Pourquoi l'islamisme monte-t-il en France et dans le monde ???
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Pourquoi l'islamisme monte-t-il en France et dans le monde ???
Rappel du premier message :
Prêche et chuchotements : enquête sur l'intégrisme islamiste
Enquête sur l'implantation de l'intégrisme islamiste dans une mosquée de la ville de Clamart en banlieue parisienne.
Réalisé par Mohamed Sifaoui et M. Amiri
Pourquoi l'islamisme monte-t-il en France et dans le monde ???
Prêche et chuchotements : enquête sur l'intégrisme islamiste
Enquête sur l'implantation de l'intégrisme islamiste dans une mosquée de la ville de Clamart en banlieue parisienne.
Réalisé par Mohamed Sifaoui et M. Amiri
Re: Pourquoi l'islamisme monte-t-il en France et dans le monde ???
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Re: Pourquoi l'islamisme monte-t-il en France et dans le monde ???
Hamed Abdel-Samad : "L'islamisme est présent dans la naissance même de l'islam"
Best-seller en Allemagne, son essai polémique "Le Fascisme islamique" ne paraîtra pas en France. Entretien avec un penseur menacé de mort par les islamistes.
Propos recueillis par Thomas Mahler
Dans "Le Fascime islamique", Hamed Abdel-Samad montre que la violence est consubstantielle à l'islam, même s'il reconnaît que le Coran peut aussi être lu dans sa dimension "éthique" et "spirituelle".
i Dans "Le Fascime islamique", Hamed Abdel-Samad montre que la violence est consubstantielle à l'islam, même s'il reconnaît que le Coran peut aussi être lu dans sa dimension "éthique" et "spirituelle".
Fils d'imam et ancien membre des Frères musulmans dans sa jeunesse, le Germano-Égyptien Hamed Abdel-Samad est devenu, en Allemagne, une figure médiatique de la critique de l'islam, ce qui lui a valu plusieurs fatwas et menaces de mort. La traduction de son best-seller Le Fascisme islamique, essai virulent qu'on pourrait comparer au travail du Michel Onfray athéologue et qui établit des parallèles entre islamisme et idéologie fasciste, devait paraître en France le 16 septembre. Mais fin juillet, l'éditeur Piranha s'est ravisé, expliquant à l'auteur qu'il ne mesurait pas les risques pour la sécurité de sa petite structure, tout en ne voulant pas « apporter de l'eau au moulin » de l'extrême droite après l'attentat de Nice. L'affaire a déclenché un tollé dans la presse allemande, qui a rappelé que le livre d'Hamed Abdel-Samad était certes critiquable, mais qu'il avait pu paraître sans problème aux États-Unis début janvier après avoir été publié en Allemagne en 2014 par un grand éditeur (Droemer Knaur).
En exclusivité pour Le Point, l'auteur a accepté à la fois de s'exprimer sur cette polémique éditoriale, mais aussi sur le fond d'un ouvrage que les lecteurs français ne liront donc pas à la rentrée.
La traduction de votre essai Le Fascisme islamique devait paraître le 16 septembre, mais votre éditeur Piranha a brusquement fait volte-face. Que s'est-il passé ?
Fin juillet, Jean-Marc Loubet (NDLR : cofondateur et patron de Piranha) a envoyé un mail à mon éditeur allemand annonçant qu'il retire le livre. Il a expliqué qu'au vu de l'actualité sanglante en France, il avait consulté sa petite équipe. Ils ont décidé à l'unanimité de ne pas le publier pour deux raisons. Le premier argument, c'est qu'on ne mesure pas le risque physique d'une publication en France. Selon ses mots, « ça peut être nul, ça peut être mortel ». Je comprends que c'est plus facile de cibler une petite maison d'édition, qui n'a pas les moyens d'assurer une protection à sa porte. Si Jean-Marc Loubet avait fini son mail là-dessus, j'aurais dit OK et accepté sans problème ce retrait. Je vis sous protection policière, j'ai reçu des menaces de mort, et je ne peux pas demander aux autres de prendre le même risque. Moi, je prends ce risque car je crois intimement qu'être effrayé face à des menaces n'arrangera pas les choses. Au contraire, plus nous serons silencieux et plus nous aurons peur, plus les islamistes seront brutaux, car ils ne fonctionnent que selon cette logique : tuer et effrayer. C'est la stratégie du terrorisme. Mais j'aurais compris la décision de Jean-Marc Loubet, car c'est une affaire de vie ou de mort.
