie islamique ? de Christian Jambet », in Cahiers philosophiques 128(2012), p. 111-125.
12  Les recherches portant sur l’approche des religions chez ces trois auteurs sont en effet restées jusqu’à aujourd’hui assez timides. Certeau est certainement le moins mal loti au sein d’un tel trio, bien que sa réception en philosophie n’ait rien de comparable à sa réception dans le champ historiographique. Pour un état des lieux de la question, voir notamment L. Giard, H. Martin et J. Revel (dir.), Histoire, mystique et politique : Michel de Certeau, Grenoble, Jérôme Millon, 1993, ainsi que les articles de Jacques Le Brun que j’aurai l’occasion de citer infra, ou encore, pour une perspective plus générale, la biographie intellectuelle de F. Dosse, Michel de Certeau, le marcheur blessé, Paris, La Découverte, 2002, rééd. 2007. Concernant Kolakowski, alors que les ouvrages portant globalement sur son œuvre restent encore peu nombreux, ceux portant tout particulièrement sur son interprétation de l’histoire religieuse sont pratiquement inexistants. Si l’ouvrage de J. Dewitte, Kolakowski : le clivage de l’humanité (Paris, Michalon, « Le bien commun », 2011) porte principalement sur la question du rapport à la culture dans la pensée kolakowskienne postérieure à celle sur laquelle je me concentrerai ici et ne s’attarde pas sur de telles questions, la biographie intellectuelle de B. Piwowarczyk, Lire Kolakowski : la question de l’homme, de la religion et de l’Église (Paris, Cerf, 1986) lui consacre quelques pages éclairantes, sans traiter cependant des questions épistémologiques sur lesquelles je m’attarderai pour ma part. Quant à Foucault, outre les travaux anglo-saxons d’un J. W. Bernauer, d’un J. Carette ou d’un J. Tran qui proposent davantage une lecture théologique de ses propositions majeures qu’une étude de son approche effective de la chose religieuse, le seul ouvrage existant pour l’heure sur la question est celui de P. Chevallier, Michel Foucault et le christianisme, Paris, ENS Éditions, 2011. À celui-ci il faut maintenant ajouter l’ouvrage collectif dirigé par J.-F. Bert, Michel Foucault et les religions, Paris,Le Manuscrit, « Religions, Histoire, Cultures », 2015.
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Message  Arlitto Jeu 9 Juin 2016 - 23:28

