Rose-Croix et Franc-Maçonnerie
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Rose-Croix et Franc-Maçonnerie
Rose-Croix et Franc-Maçonnerie
Pour un non-initié, les Rose-Croix et les Francs-Maçons ont en commun d’appartenir à une école de pensée, à une société secrète, voire même à une “secte” ésotérique ayant le même genre de préoccupations. Il est un fait que ces deux organisations ont des liens traditionnels et historiques, au point que certaines obédiences maçonniques spiritualistes comportent toujours le grade de Chevalier Rose-Croix.
En 1824, Thomas de Quincey publie dans London Magazine un article intitulé « Historico-Critical Inquiry into the origins of the Rosicrucians and the Freemasons », où il indique que la Franc-Maçonnerie n’est ni plus ni moins que le Rosicrucianisme modifié par ceux qui l’ont introduit en Anglererre. Que faut-il en penser ?
1. Un ésotérisme commun
Sur le plan historique, la Franc-Maçonnerie est née en Angleterre au XVIIIe siècle. Sans procéder directement de la Rose-Croix qui fleurit au siècle précédent, elle se développe dans un terreau préparé par le Rosicrucianisme. Quelques années après sa naissance, la Franc-Maçonnerie intègre d’ailleurs un grade de « Chevalier Rose-Croix », puis en vient même à créer plusieurs mouvements rosicruciens. Sans se livrer à une analyse exhaustive de l’ensemble de ces mouvements et de leurs doctrines, il est intéressant d’évoquer quelques groupes dans lesquels les deux Ordres se sont côtoyés au cours des siècles passés.
A la Renaissance, l’Europe recueille tout un héritage ésotérique venant de l’Antiquité. L’alchimie, la kabbale, l’astrologie et la magie connaissent un grand développement dont le Rosicrucianisme marque l’aboutissement au XVIIe siècle. Ce siècle est aussi en proie à une véritable crise morale. En effet, les progrès de la science ébranlent les fondements de l’Occident chrétien et la religion perd une partie de son autorité. Il s’ensuit un déchirement conduisant aux guerres de religions. Chacun se réfugie dans l’intégrisme et le fanatisme, et l’Europe est bientôt à feu et à sang. Certains se plaisent alors à rêver à une grande Réforme alliant ésotérisme, religion et science, pour amener l’humanité vers une ère de bonheur, de fraternité et de paix. Ces idées se cristallisent autour du mouvement rosicrucien, dont les Manifestes sont lus par tous les penseurs d’Europe. Beaucoup souhaitent s’associer à ce projet. Hélas, cet élan est bientôt brisé par la guerre de Trente Ans.
Une loge au XVIIIe siècle
Au XVIIIe siècle, la Franc-Maçonnerie reprend ces idées de Réforme en Angleterre. C’est ce qui explique pourquoi certains auteurs, comme J. G. Buhle en 1804 ou Thomas de Quincey en 1824, voient en elle une émanation de la Rose-Croix. Certes, on ne peut souscrire totalement à ce point de vue. Cependant, force est de constater que les fondateurs de la Franc-Maçonnerie s’inscrivent dans la mouvance rosicrucienne anglaise du XVIIIe siècle. Cela dit, on trouve dès 1638 une référence aux relations entre les deux mouvements dans The Muses, un poème d’Adamson publié à Edimbourg. Ce texte indique : « Car nous sommes des Frères de la Rose-Croix ; nous possédons le mot de Maçon et la double vue ». Quelques années plus tard, le 10 octobre 1676, le Poor Robin’s Intelligence publie une notice indiquant que « l’Ancienne Fraternité de la Rose-Croix, les Adeptes de l’Hermétisme et de la Compagnie des Maçons Acceptés, ont décidé de dîner ensemble ». Ce lien sera encore souligné dans un article du Daily Journal du 5 septembre 1730 qui indique : « Il existe une Société à l’étranger, de laquelle les Francs-Maçons anglais […] ont copié quelques cérémonies, et s’efforcent de persuader le monde qu’ils en sont issus et lui sont identiques. On les appelle Rosicruciens. » Sans être héritière de l’autre, on peut donc constater que Rose-Croix et Franc-Maçonnerie s’interpénètrent d’une curieuse manière.