En revanche, ce que je n'accepte pas, c'est son deuxième argument, d'ordre moral. Il a écrit qu'il ne voulait pas « apporter de l'eau au moulin de l'extrême droite ». Ça, c'est l'argument typique d'un chantage moral auquel je suis sans cesse confronté. Je suis un penseur libre, qui n'appelle pas à la violence, qui ne stigmatise pas les musulmans – au contraire, je les défends comme êtres humains –, mais qui s'en prend à une idéologie que j'estime violente. J'ai le droit, en Allemagne, plus de 200 ans après Kant et 230 ans après Voltaire, de publier ces pensées sans devoir avoir peur et être terrifié. C'est pour ça que je suis tellement en colère. Jean-Marc Loubet a essayé de transformer la peur en une action vertueuse. Je trouve ça très dangereux. Le Spiegel l'a bien expliqué : c'est une défaite non seulement contre l'islamisme, mais aussi contre l'extrême droite.
Votre livre a été publié en Allemagne et aux États-Unis sans que cela pose de problèmes. Serait-ce plus compliqué en France ?
Il y a chez vous des critiques de l'islam, je pense notamment au remarquable 2084 : la fin du monde de Boualem Sansal. C'est donc plus lié à un éditeur précis. Mais c'est le début d'une certaine humeur qui pourrait se répandre en France et qui m'effraie. J'aime tellement ce pays que je n'aimerais pas le voir succomber à une autocensure et à des arguments qui expliquent qu'un écrivain a une responsabilité et qu'il doit préserver les susceptibilités. Ça serait une catastrophe pour la qualité du débat intellectuel. Et qui, plus qu'un éditeur, est censé défendre ces débats ? Le livre est l'endroit privilégié pour avoir ces discussions. Si nous n'exprimons pas notre esprit critique, alors nous permettrons à l'extrême droite de monopoliser ces sujets et de se présenter comme la garante de la démocratie et de la liberté d'expression, ce qui n'est évidemment pas vrai. En nous retirant de ces sujets, nous leur offrons cet espace.
Vous êtes le fils d'un imam égyptien et, étudiant, vous étiez membre des Frères musulmans. Qu'est-ce qui vous a amené à devenir si critique envers votre religion d'origine ?
Déjà, je ne me considère ni comme musulman ni comme ancien musulman. Je suis convaincu qu'un être humain ne devrait pas se définir, positivement ou négativement, à travers une religion. Je suis critique envers l'islam, comme envers toutes les religions en général. Ce qui m'a fait prendre conscience de ça, c'est que j'ai grandi dans une société où on ne pouvait pas exprimer ses pensées clairement. J'avais sans cesse une voix extérieure et une voix intérieure, différentes, ce qui est courant quand vous êtes dans une communauté religieuse où vous ne pouvez pas exprimer vos doutes. Or, je voulais être libre. C'est pour ça que j'ai quitté l'Égypte pour venir en Allemagne.
Plusieurs personnalités musulmanes ont appelé à votre mort, dont un professeur de l'estimée université Al-Azhar au Caire. Votre vie est-elle en danger ?
Il y a ces fatwas, mais aussi des djihadistes qui veulent me supprimer. Je ne peux pas dévoiler les détails, mais ma protection policière a été brusquement augmentée. Quand je prends un avion par exemple, quelqu'un m'accompagne. J'ai demandé ce qui s'est passé, et ils m'ont juste donné quelques éléments sur un djihadiste allemand parti en Syrie et qui a évoqué mon nom à des djihadistes ici. C'est évidemment effrayant, mais je n'ai pas arrêté de faire des discours publics.
Dans Le Fascisme islamique, vous commencez par établir un parallèle entre les mouvements fascistes et les Frères musulmans, fondés dans les années 1920 par Hassan el-Banna. Quels seraient selon vous leurs points communs ?