13  J. Le Goff (dir.), Hérésies et sociétés dans l’Europe pré-industrielle (11e-18e siècles), Paris, Mouton & Co, 1968.
14  Trad. fr. A. Posner, Paris, Gallimard, « Nrf », 1969. Après cette première vague de réception française de Kolakowski autour de l’histoire du christianisme, une seconde vague, tout particulièrement portée par les « nouveaux philosophes » depuis la fin des années 1970 et jusqu’à nos jours, se concentre plus particulièrement sur le Kolakowski postérieur, « conservateur-libéral-socialiste » selon le titre de son fameux article de 1978, autrement dit sur le Kolakowski faisant se rejoindre la défense de la démocratie libérale contre tout « totalitarisme » et la défense de la culture européenne traditionnelle contre tout « nihilisme » contemporain. Je me concentrerai exclusivement, dans ces pages, sur le Kolakowski de la première vague de réception.
15  Ibid., p. 10.
16  Pour cette mise en contexte biographique, voirB. Piwowarczyk, op. cit., p. 81 sq.
17  Chrétiens sans Église, op. cit., p. 12.
18  Ibid., p. 11.
19  Piwowarczyk rapporte avec clarté un tel principe heuristique circulaire entre l’historiographie et l’actualité philosophique depuis laquelle parle l’historien-philosophe, principe qui correspond tout autant, comme on le verra, aux démarches de Certeau et de Foucault : « Sa conviction même du travail de l’histoire repose sur la conviction que des phénomènes observés actuellement permettent, comme il le dit, de découvrir dans le passé certaines qualités du monde humain qui, sans cela, demeureraient inaperçues » (Lire Kolakowski, op. cit., p. 83).
20  Pour ne pas apporter trop d’hétérogénéité à cette lecture croisée et me concentrer sur la relation entre recherche historique et recherche philosophique chez ces trois auteurs, je me concentrerai en effet sur l’approche du christianisme telle qu’elle apparaît dans l’œuvre de Foucault après le « tournant généalogique » de 1970-71 et durant les quatorze années de cours au Collège de France qui le suivent. Je ne traiterai donc pas du statut du christianisme dans ses travaux antérieurs, notamment dans les discussions portant sur les œuvres de Klossowski, Blanchot et Bataille durant les années 1960. Pour cette période et ses enjeux, voir notamment l’éclairant chapitre sept (« Le christianisme comme Orient perdu ») de P. Chevallier, op. cit., p. 231-290, ainsi que l’étude plus ciblée de P. Sabot, « Le christianisme et son double. Foucault, lecteur de Klossowski », in J.-F. Bert (dir.), Michel Foucault et les religions, op. cit., p. 31-43.
21  Cf. respectivement « Théories et institutions pénales », résumé de cours (1971-1972), in Dits et Écrits I, Paris, Gallimard, « Quarto », 2001 (nouvelle édition en deux tomes), p. 1257-1261, p. 1258, et « La philosophie analytique du politique » [1978], in Dits et Écrits IIop. cit., p. 534-551. Pour la transition de l’analytique des formes de « pouvoir-savoir » à l’analytique des formes de pouvoir, cf. la dernière leçon de la Société punitive (leçon du 28 mars 1973), op. cit. p. 229 sq. Pour la transition de l’analytique des formes de pouvoir à l’histoire de la subjectivité occidentale, cf. Du gouvernement des vivants, op. cit., notamment leçon du 30 janvier 1980, p. 73 sq, et L’Origine de l’herméneutique de soi : conférences prononcées à Dartmouth College (1980), éd. H. P. Fruchaud et D. Lorenzini, Paris, Vrin, « Philosophie du présent », 2013.
22  De telles thèses portant sur l’« origine religieuse » des dispositifs modernes de pouvoir traversent l’ensemble du corpus foucaldien des années 1970. Pour se contenter des occurrences les plus significatives, voir La Société punitive, op. cit., leçons du 31 janvier et du 7 février ; Le Pouvoir psychiatrique, op. cit., leçon du 28 novembre ; Les Anormaux, op. cit., leçons des 19 et 26 février ; La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976,surtout p. 76-98 et p. 152-173. Un tel modèle est encore à l’œuvre dans Sécurité, territoire, population, op. cit., leçons du 8 février au 8 mars, bien que mêlé avec le modèle plus « paradigmatique » que je m’apprête à repérer. Bien que cela ne semble pas avoir encore retenu beaucoup d’attention, il faut remarquer que se formule ici une proposition foucaldienne renversée relativement aux différentes « théories de la sécularisation », dont la matrice contemporaine se trouve dans la Théologie politique de Carl Schmitt (1922-1969, trad. fr. J.-L. Schlegel, Paris, Gallimard, « Nrf », 1988). Alors que pour ce dernier « tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’État sont des concepts théologiques sécularisés » (ibid., p. 46), avant qu’une « déthéologisation » du politique (condamnée par Schmitt) n’en dissolve profondément les structures à partir du XVIIIe siècle, pour Foucault, tout à l’inverse, l’État classique (modèle de l’«  État chrétien » pour Schmitt) relève essentiellement de principes non-chrétiens (les systèmes juridiques romain et germanique) alors que l’évolution des formes de pouvoir à partir du XVIIIe siècle (caractérisés par leur prise de distance avec le modèle juridique de l’État) se caractérise précisément par une « christianisation » des techniques de pouvoir. Je me proposerai de développer plus avant un tel contraste dans d’autres travaux.
23  Foucault consacre en effet plus de quatre leçons au christianisme dans Sécurité, territoire, population, op. cit. (leçons indiquées supra)et l’intégralité du Gouvernement des vivants, op. cit. Mal faire dire vrai, op. cit., lui consacrera encore plus de trois leçons sur sept en 1981 (leçons du 29 avril au 20 mai), et L’Herméneutique du sujet proposera une lecture filée des rapports entre spiritualité hellénistique et spiritualité chrétienne.
24  Les pages 157-158 de La Volonté de savoir donnent un premier exemple d’un tel retournement du jeu heuristique foucaldien, lorsque Foucault donne en exemple les pratiques chrétiennes d’aveu non plus seulement pour indiquer l’origine généalogique des pratiques modernes d’aveu dont il entreprend par ailleurs de faire la généalogie, mais pour donner un exemple paradigmatique du mécanisme qu’il cherche à repérer dans le « dispositif moderne de la sexualité », à savoir un mécanisme qui n’est pas uniquement « répressif » ou « limitatif », mais avant tout un mécanisme d’appel et d’incitation aux discours sur et autour du sexe. L’économie argumentative générale de Sécurité, territoire, population en donne une deuxième illustration : ses quatre longues leçons centrales consacrées à la pastorale chrétienne permettent en effet, au-delà du repérage généalogique déjà évoqué, de mener et de préciser, en climat chrétien, la conceptualisation du « pouvoir de gouvernementalité » qu’avait fait émerger le premier tiers du cours et que retrouvera ensuite, mieux défini, le dernier tiers. Enfin, last but not least, un tel modèle paradigmatique se retrouve dans Du gouvernement des vivants, où l’étude du christianisme est annoncée, dès la première leçon, comme permettant de poursuivre l’étude de la question du « pouvoir de la vérité » que souhaite alors reprendre Foucault sur de nouvelles bases, en cela qu’il offre à l’analyse un champ de recherches « qui ne relève pas du politique » (ibid., p. 18).
25  Pour cette importation de méthodes « extérieures » au sein de l’historiographie religieuse, voir F. Dosse, op. cit., deuxième partie (« Entrée en modernité »), p. 157 sq, ainsi que l’article de J. Le Brun, « Michel de Certeau historien de la spiritualité », in Recherches de Science Religieuse 4(2003), p. 535-552. Pour des analyses portant plus précisément sur telle ou telle « influence » de Certeau, on pourra se reporter à J.-P. Resweber, « L’écriture de l’histoire : Michel Foucault et Michel de Certeau », Le Portique 13-14 (2004) ; et à C. Rabant, « Michel de Certeau, lecteur de Freud et de Lacan », Espaces Temps 80(2002), p. 22-26.
26  « Chaque analyse est nécessairement proportionnée à des précédents, à une histoire qui est l’histoire même de l’enquête et non plus seulement de son objet », peut-il par exemple indiquer dans les premières lignes de« Cultures et spiritualités » [1966], repris dans La faiblesse de croire, éd. L. Giard, Paris, Seuil, « Essais », 1987, p. 41-65, p. 42. L’Écriture de l’histoire (Paris, Gallimard, « Folio-histoire », 1975)est certainement le plus bel exemple d’un tel entrelacement vertigineux entre une recherche portant sur la spiritualité classique et une recherche portant sur les conditions et évolutions historiques qui, depuis cette même époque jusqu’à l’actualité de Certeau lui-même, ont déterminé les cadres interprétatifs à l’intérieur desquels une telle spiritualité fut et est pensée. Voir notamment les parties I (« Production d’un lieu ») et II (« Production d’un temps : une archéologie religieuse »).
27  J. Le Brun, « Michel de Certeau historien de la spiritualité », op. cit., p. 535.
28  Pour la méthode archéologique, cf. L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, et L’Ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971. Pour la méthode généalogique, cf. entre autres « Nietzsche, la généalogie, l’histoire » (in Dits et Écrits I, op. cit., p. 1004-1024) et les multiples points de méthodes proposés dans La société punitive, op. cit., notamment p. 86 sq. Pour une présentation synthétique de ces modèles et de l’évolution de l’un à l’autre, cf. H. Dreyfus et P. Rabinow, Michel Foucault, un parcours philosophique : au-delà de l’objectivité et de la subjectivité, trad. fr. F. Durand-Bogaert, Paris, Gallimard, « Folio-essais », 1984.
29  Cf. respectivement Histoire de la folie à l’âge classique, nouvelle édition, Paris, Gallimard, « Tel », 1972, chapitre II « Le grand renfermement », surtout p. 67-74 ; La Société punitive, op. cit., leçon du 31 janvier ; Le pouvoir psychiatrique, op. cit., leçon du 28 novembre.
30  La leçon du Pouvoir psychiatrique citée infra donne le plus bel exemple d’un tel partage entre un pouvoir « juridico-politique » et un pouvoir « religieux ». Dans le cours de 1976 (« Il faut défendre la société », éd. M. Bertani et A. Fontana, Paris, Seuil/Gallimard, « Hautes Études », 1997), Foucault distingue encore l’« histoire politico-légendaire » de Rome et du pouvoir de souveraineté d’une part, et l’« histoire mythico-religieuse » biblique de la « misère » et de l’« insurrection » d’autre part (ibid. p. 62-63). Sécurité territoire, population opposera à son tour l’« origine religieuse » du pouvoir de gouvernementalité au modèle territorio-juridique de la Cité grecque (op. cit., leçons du 8 au 22 février 1978).
