Le Coran - Un Livre Immuable ???
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Le Coran - Un Livre Immuable ???
Sur l'immuabilité et l'histoire du Coran
Extraits portant sur:
1. les feuillets de Sanaa
2. histoire de la fixation d'un seul Coran avec le calife Othman
Extraits portant sur:
1. les feuillets de Sanaa
2. histoire de la fixation d'un seul Coran avec le calife Othman
Re: Le Coran - Un Livre Immuable ???
L’inavouable vérité des manuscrits de Sanaa
DÉCOUVERTE Des scientifiques de plusieurs pays travaillent sur les manuscrits de Sanaa dans la plus grande discrétion. Peu de musulmans connaissent véritablement l’histoire de ces mines archéologiques qui pourraient bousculer profondément leurs croyances sur l’histoire du texte sacré. Tant le secret est bien gardé. Par Hanane Harrath
Les premiers, les plus célèbres, ont été trouvés en 1973, lorsqu’il a fallu réparer le toit de la Grande Mosquée de Sanaa, au Yémen, endommagé par de fortes pluies. C’est là, dans la cachette d’un faux grenier, que les ouvriers découvrent des amas de vieux parchemins rongés par le temps. Comme dans la tradition juive qui conservait dans des guenizah, des sortes de cachettes, les textes sacrés inutilisés qu’on ne pouvait pas détruire, il semblerait que les musulmans aient voulu mettre là des vieilles “copies” du Coran.
Les responsables du chantier qui font cette découverte ne mesurent pas immédiatement l’importance de ces écrits, qui demeurent encore quelque temps conservés sous un escalier de la mosquée. C’est grâce à la vigilance du président des Antiquités yéménites de l’époque, Qadhi Ismaïl Al Akwa, qu’ils sont finalement exhumés de l’ombre.
Il cherche alors des moyens et des spécialistes pour travailler sur ces documents inédits. Il sollicite le professeur Gerd Puin, un spécialiste allemand des langues sémitiques, de calligraphie arabe et de paléographie coranique à l’université de Sarre, qui, présent au Yémen en 1979 pour ses recherches, accepte d’analyser ces écrits. Il demande une aide au gouvernement allemand pour subventionner un projet de restauration de ce matériau.
Pourquoi tant de craintes ?
Le travail commence alors véritablement, et les premières conclusions tombent rapidement : les manuscrits coraniques de Sanaa sont probablement les plus anciens jamais découverts à ce jour, puisqu’ils datent, selon les conclusions de Puin, des VIIe et VIIIe siècles, la période première de l’islam.
Jusqu’alors il n’existait au monde que trois exemplaires aussi vieux du texte coranique : deux du VIIe siècle, conservés l’un à la bibliothèque de Tachkent, en Ouzbékistan, et l’autre à celle de Topkapi, à Istambul, et un troisième dit “le manuscrit de Ma’il”, daté de la fin du VIIe siècle et conservé à la British Library de Londres. Le professeur Puin parvient à réaliser des microfilms de ces manuscrits, malgré les réticences très fortes du gouvernement yéménite qui a pressenti entre- temps les conséquences potentielles de ces trouvailles et ne souhaite plus tellement que leur contenu soit révélé au grand public.
Pourquoi tant de craintes ? C’est que, selon la tradition orthodoxe musulmane, le Coran est la parole de Dieu telle qu’elle a été révélée à son prophète Mohamed, sur la période allant de 610 à 632, retranscrite sur des feuilles de palmiers, des omoplates de chameaux ou des bouts de peau, puis retransmise avec fidélité, oralement, par les premières générations de musulmans.
C’est seulement près de trente ans après la mort du prophète que le troisième calife Uthman, se rendant compte de divergences dans la récitation des versets coraniques, décide d’établir une recension unique du texte. Une fois cette vulgate établie, il l’expédie dans les plus grandes villes de l’empire islamique alors en pleine expansion, à Bassora, Damas, Coufa, La Mecque, et donne l’ordre de brûler toutes les autres versions qui circulent.
Une petite parenthèse : tous les historiens et spécialistes des débuts de l’islam ne sont pas d’accord sur la date de rédaction du Coran. Leur argument est qu’il n’existe aucun écrit du texte sacré antérieur à la fin du VIIe siècle, soit une cinquantaine d’années après la mort du prophète Mohamed. Gerd Puin affirme qu’il n’existe aucune preuve archéologique que le Coran tel qu’il se présente aujourd’hui existait dès l’époque d’Uthman.
Jacqueline Chabbi, qui enseigne l’histoire des origines de l’islam à Paris VIII et qui est l’auteure d’une thèse très remarquée intitulée Le seigneur des tribus. L’islam de Mahomet” (Noësis, 1997), considère pour sa part que le Coran n’a été mis sous sa forme actuelle qu’au début du VIIIe siècle, sous le règne du calife Al Malik à Bagdad. Selon elle, le développement de l’État musulman à cette époque rend nécessaire la mise en place d’un Livre, à l’instar des autres États voisins, et d’une écriture.
François Déroche enfin, paléographe et professeur à l’École pratique des hautes études, met en doute également une fixation définitive du texte sous Uthman. Il rappelle que la graphie qui était alors en usage à la fin du VIIe siècle dans la région de La Mecque et de Médine, la graphie hidjazienne, était défective. Elle ne note en effet ni les voyelles brèves ni les points diacritiques qui permettent de différencier les consonnes. Contrairement à ce que retient donc la tradition, qui dit que le calife Uthman voulait mettre fin aux divergences de la récitation, tous ces spécialistes estiment que la recension définitive intervient plus tard.
C’est tout cela que viennent justement confirmer les manuscrits de Sanaa. Alors que, pour la croyance musulmane orthodoxe, aucune modification majeure n’a pu intervenir après la recension d’Uthman, ces documents viennent prouver les retouches successives qu’a connues le texte coranique bien longtemps après l’établissement du Coran “officiel”. Tout ce que la tradition admet, c’est que certaines précisions ont pu être progressivement apportées pour améliorer la compréhension du texte : elle rapporte ainsi que Al Hajjaj, gouverneur d’Irak au début du VIIIe siècle, est celui qui a le plus fixé le sens du texte en y ajoutant les voyelles notamment.
Deux couches d’écriture…
Parmi tous les manuscrits exhumés à Sanaa, Puin fait une découverte importante : il s’agit d’un palimpseste, c’est-à-dire un manuscrit avec deux couches d’écriture. Le premier texte a été lavé, effacé, et des scribes ont réécrit par-dessus. “Cela peut vouloir dire deux choses, explique Christian Robin, directeur de recherche au CNRS. Soit le scribe a simplement été négligent et a été obligé de recommencer, soit le texte ne correspondait pas à la forme coranique qui avait été imposée par Uthman.” D’où l’hypothèse de Puin que la première version écrite pourrait être très différente du Coran que l’on connaît aujourd’hui.Mais, se trouvant dans l’impossibilité de restituer le texte de la première couche, il n’a pas pu apporter de preuves à cela.