Ce n'est pas seulement les Frères musulmans, mais l'islam politique dans son ensemble. Le premier point commun, c'est l'idée d'avoir été choisi, d'être des gens qui sont supérieurs au reste de l'humanité. Vous pouvez lire ça dans le Coran, où les musulmans sont considérés comme la meilleure communauté n'ayant jamais existé. Allah leur donne une responsabilité particulière d'être ses représentants sur terre. Vous avez ça aussi dans le fascisme : « Nous sommes la race supérieure. » Deuxième point commun : la culture de la mort. Dans les deux idéologies, la mort est glorifiée, car la vie et l'individu ne comptent pas. Ce qui est important, c'est la nation ou la religion. Troisième parallèle : l'idée de combat, le Kampf en allemand et le djihad en arabe. Vous ne vous battez pas pour vivre, mais vous vivez pour vous battre. Le combat, en lui-même est une fin en soi, et pas seulement un moyen pour atteindre des buts politiques. Quatrième point commun : l'idée d'ennemis intérieurs et extérieurs. Pour les nazis, l'ennemi à l'extérieur, c'est l'Ouest, et à l'intérieur, les juifs et l'extrême gauche. Pour les islamistes, c'est les autres. Il y a d'abord eu les juifs, les chrétiens ou les non-croyants dans le Coran, puis ont suivi les croisés, les colonialistes et aujourd'hui l'Occident dans son ensemble. L'histoire est conçue comme une seule ligne directrice, et l'ennemi reste toujours le même. L'Occident sera toujours le mal, c'est immuable. Cinquième point commun : la déshumanisation et l'animalisation de l'ennemi. Le Coran qualifie les non-croyants de chiens, singes ou porcs. Si vous déshumanisez des personnes, vous leur ôtez le droit d'exister. C'est ainsi plus facile de les exterminer en masse sans problème de conscience. Ce que les nazis faisaient très exactement en qualifiant les juifs de cafards ou de rats. Enfin, regardez les buts de ces idéologies. Hitler voulait régner sur la planète entière, être « le maître du monde ». Ces mêmes mots se retrouvent dans les discours d'Hassan el-Banna.
Le monde musulman est aujourd'hui frappé par la violence. Mais l'histoire coloniale ou la géopolitique n'expliquent-elles pas davantage ces fractures que la nature même de l'islam ?
Bien sûr, si vous cherchez à comprendre les origines du terrorisme actuel, tout ne vient pas du Coran. Il y a des raisons géopolitiques, et évidemment les États-Unis et d'autres pays occidentaux ont une implication dans les guerres en Irak et Syrie. Mais vous ne pouvez épargner la religion en disant qu'elle n'a rien à voir avec cette violence. Pour en arriver au terrorisme, il faut d'abord une culture favorable, c'est-à-dire qui accepte la violence comme solution politique. C'est, je crois, ce qui se passe dans le monde islamique, car la religion, loin de condamner cette violence, fournit des arguments en sa faveur. Vous avez aussi une violence domestique, dans les familles. Quand un enfant grandit et voit sa mère se faire frapper par son père, il apprend que la violence est la première solution aux problèmes sociaux.
Vous avez confié que votre père battait votre mère, et que vous-même aviez subi des violences enfant. Ne faites-vous pas de votre histoire personnelle une généralité ?
Ce n'était pas un cas individuel, mais cela concernait toutes les familles que je connaissais enfant. Ces violences conjugales ne sont pas une petite minorité. C'est un vrai problème culturel, car le Coran encourage le mari à corriger sa femme si elle n'obéit pas. La religion est un moteur dans la façon de concevoir son couple ou d'éduquer les enfants. Son influence est considérable. Une autre raison de la violence dans le monde musulman, c'est l'insécurité des jeunes hommes dans notre époque moderne. D'un côté, on leur enseigne la certitude que l'islam est la vraie religion, que vous ne pouvez pas faire ça car c'est haram et que vous irez en enfer, sinon. Mais de leur côté, ils sont confrontés à la société moderne, libre et multiculturelle. Il leur est difficile de ne pas mordre dans le fruit défendu, mais après ça, ils se sentent coupables, et retournent vers un discours religieux les ramenant en arrière : « Tu es un pêcheur, reviens à Dieu. » La voie express, c'est le djihad. Mourir en tant que martyr, c'est la seule garantie d'aller directement au paradis. Dites-moi pourquoi un être humain voudrait se tuer tout en supprimant des dizaines de personnes comme ce qui est arrivé à Nice ou à Orlando ?
Mais la culture occidentale a elle aussi ses tueurs de masse !