31  Cf. respectivement Sécurité, territoire, population, op. cit., leçon du 1er mars 1978 pour les « contre-conduites » ; et Du Gouvernement des vivants, leçon du 27 février 1980, p. 175 sq pour l’opposition structurante intérieure au christianisme. Je reviendrai bientôt plus en détail sur ces deux leçons. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’unique cours réservé intégralement par Foucault au christianisme (celui de 1980 donc) se caractérise dans le même temps par le retour du modèle archéologique dans le discours foucaldien qui se réclamait plutôt, depuis une décennie, d’un modèle « généalogique » lui-même constitué suite au constat des limites du modèle archéologique des années 1960. Foucault n’y entreprend plus ou plus seulement, en effet, d’inscrire le christianisme au sein d’une enquête généalogique entreprenant d’étudier les diverses connexions des éléments chrétiens avec leurs extérieurs, mais d’en proposer une sorte de « cartographie fondamentale ». Qu’il renomme alors une telle méthode en « anarchéologie » n’est pas moins significatif : il s’agit en effet de rappeler, littéralement, que l’étude des « fondements » sur lesquels reposent les pratiques et discours des hommes est non seulement l’étude de fondements historiques, mais également de fondements sans fond, autrement dit de fondements toujours diffractés sous forme d’antagonismes premiers. À l’origine, conclura bientôt Foucault, il y a toujours des problèmes ou des problématisations, plutôt que des fondementsPour une analyse plus détaillée des enjeux du cours de 1980, voir J. Cavagnis, « Recensions de M. Foucault, Du Gouvernement des vivants », in Éthique, politique, religions 3(2013), p. 187-196.
32  Chrétiens sans Églises, op. cit., p. 11.
33  « Le mythe des origines » [1966], repris in La faiblesse de croire, op. cit., p. 66-86, p. 72.
34  « La rupture instauratrice » [1971], repris in La faiblesse de croire, op. cit., p. 187-226, p. 214. Une telle position reprend celle formulée quelques années plus tôt dans « Autorités chrétiennes et structures sociales » (1969, in La faiblesse de croire, op. cit., p. 89-135). Cf. par exemplep. 119-120 : « L’Autorité “autorise” – ce n’est pas tout à fait une lapalissade. Elle rend possible ce qui ne l’était pas. À ce titre, elle “permet” autre chose, à la manière dont un poème ou un film inaugure une perception qui n’eût pas été possible sans lui […]. L’autorité – qui est en dernier ressort celle de Dieu – se situe du côté des conditions de possibilité. À ce titre, elle inaugure un type nouveau de pensées et d’actions et ces interventions intellectuelles ou ces actions risquées manifestent ce qui les a permises, sans être pour autant de simples applications, des conséquences ou des imitations. La praxis invente et, par là même, elle découvre ce qui l’a autorisée ».
35  Paris, Seuil, 1974 (en collaboration avec J.-M. Domenach). Voir encore, sur la même question, La Culture au pluriel, Paris, Seuil, 1974.
36  « Autorités chrétiennes et structures sociales », op. cit., p. 100-101.
37  La Fable mystique (XVIe-XVIIe siècle) I, Gallimard, « Tel », 1982, p. 28. La deuxième partie de l’ouvrage précisera davantage un tel procès de différenciation. Cf. notamment ibid., p. 147-148 : « À la Renaissance, on a donc deux binômes coexistants : l’un oppose la théologie scolastique à la théologie mystique ; l’autre l’oppose à la théologie positive. Malgré les échanges entre les termes de la première et de la seconde de ces disjonctions, malgré les passages de la théologie mystique à la théologie positive (ou réciproquement), ces deux oppositions binaires vont se combiner en une série ternaire – scolastique, positive et mystique – où chaque discipline est spécifiée par le champ qu’articule un discours référentiel (une “langue” spécifique) […]. Cette liste ternaire a une fonction réconciliatrice, sur le mode d’une carte indiquant les régions de “la” théologie. Mais, placée transitoirement sous ce signe unitaire, elle révélera peu à peu l’hétérogénéité qu’elle cache à mesure que se spécialisera le nom qui cadrait son espace, et que chacune des trois sciences, cessant d’avoir le statut d’une variante par rapport à un même “habitus” théologique, acquerra son autonomie en passant d’une position adjective à une position substantive ». Dans son article« La mystique et ses histoires »(in Revue de théologie et de philosophie 136[2004], p. 309-318), J. Le Brun met en avant la critique qu’une telle posture certalienne porte contre l’« idéologie jungienne » dominant alors les recherches sur la mystique, selon laquelle une expérience première et archétypale serait à rechercher en-deçà de la pluralité de culture, d’époque ou de vocabulaire au sein de laquelle se sont exprimés les différents auteurs et traditions mystiques.
38  Déjà structurante au sein des philosophies de la religion du XIXe siècle (depuis Schleiermacher au moins), cette opposition entre essence et manifestation se retrouve au cœur de la démarche phénoménologique instaurée par R. Otto (Le sacré, 1917, trad. fr. A. Jundt, Paris, Payot, 1929) puis G. van der Leeuw dans La religion dans son essence et ses manifestations : phénoménologie de la religion (1935-1948, trad. fr. J. Marty, Paris, Payot, « Bibliothèque scientifique », 1970), et reprise par M. Eliade à partir de son Mythe de l’éternel retour : archétypes et répétition (Paris, Gallimard, « Essais », 1949) et de son Traité d’histoire des religions (Paris, Payot, « Bibliothèque scientifique », 1949).
39  Telle est par exemple la tâche formulée par Eliade de manière récurrente dans les avant-propos et introductions de ses différents ouvrages. Voir notamment ceux du Mythe de l’éternel retour et du Traité d’histoire des religions cités supra, ainsi que celui de Le sacré et le profane (1957, trad. fr. 1965, Paris, Gallimard, « Idées »).
40  C. Schmitt indiqua par exemple avec force, dès sa première Théologie politique et plus encore dans les réponses apportées aux critiques d’Éric Peterson dans la seconde, que l’étude des relations entre le politique et la religion nécessite de poser initialement une définition du politique (qu’il réduit alors aux doctrines juridiques de l’État moderne), et une définition du christianisme (qu’il réduit alors à une certaine théologie fondamentale). Cf. notamment ibid., p. 52 sq et p. 158.
41  J. Le Brun, « Michel de Certeau historien de la spiritualité », op. cit.
42  Concernant la lecture certalienne de Surin ainsi que la place du jésuite mystique dans son œuvre, voir H. Laux, « Michel de Certeau lecteur de Surin. Les enjeux d’une interprétation », in Revue de théologie et de philosophie 136 (2004), p. 319-332.
43  La Fable mystique II, éd. L. Giard, Paris, Gallimard, « Nrf », 2013.
44  Cf. l’article « Mystique » rédigé pour l’Encyclopaedia universalis en 1971 et « Histoire et mystique » (1972), tous deux repris dans Le lieu de l’autre : histoire religieuse et mystique (éd. L. Giard, Paris, Seuil/Gallimard, « Hautes Études », 2005), ainsi que « Historicités mystiques » (1985) repris dans La Fable mystique II, op cit. De nombreux autres articles accordent également une place de choix à la mystique. Voir par exemple « Mystique et politique. René d’Argenson » (1963), « La réforme du catholicisme en France au XVIe siècle » (1963), « Henri Brémond, historien d’une absence » (1966) ou « La pensée religieuse en France (1600-1660) » (1975), repris dans Le lieu de l’autre, op. cit., ainsi que « Cultures et spiritualités » (1966) repris dans La faiblesse de croire, op. cit.
45  Chrétiens sans Églises, op. cit., p. 61. Les différents chapitres historiques ou biographiques de l’ouvrage confirment une telle association. Ils se consacrent tous, mis à part les quatrième et cinquième qui portent sur la question du rationalisme et de sa difficile intégration chrétienne, sur des figures mystiques ou fortement mysticisantes, de la « mystique évangélique » d’un Dirk Camphuysen jusqu’à la « mystique égocentrique » d’une Antoinette Bourignon, en passant par Labadie, la mystique quiétiste ou les mystiques plus « policées » d’un Bérulle ou d’un Surin.
46  Pour toutes ces références, se reporter aux leçons et pages indiquées supra des cours de La Société punitive, Le Pouvoir psychiatrique, Sécurité, territoire, population, Du gouvernement des vivants et Mal faire dire vrai. Pour l’approche des moines mendiants comme poursuite de la vie cynique au sein du christianisme, voir Le Courage de la vérité, op. cit., leçon du 29 février, p. 166-169.
47  Pour cette interprétation certalienne de la focalisation savante autour de la spiritualité à partir du XIXe siècle, dans laquelle sont inscrites les approches d’un Schleiermacher, d’un Otto, d’un W. James, d’un R. Roland, d’un Bergson ou encore d’un Brémond, voir L’Écriture de l’histoire, op. cit., p. 40-42, 54-56 et 145 sq ; « Henri Brémond, historien d’une absence », op. cit.,et surtout « Historicités mystiques », op. cit., p. 29-49.
48  Je ne peux qu’évoquer rapidement ici une telle connexion entre l’étude de la spiritualité comme dernier « reste » intéressant de la religion pour l’époque contemporaine d’une part, et les paradigmes de recherches voyant alors ces traditions spirituelles comme « les seuls témoignages authentiques sur l’homme véritable » (Certeau, « Cultures et spiritualités, op. cit., p. 42). Si Certeau propose une analyse de cette connexion entre étude de la spiritualité et ontologie (religieuse ou anthropologique) durant la première moitié du XXe siècle dans les différents articles cités infra, l’orientation du « tournant théologique de la phénoménologie française » des trente dernières années en direction d’une nouvelle anthropologie philosophique est la question que traite C. Sommer dans son article « Le sujet sans subjectivité. Après le “tournant théologique” de la phénoménologie française », in Revue germanique internationale 132011.