En revanche, les manuscrits de Sanaa révèlent d’autres choses, sur deux points essentiellement. D’abord, certains passages contiennent des récits que les contemporains du prophète de l’islam ne pouvaient pas connaître parce qu’ils n’appartiennent pas à la tradition arabe.
Ainsi, les manuscrits mentionnent deux tribus, les As-Sahab ar-Rass (les compagnons du puits) et les As-Sahab al-Aiqa (les compagnons des buissons épineux), qui vivaient pour les premiers au Liban et les seconds en Égypte, au IIe siècle. Puin en tire comme conclusion que des sources non musulmanes, intégrées à mesure que l’empire islamique s’étendait, sont également intervenues dans la rédaction du texte.
La deuxième découverte majeure est que, dans les manuscrits de Sanaa, il y a une sourate qui n’est pas placée au même endroit que dans le Coran définitif que l’on connaît. On imagine les conséquences d’une telle “révélation” : outre la mise par écrit qui s’est étalée dans le temps, l’ordre même du texte appréhendé aurait été le fruit d’un long processus.
Très peu de choses ont été publiées sur les manuscrits coraniques de Sanaa, bien que beaucoup de chercheurs, notamment tunisiens, italiens et allemands, travaillent dessus. Gerd Puin a été chassé du Yémen en 1983, les autorités du pays craignant la réaction des autres pays musulmans face aux résultats de ses recherches. Durant l’été 2006, d’autres manuscrits coraniques ont été découverts à Sanaa, mais il a fallu attendre plusieurs mois avant que cette nouvelle soit rendue officielle.
Une équipe d’historiens et de paléographes italiens est actuellement sur place pour les étudier. Rien ne filtre de ces recherches… pour le moment.
DÉCOUVERTE Des scientifiques de plusieurs pays travaillent sur les manuscrits de Sanaa dans la plus grande discrétion. Peu de musulmans connaissent véritablement l’histoire de ces mines archéologiques qui pourraient bousculer profondément leurs croyances sur l’histoire du texte sacré. Tant le secret est bien gardé. Par Hanane Harrath
Les premiers, les plus célèbres, ont été trouvés en 1973, lorsqu’il a fallu réparer le toit de la Grande Mosquée de Sanaa, au Yémen, endommagé par de fortes pluies. C’est là, dans la cachette d’un faux grenier, que les ouvriers découvrent des amas de vieux parchemins rongés par le temps. Comme dans la tradition juive qui conservait dans des guenizah, des sortes de cachettes, les textes sacrés inutilisés qu’on ne pouvait pas détruire, il semblerait que les musulmans aient voulu mettre là des vieilles “copies” du Coran.
Les responsables du chantier qui font cette découverte ne mesurent pas immédiatement l’importance de ces écrits, qui demeurent encore quelque temps conservés sous un escalier de la mosquée. C’est grâce à la vigilance du président des Antiquités yéménites de l’époque, Qadhi Ismaïl Al Akwa, qu’ils sont finalement exhumés de l’ombre.
Il cherche alors des moyens et des spécialistes pour travailler sur ces documents inédits. Il sollicite le professeur Gerd Puin, un spécialiste allemand des langues sémitiques, de calligraphie arabe et de paléographie coranique à l’université de Sarre, qui, présent au Yémen en 1979 pour ses recherches, accepte d’analyser ces écrits. Il demande une aide au gouvernement allemand pour subventionner un projet de restauration de ce matériau.
Pourquoi tant de craintes ?
Le travail commence alors véritablement, et les premières conclusions tombent rapidement : les manuscrits coraniques de Sanaa sont probablement les plus anciens jamais découverts à ce jour, puisqu’ils datent, selon les conclusions de Puin, des VIIe et VIIIe siècles, la période première de l’islam.
Jusqu’alors il n’existait au monde que trois exemplaires aussi vieux du texte coranique : deux du VIIe siècle, conservés l’un à la bibliothèque de Tachkent, en Ouzbékistan, et l’autre à celle de Topkapi, à Istambul, et un troisième dit “le manuscrit de Ma’il”, daté de la fin du VIIe siècle et conservé à la British Library de Londres. Le professeur Puin parvient à réaliser des microfilms de ces manuscrits, malgré les réticences très fortes du gouvernement yéménite qui a pressenti entre- temps les conséquences potentielles de ces trouvailles et ne souhaite plus tellement que leur contenu soit révélé au grand public.
Pourquoi tant de craintes ? C’est que, selon la tradition orthodoxe musulmane, le Coran est la parole de Dieu telle qu’elle a été révélée à son prophète Mohamed, sur la période allant de 610 à 632, retranscrite sur des feuilles de palmiers, des omoplates de chameaux ou des bouts de peau, puis retransmise avec fidélité, oralement, par les premières générations de musulmans.
C’est seulement près de trente ans après la mort du prophète que le troisième calife Uthman, se rendant compte de divergences dans la récitation des versets coraniques, décide d’établir une recension unique du texte. Une fois cette vulgate établie, il l’expédie dans les plus grandes villes de l’empire islamique alors en pleine expansion, à Bassora, Damas, Coufa, La Mecque, et donne l’ordre de brûler toutes les autres versions qui circulent.
Une petite parenthèse : tous les historiens et spécialistes des débuts de l’islam ne sont pas d’accord sur la date de rédaction du Coran. Leur argument est qu’il n’existe aucun écrit du texte sacré antérieur à la fin du VIIe siècle, soit une cinquantaine d’années après la mort du prophète Mohamed. Gerd Puin affirme qu’il n’existe aucune preuve archéologique que le Coran tel qu’il se présente aujourd’hui existait dès l’époque d’Uthman.
Jacqueline Chabbi, qui enseigne l’histoire des origines de l’islam à Paris VIII et qui est l’auteure d’une thèse très remarquée intitulée Le seigneur des tribus. L’islam de Mahomet” (Noësis, 1997), considère pour sa part que le Coran n’a été mis sous sa forme actuelle qu’au début du VIIIe siècle, sous le règne du calife Al Malik à Bagdad. Selon elle, le développement de l’État musulman à cette époque rend nécessaire la mise en place d’un Livre, à l’instar des autres États voisins, et d’une écriture.
François Déroche enfin, paléographe et professeur à l’École pratique des hautes études, met en doute également une fixation définitive du texte sous Uthman. Il rappelle que la graphie qui était alors en usage à la fin du VIIe siècle dans la région de La Mecque et de Médine, la graphie hidjazienne, était défective. Elle ne note en effet ni les voyelles brèves ni les points diacritiques qui permettent de différencier les consonnes. Contrairement à ce que retient donc la tradition, qui dit que le calife Uthman voulait mettre fin aux divergences de la récitation, tous ces spécialistes estiment que la recension définitive intervient plus tard.