Il faut remarquer également que les deux plus anciennes références relatant des initiations maçonniques concernent des hommes ayant été en relation directe ou indirecte avec le Rosicrucianisme. La première concerne sir Robert Moray. Elle rapporte que le 20 mai 1641, il fut initié à la Maçonnerie dans la Loge Mary’s Chapel d’Edimbourg. Il est intéressant de noter que Robert Moray, l’un des membres fondateurs de la Royal Society, passionné d’alchimie, est le protecteur de Thomas Vaughan (1622-1666). Or, ce dernier, sous le pseudonyme d’Eugenius Philalethe, est l’auteur de The [ltr]Fame and Confessio[/ltr] (1652), traduction anglaise de la Fama Fraternitatis et de la Confessio Fraternitatis.
La seconde référence se rapporte à Elias Ashmole (1617-1692). Dans une note, il rapporte qu’il fut admis dans une Loge maçonnique à Warrington, le 16 octobre 1646. Six ans plus tard, il publie le Theatrum Chemicum Britannicum (1652), un volume qui regroupe une importante collection de traités alchimiques. Dès les premières lignes de son livre, Elias Ashmole se réfère à la Fama Fraternitatis pour mettre en évidence l’importance de l’alchimie en Angleterre. Il rappelle aussi que le premier Manifeste rosicrucien indique qu’un des quatre premiers compagnons de Christian Rosenkreutz, le « Frère I.O. », était venu en Angleterre. Outre ses nombreuses références à Michael Maïer, célèbre défenseur du Rosicrucianisme, il faut savoir que l’on a retrouvé dans les papiers d’Ashmole une copie autographe de la Fama Fraternitatis et de la Confessio Fraternitatis, ainsi que le texte d’une lettre dans laquelle il demandait son admission dans la Rose-Croix.
2. Maître Hiram et Christian Rosenkreutz
Si les activités de la Franc-Maçonnerie débutent au XVIIe siècle, il est généralement admis que l’acte fondateur de cette Société date du 24 juin 1717. C’est à ce moment que sont fondées les Grandes Loges de Londres et de Westminster. Mais la date qui marque le mieux la fondation de la Franc-Maçonnerie est celle qui voit la publication de la Constitution d’Anderson (1727) par le duc de Wharton, son Grand Maître à l’époque. Ce texte, présenté comme une refonte et une correction de vielles archives maçonniques, fut rédigé par James Anderson, Jean-Théophile Désaguliers et Georges Payne. Les « archives » en question sont les Old Charges, ou Anciens Devoirs, textes appartenant aux anciennes guildes de Maçons opératifs, dont les plus anciens remontent à 1390 (ex. : Regius, 1390, et Cooke, 1410). Mais plutôt que de descendre directement des anciennes guildes de Maçons opératifs (les Constructeurs) la Franc-Maçonnerie est une Société de penseurs — on parle de Maçonnerie spéculative — qui a emprunté une partie de sa symbolique aux Constructeurs.
Frontispice de la Constitution d’Anderson de 1723 (extrait)
Au XVIIIe siècle, la Franc-Maçonnerie n’a pas l’organisation que nous lui connaissons aujourd’hui. Elle ne prend sa structure de base, composée de trois degrés, Apprenti, Compagnon, Maître (Maçonnerie bleue) qu’après quelques années. Elle ne comportait initialement que deux grades, ceux d’Apprenti-entré et de Compagnon. Un troisième, dit de Maître, apparaît vers 1730. Il faut attendre la seconde édition de la Constitution d’Anderson, celle de 1738, pour trouver une référence officielle à ce degré, et patienter jusqu’en 1760 pour que la symbolique qui lui est attachée, celle du mythe d’Hiram, soit vraiment admise en Angleterre (1). En France, le grade de Maître n’apparaît qu’à partir de 1744. Sous certains aspects (comme celui de la symbolique liée à la découverte du tombeau du Maître), Hiram reprend des traits de Christian Rosenkreutz. Faut-il voir dans Hiram, comme l’indique Antoine Faivre, un fils de Christian Rosenkreutz ? « Fondateur mythique lui aussi, le premier serait alors un Christian réduit à la relative abstraction dans la galerie des grandes figures hiératiques de la “Tradition” » (2).