Oui, mais il y a des raisons psychologiques qui expliquent ces tueurs de masse. Ce sont des profils qui ont été confrontés à la violence dans leur parcours. À Munich, Ali David Sonboly, le tueur germano-iranien, avait par exemple été la victime d'humiliations à l'école. Mais on ne peut pas trouver ces explications psychologiques chez tous les djihadistes. Ceux qui ont projeté le 11 septembre 2001 venaient souvent de familles riches, sans problèmes psychologiques apparents. C'est l'endoctrinement idéologique, l'utopie dans leur tête qui les a poussés à faire ça. Dans beaucoup de cas de tueurs de masse, le désespoir est la cause du passage à l'acte. Alors que pour la majorité des terroristes islamiques, c'est au contraire l'espoir d'atteindre quelque chose de supérieur. Ils ne sont pas déprimés en commettant les tueries. Au contraire, ils sourient. Ça fait une grande différence.
Quand vous présentez Mahomet comme un chef guerrier menant des purges et qui, aujourd'hui, serait responsable de « crimes contre l'humanité », n'est-ce pas de la provocation ?
Non, car ce sont des choses décrites dans les récits islamiques. Mahomet aurait par exemple ordonné en un seul jour la décapitation de 400 à 900 juifs qui s'étaient pourtant rendus. La violence appartient bien sûr à la culture de cette époque. Mais aujourd'hui, s'il venait avec le même message, comme le fait d'annoncer que si vous allez en enfer, votre peau sera brûlée et que vous aurez une nouvelle peau pour sentir la même douleur à nouveau, on le qualifierait de psychopathe et on ne le prendrait pas au sérieux. Or ce message est tellement important aujourd'hui pour deux seules raisons : il est vieux d'un point de vue historique et 1,5 milliard de gens y croient. Si l'islam n'était pratiqué que par un petit groupe, on le considérerait comme une secte.
N'y a-t-il rien de bon pour vous dans une religion qui répond aussi à des aspirations spirituelles ?
Je dissocie trois niveaux différents dans le Coran. Le premier, c'est l'aspect documentaire qui décrit comment s'est développée une communauté autour de Mahomet, avec notamment les guerres qu'il a menées. C'est un document historique à inscrire dans un certain contexte, et auquel on ne peut plus se référer aujourd'hui. Mais il y a deux autres niveaux qui peuvent continuer à inspirer les croyants. L'un concerne l'éthique générale, comme les principes de justice et de pardon, le fait de respecter les animaux et la nature en ne détruisant pas une création parfaite, la quête de la connaissance... Et l'autre concerne la dimension spirituelle. Il y a des passages merveilleux et poétiques dans le Coran qui vous touchent. C'est l'une des facettes de Mahomet, qui a vécu une expérience spirituelle forte, méditant sur l'univers et les merveilles de Dieu. Mais il y a aussi chez lui une dimension sociale et politique, qui elle peut être très dangereuse si on l'use politiquement aujourd'hui. Je ne dis donc pas qu'il faut tout jeter dans le Coran. Mon prochain essai, qui sera publié en Allemagne en octobre, s'intitule d'ailleurs Coran : le message d'amour, le message de haine. Je montre l'ambivalence de ce livre. Mais si des gens croient que le Prophète est un modèle absolu à suivre, ça débouche sur des choses effrayantes comme Daech.
N'est-ce pas historiquement absurde d'établir des parallèles entre une religion apparue au VIIe siècle dans la péninsule arabique et le nazisme, une idéologie athée du XXe siècle née en Occident ?
C'est une question que je me suis posée durant toute l'écriture du livre. Mais l'islam n'est pas qu'une religion, c'est aussi une idéologie politique. Dès les origines, quand Mahomet se rend à Médine, elle est par nature une religion politique, car il n'était pas juste un prophète ou prédicateur, mais aussi un homme d'État, général d'armée, ministre des Finances, juge et policier. D'autre part, le fascisme n'est pas qu'un mouvement politique, mais c'est aussi une religion civile, avec un leader infaillible qui a accès à une vérité et qu'on n'a pas le droit de questionner.
Si on adopte un point de vue farouchement athée, toutes les religions – et surtout les monothéismes – peuvent être perçues comme ayant une dimension totalitaire. Ce n'est pas une exclusivité de l'islam...
