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La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»

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La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie» - Page 6 Empty La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»

Message  Arlitto Lun 7 Mar - 14:37

Rappel du premier message :

La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie» 


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Les orthodoxes russes privilégient d'ordinaire la croix à huit branches, aussi appelée crucifixion. 
 

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L'axe vertical de la croix est coupé de trois branches horizontales. La branche intermédiaire, la plus longue est reservée aux bras étendus du Crucifié. La branche supérieure représente l'inscription en grec, latin et hébreu que Pilate avait ordonné de clouer à la croix, selon la coutume romaine qui rendait ainsi public le motif de la peine.
 

Contrairement à la tradition catholique qui représente les pieds du Christ cloué d'un seul clou, l'iconographie orthodoxe suit la tradition selon laquelle les pieds du Christ ont été cloués séparement, ce que sont venus confirmer les études réalisées sur le Suaire de Turin.
 

La branche horizontale inférieure de la croix sert ainsi d'appui aux pieds du Crucifié. L'une de ses extrémités est surélevée, montrant le ciel où est reçu le Bon Laron, l'autre extrémité indiquant l'enfer qui attend le mauvais laron, celui qui ne se repentit point.
 

Sous la croix est souvent figuré un crвne, la tête d'Adam, qui selon la tradition aurait été enterré à l'endroit même de la Crucifixion du Christ. Depuis la croix s'écoule le sang du Christ, rendant vie à Adam, à l'homme, à l'humanité. 
 

Auprès de la croix, se tiennent la Mère de Dieu et l'apôtre Jean, le disciple bien-aimé. Sont également souvent représentés les instruments de la Passion, la lance, transpersant le côté du Christ, l'éponge vinaigrée donnée au Seigneur par le soldat romain. 
 

On trouve parfois des représentations de la croix avec une demi-lune. Ce symbole, que l'on associe parfois à la victoire du Christianisme sur l'Islam était cependant connu bien avant les affrontements entre chrétiens et musulmans et signifie ici l'alliance de la croix et de l'ancre, symbole d'espérance. La demi-lune symbolise aussi la coupe de l'Eucharistie et le sang du Christ offert pour le rachat des péchés humains. On trouve aussi la croix et la demi-lune sur les coupoles des églises consacrées à la Mère de Dieu : la lune symbolise ici la Mère de Dieu, la Croix rappelle le Christ, soleil de vérité. 

Priez puis silence ...
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Message  Arlitto Lun 7 Mar - 15:17

Synaxaire

SAINT JEAN CHRYSOSTOME

du très révérend Archimandrite Placide Deseille

Higoumène du Monastère Saint Antoine le Grand (France)
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1) SA VIE
 
Jeunesse et éducation classique
Jean Chrysostome est né vers 349, à Antioche. Son père, Secundus, était officier. Il laissa son épouse Anthousa veuve à vingt ans, avec un fils et une fille. Celle-ci mourut très tôt, et Anthousa, chrétienne fervente, consacra tous ses soins à l'éducation de Jean. Après avoir acquis les connaissances élémentaires habituelles, Jean étudia la rhétorique à l'école de Libanius, le plus illustre rhéteur du temps, païen convaincu et nostalgique.

Vie ascétique et monastique
A partir de 367, il s'intègre au groupe des disciples de Diodore, futur évêque de Tarse, pour s'adonner à l'étude des sciences sacrées. Ce groupement ascétique n'était pas un monastère, et Jean, à la demande d'Anthousa, revenait chaque soir à la maison familiale. Il fut baptisé par saint Mélèce pendant la nuit pascale de 367. Vers 370, d'abord ordonné lecteur, il se soustrait par la fuite au sacerdoce, «trompant» son ami Basile, qui se laissa ordonner, croyant que Jean l'était aussi. Cette querelle fraternelle sera évoquée plus tard vers 390, dans le Dialogue sur le sacerdoce de Jean, dont elle fournira le prétexte. Vivement attiré par la vie monastique, il se retire en 372 au désert et vit pendant quatre ans auprès d'un ancien. Puis il se retire, seul, dans une grotte, où il passe la plupart de son temps sans dormir, apprenant par cœur les Ecritures. Sa complexion fragile ne résiste pas à ce régime, il tombe malade et doit regagner Antioche en 378, après deux années de vie érémitique. C'est l'époque où saint Mélèce, exilé par Valens, rentrait à Antioche.

Diacre et prêtre à Antioche
En 381, saint Mélèce l'ordonne diacre, puis, en 386, son successeur Flavien lui confère le sacerdoce. Le ministère principal de Jean devient la prédication. «La parole fut sa vocation et sa passion», a-t-on pu écrire. Dans son dialogue sur le sacerdoce, il décrira ainsi cet idéal qui fut le sien : «La parole, voilà l'instrument du médecin des âmes. Elle remplace tou : régime, changement d'air, remèdes. C'est elle qui cautérise ; c'est elle qui ampute. Quand elle manque, tout manque. C'est elle qui relève l'âme battue, dégonfle la colère, retranche l'inutile, comble les vides, et fait, en un mot, tout ce qui importe à la santé spirituelle. Quand il s'agit de la conduite de la vie, l'exemple est le meilleur des entraînements ; mais pour guérir l'âme du poison de l'erreur, il faut la parole, non seulement quand on a à maintenir la foi du troupeau, mais encore quand on a à combattre les ennemis du dehors. Même si nous avions le don des miracles, la parole nous serait utile, même nécessaire. Saint Paul le prouve, saint Pierre aussi, qui dit : «Soyez prêts à répondre à ceux qui vous demandent compte de votre foi» (1 P 3, 15). Et, si tout le collège des Apôtres confia jadis à Etienne la direction des veuves, c'était uniquement pour mieux s'adonner eux mêmes au ministère de la parole. Toutefois, nous n'aurions pas tant besoin du don de la parole si nous avions le don des miracles. Ne l'ayant pas, il faut nous armer de l'arme qui nous reste. C'est donc à nous de travailler avec acharnement pour nous enrichir de la parole du Christ... Le prêtre doit tout faire pour acquérir le talent de la parole.» (Sur le Sacerdoce, IV, 3; traduction de B. H. Vandenberghe, Saint Jean Chrysostome, Le livre de l'espérance, Namur, 1958, p. 9-10).

Jean prêche inlassablement, plusieurs fois par semaine, parfois pendant deux heures de suite. Jamais il ne pactise avec le vice, jamais il n'acceptera de compromission avec aucun scandale. Mais sa parole se nuance souvent de tendresse, et, s'il ne parvient pas à détacher la population d'Antioche des jeux et des spectacles du cirque, ni de ses autres désordres, son auditoire l'écoute en général volontiers et lui est profondément attaché.

En février 387, mécontents de l'augmentation des impôts, les habitants d'Antioche se soulèvent et brisent les statues de l'empereur Théodose, de l'impératrice défunte et des jeunes princes Arcadius et Honorius. Pour apaiser la sédition, Jean prononce dix-neuf homélies «sur les statues» durant le Carême, tandis que l'évêque Flavien se rend à Constantinople pour implorer la clémence de l'empereur. Le dimanche de Pâques, Jean put annoncer au peuple le succès des efforts de Flavien et le pardon de l'empereur.

Evêque de Constantinople
La renommée de Jean s'étendait bien au-delà d'Antioche. A la mort de Nectaire, évêque de Constantinople (397), l'évêque d'Alexandrie, Théophile, essaya de faire nommer à sa place l'un de ses protégés, le moine Isidore. Mais l'eunuque Eutrope, conseiller tout-puissant de l'empereur Arcadius, imposa le choix de Jean, le fit littéralement enlever à Antioche, et Théophile d'Alexandrie, ulcéré, dut le sacrer évêque de Constantinople, le 15 décembre 397.

Jean entreprit aussitôt de s'attaquer à tous les désordres qu'il constatait, dans le clergé, à la cour, dans toutes les classes de la société. Malgré ses invectives, une grande partie du peuple s'attacha à lui, et lui demeura toujours fidèle. Mais il s'attira, chez certains évêques, dans le clergé, et finalement à la cour, de terribles inimitiés. Après la disgrâce d'Eutrope, la bienveillance initiale de la toute-puissante impératrice Eudoxie se mua progressivement en haine.

On a écrit très justement au sujet de Jean : «son âme était trop noble et désintéressée pour deviner le jeu des intrigues de la cour, et son sentiment de la dignité personnelle était trop élevée pour s'arrêter à cette attitude obséquieuse à l'égard des majestés impériales, qui lui aurait assuré la continuité de leur faveur.. Sa fidélité sans compromission à son idéal ne put qu'unir contre lui toutes les forces hostiles, que sa simplicité lui empêchait d'opposer les unes aux autres par une adroite diplomatie.» (J. Quasten, Initiation aux Pères de l'Eglise, t. 111, p-507).

En 401, une cinquantaine de moines de Nitrie, conduits par trois d'entre eux, Ammonios, Eusébios et Euthymios, appelés «Ies longs frères» en raison de leur taille, arrivèrent à Constantinople, expulsés d'Egypte par Théophile, qui poursuivait alors les moines origénistes. Jean ne les reçut pas dans sa communion, mais il les accueillit avec une grande charité et pourvut à leurs besoins.
Les frères égyptiens portèrent plainte devant la cour contre Théophile. Appelé à comparaître, celui-ci se rendit à Constantinople précédé par saint Épiphane, qu'il avait engagé dans la lutte contre l'origénisme, mais qui se rembarqua pour Chypre quand il réalisa la duplicité de Théophile. Il mourut au cours du voyage.

Premier exil
Théophile se changea d'accusé en accusateur et réunit près de Chalcédoine, à la villa du Chêne, un synode de 35 évêques pour juger Jean. Celui-ci, ayant refusé de venir, fut condamné, sur d'absurdes griefs, qui le présentaient comme violent, injuste, voleur, sacrilège, origéniste, impie. Il était même accusé de lèse-majesté, ce qui aurait entraîné la peine de mort. Mais cette dernière accusation ne fut pas retenue par l'empereur. Quant aux moines de Nitrie, Théophile se réconcilia avec eux et leur «pardonna».
L'annonce de la déposition de Jean suscita une violente effervescence dans le peuple de Constantinople, qui restait fidèle à son évêque. Jean partit pour l'exil, mais une émeute éclata. Un tremblement de terre eut lieu dans la nuit, Effrayée, l'impératrice Eudoxie décida de rappeler l'exilé. Jean fut accueilli triomphalement. Théophile, menacé d'être jeté à la mer, se rembarqua précipitamment pour l'Egypte. Les évêques hostiles à Jean se dispersèrent. Mais à Constantinople, les intrigues reprirent contre Jean, qui avait repris ses fonctions épiscopales, dans l'attente d'un concile qui devait, normalement, le réhabiliter.

L'érection d'une statue d'Eudoxie ayant donné lieu à des divertissements païens et licencieux, Jean protesta dans une homélie prononcée à cette occasion. Elle aurait débuté par ces mots: «De nouveau, Hérodiade fait rage ; de nouveau, elle s'emporte ; de nouveau, elle danse ; de nouveau, elle demande à recevoir sur un plat la tête de Jean.» Eudoxie, irritée, voulut en finir avec lui.
Les évêques opposés à Jean firent valoir que celui-ci avait repris illégitimement ses fonctions malgré sa déposition. L'empereur interdit à Jean tout exercice de son office épiscopal. Jean refusa.

S'étant vu interdire l'usage de toute église, Jean, la nuit pascale de 404, rassembla les fidèles dans les thermes de Constance pour le baptême des quelques trois mille catéchumènes qui devaient le recevoir. A l'instigation des évêques hostiles, l'armée intervint brutalement, les fidèles et les clercs furent dispersés ou emprisonnés, et l'eau baptismale fut souillée de sang. Pendant le temps pascal qui suivit, Jean demeura en résidence surveillée dans son évêché, puis, au lendemain de la Pentecôte, il fut envoyé définitivement en exil.

Second exil et mort
Il fut d'abord conduit à Cucuse, en Petite Arménie. Il y demeura trois ans, prêchant aux habitants de la localité, et recevant de fréquentes visites des fidèles d'Antioche, restés attachés à leur ancien prédicateur. Jaloux et irrités, les évêques syriens qui avaient contribué à sa condamnation obtinrent qu'Arcadius l'exile à Pityus, à l'extrémité orientale de la mer Noire. Accablé de mauvais traitements, il mourut en cours de route, à Comane, dans le Pont, le 14 septembre 407 Ses dernières paroles furent sa doxologie coutumière : «Gloire à Dieu pour tout. Amen.»
 
2) ŒUVRES
 
«Aucun Père n'a laissé un héritage littéraire aussi important en volume que Chrysostome... La tragédie de sa vie elle-même, causée par la sincérité et l'intégrité extraordinaires de son caractère, ne fit que rehausser sa gloire et sa renommée. Il reste le plus séduisant des Pères grecs et l'une des figures les plus attachantes de toute l'antiquité chrétienne.» (J. Quasten, op. cit., p. 6). On ne peut citer ici que ses principaux écrits.

Œuvres exégétiques
La majeure partie de l'oeuvre de saint Jean Chrysostome est constituée d'homélies sur les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. Jean se montre fidèle à la tradition exégétique d'Antioche. Son exégèse pourrait être qualifiée de «pastorale», son principal souci étant de tirer du texte commenté des enseignements applicables à la vie quotidienne de ses auditeurs.
Nous possédons de lui des Homélies sur la Genèse, sur 58 psaumes, sur le prophète Isaïe, sur les évangiles de Matthieu et de Jean, sur les épîtres de saint Paul. «Les trente deux homélies sur les Romains représentent le plus remarquable commentaire patristique de cette épître et la plus belle de toutes les œuvres de Chrysostome.» (J. Quasten, op. cit., p. 619). Il existait entre Jean Chrysostome et saint Paul une véritable amitié, une relation d'intimité spirituelle profonde.

Œuvres doctrinales
Deux séries d'homélies ont pour objet de combattre les anoméens : les «Homélies sur l'incompréhensibilité de Dieu», et les «Homélies sur l'égalité du Père et du Fils». Les premières, qui réfutent la prétention d'Eunome à connaître adéquatement l'essence divine, sont un admirable exposé sur l'apophatisme et la connaissance négative de Dieu. Les secondes constituent une catéchèse claire et accessible au grand nombre, sur la Théologie trinitaire. Deux séries de «Catéchèses baptismales» nous font connaître les rites du baptême et leur interprétation tels que Jean les exposait à Antioche.
Le «Dialogue sur le sacerdoce», inspiré du traité de saint Grégoire le Théologien, Sur sa fuite, traite de la dignité, des exigences et des fonctions du sacerdoce
.
Ecrits sur la vie monastique
Le traité «A Théodore» est une exhortation adressée par Jean au futur Théodore de Mopsueste (probablement), tenté d'abandonner la vie monastique. Dans cet écrit, qui peut dater du diaconat de Jean, se retrouvent des traits caractéristiques de sa pensée, par exemple l'insistance sur la philanthropie divine : «Il n'est point d'amant du corps, fut-il devenu fou, qui brûle pour son amante d'un désir égal à celui de Dieu pour le salut de nos âmes.» (Sources chrétiennes n° 117, p. 163).
Le Traité «De la virginité» est un commentaire fidèle de 1 Cor. 7 Le mariage est présenté, en antithèse, d'une façon assez négative, qu'il faut équilibrer par d'autres passages des œuvres de Chrysostome.

Les traités «Sur les cohabitations suspectes» sont une critique assez mordante de la cohabitation sous le même toit d'ascètes et de vierges, usage qui existait à l'époque et présentait inévitablement des risques de scandale. Ces écrits suscitèrent des ennemis à Jean dans le clergé.

Les trois opuscules «Contre les détracteurs de la vie monastique» sont des apologies du monachisme adressées aux autorités civiles et aux parents qui s'opposaient aux vocations monastiques.

Dans ses Homélies, Jean évoque souvent l'exemple des moines du désert proche d'Antioche pour stimuler ses fidèles à une vie plus fervente ; il conseille de faire des séjours dans la retraite auprès d'eux ; il invite les moines à prier avec ardeur pour l'Eglise et pour ceux qui y exercent une responsabilité. Pour lui, le souci pastoral d'autrui reste la forme la plus élevée de la charité chrétienne.

Homélies diverses
Un certain nombre d'homélies ont été prononcées pour les fêtes liturgiques : Noël, Epiphanie, Vendredi-Saint, Pâques. D'autres discours ont été prononcés dans des circonstances notables de la vie de Jean : «Sur la chute d'Eutrope», «Sur les statues». D'autres sont des panégyriques de divers martyrs, de saint Paul, d'Eustathe d'Antioche, de Mélèce, de Diodore de Tarse, etc...
Lettres
Nous possédons 236 lettres de Jean, qui datent toutes du temps de son exil. Parmi les plus remarquables, on peut compter les lettres de réconfort «A Olympia», auxquelles il faut joindre le «Traité sur la Providence» et la «Lettre d'exil».
Dans ces lettres, les thèmes du sens de la souffrance, de la foi en la Providence, de la patience dans l'épreuve sont souvent traités. Jean le fait en s'inspirant à la fois de la tradition hellénique, surtout stoïcienne, et de la tradition biblique. La sagesse antique n'est pas reniée, mais assumée et transfigurée par l'apport chrétien. (Voir l'excellente introduction d'Anne-Marie Malingrey aux Lettres à Olympias, Sources chrétiennes, t.13 bis) 
 
3) DOCTRINE
 
On a dit souvent que saint Jean Chrysostome est plus moraliste que théologien, et que sa pensée présente peu d'intérêt sur le plan spéculatif. En réalité, Jean est avant tout un pasteur et un prédicateur, dont l'enseignement est inséparablement théologique, moral et spirituel. Il n'est pas à la recherche de solutions nouvelles aux problèmes théologiques spéculatifs de son époque, mais tout son enseignement procède d'une adhésion plénière à la tradition dogmatique de l'Eglise, en même temps que d'une vie entièrement vouée à l'ascèse et à la prière. Il est vraiment par là un «Père de l'Eglise» dans toute la force du terme. Il n'enseigne pas ses opinions personnelles, mais transmet le dépôt de la foi dans toute son intégrité.

Théologie trinitaire et christologie
Ces remarques valent tout particulièrement en ce qui concerne la théologie trinitaire et la christologie. Jean Chrysostome s'applique surtout à prémunir ses fidèles contre l'hérésie en mettant à leur portée la catéchèse commune de l'Eglise, et à leur montrer quel sens les affirmations de la foi présentent pour leur vie chrétienne.
C'est surtout à l'arianisme que s'oppose Chrysostome : on ne trouve pas chez lui de polémique contre Apollinaire. Il professe clairement l'existence d'une âme humaine du Christ ; mais sa christologie est plus alexandrine qu'antiochienne ; il est beaucoup plus proche de saint Athanase et de saint Hilaire de Poitiers que d'un Théodore de Mopsueste, et il subordonne l'activité propre de la nature humaine dans le Christ à la nature et à la personne du Logos, «L'humanité que j'ai revêtue, je ne l'ai jamais laissée destituée de la vertu divine, mais, agissant tour à tour comme homme et comme Dieu, tantôt je laisse voir en moi la nature humaine et tantôt je donne des preuves de ma mission ; j'apprends ainsi aux hommes à attribuer les actes les plus humbles à l'humanité et à rapporter les plus élevés à la divinité ; par ce mélange d'œuvres inégales, je fais comprendre l'union de mes deux natures si dissemblables ; je montre, en me soumettant librement aux souffrances, que mes souffrances sont volontaires ; comme Dieu, j'ai dompté la nature en prolongeant le jeûne jusqu'à quarante jours, mais ensuite j'ai eu faim ; j'ai apaisé, comme Dieu, la mer en furie et j'ai été accablé en ma qualité d'homme ; comme homme, j'ai été tenté par le diable, mais, comme Dieu, j'ai commandé aux démons et je les ai chassés ; je dois, dans ma nature humaine, souffrir pour les hommes.» (Sur Lazare, 1 ; PG 50, 642-643). Ou encore : «Par ces paroles : "S'il est possible que ce calice s'éloigne de moi", et : "Non comme je veux mais comme tu veux", il montre qu'il a vraiment revêtu notre chair qui a horreur de la mort. Car il est de la chair de craindre la mort, de trembler et d'être dans l'angoisse. Tantôt Jésus la laisse abandonnée à elle-même, afin qu'en montrant sa faiblesse il atteste sa nature ; tantôt il la voile pour prouver qu'il n'est pas seulement homme. Voilà pourquoi, dans ses paroles et ses actes, il mêle le divin et l'humain. De la sorte, il ôte tout prétexte à la folie de Paul de Samosate et à la démence de Marcion et de Manès. Voilà pourquoi encore il prédit l'avenir comme Dieu et le redoute comme homme.» (Sur ceux qui ne sont pas venus à la synaxe, 6, PG 48,766).

Du sacrement du Christ dans l'Eucharistie à la réalité du Christ dans le pauvre
La doctrine eucharistique de saint Jean Chrysostome est particulièrement riche. Il montre bien comment l'eucharistie «fait» l'Eglise en incorporant les hommes au Corps du Christ. Il colore ses développements d'un sens du sacré en même temps que d'un accent de tendresse envers la personne du Christ qui correspondent à son génie particulier : «Celui que les anges ne regardent qu'en tremblant, ou plutôt qu'ils n'osent regarder à cause de l'éclat qui en émane, est celui-là même qui nous sert de nourriture, qui se mélange à nous, et avec qui nous ne faisons plus qu'une seule chair et qu'un seul corps (p. 109).

«Il veut que nous devenions son corps non seulement par l'amour, mais qu'en réalité nous nous mêlions à sa propre chair. C'est ce qu'opère la nourriture que le Sauveur nous a donnée comme preuve de son amour. Voilà pourquoi il a uni, confondu son corps avec le nôtre, afin que nous soyons tous comme un même corps, joint à un seul chef. Ainsi font ceux qui s'aiment ardemment... Voilà ce que Jésus-Christ a fait pour nous : il nous a donné sa chair à manger pour attirer notre amour envers lui et nous montrer celui qu'il nous porte ; il ne s'est pas seulement fait voir à ceux qui ont désiré le contempler, mais encore il s'est donné à toucher, à palper, à manger, à broyer avec les dents, à absorber de manière à assouvir le plus ardent amour (p. 119-120).

«Veillons donc sur nous-mêmes, mes très chers frères, puisque nous avons eu le bonheur de recevoir de si grands biens... Jusqu'à quand nous attacherons-nous aux choses présentes ?» (p. 123).

Plus que jamais, les applications morales et parénétiques découlent ici du dogme. Devenus membres du Christ par l'eucharistie, les plus pauvres et les plus démunis sont par là même l'autel véritable sur lequel les fidèles doivent offrir le sacrifice spirituel de l'aumône et de la miséricorde : «L'autel dont je vous parle est fait des membres mêmes du Christ, et le corps du Christ devient pour toi un autel. Vénère-le : dans la chair, tu y fais le sacrifice au Seigneur. Cet autel est plus terrible que celui qui se dresse en cette Eglise, et, à plus forte raison, que celui de l'ancienne loi.

«Ne vous récriez pas. Cet autel-ci est auguste, à cause de la victime qui y vient ; celui de l'aumône l'est davantage, parce qu'il est fait de cette victime même. Celui-ci est auguste, parce que, fait en pierres, il est sanctifié par le contact du corps du Christ; et l'autre, parce qu'il est le corps même du Christ. Il est donc plus vénérable que celui-ci devant lequel, mon frère, tu te trouves.
"Qu'est-ce donc encore qu'Aaron quand on songe à ces choses ? Que sont la couronne, les sonnettes, le Saint des Saints ? Et pourquoi parier de cet autel ancien, quand, comparé à notre autel lui-même, l'autel de l'aumône est si splendide ? Et toi, tu vénères cet autel-ci, lorsque le corps du Christ y descend. Mais l'autre qui est le corps du Christ, tu le négliges et tu restes indifférent, quand il périt.

"Cet autel, tu peux le voir dressé partout, dans les ruelles et sur les places, et, à chaque heure, tu peux y faire le sacrifice car c'est là aussi le lieu des sacrifices. Et comme le prêtre, debout à l'autel, appelle l'Esprit ; de même, toi aussi, tu appelles l'Esprit, comme cette huile répandue en abondance.» (Hom, 82 ln Matth.; PG 58, 744.).

Grâce et liberté humaine
L'enseignement de saint Jean Chrysostome sur la prédestination, la grâce et la liberté lui est commun avec les autres Pères orientaux, et s'accorde substantiellement avec celui de saint Cassien, condamné en Occident comme «semipélagien». Le point de vue de Jean est pastoral et spirituel, et non métaphysique comme celui d'Augustin d'Hippone.

Pour Jean, le salut ou la damnation de l'homme ne sont pas fixés d'avance, sans que sa volonté libre y ait une part. Dieu adresse son appel à tous, offre sa grâce à tous, mais il appartient à l'homme de l'accueillir ou de la refuser : «Si la grâce ne demandait d'abord ce qui vient de nous, elle serait versée en masse dans toutes les âmes. Mais comme elle requiert ce qui vient de nous, elle habite à demeure dans les uns, et quitte les autres. Quant au reste des hommes, elle n'apparaît pas même en eux un moment, Dieu exigeant d'abord le choix préalable.» (De la componction ; PG 47,408).

«Dieu ne prévient pas nos volontés par ses dons, mais lorsque nous avons commencé, fourni le vouloir, alors lui-même nous présente plusieurs occasions de salut.» (Hom. In Jn; PG 59,408).

«La vertu est tissée du zèle que nous montrons et de l'assistance dont Dieu nous aide.» (Sur le Ps 140, 9; PG 55,441).
«Tout ne dépend pas de nous, mais une partie dépend de nous, une partie de Dieu. Choisir le mieux, le vouloir, nous y appliquer, affronter n'importe quelle peine, cela dépend de nous ; mais pouvoir mener nos efforts à bien, ne pas les faire échouer, aller jusqu'au bout de nos actes vertueux, cela dépend de la grâce d'en haut. En ce qui concerne la vertu, Dieu a délimité sa part et la nôtre. Il n'a pas mis tout en notre pouvoir, pour nous éviter de nous laisser emporter par une orgueilleuse folie, et il ne s'est pas chargé de tout, pour que nous ne tombions pas dans la paresse, mais, laissant à nos efforts le rôle le plus modeste, il assume lui-même le principal.» (Sur : Seigneur, il n'appartient pas à l'homme ... 4 ; PG 56, 160).
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Message  Arlitto Lun 7 Mar - 15:17

