Philippe de Villiers
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Philippe de Villiers
Islam : Philippe de Villiers, vicomte à dormir debout
Par Cédric Mathiot — 20 novembre 2016 à 18:56
Philippe De Villiers à Paris pour son livre sur Saint Louis photo Jacques Torregano
Grâce à sa notoriété, l’ancien eurodéputé permet aux thèses complotistes d’extrême droite les plus délirantes d’être diffusées sur les ondes. Selon sa théorie loufoque, les autorités s’apprêteraient à céder aux «salafistes» des parties du territoire français.
Islam : Philippe de Villiers, vicomte à dormir debout
On l’a entendu sur des médias de la «fachosphère» (Boulevard Voltaire ou la chaîne de «réinformation» TV Libertés). Une pub pour son livre apparaît plein écran dès qu’on se connecte au site FdeSouche. Normal. Mais on lui a aussi tendu le micro sur LCI, Europe 1, RTL. Ces dernières semaines, Philippe de Villiers a écumé les médias pour la promotion de l’ouvrage Les cloches sonneront-elles encore demain ? best-seller catastrophiste sur la menace de l’islam (évidemment «incompatible avec la République»). Il préconise une «remigration» d’une partie des immigrés vers leur pays d’origine, sur fond d’analyses parfois délirantes. La rubrique Désintox de Libération est déjà revenue (édition du 14 novembre) sur un des aspects du discours de Villiers, consistant à fantasmer un «plan secret des élites» visant la submersion migratoire de la France… à partir d’un rapport public de l’ONU vieux de quinze ans. Même Martial Bild, ex-cadre du Front national et patron de TV Libertés, s’est senti obligé, lors d’une interview, de suggérer à Philippe de Villiers qu’il frisait le complotisme.
Fantasme d’une «partition»
Mais ce dernier est reparti de plus belle. Oui, il y a une «conjuration». Car sa thèse est que cette planification par les élites mondialisées (à la solde de «firmes postnationales») rencontre en France le dessein des salafistes et des Frères musulmans. Elleséchafaudent selon lui un «nouvel édit de Nantes», qui prévoit de sceller le partage du territoire hexagonal entre religions. Dans son livre, Villiers affirme que la liste des villes ou enclaves qui, bientôt, tomberont sous le coup de la charia (avec lapidation pour adultère, voile obligatoire…) est prête, et il les cite : Marseille, la rue Jean-Pierre-Timbaud à Paris, Roubaix, Trappes (Yvelines). Et ce plan, répète-t-il dans tous les micros, a été admis par la classe politique française, ou au moins par une partie de ses membres. Il déclare sur LCI, le 18 octobre : «Dans mon livre, je publie une chose épouvantable, qui devrait attirer l’attention. C’est le futur édit de Nantes. Les salafistes et les Frères musulmans se vantent d’avoir obtenu de la classe politique, ou de certains d’entre eux, l’idée de faire signer le jour venu la partition du territoire, c’est-à-dire la grande concession territoriale. C’est-à-dire qu’il y aura des territoires qui seront concédés, où il y aura des tribunaux islamiques et où on pourra pratiquer la charia.»
Le fantasme d’une division de l’Hexagone est une idée qu’on retrouve plutôt dans la fachosphère, comme le dénouement inéluctable (subi ou parfois souhaité) de la guerre des religions, qui ne manquera pas d’arriver en raison de la «conquête musulmane». Le site d’extrême droite Riposte laïque a, par exemple, édité l’an passé un livre de fiction mettant en scène cette France scindée, le tiers sudiste de l’Hexagone ayant été cédé aux musulmans, qui y ont fondé une république islamique, les deux tiers du nord du pays demeurant un Etat laïc.