C’est tout cela que viennent justement confirmer les manuscrits de Sanaa. Alors que, pour la croyance musulmane orthodoxe, aucune modification majeure n’a pu intervenir après la recension d’Uthman, ces documents viennent prouver les retouches successives qu’a connues le texte coranique bien longtemps après l’établissement du Coran “officiel”. Tout ce que la tradition admet, c’est que certaines précisions ont pu être progressivement apportées pour améliorer la compréhension du texte : elle rapporte ainsi que Al Hajjaj, gouverneur d’Irak au début du VIIIe siècle, est celui qui a le plus fixé le sens du texte en y ajoutant les voyelles notamment.
Deux couches d’écriture…
Parmi tous les manuscrits exhumés à Sanaa, Puin fait une découverte importante : il s’agit d’un palimpseste, c’est-à-dire un manuscrit avec deux couches d’écriture. Le premier texte a été lavé, effacé, et des scribes ont réécrit par-dessus. “Cela peut vouloir dire deux choses, explique Christian Robin, directeur de recherche au CNRS. Soit le scribe a simplement été négligent et a été obligé de recommencer, soit le texte ne correspondait pas à la forme coranique qui avait été imposée par Uthman.” D’où l’hypothèse de Puin que la première version écrite pourrait être très différente du Coran que l’on connaît aujourd’hui.Mais, se trouvant dans l’impossibilité de restituer le texte de la première couche, il n’a pas pu apporter de preuves à cela.
En revanche, les manuscrits de Sanaa révèlent d’autres choses, sur deux points essentiellement. D’abord, certains passages contiennent des récits que les contemporains du prophète de l’islam ne pouvaient pas connaître parce qu’ils n’appartiennent pas à la tradition arabe.
Ainsi, les manuscrits mentionnent deux tribus, les As-Sahab ar-Rass (les compagnons du puits) et les As-Sahab al-Aiqa (les compagnons des buissons épineux), qui vivaient pour les premiers au Liban et les seconds en Égypte, au IIe siècle. Puin en tire comme conclusion que des sources non musulmanes, intégrées à mesure que l’empire islamique s’étendait, sont également intervenues dans la rédaction du texte.
La deuxième découverte majeure est que, dans les manuscrits de Sanaa, il y a une sourate qui n’est pas placée au même endroit que dans le Coran définitif que l’on connaît. On imagine les conséquences d’une telle “révélation” : outre la mise par écrit qui s’est étalée dans le temps, l’ordre même du texte appréhendé aurait été le fruit d’un long processus.
Très peu de choses ont été publiées sur les manuscrits coraniques de Sanaa, bien que beaucoup de chercheurs, notamment tunisiens, italiens et allemands, travaillent dessus. Gerd Puin a été chassé du Yémen en 1983, les autorités du pays craignant la réaction des autres pays musulmans face aux résultats de ses recherches. Durant l’été 2006, d’autres manuscrits coraniques ont été découverts à Sanaa, mais il a fallu attendre plusieurs mois avant que cette nouvelle soit rendue officielle.
Une équipe d’historiens et de paléographes italiens est actuellement sur place pour les étudier. Rien ne filtre de ces recherches… pour le moment.
Re: Le Coran - Un Livre Immuable ???
PDF : La transmission écrite du coran dans les débuts de l’islam. le codex parisino-petropolitanus
Lien :
http://beo.revues.org/209
Re: Le Coran - Un Livre Immuable ???
"Une nouvelle édition du Coran paraît ces jours en français et en arabe aux éditions de L’Aire à Vevey. Elle est l’œuvre de Sami Awad Aldeeb Abu-Sahlieh, un Arabe chrétien naturalisé suisse, juriste spécialisé dans le droit musulman (lire ci-dessous). Elle fera certainement date. Car son approche et son appareil critique offrent la possibilité de remettre en question plusieurs tabous qui figent la lecture et l’interprétation du Coran, mais aussi d’ouvrir de nouvelles perspectives exégétiques. Nul doute qu’elle créera aussi le débat, bien que l’intention de son auteur ne soit aucunement polémique."
Image
Tahar Ben Jelloun : ce que le Coran ne dit pas
Un livre clarifie les différentes interprétations que l'on peut donner au livre saint des musulmans. Une lecture saine pour lutter contre l'islamophobie.
Par Tahar Ben Jelloun
Lorsque le prophète Mahomet mourut le 8 juin 632, il ne laissa pas de consignes concernant les versets que l'ange Gabriel lui avait transmis.
Ses compagnons les connaissaient par cœur, certains les avaient transcrits sur des supports.
Le Coran en tant que corpus, en tant que Mushaf n'existait pas. Il faudra attendre plus de vingt ans pour que Uthmân, le troisième khalife, réunisse une commission composée de compagnons qualifiés afin qu'elle propose un texte unifié.
Les sourates (chapitres) sont reproduites sans voyelles.
Ce n'est que deux siècles plus tard qu'une version voyellée sera disponible pour le grand public.
C'est à partir de ce moment que deux visions du monde vont s'affronter à travers la lecture du Coran.
Les premiers sont des théologiens appartenant au courant mu'tazilite, rationalistes lisant le texte de manière symbolique et métaphorique. Pour eux, "la volonté divine est rationnelle et juste ; les hommes peuvent en saisir le sens et y conformer leurs actes", autrement dit, le Coran est créé.
Par ailleurs, des philosophes comme Al-kindi, Al-Farabi, Avicenne et Averroès étudient la nature en soi et non la nature comme témoin de la toute-puissance divine. Ces courants qu'on qualifierait aujourd'hui de modernités vont trouver face à eux des traditionalistes pour qui non seulement le Coran est incréé, mais il doit être lu de manière littérale sans aucune distance ni interprétation.
Un Saoudien du XVIIIe siècle fera de l'islam un dogme pur et dur
C'est ce dernier courant qui l'emportera et débouchera plusieurs siècles plus tard sur ce qu'on appelle intégrisme, fondamentalisme dont le promoteur est Mohamed Abdelwahab, un Saoudien du XVIIIe siècle qui fera de l'islam un dogme pur et dur, celui qui sévit aujourd'hui en Arabie saoudite et au Qatar.
Application stricte de la charia. Fanatisme et obscurantisme. Bref une vision du monde rétrograde et en opposition avec l'esprit des lumières qui a marqué les premiers siècles de l'islam.
Après avoir écrit une monumentale Al-Sira (biographie) du prophète et de son époque, après avoir rédigé un texte fondamental pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui autour du dogme dans Penser le Coran (2009), Mahmoud Hussein, pseudonyme de deux intellectuels égyptiens, publie un complément de ce dernier ouvrage : Ce que le Coran ne dit pas.