Bien sûr. Les religions polythéistes, du fait de la diversité des dieux, sont moins enclines à ça. Il y a une place pour la négociation. Pour les naissances, vous vous adressez au dieu de la fertilité, en cas de décès au dieu de la mort... Vous n'êtes pas sous un contrôle unique. Mais les monothéismes, avec un Dieu jaloux, ont par essence quelque chose de totalitaire. Prenez l'épisode du sacrifice d'Abraham. Vous avez un père qui doit tuer son fils. Il faut obéir à une loi, en ignorant tout rationalisme ou dimension humaniste. Si le leader dit : « tue », vous obéissez... Les théologiens juifs et chrétiens ont par la suite transformé cette histoire en expliquant qu'il ne faut plus tuer d'êtres humains pour plaire à Dieu. Mais dans le Coran, c'est une preuve que si Dieu vous donne un ordre, vous l'exécutez. C'est un argument-clé des martyrs, pour qui il ne faut pas se soucier du sang versé, car Dieu sait ce qui est le meilleur pour vous.
Pour vous, il est artificiel de séparer islam et islamisme. Pourquoi ?
J'ai d'abord pensé qu'il était juste de dire que l'islam et l'islamisme sont deux choses bien distinctes. Mais j'en suis arrivé à la conclusion que ce n'est pas rendre service aux musulmans. Il s'est passé la même chose avec le communisme, quand on expliquait que la théorie marxiste est bonne, et que c'est simplement la pratique stalinienne qui était mauvaise. En faisant cela, on ne critique jamais le fond des choses. Qu'est-ce que l'islamisme ? C'est la volonté de contrôler le monde. D'où cela vient-il ? Du Coran et de la pratique du Prophète. Il veut faire de l'islam une religion universelle, quitte à utiliser la violence. L'invention de l'islamisme est dans la naissance même de l'islam. Les frontières entre les deux sont très floues.
Mais la majorité des musulmans vivent pacifiquement !
Bien sûr. C'est pour ça qu'il faut distinguer l'islam comme idéologie et les musulmans en tant qu'êtres humains. La majorité d'entre eux ne connaissent pas le Coran dans son intégralité. Et la majorité des croyants ne transposent pas tout ce qu'ils ont lu dans le Coran dans leur vie de tous les jours. Une victime yézidie d'un des commandants de Daech a raconté qu'il lui a dit qu'en la violant, il se rapprochait de Dieu. Qui sur terre sortirait une telle horreur s'il n'avait pas lu des textes expliquant que Dieu offre les femmes et les esclaves comme un présent ? Seules les religions peuvent vous convaincre que vous faites le bien en commettant des actes monstrueux. Heureusement, les croyants tirent de la religion des aspects qui leur ressemblent. Les musulmans pacifiques retiennent du Coran les passages pacifiques, tout comme les djihadistes citent les passages les plus guerriers. Chacun y trouve ce qui renforce son identité.
En politique, vous ne croyez pas aux « islamistes modérés », comme on a un temps pu présenter Erdogan. L'islam ne serait-il pas compatible avec la démocratie ?
Non, tout comme le christianisme ou le judaïsme. Si ces religions détiennent le pouvoir, elles ne sont pas compatibles avec la démocratie. D'abord parce que Dieu est le législateur, et non pas les humains, car il en sait plus que nous. Deuxièmement, parce que la démocratie suppose l'égalité entre tous les humains. Dans l'islam, il y a les humains en première classe – les musulmans –, d'autres en seconde classe – les juifs et les chrétiens –, et puis les non-croyants, qui n'ont aucune place. Enfin, la démocratie suppose une autonomie de l'individu, de son esprit comme de son corps. L'islam intervient jusque dans les domaines les plus intimes, et me dit quand je peux faire l'amour et avec qui. C'est pour ça que les États islamiques ont tant de problèmes avec les droits de l'homme. Mais, et je me répète, cela ne signifie bien sûr pas que les musulmans en tant que personnes ne peuvent pas être démocrates. Beaucoup sont profondément démocrates, mais ils ne tirent pas cela de la loi islamique, mais de leur expérience personnelle. En démocratie, les religions peuvent être représentées par des groupes d'influence au même niveau que les autres lobbys, mais elles ne peuvent pas être au-dessus des autres et détenir le pouvoir. Prenez le Vatican, on ne peut pas appeler ça une démocratie (rires). J'adore le pape François, mais il reste un dictateur.
Vous votez SPD, mais vous vous êtes plusieurs fois exprimé dans des meetings du parti populiste AFD (Alternative pour l'Allemagne). Ne jouez-vous pas le jeu de l'extrême droite ?