A en croire Villiers, les salafistes et les Frères musulmans (qu’il confond allégrement) théorisent eux aussi, à leur manière, cet objectif de partition. L’ex-eurodéputé affirme tenir son information des services de renseignement. Et prétend dans chaque interview que son livre contient des documents qui en attestent. C’est faux. En fait, le seul document de ce type que cite Villiers dans son livre est une note du Service central du renseignement territorial (SCRT) du 29 décembre 2015 : «Etat des lieux des implantations associatives salafistes sur le territoire national et des actions engagées vis-à-vis des lieux de culte se revendiquant du salafisme ou déstabilisés par une mouvance radicale». Villiers cite deux extraits du document, à propos de deux mosquées salafistes marseillaises : dans les cités d’Air Bel et de Consolat, où «l’imam tient des discours incitant les fidèles à se détourner des voies occidentales, et conseille aux jeunes filles de s’abstenir de toute pratique sportive». Ces passages figurent bien dans ce document, mais Villiers les noie dans sa prose complotiste, les utilisant pour illustrer le fait que «la ville de Notre-Dame-de-la-Garde est prête pour le grand passage»… La note, que Libération a pu lire, ne dit rien de tel. Elle recense les endroits sous influence salafiste (124 lieux de cultes dénombrés) ainsi que les actions menées dans le cadre de l’état d’urgence. Les deux mosquées marseillaises que cite Villiers ont d’ailleurs été perquisitionnées en janvier, quinze jours après publication de ce document (ce dont le président du Mouvement pour la France ne dit pas un mot, puisque son propos vise à dénoncer l’inaction des dirigeants). Pour le reste, le document ne contient aucune mention de ce «nouvel édit de Nantes», pas plus que d’un quelconque projet des salafistes de scission de parties du territoire. Libération a interrogé une source haut placée ayant accès à l’ensemble des notes. Sa réponse est formelle : «Aucune mention d’un "édit de Nantes" ou d’une partition globale du territoire ne figure dans les notes du renseignement territorial, que ce soit au niveau local ou central.»
Sans la moindre preuve
Une source du renseignement de Marseille, où se concentre un quart des salafistes de France, tient un discours dénué de tout angélisme sur le sujet, mais manifeste la même incrédulité devant cette thèse : «Il y a des quartiers sur lesquels les salafistes essaient d’avoir une emprise. Des quartiers dans lesquels il y a une pression pour obliger les femmes à se voiler, notamment le vendredi par exemple. Des incitations à sortir des enfants des écoles publiques. Il y a eu des prêches violents, même si c’est beaucoup moins le cas car ils savent que tout est beaucoup plus surveillé. Mais tout cela reste extrêmement sectorisé. Et je n’ai jamais entendu parler de cette histoire de projet de partition.»
Mais Philippe de Villiers ne se contente pas de donner corps (sans la moindre preuve) à un projet de concession territoriale. Il affirme tranquillement que la classe politique s’est faite à l’idée de l’avaliser. Sur LCI donc, mais aussi sur Europe 1, le 17 octobre, où il déclare : «Selon les services de renseignement, la classe politique se prépare.» La compromission des élites est actée. On nage dans le grand complotisme. Sur cette radio, les intervieweurs ont quand même un peu tiqué : «On est dans le grand complot ! Qui va signer ça ?» Mais le propre de celui qui croit au complot est toujours de trouver quelque chose qui vient étayer sa thèse. «Attendez ! a ainsi répondu Villiers. Vous auriez pu me dire que c’est un complot il y a deux jours. Mais maintenant vous ne pouvez plus me le dire parce que dans son livre, François Hollande dit une chose stupéfiante qui montre qu’il a lu le même rapport que moi, qu’il a eu sous les yeux. […] La phrase est la suivante : "Comment peut-on éviter la partition ? Car c’est quand même ça qui est en train de se produire, la partition."»
La «preuve» est à l’image de la thèse. Elle se dégonfle en un clic. Il suffit de lire le passage du livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, «Un président ne devrait pas dire ça…», pour y constater que le chef de l’Etat ne parle nullement de partition territoriale. Il y évoque son inquiétude face au «vivre ensemble» menacé. Il diagnostique une partition de la France en trois : la France «je suis Charlie», la France «je ne suis pas Charlie» et la France du FN. Ces trois France, explique Hollande, doivent recommencer à se parler, il faut redonner un lien, sinon c’est la division qui menace. C’est une «partition idéologique», explique à Libération Fabrice Lhomme, «pas une partition ethnique et encore moins territoriale».
«Politique postvérité»
Fort de cette imagination, Philippe de Villiers a aussi trouvé une «preuve» du complot dans la bouche du Premier ministre. Sur TV Libertés, le 21 octobre, il lâche : «Cette phrase en privé de Hollande [sur la partition, donc] rejoint une affirmation de Manuel Valls qui a dit hier : "L’islam a sa place en France." Ah bon ? L’islam a sa place en France ? Sa place. Sa place forte. Ses places fortes. Voilà ce qui se prépare.» A partir de la déclaration la plus commune que puisse faire un élu, un nouvel «indice» de la «partition territoriale» qui arrive. Pour le complotiste, tout est «signe».
Que ces élucubrations aient été assénées devant les internautes de la fachosphère est navrant. Qu’elles l’aient été sur des radios nationales est plus préoccupant. Au moment où on déplore l’avènement de l’ère de la «politique postvérité», où on s’inquiète de la crédulité des citoyens, de la viralité des intox, on peut se poser quelques questions en voyant les médias, à la queue leu-leu, ouvrir grand leur micro au complotisme décomplexé de Philippe de Villiers, fut-il auteur à succès.