Si les versets ne sont tributaires ni du temps ni de l'espace, c'est qu'aucune intelligence n'est possible. C'est la défaite de la raison face au dogme d'une parole de Dieu de même nature que Dieu lui-même. Or en lisant bien le Coran, on découvre que c'est le contraire qui y est développé. Plusieurs versets sont arrivés dans un contexte précis, réglant ou commentant des situations se déroulant en un temps précis. D'autres versets ont une portée qui dépasse le cadre temporel.
Le dire aujourd'hui est une provocation que les obscurantistes ne peuvent tolérer, car elle mettrait en danger leur fonds de commerce qui abrutit les masses et les pousse vers un islam dénaturé, détourné de son essence et de son esprit.
Il est difficile de combattre le fanatisme. Tout dialogue est impossible. On le voit en ce moment même en Égypte et en Tunisie où le courant moderniste, c'est-à-dire laïc et pour un système réellement démocratique, est en butte aux salafistes qui refusent toute discussion. La défaite de la raison est aussi celle de l'humanisme qu'on trouve dans le Coran.
Évidemment l'ignorance l'emporte plus souvent sur le savoir. La notion d'imprescriptibilité du Coran a débouché sur une rigidité en contradiction avec l'incitation à l'acquisition du savoir telle qu'elle est inscrite dans plusieurs versets.
Tant que le savoir est tenu à l'écart, l'islam restera pris en otage
Mahmoud Hussein résume le problème en ces termes : "En montrant que l'islam est à la fois un message divin et une histoire humaine, en réintégrant la dimension du temps là où la tradition ne veut voir que l'éternité, en retrouvant la vérité vivante de la Révélation sous les interprétations qui prétendent la figer une fois pour toutes, la pensée réformatrice est une école de liberté et de responsabilité. Elle offre à chaque croyant la chance de conjuguer sa foi en Dieu avec son intelligence du monde." En rendant la parole de Dieu à son origine, à son contexte, on ne la dénature pas. Mais tant que le savoir est tenu à l'écart et remplacé par des "fatwas" arbitraires et sans fondement, l'islam restera pris en otage entre l'ignorance et l'opportunisme idéologique.
Grâce aux livres de Mahmoud Hussein, le débat est possible ; il est nécessaire et même urgent en ces temps de confusion où l'islamophobie progresse chaque jour, faisant des ravages dans les consciences et les esprits. Si on refuse le débat, c'est que l'avenir de cette religion est de plus en plus compromis.
Ce que le Coran ne dit pas de Mahmoud Hussein, Grasset, publié le 23 octobre.
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Tahar Ben Jelloun : ce que le Coran ne dit pas
Un livre clarifie les différentes interprétations que l'on peut donner au livre saint des musulmans. Une lecture saine pour lutter contre l'islamophobie.
Par Tahar Ben Jelloun
Lorsque le prophète Mahomet mourut le 8 juin 632, il ne laissa pas de consignes concernant les versets que l'ange Gabriel lui avait transmis.
Ses compagnons les connaissaient par cœur, certains les avaient transcrits sur des supports.
Le Coran en tant que corpus, en tant que Mushaf n'existait pas. Il faudra attendre plus de vingt ans pour que Uthmân, le troisième khalife, réunisse une commission composée de compagnons qualifiés afin qu'elle propose un texte unifié.
Les sourates (chapitres) sont reproduites sans voyelles.
Ce n'est que deux siècles plus tard qu'une version voyellée sera disponible pour le grand public.
C'est à partir de ce moment que deux visions du monde vont s'affronter à travers la lecture du Coran.
Les premiers sont des théologiens appartenant au courant mu'tazilite, rationalistes lisant le texte de manière symbolique et métaphorique. Pour eux, "la volonté divine est rationnelle et juste ; les hommes peuvent en saisir le sens et y conformer leurs actes", autrement dit, le Coran est créé.
Par ailleurs, des philosophes comme Al-kindi, Al-Farabi, Avicenne et Averroès étudient la nature en soi et non la nature comme témoin de la toute-puissance divine. Ces courants qu'on qualifierait aujourd'hui de modernités vont trouver face à eux des traditionalistes pour qui non seulement le Coran est incréé, mais il doit être lu de manière littérale sans aucune distance ni interprétation.
Un Saoudien du XVIIIe siècle fera de l'islam un dogme pur et dur
C'est ce dernier courant qui l'emportera et débouchera plusieurs siècles plus tard sur ce qu'on appelle intégrisme, fondamentalisme dont le promoteur est Mohamed Abdelwahab, un Saoudien du XVIIIe siècle qui fera de l'islam un dogme pur et dur, celui qui sévit aujourd'hui en Arabie saoudite et au Qatar.
Application stricte de la charia. Fanatisme et obscurantisme. Bref une vision du monde rétrograde et en opposition avec l'esprit des lumières qui a marqué les premiers siècles de l'islam.
Après avoir écrit une monumentale Al-Sira (biographie) du prophète et de son époque, après avoir rédigé un texte fondamental pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui autour du dogme dans Penser le Coran (2009), Mahmoud Hussein, pseudonyme de deux intellectuels égyptiens, publie un complément de ce dernier ouvrage : Ce que le Coran ne dit pas.
Si les versets ne sont tributaires ni du temps ni de l'espace, c'est qu'aucune intelligence n'est possible. C'est la défaite de la raison face au dogme d'une parole de Dieu de même nature que Dieu lui-même. Or en lisant bien le Coran, on découvre que c'est le contraire qui y est développé. Plusieurs versets sont arrivés dans un contexte précis, réglant ou commentant des situations se déroulant en un temps précis. D'autres versets ont une portée qui dépasse le cadre temporel.
Le dire aujourd'hui est une provocation que les obscurantistes ne peuvent tolérer, car elle mettrait en danger leur fonds de commerce qui abrutit les masses et les pousse vers un islam dénaturé, détourné de son essence et de son esprit.
Il est difficile de combattre le fanatisme. Tout dialogue est impossible. On le voit en ce moment même en Égypte et en Tunisie où le courant moderniste, c'est-à-dire laïc et pour un système réellement démocratique, est en butte aux salafistes qui refusent toute discussion. La défaite de la raison est aussi celle de l'humanisme qu'on trouve dans le Coran.
Évidemment l'ignorance l'emporte plus souvent sur le savoir. La notion d'imprescriptibilité du Coran a débouché sur une rigidité en contradiction avec l'incitation à l'acquisition du savoir telle qu'elle est inscrite dans plusieurs versets.