A ses débuts, la Franc-Maçonnerie ne se présente pas véritablement comme une société initiatique. Ses cérémonies sont d’ailleurs qualifiées de « rites de réceptions ». Le terme « initiation » n’apparaît dans ses textes que vers 1728-1730, et il ne deviendra officiel en France qu’à partir de 1826 (3). Même si le rituel propre à la Maçonnerie confère un aspect mystérieux à ses réunions, les Loges sont essentiellement des lieux où l’on pratique la philanthropie et où l’on cultive les beaux-arts. Ce n’est que progressivement qu’elle va développer un aspect initiatique et ésotérique (4). Quelques années plus tard, la structure hiérarchique des grades maçonniques s’enrichit. Le 26 décembre 1736, le chevalier André-Michel Ramsay (1686-1747), disciple de Fénelon et de Mme Guyon, prononce à la Loge parisienne du Louis d’Argent, un discours qui va entraîner l’apparition de ce que l’on appelle les hauts grades ou écossisme, c’est-à-dire les degrés supérieurs à celui de Maître (5). Dans son discours, Ramsay présente la Franc-Maçonnerie comme étant la résurrection de la « religion noachite », une religion primordiale, universelle et sans dogmes. Il ajoute que c’est par les Croisades que ce Saint Ordre a été ramené en Grande Bretagne avant de se répandre dans le reste de l’Europe.
Bientôt, des symboles et des thèmes empruntés à l’Ancien Testament, à la Chevalerie, aux Templiers, ainsi qu’aux Sciences occultes comme l’alchimie, l’astrologie, la kabbale et la magie, stimulent l’imagination de Francs-Maçons désireux de créer des hauts grades (6). Vers 1740, ces grades vont proliférer avec une anarchie qui prendra fin en décembre 1773. C’est parmi ces hauts grades que réapparaît la Rose-Croix, en y faisant parfois figure de « grade terminal », voire de nec plus ultra de la Franc-Maçonnerie (7). Cependant, certains Maçons tentent aussi de séparer le Rosicrucianisme de la Maçonnerie pour constituer des Ordres autonomes.
3. L’ordre de la Rose-Croix d’or et de la Rose rouge
Manuscrit Rosicrucien du XVIIIe siècle
C’est d’abord sous les auspices de l’alchimie que la Rose-Croix va réapparaître dans la Franc-Maçonnerie. En 1710, soit sept ans avant la publication de la Constitution d’Anderson, Sincerus Renatus (Samuel Richter), un pasteur luthérien qui se disait disciple de Paracelse et de Boehme, publie La vraie et parfaite préparation de la Pierre Philosophale par la Fraternité de l’Ordre de la Rose-Croix d’Or et de la Rose Rouge… (Breslau, 1710). Il s’agit d’un traité d’alchimie qui donne en appendice cinquante-deux règles de l’Ordre de la Rose-Croix d’Or et de la Rose Rouge. Ce livre s’inspire de l’Échos de la Fraternité, par Dieu hautement illuminée, de l’illustre Ordre R.C.(1615) de Julius Sperber, ainsi que du Témis d’or, ou des lois et ordonnances de l’illustre fraternité R.C. (1618) de Michael Maier. En fait, l’Ordre décrit par Sincerus Renatus ne semble pas avoir existé. Cependant, le terme de « Rose-Croix d’Or » va connaître une certaine fortune et quelques règles présentées dans son livre se retrouveront plus tard dans les instructions du grade maçonnique-rosicrucien des Princes Chevaliers Rose-Croix.