Saint Honorat, fondateur de Lérins et évêque d'Arles

L'archipel de Lérins, au large de Cannes, est formé de deux îles. La plus grande est l'île de Sainte-Marguerite, celle que l'on découvre la première à l'horizon. Derrière elle se cache l'île plus petite de Saint-Honorat. Elle porte le nom du saint dont nous allons faire connaissance.
Incertitudes sur la vie de saint Honorat
C'est saint Hilaire d'Arles, successeur d'Honorat sur ce siège épiscopal, qui nous renseigne le mieux sur la vie d'Honorat. Les autres sources d'information sont peu nombreuses et très fragmentaires. Les repères chronologiques font défaut. La seule date qu'il soit possible de fixer, sans certitude absolue cependant, est celle de sa mort, en janvier 430. Mais comme on ignore son âge exact au moment de son décès, il est bien difficile de savoir à quelle date précise il est né. On suppose qu'Honorat a pu voir le jour vers 370 à Trèves (A l'époque romaine, cette ville de Rhénanie s'appelait Augusta Trevirorum. Centre des opérations militaires des Romains sur le Rhin, c'était une des villes les plus importantes de l'Empire. Elle fut la patrie non seulement de saint Honorat, mais aussi de saint Ambroise de Milan et de... Karl Marx ! Saint Athanase y fut envoyé en exil). Mais peu importe. Car bien plus passionnante et attachante est la sainteté d'Honorat, si l'on considère la noblesse de ses origines et les talents qui le destinaient à une brillante carrière civile.
La conversion d'Honorat
Honorat appartenait à l'aristocratie gallo-romaine pour qui le consulat apparaît encore, au cinquième siècle, comme le plus beau couronnement d'une carrière. Sa famille était aisée. Elle possédait des domaines dont Honorat hérita avec son frère à la mort de leur père. Ce dernier était probablement déjà avancé en âge au moment de la conversion de son fils. L'enfance d'Honorat fut choyée, sa jeunesse se passa dans la richesse et le luxe. Il reçut une éducation classique (sur ce que fut l'éducation classique dans l'Antiquité, en Grèce et à Rome, il faut lire le beau livre magistral d'H.I. Marrou. Histoire de l'éducation dans l'Antiquité. Coll. «Esprit». Ed. du Seuil, 1948). Hilaire parle avec admiration et vénération des lettres écrites par Honorat. Il nous dit aussi que, devenu évêque d'Arles, Honorat prêchait chaque jour avec perspicacité et clarté, surtout lorsqu'il dissertait sur la divine Trinité. La vocation religieuse d'Honorat se manifeste très tôt et le désir du baptême semble lié à l'attirance qu'il éprouve pour la vie monastique. Et c'est ce renoncement au monde qui va entraîner l'hostilité de sa famille, en particulier celle du père qui voyait s'effondrer tous les espoirs placés en son jeune et brillant fils. Doit-on déduire de cette attitude que sa famille était païenne ? Cela n'est pas évident. Car le milieu où grandit Honorat était sûrement imprégné de christianisme. Sinon, comment son désir du baptême aurait-il pu se manifester si tôt ? D'après Hilaire d'Arles, le jeune Honorat n'avait à cette époque pas plus de douze ans. Son père chercha donc par tous les moyens à le détourner du baptême et tenta de le distraire par toutes sortes de divertissements : chasse, jeu de balle, course, saut, natation ). Mais ce fut en vain : Honorat tint bon et patienta jusqu'à l'adolescence. Il entama alors un catéchuménat qui dura trois années. C'est bien un tout jeune homme qui s'élance alors vers la vie religieuse. Son frère aîné, Venantius, se convertit à son tour. Et tous deux se mirent à pratiquer l'ascèse dans leur patrie, à Trèves. Dans leur demeure, dont ils ont hérité, et qui avait connu le faste et les brillantes réceptions, ils accueillaient les voyageurs et offraient l'hospitalité aux pauvres sur leurs propres terres. Ils cherchaient en tous points à mettre en pratique les préceptes de l'Evangile. Et ils y réussirent si bien que leur renommée se répandit et déborda la ville et la contrée, au point que, effrayés par leur propre gloire, ils décidèrent de fuir en vendant tous leurs biens afin d'en distribuer aux pauvres les bénéfices
Le voyage en Orient
Voici donc nos deux frères escortés par leur ami Caprais, quittant leur patrie pour échapper avant tout à une renommée encombrante qu'ils jugent contraire à leur esprit d'humilité. Où songent-ils aller ? Nul ne le sait. Ils recherchent d'abord l'obscurité dans un pays étranger. Rien ne nous dit qu'ils aient eu l'intention de gagner des contrées lointaines comme l'Egypte ou la Palestine, pépinières du monachisme oriental. Ils s'embarquent à Marseille pour rejoindre la Grèce. Hélas, Venantius y meurt. Et Honorat, malade, après ce séjour malheureux, revient en Occident afin de poursuivre son ascèse sous des cieux plus cléments. Après un bref séjour en Italie, où il noue des liens d'amitié avec les communautés chrétiennes du pays, il rentre en Gaule du sud pour s'installer à Lérins.
L'installation à Lérins
C'est par la route et à pied que Caprais et Honorat, cheminant sur la voie Aurélienne (la via Aurelia longeait la côte de Toscane et menait en Gaule), empruntent le vallon de Laghet, se désaltérant peut-être à la source au pied de laquelle s'élèvera au XVIIème siècle le sanctuaire marial de N.-D. de Laghet. Ils passent la nuit à Cimiez, alors grande cité romaine. Puis, reprenant la belle route tracée sous les oliviers, les pins et les chênes-lièges, ils franchissent le Var au gué de Saint-Christophe, et continuent vers Saint-Jeannet et Vence. Délaissant Antibes, grand port romain à l'époque, ils cheminent le long de la mer, puis remontent jusqu'à Vallauris, pour atteindre enfin le castrum qui, de la colline du Pézou, domine l'actuelle rade de Cannes. Honorat et Caprais sont saisis par l'admirable paysage. Baignant dans les eaux bleues de la Méditerranée, deux îles s'étendent à quelques brasses du rivage : Léro et Lérina. Suivant sans peine la voie Aurélienne, ils s'enfoncent dans les massifs boisés de l'Estérel, puis empruntant une voie étroite qui s'élève vers un col, entre le pic d'Aurelle et le pic du Cap-Roux, ils s'y arrêtent pour y passer la nuit. Ils aperçoivent des châtaigniers sous l'ombre fraîche desquels coule une source limpide. On peut aisément imaginer qu'ils trempèrent dans l'eau vive leurs mains et leur visage brûlé par le soleil, et qu'ensuite ils mangèrent des châtaignes et les fruits rouges des arbousiers selon la saison durant laquelle eut lieu leur voyage. Caprais connaissait sans doute les lieux. Cherchant un refuge pour la nuit, les deux pèlerins escaladèrent le pic du Cap-Roux. Presqu'au sommet, une excavation du rocher forme une grotte profonde où ils s'installèrent. Ils se mirent à prier. Lorsqu'ils achevèrent leur prière, la nuit était tombée, vivante de milliers d'astres. Elle leur faisait penser au désert. Ils s'endormirent dans la paix. Le lendemain, ils reprirent leur route, abandonnant avec regret ce lieu privilégié de parfaite solitude. Après une étape à Agay, ils atteignirent Fréjus, grande cité romaine militaire où ils s'arrêtèrent. Ils avaient une lettre de recommandation pour Léonce, le nouvel évêque qui dirigeait la petite communauté chrétienne. Hilaire d'Arles ne nous dit pas combien de temps Honorat et Caprais demeurèrent à Fréjus. Peut-être fût-ce plusieurs années, car Léonce avait besoin de missionnaires pour évangéliser la région. Par contre, nous savons qu'Honorat devint célèbre et que les foules accouraient de loin pour entendre sa parole. Mais cette célébrité lui devint pesante et pour finir intolérable. L'appel de la solitude retentissait en lui de façon de plus en plus impérieuse. Il fallut donc partir. La grotte du Cap-Roux, perdue dans le désert odorant du massif de l'Estérel, avec sa source au pied de la montagne, l'appelait. C'est là qu'avec Caprais il tentera de mettre en pratique les enseignements des Pères du désert. Honorat descendait parfois de la montagne pour exercer son apostolat auprès des pêcheurs du petit port d'Agay. Mais bientôt la grotte reçut la visite des quémandeurs. Il fallut donc partir à nouveau ! Mais où ? A Lérins, bien sûr, sur la petite île qui ressemblait à un désert. Honorat demanda à un pêcheur d'Agay de les conduire sur l'île. Ce fut la stupeur et un concert de lamentations : l'île était petite, inhabitable, sans eau, remplie de serpents. Mais rien de tout cela ne fit peur à Honorat ni à Caprais. Finalement, il se trouva un pêcheur assez courageux, -- ou assez inconscient ! -- pour accepter de les conduire à Lérina. Personne ne croyait qu'ils y resteraient plus d'une journée. La légende raconte que, lorsque Honorat posa le pied sur Lérina, celle-ci trembla ! Les serpents grouillaient partout. Honorat étendit les mains et invoqua le Christ. Aussitôt tous les serpents expirèrent en provoquant une odeur pestilentielle. Honorat se remit alors à prier. Le vent se leva et un raz de marée balaya l'île. Honorat et Caprais s'étaient réfugiés en haut d'un palmier. Quand la mer se retira, l'île était purifiée, le soleil brillait et dans les buissons chantaient les premiers oiseaux venus du continent. Mais passons de la légende à la réalité. Honorat et Caprais arrachèrent petit à petit les ronces, les salsepareilles, et bientôt abondèrent lentisques, cistes, genévriers et genêts. Honorat et Caprais bâtirent deux abris sommaires avec des pierres plates et des branchages, et ils reprirent la vie érémitique commencée au pic du Cap-Roux. Ainsi, peu à peu, dans l'absolue solitude de Lérins à peine troublée par le passage, de temps en temps, d'un pécheur qui apportait l'eau et quelques galettes de pain, offrande du petit peuple fidèle d'Agay, Honorat se préparait à la plus haute perfection, en compagnie de Caprais. Mais, comme il fallait s'y attendre, l'installation d'Honorat et de Caprais à Lérins provoqua un grand mouvement de curiosité sur tout le littoral. Et au grand désappointement des deux solitaires, se produisit le contraire de ce qu'ils avaient espéré : de plus en plus nombreuse la foule réapparut devant leur ermitage. Certains, parmi cette foule, touchés par l'exemple des deux moines, se construisaient un abri sur le rocher, quémandant humblement chaque jour un conseil pour se livrer à leur tour aux mortifications corporelles et à la purification de l'esprit, prélude au grand voyage vers les immensités intérieures où les happait l'irrésistible appel de Dieu. Peu à peu se constituait sur l'île, contre le désir des deux moines, ce type intermédiaire entre l'érémitisme et le monastère organisé : la laure, où chacun vivait seul dans son abri pour se retrouver le dimanche à la célébration de la synaxe eucharistique. L'évêque Léonce avait ordonné prêtre Honorat qui s'en était défendu en vain. Après avoir longuement prié, Honorat demanda conseil à l'évêque Léonce, et il se décida, à l'heure même où Cassien songeait à fonder à Marseille le grand monastère de Saint-Victor, à faire à son tour acte solennel de cénobitisme. Il grouperait autour d'une règle monastique commune inspirée des Pères, les hommes épris de Dieu et prêts à tout quitter pour son seul amour. Peu d'éléments permettent de fixer la date de la fondation du monastère de Lérins. La première mention remonte à Paulin de Nole, dans une lettre adressée à Eucher de Lyon entre 412 et 420. Aux environs de 427, Cassien parle à propos de Lérins d'une immense communauté de frères, ce qui laisse entendre que le monastère existait depuis plusieurs années. On situe généralement dans la deuxième décennie du Vème siècle l'installation d'Honorat sur l'île, donc vers 410. Les débuts de la vie monastique à Lérins. Pour désigner l'île d'Honorat, Hilaire d'Arles utilise à plusieurs reprises le mot désert selon une tradition qui remonte aux premiers moines d'Orient qui, dès le troisième siècle avaient choisi de vivre en solitaires dans les déserts égyptiens notamment. Ce mode d'existence fut révélé à l'Occident grâce à la Vie de saint Antoine composée par saint Athanase vers 357 et traduite du grec en latin vers 370-374 par Evagre d'Antioche. Mais si les déserts se peuplent de moines, vivant chacun dans sa cellule et se regroupant de temps à autre auprès d'un père spirituel, on sait qu'il existe aussi, dans tout l'Orient chrétien antique - Egypte, Syrie, Asie Mineure -- un autre type d'organisation monastique qui privilégie la vie en communauté et dont saint Pacôme fut le fondateur. De 358 à 379, Basile de Césarée, par exemple, fonde et gouverne des monastères auxquels il donne des Règles monastiques. Or, depuis 397, circule une traduction en latin de la rédaction primitive de l'oeuvre de saint Basile, le Petit Asceticon. Il est possible qu'Honorat ait connu cette version lors de son passage en Italie. Au moment où Honorat décida de s'installer dans l'île de Lérins, le mouvement monastique a atteint l'Occident. Saint Athanase exilé à Trèves en 336, puis à Rome en 341 l'a certainement fait connaître. Vers 360, saint Martin s'établit dans la solitude à Ligugé, près de Poitiers. Devenu évêque de Tours, il fonda un monastère à Marmoutier. En 382, Jérôme venu vivre à Rome auprès du pape Damase avait propagé l'idéal ascétique. En 386, un monastère naît à Milan. Enfin, Augustin lui-même, évêque d'Hippone, établit un monastère épiscopal où il vivait en communauté avec tout son clergé sous une règle stricte : ascèse faite d'obéissance, de continence, de pauvreté, d'humilité. Parmi tous les modèles de vie monastique il n'est pas facile de dire quel est celui que choisit Honorat. Au départ, c'est vers une forme de vie cénobitique que tous les indices nous orientent. Et nous avons vu qu'en 427 Cassien parle d'une immense communauté de frères. Le mot utilisé par Cassien est coenobium, qui désigne précisément un monastère où l'on vit en communauté, selon une règle. Honorat n'a jamais eu comme saint Antoine le désir de vivre dans un isolement complet. Il brûle, c'est vrai, d'être retranché du monde. Mais dès lors que d'autres hommes éprouvent ce même besoin, il ne les rejette pas. Et ce nombre devint suffisamment important pour justifier la construction d'une église et de bâtiments adaptés à l'habitat des moines. Le récit de saint Hilaire d'Arles, qui suit l'ordre chronologique, permet de penser que ces installations ont été réalisées très tôt. S'il y a eu une expérience de la vie érémitique pour Honorat, celle-ci n'a pas duré longtemps. Car le témoignage d'Hilaire montre bien qu'Honorat est toujours resté en contact avec les communautés chrétiennes auprès desquelles il s'était installé. Les liens noués en Italie avec le clergé, l'affection qui l'attache à l'évêque de Fréjus, sont autant de preuves de l'importance que Honorat a toujours accordée aux relations humaines. Et l'évêque Fauste de Riez, dans un passage de son sermon dédié à Honorat, nous dit : En vérité, ils ont été comblés de joie ceux qui ont eu le bonheur de vivre aux côtés d'Honorat, de manger avec lui et d'être soldats de Dieu sous sa discipline
Une structure verticale et hiérarchisée
Le renom du fondateur de Lérins a dépassé très vite les limites de la Provence et du sud de la Gaule. Le retentissement de Lérins, son rayonnement da pas tardé à susciter des vocations illustres : Hilaire d'Arles, Loup de Troyes, Hucher de Lyon, Vincent de Lérins, Fauste de Riez, Salvien de Marseille. Tous ont vécu dans l'île avant l'an 430 et parmi ces hommes qui venaient rejoindre Honorat, beaucoup étaient originaires du nord de la Gaule. Les textes d'Hilaire d'Arles et de Fauste de Riez parlent de la vie harmonieuse des membres du monastère regroupés autour de son fondateur. Les deux auteurs insistent sur le rôle essentiel que joue Honorat à la tête de sa communauté. Fauste de Riez insiste tout particulièrement sur sa fonction de pasteur attentif qui veille, en gardien vigilant de son troupeau, et qui lui montre le chemin de la vie éternelle. Chef spirituel, guide infatigable, tel Moïse il ouvre le chemin du désert et délivre ses frères de la servitude. Avec Caprais qui n'a jamais quitté Honorat, ils étaient comme les deux colonnes qui précédaient les fils d'Israël pour leur montrer la route. Mais Honorat, pasteur qui guide et protège son troupeau, évoque aussi le Christ lui-même : Je suis le bon pasteur, dit Jésus, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent (Jean 10, 14). Par la perfection de ses vertus, Honorat est l'image même du Christ. Ce rapprochement suggéré par Fauste de Riez est manifeste dans le sermon d'Hilaire d'Arles : Il a cherché à rejoindre Honorat celui qui a désiré le Christ, et vraiment c'est le Christ qu'il a trouvé, celui qui a cherché à rejoindre Honorat. Par sa douceur, c'est à l'amour du Christ qu'il invite tous ses frères. En aimant ses frères, il fait naître l'amour du Christ dans leurs cœurs. Inversement, ces hommes partagent un même amour pour Honorat. Il est le médiateur qui leur permet d'accéder à l'amour de Dieu. Ainsi Honorat, aimé de tous, n'occupe pas seulement une place centrale au milieu de ses frères. L'amour qui l'unit à chaque membre de la communauté s'exerce aussi selon une ligne verticale à l'intérieur d'une structure hiérarchique dans laquelle il occupe une place intermédiaire entre Dieu et les frères de la communauté monastique. Et cette structure se retrouve dans l'organisation de toute la vie communautaire. Honorat est appelé maître et père par les frères qui lui doivent obéissance. Cependant, Honorat dirige son monastère avec une autorité bienveillante. Pour changer ce qui avait besoin d'être corrigé, le plus souvent il changeait sa façon même de corriger, si bien qu'il suscitait autant d'amour que de crainte. Et les frères qui l'aimaient tant essayaient de ne point commettre de fautes. Et la crainte qu'il provoquait faisait naître l'amour de la discipline.
Discipline et Règle
Les moines étaient donc soumis à une discipline qu'Honorat se réservait le droit d'adapter à chacun. La première des exigences était l'obéissance, première vertu du vrai moine. L'autorité d'Honorat s'exerçait dans tous les domaines de la vie quotidienne : travail, sommeil, nourriture étaient selon Hilaire d'Arles, adaptés à la constitution physique de chacun. Honorat avait le souci d'apaiser les querelles qui pouvaient naître entre les frères, et de maintenir la cohésion de sa communauté. La soumission des moines à ses exhortations s'accompagnait en retour d'une sollicitude constante à l'égard de chacun. Honorat s'efforçait ainsi de rendre plus léger le joug du Christ, et de faire naître la joie dans le cœur des frères. Cette joie de vivre sous la discipline d'Honorat est mentionnée par Fauste de Riez dans un passage où il évoque la sainte Règle qui permet au monastère d'assurer sa solidité. L'emploi du mot règle ne suffit pas à attester l'existence, à Lérins, d'une règle monastique rigoureusement définie. Il peut s'agir simplement d'un ensemble de préceptes qu'Honorat a appliqués à Lérins. Cette règle ou ces préceptes tirés de l'enseignement des moines d'Egypte, semblent n'avoir jamais été formulés par écrit. Ce qui ne signifie pas que la Règle n'ait jamais existé. De toute manière, nous savons par Hilaire d'Arles et par Fauste de Riez, les principaux témoins de saint Honorat, que l'obéissance, l'humilité, l'égalité d'humeur, l'amour fraternel, le silence, les jeûnes et les mortifications, la célébration liturgique et la prière personnelle, la méditation et le travail manuel étaient de rigueur à Lérins, et que tout cela faisait office de Règle. Honorat fuyait la renommée, mais plus il la fuyait plus elle s'attachait à lui, et qu'il le voulût ou non, partout où il allait, la renommée l'accompagnait. Car, par l'exemple de ses vertus il régénérait tous les lieux où il séjournait. Partout, nous dit Hilaire d'Arles, il répand la manne et exhale le doux parfum du Christ. Son monastère était un phare, dont la réputation s'étendra très tôt à toute la Gaule. Il attirait une multitude de visiteurs, de pèlerins, et surtout des pauvres venus des régions les plus diverses. Honorat distribuait sans compter et parfois son trésor se trouva épuisé. Sa foi ne le fut jamais. Et Hilaire nous raconte qu'un jour le coffre ne contenait plus qu'une seule pièce d'or. Un pauvre se présenta, Honorat la lui donna et à Hilaire inquiet il dit : Puisque nous n'avons plus rien à donner, il est bien certain que quelqu'un est en route pour nous apporter de quoi pouvoir le faire encore. Effectivement, à la tombée du jour, un donateur se présenta. Avec la charité, le secret de la réussite d'Honorat était la joie. Tel fut Honorat, fondateur de l'abbaye de Lérins en Provence. Mais sa réputation allait lui jouer, une fois encore, un drôle de tour. A la mort de l'évêque d'Arles, il allait devoir quitter son île bienheureuse pour être, contre son gré, placé sur le siège épiscopal d'Arles.
Saint Honorat, évêque d'Arles
Honorat avait été ordonné prêtre malgré lui par l'évêque Léonce de Fréjus. Et lui qui avait toujours fait preuve d'une humilité exemplaire et souhaitait finir sa vie dans la solitude, la paix et même l'oubli, devait donc recevoir la consécration épiscopale pour siéger à la tête de l'une des plus importantes métropoles chrétiennes. Car, après qu'ils furent chassés de Trèves - ville natale de notre saint -, les empereurs constantiniens s'étaient installés en Arles, devenue, en 395, capitale des Gaules et de l'Empire. De ce fait, l'évêque d'Arles était le primat des Gaules. Plus tard cette fonction sera transférée à Lyon (encore aujourd'hui l'archevêque catholique de Lyon a le titre de primat des Gaules). Ce siège épiscopal était donc très important. C'est ce qui explique les luttes partisanes socio-politico-religieuses qui, hélas, entourèrent souvent l'élection de l'évêque métropolitain d'Arles. L'élection d'Honorat eut lieu par surprise et derrière son dos. Il n'avait même pas été consulté ! Aussi ne voulut-il pas de ce siège épiscopal. De plus, l'abbaye de Lérins n'était pas du tout décidée à laisser partir son Abbé. Hilaire déclara aux Arlésiens, sans y mettre de formes «Qui vous a donné le désir de posséder pour vous cet homme, au détriment de ceux à qui Dieu l'avait accordé en son désert» ? Bien entendu, ce désir provenait de la haute réputation d'Honorat, déjà considéré comme un saint et comme un organisateur de premier ordre. On savait aussi que c'était un homme de paix. Il ne réunit pourtant pas sur son nom l'unanimité des suffrages. Mais l'affaire fit grand bruit. Alerté, le pape, Célestin ler, qui n'avait aucun grief contre Honorat, écrivit en 428 à tous les évêques du sud-est de la Gaule pour leur demander qu'à l'avenir «un prêtre ne soit élu, venant d'une autre Eglise, que dans le cas où aucun clerc de l'Eglise à pourvoir ne serait jugé digne, ce que nous croyons, ne pouvoir se produire. Il faut réprouver le fait de préférer ceux des Eglises étrangères, ne pas faire appel à des étrangers de peur que l'on ne paraisse avoir établi une sorte de nouveau collège d'où seraient tirés les évêques». Or, c'est exactement ce qui allait se produire avec l'abbaye de Lérins, qui deviendra, aux Vème et Vlème siècles, la pépinière des évêques du sud de la Gaule. Honorat ne se rendit pas immédiatement aux Arlésiens. Il lui fallait réfléchir et prier. Et ce n'est qu'après de longs mois de tractations et de supplications qu'il accepta. Il savait que son œuvre de Lérins était solide. Mais il se savait aussi malade et en sursis. Il renonça à finir sa vie dans la paix de son île, et se jeta dans ce guêpier politico-socio-religieux de la métropole d'Arles, car il y aperçut finalement la volonté de Dieu de l'y voir rétablir la concorde et l'amour fraternel. Après avoir dit un adieu, (qu'il savait n'être pas un au revoir) à ses moines, il prit la route d'Arles. Mais Arles lui paraissait tellement redoutable qu'il emmena avec lui deux moines, Jacques d'Assyrie et Hilaire qui, lui, ne supporta pas la ville et s'en retourna promptement à Lérins. Quand Honorat s'assit sur le siège épiscopal d'Arles, il trouva les caisses du trésor pleines de richesses amassées par ses prédécesseurs. Le dernier, Helladius, était pourtant un moine. Honorat n'hésita pas et, nous dit Hilaire, «il exclut tout amas d'injustes richesses, et tout ce qui avait été accumulé sans but fut enfin affecté à des usages légitimes. Ceux qui étaient morts commencèrent à bénéficier de leurs trésors et les donateurs purent enfin éprouver les soulagements qu'ils avaient voulus en faisant leurs offrandes. Il ne réserva, pour l'évêché, que ce qui devait suffire aux nécessités du ministère». Alors la ville commença à respirer, et la concorde revint dans les cœurs. Honorat fit rapidement l'unanimité dans son diocèse. Mais l'effort fut énorme. Le 6 janvier 430, bien que faible, il voulut prêcher dans sa cathédrale. A son retour, il dut s'aliter.
La mort d'Honorat
A cette nouvelle, ses amis du diocèse d'Arles et de l'île de Lérins accoururent à son chevet, Hilaire en tête, qui nous dit «Leur douleur lui était plus pénible que la sienne propre». Et s'adressant à Hilaire lui-même il demanda «Pourquoi pleures-tu ? Est-ce pour cette loi commune à l'espèce humaine Faut-il que mon départ te trouve mal préparé, alors qu'il n'a pas pu me surprendre ?» Lorsqu'il entra en agonie, les corps constitués affluèrent, ainsi que le préfet en exercice et les anciens préfets, selon l'usage de l'époque. Le Saint ne manqua pas une si belle occasion de les chapitrer. Et, toujours grâce à Hilaire, nous possédons l'unique sermon qui ait été conservé d'Honorat : «voyez quelle fragile demeure nous habitons ! Si haut que nous montions, la mort nous en fera descendre. Vivez donc votre vie de telle façon que vous ne redoutiez pas le terme, et ce que nous appelons la mort, attendez-le comme un simple passage». Puis, après les avoir menacés de l'enfer, il rappela ce que fut sa règle monastique. «Il faut que l'esprit reconnaisse sa nature supérieure et livre combat aux vices charnels. Ce n'est qu'à ce prix qu'il conservera l'une et l'autre substance sans tache pour la paix éternelle». Enfin, il lança un suprême avertissement concernant tous les moines de l'avenir : «Que nul parmi vous ne soit prisonnier de l'amour excessif dit monde. Que personne ne s'abandonne aux richesses». Et il répétera avant de s'endormir dans la paix de la mort : «Que nul ne soit l'esclave de l'argent, que nul ne se laisse corrompre par la vaine apparence des biens terrestres. C'est un crime de faire un instrument de perdition de ce qui pourrait vous servir à acheter le salut, et de rendre esclave au moyen de ce qui pourrait vous reconquérir la liberté». Il se mit alors à parler de tous ceux qu'il avait aimés et chargea ses amis de leur faire parvenir un dernier message. Et à la demande du clergé, il désigna son successeur : Hilaire. Mais le moine ne rêvait que de retourner à Lérins, ne souhaitant rien moins que cette charge épiscopale. Honorat reposait maintenant, calme et détendu. Il se laissa envahir par une sorte de sommeil. Croyant qu'il allait mourir, ses amis le secouèrent. Il ouvrit un œil et leur dit malicieusement : «Je m'étonne que, me voyant si bas et sachant combien j'ai été longtemps privé de sommeil, vous ne puissiez seulement me laisser dormir !». Il se moqua d'eux avec tendresse, puis il se tut et entra dans le sommeil de la mort. Hilaire a ce mot étonnant : Alors sa vie s'éteignit presqu'avant sa bonté. La mort d'Honorat, très douce, sans combat, fut accompagnée de phénomènes étranges. A l'instant même où son esprit quittait son corps, au milieu de la nuit, de nombreux arlésiens réveillés furent frappés, par la vision du Saint que recevait une cohorte céleste. Tous se levèrent puis coururent jusqu'à l'évêché. «On aurait dit, note Hilaire, que tout le monde avait été réveillé par un avertissement des anges».
Les obsèques d'Honorat
Accompagné du peuple, le corps fut conduit à la cathédrale. Honorat était revêtu de ses riches habits épiscopaux qu'il n'avait jamais portés de son vivant ! En effet, épris de simplicité et d'humilité, il avait toujours préféré la bure du moine. Après la célébration dans la cathédrale, le corps fut transporté solennellement jusqu'au cimetière extérieur des Alyscamps. Alors une dispute éclata entre les prêtres de Saint-Etienne ( c'est-à-dire la cathédrale ) et les moines de Lérins, chacun revendiquant âprement l'honneur de porter le corps. Avant que ce dernier ne disparaisse dans le sarcophage de pierre taillée, la foule se précipita et lui arracha ses vêtements pour en faire des reliques. Quant aux reliques proprement dites, les ossements, elles eurent une longue histoire. Les moines de Lérins ne reçurent qu'un os. Plus tard, le corps du Saint fut déposé dans la chapelle de Saint-Genès des Alyscamps, puis dans l'église Saint-Honorat dès qu'elle fut construite. Il y demeura presque un millénaire. En 1390, des pillages firent craindre pour les biens d'Arles. L'Abbé de Ganagobie, dans le département actuel des Alpes de Haute Provence, qui en avait la garde, transporta les reliques du Saint chez lui. Mais, à cette époque médiévale, les reliques représentaient un tel trésor qu'il offrit à l'abbaye de Lérins de les récupérer, pensant qu'elles y seraient mieux en sécurité qu'à Ganagobie. Il ne posa qu'une condition, aussitôt acceptée, d'être admis comme moine à Lérins. Lorsque le 20 janvier 1391, les reliques arrivèrent à Lérins, l'abbé, Jean de Tournefort fit ouvrir le reliquaire. Au milieu des ossements un certificat en attestait l'authenticité. L'Abbé fit apporter l'os que possédait son abbaye, lequel, remis à sa place, s'adapta parfaitement. En 1788, les reliques furent distribuées au diocèse de Grasse. Comme on vient de le voir, le corps de St Honorat demeura longtemps en Arles, ce qui contristait beaucoup les moines de Lérins. Mais Fauste de Riez, un autre témoin de la vie d'Honorat, les en consola : «Ne croyons pas avoir quelque chose de moins du fait que la cité d'Arles revendique comme sa propriété les restes de ce corps. Qu'ils détiennent le réceptacle de l'esprit, le Corps, nous, nous conservons l'âme elle-même, en ses effets merveilleux. Qu'ils détiennent les os, nous les mérites. Honorat se souviendra de l'un et de l'autre lieu, mais il se doit à Lérins à un titre spécial. Car, s'il cultiva avec soin Arles, cette vigne du Seigneur, il a cependant planté le premier cette vigne, Lérins».
Les miracles de saint Honorat
Ecoutons le sermon d'Hilaire devenu évêque d'Arles, pour l'anniversaire de la mort de saint Honorat : «Que ta gloire est grande et illustre, Honorat ! Tes mérites n'ont pas eu besoin d'être illustrés par des miracles. Ta vie elle-même pleine de vertus, et exaltée par une admiration renouvelée, a servi en quelque sorte de miracle perpétuel. Nous savons tous, nous qui vivions auprès de toi, que les dons nombreux que Dieu t'a accordés ont tenu lieu de miracles. Mais, pour ta part, tu en faisais bien peu de cas, et tu te réjouissais bien plus de savoir tes mérites et tes vertus consignés par Dieu que de voir les hommes relever tes miracles. Et pourtant, quel plus grand miracle de la vertu peut-il exister que de fuir les miracles et de cacher ses vertus ? Et en vérité, ta prière était, pour ainsi dire, si familière aux oreilles du Christ, que tu as obtenu, je crois, par les supplications si ferventes, de ne pas voir des miracles proclamer ta vertu. La paix a aussi ses martyrs ; car aussi longtemps que tu as habité ton corps, tu as toujours été le témoin (rappelons que martyr vient d'un mot grec signifiant témoin) du Christ... Il n'y eut jamais sur tes lèvres que la paix, la chasteté, la piété, la charité. Il n'y eut jamais dans ton cœur que le Christ.. Ceux qui désiraient Dieu ont trouvé en toi un secours commun à tous». St Honorat avait l'habitude de rapporter à ses moines ses songes. Hilaire écrit à ce propos : «ils n'étaient pas prophétiques, ils n'étaient pas provoqués par quelque inquiétude pour l'avenir, mais ils étaient suscités par les aspirations d'une âme qui ne connaît pas le repos. C'est le martyre, sur lequel portait sans cesse ta méditation, que tu subissais, tandis que le Seigneur prenait plaisir, je crois, à faire naître en toi le désir, et c'était comme une persécution menée contre ta foi. En vérité, personne, je pense, ne peut nier que, pour subir le martyre, c'est l'occasion et non pas le courage qui t'a manqué». St Hilaire attribue sa conversion à St Honorat. Il n'en parle pas comme d'un miracle, et pourtant, nous pourrions y voir un miracle. Honorat, en effet, avait été averti par des amis venant de Trèves et de passage dans son monastère, qu'Hilaire et d'autres jeunes gens vivant encore à Trèves, menaient une vie de débauche. Hilaire était apparenté à Honorat. Dès qu'il entend cela, il ne rejette pas, malgré ses ennuis de santé, la perspective d'un long voyage. Il revient dans sa patrie, afin de sauver Hilaire. Mais, en ces années-là, Hilaire était attaché au monde et rebelle à Dieu. Honorat l'exhorte avec tout son talent à ouvrir son cœur à Dieu. Mais, nous dit Hilaire lui-même, «ses paroles pleines de piété ne pénétraient pas dans mes oreilles ... je résistais.. et faisais le serment de ne pas céder». Et cependant, par une vision presque prophétique Honorat lui prédit : «Ce que tu me refuse Dieu me l'accorde». Et Hilaire conclut : «C'est ainsi, oui, c'est ainsi que la prière d'un saint ramène les fugitifs, c'est ainsi qu'elle dompte les obstinés, c'est ainsi qu'elle soumet les rebelles». Fauste de Riez, lui aussi, a bien connu Honorat, en tant que moine à Lérins. Il en fait aussi l'éloge, non point en Arles, mais à Lérins. «En vérité, mes frères très chers, dit-il aux moines de cette abbaye, ils ont été comblés de joie ceux qui ont eu le bonheur de se trouver face à face avec cet homme angélique... Et celui qui se sera efforcé d'être l'héritier de ses mérites ici-bas, aura le bonheur d'être aussi un jour le cohéritier des faveurs qu'il a reçues... Or, alors qu'il s'était élevé au faîte de ses vertus, il n'a jamais pensé qu'il fallait mettre sa confiance en lui seul. Mais il avait pris comme assistant et collègue le bienheureux Caprais, et il s'en remit, pour tout ce quel avait à régler ou à exécuter, à l'examen et à la décision de celui-ci, comme à la plus juste balance du jugement. En sa compagnie, il a introduit dans ce désert la gloire du Christ et, tel Moïse en compagnie d'Aaron, il a établi un camp pour tous ceux qui sont destinés à marcher vers la terre promise... En effet, aussi longtemps que celui-ci, tel Moïse, a élevé ses mains saintes, ici, il a toujours sauvegardé l'invincibilité de son peuple contre Amaleq, c'est-à-dire contre le diable. Aussi, mes très chers frères ... gardons surtout l'orthodoxie de la foi ; croyons que le Père et le Fils et le saint Esprit sont un seul Dieu... Gardons l'esprit d'obéissance qu'il conseillait toujours plus particulièrement et avec plus d'empressement, car si un moine ne le possède pas, il est vraiment pauvre et nu. En effet, quand le premier homme eut manqué au devoir d'obéissance, il sut qu'il était nu... Gardons aussi l'humilité, la vraie». Fauste de Riez considère comme des miracles réalisés par Honorat le fait qu'il a, par sa foi, écarté le poison des bêtes venimeuses : l'île de Lérins était alors infestée de serpents. Et, non seulement, affirme Fauste, «il a marché sur l'aspic et le basilic, mais il a restauré chez beaucoup d'hommes l'image, peut-être déjà perdue, du Christ. Tantôt il changeait des bêtes sauvages en hommes, tantôt il changeait des hommes, pour ainsi dire, en anges». Car Honorat a mené un combat spirituel pour tuer les vices qui existent en l'homme. Et Fauste de poursuivre. «Celui dont je dois faire l'éloge mettait en fuite des esprit malins qui se tenaient cachés, non pas dans le corps, mais dans l'esprit et le cœur ... Il a ramené à la vie des cadavres qui ne possédaient plus ni esprit, ni âme ... S'il n'a pas redonné la vie fragile d'ici-bas, il a fait davantage en montrant le chemin de la vie éternelle. Fauste compare une fois de plus Honorat à Moïse. Car, tel Moïse dans le désert, Honorat sur son île désertique n'avait pas d'eau. Etant un bon sourcier, «il a fait jaillir du rocher aride une source d'eau douce, non seulement au milieu du désert, mais au milieu de la mer». En effet, sans eau, toute vie humaine eût été impossible à Lérins. Au début, les pêcheurs apportaient à Caprais et à Honorat l'eau du continent. Mais comment vivre nombreux sur cette île sans le miracle accordé par Dieu à St Honorat ? L'image de St Honorat que nous conserverons dans nos mémoires, est celle d'un pasteur doux et bienveillant, priant sans cesse pour son troupeau afin qu'aucune des brebis qui lui avaient été confiées par le Seigneur ne se perde ou ne s'égare. Si Honorat était tant aimé par tous ses moines, s'ils lui obéissaient si bien, c'est parce que lui-même savait être tout pour tous. Aussi rare était la discorde dans ce troupeau. Et pourquoi ne pas lui adresser cette belle prière composée par Hilaire ? «Souviens-toi donc, toi qui es l'ami de Dieu, souviens-toi sans cesse de nous, toi qui te trouves si pur auprès de Dieu, chantant le "cantique nouveau" et suivant l'Agneau partout où il va. Toi qui marches à sa suite, toi notre saint protecteur, l'interprète agréé de nos prières et notre solide défenseur, transmets-lui les supplications répandues auprès de ton tombeau par le troupeau de tes disciples. Obtiens que, dans une aspiration commune, nous méritions de respecter tes ordres et tes enseignements».
Marie Borrély (tiré de la revue "Orthodoxes à Marseille" N° 66 et 67)
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Message  Arlitto Lun 7 Mar - 15:17

VIE DE SAINTE MARIE L'EGYPTIENNE

Le péché

La racine du péché
«Du vivant de mes parents, à douze ans accomplis, je rejetai toute tendresse à leur égard et me rendis à Alexandrie...». Cette affirmation initiale n'est simple qu'en apparence. La confession de sainte Marie l'Egyptienne nous introduit en fait au cœur de cette énigme qu'est le péché en l'homme. La mention des «douze ans accomplis» n'est pas fortuite. Cet âge est celui d'un changement de statut social. L'enfant n'est plus considéré comme tel sans pour autant jouir de la totalité des prérogatives de l'adulte. Comme tous les changements, tous les passages de la vie sociale, l'acquisition d'une liberté neuve mais limitée est l'occasion d'une crise qui affecte non seulement l'adolescent mais aussi son milieu. Celui-ci doit désormais le reconnaître à la fois comme identique et différent.


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La mention de l'âge de douze ans renvoie aussi le lecteur au passage évangélique ou Jésus, à douze ans précisément, laisse s'éloigner ses parents sur le chemin de Nazareth, tandis qu'il demeure dans le temple de Jérusalem assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant : il doit être aux affaires de son Père ( Lc 2, 41-52).


Cette affirmation d'autonomie de la part d'un adolescent qui assume sa vocation est uniquement l'expression de sa volonté d'acquiescement au vouloir divin. Ce n'est en rien une rupture violente par rapport au milieu familial. Jésus accomplit toute la Loi, bien plus, en sa personne, il est la Loi. Il ne peut y avoir en Lui d'opposition entre le premier commandement du Décalogue et le cinquième : «honore ton père et ta mère» (Dt 5, 6-22 ; Ex 20, 1-17). Il est inséparablement la Gloire du Père qui l'a engendré avant les siècles et la Gloire et la fierté de tout Israël. Plus il est aux affaires de son Père et plus il est l'honneur de sa mère et de toute la lignée de David : «bienheureuses les entrailles qui t'ont porté et les seins que tu as sucés» (Lc 11, 27).

La péricope évangélique à laquelle nous nous référons montre que la prise de distance de Jésus n'est pas une rupture haineuse. C'est bien plutôt une conséquence de la mission confiée par le Père : la soumission qu'il doit à ses parents se situe à l'intérieur du cadre plus vaste de son acquiescement au vouloir divin. Elle en est l'icône. Marie, ainsi éclairée sur la profondeur de la relation qui l'unissait à son fils dans l'ordinaire de la vie quotidienne, gardait tout cela et le méditait dans son cœur. Dès lors, il leur était soumis, et cette soumission était la plus haute expression de sa liberté.
Marie l'Egyptienne a pris un parti bien différent. «A douze ans accomplis, je rejetai, dit-elle, toute tendresse à l'égard de mes parents». A la lumière du passage évangélique que nous venons de citer, il est aisé de comprendre la nature réelle de cette révolte. La racine de son péché est une rébellion profonde, non dite. Entrant dans l'âge adulte, elle ne remet pas sa jeune liberté à l'Auteur de la liberté pour acquérir une liberté plus grande. Elle ne veut pas comprendre qu'on ne possède réellement que ce que l'on a offert et que le mystère de l'obéissance oblative régit la vie trinitaire toute entière. Elle s'empare du privilège qui lui a été accordé, s'en fait la propriétaire. Elle use contre le Créateur lui-même de cette liberté qu'il lui a concédée et qui la constitue comme image de Dieu. Par cet acte intérieur (il s'agit de la convoitise [« Nos pères ont tous été sous la nuée... cependant ce n'est pas le plus grand nombre qui plut à Dieu... ces faits se sont produits pour nous servir d'exemples, pour que nous n'ayons pas de convoitises mauvaises, comme ils en eurent eux-mêmes» (1Cor. 10, 10)] au sens biblique et patristique) elle s'interdit l'action de grâces et rejette de fait le premier et le plus grand des commandements.
Elle se rend ainsi incapable d'accomplir celui qui le suit immédiatement et qui commande d'honorer son père et sa mère. Elle renie toute paternité divine, toute confession de la divine Providence, elle apostasie et renonce à entendre l'appel à la sainteté. Séparée de Dieu, elle perd logiquement toute tendresse pour ses parents : elle se coupe de la communauté humaine en laquelle sa vie prend son sens. Elle veut être l'unique artisan de sa propre aventure. Coupée de son histoire et de toute solidarité, elle est désormais seule. Elle n'est plus une personne mais un individu séparé. Elle a voulu ravir la liberté mais, dans cet effort illusoire et ruineux, elle n'a acquis qu'une pernicieuse autonomie.
On comprend ainsi que le péché de Marie l'Egyptienne n'est pas d'abord la violation de l'ordre moral ou social, mais bien une rupture de la communion avec Dieu qui la livre à elle-même, abandonnée à ses propres forces.

La révolte
Le péché en sa racine, cet état pécheur intérieur, donne naissance au multiples rejetons que sont les actes peccamineux. Ayant renoncé à rendre un culte au vrai Dieu, Marie l'Egyptienne n'en reste pas moins une créature spirituelle destinée à l'adoration, même si elle le refuse. La perversité de son intention l'amène donc à s'adorer elle-même. Désormais elle rend un culte à sa chair ou plutôt, par elle, recherche l'ivresse du plaisir, pauvre substitut à la béatitude promise aux serviteurs de Dieu. Renonçant à la dépossession de l'amour, elle s'abandonne à la possession du plaisir. «Satisfaire en tout temps le mouvement passionné de la nature, voilà ce qui faisait ma vie et en réglait la conduite».
Marie l'Egyptienne menait donc une lutte incessante. Car le plaisir voulu pour lui-même est, au moins dans les commencements, à la fois violent et fugitif. Mais au fil du temps, il perd de son intensité. La passion devient frustrante, elle requiert, pour satisfaire une sensualité toujours plus exigeante, la réitération des actes et une perversité croissante. C'est ainsi que Marie l'Egyptienne, dans son expérience de l'athéisme, subit l'esclavage des sens et de la passion. Sous prétexte de l'exercice de sa liberté, elle est dépossédée d'elle-même. Elle perd toute pudeur, donne libre cours aux dépravations, et recherche un nombre toujours croissant de partenaires.
On le voit, Marie l'Egyptienne expérimente l'enfer. Elle s'épuise dans une course effrénée contre la frustration que cette course même engendre. C'est ainsi que refusant le culte en esprit et en vérité qu'elle devait à Dieu, elle s'est de fait éloignée d'elle-même et est descendue par le péché au-dessous de sa nature. Dans son idolâtrie du plaisir sensuel elle est retournée à l'animalité. «L'envie insatiable, l'irrépressible amour de me rouler dans la fange me possédait». Sans s'en rendre compte, à ce jeu, Marie l'Egyptienne s'est désagrégée. Son corps n'est plus elle-même mais seulement l'instrument de son désir. Elle en fait ce qu'elle veut. Elle le possède comme un objet: «J'ai un corps, dit-elle, ils le prendront pour prix de la traversée».

Haine et envie
Mais les dommages qu'elle subit sont plus graves encore. Saint Sophrone nous montre Marie l'Egyptienne non seulement comme un animal, mais aussi comme un démon. Elle est devenue «le vase d'élection du diable» et, comme son maître, elle «rôde cherchant qui dévorer» (1Pierre 5, 8). Elle fait entrer en tentation, et ses procédés sont rigoureusement identiques à ceux du Mauvais qui l'inspire.
Tout commence par une sorte de liaison, Marie l'Egyptienne fait irruption, puis prononce des propos indécents, et enfin, pousse à rire. Après avoir obtenu ce premier accord non explicite, il est aisé de passer à l'acte. Cependant cette première victoire ne saurait la satisfaire. Ayant acquis par elle quelque emprise, la voici qui enseigne de nouvelles perversions, faisant expérimenter d'autres plaisirs. Ceux qui ont été attirés sont désormais subjugués et c'est ainsi que ces malheureux en viennent à se laisser contraindre à faire même ce qu'ils ne veulent pas. Ils sont réduits à un véritable esclavage. La servante du démon leur apparaît désormais comme un maître tyrannique.
Toute cette stratégie de Marie l'Egyptienne est au service d'une haine et d'une envie dont les raisons sont multiples, mais dont la première est sans doute, paradoxalement, son impuissance. Les hommes lui sont nécessaires pour assouvir sa passion, mais quel n'est pas son dépit de se voir dépendante du vouloir d'autrui, elle qui revendique sa totale libération. La nécessité où elle est de devoir séduire est le signe de sa faiblesse. Elle ne peut rien contre ceux qui ne lui cèdent pas ou même qui ne lui prêtent pas attention. Elle en vient seulement à être «offerte au peuple comme un combustible disponible à tous pour le feu de la débauche».
Mais sa haine des hommes s'accroît aussi, et peut-être surtout, parce qu'il subsiste en elle, et sans qu'elle se l'avoue, la nostalgie de la beauté spirituelle à laquelle elle a volontairement renoncé : elle veut «piéger l'âme des jeunes gens», comme si cette capture lui fournissait un aliment nécessaire. Elle mène l'existence misérable et pathétique d'un être déchiré entre l'attrait de la Beauté et l'incapacité d'y consentir. Marie l'Egyptienne fait l'œuvre du diable, lui qui «est homicide dès le commencement..., menteur et père du mensonge» (Jn 8,44).