Tant que le savoir est tenu à l'écart, l'islam restera pris en otage
Mahmoud Hussein résume le problème en ces termes : "En montrant que l'islam est à la fois un message divin et une histoire humaine, en réintégrant la dimension du temps là où la tradition ne veut voir que l'éternité, en retrouvant la vérité vivante de la Révélation sous les interprétations qui prétendent la figer une fois pour toutes, la pensée réformatrice est une école de liberté et de responsabilité. Elle offre à chaque croyant la chance de conjuguer sa foi en Dieu avec son intelligence du monde." En rendant la parole de Dieu à son origine, à son contexte, on ne la dénature pas. Mais tant que le savoir est tenu à l'écart et remplacé par des "fatwas" arbitraires et sans fondement, l'islam restera pris en otage entre l'ignorance et l'opportunisme idéologique.
Grâce aux livres de Mahmoud Hussein, le débat est possible ; il est nécessaire et même urgent en ces temps de confusion où l'islamophobie progresse chaque jour, faisant des ravages dans les consciences et les esprits. Si on refuse le débat, c'est que l'avenir de cette religion est de plus en plus compromis.
Ce que le Coran ne dit pas de Mahmoud Hussein, Grasset, publié le 23 octobre.
Re: Le Coran - Un Livre Immuable ???
«l’ordre actuel du Coran pose un problème de compréhension. On peut dire que nous lisons aujourd’hui le Coran presque à l’envers puisque les premiers chapitres, les plus longs, sont d’une façon générale formés de révélations parvenues à Mahomet vers la fin de sa vie. L’ordre chronologique du Coran est important pour les historiens qui veulent comprendre les étapes de la révélation. Mais il l’est aussi pour les juristes. En effet, le Coran comporte des normes juridiques qui ont évolué, certaines en ayant abrogé d’autres. Afin de déterminer les passages abrogés et ceux qui les abrogent, il faut savoir lesquels ont précédé les autres.»"
Le Coran revisité – Patricia Briel
[ltr]http://mlouizi.unblog.fr/2008/04/25/le- ... cia-briel/[/ltr]
Une nouvelle édition du Coran paraît ces jours en français et en arabe aux éditions de L’Aire à Vevey. Elle est l’œuvre de Sami Awad Aldeeb Abu-Sahlieh, un Arabe chrétien naturalisé suisse, juriste spécialisé dans le droit musulman (lire ci-dessous). Elle fera certainement date. Car son approche et son appareil critique offrent la possibilité de remettre en question plusieurs tabous qui figent la lecture et l’interprétation du Coran, mais aussi d’ouvrir de nouvelles perspectives exégétiques. Nul doute qu’elle créera aussi le débat, bien que l’intention de son auteur ne soit aucunement polémique.
Le Coran revisité – Patricia Briel
[ltr]http://mlouizi.unblog.fr/2008/04/25/le- ... cia-briel/[/ltr]
Une nouvelle édition du Coran paraît ces jours en français et en arabe aux éditions de L’Aire à Vevey. Elle est l’œuvre de Sami Awad Aldeeb Abu-Sahlieh, un Arabe chrétien naturalisé suisse, juriste spécialisé dans le droit musulman (lire ci-dessous). Elle fera certainement date. Car son approche et son appareil critique offrent la possibilité de remettre en question plusieurs tabous qui figent la lecture et l’interprétation du Coran, mais aussi d’ouvrir de nouvelles perspectives exégétiques. Nul doute qu’elle créera aussi le débat, bien que l’intention de son auteur ne soit aucunement polémique.
Re: Le Coran - Un Livre Immuable ???
Des corans recensés par les califes et, non pas restaurés mais modifiés :
Les plus anciens corans ont deux textes, l'un disparu en apparence, l'autre recopié par dessus.
Palimpsestes qui atteste du Coran moderne falsifié
Les anciens corans sont des palimpsestes. C'est une catastrophe historique qui lève doucement son voile sur le dogme d'un Coran immuable.
Aux origines du Coran
Comment est né le texte sacré de l'islam
Jusqu'aux alentours de l'An Mil, les commentaires autour du Coran furent innombrables, en liaison avec une grande effervescence intellectuelle. Une école réformiste proposa en particulier de distinguer le Coran incréé, parole de Dieu, restée près de Dieu, dénuée de toute équivoque, et le Coran créé, celui-là même qui est sorti de la bouche de Mahomet et se doit d'être analysé et interprété.
En l'an 1019, le calife Al Qadir, craignant que la libre discussion ne mène à de nouvelles scissions, fit lire au palais et dans les mosquées une épître dite «épître de Qadir» (Risala al-qâdiriya) par laquelle il interdit toute exégèse nouvelle et ferma la porte à l'effort de recherche personnel des musulmans (l'ijithad).
Aujourd'hui, à la lumière des travaux accomplis sur les textes chrétiens, des chercheurs abordent l'étude du Coran avec un regard historique, archéologique et philologique. Le magazine Le Monde de la Bible fait le point sur ces travaux d'une grande portée scientifique et nous offre ci-après un entretien passionnant et lumineux avec l'islamologue Claude Gilliot.
Comment et dans quelles circonstances le Coran fut-il mis par écrit? C’est à cette question que répond Claude Gilliot, professeur émérite à l’université de Provence, a bien voulu répondre en sa qualité de spécialiste d’études arabes et d’islamologie.
Il nous précise, entre tradition musulmane et recherche historique, le long processus de la canonisation des textes coraniques aux premiers siècles de l’Hégire. Nous l’avons également interrogé sur les questions linguistiques que posent les plus anciens documents connus du Livre saint des musulmans.
Entretien de Claude Gilliot avec Le Monde de la Bible
Le Monde de la Bible: Existe-il un Coran originel contemporain du Prophète?
Claude Gilliot: Selon la tradition musulmane, à la mort de Muhammad [Mahomet] en 632 de notre ère, il n’existait pas d’édition complète et définitive des révélations que le Prophète avait livrées. Des sources arabo-musulmanes nombreuses l’attestent.
Il est dit que ses Compagnons les avaient mémorisées, en les apprenant et en les récitant par cœur. Certaines, toutefois, avaient été transcrites sur divers matériaux, telles des feuilles de palme ou des omoplates de chameaux. Une première mise par écrit «complète» aurait été faite à l’instigation d’Omar qui craignait que le Coran ne disparût parce que ses mémorisateurs mouraient au combat. Il convainquit le calife Abû Bakr (632-634) de faire consigner par écrit ce que les gens en savaient et ce qui en avait été écrit sur divers matériaux. Ce travail de collecte fut dirigé par l’un des scribes de Muhammad, ?le Médinois Zaïd b. Thâbit. À la mort d’Abû Bakr, ces premiers feuillets du Coran furent transmis à Omar, devenu calife (634-644), puis à sa fille Hafsa, l’une des veuves de Muhammad.