Cédric Mathiot
Par Cédric Mathiot — 20 novembre 2016 à 18:56
Philippe De Villiers à Paris pour son livre sur Saint Louis photo Jacques Torregano
Grâce à sa notoriété, l’ancien eurodéputé permet aux thèses complotistes d’extrême droite les plus délirantes d’être diffusées sur les ondes. Selon sa théorie loufoque, les autorités s’apprêteraient à céder aux «salafistes» des parties du territoire français.
Islam : Philippe de Villiers, vicomte à dormir debout
On l’a entendu sur des médias de la «fachosphère» (Boulevard Voltaire ou la chaîne de «réinformation» TV Libertés). Une pub pour son livre apparaît plein écran dès qu’on se connecte au site FdeSouche. Normal. Mais on lui a aussi tendu le micro sur LCI, Europe 1, RTL. Ces dernières semaines, Philippe de Villiers a écumé les médias pour la promotion de l’ouvrage Les cloches sonneront-elles encore demain ? best-seller catastrophiste sur la menace de l’islam (évidemment «incompatible avec la République»). Il préconise une «remigration» d’une partie des immigrés vers leur pays d’origine, sur fond d’analyses parfois délirantes. La rubrique Désintox de Libération est déjà revenue (édition du 14 novembre) sur un des aspects du discours de Villiers, consistant à fantasmer un «plan secret des élites» visant la submersion migratoire de la France… à partir d’un rapport public de l’ONU vieux de quinze ans. Même Martial Bild, ex-cadre du Front national et patron de TV Libertés, s’est senti obligé, lors d’une interview, de suggérer à Philippe de Villiers qu’il frisait le complotisme.
Fantasme d’une «partition»
Mais ce dernier est reparti de plus belle. Oui, il y a une «conjuration». Car sa thèse est que cette planification par les élites mondialisées (à la solde de «firmes postnationales») rencontre en France le dessein des salafistes et des Frères musulmans. Elleséchafaudent selon lui un «nouvel édit de Nantes», qui prévoit de sceller le partage du territoire hexagonal entre religions. Dans son livre, Villiers affirme que la liste des villes ou enclaves qui, bientôt, tomberont sous le coup de la charia (avec lapidation pour adultère, voile obligatoire…) est prête, et il les cite : Marseille, la rue Jean-Pierre-Timbaud à Paris, Roubaix, Trappes (Yvelines). Et ce plan, répète-t-il dans tous les micros, a été admis par la classe politique française, ou au moins par une partie de ses membres. Il déclare sur LCI, le 18 octobre : «Dans mon livre, je publie une chose épouvantable, qui devrait attirer l’attention. C’est le futur édit de Nantes. Les salafistes et les Frères musulmans se vantent d’avoir obtenu de la classe politique, ou de certains d’entre eux, l’idée de faire signer le jour venu la partition du territoire, c’est-à-dire la grande concession territoriale. C’est-à-dire qu’il y aura des territoires qui seront concédés, où il y aura des tribunaux islamiques et où on pourra pratiquer la charia.»
Le fantasme d’une division de l’Hexagone est une idée qu’on retrouve plutôt dans la fachosphère, comme le dénouement inéluctable (subi ou parfois souhaité) de la guerre des religions, qui ne manquera pas d’arriver en raison de la «conquête musulmane». Le site d’extrême droite Riposte laïque a, par exemple, édité l’an passé un livre de fiction mettant en scène cette France scindée, le tiers sudiste de l’Hexagone ayant été cédé aux musulmans, qui y ont fondé une république islamique, les deux tiers du nord du pays demeurant un Etat laïc.
A en croire Villiers, les salafistes et les Frères musulmans (qu’il confond allégrement) théorisent eux aussi, à leur manière, cet objectif de partition. L’ex-eurodéputé affirme tenir son information des services de renseignement. Et prétend dans chaque interview que son livre contient des documents qui en attestent. C’est faux. En fait, le seul document de ce type que cite Villiers dans son livre est une note du Service central du renseignement territorial (SCRT) du 29 décembre 2015 : «Etat des lieux des implantations associatives salafistes sur le territoire national et des actions engagées vis-à-vis des lieux de culte se revendiquant du salafisme ou déstabilisés par une mouvance radicale». Villiers cite deux extraits du document, à propos de deux mosquées salafistes marseillaises : dans les cités d’Air Bel et de Consolat, où «l’imam tient des discours incitant les fidèles à se détourner des voies occidentales, et conseille aux jeunes filles de s’abstenir de toute pratique sportive». Ces passages figurent bien dans ce document, mais Villiers les noie dans sa prose complotiste, les utilisant pour illustrer le fait que «la ville de Notre-Dame-de-la-Garde est prête pour le grand passage»… La note, que Libération a pu lire, ne dit rien de tel. Elle recense les endroits sous influence salafiste (124 lieux de cultes dénombrés) ainsi que les actions menées dans le cadre de l’état d’urgence. Les deux mosquées marseillaises que cite Villiers ont d’ailleurs été perquisitionnées en janvier, quinze jours après publication de ce document (ce dont le président du Mouvement pour la France ne dit pas un mot, puisque son propos vise à dénoncer l’inaction des dirigeants). Pour le reste, le document ne contient aucune mention de ce «nouvel édit de Nantes», pas plus que d’un quelconque projet des salafistes de scission de parties du territoire. Libération a interrogé une source haut placée ayant accès à l’ensemble des notes. Sa réponse est formelle : «Aucune mention d’un "édit de Nantes" ou d’une partition globale du territoire ne figure dans les notes du renseignement territorial, que ce soit au niveau local ou central.»