La vie de pénitence

La conversion
«A ce qu'il me semble, Dieu voulait mon repentir, il ne veut pas la mort du pécheur, il attend patiemment et accueille de grand cœur la conversion». La conversion de sainte Marie l'Egyptienne a pour cause première la volonté divine. Dieu agit avec elle comme il a agi à l'égard de son peuple. Il a pour elle une patience qui est à la fois pitié, fidélité, tendresse. Sa pitié à l'égard de Marie l'Egyptienne est une bienveillance gratuite : il s'incline, consent, attend, se fait discret. Mais cette pitié s'accompagne de son irrévocable fidélité : jamais Dieu notre Père ne renonce à son dessein de salut. De cette manière se déploie une mystérieuse tendresse que la Bible n'hésite pas à qualifier de maternelle. Nul ne peut désespérer car son être même est inscrit dans la mémoire de Dieu : «Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ? Même si les femmes oubliaient, moi je ne t'oublierai pas» (Is 49, 15).
Mais il ne faudrait pas se laisser leurrer par le terme de tendresse que nous venons d'employer. Il ne s'agit en aucun cas d'un sentiment doucereux. La tendresse divine ne s'exerce qu'en vue du repentir (Sag 11, 24). La Sagesse utilise au profit de l'homme jusqu'à son péché. Dieu guérit du péché en le laissant agir (cette tactique est mise en œuvre dans la passion du Fils. Les circonstances de sa mort furent toutes déterminées par le péché des hommes. Jésus s'est librement livré aux mains des pécheurs et des impies, et ceux-ci ont fait de Lui ce qu'ils ont voulu. C'est ainsi que la mort a été prise au piège, que l'enfer a englouti Celui qu'il ne pouvait retenir captif, et a été contraint par la Sagesse divine de libérer ceux qu'il tenait enchaînés. Dieu a utilisé le péché, qu'il n'a certes pas voulu, pour que son Fils bien-aimé aime comme personne n'a jamais aimé) car il conduit inéluctablement le pécheur à la ruine. L'homme découvre ainsi le tort qu'il se fait en ne suivant que son désir (toute l'histoire du peuple d'Israël suit cette logique, elle est rythmée par la célébration de l'alliance à laquelle succède l'infidélité du peuple de Dieu et l'effondrement historique lié à ce péché. Le retour au Dieu sauveur est l'inéluctable conséquence du désastre. La célébration du renouvellement de l'Alliance inaugure une période de restauration).
C'est ainsi que Marie l'Egyptienne par l'impossibilité où elle est d'entrer dans le temple pour vénérer la divine et vivifiante Croix, instrument du salut universel, est mise en face de son excommunication de fait. Elle seule est empêchée et repoussée dans le parvis de l'église où elle ne peut que se réfugier dans un coin, symbole de l'impasse où elle s'est fourvoyée. Il faut du temps à notre héroïne pour comprendre que cette impossibilité ne vient pas de quelque faiblesse physique qui l'affecterait. Elle ne saurait en dire plus, incapable de connaître la cause de l'enfer qu'elle expérimente. Elle est une énigme pour elle-même, accablée par son effondrement : «J'en étais découragée, je n'avais plus de force, mon corps était brisé». C'est par pure grâce que lui seront accordés les prémices du salut. «Le Verbe Sauveur toucha les yeux de mon cœur me montrant que c'était la fange de mes actions qui me fermait l'entrée». Le Christ vient briser les verrous qui la tenaient captive en les exposant en pleine lumière. La voilà désormais libre.
La Lumière de l'Esprit-Saint inaugure en elle un saint deuil. «Je commençais à pleurer, à me lamenter, à me frapper la poitrine en gémissant du fond du cœur». Cette manière de parler n'est pas un artifice littéraire tout oriental. C'est bien plutôt la description d'un enchaînement spirituel logique dans le processus d'une pénitence authentique. L'irruption de l'Esprit a provoqué le brisement du cœur dont les larmes sont le signe. Les lamentations sont celles-là même d'Adam qui se voit désormais soumis à une condition mortelle, mais bien plus encore celles que l'on fait sur le cadavre que l'on est devenu.
Mais dans le même temps, ces larmes de componction se mêlent aux eaux vives de l'Esprit qui jaillissent en vie éternelle. C'est pourquoi lorsque Marie l'Egyptienne se frappe la poitrine, elle confesse qu'elle est pleinement responsable.
Elle désigne son cœur, non seulement comme la source véritable de ses iniquités, mais aussi comme le lieu où s'accomplit l'œuvre de l'Esprit. Le gémissement qu'elle ne peut s'empêcher de pousser est l'expression de son espérance contre toute espérance, appel inarticulé à la miséricorde divine.
L'action bouleversante du Sauveur qui envoie l'Esprit, l'Illuminateur, donne à Marie l'Egyptienne, dans l'impasse de sa solitude, les larmes du repentir. Mais ce n'est qu'un don préparatoire. A travers ces larmes qui lavent son regard, elle peut désormais discerner dans l'icône de la Mère de Dieu le signe de sa présence compatissante. Dès lors, (et c'est là le véritable bien spirituel), celle qui est maintenant une pénitente peut confesser explicitement sa faute à la Toute Pure. Retrouvant la parole, elle peut conclure avec elle un pacte, une alliance, où elle offre son propos de conversion contre l'assurance d'être secourue.
Et la montée vers la Lumière se poursuit. Tout lui est désormais montré puisqu'elle accueille «le feu de la foi comme quelque chose de certain». Les portes de l'Eglise, lieu du salut, lui sont ouvertes. Guidée par l'Esprit, elle peut voir le Bois vivifiant, la Croix du Fils, et comprendre comment le Père attend le repentir des pécheurs : «Celui qui n'avait pas connu le péché, Dieu l'a fait péché pour nous, afin que nous devenions par Lui justice de Dieu» (2Cor 5, 21). Elle contemple Jésus qu'elle persécute et comprend le mystère de la divine Economie.
On aurait tort de croire qu'il s'agit là seulement d'une saisie purement intellectuelle. Les verbes grecs employés désignent tous une connaissance impliquant une participation. Marie l'Egyptienne communie de tout son être de pécheresse pardonnée à l'amour qui la sauve.
Dans le mouvement même de la charité retrouvée, elle s'incline devant tous. Son péché n'a pas seulement été un refus du Ciel. Il fut tout autant une injure à la terre. De là provient son étonnement : «Comment la terre n'a-t-elle pas ouvert la bouche et fait descendre en enfer toute vivante celle qui prenait tant d'âmes dans ses pièges ? ». Elle comprend que tout a été créé pour elle et que, se détournant de sa vocation, elle a privé la création de son sens. Elle est coupable de tout devant tous. C'est pourquoi en signe de repentir, elle s'abaisse et vénère cette terre sanctifiée par les pas du Sauveur et qu'elle a offensée.
Dès lors, remplie d'action de grâces, elle retourne en hâte vers l'icône de la Mère de Dieu pour apprendre d'elle ce qu'il lui convient désormais de faire. La vérité de la conversion de sainte Marie l'Egyptienne se reconnaît à son obéissance exemplaire. L'obéissance de sainte Marie l'Egyptienne est un sacrifice (dont le prototype est celui qu'accomplit naguère Abraham (offrant à Dieu pour l'holocauste l'objet même de la Promesse : Isaac, son fils) et dont la source et l'accomplissement parfait se trouvent dans le sacrifice rédempteur du Fils unique : Lui qui «de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu, mais s'anéantit lui-même... obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la Croix» (Phil. 2, 68)) résolu de sa volonté propre sur l'autel de la Foi. Elle consiste d'abord en une attitude intérieure d'écoute attentive de la volonté divine, accompagnée d'une imploration sincère pour avoir la force de la mettre en pratique. L'action en découle naturellement. L'obéissance s'accomplit dans la foi, sans tergiversation inutile, et de façon décidée.
Le sacrifice de sainte Marie l'Egyptienne est accepté par Dieu. Réconciliée, elle est réintégrée dans la solidarité humaine : quelqu'un ayant vu son dénuement lui fit l'aumône de trois pièces de monnaie. Elle fait partie désormais de ces pauvres que Dieu aime et qui reçoivent tout de Lui. Elle comprend que ce qui est donné par charité est icône du don permanent que Dieu fait de lui-même. «J'emportai l'offrande qui m'était faite et j'achetai grâce à elle trois pains que je considérais comme un viatique de bénédiction».

Une vie de pénitence
Parvenue au bord du Jourdain, Marie l'Egyptienne inaugure son existence nouvelle par un acte liturgique, une célébration de l'Alliance. Priant dans le sanctuaire de saint Jean le Baptiste, elle communie à la Parole du prophète : «Préparez le chemin du Seigneur... toute chair verra le salut de Dieu... produisez donc de dignes fruits du repentir...» (Lc 3, 4-5 et 7). Puis elle accomplit la parole : baignant ses mains dans l'eau du fleuve elle reconnaît que son péché n'est pas une simple faute morale que l'on pourrait oublier mais bien une blessure qui doit être purifiée et guérie.
Mais, elle ne baigne pas seulement ses mains, elle plonge aussi son visage dans l'eau sanctifiée par Celui qui, pur de tout péché, daigna y être baptisé. Elle laisse ainsi s'exprimer son désir de recouvrer sa beauté spirituelle. Dès lors, elle peut communier au corps très pur et au sang précieux du Seigneur Jésus. Elle s'expose à l'action salvatrice du Fils de Dieu et redevient temple du Saint-Esprit. Ainsi s'accomplit la prophétie que le prophète Malachie adressait au peuple d'Israël : «Il entrera dans son sanctuaire le Seigneur que vous cherchez; et l'ange de l'alliance que vous désirez, le voici qui vient! dit le Seigneur Sabaot.. Il est comme le feu du fondeur et la lessive des blanchisseurs. Il siégera comme fondeur et nettoyeur Il purifiera les fils de Lévi et les affinera comme or et argent. Alors l'offrande de judas et de Jérusalem sera agréée de Yahvé comme aux jours anciens» (Mal 3, 1-4).
Ayant fait de Dieu son abri, elle demeure dans le monde comme n'en étant pas. Elle communie au Christ Sauveur et l'Esprit la pousse au désert, lieu de l'union transformante. Elle s'abandonne à l'action de Celui qui est seul à connaître et la profondeur de son cœur et l'étendue de son mal. Elle comprend et accepte que l'œuvre de sa régénération, déjà acquise en Dieu, ne s'accomplisse que progressivement puisqu'elle est encore dans le temps. Dans son obéissant désir, franchissant le Jourdain, elle fera l'expérience de la vie pénitente. Elle s'avance donc hardiment dans le feu du désert.
Dépouillée de tout appui humain, solitaire dans un milieu hostile, Marie l'Egyptienne voit inexorablement diminuer le peu d'autosuffisance qu'elle possède encore : les pains qu'on lui a offerts s'épuisent et le vêtement qu'elle porte s'use. La voici réduite à ne devoir sa subsistance qu'aux herbes du désert et à vivre nue. Sans abri, elle fait l'expérience de la vie de pauvre qui lui rappelle sans cesse et sa fragilité et sa dépendance. Elle n'a d'espérance qu'en Dieu seul. Elle comprend qu'Il élève les humbles. Elle grandit dans la Foi. Elle accepte de demeurer volontairement immobile sous l'action divine. Faisant taire tout raisonnement humain, elle a confiance. Sa vie présente en la chair, elle la vit dans la foi au Fils de Dieu ( cf. Gal 2, 20). Son existence dans ce lieu de mort et de désolation qu'est le désert est un miracle par lequel lui est donnée la crainte de Dieu. Il n'est pas ici question de peur mais plutôt du sentiment paradoxal de celui qui, tout en reconnaissant son néant, se sait aimé et garde fidèlement l'espérance d'être sauvé. L'authenticité de cette sainte crainte est vérifiée par l'obéissance (Dieu dit à Abraham :«je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m'as pas refusé ton fils unique» (Gen. 22,12)). Ainsi, espérance, foi, crainte de Dieu et obéissance sont les multiples aspects d'une attitude unique qui ne dit pas encore son nom et qui n'est rien d'autre que la charité.
Dans cette synergie avec Celui qui la conduit et la sauve, Marie l'Egyptienne est semblable à Israël au désert. La purification de son cœur a pour condition les contraintes de la vie risquée, mais elle ne s'accomplit que dans le combat contre les suggestions diaboliques. C'est pour cette lutte qu'elle a été conduite au-delà du Jourdain en ces contrées hostiles. Il faut que se révèlent au grand jour les puissances ténébreuses qui, bien que terrées depuis sa conversion, l'habitent encore après avoir régi sa vie. Elle les terrassera non par sa vigueur mais bien plutôt par sa faiblesse. Elle sera vainqueur par l'appui qu'elle prendra sur le Roc du Salut grâce à l'intercession de la Mère de Dieu. Prosternée à terre, elle obtient d'échapper au filet de l'oiseleur. Bien plus, par cette victoire qu'un Autre remporte pour elle, elle est transformée.
Quand l'assaut des tentations met en demeure Marie l'Egyptienne de se jeter à terre, elle confesse par son attitude sa condition de créature égarée. Telle est son humilité. Elle s'offre ainsi, dans l'immobilité, à une mystérieuse Lumière qui vient d'en-haut par grâce et qui est tout autant la réponse du Père à sa détresse que l'action du Christ sauveur, Lumière du monde ou le don de l'Esprit, l'Illuminateur qui purifie de toute souillure. Cette épiclèse accomplit le renouvellement de son être.
C'est ainsi que d'alliance en alliance, de hauteur en hauteur, Marie l'Egyptienne est guérie, purifiée, installée dans des dispositions stables pour la vie de charité, d'union à Dieu. Communiant au seul qui est Saint, elle n'a plus de vie, de repos qu'en Lui. Il est l'objet unique de son attention. Rien n'a d'intérêt qu'en Lui. Marie l'Egyptienne, pauvre de tout, riche de Dieu, recouvre sa virginité spirituelle et redevient elle-même, telle que Dieu l'a désirée avant la création du monde.
Le temps passé au désert dans cette lutte spirituelle se compte en années. Dix-sept ans. Une durée égale à celle où elle a vécu dans la débauche.

La vie en Dieu
Marie l'Egyptienne entre dans ce que l'on peut considérer comme la troisième étape de sa vie spirituelle (si l'on peut employer ce langage). Purifiée par la solitude, la nudité, les dangers encourus, elle accepte de ne devoir son existence qu'à une grâce dont elle se sait indigne. Accoutumée à devoir supplier pour tout, elle vit pour Dieu et demeure en Lui. On n'insistera jamais trop sur le caractère concret de cette communion à Dieu dans laquelle progressivement elle se détourne de la préoccupation de soi et en vient à aimer Dieu pour Lui-même. Elle Lui parle dans la chasteté d'une charité véritable. Objet de la grâce divine, initiée à la communion avec Dieu, elle est le trésor que Dieu a caché au désert.
Dans cet acte apparemment fou qui consiste à se renier soi-même aussi totalement (et qui devrait la conduire à une mort certaine) Marie l'Egyptienne trouve la vraie vie. Elle fait l'expérience de la foi et, par la foi, est introduite dans le mystère d'une existence eucharistique. Elle voit et comprend de quelle façon mystérieuse seule la bénédiction divine lui permet de subsister dans un monde si hostile. Elle habite un permanent miracle. Elle est tout entière revêtue de l'Esprit. Le Père qui la protège Le lui confère. I'Esprit l'inspire et la conduit à la Vérité tout entière. Par Lui, elle est initiée à la Parole de salut. Elle est introduite dans la connaissance des Ecritures sans qu'elle ait jamais appris les lettres. Elle est théodidacte, enseignée par Dieu. Communiant à la Parole, Marie l'Egyptienne devient compagne de vie du Verbe de Vérité. Dans cette union mystique elle trouve désormais nourriture et protection. Dans la Présence du Père, elle est conduite par l'Esprit au Sauveur crucifié et glorifié, et reçoit de Lui, en retour, une participation accrue à la grâce de ce même Esprit-Saint. Prise ainsi entre les deux mains du Père, elle est le lieu docile où peut s'accomplir le désir divin exprimé dans le secret trinitaire: «Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance» (Gen 1, 26). C'est ainsi que Marie l'Egyptienne vit dans la communion trinitaire dès ici-bas. En cette existence eucharistique, elle devient ce qu'elle contemple. Encore sur terre, elle ne vit que du Ciel. Elle confesse que la grâce de l'Esprit suffit à conserver dans son intégrité l'être de sa personne. Cependant comme son passage sur l'autre rive n'est pas encore accompli, elle reste affamée et assoiffée de la communion au corps même et au sang même de son Seigneur et Sauveur.
Cet élan spirituel qui conduit Marie l'Egyptienne de commencements en commencements ne lui confère en rien l'assurance d'avoir gagné un havre de salut. Bien plutôt, malgré la permanence des prévenances divines, Marie l'Egyptienne demeure consciente de sa faiblesse. Elle sait que tout se joue dans le mouvement oblatif de sa liberté. Elle confesse sa condition de créature, poussière et cendre, pécheresse protégée par le rempart du Saint Baptême. Son identité profonde, même dans cet état spirituel élevé n'est jamais que celle d'une pécheresse pardonnée. C'est pourquoi elle se confie en tout à sa sainte protectrice, à Celle qui se porte garant de la vérité de sa conversion devant le Christ Sauveur. La très pure et toute bénie Mère de Dieu ne cesse de l'accompagner de sa sollicitude maternelle et de la conduire par la main sur le chemin étroit de l'obéissance aimante.
Non contente d'implorer encore le secours du Ciel, elle supplie aussi abba Zossima qu'elle a rencontré par la volonté divine d'intercéder pour elle afin de trouver grâce au jour du jugement. Même ornée des charismes les plus étonnants, elle ne se considère pas comme spirituelle. Elle se tient devant Dieu et devant toute créature dans une pieuse crainte. Amenée par Dieu à confesser ses errements passés, elle redoute que cette évocation ne fasse resurgir malgré elle des tentations dont elle n'a sûrement pas l'orgueil de croire qu'elle peut les vaincre à nouveau. Elle craint parce qu'elle sait la Puissance du Malin, aussi habile à duper l'intelligence qu'à utiliser la mémoire : le récit de sa confession pourrait comporter des dangers tant pour elle que pour d'autres. Et sa délicatesse est telle qu'elle craint même, en faisant le récit de ses turpitudes, de salir l'air. Elle sait quel drame le péché des hommes constitue pour eux et quelle catastrophe il entraîne pour le cosmos.
Qu'on n'aille pas cependant croire que Marie l'Egyptienne, vivant en Dieu, est en proie à une perpétuelle terreur. La crainte que nous venons d'évoquer s'exerce toujours dans le cadre de la communion aimante. Car si Marie l'Egyptienne, comme les trois jeunes gens dans la fournaise, vit consciemment au milieu des dangers, elle sait aussi quelles sont ses armes de salut. Outre la protection de sa Garante, elle est munie du signe de la divine et vivifiante Croix qu'elle a vénérée à Jérusalem. Par le signe de la croix, elle foule les flots du Jourdain pour aller communier à son Seigneur. Par le signe de la croix, elle scelle son front, sa bouche et sa poitrine pour les fermer à l'Adversaire. Par le signe de la croix elle connaît l'humble assurance de ceux qui sont sauvés par grâce.
Ainsi donc communiant à Dieu, comme nous l'avons dit, elle a part à l'élan de l'Esprit vers le Père. Sa synergie aux gémissements ineffables de l'Esprit est telle qu'elle est soulevée de terre lorsqu'elle s'adresse à Dieu. L'ascèse du désert et la grâce divine ont rendu à son corps sa légèreté spirituelle, c'est pourquoi elle peut traverser le Jourdain en marchant sur les eaux. Sa douceur aux motions de l'Esprit, son ardente obéissance lui font parcourir en une heure la distance qu'abba Zossima mettra vingt jours à franchir.
Mais le don de l'Esprit ne consiste pas seulement en cet accomplissement de sa personne. Cette perfection ne serait rien si elle n'était mise au service de la vocation de tout homme à entrer dans l'intimité divine. Tout ce travail solitaire de régénération trouve sa perfection dans le mouvement apostolique de son cœur. Marie l'Egyptienne mène une vie angélique, unissant étroitement le service de la liturgie céleste et celui de la divine philanthropie. L'amour de Dieu ne saurait se diviser, opposer le premier commandement au second. De fait, Marie l'Egyptienne a fait siennes les pensées et les volontés divines. C'est pourquoi, rencontrant abba Zossima, elle commence d'abord par s'inquiéter des affaires de l'Eglise, de l'empire, de la vie des chrétiens. Il ne s'agit pas là d'une vaine curiosité mondaine, mais du désir aimant de voir la paix divine s'étendre à toute créature.
Habitée par l'Esprit-Saint, elle a le cœur pur. Elle sonde les cœurs et les reins. Elle connaît les pensées cachées et perçoit chacun dans la lumière de Dieu. Sans l'avoir jamais rencontré, Marie l'Egyptienne connaît le nom et la dignité sacerdotale d'abba Zossima. C'est dire qu'elle a une juste perception du mystère de sa vocation personnelle. Elle peut contempler en lui le nom prononcé de toute éternité par le Père dans le sein de la sainte Trinité et qui le constitue. Elle voit la place assignée par Dieu à abba Zossima dans le corps du Christ qu'est l'Eglise et lui transmet avec autorité, de la part de Dieu, des recommandations et des directives. Cela ne l'empêche pas d'accepter de lui les services voulus par Dieu, et de donner tous les signes de la soumission à son autorité sacerdotale.
Mais ce qui constitue son œuvre apostolique est bien moins ce qu'elle transmet de la part de Dieu, que son être même transfiguré par le don de Dieu et le récit des merveilles accomplies en sa faveur. Elle montre à abba Zossima qu'il est encore bien éloigné de la perfection mais surtout avive en lui le désir d'avoir part à l'Esprit qui confère un tel accomplissement et une telle beauté spirituelle.
Après la mort de la sainte, et jusqu'à nos jours, beaucoup trouveront dans cette confession, mieux qu'un exemple, une assistance. Et cette aide, ce renouvellement de leur courage dans l'élan vers Dieu, les remplit d'étonnement et d'émotion de sorte qu'ils gardent toutes ces choses et les méditent dans leur cœur. Tel est le stade qui nous est ouvert maintenant.

Extrait de l'introduction écrite par le hiéromoine Nicolas Molinier pour sa traduction de la «vie de Ste Marie l'Egyptienne composée par Sophrone archevêque de Jérusalem», et éditée par le monastère St Antoine -le-Grand (Font-de-Laval 26190 St Laurent-en-Royans France), métochion de Simonos Petra.

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Message  Arlitto Lun 7 Mar - 15:18

LA VIE DE SAINT SPYRIDON
Traduit des éditions "Vies des Saints" de l'Archimandrite Vassilopoulos
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Le berger de Chypre
C'est en l'an 270 que naît Saint SPYRIDON, dans la très belle île grecque nommée Chypre. Ses parents sont bergers et le jeune Spyridon devient lui-même berger des troupeaux de la famille. L'instruction n'était pas chose facile à cette époque, mais Spyridon apprend à lire car son grand désir est de pouvoir lire les Saintes Ecritures. II veut apprendre ce que Dieu attend de l'homme et ce qu'il faut faire pour être sauvé. II avait compris très tôt l'importance de l'âme.
Comme le bétail est abondant, il a sous ses ordres plusieurs autres bergers. Chaque Dimanche, ils vont à la liturgie à tour de rôle et en hiver, lorsque le vent et la pluie les en empêchent, Spyridon, assis avec les autres bergers autour du feu, parle de sujets utiles à l'âme, car il veut que ses amis s'approchent aussi de Dieu et soient sauvés.
Avec l'aide de Dieu, il devient doux, sage et mesuré. II se marie et devient père de deux enfants. Sa femme quitte soudainement ce monde. Alors Spyridon se consacre davantage à servir Dieu et à la demande de tous il devient prêtre, en s'efforçant d'acquérir toutes les qualités d'un véritable prêtre de Dieu : désintéressé, sage, paisible et hospitalier, doux, indulgent, bon père de famille et sans rancune comme le démontre l'histoire qui suit.
Un soir, des voleurs viennent à la bergerie pour dérober des moutons ; mais aussitôt entrés, une force invisible les cloue sur place jusqu'au matin où Saint Spyridon les trouve ainsi. Il prie Dieu de les libérer et aussitôt les voleurs peuvent à nouveau bouger. Il choisit alors un mouton et le leur offre en disant : "Vous devez être épuisés , prenez ce mouton pour vous restaurer et avec la grâce de Dieu allez et ne volez plus".
Par la suite il reçoit de Dieu les dons de miracle, de guérison et d'exorcisme. Un grand nombre de ses premiers miracles ont été sauvés par la tradition et sont cités dans son tropaire.
Berger des hommes
Lorsque l'évêché de Trimythonte reste sans évêque, c'est Saint SPYRIDON, qui, à la demande de tous, occupera cette place. Devenu évêque , il reste simple et humble. Pour fortifier la foi des fidèles, il visite tout son évêché à pied, refusant tout autre moyen de transport. A tous ses enfants qui déplorent cet excès de fatigue, il répond : "Pour un berger qui avait l'habitude de courir derrière son troupeau, la marche est un jeu d'enfant."
Dieu fait de nombreux miracles par Saint SPYRIDON. Ainsi, losqu'une sécheresse totale s'abat sur l'île de Chypre, la population est décimée ; hommes et bêtes meurent, rien ne peut arrêter ce fléau. Saint SPYRIDON, saisi de compassion, adresse une prière ardente à Dieu, le suppliant d'arrêter la sécheresse. De gros nuages noirs viennent alors couvrir le ciel, et pour que tous comprennent qu'il s'agissait d'un miracle de Dieu ces nuages restaient suspendus au-dessus de la foule assemblée autour du Saint, sans qu'une seule goutte d'eau ne tombe. Saint SPYRIDON intensifie sa prière, versant des larmes ardentes et aussitôt une pluie bienfaisante arrose toute l'île.
En exil
A l'époque de Maximilien Galère, de grandes persécutions se soulèvent contre les chrétiens on ferme les églises, on tue et on exile les prêtres. Saint SPYRIDON est exilé en Cilicie, condamné aux travaux forcés et marqué au fer, comme tous les autres prisonniers. Ces conditions d'exil durent huit ans, jusqu'à l'avènement de l'empereur Constantin le Grand. Alors, il est libéré, avec tous les autres.
Le peuple en joie l'accueille à son retour dans l'île et ce jour est marqué par un nouveau miracle : les veilleuses de l'église, restées longtemps vides, s'emplissent d'huile et s'allument miraculeusement.
La cruauté du riche
Une autre année, le mauvais temps s'abat sur l'île. Toutes les récoltes sont détruites et les pauvres n'ont plus rien à manger, tandis que les gens aisés de l'île, qui ont des réserves dans leurs celliers, vivent dans l'abondance.
L'un de ces pauvres, père de famille, n'en pouvant plus de voir ses enfants affamés, va supplier à genoux un riche de la ville de lui prêter un peu de blé. Le riche ne le regarde même pas, et dans sa grande douleur, ce pauvre père va chercher un peu de consolation auprès de Saint SPYRIDON. Celui-ci ayant écouté son récit, lui dit : "Ne t'inquiète pas, demain tu auras tout ce dont tu as besoin pour nourrir ta famille et ce riche sera tourné en dérision. "En effet, la nuit-même, un orage terrible éclate et la pluie torrentielle emporte tout sur son passage. Les celliers du riche son inondés et l'eau dans sa fureur entraîne au dehors toutes les provisions. Le lendemain matin les rues sont couvertes de blé et tous ceux qui sont dans le besoin n'ont qu'à se baisser pour ramasser la quantité qui leur est nécessaire pour se nourrir, tandis que le riche ne peut que regarder, impuissant, son trésor s'évanouir devant lui.
Le serpent d'or
Une autre fois, un ami de Saint SPYRIDON se trouvant en grande difficulté et n'ayant pas d'autre solution, va trouver un homme riche pour lui demander un prêt. Mais le riche exige un gage. L'homme n'ayant rien qui puisse servir de gage, va se confier à Saint SPYRIDON. Celui-ci l'écoute attentivement, le réconforte et lui promet de faire tout ce qu'il pourra pour l'aider. Le lendemain en effet, il remet à son ami un très bel objet d'or en forme de serpent, à déposer en gage. Le riche voyant cet objet de valeur, prête sans difficulté à l'homme ce qu'il demande. L'année suivante, cet homme ayant pu réunir la somme empruntée, rembourse le riche et reprend le serpent d'or qu'il rend à Saint SPYRIDON. Celui-ci en prenant le serpent d'or dit à son ami avec un sourire amusé : "Allons maintenant ensemble remettre cet or à Dieu Qui, dans Sa grande miséricorde, nous l'avait prêté." Ils marchent en silence un bon moment. Arrivés près d'un joli bosquet, le saint dépose l'objet à terre, lève les yeux au ciel et prie ainsi : "Seigneur et Maître, remets-le comme il était afin que Ton Nom soit glorifié et que celui qui m'accompagne voit de quel soin tu nous entoure, nous hommes mortels."
Alors, l'or perd lentement son éclat et l'objet commence à bouger, en effet, redevenu serpent, il regagne en vitesse sa cachette d'où le Saint l'avait tiré. Encore tout émerveillé, l'ami se jette à terre et remercie, ému jusqu'aux larmes, le Seigneur de lui avoir montré Sa puissance.
Pour sauver un innocent
Un bon chrétien, ami du Saint, est condamné à mort à la suite de fausses accusations. Toujours prompt à secourir les infortunés, le Saint se mit en route pour aller délivrer l'innocent. Mais c'était en plein hiver et le cours d'un torrent tumultueux lui barra le passage. Le Saint alors prie Dieu de Lui venir en aide pour voler eu secours de l'innocent et le torrent, à sa prière, stoppa sa course pour laisser passer le Saint.
II fait un miracle au premier Concile Œcuménique
En 325, le saint empereur Constantin le Grand convoque 318 sages et saints pères de l'Eglise pour combattre l'hérésie d'Arius qui enseignait que le Christ n'est pas Dieu mais une de Ses créatures.
Dans le camp d'Arius, se trouvent Eusèbe de Nicomédie, Théogène de Nicée et Macaire de Chalcédoine et face à eux, des évêques et des prêtres dignes d'un profond respect, dont quelques colonnes de la foi orthodoxe, lumières de l'Eglise. Parmi eux, Saint SPYRIDON, écoute avec attention le discours foudroyant d'Arius ; cet exposé alliait une grande culture philosophique au feu de l'éloquence.
Les pères démontrent avec ardeur les erreurs de l'imagination d'Arius. Mais à ses côtés, il y a un philosophe arien enflé d'orgueil qui lance un défi aux orthodoxes, invitant quelqu'un parmi eux à venir se mesurer à lui dans une discussion sur la Sainte Trinité : son exposé est fulgurant, ses arguments et sa verve rendent toute discussion impossible et ne laissent aucun temps pour répondre.
Saint SPYRIDON comprend que c'est son heure. Alors que tous parlent encore avec fièvre, il s'avance et dit : "Viens philosophe et discutons ensemble". Les autres Pères le sachant pur et vertueux mais sans grande instruction, essaient de l'en dissuader afin qu'il ne soit pas ridiculisé par le philosophe. Mais le Saint bien déterminé, regarde le philosophe bien en face et lui dit :"Au nom de Jésus Christ, écoute-moi."
"Parle", lui répond le philosophe. Alors Saint SPYRIDON affirme avec calme et simplicité : "Trois sont les personnes de la Sainte Trinité, le Père, le Fils et le Saint Esprit, un est Dieu. L'intelligence humaine est trop petite pour comprendre l'immensité de la Divinité."
Veux-tu maintenant voir ce que tu ne peux saisir intellectuellement ? Regarde, dit-il en sortant une tuile de sa poche. Si je te demande combien d'objets je tiens dans la main, tu me répondras : un seul. Et pourtant, voici la preuve que ce que tu crois être un ne l'est pas". Faisant alors le Signe de croix, il dit : "Au nom du Père" et à ces mots, à la stupéfaction générale une flamme s'élève, de la tuile qu'il tient dans sa main, vers le ciel ; la flamme qui avait cuit la tuile. Le saint, rempli de la Grâce de Dieu, continue humblement : "Et du Fils"... de l'eau s'échappe de la tuile et tombe à terre... "Et du Saint Esprit". Dans la main du saint, il ne reste plus que la terre. "Trois", dit-il, "étaient les éléments qui composaient cette tuile et pourtant, ils ne faisaient qu'un. Ainsi en est-il de la Sainte Trinité".
Le fameux philosophe reste un temps sans voix, puis il dit à Saint SPYRIDON : "Je crois et je confesse, saint homme, tout ce que tu as dit". Et s'adressant à Arius et à ses amis, il les cita à faire de même. Ainsi le Concile se termine dans la joie pour les Pères de l'Eglise, à la grande confusion des Ariens.
La morte répond
De retour à Chypre, Saint SPYRIDON apprend la mort subite de sa fille Irène. Une voisine très embarrassée vient un jour lui dire qu'elle avait confié à Irène un bijou de valeur dont elle a grand besoin. Le saint cherche dans toute la maison sans rien trouver. Alors il se rend au cimetière accompagné de cette femme et de quelques voisins. Là, se penchant sur la tombe de sa fille, il lui demande, comme si elle était encore en vie : "Irène, mon enfant, où as-tu mis ce que cette femme t'a confié ?" et celle-ci lui répondit d'une voix distincte où se trouvait le bijou. Après avoir demandé à sa fille de se rendormir jusqu'au jour de la Résurrection, le saint rentre chez lui et trouve, en effet l'objet à l'endroit que sa fille avait indiqué. Les témoins de ce miracle, stupéfaits, se signèrent en rendant grâce à Dieu pour le don que le saint avait reçu.
Le songe de Constance
A la mort de Constantin le Grand, ses deux fils se partagent l'empire : Constance hérite de la partie orientale de l'empire et manifeste ouvertement de la sympathie pour l'arianisme. De séjour à Antioche, il est atteint d'un mal dont aucun médecin ne peut le délivrer. S'en remettant à Dieu, Constance Le prie chaque jour humblement et avec foi pour sa guérison. Une nuit, il fait un songe. L'ange du Seigneur lui montre une assemblée d'évêques, au sein de laquelle deux hommes semblent particulièrement honorés, et lui dit : "Seuls ces deux évêques peuvent te guérir." II se réveille stupéfait, avec le souvenir de ces visages, sur lesquelles l'ange n'avait pas mis de nom. Il décide de convier à Antioche tous les évêques de son empire mais il ne découvre parmi eux les deux évêques de son rêve. En s'informant, il apprend que les évêques de l'île de Chypre étaient absents et les fait convoquer.
Saint SPYRIDON accompagné de Trifillios, son ami et disciple, arrive au palais d'Antioche. Là un domestique, voyant la pauvreté de leurs habits, les chasse à coups de bâton les prenant pour des mendiants. Lorsque peu après, ils se font reconnaître, le domestique implore à genoux le pardon... qu'il reçoit aussitôt.
L'empereur reconnaît aussitôt en SPYRIDON l'un des évêques de son rêve, tandis que le visage de Trifillios lui est étranger, (encore très jeune celui-ci ne deviendra évêque que beaucoup plus tard). II se précipite alors aux pieds de Saint SPYRIDON, implorant la bénédiction de celui qui, seul, peut le guérir. En effet, dès que le saint touche la tête de l'empereur, sa maladie disparaît. Le saint l'engage alors de préserver la santé de son âme par la fidélité à l'enseignement orthodoxe et par la bonté envers ses sujets.
L'enfant mort
En sortant du palais le saint, accompagné d'Artémidore, un ami diacre, accepte l'hospitalité d'un notable d'Antioche qui le prie de venir chez lui manger et dormir. Une femme étrangère vient alors l'y trouver. Elle ne parle pas le grec et tient dans ses bras son enfant mort. En pleurant, elle le dépose aux pieds du saint attendant manifestement un miracle. Rempli de compassion, le saint hésite cependant à formuler une telle demande à Dieu. II se confie à Artémidore qui, le voyant indécis lui dit : "Dieu semble écouter ta prière, reçois donc les supplications de cette femme et demande à Dieu de rendre la vie à son enfant. Tu as guéri l'empereur et tu abandonnerais les pauvres ?" Le saint se met alors à genoux, sa prière fervente s'élève vers Dieu du fond du cœur. Les larmes coulent de ses yeux tandis qu'il demande au Seigneur de ressusciter l'enfant pour le bonheur de sa mère. Dieu entendit sa prière et l'enfant reprenant vie se tourne vers sa mère qui pleurait ; celle-ci le voyant revivre perd connaissance et meurt à son tour.
Artémidore alors insiste auprès du saint : "Continue" le supplie-t-il, "l'enfant ne doit pas rester orphelin !" Le saint s'approche de la femme morte et dit : "Au nom du Seigneur, lève-toi". Alors elle se met debout, elle remercie Dieu, prend son enfant et s'en va. Saint SPYRIDON demanda alors au diacre et à sa femme de ne rien ébruiter de ces évènements aussi longtemps qu'il serait en vie.
La chèvre volée
De retour à l'île de Chypre, un marchand de bétail vient trouver le saint pour lui acheter quelques chèvres. Après avoir convenu du prix de chaque bête, le saint invite le marchand à aller les chercher dans la bergerie. Celui-ci, voyant que le saint ne le surveille pas, se dit qu'il a devant lui l'occasion rêvée pour s'offrir une petite chèvre de plus pour le même prix... ce qu'il fait. Quelques mètres plus loin, la chèvre volée s'échappe et retourne à la bergerie. Le marchand vient la reprendre, mais la chèvre récidive. La troisième fois, le saint qui avait tout compris lui dit : "Mon enfant, est-ce parce que tu as oublié de la payer qu'elle ne veut pas te suivre ?" Stupéfait le marchand avoue et paie la chèvre supplémentaire qui le suivit alors sans problème.
Le diacre orgueilleux
Un soir, le saint arrive au village d'Erythra. Exténué par une longue marche, mais désirant assister aux vêpres avant de s'accorder du repos, il entre dans l'église du village et prie le diacre d'accélérer un peu le rythme de son chant. Mais le diacre qui était amoureux de sa belle voix n'en finissait pas de s'admirer en s'épanouissant sur un rythme très lent. Le saint, voyant que ce diacre souffrait de vaine gloire, voulut l'en délivrer; alors au moment où le diacre chantait "Seigneur j'ai crié vers Toi" le saint tonna :"Silence!" et le diacre perdit la voix. Le saint termina seul l'office.
Plus tard les villageois, mis au courant, viennent supplier le saint de rendre sa voix au diacre, devenu muet. Par la prière du saint celui-ci retrouve la voix, mais elle est moins belle ; elle risque donc moins de l'entraîner à la vaine gloire et à l'amour de soi et de lui faire oublier son ministère.
La mélodie céleste et l'huile de la veilleuse
Un des miracles cités dans le tropaire du saint est le suivant : Un soir le saint entre à l'église pour célébrer les vêpres. Dans l'église il n'y avait que le diacre qui allumait les veilleuses. Comme le saint avait commencé la célébration, le diacre entend une mélodie d'une multitude de voix qui répond : "Et à ton esprit". Ce même chœur mélodieux répondait également "Kyrie éléison" aux prières du diacre. Cette mélodie céleste se fit entendre également au dehors, et une foule de gens stupéfaits envahit bientôt l'église, mais dans l'église il n'y avait que le saint et le diacre ; ils comprennent alors que ces voix mélodieuses venaient du ciel et dans une grande émotion ils glorifiaient Dieu.
Un autre soir, également pendant les vêpres, la grande veilleuse qui servait à éclairer l'église se trouve vide et c'est l'obscurité. Mais pas pour longtemps car une force invisible, la force du Seigneur, remplit soudain la veilleuse ; de l'huile en abondance déborde de la veilleuse que les fidèles s'empressent de recueillir précieusement. Un grand nombre de récipients furent ainsi remplis de cette huile sanctifiée.
La fin du saint
Saint Spyridon rendit paisiblement son âme à Dieu le 12 décembre 348, à l'âge de 78 ans. Son saint corps fut une source de miracles et des guérisons pour sa patrie, l'île de Chypre, jusqu'au 7ème siècle. Ensuite, sous la menace de l'invasion arabe, on le transféra à Constantinople. A la prise de la ville par les turcs, son corps précieux fut transporté par un prêtre, du nom de Grégoire Polyeucte, d'abord en Epire et en 1456 à Corfou où il se trouve encore. Jusqu'à aujourd'hui son saint corps reste incorruptible, intact, souple et mobile. II est une source permanente de miracles pour les habitants de l'île de Corfou, qu'il délivre en 1673 d'une épidémie de choléra et en 1716 d'une invasion islamique et qui le vénèrent comme protecteur de leur île. II est également une source de miracles pour tous les chrétiens qui le vénèrent et le prient avec foi.
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Message  Arlitto Lun 7 Mar - 15:19