MdB : Et c’est ce recueil des versets coraniques qui s’imposa d’emblée?
C. G.: Non, on ne peut pas dire cela. D’abord parce que nous n’avons pas de traces matérielles de cette collecte. Ensuite parce que l’objectif d’Omar était probablement de disposer d’un corpus et non de faire une «édition» définitive. C’est sous le califat suivant, celui d’Othman (644-656), qu’on prit conscience de divergences dans la façon de réciter le Coran. Othman reprit le corpus détenu par Hafsa et le fit compléter par d’autres personnages, toujours sous la direction de Zaïd b. Thâbit. Il fit ensuite détruire tous les matériaux originels, imposa une première version «canonique» du Coran en l’adressant aux métropoles les plus importantes du jeune Empire. Mais s’imposa-t-il à tous? La tradition musulmane affirme que oui, mais nous observons que l’idée même de collecte avait rencontré des oppositions dont celle d’Ibn Mas’ûd, compagnon du Prophète (m. 633), et que, d’autre part, les récits sur la collecte du Coran comportent de nombreuses contradictions qui contestent cette affirmation.
MdB : Cela signifie-t-il que d’autres variantes du Coran aient pu subsister et êtres récitées à cette époque?
C. G.: La tradition musulmane reconnaît une quinzaine de textes pré-othmaniens principaux et une douzaine de textes secondaires. Nous ne possédons aujourd’hui aucune de ces variantes de la «vulgate» othmanienne. Mais nous savons par ailleurs qu’en 934 et en 935, les exégètes Ibn Miqsam et Ibn Shannabûdh furent condamnés pour avoir récité des variantes non approuvées. Ce qui montre que celles-ci ont circulé longtemps.
Il convient également de remarquer que le texte diffusé par Othman pouvait lui-même susciter différentes lectures et interprétations. Et cela pour deux raisons. La première est que le texte ne comportait pas de voyelles brèves et pas toujours les longues, ce qui induit des choix dans l’interprétation des mots. Deuxièmement, l’écriture arabe primitive n’était pas dotée des points diacritiques qui fixent la valeur exacte des signes et qui distinguent une consonne d’une autre. Des vingt-huit lettres de l’alphabet arabe, seules sept ne sont pas ambiguës et dans les plus anciens fragments du Coran, les lettres ambiguës constituent plus de la moitié du texte.
C’est sous la période omeyyade, et le règne d’Abd al-Malik (685-705) plus précisément, que l’on peut placer la troisième phase de l’histoire du Coran. Certains attribuent au redoutable gouverneur de l’Irak, al-Hajjâj b. Yûsûf (714), plusieurs modifications apportées au texte coranique, mais à ce propos, les sources sont contradictoires. Pour les uns, il aurait seulement remis en ordre les versets et des sourates et rectifié des lectures déficientes; pour les autres, il aurait précisé l’orthographe en introduisant des points. En dépit des contradictions, le califat d’Abd al-Malik constitua un moment déterminant pour la constitution des textes qui nous sont parvenus.
MdB: Sur quels points portaient principalement les oppositions musulmanes à la version othmanienne que vous évoquiez précédemment?
C. G.: Ces critiques viennent de savants musulmans qui soulevèrent des objections durant les trois premiers siècles de l’islam. Cela commença avec des compagnons du ?Prophète qui avaient leur propre texte, nous dit-on. D’autres sont allés jusqu’à considérer certains textes comme inauthentiques pour des raisons théologiques et éthiques. Ils visaient notamment les versets 111,1-3 contre Abu Lahab, l’un des grands adversaires de Muhammad; et 74,11-26. Des théologiens de Bassora mirent en doute l’authenticité de ces passages, tout comme certains kharijites pensaient que la sourate 12 (sourate de Joseph) ne faisait pas partie du Coran, car, selon eux, ce conte profane ne pouvait avoir sa place dans le Coran.
On trouve les accusations les plus vigoureuses de falsification du Coran dans les sources chiites avant le milieu du Xe?siècle. Pour ces derniers, seul Ali, successeur légitime de Muhammad, détenait les authentiques révélations faites au Prophète. Cette version avait été rejetée par les ennemis d’Ali, Abû Bakr et Omar notamment, parce qu’elle contenait des hommages explicites à Ali et à ses partisans et des attaques contre leurs adversaires.
MdB: De quels textes anciens disposons-nous aujourd’hui?
C. G.: Nous ne possédons aucun autographe du Prophète ni de ses scribes. Les plus anciennes versions complètes du Coran dateraient du IXe siècle. Des fragments, très rares, pourraient remonter à la fin VIIe siècle ou du début du VIIIe. L’un des plus anciens, daté du VIIe siècle, est conservé à la Bibliothèque nationale de France (voir p. 32). Mais, en l’absence d’autres manuscrits antérieurs au IXe siècle, la datation de ce recueil d’une soixantaine de feuillets ne peut être estimée que par des critères paléographiques.
MdB: Il existe une forte controverse sur la langue originelle du Coran. En quoi consiste-t-elle?
C. G.: Selon la tradition musulmane, le Coran a été écrit dans la langue de Dieu, autrement dit dans l’arabe le plus clair. Hors pour les chercheurs occidentaux, y compris pour ceux qui reprennent la thèse théologique musulmane, les particularités linguistiques du texte coranique font problème et entrent mal dans le système de la langue arabe. Afin de surmonter cette difficulté, plusieurs hypothèses furent proposées, selon lesquelles l’origine de la langue coranique se trouverait dans un dialecte – disons plutôt une «koinè(langue commune) vernaculaire» – de l’Arabie occidentale marqué par l’influence du syriaque, et donc de l’araméen.
Le Coran est une production de l’Antiquité tardive. Qui dit Antiquité tardive, dit époque de syncrétisme. La péninsule Arabique, où le Coran est censé être né, n’était pas fermée aux idées véhiculées dans la région. Les historiographes arabes musulmans les plus anciens, soit de la première ou de la deuxième génération de l’islam, disent que La Mecque avait des relations en particulier avec la ville d’al-Hira, capitale de la tribu arabe des Lakhmides, où vivaient des païens, des chrétiens monophysites et des manichéens. Elle aurait été un des lieux de passage pour l’apprentissage de l’écriture de l’arabe primitif. Quand Muhammad livrait ses premières prédications, un de ses premiers opposants objectait qu’il avait déjà entendu cela à al-Hira. Dans un autre passage du Coran, il est reproché à Muhammad de se faire enseigner par un étranger qui parlait soit un mauvais arabe soit une autre langue.
Il est vrai qu’un grand nombre d’expressions réputées obscures du Coran s’éclairent si l’on retraduit certains mots apparemment arabes à partir du syro-araméen, la langue de culture dominante au temps du Prophète.