49  Dans ses différents travaux visant une liquidation de toute « théologie politique », Yves-Charles Zarka invite par exemple à « débarrasser la politique du théologique » mais également à « débarrasser le théologique du politique », mettant ainsi fin à toute « sacralisation du politique » mais également à toute « politisation du sacré », rapportant ainsi le politique comme le religieux à leurs champs ontologiques propres. Cf. respectivement « Pour une critique de toute théologie politique », in Y.-C. Zarka et L. Langlois (dir.), Les philosophes et la question de Dieu, Paris, Presses Universitaires de France, « Fondements de la politique », 2006, p. 383-409, p. 389 et 406 ; et « Le retour contemporain du théologico-politique : comment y résister ? », in P. Capelle (dir.), Dieu et la cité, op. cit., p. 261-273, p. 263.
50  Chrétiens sans Églises, op. cit., p. 31.
51  Respectivement ibid., p. 31, 40-41 et 48. Certeau n’est peut-être pas tout à fait juste à l’égard de Kolakowski lorsqu’il réduit son projet à l’étude des idées et mouvements mystiques pris « comme des manifestations des conflits sociaux » (citation exacte de Kolakowski, mais tirée de son contexte), tout en ajoutant d’ailleurs, non sans malice, qu’une telle promesse ne fut pas tenue (Fable mystique I, op. cit., p. 37, note 38). Si un tel projet ne fut effectivement pas tenuc’est que là n’était pas l’objectif de Chrétiens sans Église. En effet, replacée dans son contexte argumentatif, une telle citation a bien plutôt comme fonction de réfuter une analyse en terme d’« idéologie » qui se donnerait justement pour tâche de réduire génétiquement la mystique à des causes extrinsèques au champ religieux, paradigme réductionniste que Kolakowski place – non sans finesse tactique – dans les mains des analyses psychologiques (qui réduiraient par exemple la mystique à une volonté de contournement des règles religieuses en matière de sexualité) et qu’il réfute par une argumentation adoptant effectivement un vocabulaire « marxiste » en appelant aux « conflits sociaux » plutôt qu’aux « conflits psychiques », mais pour mieux réfuter ce faisant toute approche de type réductionniste, y compris celle prenant la forme typiquement marxiste d’une réduction de la mystique à de tels conflits sociaux. Certes, la complexité d’une telle argumentation révèle peut-être un certain inconfort méthodologique de Kolakowski, déjà en « dissidence épistémologique »vis-à-vis du réductionnisme matérialiste marxiste, mais ne pouvant pas encore se défaire de son langage. Dans le fond, néanmoins, la référence aux « structures » qui permet à l’auteur de conclure son repérage méthodologique indique le point par lequel il se distingue de telles approches, à savoir non pas l’étude d’un rapport génétique ou vertical de la mystique avec son origine (psychologique, sociale ou transcendantale), mais l’étude d’un rapport relationnel ou horizontal qu’elle entretient avec d’autres éléments constitutifs d’un champ religieux auquel Kolakowski octroie le statut d’une « région autonome » du monde social et culturel. Ne pouvant développer plus avant une telle question qui mériterait à elle seule bien des pages, je ne peux que renvoyer à ce long point méthodologique (ibid., p. 37-55) et tout particulièrement aux pages 50-51 qui en formulent le cœur : « Nous n’affirmons donc pas que nous comprendrons bien les idées religieuses une fois que nous en aurons expliqué le rôle instrumental, par exemple dans les conflits politiques. […] Nous n’affirmons donc pas que les phénomènes religieux sont un monde “irréel” ou un “épiphénomène”, que n’existent “véritablement” que les rapports de production, et que l’ensemble des phénomènes de la culture devient suffisamment explicable en tant qu’assemblage d’outils employés pour régler des conflits dans la sphère de la propriété ou du pouvoir. La religion n’est pas moins “réelle” que les conflits sociaux par lesquels on explique ses destinées. Si elle est l’une des formes dans lesquelles ces conflits s’organisent, cela n’est possible que grâce au fait que les besoins religieux existent dans la conscience sociale en tant que domaine autonome de celle-ci ».
52  Cf. notamment « une manière de procéder » dans l’introduction à La fable mystique I, op. cit., p. 26-30. Voir de nouveau, à ce propos, l’article de J. Le Brun, « La mystiques et ses histoires », op. cit., dans lequel l’approche certalienne est inscrite, contre les approches « psychiatriques » et « océaniques » qui réduisent l’une et l’autre la mystique au statut d’une expérience subjective, au sein des approches dites « scripturaires », considérant la mystique comme étant avant tout une « expérience d’écriture » (op. cit. p. 311-312).
53  Pour de telles questions, voir L. Paltrinieri, L’expérience du concept : Michel Foucault entre épistémologie et histoire, Paris,Publications de la Sorbonne, « La philosophie à l’œuvre », 2012 ; ainsi que H. Dreyfus et P. Rabinow, Michel Foucault, un parcours philosophique, op. cit.
54  Les citations données supra (cf. note 61) ainsi que les remarques qu’elles appuient en donneront une illustration.
55  M. de Certeau, L’Invention du quotidien, Paris,Union générale d’éditions, « 10/18 », 1980, rééd. Gallimard, « Folio-Essais », 1990 pour le premier tome (« Arts de faire »), 1994 pour le second (« Habiter, cuisiner »). Se retrouvent en effet, dans les thèses qui y sont développées, les notions de « jeux », de « tactique » et d’« écart » dont on a constaté supra comment elles apparaissent dans l’histoire certalienne de la spiritualité à la fin des années 1960.
56  « Cultures et spiritualités », op. cit., p. 56 et 60. J.-C. Monod a proposé d’inscrire ces propositions certaliennes au sein des débats portant sur la question de la sécularisation dans son « Inversion du pensable et transits de croyance. La trajectoire de sécularisation et ses écarts selon Michel de Certeau », in Revue de théologie et de philosophie 136(2004), p. 333-346.
57  « Historicités mystiques », op. cit., p. 50.
58  Pour une étude plus détaillée ce cette évolution des figures chrétiennes dans l’œuvre de Foucault, je renvoie à mon J. Cavagnis, « Ascèse, mystique, pastorale, Église : Essai de typologisation des figures chrétiennes de Michel Foucault », in J.-F. Bert (dir.), Michel Foucault et les religions, op. cit., p. 45-69.
59  La leçon du 1er mars 1978 à laquelle je fais ici référence repère plus précisément cinq formes de contre-conduite : l’ascétisme, les communautés religieuses, la mystique, le rapport à l’Écriture et l’eschatologie. À y regarder de plus près, ces cinq formes se rapportent cependant toutes au principe ascético-mystique, autrement dit à une pratique de transformation de soi provoquée par un contact direct avec le divin. En effet, les « communautés » auxquelles fait référence Foucault sont toutes des communautés à forte tendance mystique et gnostique, le « rapport à l’Écriture » auquel il fait référence renvoie lui aussi aux techniques de lectures spirituelles par lesquelles le lecteur accède au divin à travers le Verbe qui en porte la trace, tout comme l’« eschatologie » qu’il évoque ne renvoie pas aux mouvements de messianisme social qu’un tel terme désigne souvent, mais à des doctrines eschatologies toutes « spirituelles », tout particulièrement représentées par la figure de Joachim de Flore, seule référence que donne Foucault pour illustrer son propos. Pour ces éléments, cf. Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 207-219.
60  Pour une analyse détaillée d’un tel reportage et tout particulièrement du statut particulier qu’y acquiert la spiritualité dans son lien avec la révolte, voir J. Cavagnis, « Michel Foucault et le soulèvement iranien de 1978 : retour sur la notion de “spiritualité politique” », in Cahiers philosophiques 130 (2012), p. 51-71, ainsi que « L’islam chi’ite et la révolte : réflexions sur l’approche foucaldienne des sources religieuses du soulèvement iranien de 1978 », in Rodéo 2 (2013), p. 61-66.
61  Cf. la leçon du 27 février 1980. Pour rapporter une telle thématisation en quelques mots, disons que là où le « système de la loi » s’applique sur des actions et repose sur un principe de répétabilité de la faute, le « système du Salut » s’applique sur des sujets et repose sur un principe de non-répétablilité de la fauteautrement dit sur le caractère irréversible de la conversion ou de la transformation ontologique du sujet mystique ou gnostique portée par l’expérience de l’illumination intérieure. « Poussé jusqu’au bout, indique alors Foucault, le schéma du salut ne peut pas ne pas exclure un partage tel qu’il soit en termes de loi » (ibid., p. 180), et l’intégration de ces deux modèles a ainsi été l’un des « grands problèmes historiques » ou l’« un des grands défis historiques » que le christianisme eut à relever durant son histoire (ibid., p. 178). La leçon du 6 mai 1981 du cours Mal faire, dire vrai reconduit en des termes légèrement différents une telle proposition. Cf. par exemple p. 150 : « Je crois que le christianisme, en introduisant ce principe d’une véridiction de soi à travers l’herméneutique de la pensée, a introduit une forme de sujet que le droit, que la pensée juridique, que la pratique judiciaire n’a jamais pu assimiler. Ce sera un des grands enjeux de la culture occidentale de savoir comment on peut brancher l’un sur l’autre, comment on peut réunir en un sujet unique ce sujet de la véridiction spirituelle telle qu’elle a été constituée à travers ces techniques monastiques et le sujet de droit que par ailleurs les institutions impliquent » ; ou encore ibid., p. 166 : « Cette dualité entre herméneutique du texte et herméneutique de soi a, je crois, une importance fondamentale dans toute l’histoire du christianisme. Il me semble qu’entre ces deux types d’herméneutiques, il y a toujours eu pendant un millénaire et demi, deux millénaires, une tension, un jeu, un équilibre, un déséquilibre qui ont été la vie et la dramaticité, une part au moins de la dramaticité de la culture chrétienne […]. En opposant ainsi dans leur permanence l’herméneutique du texte et l’herméneutique de soi, je ne pense pas simplement à deux formes de pensée, mais à deux types de pratiques et à deux modes d’expériences, deux façons de vivre le christianisme. Et il me semble qu’on pourrait suivre cette opposition et ces jeux tout au long de l’histoire du christianisme ».
62  L’Herméneutique du sujet, op. cit., p. 241.
63  Cf. « Pour une morale de l’inconfort », in Dits et Écrits II, op. cit., p. 783-787.
64  Cf. F. Cusset, op. cit., p. 324 sq.