En 1749, Hermann Fictuld publie son Aureum Vellus, dans lequel il évoque une Société des Rose-Croix d’Or qu’il présente comme l’héritière de l’Ordre de la Toison d’Or fondé par Philippe le Bon en 1492. Vers 1757, il crée un rite maçonnique à tendance alchimique et piétiste, composé d’un ensemble de grades rosicruciens : la Societas Roseae et Aureae Crucis ou Fraternité des Rose-Croix d’Or. Cette Société essaime dans plusieurs villes comme Francfort-sur-Mein, Marburg, Kassel, Vienne et Prague. Elle semble s’éteindre vers 1764. En réalité, elle se réforme grâce à Schleiss von Löwenfeld, Joseph Wilhelm Schröder, Christian Knorr von Rosenroth, Friedrich Christoph Oetinger et François van Helmont. Finalement, elle donne naissance à un autre rite maçonnique rosicrucien qui apparaît entre 1770 et 1777 en Bavière, en Autriche, en Bohème et en Hongrie. Il fut d’abord adopté par une Loge maçonnique de Ratisbonne, la Croissante aux Trois Clefs. En 1771, il est adopté également par une Loge de Vienne, l’Espérance, qui donne naissance à une nouvelle Loge : les Trois Épées. Cette dernière devient la pépinière de ce rite maçonnique rosicrucien. On y cultive l’alchimie et la théurgie.
4. L’ordre de la Rose-Croix d’or d’ancien système
A partir de 1776, deux membres de la Loge des Trois Épées, Johann Rudolf von Bischoffswerder (1714-1803), officier prussien puis ministre de la guerre à la mort du grand Frédéric, et Jean Christophe Wöllner (1732-1800), pasteur, instaurent un nouvel Ordre maçonnique rosicrucien : l’Ordre de la Rose-Croix d’Or d’Ancien Système. La Loge des Trois Globes de Berlin devient le centre de ses activités. Cet Ordre adopte une hiérarchie de neuf grades : Juniores, Theoretici, Practici, Philosophi, Minores, Majores, Adepti Exempti, Magistri et Magi, dont les aspects symboliques sont présentés dans les textes de la Réforme adopté lors de la Convention que l’Ordre tient à Prague en 1777. Comme l’indique René Le Forestier, les enseignements des Juniores reproduisent textuellement cent dix pages de l’Opus mago-cabbalisticum et theosophicum. L’Instruction et le rituel des Theoretici reprend mot-à-mot le Novuin laboratorium chemicum, de Christophe Glaser (1677). Quand aux opérations alchimiques enseignées aux Magistri, elles sont empuntées à deux livres de Henri Khunrath (8) : la Confessio de Chao-physico chemycorum catholico (1596) et l’Amphiteatrum sapientiae aeternae (1609).
La symbolique et les enseignements de l’Ordre de la Rose-Croix d’Or d’Ancien Système sont nettement orientés vers l’alchimie opérative. Ils revendiquent une filiation remontant à Ormus, un Égyptien baptisé par saint Marc et qui aurait fondé l’Ordre. En 151, les Esséniens se seraient joints à cet Ordre, qui aurait gagné l’Europe par les Croisés et les Templiers. Quoi qu’il en soit, il se différencie nettement du Rosicrucianisme du siècle précédent, plus mystique, dont le projet était celui d’une grande Réforme intellectuelle et religieuse, propre à apporter la prospérité et la paix à l’humanité. Après avoir donné naissance aux Frères Initiés de l’Asie, il fut mis en sommeil par ses fondateurs en 1787. Il faut noter néanmoins que c’est dans sa mouvance, où se mêlent Alchimie, Rosicrucianisme et Franc-Maçonnerie que naît le célèbre livre des Symboles secrets des Rosicruciens des XVIIe et XVIIIe siècles (Altona, 1785 et 1788) (9). Composé essentiellement de traités alchimiques magnifiquement illustrés, il est souvent présenté comme le livre rosicrucien le plus important après les trois Manifestes (Fama Fraternitatis, 1614 ; Confessio Fraternitatis, 1615 ; Noces chymiques de Christian Rosenkreutz, 1616).