Saint Martin, apôtre de la Gaule et évêque de Tours ( 317-397
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Il y a, en France, 237 communes répertoriées qui portent le nom de saint Martin. Pour nous en tenir à notre seule région "Provence Alpes Côte d'Azur", il y a Saint-Martin-de-Crau, dans les Bouches-du-Rhône, près d'Arles ; dans le Var, près de Brignoles, Saint-Martin-de-Pallières ; et Saint-Martin près de Rians ; dans les Alpes Maritimes, Saint-Martin-Vésubie, Saint-Martin-du-Var et, près de Guillaumes, Saint-Martin-d'Entraunes ; dans les Alpes de Haute-Provence, près de Gréoux-les-Bains et de Valensole, Saint-Martin-de-Bromes, Saint-Martin-les-Seyne, près de Selonnet et, près de Manosque, Saint-Martin-les-Eaux ; dans le Vaucluse, Saint-Martin-de-la-Brasque et, près de Viens, Saint-Martin-de-Castillon ; dans les Hautes-Alpes, près de L'Argentière-la-Bessée, Saint-Martin-de-Queyrières.
Plus de 3.600 églises sont dédiées à saint Martin. Et il y a tous les lieux-dits, les hameaux, les abbayes, les fontaines, les ponts appelés du nom de ce saint on ne peut plus populaire chez nous. Dans le monde entier, un nombre considérable de lieux font référence à saint Martin de Tours. Entre le 5ème et le 15ème siècles cinq papes de Rome ont porté le nom de Martin. Chacun sait que Luther se prénommait Martin.
Pourquoi donc cet engouement et cette vénération pour ce saint ? Comment expliquer que sa renommée universelle dure ainsi depuis plus de seize siècles ? Qui était donc saint Martin ? Pour répondre à cette question, il faut lire la Vita Martini, la Vie de Saint Martin écrite par Sulpice Sévère du vivant même de l'évêque de Tours, c'est-à-dire avant le mois de novembre de l'an 397.
Sulpice Sévère, ami de Paulin de Nole, est le contemporain de saint Augustin ( évêque d'Hippone depuis deux ans, il est en train de rédiger ses Confessions ), de saint Jérôme ( installé à Bethléem depuis dix ans ), de saint Ambroise ( qui meurt à Milan cette même année où Martin de Tours va disparaître à l'orée de l'hiver 397 ). Il était issu des rangs de l'aristocratie gallo-romaine d'Aquitaine. Il écrivit la biographie de l'évêque de Tours à Primuliacum, sur la route de Toulouse à Narbonne.
Dans cette biographie, les années d'enfance et de jeunesse de Martin sont dominées par un débat intérieur entre la fidélité aux obligations militaires de ce fils de vétéran et la fidélité à la vocation monastique, entre la fidélité au monde et à César et la fidélité au Christ.
Les chrétiens actuels, notamment les orthodoxes, croient trop facilement qu'il suffit de se donner la peine de naître pour recevoir un nom heureusement baptisé par un saint patron. Mais le saint patron, lui, il a bien fallu qu'il devienne un saint pour baptiser un nom préalablement païen ! C'est ainsi que Martinus est un surnom théophore dérivé du nom du dieu de la guerre : Mars. Avant saint Martin de Tours il y eut un évêque de Vienne ( avant 314 ) et un évêque gaulois qui signe au Concile de Sardique en 343, qui s'appelèrent, eux aussi, Martin. On peut penser que ce prénom martial était particulièrement en honneur dans les milieux d'officiers auxquels appartenait le père de notre futur saint.
En effet, les parents de Martin étaient païens, d'origine mi-slave, mi-celtique. Notre saint naquit en 317 dans une province romaine d'Europe centrale, en Pannonie, c'est-à-dire dans une partie de la Hongrie et de la Moravie actuelles, plus précisément encore à Sabaria, colonie romaine depuis l'empereur Claude, aujourd'hui Szombathely en Hongrie, à une centaine de kilomètres au Sud-Sud-Est de Vienne. D'abord simple soldat, son père devint tribun militaire. A ce titre, il commandait une légion et changeait fréquemment de garnison. C'est en Italie, à Pavie, au sud de Milan, que le jeune Martin reçut sa première éducation. Dès son enfance, il eut le désir de devenir catéchumène et souhaita se consacrer entièrement à Dieu dans la vie monastique. Malheureusement pour lui, son père ne l'entendait pas de la même oreille. Un fils de militaire, dans la société romaine de cette époque, ne pouvait être à son tour que militaire. A dix ans seulement, selon Sulpice Sévère -- cum esses annorum decem --, Martin s'enfuit donc du domicile paternel. Il chercha refuge dans une église et demanda à être reçu comme catéchumène. Ici, le biographe enjolive peut-être un fait historique bien réel et qui pourrait être le suivant : une escapade d'enfance aura amené le petit Martin à assister à une célébration liturgique dans une église de la communauté chrétienne de Pavie, peut-être même lors d'une synaxe liturgique spécialement destinée aux catéchumènes. Quoi qu'il en ait été au juste, cette fugue enfantine préfigure sa fuite du monde à l'âge adulte. Cependant, dénoncé par son père, Martin fut arrêté, enchaîné et dut se soumettre aux exigences du Conseil Suprême en revêtant l'uniforme de la légion. Il avait quinze ans : cum esses annorum quindecim. Le père de Martin n'attendit pas que son fils ait atteint l'âge légal, fixé à 19 ans, pour le remettre à l'autorité militaire. A cette époque, le métier militaire était devenu héréditaire. C'est ce qui explique que l'insoumission ait été particulièrement répandue chez les fils de vétérans, condamnés bon gré mal gré à la militia, c'est-à-dire au service militaire, au métier de soldat. Les fils de vétérans tentaient de se soustraire à d'interminables obligations militaires soit en s'enfuyant, soit en se cachant soit même en se mutilant volontairement.
Martin entra donc dans le corps d'élite que constituait alors la garde impériale à cheval, appelée Schola. Notre Martin était éblouissant, avec l'armure de métal souple et brillant, le casque à crête, le bouclier de même éclat, le tout complété pur un immense manteau blanc, la chlamyde, formée de deux pièces d'étoffe dont la partie supérieure doublée de peau de mouton, se portait soit sur les épaules, soit rabattue comme capuchon à la place du casque (Henri Ghéon, St Martin, l'évêque des païens. Ed. Culture et promotion populaire). Ce manteau deviendra célébrissime.
Après son instruction, Martin fut envoyé comme officier en Gaule, notamment à Amiens, l'une des trois grandes villes de la seconde Belgique avec Chalon et Reims. Sous son bel uniforme, Martin demeura fidèle à ses sentiments religieux et à sa vocation première. Il fit donc l'apprentissage de la patience, qualité ô combien nécessaire à un moine ! Il vivait en compagnie d'un serviteur, d'une ordonnance, ainsi qu'il convenait à sa qualité d'officier. Mais Martin renversait les rôles : c'était lui, le maître, l'officier, qui servait son serviteur. Il brossait les chaussures de ce dernier après l'avoir lui-même déchaussé. C'est lui aussi qui faisait le service de la table. Pour dire que l'officier Martin fait le service de la table à la place de son ordonnance, Sulpice Sévère emploie le verbe latin " ministraret ". Or, il n'est pas sans intérêt de remarquer que la Vulgate, la traduction latine du Nouveau Testament, emploie ce même verbe pour désigner l'activité de service des saintes femmes qui entourent Jésus, par exemple en Lc. 10, 40, lorsque Marthe se plaint auprès de Jésus au sujet de Marie, sa sœur : " ... cela ne te fait rien que ma sœur me laisse servir toute seule ", " non est tibi curae quod soror mea reliquit me solam ministrare " ? Ainsi est indiqué que Martin réalise déjà le mode d'existence donné en exemple par le Maître qui s'est fait le serviteur des siens jusqu'à la mort sur la croix. Songeons aussi au lavement des pieds, le soir du jeudi saint au moment où Jésus va pénétrer dans les affres de sa Passion.
Martin demeura ainsi trois ans sous les armes, sans être encore baptisé mais déjà bien plus chrétien que beaucoup de chrétiens de son temps aussi bien que du nôtre. Ses camarades l'aimaient et le respectaient, car sa conduite était à tous égards exemplaire : gentillesse ( benignitas ), amour fraternel ( caritas ), patience (patientia ), sobriété (frugalitatem ) et surtout humilité ( humilitas ). Sans avoir reçu le baptême, Martin vivait déjà selon l'Evangile par ses bonnes œuvres, assistant les malades, secourant les malheureux, donnant de la nourriture et des vêtements aux indigents. Sur sa solde, il ne réservait que de quoi manger chaque jour.
Et c'est dans ce contexte que se produisit l'événement qui allait immortaliser saint Martin jusqu'à nos jours. La mémoire glorieuse de cet événement a été célébrée par l'art chrétien occidental dans la miniature comme dans la statuaire, dans le vitrail aussi bien que dans l'estampe. Notons tout de suite que ce saint n'était pas encore chrétien lorsqu'il acquis ce titre de gloire ! Un soir d'hiver glacial particulièrement rigoureux, n'ayant sur lui que son beau manteau blanc d'officier et ses armes, Martin rencontre à la porte de la ville d'Amiens -- in porta Ambianensium civitatis -- un pauvre dépourvu de vêtements -- pauperem nudum --. Le malheureux avait beau supplier les passants, personne ne s'arrêtait par un temps pareil. Martin comprit aussitôt que ce pauvre lui était réservé, puisque les autres ne lui accordaient aucune pitié, que c'était Dieu lui-même qui avait placé ce pauvre sur son chemin. Mais que faire ? Martin ne possédait que sa prestigieuse chlamyde. Ce mot désigne alors le manteau fendu et fixé sur l'épaule droite par une fibule. C'était, en quelque sorte, la capote d'uniforme des soldats romains. On songe à Eric von Stroheim, en uniforme de commandant de l'armée allemande, dans " La grande illusion " de Renoir. Sans hésiter, saisissant son épée, notre fol en Christ partagea en deux son superbe manteau, en donna un morceau au pauvre et remit sur ses épaules l'autre moitié. Les passants furent stupéfaits ! Comme on les comprend ! Que diraient nos contemporains si, à la sortie d'une messe de minuit de Noël, une chrétienne imitait Martin avec son manteau de vison ?
La nuit suivante, s'étant endormi, Martin vit en rêve le Christ vêtu de la moitié de la chlamyde dont il avait recouvert le pauvre transi de froid. Et il entendit le Christ dire d'une voix éclatante à la foule des anges : Martin, qui n'est encore que catéchumène, m'a couvert de ce vêtement. Sans doute notre dormeur se souvenait-il dans son rêve des paroles du Seigneur à ses disciples : " ... j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir... En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait " ( Mt. 25, 35-36 et 40 ). Martin avait vécu l'Evangile à la lettre. C'est bien ce que le philosophe Maurice Blondel appelait la pratique littérale. La rencontre de Martin et du pauvre d'Amiens, c'est la réalisation concrète, tangible de ce que, dans la Cité de Dieu, saint Augustin a appelé admirablement " amor Dei usque ad contemptum sui " ( l'amour de Dieu poussé jusqu'au mépris de soi ) que l'évêque d'Hippone oppose à " amor sui usque ad contemptum Dei (l'amour de soi poussé jusqu'au mépris de Dieu ). Le zèle missionnaire et les miracles de l'évêque / thaumaturge de Tours ont frappé moins vivement la conscience chrétienne occidentale que la fidélité totale à l'Evangile du militaire / catéchumène d'Amiens. Et il faut s'en féliciter.
Quand Martin atteignit l'âge de dix-huit ans, il décida de se faire baptiser, mais il ne renonça pas immédiatement à la carrière militaire. Cependant, sa conscience fut mise à rude épreuve lors de l'invasion de la Gaule par les Barbares. Le César Julien [Flavius Claudius Julianus ( 331-363 ), dit Julien l'Apostat. Neveu de Constantin le Grand, il fut nommé César et gouverneur des Gaules par son cousin Constance en 355, puis proclamé empereur par ses soldats, au palais des thermes, à Lutèce en 361. Elevé dans le christianisme, il l'abjura et tenta de rétablir, en l'épurant, l'ancien polythéisme païen. Pour Julien, le christianisme, religion des pêcheurs de Galilée, est une religion barbare, méprisable comme telle, en face d'un paganisme dont les lettres de noblesse remontent à l'époque homérique. Il périt, à l'âge de 32 ans, dans une expédition contre les Perses, en 363. A l'époque de la jeunesse militaire de Martin, Julien est donc César mais pas encore empereur. A partir de Dioclétien, c'est-à-dire de la fin du troisième siècle, le titre de César désigna spécialement le personnage que chacun des deux empereurs régnants (d'Occident et d'Orient) (Augustus ) désignait comme son successeur en l'associant à son gouvernement] avait concentré son armée près de la cité des Vangions, c'est-à-dire dans la région de l'actuelle ville allemande de Worms, dans le Palatinat. Selon l'usage, le César distribuait lui-même à chaque soldat un donativum, c'est-à-dire une gratification destinée à encourager l'héroïsme des troupes avant le combat. Ce pouvait être aussi, et simultanément, une récompense collective accordée aux troupes pour leur belle conduite et pour les succès remportés sur les barbares au cours des premières opérations en territoire gallo-romain et germain. Lorsque vint le tour de Martin, il refusa de percevoir ladite prime, car il comprit que, s'il acceptait, il perdrait toute liberté et donc toute possibilité de réaliser sa si précoce vocation. Jugeant alors venu le moment de demander son congé, il dit au César : " Jusqu'ici, j'ai été à ton service : permets-moi maintenant d'être au service de Dieu ; que celui qui a l'intention de combattre accepte ton "donativum " ; moi, je suis soldat du Christ, je n'ai pas le droit de combattre ". En entendant Martin parler avec une telle audace, Julien se mit en colère, accusant Martin de lâcheté devant la perspective du combat qui devait avoir lieu le lendemain. Mais Martin intrépide et d'autant plus ferme que l'on avait tenté de l'intimider dit alors au César : " si l'on impute mon attitude à la lâcheté et non à la foi, je me tiendrai demain sans armes devant les lignes, et au nom du Seigneur Jésus, sous la protection du signe de la croix, sans bouclier ni casque, je pénétrerai en toute sécurité dans les bataillons ennemis. Julien le fit emprisonner afin de s'assurer que Martin ne reviendrait pas sur sa décision de s'exposer le lendemain sans armes à l'ennemi. Mais ce dernier envoya le lendemain des messagers pour négocier la paix. Martin n'eut donc pas à courir le risque d'être exposé, les mains nues, aux coups meurtriers de l'ennemi. Le Seigneur supprima la nécessité même de combattre. II n'y eut donc ni effusion de sang, ni mort d'homme. Alors Julien consentit à libérer Martin de ses obligations militaires. Ici s'achève la vie dans le monde de Martin et comme la préhistoire de sa sainteté.
Ainsi donc, simultanément " miles Caesaris et miles Christi ", soldat de l'empereur et pourtant déjà soldat non-violent du Christ, le militaire exemplaire était entré contre son gré dans une carrière qui s'annonçait brillante, et voici que le martyr militaire obtient son congé de l'empereur Julien après un dramatique affrontement. Loin d'avoir été dans la vie de Martin un temps de péché, les années de service militaire sont présentées comme une étape fructueuse, formatrice, dans son itinéraire spirituel vers la sainteté. Ses premières armes spirituelles, c'est dans la compagnie profane de ses compagnons d'armes, que le jeune soldat du Christ les effectue. Le jeune Martin baptise les trois années de sa vie militaire en faisant d'elles une période de catéchuménat / noviciat au service d'une vocation qui d'emblée ne peut concevoir la vie chrétienne que sous sa forme monastique. Il sait trouver dans la vie militaire le moyen de se préparer d'une manière exemplaire à l'illumination baptismale. Il rayonne dans le milieu de ses compagnons d'armes des vertus chrétiennes qui préfigurent le mode d'existence des moines cénobites.
En quittant l'armée du Rhin, Martin se rendit aux confins de l'Aquitaine, auprès de l'évêque de Poitiers, Hilaire, que Martin admirait pour la fermeté intransigeante de sa foi orthodoxe et son courage dans la résistance aux exigences de l'empereur Constance II, lequel, piqué de théologie, prétendait persécuter la foi de Nicée et obtenir le ralliement inconditionnel des évêques d'Occident à l'arianisme. Ce premier séjour de Martin à Poitiers est à situer entre l'été 356 et le départ d'Hilaire pour l'exil, banni en Orient par Constance pour avoir osé lui tenir tête.
Hilaire aurait voulu ordonner Martin diacre mais, à l'instar d'Ambroise de Milan (la vox populi ayant désigné Ambroise pour succéder à l'évêque Auxence, Ambroise tenta d'abord de se soustraire à l'élection) et d'Augustin d'Hippone (désigné par certains membres de la communauté d'Hippone pour devenir prêtre, Augustin est épouvanté, il se débat désespérément mais en vain. Il succède à l'évêque Valère en considérant son acceptation comme un sacrifice, voire une punition pour ses péchés), de Césaire (élu évêque d'Arles, Césaire s'enfuit et va se cacher dans un tombeau du cimetière des Alyscamps), d'Honorat (ordonné malgré lui par Léonce de Fréjus, élu évêque d'Arles sans avoir été consulté, il refusa son élection et ne se résigna à quitter l'île de Lérins que lorsqu'il eut la certitude que c'était bien la volonté de Dieu) et d'Hilaire (désigné comme son successeur par Honorat, il ne voulut pas devenir évêque d'Arles. Comme jadis Honorat lui-même, il finit par accepter pour se conformer à la volonté divine), évêques d'Arles, de Grégoire de Nazianze (il fut ordonné prêtre contre sa propre volonté, il s'enfuit, fut consacré, malgré sa répugnance, évêque de Sasime par son ami Basile de Césarée, ne prit jamais possession de son siège épiscopal et, lorsqu'il fut devenu archevêque de Constantinople, il démissionna au bout de quelques jours) et de Grégoire de Nysse (il fut consacré évêque contre son gré), Martin refusa en clamant son indignité. Par contre, il consentit à être ordonné exorciste.
Pourquoi une telle acceptation après un tel refus ? C'est que la fonction d'exorciste était considérée à cette époque comme inférieure et humiliante. Nous pouvons comprendre cette mentalité si nous nous souvenons de ce que dit le célébrant orthodoxe au moment de l'office du catéchuménat. En effet, dans le deuxième exorcisme, le célébrant s'adresse au démon en ces termes : " Je t'adjure donc, esprit tout à fait méchant et impur, souillé et dégoûtant... " Etre exorciste, c'était avoir un contact quasi physique avec le démon, c'était accomplir la tâche ingrate, la basse besogne de se battre contre lui, notamment en ayant affaire aux possédés, aux malades mentaux, aux aliénés. Il fallait vraiment avoir la foi et être rempli de l'Esprit saint, d'abord pour réussir à mettre en fuite le diable, ensuite afin de ne pas se sentir soi-même souillé au contact du démon par démoniaques interposés.
A quelque temps de là, Martin eut une vision dans son sommeil et il reçut l'ordre de rendre visite à sa famille encore païenne. Il s'en ouvrit à Hilaire qui lui accorda son consentement, tout en lui faisant prendre l'engagement de revenir à Poitiers. Hilaire lui prodigua ses prières et ses larmes, et c'est dans la tristesse que Martin entreprit ce long voyage vers sa Pannonie natale, en Hongrie-Moravie, ne cachant pas à ses frères moines qu'il y subirait bien des épreuves. Les événements qui se produisirent justifièrent ses paroles. Martin franchit sans doute les Alpes par le Petit Saint-Bernard ou par le Mont-Cenis. C'est alors qu'il tomba aux mains de brigands dont l'un voulut l'abattre à coups de hache, outil de bûcheron en ces régions de forestage. Mais le bras du bandit fut heureusement miraculeusement retenu par un compère qui songeait peut-être à retirer quelque argent de la capture au moyen d'une rançon. Les mains liées derrière le dos, il fut emmené en un lieu retiré par son gardien qui le questionna, lui demandant notamment s'il avait peur. Ayant foi en la miséricorde divine qui viendrait le délivrer, Martin lui répondit par la négative. Et il se mit à prêcher la parole de Dieu au bon brigand chargé de sa surveillance. L'homme finit par se convertir au Christ et décida de suivre Martin. Mais on ne peut que conjecturer la suite de la biographie de ce converti inconnu.
Continuant son chemin, et après avoir dépassé Milan (peut-être dans une villa sur la route de Brescia et Vérone), où l'empereur Constance II réside encore, jusqu'en 357, avec sa cour, Martin fut de nouveau arrêté, mais cette fois ce fut par le diable, qui avait pris figure humaine, " humana specie adsumpta ", le diable incarné, en quelque sorte. Pour Sulpice-Sévère, le biographe de Martin, c'est peut-être une manière de désigner l'empereur pro-arien sous son identité satanique et de faire allusion à une démarche de Martin (demandée par Hilaire ?), fils d'un officier supérieur et ancien garde du palais de Constance, auprès de celui-ci pour le ramener à l'Orthodoxie. Le diable, peut-être l'Antichrist Constance, demanda à Martin où il allait. S'il n'y a pas eu d'entrevue de Martin avec l'empereur, peut-être y a-t-il eu un contrôle de police à la sortie de la capitale impériale. Venant d'auprès de l'évêque de Poitiers bien connu pour son opposition doctrinale à l'empereur, Martin ne pouvait être que suspect à la police impériale. Martin ayant répondu à la fois avec prudence et insolence qu'il allait là où le Seigneur l'appelait, le diable incarné lui dit : " Où que tu ailles, et quoi que tu entreprennes, tu trouveras le diable devant toi ". A l'instar du Christ dans le désert de Juda (cf. Mt. 4, 1-l let Le. 4, 1-13), Martin lui cloua le bec en citant le verset 6 du psaume 118 ( 117 ) : " Le Seigneur est pour moi, plus de crainte, que me fait l'homme, à moi ? " Et aussitôt Satan disparaît. Il semble bien que Sulpice Sévère ait voulu rapporter un incident précis, historique, du voyage de Martin en le transposant.
Arrivé dans sa patrie, Martin, comme il en avait eu l'intention, amena sa mère païenne à se convertir au Christ et à recevoir le baptême, mais son ancien légionnaire de père qui, toute sa vie, n'avait connu que la religion des enseignes impériales et du camp, ne voulut rien entendre. Toutefois, par son exemple et sa foi rayonnante, Martin réussit à convertir d'autres personnes durant son séjour à Sabaria. On peut penser que Martin ne se priva pas de chercher à convertir les Ariens. Cependant, en Pannonie comme ailleurs, l'hérésie arienne avait alors le dessus. Les évêques avaient été persécutés et à son tour Martin eut à subir les pires traitements. Il finit par quitter sa ville et regagna l'Italie.
Là, il apprit qu'Hilaire lui-même avait été contraint à l'exil. Martin s'installa dans un ermitage à Milan. Mais il y fut persécuté avec acharnement par Auxence, l'évêque arien de Milan auquel succédera Ambroise, lequel Auxence finit par faire expulser Martin de la cité. Martin se retira alors, entre 358 et 360, dans la petite île inhabitée de Gallinara près de la côte ligure face à Albenga, à quelque cinquante milles au sud-ouest de Gênes, avec un prêtre qui, semble-t-il, était un homme de grande vertu. Il se nourrissait uniquement de racines. Un jour, ayant avalé de l'hellébore, une plante vénéneuse, peut-être en voulant imiter l'ascèse alimentaire des anachorètes d'Egypte, il ressentit la violence du poison dans son corps et vit sa mort prochaine. Dès ce moment, il entra en prière et le mal le quitta. C'est le premier exemple de triomphe de Martin sur la mort (cf. Mc. 16, 17-18).
Peu de temps après, il apprit, par la rumeur publique ou par un envoyé d'Hilaire, que celui-ci avait été rétabli sur son siège épiscopal, à Poitiers (au printemps de 360) où l'empereur, sans annuler la sentence d'exil, l'assignait à résidence surveillée. Martin essaya de rencontrer Hilaire à Rome. Mais l'évêque de Poitiers avait déjà quitté la ville. Sans perdre une seconde, Martin se remit en route pour rejoindre à Poitiers Hilaire qui l'y accueillit avec grande joie.
Sans doute sous la tutelle et sur les conseils d'Hilaire, il fonda, non loin de la ville épiscopale, d'abord, peut-être, un ermitage, puis rapidement une communauté cénobitique. Cette fondation a très vraisemblablement été installée à l'emplacement de l'actuel monastère bénédictin de Ligugé, sur la rive gauche du Clain, à 8 km au sud de Poitiers. Un catéchumène qui s'était joint à lui tomba gravement malade lors même que Martin avait dû s'absenter, très probablement en visite auprès d'Hilaire plutôt qu'en voyage d'évangélisation dans les campagnes. Sans doute s'agissait-il d'une forte crise de paludisme, dans cette vallée encore marécageuse. A son retour, Martin trouva le catéchumène décédé sans baptême et arriva au beau milieu de la veillée funèbre. Il fit sortir tout le monde de la cellule mortuaire dont il ferma la porte, invoqua le saint Esprit, s'allongea sur le défunt et, durant deux heures, se plongea dans la prière. Il ne fait guère de doute qu'en rédigeant ce passage de sa biographie de saint Martin, Sulpice-Sévère avait présent à l'esprit le récit vétéro-testamentaire de la résurrection par Elisée du fils de la Sunamite (cf. IIRois 4, 33sq.). Les prophètes thaumaturges Elie et Elisée étaient des modèles vénérés pour les anachorètes qui, à partir des traditions ascétiques de l'Orient chrétien, méditaient et tentaient d'imiter leurs vies. Tout à coup, Martin sentit le mort remuer et observa le visage du défunt : ses yeux se dessillèrent et se mirent à clignoter. Alors, Martin se tourna vers le Seigneur en clamant sa louange, et la cellule s'emplit de ses cris d'action de grâce. Entendant cela, les frères restés dehors firent irruption, stupéfaits, et virent en vie celui qu'ils avaient laissé pour mort. Rendu à la vie, le catéchumène fut aussitôt baptisé et le premier il se mit à faire l'éloge des vertus de Martin. La mort et la résurrection biologiques du catéchumène furent immédiatement suivies de sa mort et de sa résurrection baptismales. A partir de ce moment, le renom de Martin, déjà vénéré comme un saint, se répandit dans toute la Gaule. Martin opéra, dans la famille d'un notable " honorati viri " du nom de Lupicien, une deuxième résurrection qui prend place parmi les tournées missionnaires de Martin à travers les campagnes du Poitou. Le récit est une réplique abrégée de la scène de Ligugé. Le défunt est un petit esclave qui s'est pendu de désespoir. Emu de compassion, Martin le rend à la vie. C'est cette même compassion qui va arracher notre bon Martin à l'existence paisible et sainte de son ermitage. Car, l'évêque de Tours Litorius étant mort, voilà que la ville avait besoin d'un pasteur. Et le peuple songea immédiatement à Martin. Aux yeux des chrétiens de Tours, il apparaissait le plus digne pour l'épiscopat. Mais comment réussir à le faire sortir de son monastère ? Un certain Rusticus, un notable (son patronyme est purement romain), un des membres influents de la députation qui était sur le point d'échouer, y parvint en suppliant Martin de se rendre au chevet de sa femme qui, disait-il, était mourante. Martin accepta sans hésiter. Cependant, au fur et à mesure qu'ils avançaient, la foule groupée sur les bords de la route acclamait Martin et marchait à sa suite. Dès son entrée dans Tours, ce fut une ovation interminable. Le peuple était unanime : tous avaient le même désir, qu'il accepte de monter sur le siège épiscopal de Tours. Mais, parmi les évêques qui s'étaient déplacés pour l'installation du nouvel évêque, certains s'insurgèrent. Ils disaient de Martin que c'était " un personnage méprisable, à la mine pitoyable, aux vêtements sales, aux cheveux en désordre, et qu'il n'était pas digne d'être évêque ". Mais le peuple, d'une seule voix, continua à réclamer Martin et entendit bien imposer aux évêques l'ordination d'un moine qui ne leur agréait pas parce qu'il ne payait pas de mine, était trop peu soigné dans sa mise et sa coiffure. Le peuple finit par réussir à tourner en ridicule les mondains qui, en voulant déconsidérer Martin, ne parvenaient qu'à publier ses mérites.
Parmi eux, le principal adversaire de Martin était un évêque, probablement celui d'Angers, dénommé Defensor. Or, le jour de l'intronisation de Martin, le lecteur chargé de lire les textes de la sainte Ecriture au cours de la liturgie d'ordination épiscopale se trouva coincé par la foule massée dans la cathédrale et ne put accéder à l'ambon. L'un des assistants, probablement un clerc habitué au maniement du Psautier, voulant sans doute demander à Dieu une réponse à la mode antique, en se livrant à un tirage de sorts bibliques, ouvrit le Psautier et lut le verset suivant : " Par la bouche des enfants (à cette époque, le lecteur est généralement un jeune enfant destiné à la cléricature. Sa fonction est de lire les textes bibliques et de psalmodier au cours de l'assemblée liturgique) et des nourrissons tu t'es rendu gloire à cause de tes ennemis pour détruire l'ennemi et le défenseur ! " Il s'agit du verset 3 du psaume 8 dans la version latine, antérieure à celle de saint Jérôme, appelée Vetus latina |le texte latin est le suivant : " Ex ore infantium et lactantium perfecisti laudem propter inimicos tuos, ut destruas inimicum et defensorem " ( que saint Jérôme remplace par ultorem ). La traduction à partir de l'hébreu est différente : " par la bouche des enfants, des tout petits, tu l'établis ( = le Nom de Iahvé ), lieu fort, à cause de tes adversaires pour réduire l'ennemi et le rebelle].
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Message  Arlitto Lun 7 Mar - 15:19