J'ai été invité par tous les partis : SPD, CDU, Verts, libéraux... Je m'exprime librement. Et à quoi sert la démocratie si ce n'est de discuter avec des gens qui ne sont pas d'accord avec vous ? Quand j'ai parlé devant l'AFD à Berlin et à Munich, c'était à un moment de polarisation importante autour des migrants. Autour, il y avait des manifestations antifascistes. J'ai dit que ces clivages étaient un poison, et qu'il fallait prouver que nous sommes toujours une démocratie dans laquelle on peut discuter sereinement. Nous avons besoin d'un débat sérieux sur l'islam, mais nous devons aussi épargner les réfugiés, qui ne peuvent pas se défendre. Parlons de politique, mais ne laissons pas la colère nous emporter contre ces musulmans. Nous avons besoin d'eux si nous voulons vaincre le terrorisme et devenir une vraie société multiculturelle.
Dans le livre, vous êtes très critique envers Thilo Sarrazin, figure de proue en Allemagne des positions contre l'immigration musulmane.
Parce qu'il stigmatise ces gens et ne croit pas en leur potentiel. Pour l'extrême droite, l'islam comme idéologie et les musulmans comme personnes humaines sont la même chose. Mais non !
L'Allemagne a elle aussi été touchée en juillet par le terrorisme. Cela marquera-t-il un tournant similaire aux agressions sexuelles de Cologne, qui ont traumatisé l'opinion dans votre pays ?
Cologne a mis fin à une période d'optimisme. Les Allemands avaient fait un accueil chaleureux aux migrants, les attendant dans les gares avec fleurs et ours en peluche. Il y avait un sentiment joyeux. Mais Cologne a mis un terme à ça, car personne ne pensait qu'une intimidation de masse comme ça envers des femmes pouvait arriver en Allemagne. Maintenant, après le terrorisme en juillet, on se demande s'il faut s'habituer à des attentats tous les jours dans les médias. Entre le 11 Septembre et les attentats de Madrid ou Londres, il y avait plusieurs années. Mais depuis le Bataclan, le rythme s'est accéléré. Les gens se disent qu'il doit y avoir une corrélation entre la présence des musulmans dans notre société et ce terrorisme, car il n'y a pas d'attaques dans un pays comme... (il hésite)... disons l'Islande. La société n'est pas prête à digérer ça d'une manière sereine. N'oubliez pas que l'Allemagne est une démocratie récente, en comparaison avec vous. En France, avec votre Révolution et votre Marseillaise, vous avez toujours une mystique nationale à offrir aux immigrés. En Allemagne, la démocratie est née d'une catastrophe, le nazisme. Quelle identité peut regrouper tous ces gens ensemble ? Les Allemands se sentent fébriles face à ça, les Turcs émigrés en Allemagne votent en majorité pour Erdogan en dépit de toutes ses violations démocratiques, et les réfugiés sont venus ici avec des illusions – une belle maison, un travail –, mais ils se retrouvent dans des cagibis et n'ont guère de perspective de devenir des membres de cette société. Tout cela va créer des tensions. Le débat politique devient très nerveux. Mais j'espère montrer qu'on peut parler de ces choses sans avoir peur. On peut battre l'extrême droite comme l'islamisme si nous croyons profondément en notre démocratie.
« Le futur appartient au multiculturalisme et à la flexibilité », écrivez-vous dans le livre. « Ceux qui pratiquent l'hygiène identitaire et érigent des remparts autour de leur culture ou de leur religion ont perdu la partie depuis longtemps. » Vous restez donc optimiste ?
La démocratie ne peut jamais être détruite de l'extérieur. Ce n'est que de l'intérieur, quand les gens abandonnent leurs principes ou deviennent indifférents, qu'elle peut s'écrouler. Battons-nous pour nos valeurs, et nous gagnerons contre les extrémistes – nationalistes comme islamistes –, car nous avons le meilleur modèle, qui fascine bien plus de gens à travers le monde que l'islamisme. Mais si nous permettons aux terroristes de nous intimider, et si nous les laissons censurer notre imagination artistique ou nos livres par peur de heurter des sensibilités religieuses, nous allons perdre. Ce qui m'effraie le plus, c'est la peur qui paralyse ou qui rend violent. N'opposons ainsi pas la haine à la haine en suivant la logique primitive des extrémistes. Mais je continue à croire dans le bon sens et l'esprit de ce continent. Nous avons atteint le meilleur niveau de vie de toute l'histoire humaine. C'est un fait, ce n'est pas une utopie, concept qui a toujours débouché sur des catastrophes. L'Europe n'est pas parfaite, mais c'est un projet collectif sur lequel il faut travailler tous les jours !