Pour citer cet article
Référence électronique
Julien Cavagnis, « D’un « retour » à l’autre : Religion et spiritualité chez L. Kolakowski, M. de Certeau et M. Foucault », Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires [En ligne], 15 | 2016, mis en ligne le 15 février 2016, consulté le 04 juin 2016. URL : http://cerri.revues.org/1495  ; DOI : 10.4000/cerri.1495 

Auteur
Julien Cavagnis
Doctorant en philosophie, Universités Lyon 3 – Jean Moulin & Saint-Joseph de Beyrouth (Liban).
Principales publications :
- « Ascèse, mystique, pastorale, Église : essai de typologisation des figures chrétiennes de Michel Foucault », in J.-F. Bert (dir.), Michel Foucault est les religions, Paris, Le Manuscrit, « Religion, Histoire, Cultures », 2015.
- « Les Foucault(s) du christianisme. Note critique autour de Michel Foucault et le christianisme de P. Chevallier, Labyrinthe, n° 40, 2013.
- « Michel Foucault et le soulèvement iranien de 1978 : retour sur la notion de “spiritualité politique” », Cahiers philosophiques, n° 130, 2012.
- « Corbin, Hadot, Foucault : mise en dialogue de Qu’est-ce que la philosophie islamique ? de Christian Jambet », Cahiers philosophiques, n° 128, 2012.
Articles accessibles sur : http://www.cairn.info/
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Message  Arlitto Jeu 9 Juin 2016 - 23:29