5. Le grade Rose-Croix
Tablier maçonnique du grade Rose-Croix
C’est au moment où naît l’Ordre de la Rose-Croix d’Or d’Ancien Système qu’apparaît à l’intérieur de la Franc-Maçonnerie le haut grade Rose-Croix. Son existence est attestée pour la première fois en 1757 sous le nom de Chevalier Rose-Croix, dans les activités de la Loge des Enfants de la Sagesse et Concorde. Très vite, ce grade de Rose-Croix est considéré comme le nec plus ultra de la Maçonnerie. Il est le septième et ultime grade du Rite Français de 1786, et le dix-huitième du Rite Écossais Ancien et Accepté. Il présente cependant une spécificité qui va susciter de nombreux débats. En effet, alors que l’ensemble des grades maçonniques insistent sur l’universalité de la sagesse, ce grade est spécifiquement chrétien. C’est la raison pour laquelle certains Francs-Maçons tenteront de le déchristianiser au XIXe siècle en proposant une interprétation philosophique de son symbolisme (10). Dans son Étoile Flamboyante (1766), le baron de Tschoudy y voit « le Catholicisme mis en grade ». Il est vrai que la symbolique de ce grade ne renvoit pas aux thèmes que l’on retrouve dans le Rosicrucianisme du XVIIe siècle. Il met en scène le Calvaire au Golgotha, la Résurrection du Christ et comporte des agapes où l’on partage le pain et le vin, une cérémonie qui s’apparente à la Cène.
Les plus anciens rituels du grade Rose-Croix date de 1760 (Strasbourg) et 1761 (Lyon), sous le titre de Chevalier de l’Aigle et du Pélican ou le Souverain Prince de Rose-Croix et d’Hérédom. Le discours d’introduction à ce grade évoque l’origine de la sagesse des Rose-Croix : « individus qui, pendant bien des siècles, s’en assurèrent la possession exclusive en se servant d’un voile impénétrable ; c’est ce qui donna lieu à ces institutions célèbres dont les Sabéens et les Brames (sic) sont des restes sublimes. Les Mages, les Hiérophantes, les Druides furent autant de branches de ces mêmes Initiés » (version de 1765 à la Bibliothèque historique de Paris). On retrouve ici l’idée de Tradition Primordiale chère à l’Hermétisme de la Renaissance et au Rosicrucianisme du XVIIe siècle. En outre, les Rose-Croix y sont présentés comme les héritiers d’une chaîne d’Initiés dont les maillons sont les Égyptiens, Zoroastre, Hermès Trismégiste, Moïse, Salomon, Pythagore, Platon et les Esséniens. Cette lignée rappelle celle évoquée par Michael Maier dans le Silentium Post Clamores (1617). On retrouvera cette idée dans un autre discours de 1801, le Régulateur des Chevaliers Maçons ou les Quatre Ordres supérieurs suivant le régime du G… O…, où la Franc-Maçonnerie est présentée comme une Science des Sages héritée des Sabéens, des Brames (sic), des Mages, des Hiérophantes, des Druides et des Chevaliers Rose-Croix, descendants d’une lignée d’Initiés remontant aux Égyptiens, à Zoroastre, Trismégiste, Moïse, Salomon, Pythagore, Platon et aux Esséens (sic, pour Esséniens).
6. La Societas Rosicruciana in Anglia
image : Wynn Westcott
A la fin des années 1860, la Franc-Maçonnerie anglaise donne naissance à une nouvelle Organisation rosicrucienne : la Societas Rosicruciana In Anglia (S.R.I.A.). Son fondateur est Robert Wentworth Little (1840-1878), trésorier de la Grande Loge Unie d’Angleterre. Il disait avoir été initié dans la Rose-Croix à Edimbourg, au sein d’une Société rosicrucienne écossaise dirigée par Anthony O’Neal Haye. Ce dernier aurait possédé le plus ancien grade maçonnique rosicrucien existant. Plus tard, en 1892, Wynn Westcott assurera qu’il existe un lien entre cette Société et la Rose-Croix d’Or du XVIIIe siècle, mais il sera incapable de le démontrer. La S.R.I.A. est réservé aux Maîtres Maçons chrétiens. Elle reprend la hiérarchie de la Rose-Croix d’Or d’Ancien Système. Parmi les membres importants de la S.R.I.A., notons Kenneth R. H. Mac Kenzie, Hardgrave Jennings, Stainton Moses et William Wynn Westcott (1848-1925). Ce dernier participera à la création d’un autre Ordre maçonnique rosicrucien qui connaîtra une certaine fortune : l’Hermetic Order Of The Golden Dawn.
