Le Trône d’Adoulis, une autre histoire de l’Arabie préislamique
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Le Trône d’Adoulis, une autre histoire de l’Arabie préislamique
Histoire. Le Trône d’Adoulis, une autre histoire de l’Arabie préislamique
Un trône éthiopien renaît de ses cendres. Une passionnante enquête de Glen W. Bowersock, professeur d’histoire ancienne à l’université de Princeton, dévoile les relations tumultueuses des royaumes éthiopien et yéménite au VIe siècle. En jeu : la domination des contrées qui, quelques années plus tard, allaient abriter la religion islamique.
Détail de la couverture du livre Le Trône d'Adoulis, de Glen W. Bowersock (Albin Michel)
Au début du VIe siècle, le sud de l’Arabie était en proie aux conflits opposant le royaume chrétien d’Aksum (s’étendant sur l’Éthiopie et l’Érythrée) et le royaume juif d’Himyar au Yémen. Ces deux acteurs régionaux bénéficiaient de l’appui des superpuissances de l’époque : l’Empire byzantin et l’Empire perse. Méconnue, cette période a pourtant profondément marqué les terres où la révélation coranique a eu lieu. Professeur d’histoire ancienne à Princeton, Glen W. Bowersock en propose un décryptage dans son dernier livre, Le Trône d’Adoulis (Albin Michel, 2014).
Ce trône de marbre blanc, aujourd’hui disparu, se situait dans la ville portuaire d’Adoulis, dans l’actuelle Érythrée. Les textes gravés sur le monument demeurent une source importante pour comprendre cette époque.
« Les textes du trône narrent les conquêtes militaires des rois d’Aksum, les Négus », explique Glen W. Bowersock. Au début du VIe siècle, le Négus Kaleb convoitait les territoires perdus d’Arabie conquis par le royaume juif d’Himyar. « Pour Kaleb, ces textes légitimaient ses ambitions guerrières ».
Si l’Arabie a connu, du IIIe au VIe siècle, un royaume juif, celui de Himyar, c’est parce qu’un roi yéménite s’était converti au judaïsme pour des raisons encore inconnues. Allié des Perses sassanides, ce royaume va s’imposer dans le sud de l’Arabie contre l’Éthiopie chrétienne. Le judaïsme himyarite, d’abord vu comme une variante épurée et éloignée de l’orthodoxie, a progressivement été reconsidéré en « un judaïsme total, des textes jusqu’aux rites, mais aussi par la connaissance de l’hébreu [qu’il demandait] ».
Si l’existence d’un royaume juif arabe est remarquable en soi, la religion juive était pratiquée par plusieurs tribus de la péninsule arabique. « Théophile l’Indien, un missionnaire chrétien à Aksum, capitale royale et épicentre de l’Église éthiopienne orthodoxe, nous informe sur la pluralité du judaïsme sur la côte de l’Arabie occidentale ». La ville de Yathrib, future Médine, abritait des tribus réputées pour être « les descendants d’exilés de Jérusalem après la chute du Second Temple ».
Non loin du royaume d’Himyar se trouvait une communauté chrétienne à Najran, au sud-ouest de l’actuelle Arabie saoudite. En 523, Himyar attaque cette cité chrétienne et massacre sa population. Cette « étrangeté de l’histoire » peut s’expliquer par « l’influence des Perses », qui ont utilisé le royaume himyarite pour freiner les ardeurs conquérantes chrétiennes.
Les Éthiopiens disposaient désormais d’un prétexte pour mener une expédition militaire, forte de 120 000 hommes. Si Himyar est soutenu par les Perses, Aksoum est encouragé par les Byzantins, malgré quelques dissensions dogmatiques. « Ici, la politique a donc transcendé les différences religieuses », note l’universitaire.
Mieux comprendre les premiers musulmans
Grâce à ces sources préislamiques, Glen W. Bowersock brosse le contexte de la première migration des musulmans. Avant l’Hégire – l’exil de Muhammad et ses premiers disciples vers Médine –, un groupe de musulmans a fui les persécutions dont ils étaient l’objet et quitté La Mecque en destination du royaume chrétien éthiopien.
Comme les Perses étaient les alliés « des juifs d’Arabie et de Palestine, les musulmans, tout comme les polythéistes, cherchaient un soutien auprès des chrétiens. Cela explique la nature des relations cordiales des premiers musulmans avec le Négus qui a refusé de les livrer aux païens ».