RELIGION ET SPIRITUALITE
par Theo · Published 21/01/2016 · Updated mai 15, 2016


Il est courant de faire l’amalgame entre la religion et la spiritualité. Si toutes les deux cherchent à se rapprocher du « Divin », de la « suprême Vérité » leurs parcours sont très différents. Voici ce qui les différencient à mes yeux.
La religion vous dit de suivre une idéologie et d’obéir à certaines règles, car sinon vous serez puni. La spiritualité vous permet de suivre votre cœur et de sentir ce qui est juste pour vous.
Elle vous libère de façon à exprimer votre vraie nature sans devoir vous incliner à tout ce qui ne s’aligne pas avec vous. Il vous a été donné de choisir ce qui peut être honoré afin de le rendre divin.
La religion vous montre la peur. La spiritualité vous montre comment être courageux.
La religion vous dit ce qu’il faut craindre et vous montre les conséquences. La spiritualité vous fait prendre conscience des conséquences, mais ne veut pas que vous vous concentriez sur la peur. Elle vous montre comment vous positionner malgré la peur, et comment continuer à faire ce que vous sentez être juste, malgré les conséquences qui peuvent en découler. Elle vous montre l’acte fondé autour de l’amour et non de la peur, et ainsi comment contrôler la peur, pour en tirer le meilleur.
La religion vous dit la vérité. La spiritualité vous permet de la découvrir.
La religion vous dit ce qui est juste et ce en quoi il faut croire. L’immatérialité vous permet de le découvrir à votre propre rythme et selon vos aspirations. Elle vous permet de vous connecter avec votre Soi Supérieur et de comprendre avec votre propre esprit ce qu’est la vérité, car la vérité dans son ensemble est la même pour tous.
La religion sépare des autres religions. La spiritualité les unit.
Il y a beaucoup de religions à l’échelle mondiale et toutes prêchent que leur histoire est le bon récit. Le spiritualité voit la vérité à travers toutes celles-ci et les unit, parce que la vérité est la même pour tous, malgré nos différences. Elle met l’accent sur la qualité du message divin que les religions partagent et non sur les différences de ses détails historiques.
La religion crée une dépendance. La spiritualité vous rend indépendant.
Vous n’êtes réellement religieux que si vous assistez à des événements religieux et alors seulement, vous êtes considéré comme quelqu’un qui est digne du bonheur. La spiritualité vous montre que vous n’avez ni à dépendre ni à avoir besoin de quoi que soit pour être heureux. Le bonheur se trouve toujours au fond de nous-mêmes et nous sommes les seuls à être responsables de notre bonheur. Nous sommes toujours là où nous devons être, au-delà d’assister à certains événements. La divinité se trouve en nous et c’est la raison pour laquelle nous sommes toujours dignes.
La religion met la répression en pratique. La spiritualité met le Karma en pratique.
La religion dit que si nous n’obéissons pas à certaines règles, il y a une punition qui nous attend. La spiritualité nous permet de comprendre que toute action a une conséquence et de réaliser que la punition suite à nos actes sera la conséquence provenant des actes que nous mettons en pratique. Elle s’appuie uniquement sur les forces fondamentales de l’univers et vous n’avez pas besoin de croire à l’existence de cette force.
La religion vous fait suivre le parcours d’un autre. La spiritualité vous permet de créer le vôtre.
La fondation d’une religion est l’histoire qu’elle raconte au sujet d’un Prophète ou de plusieurs Dieux, leurs voyages vers l’illumination et la vérité découverte en vous faisant suivre leurs pas. La spiritualité vous laisse faire votre propre voyage vers l’illumination et découvrir la vérité par vos propres moyens en suivant ce que votre cœur vous dit être vrai, parce que la vérité est toujours la même, peu importe la manière que vous utilisez pour y parvenir.
Chaque religion est arrivée par la spiritualité, par le voyage à travers lequel une personne est devenue Dieu ou Prophète. Les détails de l’histoire ne sont pas forcément importants, ils aident seulement le personnage à découvrir la vérité.
Ce qui est important, c’est le message qui partage la vérité, « le code divin du cœur humain » qui résonne harmonieusement à travers chacun d’entre nous.
Citations
« L’engagement religieux irrévocable, quelle que soit la confession choisie, n’est pas seulement un suicide intellectuel, c’est aussi la négation même de la foi, puisqu’il s’agit d’un acte qui ferme l’esprit à toute nouvelle vision du monde. » Alan Watts
« Vous pouvez appeler Dieu par le nom que vous aimez, mais la Vérité est toujours la même. » Swâmi Râmdâs
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Message  Arlitto Jeu 9 Juin 2016 - 23:30



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Message  Arlitto Jeu 9 Juin 2016 - 23:31

Antéchrist et Apocalypse. Millénarisme et fin des temps.





ANTICHRIST ET APOCALYPSE


L'Antéchrist

C’est dans la Première Épître de Jean (2, 18) qu’apparaît pour la première fois le mot grec "antichristos". Cependant, l’idée d’un antimessie s’est formée bien avant l’apparition du christianisme.
Dans les récits de visions du Livre de Daniel, composés juste avant la révolte des Maccabées, les quatre empires qui ont dominé successivement l’Orient sont représentés par quatre bêtes monstrueuses. La quatrième symbolise la monarchie séleucide. Cette bête porte plusieurs cornes dont la dernière figure le plus impie des souverains, Antiochus Épiphane (Daniel, VII, 23-25).
Cette imagerie est reprise dans le chapitre XIII de l’Apocalypse. Les puissances mauvaises y forment une sorte de trinité démoniaque qui sévira à la fin des temps :
- Le grand dragon, c’est-à-dire Satan, transmettra alors son trône et son empire à une bête sortie de la mer.
- Cette bête monstrueuse, portant sept têtes et dix cornes, sera la contrefaçon de l’agneau, qui, dans l’Apocalypse, figure le Christ : elle singera sa mort et sa résurrection, tout en combattant ses fidèles.
- Une seconde bête, venue cette fois de la terre, organisera le culte de la première en se servant d’artifices magiques qui séduiront les foules.
Les hommes qui refuseront d’adorer l’image de la première bête seront mis à mort.
Mais ce règne diabolique ne durera qu'"un temps, deux temps et la moitié d'un temps" (Dan XII, 7 ; Apoc XII, 14) et le Christ viendra dans sa gloire pour y mettre fin.

Selon une tradition attestée par les Evangiles synoptiques (Matthieu XXIV 24 ; Marc XIII 22), et par la Première Épître de Jean (II 18), il y aura beaucoup de pseudochrists ou d’antéchrists, et ils sévissent même déjà dans les communautés chrétiennes : ce sont les premiers hérétiques.
Mais la Deuxième Épître aux Thessaloniciens, dont on conteste aujourd’hui l’attribution à Paul, évoque "l’homme d’iniquité", le "fils de perdition", qui viendra porter l’impiété à son comble avant d’être anéanti par le Christ : les termes employés semblent bien désigner un individu unique.