7. The Hermetic order of the golden dawn
L
e lamen de la Golden Dawn
A la fin des années 1880, William Wynn Westcott recueille des manuscrits comportant cinq rituels codés. Ces textes, qui auraient appartenu à Baal Shem Tov puis à Eliphas Lévi, aurait été trouvés chez un bouquiniste dans un exemplaire des Symboles Secrets des Rosicruciens des XVIIe et XVIIIe siècles. Ils indiquaient l’adresse d’un représentant de l’Ordre de la Rose-Croix en Allemagne : Anna Sprengel. A la suite de leur rencontre avec cette dernière, William Wynn Westcott, Samuel Mathers et R. William Woodman fondent à Londres la Loge Isis-Urania, bientôt suivie par la création de la Loge Athathoor, à Auteuil. Ainsi naît l’Hermetic Order Of The Golden Dawn, dont Samuel Mathers devient le Grand Maître. Cette histoire est en partie légendaire, car il n’a jamais pu être démontré qu’Anna Sprengel avait réellement existé.
Les rituels de la Golden Dawn mettent en œuvre une théurgie et des théories qui empruntent beaucoup aux Kabbalistes chrétiens de la Renaissance. Cette caractéristique éloigne cet Ordre du Rosicrucianisme originel de XVIIe siècle, qui avait délaissé les pratiques magiques pour prendre un caractère plus mystique, orienté vers une alchimie intérieure.
De nombreux Francs-Maçons le fréquentent, estimant qu’ils y trouvent une pratique ésotérique plus vaste que dans la Franc-Maçonnerie traditionnelle. La Golden Dawn connaît un succès immédiat et devient vite l’une des Organisations maçonniques rosicruciennes anglaises les plus importantes. Elle compta parmi ses membres des personnalités aussi illustres que le poète William Butler Yeat ou le physicien et chimiste William Crookes.
8. L’ordre des templiers d’Orient
Theodor Reuss
Parmi les multiples Ordres rosicruciens émanés de la Franc-Maçonnerie, il convient de terminer par l’Ordre des Templiers d’Orient (O.T.O.), un groupe qui fit couler beaucoup d’encre par ses dérives. Son principal animateur fut Theodor Reuss, un membre de la S.R.I.A. allemande, la Societas Rosicruciana in Germania. Il disait avoir été initié dans « l’authentique Rose-Croix » par Carl Kellner, en juillet 1893. Il présentait l’O.T.O. comme une sorte d’académie maçonnique dont la fonction réelle était de cacher un Ordre rosicrucien secret descendant directement des Rose-Croix « originaux et authentiques ». Il prétendait également que le quartier secret de cet Ordre était à Reuss, une principauté située près de Leipzig, dans la Thuringer Wald. Ce n’est qu’après la mort de Kellner, vers 1902, que Theodor Reuss réussit véritablement à instaurer l’O.T.O. Aleister Crowley contribua à conduire cet Ordre dans une voie n’ayant rien à voir, ni avec le Rosicrucianisme ni avec la Franc-Maçonnerie. Papus comme d’autres se laissa abuser quelque temps par l’O.T.O., mais cette Organisation fut rapidement suspecte. Elle prit fin en 1923, avec la mort de Theodor Reuss. Plusieurs de ses disciples tentèrent de poursuivre son œuvre, les uns vers l’ésotérisme, les autres vers les pratiques magiques les plus farfelues.
Comme on peut le voir, le Rosicrucianisme et la Franc-Maçonnerie se sont souvent côtoyés au cours des siècles passés. Bien que n’étant pas vraiment à l’origine de la Franc-Maçonnerie, le Rosicrucianisme a constitué un terreau favorable à son développement. Peu après sa fondation, la Franc-Maçonnerie a généré de son côté des mouvements rosicruciens et le grade de Rose-Croix, considéré comme l’un des plus prestigieux. Cette juxtaposition des deux Ordres n’est pas surprenante. En effet, les Rosicruciens du XVIIe siècle voulaient créer un mouvement pour réfléchir à une Réforme de la science et de la spiritualité, en vue de construire une société plus fraternelle, plus tolérante et plus humaniste. Or, c’est ce même projet que la Franc-Maçonnerie se fixait à l’origine.