A ces mots, le peuple en liesse fit monter vers le Seigneur clameurs et louanges : la vox populi venait d'être confirmée et la volonté de Dieu manifestée par la voix du psalmiste. La cabale, une minorité de puissants laïcs et quelques évêques, fut confondue. Les clercs de cette époque connaissaient à fond et par cœur leur Psautier. On peut penser qu'à Tours, bien avant l'élection de Martin, le verset 3 du psaume 8 dans la version latine en usage avait fourni la matière de plaisanteries cléricales sur le compte de l'évêque de la cité limitrophe, Angers. La prétendue lecture oraculaire du verset n'a peut-être trompé personne. Auprès d'un public chrétien habitué à la psalmodie, elle a pu remporter le succès d'une plaisanterie éculée, mais renouvelée par l'audace irrévérencieuse, la "parèsia", dirons-nous en grec, de cet à-propos. Déjà, peut-être, en Gaule, à cette époque, le ridicule tuait !
Quant à Martin, si compatissant qu'il fût pour tous les besoins des hommes, si attaché qu'il fût à sa vocation monastique, il consentit à son élection dès lors qu'il vit dans la réussite de la ruse de Rusticius un signe du dessein divin sur lui. Parti pour guérir une malade, il se vit confier la garde de tout un troupeau dont il devint le prisonnier. Ceci se passa probablement le dimanche 4 juillet 370.
Saint Martin fondateur et Abbé de Marmoutier
Quelle fut la conduite de Martin après son accession à l'épiscopat ? Avec une fermeté sans faille, il resta semblable à celui qu'il avait été auparavant. Même humilité, même pauvreté vestimentaire. Tout évêque qu'il fût devenu, c'est-à-dire un dignitaire dont les chrétiens gallo-romains attendaient qu'il fût aussi le successeur des responsables politiques de naguère, il ne déserta pas pour autant sa profession monastique. Pendant quelque temps, il tenta de s'isoler dans une cellule attenante à son église cathédrale. Puis, contraint par l'importunité des visiteurs, il s'installa un ermitage à 3 km environ hors les murs de la ville de Tours, à Marmoutier. Cette anachorèse sur l'escarpement des falaises crayeuses du val de Loire, entre la montagne et la boucle du fleuve, voulait s'inscrire dans la continuité de la tradition ascétique d'un Antoine et d'un Hilarion dans le désert égyptien. Martin occupait une cabane en bois. Très vite des candidats à la vie monastique affluent. Ils furent logés de la même manière. Certains se livrent au troglodytisme dans la falaise crayeuse pour se faire des abris. Le régime de cette vie monastique était la pauvreté personnelle totale et la mise en commun de tous les biens. Ces premiers moines gallo-romains ne se livraient à aucune activité manuelle, à la différence des moines égyptiens qui tresser des corbeilles pour vivre de leur travail. Les frères qui étaient adultes se livraient intégralement à la vie contemplative. Seuls les moines adolescents étaient affectés à des travaux de copie. On ne se réunissait que pour la prière liturgique. Plutôt qu'un monastère à proprement parler, Marmoutier est alors un groupement d'ermitages, chacun passant le plus clair de son temps dans la lecture et l'oraison solitaires. Personne ne buvait de vin, sauf les malades. Le vêtement des frères était, à l'instar de celui du Précurseur Jean-Baptiste, une tunique en poil de chameau qu'on se procurait sans doute auprès de pèlerins des lieux saints et d'Egypte. Comme, parmi ces premiers disciples de Martin, un grand nombre appartenaient à l'élite de la société gallo-romaine (cf. l'itinéraire spirituel d'hommes tels que Sulpice Sévère, Paulin de Nole, Eucher, le préfet Dardanus), l'acquisition de ce vêtement exotique ne devait pas être hors de leur portée. Plusieurs de ces moines, par la suite, devaient être élevés à l'épiscopat. Marmoutier préfigure ce que sera plus tard Lérins.
Le pseudo-martyr démasqué par l'évêque Martin
Au début de l'épiscopat de Martin, il y avait, non loin du monastère, sans doute sur le coteau, le long de la route de Tours à Angers, une tombe et un autel que le peuple allait souvent vénérer. Faisant preuve d'esprit critique envers la dévotion populaire aux martyrs et ses outrances, Martin qui, pourtant, avait lui-même une réelle dévotion pour les martyrs, avait demandé qu'on lui indiquât si ce martyr était inscrit sur le calendrier de l'église de Tours. Martin veut connaître la tradition exacte de l'Eglise locale dont il est désormais la tête et le pasteur. Mais les membres du presbyterium, du collège honorable des prêtres (cf. la grande litanie diaconale de nos liturgies et de nos différents offices liturgiques) entourant l'évêque Martin étaient à ce sujet très embarrassés pour lui fournir une réponse. Rompant sans doute avec la pratique de son prédécesseur, Martin s'abstint de donner à ce lieu de pèlerinage incertain la sanction de sa présence épiscopale. Toutefois, il finit par s'y rendre, accompagné de quelques moines, et non pas du presbyterium tourangeau préalablement consulté mais en vain et peut-être favorable à ce lieu de pèlerinage, formant avec lui, pourrait-on dire, un commando spirituel. Il se rend à l'intérieur de l'édifice, jusqu'à la table d'autel au-dessus du tombeau, et là il se met à prier Dieu de l'éclairer sur les titres réels de ce prétendu martyr à être vénéré. Il s'ensuit une scène de nécromancie ou plutôt d'apparition d'un être venu d'outre-tombe : en se tournant du côté gauche, il vit se dresser une ombre repoussante à laquelle il intima l'ordre de dire son nom et ses qualités. Rappelons-nous que Martin avait commencé par être exorciste. Devenu évêque, il en avait a fortiori les pouvoirs. L'ombre avoue tout de suite avoir été un brigand exécuté pour ses forfaits. Les assistants entendaient sa voix sans cependant le voir. Rappelons-nous aussi que, depuis sa traversée des Alpes, Martin avait quelque expérience de la rencontre avec les bandits de grands chemins. Alors Martin fit retirer l'autel mais la tombe est respectée. En désaffectant le lieu de culte sans détruire la tombe, il délivre le peuple de l'erreur de la superstition rurale, laquelle est beaucoup plus grave qu'un simple préjugé. L'évêque a conscience d'être le libérateur de son peuple encore pagano-chrétien plutôt que véritablement chrétien. N'oublions pas, en effet, que Martin n'est que le troisième évêque de Tours, après Gatien et Lidoire. Encore fragile et contesté dans les villes, le christianisme ne s'est guère aventuré jusqu' ici hors des murs des cités dans la plus grande partie des deux Lyonnaises.
L'enterrement païen arrêté
Un jour que Martin était en chemin, il rencontra le corps d'un païen qu'on menait à sa sépulture. Il s'arrête à quelque distance de la foule. Il distingue une troupe de paysans et le linceul jeté sur le corps qui voltigeait à tout vent. Il prend un enterrement campagnard pour la procession d'une idole. C'est que les paysans gallo-romains de cette époque avaient l'habitude de porter en procession à travers les champs des idoles qu'ils recouvraient d'un voile rituel. Tel un exorciste face au démon, Martin fit donc le signe de la croix à l'adresse de l'idole qu'il a cru reconnaître. L'ancien militaire devenu évêque tient désormais le signe de la croix pour l'arme la plus efficace du combat spirituel. Il devient ici le signal d'attaque contre les puissances démoniaques du paganisme rural. Il donne à la foule l'ordre de s'arrêter et de déposer ce qu'il croit être une idole. Le biographe de saint Martin, Sulpice Sévère, nous décrit alors la foule paysanne et païenne comme pétrifiée et incapable de se remettre en marche. Non sans quelque hyperbole littéraire l'auteur nous montre les gens tournant ridiculement sur eux-mêmes jusqu'au moment où, vaincus, les porteurs déposèrent leur fardeau à terre. Cette étrange rotation sur eux-mêmes des membres du cortège évoque les symptômes de troubles nerveux, comme des convulsions. Sans doute l'imagination du biographe a-t-elle travaillé sur des souvenirs authentiques. Abasourdis, les paysans se regardèrent les uns, les autres, se demandant sans mot dire ce qui leur arrivait. Mais, s'étant rendu compte qu'il s'agissait d'obsèques, Martin leva la main et rendit à ces gens le pouvoir de partir en enlevant le corps. Martin s'incline avec compassion devant la peine et le malheur. On remarquera toutefois que Martin n'envisage pas de ressusciter le défunt : il s'agit de funérailles païennes.
Le défi du pin abattu
Un autre jour, en un village qui n'est pas nommé par le biographe, Martin détruisit un temple très ancien et entreprit d'abattre un pin, proche du sanctuaire païen. Mais le desservant du lieu entouré de toute une foule de païens s'opposèrent à Martin, considérant comme un sacrilège d'abattre un arbre tenu pour sacré. Pourquoi un pin ? C'est l'arbre consacré à Cybèle. On peut penser que la scène s'est passée dans un sanctuaire gallo-romain de cette déesse. Avec sa patience habituelle, Martin leur expliqua qu'une souche n'avait rien de sacré, qu'ils devaient plutôt suivre le Dieu que lui-même servait et qu'il fallait couper cet arbre par ce qu'il était consacré à un démon Le plus hardi parmi la foule païenne dit alors : " si tu as quelque confiance en ce Dieu que tu adores, nous allons couper l'arbre, mais toi, il faudra que tu le reçoive dans sa chute. Et si ce Dieu que tu dis être le tien est avec toi, tu en réchapperas ". Sans hésiter, Martin relève le défi. Et comme le pin penchait d'un côté, on plaça Martin qu'on avait attaché, selon la volonté de la foule, à l'endroit où personne ne doutait que l'arbre allait tomber. On commença à couper le pin avec allégresse, en pensant qu'on serait bientôt débarrassé de ce Martin, cet empêcheur de paganiser en rond ! Déjà le pin vacillait et menaçait de s'abattre. A l'approche du danger, la foule s'écarta prudemment, contemplant à distance respectueuse le déroulement de ce duel insolite entre Cybèle et le Dieu de Martin. Les moines eux-mêmes étaient épouvantés, servant de repoussoirs, dans l'esprit du biographe, à la tranquille impassibilité de Martin qui, confiant dans le Seigneur, attendait intrépidement. Le pin craque, il va tomber, s'abattre sur l'évêque, quand celui-ci élève la main à la rencontre de l'arbre et lui oppose le signe de la croix, le signe du salut. Alors, le pin, comme repoussé en arrière, s'abat du côté opposé, de telle sorte qu'il faillit écraser les paysans qui se tenaient, croyaient-ils, en lieu sûr. Une clameur monte vers le ciel, la foule païenne est saisie d'étonnement admiratif, les moines pleurent de joie, et tous, à l'unisson, proclament le nom du Christ. Les païens demandent presque tous à devenir chrétiens. Martin parvient donc à convertir au Christ une foule de paysans réunis pour une cérémonie en l'honneur de Cybèle, la Grande Mère.
Incendie et destruction de sanctuaires païens
Vers le même temps, Martin mit le feu à un sanctuaire païen très ancien et très fréquenté. Mais, emportées par le vent en tourbillons, les flammes se dirigeaient vers les maisons qui enserraient le temple, risquant de se propager à l'agglomération et de détruire les habitations de gens qui sont pour Martin du futures ouailles. Dès que le saint évêque s'en aperçut, il monta sur le toit de la maison. Comme dans l'épisode du pin, Martin cherche à faire un geste qui soit un signe de salut, en s'exposant personnellement et volontairement à un péril mortel. On put voir alors le feu se rabattre miraculeusement contre le vent, malgré la violence de celui-ci, si bien que les éléments naturels semblaient, pour ainsi dire, se combattre. Le feu n'accomplit donc son œuvre que là où Martin le souhaitait.
Dans un autre village, dénommé Levroux, à 80 km environ au sud-est de Tours, Martin voulut également démolir un temple païen qui contenait de grandes richesses. Mais, en état de légitime défense, la foule entreprit de s'y opposer violemment. Pour ne pas être lynché, Martin dut se replier dans le voisinage immédiat. Là, durant trois jours, vêtu d'un cilice et couvert de cendre, dans le jeûne et l'oraison ininterrompus, il adressa sa prière au Seigneur afin que celui-ci renversât lui-même le temple si bien protégé par les païens. Soudain, deux anges armés de lances et de boucliers se présentèrent à lui, se disant envoyés par Dieu pour disperser la foule des paysans et assurer sa protection. Peut-être quelque fonctionnaire romain chrétien ou sympathisant du christianisme a-t-il dépêché auprès de Martin en difficulté des soldats à double fin de rétablir l'ordre public et de protéger la personne de l'évêque, lequel comptait des relations personnelles dans les classes dirigeantes des deux Lyonnaises. Et nous avons déjà noté la présence de beaucoup de nobles parmi les moines de Martin. Il est bien possible que Martin et ses compagnons aient effectué une interprétation providentielle et surnaturelle de l'apparition d'un tel renfort au moment où ils se trouvaient en bien mauvaise position. Des soldats chargés de mission par quelque fonctionnaire chrétien ou sympathisant pouvaient être à bon droit considérés simultanément comme des envoyés du Seigneur. Le miracle fut peut-être que la retraite pénitentielle de Martin consacrée durant trois jours à une instante prière fut récompensée par l'arrivée au bon moment d'un détachement armé. Martin devait donc retourner au village. C'est ce qu'il fit et, tandis que la foule païenne, immobile, l'observait, il se mit à démolir le temple de fond en comble. A cette vue, les paysans comprirent qu'une puissance divine les avait frappés de stupeur et de panique pour les empêcher de résister à l'évêque Martin par la violence. Effrayée par l'escorte armée, si escorte armée il y eut, qui pouvait lui laisser présager des représailles du pouvoir impérial désormais chrétien, au cas où elle tenterait à nouveau de résister, la foule fut peut-être en même temps saisie d'une grande crainte religieuse. Ils crurent presque tous au Christ, attestant publiquement et à grands cris qu'on devait adorer le Dieu de Martin et délaisser les idoles incapables de se secourir elles-mêmes.
Les assassins déjoués
Un autre exploit de l'évêque de Tours dans sa lutte contre le paganisme, se situe dans un canton du pays éduen. La mission de saint Martin en pays éduen, dont cet épisode porte témoignage, s'est sans doute située après les tournées missionnaires de l'évêque de Tours dans son diocèse, et avant ses voyages à la cour impériale de Trèves. En effet, en l'absence de précisions chronologiques, il est assez naturel de penser que saint Martin a entrepris sa lutte contre le paganisme d'abord dans son propre diocèse, avant que ses succès l'aient fait appeler par d'autres évêques. Nous sommes en tout cas dans les années 389-391.
L'Eglise est devenue l'alliée de l'Etat impérial, à la fin des règnes de Gratien et de Théodose. Le paganisme n'a pas disparu mais il est mort légalement. Le culte païen est officiellement interdit. La loi signée à Milan par l'empereur Théodose le 24 février 391 interdit toute cérémonie païenne dans la ville de Rome, sacrifice, visite de temple, hommage aux idoles, et prévoit de lourdes amendes contre les fonctionnaires qui les toléreraient. Désormais, on ne pouvait continuer à pratiquer le paganisme qu'en marge des lois et sous la menace de sévères sanctions. C'est dans ce contexte de la législation impériale de la fin du 4ème siècle que doit être replacé le duel thaumaturgique de saint Martin, évêque de Tours, avec le paganisme des campagnes gallo-romaines.
Martin était donc en train de démolir un temple lorsque la foule païenne, furieuse, se rua sur lui. L'un des paysans tira l'épée et s'apprêtait à en frapper l'évêque, quand celui-ci, rejetant son manteau, présenta aux coups sa nuque découverte. Le païen fit le geste de frapper, mais, ayant élevé le bras droit trop haut, il tomba à la renverse et, terrassé par la crainte de Dieu, il demandait grâce.
Un autre jour, on voulut donner à Martin un coup de couteau pendant qu'il détruisait des idoles. L'arme fut alors arrachée des mains de l'agresseur et disparut au moment même où il allait frapper. Mais, en général, lorsque les paysans cherchaient à le dissuader de détruire leurs temples, sa prédication adoucissait si bien leur fureur qu'ils finissaient par renverser eux-mêmes leurs édifices religieux.
Guérison de la jeune paralysée de Trèves
Comme beaucoup de saints, Martin de Tours eut le charisme des guérisons. C'est l'un des dons spirituels particuliers énumérés par saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens : " Il y a ceux que Dieu a établis dans l'Eglise, premièrement comme apôtres, deuxièmement comme prophètes, troisièmement comme docteurs. Puis ce sont les miracles, puis les charismes de guérison, d'entraide, de direction, les diverses sortes de langues " ( 1Co. 12, 28 ). Ce charisme de guérison fait bien de Martin un digne successeur des apôtres. A Trèves, il guérit une jeune fille paralysée et aphasique depuis bien longtemps. Le père de la malade le supplie à genoux, en pleine église, probablement l'ancêtre de l'actuelle cathédrale de Trèves construite vers 326, remplie d'évêques, de se rendre auprès de sa. fille, de la bénir. Car, dit-il, j'ai foi que, par ton intercession, elle sera rendue à la santé. Pour commencer, Martin a recours à ses armes habituelles. Il se prosterne sur le sol et il prie. Puis, examinant la malade, il se fait donner de l'huile qu'il bénit et versa dans la bouche de la jeune fille. Aussitôt, celle-ci recouvre la parole et progressivement ses membres se raniment jusqu'au moment où, d'un pied assuré, elle se lève devant le peuple. Accomplie dans la capitale impériale des Gaules, cette guérison établit partout l'autorité de l'évêque de Tours, à la cour comme à la ville. La demande de guérison pour sa fille est adressée à Martin par le père en présence d'un nombre important d'évêques (... multisque aliis praesentibus episcopis), sans doute attirés à Trèves, du fond de la Gaule et de l'Espagne, comme l'évêque de Tours, par le procès d'un évêque espagnol accusé d'hérésie, Priscillien. Anathématisé par les conciles de Saragosse ( 380 ) et de Bordeaux (384 ), Priscillien fut condamné à mort par l'empereur usurpateur Maxime et exécuté à Trèves en 385, premier hérétique à périr sous les coups du bras séculier. Que lui reprochait-on ? Nous ne le savons pas au juste : du néo-gnosticisme ? de l'illuminisme ? une surenchère ascétique ? Ce qui est certain, c'est que l'enjeu était important pour la sauvegarde de l'Orthodoxie de l'Eglise d'Espagne. C'est une bonne preuve de l'autorité de Martin au sein de l'épiscopat gaulois de cette époque. Nous savons que l'évêque de Tours fit au moins deux séjours dans la capitale impériale des Gaules : l'un au début de 386 ou dès la fin de 385, l'autre à l'automne de 386. Sulpice Sévère avait des liens familiaux avec la ville natale de saint Martin. En effet, sa belle-mère, Bassula, était domiciliée à Trèves. On peut raisonnablement penser que celle-ci était présente dans la cathédrale de Trèves au moment où le père de la malade supplie Martin de bien vouloir guérir sa fille. Et si elle ne s'y trouva pas, il est tout à fait probable qu'elle entendit parler de l'événement dans sa ville et informa son gendre. La documentation du biographe est sans doute ici de première main.
A la même époque, l'esclave d'un certain Tetradius, un ancien proconsul, donc de haut rang, vivant peut-être en retraite dans l'un de ses domaines, était possédé d'un démon qui le torturait atrocement. Saint Martin donna l'ordre de faire amener le malade, mais il était impossible de l'approcher, tant il se jetait à belles dents sur ceux qui s'y essayaient. Tetradius supplia alors Martin de descendre lui-même jusqu'à la maison. Mais Martin refusa, car Tetradius était encore païen. Ce dernier promit de se faire chrétien si le démon était chassé de son jeune esclave. Alors, Martin accepta, imposa les mains sur le possédé et en expulsa l'esprit impur. C'est le geste rituel de l'exorcisme, que le prêtre orthodoxe utilise encore au cours de la célébration du catéchuménat. A cette vue, Tetradius eut foi dans le Christ et devint aussitôt catéchumène et reçut peu après le baptême. Il garda toujours une affection extraordinaire pour Martin.
Dans la même ville, Martin entra chez un père de famille ou plutôt s'arrêta sur le seuil, disant qu'il voyait un affreux démon dans la cour de la demeure. Comme il lui intimait l'ordre de déguerpir, le démon se saisit du cuisinier du maître de maison, qui, lui, se trouvait à l'intérieur. Le malheureux entra en une violente crise de rage et se mit à déchirer à belles dents tous ceux qu'il trouvait sur son passage. Quel branle-bas, quelle panique parmi les esclaves et les habitants de la maison ! Martin s'élança au devant du furieux qui grondait, la bouche grande ouverte et lui enfonça les doigts jusqu'à la gorge en disant : " si tu as quelque pouvoir, dévore-les ". Alors le possédé, comme s'il avait reçu dans la gorge un fer incandescent, écarta les dents en se gardant de toucher les doigts de Martin. L'exorcisme est alors naïvement conçu comme l'expulsion d'un corps étranger par les voies naturelles (... fluxu ventris, c'est-à-dire : par un flux de ventre !). C'est la conclusion truculente tirée d'une très ancienne croyance, qui n'est pas de foi, pour nous, selon laquelle les démons pénètrent dans le corps humain par la nourriture, les fermentations intestinales étant considérées comme l'œuvre des démons et le signe de leur présence ! Ici l'hagiographie s'achève en folklore scatologique !
Il y eut encore la guérison d'un lépreux à Paris, que Martin baisa et bénit et qui fut aussitôt purifié entièrement de son mal. Il y eut aussi celle d'une jeune fille tuberculeuse à laquelle Martin fit remettre une lettre écrite de sa main. Au contact de la lettre la fièvre fut chassée et la jeune fille guérie. Son père, un certain Magnus Arborius, ancien préfet, voua sa fille à Dieu. Et ce fut Martin qui lui imposa l'habit des vierges et la consacra. Ce faisant, Arborius se conformait aux usages romains de toute-puissance du " pater familias ", tout autant qu'aux usages chrétiens contemporains. Sans doute fit-il le voyage d'Aquitaine à Tours pour y faire prendre le voile à sa fille des mains mêmes de Martin. Il y eut également la guérison de Paulin de Nole, le disciple chéri d'Ausone, qui perdait la vue, probablement à cause d'une cataracte plus ou moins douloureuse. Cela se passait peut-être à Vienne, près de Lyon. Les historiens de la Gaule connaissent bien l'extension considérable des maladies oculaires dans la population gallo-romaine. En effet, on a retrouvé sur le territoire de la Gaule romaine de nombreux cachets d'oculiste et de bâtons de collyre portant l'empreinte de ces cachets. Martin lui toucha l'œil avec un pinceau et lui rendit la santé. Dans le cas de cette guérison plus médicale que proprement miraculeuse, Martin opère comme un ophtalmologue gallo-romain, sans signation, sans prière, sans imposer les mains à Paulin. Enfin, Martin lui-même, qui avait fait une chute dans un escalier et en souffrait terriblement, vit disparaître miraculeusement son mal en une nuit. C'est, pourrait-on dire, le conte du guérisseur guéri. On songe au proverbe juif dont le Christ prête la mention malveillante à ses auditeurs de Nazareth. " Médecin, guéris-toi toi-même " (Luc 4, 23). Nous avons là un fïoretto qui achève d'idéaliser la figure de saint Martin, évêque Tours, le thaumaturge.
Le festin chez l'empereur Maxime, à la cour de Trèves
Saint Martin fit à Trèves deux séjours, à l'occasion de l'affaire Priscillien [évêque espagnol accusé d'hérésie, anathématisé par les conciles de Saragosse (380 ) et de Bordeaux (385), condamné à mort par Maxime et exécuté à Trèves en 385], en 385-386 et en 386-387. Invité à sa table plusieurs fois par l'empereur, l'évêque de Tours eut l'audace inouïe, à cette époque, de refuser ces invitations que les évêques courtisans, ses contemporains, s'empressaient d'accepter. Mais pour comprendre l'intransigeance et la fermeté de saint Martin face à cet empereur, nous devons dire quelques mots de ce Maxime.
En 383, l'empereur Gratien, fils de Valentinien 1er , et qui, depuis 378, est en rapports étroits et amicaux avec saint Ambroise de Milan, est assassiné sur l'ordre de Maxime qui usurpe ainsi le pouvoir impérial et s'empare des Gaules à l'été 387, tandis que l'Italie et ses dépendances restent aux mains de Valentinien II, frère de Gratien, un enfant de douze ans, que dirigent sa mère, l'arienne Justine, et son premier ministre, le païen Bauton. A Trèves, Maxime, pour faire oublier l'illégitimité de son pouvoir, se montre aussi zélé catholique ou orthodoxe (ces deux épithètes n'ont pas, à cette époque, et pour longtemps encore, le sens confessionnel qu'elles ont de nos jours. A l'époque de saint Martin, elles s'opposent à arien et à tout adjectif qualifiant une hérésie en rupture de communion avec l'Eglise une : montaniste, apollinariste, etc) que le prince qu'il a fait assassiner. Il s'est fait baptiser en Bretagne à la veille de son usurpation. Cela ne lui évite pas d'être excommunié par saint Ambroise qui lui reproche de soutenir l'évêque Itace et ses partisans. Maxime finira par être tué par les soldats de Théodose.
Saint Martin motivait donc son refus, humiliant pour Maxime, de dîner avec lui, par le fait que Maxime était un usurpateur et qu'il était coupable de la mort de Gratien. Cependant, il finit par se rendre à la cour. Mais ce fut pour humilier à nouveau l'empereur, en présence des plus hauts dignitaires de la cour, du préfet, du consul, des autres évêques, de Marcellin, le frère de Maxime, ainsi que de son oncle. En effet, nous dit Sulpice Sévère, " vers le milieu du repas, selon l'usage, un serveur présenta une large coupe au souverain. Lui, donne l'ordre de la remettre plutôt au très saint évêque, car son attente et son ambition étaient de recevoir cette coupe de sa main. Mais Martin, après avoir fini de boire, tendit la coupe au prêtre qui l'accompagnait, jugeant sans doute que nul n'était plus digne de boire le premier après lui, et qu'il aliènerait sa liberté s'il faisait passer avant un prêtre soit le souverain en personne, soit les personnages les plus proches du souverain ". On peut dire que saint Martin était de la même race épiscopale que le grand Basile de Césarée qui, au préfet Modestus envoyé par l'empereur pro-arien Valens pour menacer Basile de la confiscation des biens et de l'exil et lui arracher une déclaration signée de son adhésion à l'arianisme, avait répondu sur un tel ton que Modestus avait dit à l'archevêque de Césarée : " Personne, jusqu'à ce jour, ne m'a tenu pareil langage et avec tant de liberté ". Et Basile avait eu le dernier mot en lançant au préfet cette réplique admirable : " Peut-être n'es-tu jamais tombé sur un évêque ! " L'évêque de Tours était aussi de la race épiscopale d'Ambroise de Milan qui, avant d'en arriver à excommunier Maxime, n'avait pas craint d'entrer en conflit avec ses officiers qui prétendaient mettre la main sur un trésor confié par une veuve à l'évêque de Pavie : ce dernier, conseillé par saint Ambroise, s'opposa à cette confiscation au nom des droits de l'Eglise et des pauvres. Et l'on sait dans quelles circonstances Ambroise imposa une pénitence publique à l'empereur Théodose qui, pour réprimer une révolte de la ville de Thessalonique, avait décidé un massacre général de la population. Saint Martin rappela donc à Maxime les droits imprescriptibles des évêques et des prêtres et il lui prédit les malheurs qui l'attendaient. A ce même Maxime, écrit Sulpice Sévère, " Martin prédit longtemps à l'avance que, s'il se rendait en Italie, où il comptait aller porter la guerre contre l'empereur Valentinien, il devait savoir qu'il serait sans doute vainqueur au début de son offensive, mais qu'il périrait peu après ". De fait, si Maxime commença par mettre en déroute Valentinien II, environ un an après, il finit par être vaincu par Théodose, sous les murs d'Aquilée où il paya l'assassinat de Gratien. Cet épisode du festin à la cour de Trèves est à l'origine du fait que, dans la France des siècles passés, saint Martin était considéré comme le patron des buveurs.
Le pèlerinage de Sulpice Sévère à Marmoutier
Sulpice Sévère, le futur biographe de notre saint et son contemporain, qui connaît la réputation de l'évêque de Tours dans toute la Gaule, décide un beau jour d'effectuer le pèlerinage de Bordeaux à Tours, à l'époque, sans chemin de fer ni routes goudronnées, c'était un long voyage afin de faire la connaissance de saint Martin : un disciple séduit par l'idéal ascétique vient prendre les conseils d'un maître et entendre son enseignement. Sans doute saint Martin a-t-il reçu Sulpice Sévère au monastère de Marmoutier plutôt qu'à Tours, après 390. Le biographe de l'évêque de Tours a gardé un souvenir inoubliable de l'accueil plein d'humilité et de bonté que lui réserva saint Martin. " L'on ne saurait croire avec quelle humilité, avec quelle bonté il m'accueillit alors : il se félicitait à l'extrême et se réjouissait dans le Seigneur de ce que nous l'eussions estimé assez pour que le désir de le rencontrer nous eût, fait entreprendre ce lointain voyage. Misérable que je suis, j 'ose à peine l'avouer, quand il daigna me faire partager son saint repas, c'est lui qui nous lava les pieds... Nous n'eûmes pas le courage de nous y opposer ou d'y contredire : son autorité avait sur moi une telle emprise que j 'aurais considéré comme un sacrilège de ne point le laisser faire ". L'accueil que Martin réserve au pèlerin bordelais, ce sont, transposés en Occident, les rites de l'hospitalité monastique, tels qu'ils étaient pratiqués dans les communautés égyptiennes. En effet, par Cassien, nous savons que, chaque dimanche soir, dans les monastères orientaux, les moines qui venaient d'assumer leur tour de service hebdomadaire achevaient celui-ci en lavant les pieds de leurs frères. D'autre part, il est bien, évident que le biographe de saint Martin a songé au geste accompli par Jésus, le soir du Jeudi saint, dans l'intimité de la dernière cène.
La mort et les funérailles de saint Martin de Tours
Saint Martin sait qu'il va mourir. Son décès a dû se produire dans sa 81ème année et dans la première quinzaine du mois de novembre 397, peut-être le 8. Sulpice Sévère nous parle de cette prescience dans une lettre à sa belle-mère, Bassula, qui résidait à Trèves. Martin dut effectuer une visite pastorale dans la paroisse de Candes, " car les clercs de cette église se querellaient, et il désirait y restaurer la paix... La paix rétablie entre les clercs, il songeait désormais à revenir à son monastère, quand, soudain, ses forces physiques commencèrent à l'abandonner ; il convoque ses frères et leur fait savoir qu'il est mourant. Mais alors, ce fut chagrin et deuil parmi les assistants ; ils n'ont qu'une seule plainte à la bouche : Père, pourquoi nous abandonnes-tu ? A qui nous laisses-tu, dans notre esseulement ? Sur ton troupeau vont se jeter des loups rapaces ; qui nous gardera de leur morsure, si le pasteur est frappé ? Nous savons bien que ton unique désir est le Christ, mais tes récompenses sont hors de toute atteinte : elles ne diminueront pas pour avoir été retardées. Aie plutôt pitié de nous, que tu abandonnes ". Saint Martin fait alors songer à saint Paul dans son épître aux Philippiens. Saint Paul écrit : " si vivre dans la chair fait fructifier mon œuvre, je ne sais que choisir. Je suis pressé des deux côtés : j'ai le désir de m'en retourner pour être avec le Christ, car c'est de beaucoup le meilleur ; mais rester dans la chair est plus nécessaire à cause de vous. Et dans cette conviction, je sais que je demeurerai et que je resterai près de vous tous pour votre progrès et la joie de votre foi, afin que vous ayez en moi un abondant sujet de vous vanter en Christ Jésus, par mon retour auprès de vous " ( Ph. 1, 22-26 ). A l'instar de saint Paul, Martin de Tours est partagé entre son désir d'être réuni au Christ par la mort, et celui de continuer à le servir en acceptant de poursuivre auprès de ses moines et de ses ouailles son travail apostolique. Et saint Martin, pour sa part, adresse au Christ cette prière : " c'est un lourd combat que nous menons, Seigneur, en te servant dans ce corps ; en voilà assez des batailles que j 'ai livrées jusqu'à ce jour. Mais si tu m'enjoins de rester en faction devant ton camp pour continuer d'y accomplir la même tâche, je ne me dérobe point et je n'invoquerai point les défaillances de l'âge. Je remplirai fidèlement la mission que tu me confies. Tant que tu m'en donneras l'ordre toi-même, je servirai sous tes enseignes. Et bien que le souhait d'un vieillard soit de recevoir son congé, sa tâche terminée, mon courage demeure pourtant victorieux des ans et ne sait point céder à la vieillesse. Mais si désormais tu épargnes mon grand âge, c'est un bien pour moi que ta volonté, Seigneur ? Quant à ceux-ci, pour qui je crains, tu les garderas toi-même ".
L'ultime prière de l'évêque de Tours est celle d'un vieux lutteur qui fut un soldat et qui est parvenu au bout de ses forces : " un lourd combat mené en te servant dans ce corps (gravis corporeae pugna militiae), les batailles que j'ai livrées jusqu'à ce jour (quod hucusque certavi), rester en faction devant ton camp (pro castris tuis stare), je servirai sous tes enseignes (sub signis tuis militabo) ". C'est une profession de fidélité aux ordres de son divin " imperator ", de son divin général. Finalement, saint Martin de Tours meurt en moine et en pasteur, c'est-à-dire en évêque et non pas, comme ce sera trop souvent le cas jusqu'à nos jours, hélas, en administrateur. En pasteur, puisqu'il meurt dans une de ses paroisses, à Candes, au cours d'une visite pastorale ayant eu pour fin éminemment épiscopale de rétablir la concorde à l'intérieur du " presbyterium ". En moine allongé dans la cendre, en ascète étendu sur le cilice, refusant d'adoucir ses souffrances de vieillard agonisant en acceptant " que l'on plaçât du moins sous son corps de misérables couvertures ".
Quant aux funérailles, qui eurent lieu peut-être le 11 novembre 397, elles furent triomphales. " Tout naturellement, le pasteur menait devant lui ses troupeaux : pâles foules et cohortes en pallium d'une sainte multitude, vieillards aux labeurs émérites ou jeunes recrues qui venaient de prêter leurs serments au Christ. Ensuite venait le chœur des vierges : si, par pudeur, elles s'abstenaient de pleurer, sous quelle sainte joie dissimulaient-elles leur souffrance ! Car la foi eût interdit les pleurs, mais l'affection ne leur en arrachait pas moins des gémissements. Et de fait, il y avait autant de sainteté, dans leur exultation de sa gloire, que de piété dans leur tristesse de sa mort. On pouvait pardonner à leurs larmes, on pouvait se féliciter de leur joie : chacun faisant en sorte de souffrir pour lui-même et de se réjouir pour Martin. Cette troupe escorte donc de la mélodie de ses hymnes célestes le corps du bienheureux jusqu'au lieu de sa sépulture ".
Mais ne nous y trompons pas : le titre de gloire le plus authentique et le plus durable de saint Martin de Tours, est secret et invisible. Ce titre est d'être mort comme il n'avait cessé de vivre depuis qu'il s'était donné tout entier au Christ : comme un pauvre de Iahvé (Cf Albert Gelin. Les pauvres de Yahvé. Paris, 1954), qui, tel le personnage de Lazare dans la parabole lucanienne ( Lc. 16, 19-31), se trouve dans le sein d'Abraham. La vie de saint Martin nous enseigne qu'à l'encontre de la sagesse purement humaine, l'existence chrétienne bien comprise est une folie de la croix selon laquelle, pour pénétrer dans la sphère d'existence de la plénitude divine, l'homme n'a que l'ouverture de son vide à offrir à Dieu, avec l'aveu défaillant de sa misère et de sa faiblesse. La vie toute entière de saint Martin de Tours vérifie et démontre, d'une manière existentielle, vécue, concrète, et non pas discursive et abstraite, intellectuelle, ce fait que, dans ses Béatitudes, Jésus se plait à renverser les normes terrestres de bonheur et à briser l'orgueilleuse fermeture de la perfection humaine enfermée dans son immanence close. La grande leçon de la vie de saint Martin, évêque de Tours, c'est l'affirmation que l'homme n'a pas été créé par Dieu pour être rempli de soi-même, mais afin de n'être qu'un pur réceptacle de Dieu, c'est la proclamation de l'éminente dignité de l'humilité, de la mort vivifiante au vieil homme et de sa résurrection en Christ ressuscité à la vie de l'homme nouveau, de la pauvreté spirituelle chantée par la première Béatitude : " Bienheureux les pauvres en esprit ", bienheureux les pauvres dans le saint Esprit !
Saint Martin de Tours est commémoré le 12 novembre dans les synaxaires grecs et le 12 octobre dans les documents slaves, mais sa fête est traditionnellement fixée au 11 novembre en Occident, jour de ses funérailles. Lorsque, dans notre cher Midi, l'automne est ensoleillé et chaud, on parle " d'été de la saint Martin ". Dans la Provence de Frédéric Mistral, la fête de saint Martin était une date pour la location des valets de ferme. La date de cette fête, c'est-à-dire, après les vendanges, explique l'expression provençale de jadis " faire sant Martin ", c'est-à-dire boucher les tonneaux, et, à cette occasion, monter à califourchon sur les fûts pour goûter le vin nouveau avec un chalumeau. Pour la même raison, on rencontre, dans l'œuvre de Rabelais, l'expression " martiner ". Dans son " Tresor dou Felibrige ", Mistral cite de nombreux proverbes provençaux qui relient la fête de saint Martin de Tours aux vendanges. Saint Martin de Tours fut le premier confesseur ( non martyr ) objet d'un culte public en Occident. Ses reliques attirèrent pendant de nombreux siècles des foules de pèlerins, et il est considéré comme le saint protecteur de la France.
Marie Borrély in "Orthodoxes à Marseille"
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Message  Arlitto Lun 7 Mar - 15:19

VIE DE SAINT JUST
Archevêque de Lyon et moine au désert de Scété (Egypte)








Saint Just (en latin : Iustus) naquit à Tournon, sur les bords du Rhône, dans la première moitié du IVe siècle. Son père était gouverneur de la province environnante, appelée depuis Vivarais. Lorsque le jeune Just eut atteint l'âge d'étudier, ses parents, qui voulaient lui donner une éducation chrétienne, le mirent sous la conduite de saint Paschasius, archevêque de Vienne, qui fut l'un des plus grands évêques de son temps.
Ce dernier eut la satisfaction de voir son jeune disciple croître en sagesse et en vertu. Just fit à son école de si grands progrès dans la prière et dans l'étude des Saintes Ecritures que Claudius, le successeur de saint Paschasius, l'ordonna diacre. Peu de temps après, vers 350, à la suite de la mort de Vérissimus, le siège épiscopal de Lyon étant vacant, saint Just y fut élu malgré les vains efforts qu'il fournit pour se soustraire à cet honneur. Il gouverna son peuple avec tant de zèle, d'humilité et de douceur que tous le regardaient comme un ange descendu du ciel. Son zèle le rendit la terreur des démons et des païens. Sa miséricorde était si grande qu'on l'appelait le Père des pauvres, le protecteur des veuves et des orphelins, le refuge des malades. Il était attentif à tous et sa charité s'étendait à toutes les créatures.
Il participa à deux conciles, celui de Valence en 374, puis celui d'Aquilée en 381, ce dernier fut réuni pour condamner l'hérésie arienne. Deux évêques de ce parti, Palladius et Secondianus, appuyés par Justine, femme de l'empereur Valentinien l'Ancien, demandaient un concile général pour revoir ce qui avait déjà été arrêté et défini. Saint Ambroise de Milan s'y opposa, et consentit seulement à la tenue d'un concile provincial. Néanmoins, l'empereur Gratien laissa à d'autres évêques la liberté d'y assister. Ceux des Gaules furent convoqués, mais, ne voulant pas quitter leurs diocèses, ils se contentèrent d'y envoyer trois députés. Saint Just fut l'un d'eux. Il se rendit à Aquilée et fut l'un des trente-deux évêques qui composèrent le concile, que présidait saint Valérien d'Aquilée. Saint Ambroise ouvrit la séance inaugurale et demanda à saint Just de prendre la parole. Celui-ci déclara, au nom de tous les évêques des Gaules, que celui qui ne confessait pas que le Fils de Dieu était coéternel à son Père devait être anathème. Dès lors, il demanda que l'on destituât Palladius et Secondianus de l'épiscopat et du sacerdoce, comme des blasphémateurs qui suivaient les erreurs impies d'Arius. Cette proposition fut entérinée par l'ensemble du concile. Saint Just sortit de cette assemblée avec la gloire d'avoir soutenu la foi orthodoxe et d'avoir dignement représenté l'épiscopat des Gaules.
Peu après son retour, alors que l'on espérait le voir diriger son Eglise pendant de nombreuses années encore, un incident imprévu le fit renoncer à sa charge et l'amena à se retirer au désert, pour donner libre cours à son zèle pour la prière et la solitude.
Un homme en proie à la folie, dans un accès de violence, massacra plusieurs personnes dans les rues de Lyon. On voulut le saisir, mais, revenant à lui, l'homme s'échappa et alla se réfugier dans l'église où il s'enferma. La sainteté du lieu arrêta quelque temps le peuple et l'empêcha de passer outre ; mais le tumulte reprenant peu à peu, on menaça saint Just, qui soutenait l'immunité de cet asile, de briser ou de brûler les portes s'il ne le faisait pas sortir. Il leur expliqua, avec sa douceur et son zèle ordinaires, qu'ils commettraient un grand crime en violant la sainteté du temple de Dieu. Sur ces entrefaites, un magistrat arriva. Il espérait par son adresse apaiser le tumulte. II s'adressa à l'évêque et le pria de lui livrer cet homme pour le conduire en prison, en lui donnant sa parole que, dès que le trouble serait apaisé et les gens dispersés, il le lui ramènerait. L'homme de Dieu lui fit confiance et lui livra le malheureux; mais à peine fut-il sorti de l'église que le peuple l'arracha des mains du magistrat, le traîna par les rues et le fit mourir cruellement.
Cet événement affecta profondément saint Just ; sans chercher à se justifier en prétextant sa bonne foi et ses bonnes intentions, il se regarda comme responsable de la mort de cet homme. Il n'accusa ni le peuple ni le magistrat, mais se déclara lui-même indigne de l'épiscopat, et se retira dans sa maison natale de Tournon. Tous ses amis, venus l'y visiter, ne parvinrent pas à le faire revenir sur sa décision.
Une nuit, il partit secrètement de sa demeure accompagné d'un jeune lecteur de son église, nommé Viator. Il prit le chemin d'Arles, puis de Marseille, où il s'embarqua pour l'Egypte.
A peine arrivé, il se retira au désert de Scété en compagnie des saints moines qui peuplaient alors ces solitudes. Il ne révéla ni son nom ni sa dignité, mais, en compagnie de saint Viator son compagnon, il vécut au désert comme un simple moine ignoré de tous. Il demeura ainsi pendant plusieurs années dans une profonde humilité et une parfaite obéissance. Dieu, cependant, qui ne voulait pas laisser méconnaître une telle sainteté, lui qui élève ceux qui s'humilient, permit qu'un pèlerin lyonnais se fit moine dans le monastère où vivait notre saint. L'ayant reconnu, il fit une métanie devant lui et lui demanda sa bénédiction. Les moines, étonnés, lui demandèrent la raison d'un tel geste. Il leur répondit que cet humble moine qui vivait au milieu d'eux depuis plusieurs années n'était autre que le grand évêque Just, métropolite de Lyon. Pendant que celui-ci se désolait d'avoir été reconnu, l'ensemble de la communauté, confuse de ne pas l'avoir traité selon sa dignité, lui demanda pardon du peu de respect qu'elle lui avait témoigné jusqu'à ce jour, dans l'ignorance qu'elle était de sa dignité. Mais lui les pria de le garder en leur compagnie comme auparavant, sans égard à son rang, ce qu'ils acceptèrent. Il continua donc à vivre comme un simple moine avec la même perfection et la même humilité, se contentant de prier sans cesse pour son troupeau qui était toujours présent à son esprit.
Quelques années passèrent jusqu'à ce qu'Antiochus, qui devait être le troisième successeur de Just sur le siège épiscopal de Lyon, poussé par l'Esprit, eut le désir de revoir le saint prélat. Il s'embarqua donc à Marseille pour l'Egypte. Saint Just, qui en avait eu la révélation, annonça cette nouvelle à saint Viator, et lui indiquait étape par étape les lieux par où Antiochus passait. Après que ce dernier eut rejoint leur monastère, une fois les salutations achevées, saint Just prit la parole et dit : " Sois le bienvenu, la fin de ma vie approche et Dieu t'a envoyé pour me rendre les devoirs de la sépulture". Antiochus et Viator furent attristés de ces paroles. Le compagnon de Just le lui déclara, mais celui-ci le consola par une autre prédication : " Ne t'attriste pas, mon enfant, de me voir partir de ce monde; tu me suivras bientôt dans la vie éternelle. " En effet, saint Just expira le 2 septembre 390, et son disciple le suivit un mois après.
Les Lyonnais, ayant appris la mort de leur évêque, envoyèrent quelques uns d'entre eux en Egypte pour aller chercher son corps et le ramener à Lyon, où on l'inhuma dans l'église des Macchabées, qui était à cette époque la cathédrale de la ville.
Le tombeau de ce grand évêque de Lyon devint l'objet de la vénération de tout le peuple. Chaque année, pour sa fête, des foules nombreuses s'y rassemblaient. Saint Sidoine Apollinaire qui y avait assisté, raconte que l'on marchait en procession avant le jour, et qu'il y avait une si grande affluence de peuple que l'église ne pouvait le contenir en entier. Un nombre infini de cierges étaient allumés. Pendant l'agrypnie, les psaumes étaient chantés alternativement à deux chœurs par les moines, le clergé et les fidèles. A l'issue de cet office, on se retirait jusqu'à l'heure de Tierce à laquelle on se rassemblait pour la Divine liturgie.