Dès la Didachê (première moitié du IIe siècle), la venue de cet imposteur, qui égarera le monde par ses miracles, dominera la terre, se fera passer pour le Fils de Dieu et commettra des forfaits inouïs, apparaît comme une donnée bien établie de la catéchèse.
L’Antéchrist fait l’objet d’un traité entier d'Hippolyte (vers 200). Irénée de Lyon (vers 180), Lactance (début du IVe s.) et Augustin d'Hippone (vers 420) lui consacrent de longs développements.
Hippolyte voit en lui non un homme, mais un diable revêtu d'un corps qui nous le montre doux et miséricordieux dans ses jeunes années ; mais cette douceur, cette miséricorde ne sera qu'un masque hypocrite destiné à mieux séduire les fidèles.
Il ajoute que l'Antéchrist guérira les paralytiques et les lépreux, qu'il marchera sur les eaux, qu'il obscurcira le ciel et se fera obéir des éléments, qu'en tout il s'attachera à imiter le Christ, qu'il aura, lui aussi, ses apôtres, que sous son règne le saint sacrifice de la messe cessera.
"Il réduira la lune en sang" dit Méthodius d'Olympe (+ 311).
"Il enverra aux quatre coins de l'univers des démons qui publieront que le grand roi est venu" dit Ephrem le Syrien (+ 373).
"Il trompera les Juifs en s'annonçant comme le messie, et les Gentils, par des incantations magiques" dit Cyrille de Jérusalem (+ 387). Dans sa Quinzième Catéchèse, composée peu avant 350, Cyrille de Jérusalem replace le thème de l’Antéchrist dans une vue d’ensemble de l’histoire du salut : le diable a voulu prévenir par une parodie chacune des venues du Christ afin de dérouter chaque fois les esprits. La première fois, avant que le Fils de Dieu ne prenne chair dans le sein de la Vierge, Satan a multiplié les récits fabuleux, racontant comment des dieux s’étaient unis à des mortelles et les avaient rendues mères. La seconde fois, avant que le Christ ne revienne dans la gloire et la puissance, le diable suscitera un magicien qui stupéfiera les foules par ses artifices, s’emparera du pouvoir dans l’Empire romain et se fera adorer comme le Fils de Dieu.

Dans un propos de Martin de Tours (+ 400) que rapporte Sulpice Sévère (Dialogues I, 14), l’Antéchrist se trouve en quelque sorte dédoublé.
A la fin des temps, Néron ressuscitera, règnera à Rome, persécutera les chrétiens et voudra les contraindre par la violence à adorer les idoles.
Ensuite seulement apparaîtra l’Antéchrist proprement dit : il trônera à Jérusalem, rétablira le judaïsmeet entreprendra de l’imposer à tous les hommes. La guerre éclatera entre les deux impies. Néron sera vaincu et tué par l’Antéchrist et ce dernier règnera sur le monde jusqu’à ce que le Christ mette fin à sa domination.

Jérôme de Stridon (+ 420) écrit : "Comme il s'élèvera des révoltes dans les pays de l'Orient, l'Antéchrist marchera de ce côté avec une nombreuse armée; il dressera son pavillon à Apadno, près de Nicopolis, puis continuera ses poursuites jusqu'au mont des Oliviers. Lorsqu'il sera monté au sommet, personne ne pourra le secourir, et Jésus-Christ arrivant le mettra à mort par le souffle de ses lèvres."
D'autres font tuer l'Antéchrist par l'archange Michel ou veulent qu'il lutte contre Elie.

Les interprétations proposées par les Pères de l’Église sont reprises dans le portrait de l’Antéchrist que trace Grégoire le Grand à la fin du VIe siècle. 
Pour le pape Grégoire Ier, l’Antéchrist sera le diable incarné. Satan "assumera un homme" à la fin des temps, ce qui lui permettra d’être la tête du corps des réprouvés, comme le Christ est la tête du corps des élus. Cette antithèse domine la pensée de Grégoire. Reprenant l’idée que l’Antéchrist se distinguera par des prodiges inouïs, l’auteur des Morales en conclut que les miracles dont est si riche et si friande l’Église de son temps cesseront tout à coup. Ce sera l’épreuve suprême : les hommes devront se passer de signes sensibles et seront renvoyés à la pureté de la foi.

Dans sa Vita Christi, Eximenès assure que l'Antéchrist sera un juif de la tribu de Dan et sera bâtard, naîtra en Babylonie et sera doté de tous les biens de la nature, beau, généreux, beau parleur, libéral, fort affable et aimable, il sera aussi doué des biens de la fortune et de la science, il en saura plus que Salomon ni aucun autre philosophe.
Comme il naîtra en Babylonie où il y aura abondance de maîtres en arts magiques dans lesquels il sera puissamment enseigné car un grand démon lui apprendra tout ce qu'il pourra et principalement l'art d'alchimie et il fera de l'or ou de l'argent autant qu'il en voudra.
Les démons lui apprendront à trouver et à faire de l'or et n'importe quel autre matériau des mines naturelles qui sont au monde et ils lui apporteront de l'or du fond des mers.

Certains auteurs prétendent que l'Antéchrist sera un démon incarné et évoquent Bélial à son sujet.
D'autres parlent encore du fils d'Abaddon, le démon exterminateur et qui devrait naître au prochain millénaire, lorsque le Serpent passera dans le signe du Lion : une femme accouchera alors, la nuit, en secret d'un enfant portant un signe sur le front.
Certains voient en lui le fils d'un incube et d'une mortelle.
Selon la prophétie de La Salette, il "naîtra d'une religieuse" .

Les fidèles de l'Eglise baptiste du Centre affirment qu'il est déjà né, le 22 février 1962, et qu'il fait partie d'un complot synarchique qui vise à instaurer le Mal : les maladies, les drogues, le rock’n’roll, le tabac, l'alcoolisme, l'avortement, le communisme et l'informatique en apporteraient la preuve.

A diverses époques, les chrétiens croient reconnaître les traits de l'Antéchrist dans tel ou tel personnage historique qui se montrait l'ennemi, le persécuteur de leur religion : Néron, Domitien, Dioclétien, Genséric, Mahomet ou un autre musulman, un roi d’Israël, le bâtard d’une juive et d’un mahométan, le successeur du prêtre impie, l’ennemi de l’intérieur, que dénonçaient déjà les Esséniens, Luther, Calvin, la franc-maçonnerie, la Révolution française, Napoléon Ier (Tolstoï le considère comme l’antéchrist), le marxisme…

Certains réformateurs religieux des XIVe et XVe siècles, révoltés contre la richesse et le faste de l’Église, et surtout les protestants des XVIe et XVIIe siècles, croient reconnaître l’Antéchrist dans le pape et la grande Babylone de l’Apocalypse dans l’Eglise romaine.

.
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Message  Arlitto Jeu 9 Juin 2016 - 23:31

Le chiffre de la Bête : 666.