Précisons également que le Rosicrucianisme se perpétua depuis le XVIIe siècle jusqu’ à nos jours à travers des Organisations rosicruciennes totalement indépendantes de la Franc-Maçonnerie.
Une Rose-Croix, dessin extrait des Symboles secrets des Rosicruciens des XVIIe et XVIIIe siècles
Notes :
(1) Sur l’apparition du degré de Maître, voir Goblet d’Alviella : Des Origines du Grade de Maître dans la Franc-Maçonnerie, Paris 1983, et Trédaniel et Roger Dachez : « Essai sur l’origine du grade de Maître », dans Renaissance Traditionnelle n° 91-92, juillet-octobre 1992.
(2) Antoine Faivre : Accès de l’ésotérisme occidental, Paris, 1996, Gallimard, tome 2, p. 285.
(3) Irène Mainguy : Les Initiations et l’initiation maçonnique, Paris 2000, Éditions Maçonniques de France, p. 80.
(4) A ce titre, il est intéressant de signaler que c’est en 1742 qu’apparaît pour la première fois le néologisme “ésotérisme” sous la plume de Louis-François La Tierce. Ce Franc-Maçon est l’auteur de Nouvelles obligations et Statuts de la très vénérable confraternité des Francs-Maçons, (1742), adaptation et traduction française de la Constitution d’Anderson et du Discours de Ramsay. Ce livre a beaucoup contribué à faire connaître la Maçonnerie en Europe.
(5) Le Discours du Chevallier de Ramsay est conservé aux Archives municipales d’Épernay (manuscrit 124). Ramsay composera un peu plus tard, en mars 1737, une seconde version de ce discours, plus longue que la première, dans laquelle il lancera l’idée d’une Grande Encyclopédie.
(6) Notons que Ramsay, en ce qui le concerne, n’a créé aucun rite ni grade. Cependant, il est considéré comme celui qui à donné l’impulsion à ce mouvement.
(7) A ce sujet, voir l’article de Michel Piquet : « Le Grade de Rose-Croix : les sources du “Nec plus Ultra” », Renaissance Traditionnelle n° 110-11, juillet 1997.
(8) René Le Forestier : La Franc-maçonnerie templière et occultiste, Paris, 1970, Aubier.
(9) Cet ouvrage magnifique est actuellement édité par [ltr]Diffusion Rosicrucienne[/ltr].
(10) Le lecteur intéressé sur ce point lira avec profit l’article passionnant de Pierre Mollier : « Le grade maçonnique de Rose-Croix et le Christianisme : enjeux et pouvoir des symboles »,Politica Hermetica n° 11, 1997.
Re: Rose-Croix et Franc-Maçonnerie
Illuminés de Bavières et illuminati
Dans son livre, Anges et démons, Dan Brown évoque les Illuminati, une société secrète dont les origines remonteraient au XVIe siècle et qui rassemblerait des savants dont les thèses scientifiques étaient rejetées par l’Église. Selon Dan Brown, l’astronome et mathématicien Galilée (1564-1642) aurait été l’un des membres les plus éminents de cette société. Pourchassés par l’Église catholique, les Illuminati se seraient répandus en Europe, se mêlant aux mystiques, alchimistes, occultistes, juifs ou musulmans, et s’infiltrèrent dans la Franc-Maçonnerie. Toujours selon l’auteur d’Anges et démons, cette société secrète œuvrerait à la destruction de l’Église chrétienne. Dans son livre, il met en scène un complot orchestré par elle.
S’il a bien existé une organisation dont le nom s’apparente à celui cité par Dan Brown, son histoire n’est pas celle-là. Le groupe qui lui a servi de modèle est celui des Illuminaten (et non pas Illuminati), et son existence ne remonte pas au XVIe siècle, mais à la fin du XVIIIe, soit près de cent cinquante ans après la mort de Galilée. Les Illuminaten, plus connus sous le nom d’Illuminés de Bavière, est une confrérie qui a été crée en mai 1776 par Adam Weishaupt (1748-1813), professeur de droit à l’université d’Ingolstadt, en Bavière. Ancien élève des jésuites, il fut marqué par la façon dont ces derniers lui enseignèrent la religion, usant d’une sorte de « dressage méthodique » destiné à imposer une dévotion de façade. Il en conçut une aversion pour la religion et s’efforça de combattre l’obscurantisme religieux en se ralliant aux Lumières. C’est dans cet esprit qu’il fonda les Illuminaten, une société secrète qui n’avait pas de vocation initiatique, mais un but subversif.