Best-seller en Allemagne, son essai polémique "Le Fascisme islamique" ne paraîtra pas en France. Entretien avec un penseur menacé de mort par les islamistes.
Propos recueillis par Thomas Mahler
Dans "Le Fascime islamique", Hamed Abdel-Samad montre que la violence est consubstantielle à l'islam, même s'il reconnaît que le Coran peut aussi être lu dans sa dimension "éthique" et "spirituelle".
i Dans "Le Fascime islamique", Hamed Abdel-Samad montre que la violence est consubstantielle à l'islam, même s'il reconnaît que le Coran peut aussi être lu dans sa dimension "éthique" et "spirituelle".
Fils d'imam et ancien membre des Frères musulmans dans sa jeunesse, le Germano-Égyptien Hamed Abdel-Samad est devenu, en Allemagne, une figure médiatique de la critique de l'islam, ce qui lui a valu plusieurs fatwas et menaces de mort. La traduction de son best-seller Le Fascisme islamique, essai virulent qu'on pourrait comparer au travail du Michel Onfray athéologue et qui établit des parallèles entre islamisme et idéologie fasciste, devait paraître en France le 16 septembre. Mais fin juillet, l'éditeur Piranha s'est ravisé, expliquant à l'auteur qu'il ne mesurait pas les risques pour la sécurité de sa petite structure, tout en ne voulant pas « apporter de l'eau au moulin » de l'extrême droite après l'attentat de Nice. L'affaire a déclenché un tollé dans la presse allemande, qui a rappelé que le livre d'Hamed Abdel-Samad était certes critiquable, mais qu'il avait pu paraître sans problème aux États-Unis début janvier après avoir été publié en Allemagne en 2014 par un grand éditeur (Droemer Knaur).
En exclusivité pour Le Point, l'auteur a accepté à la fois de s'exprimer sur cette polémique éditoriale, mais aussi sur le fond d'un ouvrage que les lecteurs français ne liront donc pas à la rentrée.
La traduction de votre essai Le Fascisme islamique devait paraître le 16 septembre, mais votre éditeur Piranha a brusquement fait volte-face. Que s'est-il passé ?
Fin juillet, Jean-Marc Loubet (NDLR : cofondateur et patron de Piranha) a envoyé un mail à mon éditeur allemand annonçant qu'il retire le livre. Il a expliqué qu'au vu de l'actualité sanglante en France, il avait consulté sa petite équipe. Ils ont décidé à l'unanimité de ne pas le publier pour deux raisons. Le premier argument, c'est qu'on ne mesure pas le risque physique d'une publication en France. Selon ses mots, « ça peut être nul, ça peut être mortel ». Je comprends que c'est plus facile de cibler une petite maison d'édition, qui n'a pas les moyens d'assurer une protection à sa porte. Si Jean-Marc Loubet avait fini son mail là-dessus, j'aurais dit OK et accepté sans problème ce retrait. Je vis sous protection policière, j'ai reçu des menaces de mort, et je ne peux pas demander aux autres de prendre le même risque. Moi, je prends ce risque car je crois intimement qu'être effrayé face à des menaces n'arrangera pas les choses. Au contraire, plus nous serons silencieux et plus nous aurons peur, plus les islamistes seront brutaux, car ils ne fonctionnent que selon cette logique : tuer et effrayer. C'est la stratégie du terrorisme. Mais j'aurais compris la décision de Jean-Marc Loubet, car c'est une affaire de vie ou de mort.
En revanche, ce que je n'accepte pas, c'est son deuxième argument, d'ordre moral. Il a écrit qu'il ne voulait pas « apporter de l'eau au moulin de l'extrême droite ». Ça, c'est l'argument typique d'un chantage moral auquel je suis sans cesse confronté. Je suis un penseur libre, qui n'appelle pas à la violence, qui ne stigmatise pas les musulmans – au contraire, je les défends comme êtres humains –, mais qui s'en prend à une idéologie que j'estime violente. J'ai le droit, en Allemagne, plus de 200 ans après Kant et 230 ans après Voltaire, de publier ces pensées sans devoir avoir peur et être terrifié. C'est pour ça que je suis tellement en colère. Jean-Marc Loubet a essayé de transformer la peur en une action vertueuse. Je trouve ça très dangereux. Le Spiegel l'a bien expliqué : c'est une défaite non seulement contre l'islamisme, mais aussi contre l'extrême droite.