Lorsque l’islam s’étendra plus loin que les terres d’Arabie, les armées musulmanes partiront à la conquête de l’Empire perse. Au-delà du contexte militaire, le choix d’attaquer les Sassanides, et non les Byzantins, « peut sembler plus politique que religieux afin d’affermir leur alliance avec l’Éthiopie ».
Le mystérieux terme coranique d’hanif
Glen W. Bowersock conclut son ouvrage par une passionnante étude du mot hanif, « assez négligé par les spécialistes de l’islam », juge le chercheur.
Dans la tradition islamique, le hanafisme désigne le monothéisme existant avant la révélation coranique. Une sourate précise : « Abraham ne fut ni juif ni chrétien, mais fut monothéiste [“hanifan”] et soumis [“musliman”] à Dieu. Et il n’était point du nombre des Associateurs [qui associent Dieu à d’autres divinités] » (Coran 3,67).
Hanif, mot de racine sémitique, désigne « celui qui s’éloigne » en arabe. Toutefois, « en syriaque il signifie “apostat” ou “païen” ». Pour le professeur de l’université de Princeton, le terme englobe « toutes les problématiques de cette religion en cette période de transition. Hanif est une zone de basculement entre les traditions ».
Le rapport entre « le Prophète et Abraham est alors saisissant. Par exemple, le père d’Abraham était polythéiste tout comme celui de Muhammad, Abdallah ». Ainsi, le verset peut évoquer le fait qu’Abraham vivait parmi les associateurs tout en demeurant tourné vers le Dieu unique. À l’image de Muhammad vivant parmi les Mecquois polythéistes, tout en n’ayant jamais été tenté par le culte des idoles.
Brosser le contexte de l’époque de l’islam primitif présente des difficultés. « Certaines sources ont été contaminées par des préoccupations internes aux politiques califales, à l’exemple des Chroniques de l’historien et exégète Tabari (839-923). » Toutefois, à la lumière des plus récentes découvertes, « nous pouvons supposer que les sources arabes sont relativement correctes ». Dans tous les cas, « il n’y a pas de méthode simple pour comprendre l’islam historique », conclut-il.
Un trône éthiopien renaît de ses cendres. Une passionnante enquête de Glen W. Bowersock, professeur d’histoire ancienne à l’université de Princeton, dévoile les relations tumultueuses des royaumes éthiopien et yéménite au VIe siècle. En jeu : la domination des contrées qui, quelques années plus tard, allaient abriter la religion islamique.
Détail de la couverture du livre Le Trône d'Adoulis, de Glen W. Bowersock (Albin Michel)
Au début du VIe siècle, le sud de l’Arabie était en proie aux conflits opposant le royaume chrétien d’Aksum (s’étendant sur l’Éthiopie et l’Érythrée) et le royaume juif d’Himyar au Yémen. Ces deux acteurs régionaux bénéficiaient de l’appui des superpuissances de l’époque : l’Empire byzantin et l’Empire perse. Méconnue, cette période a pourtant profondément marqué les terres où la révélation coranique a eu lieu. Professeur d’histoire ancienne à Princeton, Glen W. Bowersock en propose un décryptage dans son dernier livre, Le Trône d’Adoulis (Albin Michel, 2014).
Ce trône de marbre blanc, aujourd’hui disparu, se situait dans la ville portuaire d’Adoulis, dans l’actuelle Érythrée. Les textes gravés sur le monument demeurent une source importante pour comprendre cette époque.
« Les textes du trône narrent les conquêtes militaires des rois d’Aksum, les Négus », explique Glen W. Bowersock. Au début du VIe siècle, le Négus Kaleb convoitait les territoires perdus d’Arabie conquis par le royaume juif d’Himyar. « Pour Kaleb, ces textes légitimaient ses ambitions guerrières ».
Si l’Arabie a connu, du IIIe au VIe siècle, un royaume juif, celui de Himyar, c’est parce qu’un roi yéménite s’était converti au judaïsme pour des raisons encore inconnues. Allié des Perses sassanides, ce royaume va s’imposer dans le sud de l’Arabie contre l’Éthiopie chrétienne. Le judaïsme himyarite, d’abord vu comme une variante épurée et éloignée de l’orthodoxie, a progressivement été reconsidéré en « un judaïsme total, des textes jusqu’aux rites, mais aussi par la connaissance de l’hébreu [qu’il demandait] ».