MdB: Vous rejoignez ainsi les thèses de Christoph Luxenberg qui, par ailleurs, ne fait pas l’unanimité chez nombre d’islamologues?
C. G.: Christoph Luxenberg considère en effet que des pans entiers du Coran mecquois seraient un palimpseste d’hymnes chrétiennes. Avant lui, Günter Lüling avait tenté d’établir qu’une partie du Coran provenait d’hymnes chrétiennes répondant à une christologie angélique. Cela me paraît trop automatique et trop rapide. En revanche, Christoph Luxenberg m’a convaincu sur l’influence syriaque dans plusieurs passages du Coran, notamment dans la sourate 100 dans laquelle il voit une réécriture de la première épître de saint Pierre (5,8-9). On reconnaît dans le Coran des traces évidentes de syriaque. À commencer par le mot Qur’an qui, en syriaque, signifie «recueil» ou «lectionnaire». Cette influence me semble fondamentale. D’autre part, Angelika Neuwirth [NDLR spécialiste du Coran, université de Berlin] a bien souligné la forme liturgique du Coran. Et des chercheurs allemands juifs ont noté une ressemblance forte entre le Coran mecquois et les psaumes bibliques. Serait-il un lectionnaire, ou contiendrait-il les éléments d’un lectionnaire? Je suis enclin à le penser. Sans l’influence syriaque comment comprendre que le Coran ait pu reprendre le thème des sept dormants d’Éphèse qui sont d’origine chrétienne? De plus, la christologie du Coran est influencée par le Diatessaron de Tatien et par certains évangiles apocryphes. On peut penser que le groupe dans lequel le Coran primitif a vu le jour était l’un des rejetons de groupes judéo-chrétiens attachés à une christologie pré-nicéenne, avec aussi quelques accents manichéens. l
Propos recueillis par Benoît de Sagazan, pour Le Monde de la Bible
Les plus anciens corans ont deux textes, l'un disparu en apparence, l'autre recopié par dessus.
Palimpsestes qui atteste du Coran moderne falsifié
Les anciens corans sont des palimpsestes. C'est une catastrophe historique qui lève doucement son voile sur le dogme d'un Coran immuable.
Aux origines du Coran
Comment est né le texte sacré de l'islam
Jusqu'aux alentours de l'An Mil, les commentaires autour du Coran furent innombrables, en liaison avec une grande effervescence intellectuelle. Une école réformiste proposa en particulier de distinguer le Coran incréé, parole de Dieu, restée près de Dieu, dénuée de toute équivoque, et le Coran créé, celui-là même qui est sorti de la bouche de Mahomet et se doit d'être analysé et interprété.
En l'an 1019, le calife Al Qadir, craignant que la libre discussion ne mène à de nouvelles scissions, fit lire au palais et dans les mosquées une épître dite «épître de Qadir» (Risala al-qâdiriya) par laquelle il interdit toute exégèse nouvelle et ferma la porte à l'effort de recherche personnel des musulmans (l'ijithad).
Aujourd'hui, à la lumière des travaux accomplis sur les textes chrétiens, des chercheurs abordent l'étude du Coran avec un regard historique, archéologique et philologique. Le magazine Le Monde de la Bible fait le point sur ces travaux d'une grande portée scientifique et nous offre ci-après un entretien passionnant et lumineux avec l'islamologue Claude Gilliot.
Comment et dans quelles circonstances le Coran fut-il mis par écrit? C’est à cette question que répond Claude Gilliot, professeur émérite à l’université de Provence, a bien voulu répondre en sa qualité de spécialiste d’études arabes et d’islamologie.
Il nous précise, entre tradition musulmane et recherche historique, le long processus de la canonisation des textes coraniques aux premiers siècles de l’Hégire. Nous l’avons également interrogé sur les questions linguistiques que posent les plus anciens documents connus du Livre saint des musulmans.
Entretien de Claude Gilliot avec Le Monde de la Bible
Le Monde de la Bible: Existe-il un Coran originel contemporain du Prophète?
Claude Gilliot: Selon la tradition musulmane, à la mort de Muhammad [Mahomet] en 632 de notre ère, il n’existait pas d’édition complète et définitive des révélations que le Prophète avait livrées. Des sources arabo-musulmanes nombreuses l’attestent.
Il est dit que ses Compagnons les avaient mémorisées, en les apprenant et en les récitant par cœur. Certaines, toutefois, avaient été transcrites sur divers matériaux, telles des feuilles de palme ou des omoplates de chameaux. Une première mise par écrit «complète» aurait été faite à l’instigation d’Omar qui craignait que le Coran ne disparût parce que ses mémorisateurs mouraient au combat. Il convainquit le calife Abû Bakr (632-634) de faire consigner par écrit ce que les gens en savaient et ce qui en avait été écrit sur divers matériaux. Ce travail de collecte fut dirigé par l’un des scribes de Muhammad, ?le Médinois Zaïd b. Thâbit. À la mort d’Abû Bakr, ces premiers feuillets du Coran furent transmis à Omar, devenu calife (634-644), puis à sa fille Hafsa, l’une des veuves de Muhammad.
MdB : Et c’est ce recueil des versets coraniques qui s’imposa d’emblée?
C. G.: Non, on ne peut pas dire cela. D’abord parce que nous n’avons pas de traces matérielles de cette collecte. Ensuite parce que l’objectif d’Omar était probablement de disposer d’un corpus et non de faire une «édition» définitive. C’est sous le califat suivant, celui d’Othman (644-656), qu’on prit conscience de divergences dans la façon de réciter le Coran. Othman reprit le corpus détenu par Hafsa et le fit compléter par d’autres personnages, toujours sous la direction de Zaïd b. Thâbit. Il fit ensuite détruire tous les matériaux originels, imposa une première version «canonique» du Coran en l’adressant aux métropoles les plus importantes du jeune Empire. Mais s’imposa-t-il à tous? La tradition musulmane affirme que oui, mais nous observons que l’idée même de collecte avait rencontré des oppositions dont celle d’Ibn Mas’ûd, compagnon du Prophète (m. 633), et que, d’autre part, les récits sur la collecte du Coran comportent de nombreuses contradictions qui contestent cette affirmation.
MdB : Cela signifie-t-il que d’autres variantes du Coran aient pu subsister et êtres récitées à cette époque?
C. G.: La tradition musulmane reconnaît une quinzaine de textes pré-othmaniens principaux et une douzaine de textes secondaires. Nous ne possédons aujourd’hui aucune de ces variantes de la «vulgate» othmanienne. Mais nous savons par ailleurs qu’en 934 et en 935, les exégètes Ibn Miqsam et Ibn Shannabûdh furent condamnés pour avoir récité des variantes non approuvées. Ce qui montre que celles-ci ont circulé longtemps.