Sans la moindre preuve
Une source du renseignement de Marseille, où se concentre un quart des salafistes de France, tient un discours dénué de tout angélisme sur le sujet, mais manifeste la même incrédulité devant cette thèse : «Il y a des quartiers sur lesquels les salafistes essaient d’avoir une emprise. Des quartiers dans lesquels il y a une pression pour obliger les femmes à se voiler, notamment le vendredi par exemple. Des incitations à sortir des enfants des écoles publiques. Il y a eu des prêches violents, même si c’est beaucoup moins le cas car ils savent que tout est beaucoup plus surveillé. Mais tout cela reste extrêmement sectorisé. Et je n’ai jamais entendu parler de cette histoire de projet de partition.»
Mais Philippe de Villiers ne se contente pas de donner corps (sans la moindre preuve) à un projet de concession territoriale. Il affirme tranquillement que la classe politique s’est faite à l’idée de l’avaliser. Sur LCI donc, mais aussi sur Europe 1, le 17 octobre, où il déclare : «Selon les services de renseignement, la classe politique se prépare.» La compromission des élites est actée. On nage dans le grand complotisme. Sur cette radio, les intervieweurs ont quand même un peu tiqué : «On est dans le grand complot ! Qui va signer ça ?» Mais le propre de celui qui croit au complot est toujours de trouver quelque chose qui vient étayer sa thèse. «Attendez ! a ainsi répondu Villiers. Vous auriez pu me dire que c’est un complot il y a deux jours. Mais maintenant vous ne pouvez plus me le dire parce que dans son livre, François Hollande dit une chose stupéfiante qui montre qu’il a lu le même rapport que moi, qu’il a eu sous les yeux. […] La phrase est la suivante : "Comment peut-on éviter la partition ? Car c’est quand même ça qui est en train de se produire, la partition."»
La «preuve» est à l’image de la thèse. Elle se dégonfle en un clic. Il suffit de lire le passage du livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, «Un président ne devrait pas dire ça…», pour y constater que le chef de l’Etat ne parle nullement de partition territoriale. Il y évoque son inquiétude face au «vivre ensemble» menacé. Il diagnostique une partition de la France en trois : la France «je suis Charlie», la France «je ne suis pas Charlie» et la France du FN. Ces trois France, explique Hollande, doivent recommencer à se parler, il faut redonner un lien, sinon c’est la division qui menace. C’est une «partition idéologique», explique à Libération Fabrice Lhomme, «pas une partition ethnique et encore moins territoriale».
«Politique postvérité»
Fort de cette imagination, Philippe de Villiers a aussi trouvé une «preuve» du complot dans la bouche du Premier ministre. Sur TV Libertés, le 21 octobre, il lâche : «Cette phrase en privé de Hollande [sur la partition, donc] rejoint une affirmation de Manuel Valls qui a dit hier : "L’islam a sa place en France." Ah bon ? L’islam a sa place en France ? Sa place. Sa place forte. Ses places fortes. Voilà ce qui se prépare.» A partir de la déclaration la plus commune que puisse faire un élu, un nouvel «indice» de la «partition territoriale» qui arrive. Pour le complotiste, tout est «signe».
Que ces élucubrations aient été assénées devant les internautes de la fachosphère est navrant. Qu’elles l’aient été sur des radios nationales est plus préoccupant. Au moment où on déplore l’avènement de l’ère de la «politique postvérité», où on s’inquiète de la crédulité des citoyens, de la viralité des intox, on peut se poser quelques questions en voyant les médias, à la queue leu-leu, ouvrir grand leur micro au complotisme décomplexé de Philippe de Villiers, fut-il auteur à succès.
Cédric Mathiot
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