Si l’existence d’un royaume juif arabe est remarquable en soi, la religion juive était pratiquée par plusieurs tribus de la péninsule arabique. « Théophile l’Indien, un missionnaire chrétien à Aksum, capitale royale et épicentre de l’Église éthiopienne orthodoxe, nous informe sur la pluralité du judaïsme sur la côte de l’Arabie occidentale ». La ville de Yathrib, future Médine, abritait des tribus réputées pour être « les descendants d’exilés de Jérusalem après la chute du Second Temple ».
Non loin du royaume d’Himyar se trouvait une communauté chrétienne à Najran, au sud-ouest de l’actuelle Arabie saoudite. En 523, Himyar attaque cette cité chrétienne et massacre sa population. Cette « étrangeté de l’histoire » peut s’expliquer par « l’influence des Perses », qui ont utilisé le royaume himyarite pour freiner les ardeurs conquérantes chrétiennes.
Les Éthiopiens disposaient désormais d’un prétexte pour mener une expédition militaire, forte de 120 000 hommes. Si Himyar est soutenu par les Perses, Aksoum est encouragé par les Byzantins, malgré quelques dissensions dogmatiques. « Ici, la politique a donc transcendé les différences religieuses », note l’universitaire.
Mieux comprendre les premiers musulmans
Grâce à ces sources préislamiques, Glen W. Bowersock brosse le contexte de la première migration des musulmans. Avant l’Hégire – l’exil de Muhammad et ses premiers disciples vers Médine –, un groupe de musulmans a fui les persécutions dont ils étaient l’objet et quitté La Mecque en destination du royaume chrétien éthiopien.
Comme les Perses étaient les alliés « des juifs d’Arabie et de Palestine, les musulmans, tout comme les polythéistes, cherchaient un soutien auprès des chrétiens. Cela explique la nature des relations cordiales des premiers musulmans avec le Négus qui a refusé de les livrer aux païens ».
Lorsque l’islam s’étendra plus loin que les terres d’Arabie, les armées musulmanes partiront à la conquête de l’Empire perse. Au-delà du contexte militaire, le choix d’attaquer les Sassanides, et non les Byzantins, « peut sembler plus politique que religieux afin d’affermir leur alliance avec l’Éthiopie ».
Le mystérieux terme coranique d’hanif
Glen W. Bowersock conclut son ouvrage par une passionnante étude du mot hanif, « assez négligé par les spécialistes de l’islam », juge le chercheur.
Dans la tradition islamique, le hanafisme désigne le monothéisme existant avant la révélation coranique. Une sourate précise : « Abraham ne fut ni juif ni chrétien, mais fut monothéiste [“hanifan”] et soumis [“musliman”] à Dieu. Et il n’était point du nombre des Associateurs [qui associent Dieu à d’autres divinités] » (Coran 3,67).
Hanif, mot de racine sémitique, désigne « celui qui s’éloigne » en arabe. Toutefois, « en syriaque il signifie “apostat” ou “païen” ». Pour le professeur de l’université de Princeton, le terme englobe « toutes les problématiques de cette religion en cette période de transition. Hanif est une zone de basculement entre les traditions ».
Le rapport entre « le Prophète et Abraham est alors saisissant. Par exemple, le père d’Abraham était polythéiste tout comme celui de Muhammad, Abdallah ». Ainsi, le verset peut évoquer le fait qu’Abraham vivait parmi les associateurs tout en demeurant tourné vers le Dieu unique. À l’image de Muhammad vivant parmi les Mecquois polythéistes, tout en n’ayant jamais été tenté par le culte des idoles.
Brosser le contexte de l’époque de l’islam primitif présente des difficultés. « Certaines sources ont été contaminées par des préoccupations internes aux politiques califales, à l’exemple des Chroniques de l’historien et exégète Tabari (839-923). » Toutefois, à la lumière des plus récentes découvertes, « nous pouvons supposer que les sources arabes sont relativement correctes ». Dans tous les cas, « il n’y a pas de méthode simple pour comprendre l’islam historique », conclut-il.
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