La doctrine des Illuminaten s’inspire de Rousseau. Elle prône l’égalitarisme et un rationalisme hostile à la religion. La lumière qu’ils cherchent n’est pas celle de la spiritualité ou de l’initiation, mais celle de la raison, celle des Lumières qui marquent le XVIIIe siècle. Adam Weishaupt ne réussit guère à rassembler qu’une dizaine de membres autour de lui. Constatant le peu de succès de son entreprise, il donna aux Illuminaten une forme maçonnique pour séduire de nouveaux adeptes. En 1782, il tenta même de créer une institution destinée à fédérer la Franc-Maçonnerie allemande pour la « guérir de la théosophie » et la rallier au rationalisme. La société des Illuminaten s’étendit alors en Autriche, en Bohême et en Hongrie, et s’infiltra dans la Franc-Maçonnerie.
A la fin du XVIIIe siècle, la Franc-Maçonnerie allemande était dominée par la Stricte observance templière et la Rose-Croix, deux groupes très attachés au christianisme et à la spiritualité. Ces deux groupes, les Rose-Croix en particulier, ont rapidement pressenti le danger que représentaient les Illuminaten, lesquels prétendaient réformer la société en instaurant l’athéisme. Le 11 novembre 1783, la loge des Trois Globes de Berlin lança l’anathème contre les Illuminaten, qu’elle accusait de vouloir saper la religion chrétienne et faire de la Maçonnerie un système politique.
De leur côté, les autorités politiques se sentirent également menacées, car Weishaupt voulait s’en prendre aussi à la monarchie. Pour mettre fin à ces agissements, le 22 juin 1784, le prince Charles Théodore, électeur de Bavière, émit un édit ordonnant la dissolution de toute société secrète. Quelques mois plus tard, au début de l’année 1785, c’est Adam Weishaupt qui fut inquiété. D’abord destitué de sa chaire universitaire, il fut bientôt chassé de Bavière. Les Illuminaten furent alors traqués et cessèrent d’exister après 1789.
Malgré la brièveté de leur existence, les illuminés de Bavière vont connaître une formidable postérité romanesque, qui commence à la fin du XVIIIe siècle avec des ouvrages contre-révolutionnaires comme l’Essai sur la secte des Illuminés (1789) du marquis de Luchet, ou Mémoires pour servir à l’histoire du jacobisme (1797-1799) d’Augustin Barruel. Ces auteurs voient dans la Révolution un complot contre la religion et la royauté, dirigé par la Franc-maçonnerie, et en particulier par les Illuminaten. Cette thèse, mainte fois contredite par les historiens, connaît pourtant encore les faveurs des tenants des thèses conspirationnistes. Ces dernières, basées sur la théorie du complot, tirent leur efficacité du fait que cette théorie « abolit le hasard, les processus historiques, les imperfections humaines et fait croire que tout est voulu, qu’il y a des responsables uniques aux malheurs du monde » (2).
Autrefois, on parlait du complot judéo-maçonnique, aujourd’hui, ce sont à d’autres minorités qu’on les attribue. Il faut bien trouver des boucs émissaires aux malaises d’une époque…
En conclusion, on peut dire que s’il est vrai que les Illuminaten furent peu recommandables, en raison de leur propension à comploter contre les pouvoirs religieux et politiques en place, ils n’ont qu’un lointain rapport avec les Illuminati du roman de Dan Brown.
Notes :
(1) René Le Forestier, Les Illuminés de Bavière et la Franc-Maçonnerie allemande, Paris, Hachette, 1914, p. 16.
(2) Antoine Vitkine, Les Nouveaux imposteurs, La Martinière, 2005.
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