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Message  Arlitto Lun 7 Mar - 15:20

L'EVEQUE PLATON
SA VIE ET SON MARTYRE
Par Jüri POSKA











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L'ARCHIPRETRE PAUL KULBUSCH DE SAINT PETERSBOURG, EST DEVENU PLUS TARD L'EVEQUE PLATON
La chute du gouvernement autocratique en Russie a encouragé les leaders estoniens à présenter au gouvernement russe une offre pour l'octroi de l'autonomie à l'Estonie.
Pour appuyer cette revendication, la colonie estonienne de saint Pétersbourg a organisé une puissante démonstration de force devant le Palais Taurides le 8 avril 1917. Plus de 40 000 estoniens ont participé à cette manifestation, parmi eux, 15 000 soldats de l'armée, accompagnés et soutenus avec enthousiasme par 30 orchestres. La manifestation, s'est déroulée dans un ordre parfait, et a fait une impression décisive dans la capitale russe.
La loi accordant l'autonomie à l'Estonie a été promulguée par le gouvernement le 12 avril 1917. Cette loi stipulait que l'Estonie devait être dirigée par un parlement "Maapäev", dans lequel un député représentait 20 000 habitants et que le pouvoir exécutif devait être placé dans les mains d'un haut commissaire. Le maire de la capitale d'Estonie, Tallinn, Jaan Poska, fut nommé haut commissaire.
Le prêtre de la paroisse orthodoxe estonienne de saint Pétersbourg était l'archiprêtre Paul Kulbusch, un ami de Jaan Poska, tous les deux avaient été élèves au séminaire de Théologie de Riga. Ils se rencontrèrent souvent par la suite en Estonie pour discuter des questions ecclésiastiques et politiques. l'archiprêtre Paul Kulbusch a travaillé à Saint Pétersbourg pendant 23 ans (1894-1917), où il a fondé la " Fraternité du Martyr Isidore ". Au 16ème siècle Isidore était le prêtre de la paroisse orthodoxe de Tartu (Dorpat), où il a été assassiné par les ennemis du Christ. Le martyr Isidore est nommé et commémoré dans la version estonienne de la divine Liturgie ensemble avec d'autres martyrs orthodoxes.
La Providence a guidé l'évêque Platon pour être le fondateur de la " Fraternité du Martyr Isidore " et environ 400 ans plus tard il a subit le même sort qu'Isidore et au même endroit, à Tartu (Dorpat), le centre culturel de l'Estonie, où le Roi suédois Gustavus Adolphus avait fondé une université en 1632.
Avec l'aide accordée par la " Fraternité du Martyr Isidore ", l'évêque Platon, alors l'archiprêtre Paul Kulbusch, a construit une église splendide pour sa paroisse à Saint Pétersbourg, une maison avec deux halls pour les services divins, un hall pour des réunions, des salles de classe pour l'école de la paroisse, des salles de séjour (dortoir, etc.) pour les élèves, des appartements pour le clergé et les enseignants et en plus des chambres pour des voyageurs estoniens.
Non seulement à Saint Pétersbourg mais aussi ailleurs, l'évêque Platon a agi en " leader " du peuple orthodoxe estonien : il les a réunis dans des paroisses et fût leur doyen pendant 18 ans.
A Saint Pétersbourg l'évêque Platon était un membre éminent de l'association pour le rapprochement entre les Eglises orthodoxes et anglicanes et comme représentant de la métropole de Saint Pétersbourg il a même visité l'Angleterre.
LA VIE ET LA CONSECRATION DE L'EVEQUE PLATON
Le futur évêque d'Estonie, Paul Kulbusch, est né le 13 juillet 1869 à Pootsi, dans le comté de Pärnu, en Estonie, où son père était le chantre de la paroisse orthodoxe locale. Il a étudié à l'école paroissiale d'Arusaare et ensuite à l'école de théologie et au séminaire de Riga. Chaque année il est accordé aux deux meilleurs diplômés, des bourses pour étudier, à l'académie de théologie à Saint Petersbourg et l'évêque Platon fut l'un des deux. Il a terminé ses études à l'académie en 1894.
En juillet 1917 les délégués des paroisses orthodoxes en Estonie se sont rendus à Saint Petersbourg pour contacter l'archiprêtre Paul Kulbusch et lui demander son consentement afin d'être consacré évêque d'Estonie. On lui avait, en fait, déjà offert un siège épiscopal en Russie, mais il l'avait refusé, parce qu'il sentait que sa vocation première était de servir son peuple orthodoxe d'Estonie.
La première guerre mondiale durait depuis plus de trois ans et l'incertitude demeurait quant à l'installation de l'évêque à Tallinn. Cependant, l'archiprêtre Paul Kulbusch y a consenti et la cérémonie de sa nomination s'est déroulée en la Cathédrale de la Transfiguration de Christ à Tallinn. Sa consécration a eu lieu en la Cathédrale Alexandre Newski à Tallinn le 31 décembre 1917 par Benjamin métropolite de Saint Petersbourg et Artem, évêque de Luuga.
L'évêque Platon a célébré sa première liturgie pontificale la nuit du nouvel an, le 1er janvier 1918, à la Cathédrale de la Transfiguration. Les dames de Tallinn avaient présenté à l'évêque un vêtement de cérémonie aux couleurs du drapeau estonien : le vêtement lui-même était blanc et il était décoré de croix bleues et noires.
On doit se rappeler que moins de deux mois après la consécration, les troupes allemandes occupaient l'Estonie. Voyager n'était pas une entreprise aisée en ces temps, mais cela n'a pas empêché l'évêque de visiter, en un seul été, presque toutes les paroisses orthodoxes en Estonie. La photo de l'évêque Platon en haut de ce texte est un agrandissement d'une photo de groupe prise lors d'une des visites de l'évêque. Pour cette photo nous sommes redevables au sous-diacre de l'évêque Platon, le moine Johannes Jürgenson, qui a accompagné l'évêque pendant tous ses voyages et qui a tenu le bâton pastoral personnel de l'évêque Platon à la consécration. Pendant l'emprisonnement de l'évêque Platon le moine Johannes lui a apporté de la nourriture, qu'il passait par la fenêtre de la prison. Plus tard, il fut le premier à identifier le corps de l'évêque.
Les Allemands n'accordaient pas facilement des autorisations pour voyager, pourtant à l'automne 1918 l'évêque Platon y parvint et il put visiter, à cheval, 35 paroisses. Ses compagnons ont rapporté combien il était intéressant de voyager avec l'évêque pendant la nuit à la lumière des étoiles. L'évêque Platon était un excellent astronome et décrivait souvent en détail les différentes étoiles qui brillaient dans le ciel.
Partout la visite de l'évêque commençait par un service divin suivi des prières pour les morts dans le cimetière. Puis des discussions se tenaient avec les membres des conseils paroissiaux, dans lesquelles l'évêque s'informait des difficultés des paroisses. Il prodiguait conseils et encouragements à son peuple et partout, on se rappelait les visites de l'évêque Platon comme des événements essentiels dans la vie locale.
Au printemps de 1918 l'évêque est arrivé à Tartu (Dorpat) où il a consacré le maître-autel de l'église paroissiale St Alexandre, un événement qui apporta un grand encouragement et réconfort aux gens. Le même jour le 21 avril, à Tartu, se tint une grande réunion regroupant 40 délégués de diverses paroisses et placée sous la présidence de l'évêque Platon. Le fardeau de l'occupation allemande était particulièrement lourd pour les orthodoxes et par l'intermédiaire de professeur Antonius Piip, l'évêque Platon envoya un mémorandum à l'archevêque du Cantorbéry à Londres, se plaignant de l'oppression allemande en Estonie.
Les Russes, particulièrement à Riga, étaient fortement opposés à la création d'une juridiction épiscopale spéciale pour l'Estonie, puisque l'Estonie avait appartenu jusqu'ici à l'archevêché de Riga. La question a même été discutée au Conseil de l'église russe à Moscou. Les Estoniens y ont obtenu une décision en leur faveur, principalement parce que leur point de vue avait été soutenu par le Patriarche Tikhon. Mais les activités des Russes en Estonie n'ont pas cessé. Ils ont envoyé un délégué à Moscou pour se plaindre de l'évêque Platon, à cause de son utilisation du drapeau estonien, bleu, noir et blanc et à cause de son appel au peuple estonien pour obéir aux ordres et aux instructions du gouvernement provisoire d'Estonie, agissant dans la clandestinité.
L'évêque fut inquiété et déclara : "Ils ne me laisseront pas en paix, tant que je ne serai pas transféré à Irkoutsk. Mais je n'irai pas, je resterai en Estonie".
On doit garder à l'esprit qu'à la fois la Russie et l'Allemagne revendiquaient le territoire d'Estonie. C'est pourquoi la proclamation de l'indépendance, la formation du gouvernement provisoire et la création d'un drapeau estonien, étaient des actions que les Allemands et les communistes russes non seulement réprouvaient, mais qu'ils ont essayé de détruire par la guerre.
L'évêque Platon contribua, de tout le poids de son autorité et de son patriotisme, à la lutte pour l'indépendance de l'Estonie. L'évêque se rendit de Tartu à Tallinn où il a célébré la divine Liturgie dans la cathédrale de la Transfiguration les 17 et 24 novembre, ces services ont été suivis par des foules énormes. Il a participé à la session du parlement estonien (Maapäev) et a étendu aux délégués assemblés les salutations de l'évêché d'Estonie.
Avant Noël l'évêque eut l'intention de visiter Riga pour essayer de contribuer au règlement de certaines questions ecclésiastiques. En chemin, l'évêque tomba malade et il resta à Tartu. Les docteurs ont diagnostiqué une pneumonie. Après la réception de la sainte communion, cependant, l'évêque se remit et convoqua les membres du conseil épiscopal à son chevet, il a écouté ses collaborateurs et leur prodigua des conseils.
LES TROUPES COMMUNISTES ENVAHISSENT TARTU (DORPAT)
Avant l'occupation soviétique de 1940, Tartu avait été aux mains des communistes à deux reprises, de la révolution d'octobre jusqu'au 24 février 1918 et à partir du 21 décembre 1918 jusqu'au 14 janvier suivant.
Le dimanche 21 décembre 1918 un drapeau rouge a été hissé au-dessus de l'Hôtel de ville. L'Estonie avait été envahie par les troupes de l'Armée Rouge qui avaient progressé de Narva à Tartu. Les troupes estoniennes sous le commandement du Général Sir Johan Laidoner ont été déployées autour de Tallinn pour protéger la capitale.
Le peuple de Tartu décida, cependant, de célébrer la Nativité du Christ comme d'habitude. Ils n'ont pas été effrayés par les rumeurs disant que les bolcheviks avaient l'intention de jeter des grenades à mains parmi les fidèles dans les églises.
Le 29 décembre tous les services divins et tout acte rituel furent interdits sous peine de mort. A la veille de la nouvelle année une cérémonie communiste se tint en l'église St Pierre. Sur l'orgue fut joué "la Marseillaise". La chaire recouverte de drapeaux rouges, un discours y fut prononcé par le Ministre communiste de l'éducation nationale, A. Wallner, qui déclara : "tout ce qui a été dit auparavant depuis cette chaire, était un mensonge".
LE MARTYRE DE L'EVEQUE PLATON
Dans ces circonstances, les clergés orthodoxe, protestant, catholique romain et juif ont décidé d'agir en commun. Cette initiative a été prise par le pasteur D. Traugott Hahn, professeur de théologie à l'université de Tartu (Dorpat).
La délégation a été reçue par l'évêque Platon avec une profonde satisfaction, bien qu'il soit toujours malade et alité. L'évêque donna son accord : "nous ne pourrons être soumis que par la force brute. Nous servirons l'Eglise et nos paroisses et s'il arrivait que nous, ensemble avec nos frères dans le sacerdoce, devions faire face à l'exil ou à la mort, cela ne ferait aucune différence". Après le baiser de paix et des bénédictions, les ecclésiastiques se séparèrent et l'évêque conclut : "Si sévères puissent être les temps que Dieu nous ait envoyé, encore sont-ils toujours emplis de bénédictions, parce que maintenant nous comprenons mieux qu'auparavant, ce que nous aurions dû comprendre il y a longtemps, à savoir que les différences entre les diverses dénominations ne sont rien d'autre que des murs construits par des hommes, tandis que bien au-dessus de ces murs Dieu trône, Notre Père céleste à tous".
Dans la soirée du 2 janvier l'évêque Platon a été arrêté dans une rue de Tartu (Dorpat) en compagnie de son protodiacre Dorin, à quelques dizaines de mètres de sa maison. Une garde de 30 hommes armés les emmenèrent au quartier général de la milice. Là les communistes poussèrent des cris de joie quand ils ont entendu dire qu'un de ceux qu'ils avaient arrêtés était l'évêque orthodoxe d'Estonie, Platon. Les gardes rouges crièrent : "C'est le diable que nous recherchions". Le commissaire a même ordonné à l'évêque d'ôter ses chaussures, dans l'espoir d'y trouver de l'or. Ainsi commença l'emprisonnement de l'évêque Platon qui dura 12 jours. Puisque l'évêque niait toutes les accusations et qu'il a même refusé de signer le protocole de son interrogatoire, il a été emmené dans la cave de la Banque de la Noblesse, au N°5 de la rue Kompani, que les autorités communistes utilisaient comme prison. Pendant son emprisonnement l'évêque Platon consola et encouragea tous les autres prisonniers. L'évêque plaça sa panaghia sous sa chemise pour qu'il puisse être reconnu, s'il devait être exécuté.
En prison l'évêque Platon a été forcé de nettoyer les toilettes des prisonniers avec ses mains nues. C'était le dimanche 12 janvier. Le même soir l'évêque était convaincu de sa mise à mort. Il a dit à ses compagnons de cellule qui si cela arrivait, ils devaient transmettre sa dernière bénédiction à tout le peuple orthodoxe et aux paroisses : il leur a recommandé vivement de fuir, si possible, la terreur communiste, mais à la première occasion de revenir. Pendant son emprisonnement l'évêque Platon lisait souvent l'évangile en grec, particulièrement le chapitre 24 de St Matthieu. Une demi-heure avant sa mort l'évêque, avec le pasteur Hahn, lut la passion de Christ dans St. Marc, chapitre 15.
Le 14 janvier 1919, à 10 heures du matin, environ, un commissaire avec deux gardes rouges commandèrent à l'évêque Platon de sortir. Pendant un interrogatoire précédent le commissaire avait insisté pour que l'évêque cessa de prêcher l'évangile. L'évêque Platon lui a répondu, "Dès que je serai remis en liberté, je louerai Dieu".
Après quelque temps les prisonniers ont entendu des coups de feu provenant de la cave. Alors on ordonna à l'Archiprêtre Nikolaï Beschanitzki, l'Archiprêtre Michel Bleive et au professeur Hahn, de sortir. Un témoin, qui travaillait alors au magasin de vêtements des prisonniers, déclara avoir vu de la fenêtre comment les prisonniers étaient emmenés dans la cave où ils étaient assassinés. Il a entendu comment l'évêque Platon a été battu, mais aucun cri n'est sorti de ses lèvres. Un quart d'heure plus tard il a entendu des coups de feu de la cave, où les prisonniers avaient été conduits en sous-vêtements.
Après que l'évêque Platon ait été tué, l'Archiprêtre Nikolaï Beschanitzki, l'Archiprêtre Michel Bleive, le pasteur Traugott Hahn, le pasteur Wilhelm Schwartz et 14 notables de Tartu (Dorpat) ont aussi été assassinés.
Au même moment, après des combats acharnés, les troupes estoniennes atteignirent le centre de Tartu. Les portes de la prison furent mises en pièces à coups de hache, et les soldats ont crié, "Vous êtes libres".
La joie de libération s'est changée en horreur quand ils ont découvert dans la cave les corps de ceux qui étaient tombés aux mains des commissaires et des gardes rouges.
Dans son rapport le docteur Wolfgang Reyher, qui était le premier à entrer dans la cave, raconte que le plancher entier était couvert de cadavres dans des positions les plus artificielles, causées par une mort soudaine et violente. Au centre de la cave les corps étaient allongés en trois rangs. Les coups de feu avaient été tirés à bout portant dans les crânes. Les cadavres ont été transportés au département d'anatomie de l'université, où les parents des victimes pourraient les identifier.
Sur la poitrine de l'évêque Platon, sous sa chemise, on a trouvé sa panaghia, emblème de sa charge épiscopale. Plus tard elle fut portée par ses successeurs, le métropolite Alexandre et l'évêque Jüri de Ravenna et elle est vénérée comme la relique d'un saint par le peuple orthodoxe estonien.
L'examen médical et légal établit que l'évêque Platon avait été poignardé avec une baïonnette : sept blessures infligées par cette arme furent trouvées sur sa poitrine. Des balles avaient été tirées dans sa poitrine, une a traversé l'épaule gauche et une autre l'œil droit. La partie arrière de son crâne avait été frappée. Il était évident que l'Evêque avait été torturé avant d'être mis à mort.
Les troupes qui ont libéré Tartu étaient placées sous le commandement du héros de la guerre de libération d'Estonie, le lieutenant Julius Kuperjanov. De Tartu il a marché pour libérer la ville de Walk, où il reçut une blessure fatale pendant le combat et il est mort à Tartu le 2 février.
Les meurtres de l'évêque Platon et des autres victimes avaient été commandés et exécutés par les commissaires Kull, Rätsep et Otter, qui s'étaient enfuis en grande panique à l'arrivée de Kuperjanov.
Dès que les nouvelles du carnage de Tartu atteignirent Paris (France), l'attaché de presse de la délégation estonienne à la conférence de paix de Paris, Ed. Laaman, envoya tous les détails aux représentants de tous les grands quotidiens : mais seul le "New York Herald" publia cette information.
Le chef de la délégation estonienne, le ministre des affaires étrangères Jaan Poska, a pris des mesures pour qu'un pannichide fut célébrée à la cathédrale orthodoxe grecque de Paris à la mémoire de l'évêque Platon et des autres victimes. La cérémonie a été suivie par tous les membres de la délégation estonienne, menée par Jaan Poska.
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Message  Arlitto Lun 7 Mar - 15:20

La Vie du Saint Père Théophore Serge de Radonège, Thaumaturge et Protecteur de la Russie

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Saint Serge naquit en 1313 à Rostov. Ses parents, Cyrille et Marie, lui donnèrent au baptème le nom de Barthélémy. Dès le sein de sa mère, Dieu laissa prévoir la gloire future de son serviteur. C'est ainsi qu'une fois, au cours de la liturgie avant la lecture de l'Evangile, l'enfant se mit à crier dans le sein de sa mère, si fort que sa voix fut entendue par d'autres. Au moment de l'hymne des chérubins, la voix de l'enfant se mit encore à retentir, ce qui effraya Marie. Lorsque le prêtre prononça l'ecphonèse : «Ce qui est saint aux saints !», l'enfant poussa un cri pour la troisième fois, et sa mère commença à pleurer. Ceux qui étaient présents à la liturgie souhaitaient voir l'enfant; mais la mère fut contrainte de dire qu'il criait non pas sur ses bras, mais dans son sein. Après cet événement inhabituel, Marie, pendant toute la période de sa grossesse, ne mangeait ni viande ni lait ni poisson; elle se nourrissait exclusivement de pain et d'eau, et vaquait à la prière. Lorsqu'il eut sept ans, on envoya l'enfant ètudier. Or, contrairement à ses frères Etienne et Pierre qui apprenaient bien, Barthélémy éprouvait des difficultés. Le maître le punissait, ses camarades se moquaient de lui, ses parents le réprimandaient; mais Barthélémy, malgré toute sa bonne volonté, ne parvenait pas à apprendre. C'est alors que se produisit le même phénomène qu'avec Saül. Un jour, alors que son père l'avait envoyé au champ chercher des chevaux, Barthélémy aperçut un moine âgé sous un chêne, qui priait en versant des larmes. Le jeune garçon s'approcha doucement, attendant la fin de la prière du staretz, qui lui dit: «Que te faut-il, mon enfant?» Barthélémy répondit: «Je ne puis apprendre malgré mes efforts. Prie Dieu pour moi, saint père, pour que je puisse apprendre les lettres». Le staretz, en prononçant une prière, donna un morceau de prosphore à l'enfant et lui dit: «Ne t'afflige point. A partir de ce jour, le Seigneur te donnera la compréhension des lettres!» Alors que le staretz voulait sortir, Barthélémy tomba à ses pieds et lui demanda de visiter la maison de ses parents. Il ajouta: «Mes parents aiment fort les personnes semblables à toi, Père». L'Ancien, en souriant, se rendit à la maison des parents de l'enfant, qui le reçurent avec grande considération. Ils le prièrent de partager leur repas, puis le staretz entra dans la chapelle familiale. Prenant l'enfant avec lui, le vieux moine lui ordonna de lire les heures. Cependant, Barthélémy, troublé, répondit qu'il ne pouvait pas lire. Le staretz réintima l'ordre, et l'enfant, ayant pris sa bénédiction, commença à lire le psautier correctement et distinctement, à l'étonnement général. A table, les parents racontèrent au moine ce qui s'était produit à l'église quand l'enfant était encore dans le sein de sa mère. Le staretz, avant de se séparer d'eux, dit ces paroles énigmatiques: «Cet enfant va devenir la demeure de la Sainte Trinité, et amènera une multitude à la compréhension de Sa volonté». Après cela, Barthélémy commença à fréquenter avec ardeur l'église et à lire la sainte Ecriture. Après un certain temps, alors qu'il était âgé de douze ans, il se mit à observer une stricte tempérance, s'abstenant de toute nourriture le mercredi et le vendredi et se contentant, les autres jours, de pain sec et d'eau. En raison de certains malheurs qui le frappèrent à Rostov, le père de Barthélémy, Cyrille, partit à Radonège avec sa famille. Là, Barthélémy continua son ascèse. Alors que ses deux frères s'étaient mariés, il demanda à ses parents la permission de s'engager dans la vie monastique. Ceux-ci le prièrent d'ajourner son désir jusqu'à leur mort. Cependant, peu de temps après, ils entrèrent eux-mêmes au monastère et décédèrent bientôt. Pendant quarante jours, Barthélémy pria sur leur tombe, nourrit les pauvres et fit servir des offices de requiem. Ensuite, il fit don de ses biens à son frère cadet Pierre et décida d'accomplir son désir. Son frère aîné Etienne, dont la femme était décédée, effectua sa profession monastique au monastère de Khotov, où ses parents étaient enterrés. Barthélémy, qui souhaitait une profonde solitude, convainquit Etienne de rechercher un endroit qui conviendrait mieux à la vie ascétique. Ils cheminèrent longtemps dans les forêts, puis trouvèrent un endroit approvisionné en eau et éloigné des chemins battus, à dix verstes de Radonège et de Khotov. Ils bâtirent une cellule avec une petite église. Le frère cadet, obéissant à l'aîné, demanda en quel nom serait construite l'église. Barthélémy, se rappelant les paroles du staretz, répondit qu'il convenait de dédier l'église à la Sainte Trinité. Le frère cadet dit alors que telle était aussi sa pensée. L'église fut consacrée avec la bénédiction du métropolite Théognoste. Ayant demandé à l'higoumène Métrophane de venir, Barthélémy reçut la tonsure monastique avec le nom de Serge. Il avait alors vingt-quatre ans (1337). Etienne, quant à lui, parti peu de temps après au monastère de la Theophanie à Moscou.
Et voici que Serge se trouva seul dans cette forêt, où les loups hurlaient près de sa cellule. Les ours aussi s'approchaient du lieu où vivait le saint. Une fois, Serge s'aperçut qu'un ours n'était pas tant féroce qu'affammé, et il commença à éprouver de la pitié pour cet animal, puis lui donna de la nourriture. Le fauve s'éprit du père et vint souvent recevoir de lui sa pitance. Le saint la lui donnait à chaque fois, partageait son dernier morceau de pain avec cet animal, et allait même jusqu'à se priver de nourriture pour lui. Saint Serge resta seul pendant trois ans jusqu'à ce que des zélateurs de la piété commencent à lui demander de vivre sous sa direction spirituelle. Peu à peu, douze fréres se rasemblèrent, et chacun d'entre eux construisit sa propre cellule. L'office de minuit, les matines, les heures, les vêpres et les complies étaient quotidiennement célébrées à l'église. Pour la célébration de la liturgie, les frères appelaient un prêtre de l'extérieur, car il n'y en avait pas encore parmi eux. Enfin, l'higoumène Métrophane, qui avait tonsuré Serge, vint vivre avec eux. Mais, peu de temps après, cet ancien mourut. Quant à Serge, il ne voulait pas, par humilité, devenir higoumène. Les frères se réunirent alors, vinrent voir le saint et lui dirent: «Père, nous ne pouvons vivre sans higoumène, et nous souhaitons que ce soit toi qui remplisses cette fonction. Ainsi, lorsque nous viendrons te révéler nos péchés, nous recevrons des enseignements et l'absolution. Il convient également que la liturgie soit célébrée et que nous recevions les saints Mystères de tes pures mains». Cependant Serge refusa et, quelques jours après, la communauté se réunit de nouveau chez le saint, en le priant d'accepter la charge d'higoumène. «Il ne m'appartient pas d'accomplir le ministère angélique; il m'appartient de pleurer mes péchés», répondit-il. Les frères pleurèrent et dirent enfin: «Si tu ne veux pas prendre soin de nos âmes, nous serons contraints de quitter ce lieu, nous errerons alors comme des brebis égarées, et tu devras en répondre devant Dieu.» «Je préfère me soumettre que de commander, dit Serge; mais, craignant le jugement de Dieu, je laisse ce problème à la volonté du Seigneur». Prenant avec lui deux des moines les plus âgés, il se rendit à Péréïaslavl, chez Athanase, l'évêque de Volynie, auquel S. Alexis, alors à Constantinople, avait remis les affaires du diocèse metropolitain.
En 1354, Serge fut ordonné prêtre et élevé au rang d'higoumène par l'évêque Athanase. Il célébrait quotidiennement la sainte liturgie, et arrivait le premier à l'église pour chaque office. Il fabriquait lui-même les cierges et les prosphores, ne permettant jamais à quiconque de participer à cette dernière tâche. Pendant trois ans, le nombre des moines resta identique, le premier qui fit augmenter ce nombre fut l'archimandrite Simon de Smolensk, qui préférait obéir à S. Serge plutôt que commander ailleurs.
Le soir après les complies, et sauf en cas de besoin urgent, nul n'avait l'autorisation de se rendre dans la cellule d'un autre moine. Car les heures de la nuit devaient être réservées à Dieu seul. Le reste du temps, ils restaient dans le silence à alterner la prière et le travail manuel. A la fin de la prière que les frères devaient accomplir dans leur cellule, le saint faisait secrètement le tour de celles-ci. S'il entendait de vaines conversations ou des rires, il frappait à la fenêtre pour les faire cesser et s'en allait tout triste. Le matin, il réunissait les fautifs, et «de loin», à l'aide de paraboles et sur un ton humble et doux, il les instruisait. Il n'employait une sévérité toute mesurée que pour ceux qui refusaient de faire pénitence et persistaient dans leurs fautes. Il aimait tant la pauvreté qu'il institua comme règle stricte de ne jamais faire de quête au profit du monastère: quels que soient ses besoins. Le dépouillement était extrême dans la communauté: On s'éclairait avec des tisons pour l'office, et les livres étaient faits en écorce de bouleau. Un jour, le monastère se trouva réduit à une si extrême misère qu'on ne pouvait plus y trouver ni pain ni eau. Après avoir passé trois jours sans nourriture, Serge se rendit chez le frère Daniel et lui dit: «J'ai entendu que tu voudrais construire une entrée devant ta cellule. Je te la construirai afin que mes mains ne restent pas oisives. Cela ne te coûtera pas cher, je veux du pain avarié et tu en as.» Daniel lui apporta donc des morceaux de pain moisis qu'il avait chez lui. «Garde-les, lui dit le saint, jusqu'à la neuvième heure; je ne prends pas de salaire avant d'avoir travaillé». Ayant achevé son travail, Serge pria, bénit le pain, en mangea, puis but de l'eau, ce qui constitua son repas. En raison de l'absence de nourriture, les frères commencèrent à manifester leur mécontentement: «Nous mourons de faim», dirent les faibles, «et tu ne permets pas de demander l'aumône. Demain, nous partirons d'ici, chacun de son côté, et nous ne reviendrons plus ! » Le saint les persuada alors de ne pas affaiblir leur espoir en Dieu. «Je crois, dit-il, que Dieu ne délaissera pas les habitants de ce lieu». A ce moment, on entendit quelq'un frapper à la porte. Le portier vit que l'on avait apporté beaucoup de pains. Il accourut tout joyeux, et dit à l'higoumène: «Père, on nous a apporté beaucoup de pains. Donne-nous ta bénédiction afin que nous les prenions! » Le saint ordonna de laisser entrer les bienfaiteurs, et convia tous les frères à table, ayant au préalable célébré un office d'action de grâces. «Où sont ceux qui nous ont apportè ces dons ?» demanda-t-il. «Nous les avons invites à table et leur avons demandé qui les avait envoyés», répondit le moine, «et ils nous dirent que c'était quelqu'un qui aime le Christ, qui les avait envoyés; mais que, ayant une autre tâche accomplir, ils devaient partir».
Une autre fois, le saint, tard dans la soirée, priait pour les frères de son monastère. Soudain, il entendit une voix lui dire: «Serge! » Ayant terminé une prière, il ouvrit la fenêtre et aperçut une lumière inhabituelle qui descendait du ciel, et la voix continua: «Serge ! Le Seigneur a entendu la prière pour tes enfants; vois quelle multitude s'est rassemblée autour de toi au nom de la Sainte Trinité». Alors, le saint vit une multitude d'oiseaux merveilleux, volant non seulement dans le monastère, mais également tout autour. «Ainsi, poursuivit la voix, se multipliera le nombre de tes disciples et il ne te manquera point de successeurs pour marcher sur tes traces».
Peu de temps après, le patriarche Philothée' fit parvenir au saint une croix et encore d'autres présents avec une lettre, dont voici le contenu : «Par la Miséricorde Divine, l'archevêque de Constantinople, patriarche œcuménique, Philothée, à Serge, fils dans le Saint-Esprit et concélébrant de notre humble personne. Que la grâce, la paix et notre bénédiction soient avec vous tous! Nous avons entendu parler de ta vie vertueuse, nous l'approuvons, et nous en glorifions Dieu. Mais il te manque une chose: la vie commune (cénobitique). Tu sais, Père très semblable au Christ, que le parent de Dieu, le prophète David, qui saisissait tout par son esprit, loua la vie commune. «Qu'y a-t-il de meilleur et de plus beau pour des frères gue de vivre ensemble» ? (Ps 132). Pour cela, je vais vous donner un conseil utile: instituez le cénobitisme. Que la miséricorde de Dieu et notre bénédiction soient avec vous! » Suivant le conseil du patriarche, le saint, avec la bénédiction du métropolite Alexis, introduisit la vie commune intégrale dans son monastère. Il construisit les bâtiments nécessaires, définit les devoirs propres à cette vie, et ordonna que toute chose soit commune, interdisant d'avoir sa propriété ou d'appeler quelque chose «sien». Le nombre des disciples s'accrut alors et l'abondance régna au monastère. On introduisit l'hospitalité, on nourrit les pauvres et on donna l'aumône à ceux qui le demandaient. Saint Serge s'était soumis à ce conseil du patriarche par esprit d'obéissance. Bien qu'il demeurât amant de la solitude, il accepta d'assumer cette forme plus rigide de direction, sans cesser pourtant d'être un père et un éducateur plutôt qu'un administrateur. Mais il devait bientôt subir de cruelles épreuves. Un samedi, le saint se trouvait dans le sanctuaire, célébrant les vêpres. Son frère, revenu au monastère, demanda au canonarque: «Qui t'a donné ce livre ?» «L'higoumène», répondit celui-ci. «Qui est higoumène ici ?» répondit à son tour Etienne, avec colère. «N'ai-je pas fondé ce lieu en premier ?» A ceci, il ajouta de violentes paroles. Le saint entendait tout cela dans le sanctuaire, et il comprit que cette manifestation de mécontentement était dûe en fait au nouvel ordre qui régnait dans le monastère. Mécontents du cénobitisme, certains quittèrent en secret le monastère, et d'autres souhaitaient ne plus avoir Serge pour higoumène. Le saint, laissant ceux qui voulaient vivre selon leur volonté face à leur conscience, ne rentra même pas dans sa cellule, mais s'éloigna du monastère. Les meilleurs moines étaient inquiets, mais pensaient encore que Serge reviendrait. Toutefois, leur attente fut déçue. Le saint s'installa à Kirjatch. Sur la demande de certains, saint Alexis dépêcha une délégation auprès de saint Serge,afin qu'il revînt au monastère où il était si utile. Mais saint Alexis, sentant sa mort prochaine, souhaitait trouver en la personne de Serge son successeur. Il le fit venir chez, lui fit cadeau de sa croix épiscopale. Mais saint Serge, par humilité, la refusa en disant: «Pardonne-moi, Seigneur, mais depuis mon enfance je n'ai jamais porté d'or et maintenant, je souhaite d'autant plus rester dans le dépouillement». «Je le sais, bien-aimé, mais accepte par obéissance!» répondit Alexis. Ce faisant, il lui passa la croix autour du cou et lui annonça qu'il le désignait comme son successeur. «Pardonne-moi, vénéré pasteur, mais tu veux me charger d'un fardeau qui dépasse mes forces. Tu ne trouveras pas en moi ce que tu cherches. Je suis le plus pécheur et le pire de tous.»
Lorsque les hordes tatares déferlèrent sur la terre russe, et alors que la population était effrayée, le grand Duc Dimitri Ioannovitch, qui avait une grande foi en saint Serge, lui demanda s'il devait entrer en guerre contre les impies Tatares. Le saint bénit le grand Duc pour entrer en guerre et lui dit: «Avec l'aide de Dieu, tu seras victorieux et tu sortiras de la bataille sain et sauf et couvert d'honneurs.». Au moment de la bataille de Koulikovo*, le saint était en prière avec ses frères et parlait du déroulement heureux des combats. Il citait même les noms de ceux qui tombaient, faisant une prière pour eux. Conformément à la prédiction de saint Serge, le grand Duc remporta la célèbre victoire de Koulikovo, qui constituait le début de la délivrance du joug tatare.
Une nuit, alors que saint Serge chantait l'Acathiste à la Mère de Dieu et lui adressait de ferventes prières pour le monastère devant son icône, il s'interrompit un instant pour dire à son disciple Michée: «Sois vigilant, mon enfant, car nous allons recevoir une visite miraculeuse!» A peine avait-il prononcé ces paroles qu'il entendit une voix: «La Très Pure arrive! » Il se précipita à l'entrée de sa cellule et, soudain, une lumière inhabituelle l'entoura, plus éclatante encore que le soleil. Il vit la Très Sainte Mère de Dieu, accompagnée des Apôtres Pierre et Jean, rayonnante d'une gloire indescriptible. Le saint se prosterna à terre, mais la Mère de Dieu le toucha de sa main et dit: «Ne crains point, mon élu! Je suis venue te visiter, car j'ai entendu ta prière pour tes disciples et pour ce lieu. Dorénavant je ne quitterai pas ton monastère, durant ta vie comme après ta mort, et je le protégerai». Après cela, le saint resta sans sommeil toute la nuit, méditant avec piété sur la miséricorde céleste.
Six mois avant son trépas, le saint, appelant sa communauté, la recommanda à Nicon, et se consacra lui-même à la solitude et à la prière. En septembre, il pressentit la maladie, appela de nouveau les frères et leur donna à tous ses dernières instructions. Il mourut le 25 septembre 1391, à l'âge de 78 ans.
* Bataille décisive pour la Russie, que l'on peut comparer à la bataille de Poitiers en France.

Macaire, moine de Simonos Petras
"Le Synaxaire. Vies des Saints de l'Eglise Orthodoxe"
Editions "To Perivoli tis Panaghias", © S. M. Simonos Petras, Mont Athos
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Message  Arlitto Lun 7 Mar - 15:21

Les Traditions 

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Illustration d'un livre du 14ème siècle, évoque sur la même page des paroles de l'Ancien et du Nouveau Testament.