On lit dans l'Apocalypse (13,18) : "C'est ici la sagesse. Que celui qui a de l’intelligence compte le nombre de la bête ; car son nombre est le nombre d'un homme, et son nombre est 666."
Il est facile de concevoir qu'on ait voulu connaître le nom de l'Antéchrist en faisant le calcul indiqué par Jean. Mais la difficulté consiste à savoir de quelle langue il faut se servir : les lettres hébraïques et les lettres grecques ont une valeur numérique ; le nom cherché variera selon qu'on emploiera l'une ou l'autre de ces langues.

"Bossuet, en employant la langue latine, a trouvé le nombre 666 dans le nom de Dioclétien, La Chardie dans le nom de Julien (dit l'Apostat, ndlr)...
On l'a trouvé dans le nom de [ltr]Mahomet[/ltr].
Corneille marque qu'il y a une opposition mystérieuse entre le chiffre du nom de l'Antéchrist, dont le nombre est 666, et le chiffre du nom de Jésus, dont le nombre en grec est 888. Six est le symbole du jour de l'homme ; huit est le symbole de l'éternité, qui est le jour de Dieu.
Le P. Doussot, des Frères Prêcheurs, a cherché la solution de cette question, "non dans un nom d'homme, mais dans celui de la secte qui a déclaré de nos jours la guerre à Dieu, et d'où sortira probablement l'homme de péché désigné par l'apôtre". Il a trouvé qu'en traduisant littéralement en grec le nom [ltr]"franc-maçonnerie"[/ltr], et en donnant à ces lettres leur valeur numérique, on obtient exactement le nombre 666.
De même, M. l'abbé Maret, chapelain de Saint-Louis des Français à Rome, et M. Jean-Etienne de Camille ont publié dans le Journal de Florence, en avril et mai 1874, des articles qui prouvent que les noms de plusieurs des précurseurs de l'Antéchrist donnent aussi le même nombre de 666. Par exemple en grec celui de Genséric ; celui de Luther en le désignant par celui de Saxon ; celui de Calvin en l'appelant en latin "Lupus Picardus" (le loup picard). De même aussi "bestia" (la bête), rendu en hébreu, donne encore le nombre 666. C'est là un thème sur lequel on s'exercera encore longtemps.
M. Renan a publié tout un livre sur l'Antéchrist. Selon lui, l'Antéchrist, c'est Néron ; mais M. Renan ne parle pas de Néron comme l'Apocalypse le fait de l’Antéchrist ; loin d'être un persécuteur de l’Eglise, le Néron de M. Renan est un des fondateurs du christianisme : il a fait mourir [ltr]Pierre[/ltr] et Paul, il a fait cesser par là les partis dans l’Eglise et préparé la voie à une réconciliation universelle. Si la persécution de Néron avait été plus efficace encore et s'il avait étouffé tous les chrétiens dans le sang, il aurait non seulement préparé la voie à une réconciliation universelle, mais il eût à tout jamais empêché les partis de se manifester. Cette manière de fonder une religion est tout entière de l'invention de M. Renan."

La Bible offre des exemples de "gématrie", procédé cher aux anciens (surtout en Mésopotamie) selon lequel un chiffre donné désigne un homme ou un objet parce que la valeur numérique des lettres qui constituent son nom correspond au nombre en question.
Irénée de Lyon, qui pense que le chiffre de la Bête correspond au mot "lateinos" (30 +1 +300 +5 +10 +50 +70 +200 = 366) désignant l'Empire romain, écrit vers 180: "C'est pourquoi dans la bête qui doit venir aura lieu la récapitulation de toute injustice et toute imposture, afin qu'en elle ayant conflué et étant rassemblé toute la puissance de l'apostasie, celle-ci soit dans la fournaise jetée au feu. Selon toute vérité le nom de la bête sera donc 666, récapitulant en lui toute la méchanceté étalée par les anges avant le déluge : Noé avait 600 ans quand le déluge eut lieu sur la terre, effaçant ce qui détruisait la terre des générations perverses depuis Adam. Récapitulant aussi toute l'idolâtrie après le déluge jusqu'à l'icône dressée de Nabuchodonosor, qui mesurait 60 coudés de hauteur et 6 coudés de largeur. En effet toute icône préfigure l'avènement de l'antéchrist. Ainsi par les 600 ans de Noé quand advient le déluge à cause de l'apostasie, et la mesure de l'icône, le nombre, comme il nous questionne, désigne le nom, celui qui récapitule les 6000 années qui sont pleinement apostasie, injustice et méchanceté (…) six cent soixante-six, c'est-à-dire six centaines, six dizaines et six unités, pour récapituler toute l'apostasie perpétrée durant six mille ans. Car autant de jours a comporté la création du monde, autant de millénaires comprendra sa durée totale."
[ltr]Hippolyte[/ltr](217-235) adopte le mot "arnoumai" qui signifie "je nie". D'autres proposent ceux de "nikètès" (vainqueur) ; "atenos" (contraire) ; "teitan" (titan) ; "kakos odègos" (mauvais capitaine) ; "palai baskanos" (antique trompeur), etc.
Aujourd'hui, on penche généralement pour "Néron César" d'après la retranscription hébraïque numérique de ces noms : "NRWN QSR" = 50 +200 +6 +50 +100 +60 +200 = 666.

Selon les messages de la [ltr]Vierge Marie[/ltr] reçus par Don Stefano Gobbi, prêtre fondateur du Mouvement Sacerdotal Marial, les trois six signifient "le communiste athée, la franc-maçonnerie et la franc-maçonnerie ecclésiastique".

Pour Jean Phaure, "le 666 exprime, entre autres choses, l'aboutissement de toutes les possibilités de la manifestation sensible, sans la possibilité de parvenir au Sept, c'est-à-dire de réintégrer le Centre divin".

J.-J. von Allmen affirme que "le 666 signifie une triple répétition du chiffre 6, et donc un refus, en comptant, d'aller jusqu'à 7 : le chiffre de l'homme qui ne veut pas entrer dans le dessein de Dieu et qui se glorifie lui-même".

Les fils d'Adoniqam qui reviennent de l’exil à Jérusalem sont 666 : "Esdras. 2.1 Voici ceux de la province qui revinrent de l'exil, ceux que Nebucadnetsar, roi de Babylone, avait emmenés captifs à Babylone, et qui retournèrent à Jérusalem et en Juda, chacun dans sa ville. 2.2 (…) Nombre des hommes du peuple d'Israël (…) 2.13 les fils d'Adonikam, 666"
Six-cent-soixante-six est aussi le poids en talents de l’or que reçoit Salomon en une seule année : "Le poids de l'or qui arrivait à Salomon chaque année était de 666 talents d'or" (Rois10,14) ; "Le poids de l'or qui arrivait chaque année à Salomon était de 666 talents d'or" (2 Chroniques 9,13)

Les personnes atteintes de "hexakosioihexekontahexaphobie" (peur du nombre 666) entretiennent une peur pour tout ce qui est associé au nombre 666.

A noter que quelques manuscrits donnent le nombre « 616 » ou « 665».

.
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