Il convient également de remarquer que le texte diffusé par Othman pouvait lui-même susciter différentes lectures et interprétations. Et cela pour deux raisons. La première est que le texte ne comportait pas de voyelles brèves et pas toujours les longues, ce qui induit des choix dans l’interprétation des mots. Deuxièmement, l’écriture arabe primitive n’était pas dotée des points diacritiques qui fixent la valeur exacte des signes et qui distinguent une consonne d’une autre. Des vingt-huit lettres de l’alphabet arabe, seules sept ne sont pas ambiguës et dans les plus anciens fragments du Coran, les lettres ambiguës constituent plus de la moitié du texte.
C’est sous la période omeyyade, et le règne d’Abd al-Malik (685-705) plus précisément, que l’on peut placer la troisième phase de l’histoire du Coran. Certains attribuent au redoutable gouverneur de l’Irak, al-Hajjâj b. Yûsûf (714), plusieurs modifications apportées au texte coranique, mais à ce propos, les sources sont contradictoires. Pour les uns, il aurait seulement remis en ordre les versets et des sourates et rectifié des lectures déficientes; pour les autres, il aurait précisé l’orthographe en introduisant des points. En dépit des contradictions, le califat d’Abd al-Malik constitua un moment déterminant pour la constitution des textes qui nous sont parvenus.
MdB: Sur quels points portaient principalement les oppositions musulmanes à la version othmanienne que vous évoquiez précédemment?
C. G.: Ces critiques viennent de savants musulmans qui soulevèrent des objections durant les trois premiers siècles de l’islam. Cela commença avec des compagnons du ?Prophète qui avaient leur propre texte, nous dit-on. D’autres sont allés jusqu’à considérer certains textes comme inauthentiques pour des raisons théologiques et éthiques. Ils visaient notamment les versets 111,1-3 contre Abu Lahab, l’un des grands adversaires de Muhammad; et 74,11-26. Des théologiens de Bassora mirent en doute l’authenticité de ces passages, tout comme certains kharijites pensaient que la sourate 12 (sourate de Joseph) ne faisait pas partie du Coran, car, selon eux, ce conte profane ne pouvait avoir sa place dans le Coran.
On trouve les accusations les plus vigoureuses de falsification du Coran dans les sources chiites avant le milieu du Xe?siècle. Pour ces derniers, seul Ali, successeur légitime de Muhammad, détenait les authentiques révélations faites au Prophète. Cette version avait été rejetée par les ennemis d’Ali, Abû Bakr et Omar notamment, parce qu’elle contenait des hommages explicites à Ali et à ses partisans et des attaques contre leurs adversaires.
MdB: De quels textes anciens disposons-nous aujourd’hui?
C. G.: Nous ne possédons aucun autographe du Prophète ni de ses scribes. Les plus anciennes versions complètes du Coran dateraient du IXe siècle. Des fragments, très rares, pourraient remonter à la fin VIIe siècle ou du début du VIIIe. L’un des plus anciens, daté du VIIe siècle, est conservé à la Bibliothèque nationale de France (voir p. 32). Mais, en l’absence d’autres manuscrits antérieurs au IXe siècle, la datation de ce recueil d’une soixantaine de feuillets ne peut être estimée que par des critères paléographiques.
MdB: Il existe une forte controverse sur la langue originelle du Coran. En quoi consiste-t-elle?
C. G.: Selon la tradition musulmane, le Coran a été écrit dans la langue de Dieu, autrement dit dans l’arabe le plus clair. Hors pour les chercheurs occidentaux, y compris pour ceux qui reprennent la thèse théologique musulmane, les particularités linguistiques du texte coranique font problème et entrent mal dans le système de la langue arabe. Afin de surmonter cette difficulté, plusieurs hypothèses furent proposées, selon lesquelles l’origine de la langue coranique se trouverait dans un dialecte – disons plutôt une «koinè(langue commune) vernaculaire» – de l’Arabie occidentale marqué par l’influence du syriaque, et donc de l’araméen.
Le Coran est une production de l’Antiquité tardive. Qui dit Antiquité tardive, dit époque de syncrétisme. La péninsule Arabique, où le Coran est censé être né, n’était pas fermée aux idées véhiculées dans la région. Les historiographes arabes musulmans les plus anciens, soit de la première ou de la deuxième génération de l’islam, disent que La Mecque avait des relations en particulier avec la ville d’al-Hira, capitale de la tribu arabe des Lakhmides, où vivaient des païens, des chrétiens monophysites et des manichéens. Elle aurait été un des lieux de passage pour l’apprentissage de l’écriture de l’arabe primitif. Quand Muhammad livrait ses premières prédications, un de ses premiers opposants objectait qu’il avait déjà entendu cela à al-Hira. Dans un autre passage du Coran, il est reproché à Muhammad de se faire enseigner par un étranger qui parlait soit un mauvais arabe soit une autre langue.
Il est vrai qu’un grand nombre d’expressions réputées obscures du Coran s’éclairent si l’on retraduit certains mots apparemment arabes à partir du syro-araméen, la langue de culture dominante au temps du Prophète.
MdB: Vous rejoignez ainsi les thèses de Christoph Luxenberg qui, par ailleurs, ne fait pas l’unanimité chez nombre d’islamologues?
C. G.: Christoph Luxenberg considère en effet que des pans entiers du Coran mecquois seraient un palimpseste d’hymnes chrétiennes. Avant lui, Günter Lüling avait tenté d’établir qu’une partie du Coran provenait d’hymnes chrétiennes répondant à une christologie angélique. Cela me paraît trop automatique et trop rapide. En revanche, Christoph Luxenberg m’a convaincu sur l’influence syriaque dans plusieurs passages du Coran, notamment dans la sourate 100 dans laquelle il voit une réécriture de la première épître de saint Pierre (5,8-9). On reconnaît dans le Coran des traces évidentes de syriaque. À commencer par le mot Qur’an qui, en syriaque, signifie «recueil» ou «lectionnaire». Cette influence me semble fondamentale. D’autre part, Angelika Neuwirth [NDLR spécialiste du Coran, université de Berlin] a bien souligné la forme liturgique du Coran. Et des chercheurs allemands juifs ont noté une ressemblance forte entre le Coran mecquois et les psaumes bibliques. Serait-il un lectionnaire, ou contiendrait-il les éléments d’un lectionnaire? Je suis enclin à le penser. Sans l’influence syriaque comment comprendre que le Coran ait pu reprendre le thème des sept dormants d’Éphèse qui sont d’origine chrétienne? De plus, la christologie du Coran est influencée par le Diatessaron de Tatien et par certains évangiles apocryphes. On peut penser que le groupe dans lequel le Coran primitif a vu le jour était l’un des rejetons de groupes judéo-chrétiens attachés à une christologie pré-nicéenne, avec aussi quelques accents manichéens. l
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