TRADITIONS AUTOUR DE NOEL EN EUROPE

1.- L'AVENT
Les longues nuits froides, de la fin de l'automne à l'hiver, faisaient naître les pires craintes dans un monde rural où mauvais temps, insectes, rongeurs, maladie étaient synonymes de famine. Aussi les croyances et superstitions anciennes visaient à conjurer ces menaces et s'assurer que les beaux jours reviendraient, que la lumière reprendrait le dessus, que la végétation renaîtrait, que les semis lèveraient dans les champs, que le bétail serait épargné par la maladie et que les enfants nombreux, garantiraient l'avenir. Sapin, fruits, bougies, guirlandes, bûches sont les vestiges des symboles de ces rites agraires associant culte solaire, culte de la fertilité et du renouveau et exorcisme des peurs nocturnes. La période de l'Avent, qui doit ses références à la religion chrétienne n'a pas totalement rompu avec ces traditions, au premier rang desquelles on trouve le chant.
Avec le retour des nuits noires et longues revenaient les peurs et croyances anciennes. Lors de Samain, la nuit du
31 octobre au 1er novembre, les Celtes fêtaient le retour de la saison froide. Ils ne connaissaient que deux saisons, la saison des mois "jaunes", dont le retour avait lieu la nuit du 30 avril au 1er mai, et la saison des mois "noirs". Cette nuit de Samain était réputée mettre en contact le monde des morts et des esprits et celui des vivants. La Toussaint, surtout le jour des morts, de même que la fête anglo-saxonne d'Halloween témoignent encore de ces craintes ancestrales.
Des tournées bienfaisantes
Lors d'Halloween, littéralement "veille de la Toussaint", les enfants américains vont frapper aux portes des maisons en faisant la quête et en menaçant " Trick or treat ! " (un bonbon sinon un mauvais tour). Aux seuils des maisons ou aux fenêtres, vacille une petite lumière placée dans une citrouille évidée et taillée de manière à évoquer une figure grimaçante. La présence du légume, fréquente dans d'autres tournées du moment révèle d'anciennes préoccupations agraires, tout comme les enfants, déguisés en sorcières, en squelettes, en fantômes, témoignent de ces peurs d'autrefois ; même si ces costumes amusent et que cette mise en scène ne fait que mettre en dérision une nuit qui n'est plus vraiment inquiétante. Ces coutumes, comme toutes celles qui s'attachent à ces nuits qui marquent cette période de l'hiver étaient autrefois investies des symboles des croyances anciennes, symboles solaires, rites de fertilité qui côtoyaient les peurs de la longue nuit d'hiver peuplées de personnages démoniaques. Christianisées, elles s'appellent maintenant "Saint-Martin", "Saint-Nicolas", ou "Sainte-Lucie".







Des tournées d'enfants, annonciatrices d'espoirs, y avaient leur place ; et leurs musiques, leurs comptines ou leurs chants traduisaient vœux et promesses. Ces tournées soudaient entre eux les enfants d'un même quartier ou d'un même village, et c'était l'occasion pour eux d'être reconnus des habitants. Cette véritable agrégation sociale était plus importante qu'elle n'en avait l'air. Le groupe était vu, autant qu'il était écouté. A côté de cette fonction sociale, les tournées avaient aussi un but magique et protecteur, comme les étrennes que l'on distribuait aux chanteurs pour les remercier.
Malheur à celui qui n'ouvrait pas sa porte : il s'assurait une année bien peu prospère ! Les enfants ne sont-ils pas les dépositaires de l'avenir ? On offrait aux petits quêteurs, pour le remercier, une poignée de noix, de noisettes ou une pomme. En échange, on se mettait l'avenir de son côté. Sans doute est-ce là l'une des origines des cadeaux que l'on aime toujours échanger la nuit de Noël au pied de l'arbre, même s'ils ont maintenant la forme de jouets. Ces nuits étaient marquées aussi par des défilés que l'on connaît encore dans certaines régions, avec des personnages grimaçants et bruyants tels les Pères Fouettards qui personnalisaient l'hiver, et d'autres, beaux et lumineux à l'image de Martin, Nicolas ou Lucie qui symbolisaient l'espoir des beaux jours, le retour de la lumière et de la paix. La vie agricole ralentissait avec le retour de l'hiver et les occupations étaient plus tournées vers les travaux domestiques. Les journées passaient plus lentement peut-être, mais elles n'étaient pas inoccupées pour autant. Il fallait réparer les outils, filer la laine... A partir de la Saint-Martin, on tuait le cochon, ce qui entraînait de joyeuses agapes en famille ou entre voisins. Cette fête d'abondance, comme celles qui terminent les moissons ou les vendanges, portait à la joie : on riait et on chantait autour des tables. En cette période plus tranquille, on prenait le temps de se réunir aux veillées. Tous y chantaient aussi. Ce n'était plus autour d'une table, mais auprès de la cheminée. Les plus vieux racontaient des histoires, des légendes entendues de leurs grands-parents ou d'édifiants souvenirs d'enfance. Ces moments de convivialité n'ont pas complètement disparu et ils marquent encore nos réunions familiales de ce moment de Noël.
Des tournées d'enfants ont toujours lieu dans beaucoup de pays de l'Avent jusqu'aux Rois. Par petits groupes, ils chantent la joie de Noël et leurs vœux dans de célèbres Christmas Carols en Grande-Bretagne ou en Amérique du Nord, à partir de la Saint-Thomas dit-on, le 21 décembre, ou des villancicos en Espagne, Weilnachtslieder en Allemagne ou en Autriche, Regolë en Hongrie, Colinde en Roumanie ou Kallenda en Grèce... Cette coutume est très répandue et partout, les enfants sont récompensés de friandises ou de piécettes qu'ils gardent ou distribuent au profit d'une bonne œuvre. Partout aussi, les injures et malédictions pleuvent sur ceux qui n'ouvrent pas leur porte. Ils sont accompagnés parfois d'un petit orchestre de guitares, tambourins et clochettes comme en Espagne, ou d'un seul joueur qui agite en mesure son instrument, tel l'ancien Rommelpot (pot à vacarme). Cet instrument rudimentaire consistait en un pot recouvert d'une vessie de porc et contenant un bâton qu'on faisait vibrer. Les enfants sont parfois déguisés en bergers ou en anges en présentant leurs cantiques ; ils peuvent également jouer des saynètes autour du thème de la Nativité, ou encore promener une simple étoile. Des tournées semblables ont lieu au moment du Nouvel An et des Rois, où les enfants sont alors déguisés en Mages.








La Saint-Nicolas. le 6 décembre
La fête de la Saint-Nicolas, célébrée le soir du 5 décembre et dans la journée du 6, est chère au cœur de bien des enfants dans le Nord et l'Est de la France, en Belgique, au Luxembourg, aux Pays-Bas, et dans certaines régions d'Allemagne, d'Autriche et de Suisse. Elle aussi engendre un scénario qui se renouvelle chaque année à leur grand plaisir. Saint Nicolas en personne leur rend visite. Mais la présence du Père Fouettard à ses côtés est inquiétante.
Pourtant, le bon évêque n'est pas originaire de ces régions germaniques. Comment expliquer que son culte ait pu gagner ainsi le cœur de tous ces petits étrangers ? Nicolas est en effet né au 3ème siècle loin de là, à Myre en Asie Mineure, et s'est illustré par de nombreux gestes de générosité au cours de sa vie. Certains appartiennent sans doute plus à la légende qu'à la réalité. La réputation de ce "pourvoyeur d'abondance" était grande et elle l'est restée ! On disait qu'il avait sauvé sa ville de la famine ainsi que d'autres, plus éloignées, qu'il avait rejointes au moyen d'un bateau chargé de vivres, alors que la nuit était déjà tombée. Par ailleurs, il est devenu le patron des marchands et des marins qu'il aurait à plusieurs reprises sauvés de la tempête. La ville maritime de Myre étant un passage connu en Méditerranée, la popularité du saint ne fit que s'étendre en Orient et en Occident. Il est aussi le patron des prisonniers, pour en avoir libéré plusieurs, et avec saint Yves, il partage le patronage des avocats. De plus, pour avoir doté trois jeunes filles pauvres que le père vouait à la débauche, en jetant trois nuits de suite des bourses d'or par la fenêtre, il est devenu le patron des fiancés. Mais son "miracle" le plus célèbre - et sans doute

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légendaire - reproduit par de nombreux artistes, est celui d'avoir ressuscité "trois petits enfants qui s'en allaient glaner aux champs", qu'un méchant boucher avait découpés en morceaux et "mis au saloir comme pourceaux". Tout cela ne pouvait que rendre le bon évêque extrêmement populaire et s'il est l'un des saints les plus représentés dans l'iconographie religieuse, il l'est aussi dans les chansons. La fête de saint Nicolas fut célébrée le 6 décembre, date présumée de sa mort en 343. En 1087, des marchands italiens transportèrent les restes de l'évêque à Bari dans les Pouilles, afin de les substituer aux Turcs infidèles. A la fin du 11ème siècle, un pieux Lorrain déposa une phalange du saint à Port en Meurthe-et-Moselle, et cela permit à son culte de s'étendre en Europe. D'illustres pèlerins, dont Jeanne d'Arc et plusieurs rois de France, sont venus prier dans la "grande église" qu'on y construisit. Par les marchands de la Mer du Nord ou du Rhin, la dévotion pour le généreux personnage grandit encore et vint probablement couvrir d'autres coutumes pré-chrétiennes. Le bon évêque fut ainsi vénéré dans ces pays germaniques où l'ancienne religion obéissait à Odin, appelé aussi Wotan. Ce dieu Odin, chef des dieux germains, dieu fondateur, avait la particularité de se déplacer dans les airs sur son cheval à huit jambes, Sleipnir, en compagnie de deux corbeaux. Il était assimilé au redouté "Chasseur sauvage" qui conduisait, lors des nuits de tempête et pendant les douze jours, un bruyant attelage fait des Walkyries ses messagères, de Perchta, ancienne déesse de la Fécondité muée en démon, et d'une armée de morts. L'image du saint évêque habillé de rouge ou de violet, avec sa grande barbe blanche lui conférant sagesse et dignité, se superposa progressivement à celles du dieu et des personnifications prometteuses de certaines tournées d'hiver que l'on appelait "beaux masqués". La figure du Père Noël, qui tient beaucoup de lui, se dessine déjà. Nicolas fut tout naturellement affublé d'un vilain acolyte à la face noircie, criant, gesticulant et menaçant de ses fouets, image survivante des personnages laids des mêmes tournées hivernales. Ces deux sortes de masqués aux costumes si opposés symbolisaient la saison stérile et affreuse, ou au contraire le retour attendu des beaux jours. Dans les tournées suisses de l'Appenzell, les Sylvesterkläuse ("Nicolas de la Saint-Sylvestre") continuent de symboliser ces contrastes au moment du Nouvel An des calendriers grégorien (le 31 décembre) et julien (le 12 janvier). On prête parfois au Père Fouettard, appelé aussi Hans Trapp en Alsace, Knecht Ruprecht en Allemagne ou Krampus en Autriche, des origine récentes inspirées de certains personnages historiques. Pour d'autres, il ne serait qu'une invention pédagogique du 18ème siècle, pour faire peur aux écoliers. Qu'il existe pour faire peur, cela est certain, mais sa création est sûrement antérieure. Les croquemitaines, tel le boucher de la chanson, ont toujours été des figures très présentes dans l'éducation des enfants, dès leur plus jeune âge. Les deux personnages si opposés que sont saint Nicolas et le Père Fouettard allaient donc ensemble dans les familles, le soir du 5 décembre, questionner les enfants. Les petits répondaient avec crainte et l'évêque ne manquait pas de leur distribuer quelques douceurs, pendant que le sombre compagnon les menaçait de ses verges. Mais le scénario s'est transformé, car les visites du saint et de son valet sont maintenant collectives : elles ont lieu à l'école par exemple. Cela soulage les enfants qui ne sont plus attaqués personnellement par le méchant Père Fouettard ! Ils n'oublient pas, ce soir-là, de déposer leur soulier dans la cheminée, avec du foin ou des carottes pour l'âne (pour le cheval aux Pays-Bas), et ils y trouvent le lendemain matin des pains d'épices, des spéculoos ou des massepains, ainsi que de menus jouets. Avant de s'endormir, ils invoquent le généreux saint dans des comptines qui, dans leur bouche, ne sont pas très éloignées de la prière.
D'ailleurs, à l'image de saint Nicolas, les distributeurs de cadeaux sont parfois religieux, comme l'Enfant Jésus allemand ou autrichien, ou comme les Rois Mages espagnols. Ces personnages mythiques sont très proches des enfants et ils restent très abordables dans leur esprit, comme peut l'être le Père Noël.
Au 16ème siècle, saint Nicolas, jugé trop papiste par la Réforme qui condamnait le culte des saints, fut remplacé dans les régions protestantes par l'Enfant-Jésus (le Christkindel ) symbolisé par une jeune fille vêtue de blanc. Des régions très catholiques comme l'Autriche et la Bavière allaient à leur tour adopter l'image angélique de ce Christkindel. De plus en plus souvent, le cortège de saint Nicolas est officiel et c'est toute la ville, avertie par la presse, qui vient à sa rencontre sur une place principale. La " ferveur" des jeunes assistants reste la même ! Le Père Fouettard y est toujours présent, mais les enfants, même s'ils continuent de le craindre, ne se sentent plus menacés individuellement. Ces cortèges ont lieu le samedi ou le dimanche le plus proche du 6 décembre.
Aux Pays-Bas, l'évêque arrive par bateau dès la mi-Novembre. II vient d'Espagne, dit-on, en compagnie de plusieurs Pierre le Noir, des pages qui sont plus amusants que menaçants avec leurs acrobaties. Tous les enfants guettent leur arrivée et chantent : 

Voilà le navire qui nous vient d'Espagne
Voilà Saint Nicolas, nos vœux l'accompagnent...

Jusqu'au 6 décembre, saint Nicolas va visiter avec son cortège hôpitaux, maisons de retraite et écoles, où il est toujours très bien reçu.

Entrez Bon Saint Nicolas, grand saint mitré,
Nous sommes tous assis, les bras croisés,..
Et nous chantons, et nous dansons, nous sommes si contents
Les enfants sont tous obéissants !

Le soir du 5 décembre, les familles hollandaises se réunissent et ouvrent les paquets déposés dans un carton par le saint ou par l'un de ses valets qui a cogné à la porte. Personne n'a eu le temps de le voir : cela va si vite ! Chacun déballe son cadeau dans une grande gaieté, car les emballages, très étudiés, doivent être compliqués. Ils importent plus que ce qu'ils contiennent. Dans le bout rimé qui accompagne le petit cadeau, les bonnes plaisanteries sont de rigueur. On chante encore, et tous ces chants sont l'expression d'un moment sacré de joie simple, toute familiale.

Oh ! la lune luit dans les branchages
Arrêtez tous votre tapage.
Dans le silence de ce beau soir
Saint Nicolas vient nous voir.









Le temps liturgique
L'Avent est une période d'attente joyeuse dans la liturgie, comme dans les cœurs. Les fidèles y reprennent avec joie les chants aimés, appris dans l'enfance et réservés à la période de Noël. Ces chants, qui portent le nom de "noëls" (avec un n minuscule) ne sont pas des cantiques. Pourtant, ils furent comme eux inspirés par la liturgie. L'Avent tient son nom du latin Adventus ("avènement", "venue"). Il précède Noël, fête de la Nativité, où les Chrétiens célèbrent la venue de l'Enfant-Jésus à Bethléem en Judée et l'avènement de son retour glorieux. L'Avent débute le dimanche le plus proche de la Saint-André, au plus tôt le 27 novembre et au plus tard le 3 décembre, et il comprend quatre dimanches. Il durait autrefois six semaines. C'était à ses débuts une période austère, appelée "petit Carême" où les restrictions concernaient aussi bien la nourriture que certaines activités quotidiennes, comme celles de laver ou de filer.
L'Avent a été institué au 6ème siècle, à Rome reprenant, semble-t-il, un temps de jeûne qui précédait la Nativité dès le 4ème siècle en Espagne et en Gaule. Ce n'est d'ailleurs qu'à partir de la moitié du 4ème siècle que les premières mentions de la fête de Noël apparaissent à Rome dans un chronographe de 354 (sorte d'almanach). L'Avent, loin d'être austère comme il l'était à l'origine, est devenu une période d'attente joyeuse.

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Adoration des rois mages

Peinture murale de l'église de Gargilesse








Les chants de la Nativité
Les hymnes des liturgies des églises d'Orient et d'Occident vont s'inspirer de la Nativité dès les premières célébrations de Noël et de l'Épiphanie au 4ème siècle. La première mention des trois messes de Noël remonte à saint Grégoire le Grand. La tradition sacrée s'intégrera plus tard à la tradition profane avec ses chants et ses cortèges accompagnant les fêtes de la période hivernale.
Les tournées de l'Avent, comme celles de "l'An Neuf " ou des Rois, sont antérieures aux noëls de l'église. Les noëls ne sont pas des prières pour autant, ni des chants de louanges. Il ne s'agit plus de "quérir" Noël de maison en maison, mais de chanter la joie de la Nativité ensemble à l'église ou chez soi. On assiste maintenant à une confusion de deux genres et les enfants entonnent volontiers ces noëls dans leurs tournées. Les Evangiles de saint Luc et de saint Mathieu, les seuls à l'évoquer, sont très sobres sur le sujet de la Nativité. L'imagination populaire s'est plue à rajouter des éléments inspirés de prophéties de l'Ancien Testament et surtout des Evangiles apocryphes, écrits pour combler cette soif de détails merveilleux autour de la vie du Christ. C'est ainsi qu'apparaissent l'âne et le bœuf, la grotte de Bethléem ou que les Mages deviennent les trois Rois que l'on sait. Dans la divine naissance, la Vierge est à la fois une femme et une mère, ce qui ne pouvait que plaire aux gens du peuple qui s'identifiaient aux modestes bergers avertis les premiers par les anges. 
Les nombreux artistes, copistes, sculpteurs, maîtres-verriers, peintres, musiciens... y trouveront là matière à variations pour alimenter leurs œuvres que l'on rencontre des miniatures des manuscrits, aux tympans des cathédrales et aux vitraux.
La Messe de Minuit
Dès les premières célébrations de Noël et de l'Épiphanie au 4ème siècle, des hymnes accompagnent les liturgies des églises d'Orient et d'Occident. La Nativité inspire les premiers poèmes aux docteurs orientaux. L'une des hymnes de saint Ephrem le Syrien introduit déjà les artisans aux côtés des bergers accourus à la crèche : " Salut Ô Toi, qui est appelé à cultiver nos champs. Tu fertiliseras le froment dans le grenier de la vie ". Au même siècle, saint Ambroise, évêque de Milan, considéré comme le père du chant choral, et son contemporain saint Hilaire de Poitiers donnent à leur tour l'impulsion à la liturgie romaine en créant sur le thème de la Nativité, des chants latins connus encore maintenant.
La première mention des trois messes de Noël remonte à Saint Grégoire le Grand (mort en 604) qui le précise dans une homélie sur la Nativité, et ces messes sont précédées de celle de la vigile le soir du 24. Ces trois messes, selon l'usage papal, ont lieu dans trois églises différentes de Rome : messe de la nuit (et non "messe de Minuit" comme le dit l'expression populaire) à Sainte-Marie-Majeure sur l'Esquilin, messe de l'aurore à Sainte Anastasie au pied du Palatin, et messe du jour à Saint-Pierre. Lors de ces messes, la liturgie chantée sous des formes latines alternées, atteint son apogée aux 9ème et 10ème siècles avec la création des tropes. Ces variations sur des textes sacrés sont des antiennes dialoguées et ne sont pas considérées comme liturgiques. Ces tropes sont nombreux à Noël, à l'exemple de celui du moine Tutilon de l'abbaye de Saint-Gall " Hodie cantandus est " (Aujourd'hui, il nous faut chanter), l'un des premiers. Tolérés, ils prennent place à certains moments de la liturgie afin de la rendre plus animée, et présentent déjà un tour dramatique. Les "épîtres farcies" où latin et langue usuelle alternent, les antiennes dialoguées et les tropes se renforcent de gestes et donnent naissance à des jeux scéniques. A partir du 11ème siècle, le clergé associe le peuple aux chants de la liturgie. La "prose" (hymne) " Laetabandus " du 11ème siècle, attribuée à tort à saint Bernard, est considérée comme l'un des facteurs les plus actifs des noëls populaires au Moyen Age. Son air sera souvent repris, tant pour les chansons à boire que pour des pamphlets protestants. Les chants de Noël aux accents liturgiques vont se multiplier en Europe. En Pologne, un premier noël daterait des environs de l'an mille. A la cour d'Angleterre, un chant de noël est attesté dès 1170. En langue allemande, le " Sys willekommen, heire Kerst ". (Sois le bienvenu, Seigneur Christ) est du 12ème siècle. Chaque couplet se termine par le répons populaire " Kyrieleys", de " Kyrie eleison ". Chanter des noëls en allemand se disait "chanter les Quempas", abréviation du nom d'un chant latin du 14ème siècle " Quem pastores laudavere ". Les chants grégoriens du mystère de l'Incarnation rendent les messes de minuit et du jour toujours très appréciées dans les abbayes. Les hymnes liturgiques, graves, sont très belles. Certaines datent des 9ème et 10ème siècles (Ecce nomen Domini ). Si les pièces chantées se réjouissent, comme dans les noëls, de la présence de l'Enfant-Jésus, elles soulignent que cet Enfant est le Fils de Dieu. Elles sont empreintes de révérence, de majesté et d'enthousiasme. Chez les orthodoxes également, voix et chœurs retentissent dans les monastères russes, arméniens, ou grecs. Cela a lieu treize jours plus tard, le 7 janvier, les fêtes religieuses orthodoxes (russes et slaves) suivant le calendrier julien. Mais ces chants liturgiques ne rentrent pas dans la catégorie populaire des noëls. Certains motets latins de plain-chant composés au début du Moven-Age sont encore chantés, mais ils relèvent aussi de la liturgie et en cela, sont très différents des noëls, nés eux, seulement à partir des jeux semi-liturgiques à la fin du XVe siècle.
Les crèches et les pastorales
Les noëls et leur mise en scène de bergers et de gens de petits métiers inspirent eux-mêmes en partie les représentations plastiques des crèches qui apparaissent dès le 16ème siècle crèches d'églises d'abord, puis crèches familiales à partir du XVIlIe siècle. De la même façon qu'ils sont nés de spectacles, ils engendrent à leur tour les crèches parlantes puis les Pastorales. Les sujets restent liés à la Nativité, mais en réalité, ils n'ont plus rien à voir avec l'Eglise. Ces spectacles sont publics, comme le sont nos modernes séances de marionnettes ou de théâtre, mais leur auditoire y va avec une grande piété. Ils sont joués de la fin du 18ème jusqu'au début du 20ème siècle "crèches parlantes" et mécaniques, avec jeux de marionnettes où les aspects comiques et satiriques ne sont pas oubliés, comme dans celles d'Autriche, de Belgique, ou de France, en Franche-Comté ou en Provence. Les crèches parlantes mettent la Nativité en scène sur différents tableaux. Les noëls en patois de Besançon, composés au début du 18ème siècle laissent déjà entrevoir le spectacle de la Crèche Bisontine qui connaît son apogée au 19ème siècle. Ce spectacle reproduit les dialogues en français entre saint Joseph, l'avocat et les médecins, ceux en patois des ouvriers, et d'un vigneron Barbizier qui présente les personnages. Tout se passe la nuit de Noël et, avec humour, les uns et les autres se rendent à la crèche. Les défauts des hommes et une satire "politique" ne manquent jamais d'être mis en évidence, évidemment ! A l'heure actuelle, la formule n'en est pas abandonnée : les théâtres de marionnettes continuent de présenter leurs spectacles, par exemple en Belgique, à Liège ou à Verviers, ou en France, à Besançon. En Europe Centrale, des "montreurs de crèches" itinérants vont toujours présenter de porte en porte ou de quartiers en quartiers un spectacle où la critique des évènements de l'année va bon train sur un ton badin. Les plus célèbres, en France, sont la Pastorale Maurel qui date de 1844, et une plus récente de 1957, La Pastorale des Santons de Provence d'Yvan Audouard. Bien des santons de la crèche se sont inspirés aussi des personnages comiques de ces pastorales, qui ont elles-mêmes puisé dans le répertoire des noëls provençaux, puis dans celui des crèches mécaniques. Les Pastorales font actuellement en Provence l'objet d'un Festival, à Gordes dans le Vaucluse entre les 26 décembre et 4 janvier. Ces spectacles ne sont pas donnés dans les églises, mais dans des salles paroissiales ou municipales.








2.- NOEL EN PROVENCE
La veille de Noël La vèio de Nouvè : la crèche
C'est le moment où, dans les familles, on fait la crèche. Certains situent ces préparatifs plusieurs jours auparavant. Cela ne paraît pas logique car le feuillage doit être bien frais pour le jour de Noël, et aujourd'hui, dans les appartements chauffés, il se conservera difficilement jusqu'au 2 février.
Nous avons d'ailleurs bien des témoignages nous parlant de la promenade dans les collines pour aller recueillir toute cette précieuse verdure. Marie Mauron par exemple raconte le départ des enfants du village, à l'aube, pour aller couper buis, thym, olivier et pin, autant de feuillages qui serviront à garnir la crèche. Au passage ils s'empresseront également de ramasser " les cailloux mousseux dont il feront des chaînes de montagne et les lichens argentés ou dorés sur lesquels, mollement, pourront se poser les santons ".

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La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie» - Page 6 Empty Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»

Message  Arlitto Lun 7 Mar - 15:21


Lazarine Nègre, la félibresse "Lazarine de Manosque" quant à elle, se souvient : " en nous levant, nous mangions une écuelle de soupe, et nous partions tout ravigotés, gais comme des pinsons, pour aller chercher le verbouisset... avec ses boules rouges comme des cerises au mois de juin et coupes que tu couperas! ... "
Enfin, Marie Gasquet nous fait partager l'ambiance chaleureuse et conviviale des collines en cette veille de Noël, prélude joyeux à la fête familiale : " Les vallons des Alpilles se remplissaient de rires. Le pays s'en allait par bandes à la montagne... A la nuit tombante, tous se retrouvaient, les épaules chargées de verdure, au plateau de l'arc de Triomphe, et l'on se mettait en route chantant des marches guerrières mêlées à des Noëls. "
Les collines ne retentissent plus de chants, mais nous pouvons toujours aller y chercher la mousse et la verdure et, surtout, nous emporterons notre sécateur de façon à ne pas abîmer et arracher les plantes, le thym, par exemple qui, bien taillé fait de si jolis oliviers.
Toute cette "flore de Noël" mérite d'ailleurs que nous nous y arrêtions un peu :
- Le thym, la ferigoulo, né, paraît-il, des larmes de la Belle Hélène, pousse spontanément sur tout le pourtour de la Méditerranée, utilisé depuis la plus haute antiquité dans la cuisine, mais aussi en médecine, produits de beauté, antimite, et même pour embaumer les morts !
- Le petit houx ou fragon, lou verbouisset vo calendau, tiges de 50 à 80 cm, garnies de fausses feuilles, dont les piquants sont destinés, d'après la légende, à protéger de la voracité des oiseaux ses jolies petites boules rouges. Les racines étaient utilisées en médecine populaire comme diurétique, fébrifuge et contre la jaunisse et la goutte. Les poètes n'ont pas oublié cette plante de Noël. Le félibre J.-B. Gaut a composé un Noël en 1869 où il évoque le fameux verbouisset :
" Lou blound Jèsus dintre la paio
" Ero neissu
" Er, sus soun su,
" Ounte tant de trelus dardaio
" Ei péu divin,
" Tant rous, tant fin
" Vias verdeja, dintre l'androuno,
" Uno courouno
" De verbouisset
" Qu'espandissé,
" Que pèr éu plus tard rougissè ! "
" Le blond Jésus était né sur la paille et sur sa tête où tant de lumière brillait, sur ses cheveux divins, si blonds, si fins, on voyait verdoyer, derrière lui, une couronne de verbouisset qui s'épanouissait et qui, pour lui, plus tard, rougirait ! "
- Le laurier-tin, lou faveloun vo carenau, dont les branches, garnies de gaufres, d'oranges, et illuminées de chandelles, étaient, autrefois, suspendues à une poutre au-dessus de la table du gros souper. Ce qui nous donne l'occasion de préciser que l'arbre de Noël n'est absolument pas traditionnel chez nous ; coutume née au 16ème siècle dans l'Europe du nord, adoptée en Allemagne au 17ème siècle, elle pénétrera en France après 1870. En 1912 naquit en Amérique, à Boston, l'idée de mettre des arbres illuminés sur les places publiques, cette coutume atteignit la France après la Première Guerre mondiale et devint générale après la seconde. Dans les Souvenirs de Bougneto, Marius Boyer, d'Aubagne, né vers 1910 raconte comment, au retour de la messe, il découvrait l'arbre de Noël garni entre autres papillotes et sucreries, d'oranges et de mandarines dans lesquelles étaient piquées des feuilles de laurier en guise de décoration.
- Le lierre, l'èuse, liane aux feuilles toujours vertes, aux petites baies sombres, symbole de la force végétale, de l'amour fidèle, très utilisé en médecine populaire (et dans notre jeunesse pour rêver à celui que l'on devait épouser !). Elle permet de faire de très jolies bordures pour la crèche et des chemins de table pour le gros souper.
- Le romarin, lou roumanin, peut figurer les cyprès dans la crèche. Très utilisé pour parfumer la cuisine et pour confectionner du "vin de romarin" ; il était aussi fort employé en médecine populaire. Une vieille légende assure que ses fleurs sont couleur bleu ciel, parce que la Vierge Marie, lors de la fuite en Egypte, se reposant auprès d'un buisson de romarin, y avait étendu son manteau.
Nous avons retrouvé de nombreux témoignages évoquant les souvenirs qu'ont laissés la préparation et la décoration des crèches familiales. Comment par exemple, on transformait les feuilles de papier d'argent du chocolat en rivières et en ruisseaux ; comment quelques nuages de farine faisaient office de neige et quelques poignées de sable fin dessinaient les sentiers vers lesquels cheminaient le petit peuple des santons. Tout était utile à cette entreprise de construction, bois, pierre, papiers de toutes sortes, cartons et l'imagination de tous, grands et petits, allaient bon train pour disposer les collines, les ponts et les chemins, sans oublier les prairies de mousse et la petite grotte chez certains, l'étable chez d'autres, où était couché l'Enfant-Jésus entre l'âne et le bœuf.
La magie d'une crèche vient souvent de la luminosité qu'elle diffuse, du jeu réussi des ombres et des lumières. Pour l'illumination finale, chez Lazarine de Manosque, on plaçait "... devant la crèche une veilleuse qui brûlait nuit et jour jusqu'à la Chandeleur ". Charles Maurras, lui, se souvient de son émerveillement d'enfant lorsqu'il découvrait la crèche illuminée de cierges et garnie des soucoupes de blé vert. Chez d'autres, comme Louis Deluy, "... nous nous servions de mandarine, coupée par le milieu, remplie d'huile; la peau intérieure de la mandarine tenait lieu de mèche, l'autre partie retournée dessus. C'était très joli ".
En cette veille de Noël, on commence aussi à préparer de bonnes choses, comme le raconte Simone Chamoux. Sa grand-mère Marie d'origine marseillaise, tenait à maintenir les traditions de son terroir jusqu'à Nyons où elle résidait, en confectionnant la véritable pompe à huile. Aussi " La veille de Noël, tout de suite après midi, elle sortait de l'armoire un tablier blanc et le nouait sur sa blouse de travail. Elle emprisonnait ses beaux cheveux dans un grand mouchoir d'indienne et retroussait ses manches jusqu'aux coudes. Car la pompe de Noël, ça se fait avec respect ".
(On pourra trouver cette recette dans la page des 
[ltr]recettes de Noël[/ltr]

).








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La table du gros souper La taulo dou gros soupa
L'heure du "gros souper" de ce 24 au soir approche, nous devons préparer la table, elle doit être belle et accueillante pour la famille qui sera rassemblée autour d'elle.
Tout d'abord, mettons une nappe. Une seule ? Oui, si nous en croyons les souvenirs de Marie Gasquet qui parle " d'une nappe damassée " tandis que Louis Deluy se souvient que " Le couvert était dressé sur une nappe blanche, plusieurs bougeoirs échelonnés sur la table ".
Mais pourtant si nous lisons Marchetti (Explication des usages et coutumes des Marseillais, 1863) " Nous mettons trois nappes l'une sur l'autre, pour la révérence que nous portons à ce saint jour, et nous les laissons pour cela sur la table durant les trois fêtes... Nous en mettons trois parce qu'ayant été consacrés par le baptême à La Trinité, non contents de faire toutes choses en son nom et son honneur, nous tâchons d'en conserver toujours quelques vestiges et quelques traces en nos actions ". Mais Mistral, lui aussi dans le si beau passage de ses Memori précise " sus la triplo touaio blanco " (sur les trois nappes blanches).







Bien d'autres explications sont avancées pour justifier cette coutume des trois nappes, la plus grande posée la première, puis la moyenne, puis la plus petite, de façon à ce que l'on voit bien les trois niveaux. La référence à la Sainte Trinité, par exemple, se retrouve dans la formule que les ménagères prononçaient, selon certains renseignements, en disposant les nappes : " Uno pèr lou Paire, uno pèr lou fiéu, uno pér lou Sant Esperit. ". Par ailleurs, le chiffre 3 est un nombre fondamental dans toutes les religions ; il intervient souvent dans la vie du Christ. En souvenir de Jésus, Marie et Joseph. Pour les trois services du repas (les poissons et légumes, les desserts, le café autour duquel les hommes fument la pipe), ce qui ne me paraît pas très commode pour les maîtresses de maison ; mais, toutefois, cette explication est corroborée par Henri Oddo : " Le souper comprend trois services ; pour y correspondre, la table est couverte de trois nappes de dimensions différentes. " Enfin, dernière explication possible : en prévision des trois repas, gros souper le 24 au soir, repas de midi le 25, repas du midi le 26 appelé chez nous deuxième fête de Noël ; on enlève après chaque repas la nappe qui a servi. Louis Deluy le confirme : " pour les grandes fêtes religieuses, et surtout pour Noël, on festoyait trois jours durant : le gros souper la veille, le dîner le jour de Noël, puis le lendemain de Noël. Le couvert restait mis trois jours. " Et au cours d'une enquête menée par le groupe " La couqueto " en 1994, nous avons eu plusieurs témoignages de familles chez qui, encore aujourd'hui, on met trois nappes et on ne débarrasse pas complètement la table pendant ces trois jours : la coutume n'est donc pas entièrement oubliée.
Il faut maintenant mettre le couvert et garnir la table avec ce que l'on a de plus beau dans les armoires. Et Marie Gasquet, outre la nappe damassée, les cristaux chantants, les assiettes peintes ou les couteaux à manche de nacre, se souvient d'un rituel qui mérite quelques explications : " Le surtout, maintenant, c'est une jatte de Moustiers remplie d'eau claire. Durant le Bénédicité, ma mère y posera sept roses de Jéricho qui ressusciteront au beau milieu du désert. "
I1 ne faut pas confondre, comme on le fait trop souvent, la "rose de Noël" avec la "rose de Jéricho". L'hellébore noir ou rose de Noël, renonculacées aux fleurs teintées de rose pâle, verdâtres après la floraison, aux feuilles palmées, croît sur les terrains calcaires, riches en humus. Elle peut se cultiver dans les jardins. Elle fleurit de décembre à février. La rose de Jéricho, rose de Judée ou fleur de Judée est une crucifère dont le nom scientifique est emastatica hiérochuntia. C'est une plante hygrométrique en forme de thym, originaire d'Arabie, de Syrie et d'Egypte. Elle est couleur "rose des sables". Placée dans un verre d'eau, elle s'épanouit pour être exposée dans la crèche ou sur la table de Noël, son épanouissement dure cinq à dix jours. Retirée de l'eau, la plante se recroqueville à nouveau et peut resservir des années durant. Cette plante figure sur la liste des objets de dévotion, ce qui lui confère une valeur religieuse et sacrée reconnue. Les premières roses auraient été importées par des pèlerins ou des croisés.
Marcel Provence raconte dans Noël au pays de Provence, 1930 : " Près de la veilleuse et des soucoupes herbues, deux petits vases de verre à l'eau limpide portent avec fierté deux roses de Jéricho desséchées... Si dans cette nuit calendale, les roses de Jéricho s'épanouissent, c'est la prospérité pour la famille et pour le mas. Pecaire ! Si les roses gardent leur sécheresse, c'est peut-être bien du pas trop bonheur, quelque malheur qui menacera l'oustalado. " Selon l'Ecclesiaste, les roses de Jéricho symbolisent la Vierge et si on les place au centre de la table, c'est pour que la mère de Jésus soit elle aussi présente au cœur de la fête. La coutume voulait également qu'au moment d'une naissance, on pose la rose desséchée auprès de la future mère, afin qu'elle s'épanouisse lorsque l'enfant naîtra. Autrefois on achetait les roses de Jéricho à la grande foire de Beaucaire de juillet, mais il est bien difficile maintenant d'en trouver.
Les trois "sietoun" (petites assiettes) de blé semées pour Sainte Barbe et maintenant bien vertes, seront disposées sur la table avec trois bougies, à Aix, trois oranges confites ; toujours ce chiffre trois dont nous avons déjà parlé. Nous pouvons utiliser la même verdure que pour la crèche, mais pas de gui, qui est réputé porter malheur ; cette croyance est encore vivante dans un certain nombre de familles.
Dans certaines maisons, une partie des desserts figure sur la table en décoration, par exemple des compotiers de fruits. Dans d'autres, on intercalait soucoupes de blé, bougies et corbeilles de fruits qui resteront sur la table durant tout le souper.
Et "la part du pauvre" dont on parle souvent ? Marchetti l'évoque (1683) : " Une coutume qui se pratiquait dans toutes les familles et qui se garde encore en quelques-unes. C'est qu'on y faisait pétrir expressément pour les pauvres, à qui l'on distribuait après avec beaucoup de charité tout le pain que l'on avait fait. Le jour de Noël, chaque famille en prenait un pour lui donner à manger et réservait pour cet effet le premier service des viandes qui étaient servies ce jour-là à table. "
Dans beaucoup de foyers, on demandait aux enfants de donner leur part du repas au pauvre de passage à qui ils la remettaient eux-mêmes. Pour les récompenser de cette bonne action accomplie, en revenant s'asseoir à leur place, ils trouvaient dans l'assiette le double de ce qu'ils avaient donné. Dans certains villages, les hommes chargés d'une nombreuse famille faisaient le tour des maisons, une grande corbeille au bras, où on leur mettait des victuailles. On nous a signalé, en 1976, qu'à Solliés-Ville, on donnait dans l'après-midi du 24, de la nourriture à treize pauvres, appelés dans les vieux documents, "les treize apôtres".
Témoignages d'une époque révolue ? Voire... Mais il est toujours possible, en pratiquant cette " charité de cœur " qui compte aussi dans la vie, de faire place à notre table familiale aux endeuillés, aux éprouvés, aux isolés, pour qui, sans cela, Noël ne serait pas la fête de l'espoir et de la lumière.








La Bûche de Noël Anan pausa cacho-fio
Tel est le sens exact du mot, qui se dit également calendau ou calignau, dans le Grand Trésor. Cette tradition perdure encore dans certaines familles, qui ont la chance d'avoir une vraie cheminée et un verger!
Cette cérémonie du feu est une tradition très ancienne ; la bûche représente le Christ sacrifié pour nos péchés, symbolisés par les libations, explique Marchetti. Le feu est signe de joie et de lumière, puisque cette fête de Noël serait une christianisation de la fête païenne du Natalis Invictus, du soleil invaincu dans cette période du solstice, suivant une technique recommandée par le pape Saint Grégoire (+ 6104) : faire nasser les fêtes du culte des idoles à la louange du vrai Dieu et qu'ainsi, en conservant la joie de ces fêtes, les gens puissent plus facilement goûter les joies intérieures.
La cérémonie consiste donc à mettre une bûche dans la cheminée avec un rituel qui était autrefois bien établi mais sans doute simplifié maintenant lorsqu'il est pratiqué. Cette bûche doit être une grosse branche d'arbre fruitier cerisier, poirier, mais pas de figuier, pour plusieurs raisons : il brûle mal, la fumée donne mal à la tête, le Christ a maudit l'arbre stérile, ce serait l'arbre auquel Judas s'est pendu (pas solide pourtant, puisque, lorsque nous étions enfants, on nous interdisait de monter aux figuiers, car les branches "cassaient comme du verre").

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Fresque de tradition byzantine. A Göreme en Cappadoce (11ème siècle)








Seule exception signalée : du bois d'aubépine aux environs de Monteux. Le plus âgé et le plus jeune de la famille portent la bûche dans la cheminée, après lui avoir fait faire trois fois le tour de la table ; l'aïeul l'arrose d'un peu de vin cuit, ou d'huile, ou, dans la Gavotine, de bouillon de cuisson des crouzets, en récitant une formule nous avons plusieurs versions, dont la plus connue étant celle de Mistral :" Alègre ! Alègre ! Mi Bèus enfant, Diéu nous alègre ! Emé Calèndo tout bèn vèn... Dièu nous fagne la gràci de vèire l'an que vèn, E se noun sian pas mai, que nous fugues pas mens ! "
" Allégresse! Allégresse ! Mes beaux enfants, Dieu nous réjouisse, Avec Noël, tout vient bien... Dieu nous fasse la grâce de voir l'an qui vient, Et si nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins ! "
Ensuite le feu est allumé et on peut se mettre à table.
La tradition voulait qu'au "premier coup" de cloche de la messe de minuit, on éteigne la bûche, qu'on la couvre de cendre. Le lendemain, on la rallumait et elle devait brûler jusqu'au jour de l'An. Les charbons qui restaient étaient utilisés pour soigner les animaux malades, broyés dans leurs aliments, et un morceau, que Marie Mauron appelle "Le Trésor Saint" était mis dans la cheminée l'année suivante. Les cendres étaient utilisées en médecine populaire, protégeaient contre l'incendie et débarrassaient les poules de leurs "pipidons", comme nous disions quand nous étions gosses ? Et puis il y a cette croyance curieuse, rapportée par Marchetti, qui veut que les braises déposées sur la table du gros souper ne brûlent pas les nappes. Ce serait un symbole marial : la Vierge était impénétrable aux feux de la concupiscence représentée par ces charbons. Le rite aurait encore été pratiqué au siècle dernier, mais les braises déposées sur un plateau ou une pelle...
Nous pourrions signaler quelques traditions perdues, mais néanmoins intéressantes :
=> Le pain calendal dont parle Mistral " Le gros pain calendal, qui ne s'entamait qu'après en avoir donné, religieusement, un quart au premier pauvre qui passait ". On en portait un morceau aux animaux et Marchetti assure que les mariniers et les pêcheurs ne s'embarquaient guère sans en emporter avec eux pour en jeter dans la mer quand elle était coléreuse.
=> La réconciliation : Marchetti nous raconte cette coutume des visites entre personnes ayant quelque chose à se reprocher, visites accompagnées de telles libations qu'elles furent interdites en 1602 ! Combien je préfère, tout simplement lou brinde porté par le père de Marie Gasquet : " Je lève mon verre à nos amis, à ceux qui nous ont été doux, qui nous ont fait du bien. Je le lève à mes ennemis ; que notre cacho-fiô et nos lumières luisent au fond de leur cœur pour y détruire toute haine. Et maintenant, je bois à nous tous, à la santé de nos corps, à la joie de nos âmes, à la beauté de la Provence, à nos cœurs unis. A l'amitié, à l'amitié de Noël ! "
=> Les échanges de cadeaux entre la ville et la campagne : Marchetti parle des échanges de pompes entre les femmes. Visiblement, il n'aimait pas la pompe ! La gazette du Midi du 24.12.1836 écrit : " Des paysannes viennent de leur village, pliant sous le poids des pompes et des corbeilles de raisins conservés dès les vendanges et pendues aux poutres de la bastide. En retour de leurs offrandes qu'elles font aux riches citadins, elles reçoivent du sucre, de la morue et du café. "
=> La nourriture des bêtes : ce soir là, les bêtes avaient double ration, comme le raconte Lazarine : " Les gens, les bêtes, tout le monde faisait Noël ! [...] Le premier servi était le cheval. On coupait un gros pain dans une grosse gamelle et on l'arrosait d'une bouteille de bon vin. Quand le pain était bien imbibé, mon père allait le mettre dans la mangeoire, et le cheval faisait Noël. Au chardonneret que nous avions en cage, on donnait un morceau de pompe à l'huile avec du sucre. Après, venait le tour du chien, un gros plat de gratin de morue. Oh ! Si vous l'aviez vu comme il était heureux, le brave chien ! " Nous pourrions maintenir la tradition, en donnant des graines aux oiseaux sur les balcons. Ils se régaleront demain matin, si toutefois ils ne sont pas chassés par les funestes pies qui s'attaquent à tous les petits oiseaux.


Le trajet pour aller à la messe L'escourregudo per ana à la messo Maintenant, bien sûr, tout le monde y va en auto! Mais je me souviens de fameuses "resquillades" sur les trottoirs verglacés de la rue Paradis ! Autrefois, c'était plus poétique : " La belle nuit ! Le vent s'arrête, les étoiles dansent, la lune brille comme une perle, le bruit des cloches se prolonge en bourdonnant, là-bas, au loin, dans la plaine. Des mas, les gens courent vers l'église, c'est l'heure du pastrage " (Baptiste Bonnet). " Je vois encore les hommes dans leur cape de bure, les femmes dans leur pèlerine à capuche, et les enfants ; tout le monde marchait joyeusement, muni de sa lampe à huile, vers ce clocher, cette église qui nous attendait pour la messe de minuit et où pétillait un bon feu de bois. " Ce sont les souvenirs de Gilberte à Uvernet (Ubaye).La messe de minuit La messo de miejo-nue Quelle est l'origine liturgique des 3 messes qui étaient célébrées cette nuit-là, jusqu'à une époque récente ? Primitivement, il n'y avait à Rome qu'une seule messe solennelle le 25 au matin. En 445, le pape Sixte 3 institua la messe de minuit, et au 6ème siècle s'y ajouta la messe de l'aurore, à laquelle succédait la messe du jour. Mais Lou felibre de Nosto-Damo (1904) attribue ces cérémonies à une jolie légende : Un jour, au Paradis, une délégation des étoiles, menée par la bello brihanto, l'étoile du berger, qui guida les mages vers l'étable, demande à Dieu le Père que la messe de minuit leur soit dédiée. Dieu le leur accorde, à perpétuité. L'aube vient ensuite se plaindre que les étoiles se moquent d'elle et demande une messe, elle aussi, cette nuit là. Le Seigneur lui accorde la messe de l'aurore. Arrive enfin le soleil, jaloux, auquel on consacre la messe du jour. " E vaqui coume, pèr Nouvè, ami miejo ni niue, se dis la messo dis Estello ; a la primo, quand li gau canton, aquelo de l'aubo; e, lon dejour, la messo soulenno don soulèu. " Bien des traditions, signalées par différents auteurs, se sont perdues : les lâchers d'oiseaux dans l'église (en particulier le roitelet la petouso) à Entraigues, Mirabeau, Mazan, Lagnes. De même que, à Saint-Maximin, la quête des enfants pauvres dans les rues du villages, jusqu'à la guerre de 1914 (C. Seignolle) ; mais aussi les farces signalées par Bérenger-Féraud (1885) : " Pendant la messe de minuit, les dévotes ont grandement à craindre de trouver de l'encre au lieu d'eau bénite dans le bénitier (aujourd'hui les églises sont trop éclairées, et les bénitiers souvent vides...), de rencontrer, en sortant de l'église, des pois fulminants (des pétards, je suppose ?) sous leurs pieds, si elles n'ont pas eu déjà leur robe cousue à celle de la voisine (difficile avec les minijupes !) " ; et on ne fait plus peta li boufigo : éclater les vessies de porc gonflées d'air en sautant dessus dans certaines paroisses du Var. A Cruis jusqu'à la guerre de 14, les fidèles chantaient en chœur le "minuit chrétien", paroles composées en 1847 par Placide Capeau, de Roquemaure (Gard) sur la demande du curé de son village, musique d'Adolphe Adam, compositeur connu. Cet air, chanté pour la première fois en Provence, est connu dans toute la France. Mais beaucoup de traditions sont heureusement maintenues, souvent grâce aux groupes folkloriques qui les ont continuées ou reprises avec les offrandes, le chant des noëls, la musique du galoubet et les costumes. A Marseille, l'offrande du poisson se faisait, autrefois, à l'église Saint-Laurent, paroisse des poissonnières et des pêcheurs, elle se fait toujours, grâce à " L'Escolo de la Mar " dans l'église Saint Ferréol les Augustins, sur le Vieux-Port. La prière traditionnelle est simple et confiante : " Pichoun Jésus, noueste Segnour, les pécheurs et les poissonnières viennent vous faire l'offrande du plus beau poisson en signe d'affection et de reconnaissance. Vous qui êtes le maître de tout, qui remplissez de poissons nos filets, qui punissez nos manquements, faites que nous vivions toujours comme il se doit, maintenez la paix et la santé dans nos familles, ainsi soit-il. " Cette offrande est également signalée dans quelques paroisses de Nice. Le pastrage, lou pastrage : l'adoration des bergers représentée à Noël dans les églises est une ancienne tradition. La procession des bergers avance vers l'autel au son du tambourin et du galoubet, précédée d'un petit char garni de verdure et tiré par un mouton. Au fond du char se trouve l'agneau sans tache offert par la corporation des bergers à l'Enfant Jésus. D'autres offrandes, apportées par les enfants du village, venaient compléter celle-là : fruits, confitures, fougasses... Ce pastrage a toujours lieu aux Baux, peut-être un peu "touristique" ? A Barbentane, à Arles, à Marseille, à la paroisse de Chateau-Gombert avec le Roudelet Felibren. A Séguret, presque tout le village participe à la cérémonie Li Bergié, à la procession dans les rues du village, jusqu'à la crèche vivante dans l'église. Beaucoup de groupes folkloriques, dans toute la région, animent les veillées et font "l'offrande" devant la crèche. Offrandes évoquées d'une façon amusante dans les Noëls, ceux de N.-D. des Doms, par exemple :" léu pourtarai à sa maire  " De la un plen escaufaire,  " Un gros froumage à son paire,  " E Janetoun un agnèu.  " E tu pourtaras, moue paire,  " Un plen plat de brigadeu. "  " Moi, je porterai à sa mère du lait, un plein coquemar, un gros fromage à son père, et Janeton un agneau. Et toi tu porteras. mon père un plein plat de bouillie. " Ou encore " Lou gros e gras coumpaire l'Andredochi porto un couchoun tout viéu eun couniéu, pèr lou bouta à l'asti pèr Iou fiéu. Lou bon Guillot porto dedins sa biasso forço fromajoun e un jamboun, uno grosso fougasso a l'enfantoun. Un gros capoun à la gaio-estoufèio, li dounnara Martin, de bon matin, emb'uno fricassèio de boudin. Margot fara un plen plat de poutage, de sabourous lausan, e puis Grand-Jan Ié métra de froumage per l'enfant. " " Le gros et gras André porte un cochon tout vivant et un lièvre, pour mettre à la broche pour le fils. Le bon Guillot porte dans sa besace force petits fromages et un jambon, une grosse galette pour l'enfançon. Un gros chapon en daube, lui donnera Martin, de bon matin, avec une fricassée de boudin. Margot fera un plein plat de ragoût, des lasagnes savoureuses, et puis grand Jean mettra du fromage pour l'enfant. "  Curieux régime pour un bébé de naissance, mais enfin l'intention y est ! A Aix, à la cathédrale Saint Sauveur, on peut entendre, exécuté à l'orgue, le "jeu du rossignol" réservé pour cette seule circonstance.Texte établi d'après : Nadine Cretin "Noël : chants de la Grande Nuit" in Revue "Histoire" et Marion Nazet "Noël Provençal" Ed. Edisud PP 9-18 et 35-43.Fresque de Stefano Fiorentino (14ème) dans la basilique inférieure Saint-François à Assise3.- LE "CHRISTOPSOMO" OU LE PAIN DU CHRIST une coutume populaire grecque pour le jour de la NativitéLe " Christopsomo " que l'on pétrit de nos jours encore dans bien des régions de la Grèce, un grand pain rond magnifiquement ornementé de diverses représentations et décorations, fait partie d'une des nombreuses coutumes populaires qui rehaussent l'éclat festif de la Nativité. Ce pain dit " du Christ " n'est pas un gâteau. C'est bien du pain (artos) qui n'est consommé que le jour de Noël, soit à la table du midi, soit la veille au soir : " le pain béni " de la table familiale et de toute la maison, qui non seulement nourrit les hommes mais aussi les animaux domestiques. On le trouve à Noël surtout dans les campagnes où il est consommé en signe de communion entre tous les membres qui vivent sous le même toit. Fruit du labeur des hommes et par conséquent don noble né du produit de la terre, il porte en lui l'espérance de la foi en la puissance divine et le rappel que le blé enfoui dans la terre attend son heure pour donner une abondante récolte. Le Christopsomo de Noël est une coutume qui se perpétue dans les régions de l'Ouest et du Centre de la Grèce, dans le Péloponnèse, dans les îles ioniennes et de la Mer Égée (sauf en Crète et à Chypre). Sa fabrication respecte scrupuleusement deux techniques, définies par le caractère sacré de la fête et toute la symbolique qui s'y ajoute. La première technique concerne le pétrissage et les éléments qui entrent dans la composition de la pâte ; la seconde relève de la décoration et de son apparence finale. 1) Comme c'est le cas pour tous les pains festifs, on n'utilise que des éléments nobles et chers : du blé de première qualité et du sésame, auxquels ont peut rajouter de l'anis, du sucre, de la cannelle, de l'eau de rose, des raisins secs, des clous de girofle. Dans certaines régions il ressemble un peu à nos pains d'épices. Mais le plus important, c'est le rite qui est associé au pétrissage : " La farine est passée par un tamis particulièrement fin et elle est déposée dans une cuvette blanche. On n'achètera pas le levain vendu dans le commerce mais il sera préparé bien avant par la maîtresse de maison. Avant de commencer à pétrir, celle-ci fera d'abord son signe de croix, ensuite elle formulera une prière pour le bien et la prospérité de la maison et seulement après elle se mettra à la tâche " (coutume de la région de Corinthe). 2) Suit l'ornementation de la partie supérieure du pain, traditionnellement rond tel la prosphore ou l'artos de l'artoclassia. Au centre du pain deux bandes de la même pâte seront disposées en forme de croix ou à défaut une vraie croix de bois (rapportée à l'occasion d'un pèlerinage). Ou encore on incrustera la croix au moyen d'un sceau en bois (comme pour les prosphores), que l'on trouve aisément au Mont Athos. II en existe toute une collection au Musée Benaki d'Athènes. Sur les bords du pain et au centre de la croix on dépose des noix entières ou des amandes (ce qui symbolise le don de la terre puisque à cette époque de l'année on ne trouve que des fruits secs). Après quoi, avec une fourchette ou un couteau ou des ciseaux ou une tige de coquelicot, on sculpte les divers motifs propres à la fête. Les scènes représentées sont habituellement d'origine agricole ou champêtre : par exemple en Macédoine centrale on dessine la charrue et le bœuf, les amas autour de la maison ou un tonneau. On ajoute des biscuits (de la même pâte) de forme longiligne ou une série de petites croix que l'on nomme " agneaux " ou " chevreaux ". On y dessine aussi une marguerite comprenant autant de pétales que les membres de la famille et sur laquelle on dépose un toit qui rappelle celui de la maison. Sur le bas à droite un animal symbolise les habitants de la propriété ; en-haut à droite un ensemble de figures pour désigner les troupeaux. Enfin, en-haut à gauche un sarment de vigne pour signifier le vignoble (coutume du village de Levadia). C'est ici qu'apparaît la dextérité de la maîtresse de maison puisque la préparation du Christopsomo lui incombe. Certaines femmes réalisent de vrais chefs-d'œuvre : une sorte de monde animé, avec sa maison, ses moutons, ses représentations de tous les travaux des champs. Un tel effort suppose beaucoup d'amour et une grande patience. Et encore une fois précisons que toutes ces scènes sont mélangées avec des dessins à caractère religieux : des petites croix, l'étoile de Bethléem, des mains jointes qui rappellent celle du divin Nouveau-né bénissant le pain. (coutume de Céphalonie). Et pour que le tout soit haut en couleurs, on répand de partout sur le pain ainsi orné des amandes décortiquées, agencées comme des fleurs, du sucre et beaucoup de sésame. C'est le maître de la maison qui est chargé de " célébrer, pourrait-on dire, le rite festif qui consiste à rompre le pain ". Le jour de la fête à midi il présidera la table en commençant par souhaiter à tous bonne fête et en chantant le tropaire de la Nativité. Ensuite il distribuera à chacun sa part de pain (on y glisse parfois une pièce de monnaie), morceau par morceau. Mais ici ou là, d'autres coutumes viennent enrichir ce geste initial. Ainsi par exemple : 1. II arrive que déjà la veille au soir on pose le " pain du Christ " sur la table et à côté une assiette avec des produits de la récolte, un verre de vin et le vase à encens. La mère de famille prélève des petites bouchées de ce pain et les jette dans le vin. Ensuite le père encense d'abord les icônes de la maison, ensuite le pain, la mère et les autres membres présents. II fait de même dans l'étable, les champs, auprès des bêtes et dans tous les alentours de la propriété. Puis il revient à l'intérieur de la maison, il mange une petite bouchée de ce pain et il boit une gorgée du vin qui se trouve dans le verre. Suivent ensuite la mère et tous les autres présents. C'est une sorte de communion familiale et l'un des membres boit aussi une gorgée de vin pour les bêtes et tout le domaine (coutume du village de Serrés). 2. La veille au soir on déposait le Christopsomo au centre de la table et tout autour on y disposait des fruits. Sur le pain on plantait un rameau d'olivier, et sur le rameau on enfourchait des figues, des pommes et des oranges. Ensuite tous les membres de la famille soulevaient la table, la secouant de haut en bas et disant trois fois : " Le Christ est né, joie dans le monde ; chandelier de la table, table de la Toute Sainte Vierge Marie " (coutumes d'Asie Mineure). 3. La veille au soir on prend le " pain du Christ " et on le porte près du feu de la cheminée. Là le maître de la maison jette sur les flammes du vin et de l'huile. Si la flamme grandit, c'est bon signe pour la maison. Si la flamme s'éteint, c'est le contraire. Après quoi chacun prend sa part de pain et il arrive que le plus chanceux y trouve une pièce de monnaie. (A ce moment là, comme pour Pâques, on tire des coups de feu ou on jette des pétards). On pétrit aussi des " pains du Christ " plus petits que l'on distribue aux connaissances et aux pauvres (coutume de Zakynthos et, autrefois, de Céphalonie). 4. La célébration de Noël terminée (en Grèce elle a lieu vers 5 h du matin), le prêtre va de maison en maison et " élève le pain ". Puis il le place sur sa tête, le presse et le casse en deux. Si la partie la plus grande se trouve du côté de sa main droite, alors cela annonce que la récolte de blé et de maïs sera abondante (coutume agricole de Roumeli). En conclusion, disons qu'en célébrant la naissance du Dieu-Homme, l'homme n'oublie pas d'y associer la terre qui le nourrit. Dans le cas présent, le Christ vient en apportant avec lui les dons que Dieu offre à sa création et qui nous rappellent les largesses de sa divine bonté. Il était donc tout naturel que les coutumes populaires unissent ces deux éléments, l'un d'ordre divin, l'autre d'ordre humain, donnant ainsi l'occasion au peuple d'intégrer dans l'art liturgique celui aussi de son vécu quotidien, qui a pour objet le travail de la terre ou celui des troupeaux.Démètre S. LOUKATOS Le propre de Noël et des Fêtes Ed. Philippotis - Athènes 1984, pp. 69-73






[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] 4.- Noël en Alsace

Comment dit-on Noël en alsacien ? En dialecte alsacien, Noël se dit "wihnachte" ou "wiehnachte". Traduit littéralement, wihnachte signifie les nuits sacrées ou saintes ("wih" pour sacrées ou saintes et "nachte" pour nuits). En Alsace, "wihnachte" désigne non seulement la nuit du 24 au 25 décembre, mais aussi toutes les nuits du 25 décembre au 6 janvier, que l'on baptisait le cycle des 12 jours. Le 26 décembre est d'ailleurs férié. Le temps de Noël, en Alsace commence en réalité, le 11 novembre à la St Martin, pour se terminer le 6 janvier à l'Epiphanie. Il est divisé en trois périodes : l'Avent, la fête de Noël et le cycle des 12 jours. La St Martin marque la fin des travaux des champs et le début du jeûne de préparation de Noël. Ce n'est qu'à la St André, le 30 novembre que débute véritablement la période de l'Avent avec ses démons qui rôdent dans les villages et ses rites qui ponctuent l'attente de Noël.
En attendant Noël
Dès la fin novembre, les premières décorations font leur apparition. Qui n'a pas aperçu la fameuse couronne ornant les portes d'entrée ? C'est la couronne de l'Avent qui inaugure la période allant du 30 novembre au 24 décembre. Réjouissances pour les uns, ces quatre semaines sont aussi le moment où les bons esprits s'en vont pour préparer Noël, laissant la place aux personnagess inquiétants, aux revenants, qui hantent ces premiers jours de décembre. En Alsace, pendant cette période, il était interdit de se marier, de donner ou aller voir un spectacle... sans quoi vous risquiez d'être emmenés à tout jamais par les démons des ténèbres. A chaque jour son saint. Dans les maisons alsaciennes, chaque matin à cette époque, le père de famille ouvrait le livre des saints. A chaque jour son saint, qui protégeait ainsi la maison et la famille, des démons. Le cycle de Noël s'ouvrait ainsi le 30 novembre, à la St André, protecteur des jeunes filles à marier. Ce jour-là, les jeunes filles avaient la possibilité, par des pratiques magiques, de voir le visage, la silhouette ou le métier de leur futur époux. Une des pratiques consistait à balayer sa chambre, à demi nue. En balayant, à reculons ou sous les armoires, des ombres apparaissaient sur les murs. La demoiselle découvrait alors la silhouette de son futur mari seul ou muni d'un outil, révêlant alors son métier ! Puis le 1er décembre, venait St Eloi, protecteur des chevaux. Le jour de la St Eloi, le fermier, pour prévenir ses bêtes des maladies, les amenait à l'abreuvoir boire de l'eau. Le prêtre bénissait aussi les chevaux et donnait un léger coup de marteau en argent sur le front des animaux. Cette pratique de l'Eglise est un héritage d'anciennes traditions relatives au dieu Thor, détenteur d'un célèbre marteau, ou à Sucellos, divinité gauloise représentée avec un maillet.Puis vient la Ste Barbe ou Barbara le 4 décembre. Patronne des artilleurs et des pompiers, elle protège de la mort. Ce jour-là on coupait des rameaux d'arbres fruitiers que l'on disposait sur le poêle. La qualité de leur floraison, indiquait la récolte de l'année à venir. Le 6 décembre approche, les enfants attendent St Nicolas et ses cadeaux. En Alsace, son culte se répandit au 12è siècle. Accompagné d'un vilain personnage, Hans Trapp (assimilé aussi au père Fouettard), St Nicolas, patron des écoliers, récompense les enfants sages, alors que Hans Trapp punit les autres. L'Eglise, considérant que seul l'Enfant Jésus devait apporter les cadeaux, supprima St Nicolas. C'est ainsi qu'à partir de la Réforme, on vit apparaître le Christkindel "l'enfant christ" ou "l'enfant lumière", seul personnage autorisé à apporter les cadeaux. Cependant St Nicolas restera toujours un personnage important, remplaçant le christkindel dans certaines régions. La fête du 6 décembre persista dans les milieux catholiques où un jeune homme se revêtait d'un habit d'évêque et, accompagné du "Hans Trapp", passait le soir du 5 décembre, dans tout le village et distribuait aux enfants des pains d'épices, des pommes et des noix. Dans les familles on confectionnait des brioches en forme de St Nicolas dont les yeux étaient représentés par des raisins secs. Puis, la période de l'Avent prenait fin avec les nuits bruyantes (les 3 derniers jeudis de l'avent). Pour éloigner les mauvais esprits (que l'on peut rapprocher de la chasse sauvage menée par Odhinn-Wotan et son cortège de guerriers), un groupe de jeunes gens parcourait les villages, faisant un vacarme épouvantable à l'aide d'instruments divers et hétéroclites.

Le Christkindel arrive la nuit de Noël.









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La maison s'emplit de joie. Il est temps de partir, le Christkindel disribue les cadeaux, et jette des noix et des noisettes de son panier en guise d'adieu. La petite troupe quitte la maison pour regagner le froid à la quête d'autres demeures. Ainsi se déroulait la nuit de Noël en Alsace. Le Christkindel fit son apparition au 16è siècle. Ce personnage est plein de contradiction : il est représenté comme une jeune fille aux longs cheveux, et pourtant symbolise l'Enfant-Jésus. Il rappelle la déesse-mère primitive, chez les gaulois, qui vole dans les airs pour regagner l'autre monde au solstice. Quand au terrible Hans Trapp, on dit qu'il vient d'un personnage historique, Hans von Dratt, qui régnait sur Wissembourg comme un véritable despote. Une autre version parle d'un personnage imaginaire qui tient son nom du verbe "tappe" ou 'trappe" en alsacien, qui veut dire "marcher bruyamment". Ces deux personnages étaient accompagnés de peckersel ou d'r Birckeresel. Il ressemble à un homme avec une tête d'âne à bec, porte une cloche, un gourdin, un lourd sac de pommes.
Le 24 décembre, la nuit sainte
Après le passage du Christkindel, toute la famille se rendait à l'église pour la messe de minuit. Mais avant de partir, le père de famille choissisait la plus grosse bûche dans son tas de bois. Elle devenait le "wihnachstklotz" ou "baamstamm" la bûche de Noël. Les enfants devaient la décorer de houx et de baies sauvages.Elle devait se consumer doucement pendant la durée de la messe. Le maître de maison l'aspergeait de vin ou d'eau bénite et la mettait dans la cheminée. Au retour de la famille, on recueillait les cendres, pour les disperser avant l'Epiphanie, dans les champs. "Les récoltes seront meilleures", disait-on. Elles pouvaient être aussi conservées dans le grenier de la maison. Elles la protégeaient ainsi des tempêtes et des orages. Dans certains villages alsaciens, ce rituel est toujours suivi.







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Prédire les récoltes de l'année

Le soir du 24 décembre, on sortait la rose de Noël, "wihnachtrose", de sa boîte. Il s'agissait d'une véritable rose, l'anastatica hierochuntica, cultivée en Palestine ou en Egypte. Cette fleur séchée et fermée se conservait dans une boîte pendant des années. On la disposait dans un vase, le soir de Noël avant de partir pour l'église. Au retour, si la rose était largement ouverte, le vin de l'année à venir serait un grand millésime et les récoltes abondantes. Cette tradition existe toujours aujourd'hui et l'on trouve encore des roses de Noël.

L'eau sacrée

Appelée le "Heilwoog" ou "Heiliwog". Pendant les 12 coups de minuit, l'eau des ruisseaux et des fontaines étaient sacrée. Les fermiers allaient chercher le bétail, et remplissaient l'abreuvoir de cette eau. Tout animal qui la buvait, était protégé des maladies. Chaque maison avait sa fiole pour se préserver des épidémies.









Puis le village se réunissait dans l'église. Pour voir les sorcières, il fallait se munir d'un trépied ou d'un tabouret fait de 9 essences de bois et de s'installer au fond de l'église, on voyait alors les sorcières qui tournaient le dos à l'autel. Au retour, la veillée de Noël commençait : chants, danses, légendes la composait.

Mais la nuit de Noël n'avait pas pour autant chassé les mauvais esprits, elle annonçait une période d'effroi : le cycle des 12 jours qui allait de Noël à l'Epiphanie (Théophanie). Il s'appelait "s'kleine johr" (la petite année) puisque chaque jour représente un mois. Les paysans notent encore le temps qu'il fait pendant cette période, pour les prévisions de l'année.


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Les raunächte
C'est aussi une période sombre appelée "raunächte", les nuits sauvages, pendant lesquelles le cortège du chasseur sauvage passait dans les villages. Il symbolisait le combat entre les forces des ténèbres et les forces du bien (parties le 30 novembre). Si le chasseur prononçait un prénom, la personne qui répondait à son appel, était enlevée. Il était présent toutes les nuits pendant le cycle. Le jour de Noël, jour de festin, entame la petite année. Les enfants allaient visiter leurs parrains et marraines pour recevoir leurs cadeaux ou leurs friandises. Le 26 décembre, on embauchait les valets et les servantes au marché. Le soir, une fête était donnée pour leur souhaiter la bienvenue dans la famille. Le jour de la St Jean, le 27 décembre, on buvait le vin porte-bonheur "Johannistrunk". Une légende racontait que St Jean but du vin empoisonné, sans souffrir de malaise. Le cycle des 12 jours était ponctué de multiples cortèges d'enfants qui partaient à la quête de gâteaux et de friandises. Les jours les plus symboliques de la période restaient la St Sylvestre, le 31 décembre et l'Epiphanie (Théophanie) le 6 janvier.
La Saint Sylvestre
La nuit du 31 décembre était proche de la nuit de Noël, tant elle étaient riche de traditions. Les jeunes garçons, par exemple, dressaient devant la maison de leur fiancée, un sapin. Cette nuit-là, on offrait un bretzel à celle ou à celui qu'on aimait, comme gage d'amour. Vers minuit, les villages tremblaient aux sons des coups de feu. On savait alors que la nouvelle année commençait. Les garçons tiraient des coups de fusil sur les volets de leur fiancée, qui leur jetait des gâteaux leur souhaitant bonne année. Aujourd'hui les pétards sont de rigueur dans toute l'Alsace. Ce vacarme devait chasser les démons, qui disparaissaient à l'Epiphanie.
L'Epiphanie
Le 6 janvier marquait réellement le début de l'année. Ce jour était consacré aux rois mages : Gaspar (Caspar en alsacien), Melchior et Balthazar. On traçait leurs initiales C. M. B. sur les portes des maisons pour se protéger des incendies et inondations. C'est ainsi que se termine le cycle des 12 jours, emportant avec lui le cycle de Noël.
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Message  Arlitto Lun 7 Mar - 15:22

Noël en Estonie


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Dans les temps anciens
Le mot « yuletide » vient d’un mot scandinave qui n a rien a voir avec la chrétienté vu qu’il était utilisé longtemps avant que le christianisme n'atteigne la mer baltique.
Les préparatifs des festivités de Yuletide commençaient dès le 21 décembre (Saint-Thomas et jour du solstice d'hiver) et devaient être terminés avant le réveillon.


Certains travaux étaient arrêtés à cette période de l' année : le rouet des femmes, la meule des moulins et les chariots tirés par les chevaux car tous ces travaux pouvaient déranger les esprits à cause du bruit.
Les travaux des champs étant finis, pour les paysans c'était une période de repos. On avait tué les cochons avant ces festivités, on avait préparé la bière pour commencer à la boire à la Saint-Thomas.


On nettoyait la maison et on préparait de bons petits plats. Les couronnes de Noël étaient tressées en paille et devaient être accrochées au plafond. La paille devait être rentrée et étalée sur le plancher avec la première et la dernière botte de blé de la récolte de l'année. On s’amusait sur la paille et la coutume voulait que lorsqu’on lançait la paille en l’air et qu’elle s’accrochait aux poutres c’était un signe de bonne récolte. On devait toujours avoir un feu allumé dans la cheminée pour une offrande au soleil. On calfeutrait également les fenêtres pour éviter que la lumière ne passe et n'abîme les jeunes pousses des céréales dans les champs.

Le soir de Noël les paysans préparaient une profusion de plats divers et ils ne débarrassaient pas la table pour permettre aux esprits des ancêtres de revenir les visiter et ainsi faire un peu partie de la fête. Certains répétaient cette coutume au Nouvel An et à l Epiphanie.


Pourquoi les gens pouvaient manger sept, neuf ou douze plats dans la même soirée ? C’était à cause des nombres magiques c'est-à-dire si un homme pouvait manger jusqu'à sept plats dans la même soirée cela voulait dire qu’il aurait la force de 7 hommes et bien sur plus les gens arrivaient à manger de plats, plus ils étaient considérés forts (de nos jours ça fait sourire ).


Les croix étaient mises sur les portes pour se protéger des mauvais esprits et exceptionnellement on nourrissait de pain de Noël les animaux de l'étable.
Au tournant du 19ème siècle les gens prirent l’habitude comme en Allemagne de couper un sapin de Noël et de le décorer. Les sapins étaient coupés le soir même de Noël et gardé jusqu à l’Epiphanie.

Les habitants payaient des jeunes gens qui se déguisaient avec des cornes de cerf et d’une peau de mouton sur eux pour que ceux-là viennent sonner aux portes des fermes et donner la bonne parole en échange de quoi ils récoltaient des petits présents.

De nos jours c’est le Père Noël qui joue ce rôle.

En Estonie le mot nouvel An provient du mot allemand Ni Jar. C'est en 1691 qu officiellement on décida que c’était la première journée du calendrier.
Comme cette date était proche de Noël on l’appelait le second Noël. Les coutumes observées pour le Nouvel An ressemblaient beaucoup à celles de Noël mais elles étaient plus festives et joyeuses et moins solennelles. On ajoutait la tradition de se faire prédire l’avenir par les membres de la famille :


La bonne ou mauvaise fortune était prédite en faisant couler du plomb en fusion dans de l'eau froide afin de connaître les chances pour la nouvelle année.
On offrait un épi de maïs aux femmes et suivant la façon dont elle commençait à le manger on pouvait prédire si elles allaient se marier ou non dans l’année. Ou alors on lançait plusieurs os aux chiens pour voir lequel il mangerait en premier et cela décidait de l’avenir de la jeune femme.


Le soir du nouvel an les gens se rendaient visite. Si le premier visiteur était un homme cela amenait de la chance pour toute l’année, par contre si c’était une femme c’était considéré comme signe de mauvaise augure. Et à certains endroits on allait jusqu'à jeter de la cendre sur elle ou lui accrocher une vielle paire de bottines autour du cou (c’était plutôt barbare ! ).


Si la nuit du Nouvel An était claire et étoilée cela signifiait beaucoup de naissances d'animaux domestiques dans l'année et si la forêt était couverte de frimas alors cela signifiait qu'on pouvait s'attendre à une très bonne récolte.
A l’Epiphanie les familles allaient de maisons en maisons, jouaient à des jeux, buvaient de la bière et finissaient les restes des repas de Noël.


Dans les régions côtières la Yuletide finissait le jour de la Saint Knud le 7 janvier. Ce jour là, personne ne travaillait et les hommes allaient de fermes en fermes et repoussaient les festivités avec un balai tressé avec la paille de l’entrée du début des festivités. Saint Knud se dit en estonien « nuudipäev » et qui veut dire le jour du balayage.
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De nos jours
Noël est un mélange de traditions, anciennes et modernes et de religion. La saison de Noël commence avec l'avent ou les gens achètent des calendriers et des bougies.


Le repas traditionnel de Noël est le porc avec de la choucroute, des pommes de terre et de la tête de cochon, du boudin blanc et du boudin noir, des salades de pommes de terre avec des betteraves et du pâté.
Les desserts sont du pain d’épices, des biscuits de Noël appelés « pipparkogid » à base de grains de poivre, de cannelle et de poudre de cacao ou des tartes aux fruits rouges et le tout arrosé de bière.
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