Votre livre a été publié en Allemagne et aux États-Unis sans que cela pose de problèmes. Serait-ce plus compliqué en France ?
Il y a chez vous des critiques de l'islam, je pense notamment au remarquable 2084 : la fin du monde de Boualem Sansal. C'est donc plus lié à un éditeur précis. Mais c'est le début d'une certaine humeur qui pourrait se répandre en France et qui m'effraie. J'aime tellement ce pays que je n'aimerais pas le voir succomber à une autocensure et à des arguments qui expliquent qu'un écrivain a une responsabilité et qu'il doit préserver les susceptibilités. Ça serait une catastrophe pour la qualité du débat intellectuel. Et qui, plus qu'un éditeur, est censé défendre ces débats ? Le livre est l'endroit privilégié pour avoir ces discussions. Si nous n'exprimons pas notre esprit critique, alors nous permettrons à l'extrême droite de monopoliser ces sujets et de se présenter comme la garante de la démocratie et de la liberté d'expression, ce qui n'est évidemment pas vrai. En nous retirant de ces sujets, nous leur offrons cet espace.
Vous êtes le fils d'un imam égyptien et, étudiant, vous étiez membre des Frères musulmans. Qu'est-ce qui vous a amené à devenir si critique envers votre religion d'origine ?
Déjà, je ne me considère ni comme musulman ni comme ancien musulman. Je suis convaincu qu'un être humain ne devrait pas se définir, positivement ou négativement, à travers une religion. Je suis critique envers l'islam, comme envers toutes les religions en général. Ce qui m'a fait prendre conscience de ça, c'est que j'ai grandi dans une société où on ne pouvait pas exprimer ses pensées clairement. J'avais sans cesse une voix extérieure et une voix intérieure, différentes, ce qui est courant quand vous êtes dans une communauté religieuse où vous ne pouvez pas exprimer vos doutes. Or, je voulais être libre. C'est pour ça que j'ai quitté l'Égypte pour venir en Allemagne.
Plusieurs personnalités musulmanes ont appelé à votre mort, dont un professeur de l'estimée université Al-Azhar au Caire. Votre vie est-elle en danger ?
Il y a ces fatwas, mais aussi des djihadistes qui veulent me supprimer. Je ne peux pas dévoiler les détails, mais ma protection policière a été brusquement augmentée. Quand je prends un avion par exemple, quelqu'un m'accompagne. J'ai demandé ce qui s'est passé, et ils m'ont juste donné quelques éléments sur un djihadiste allemand parti en Syrie et qui a évoqué mon nom à des djihadistes ici. C'est évidemment effrayant, mais je n'ai pas arrêté de faire des discours publics.
Dans Le Fascisme islamique, vous commencez par établir un parallèle entre les mouvements fascistes et les Frères musulmans, fondés dans les années 1920 par Hassan el-Banna. Quels seraient selon vous leurs points communs ?
Ce n'est pas seulement les Frères musulmans, mais l'islam politique dans son ensemble. Le premier point commun, c'est l'idée d'avoir été choisi, d'être des gens qui sont supérieurs au reste de l'humanité. Vous pouvez lire ça dans le Coran, où les musulmans sont considérés comme la meilleure communauté n'ayant jamais existé. Allah leur donne une responsabilité particulière d'être ses représentants sur terre. Vous avez ça aussi dans le fascisme : « Nous sommes la race supérieure. » Deuxième point commun : la culture de la mort. Dans les deux idéologies, la mort est glorifiée, car la vie et l'individu ne comptent pas. Ce qui est important, c'est la nation ou la religion. Troisième parallèle : l'idée de combat, le Kampf en allemand et le djihad en arabe. Vous ne vous battez pas pour vivre, mais vous vivez pour vous battre. Le combat, en lui-même est une fin en soi, et pas seulement un moyen pour atteindre des buts politiques. Quatrième point commun : l'idée d'ennemis intérieurs et extérieurs. Pour les nazis, l'ennemi à l'extérieur, c'est l'Ouest, et à l'intérieur, les juifs et l'extrême gauche. Pour les islamistes, c'est les autres. Il y a d'abord eu les juifs, les chrétiens ou les non-croyants dans le Coran, puis ont suivi les croisés, les colonialistes et aujourd'hui l'Occident dans son ensemble. L'histoire est conçue comme une seule ligne directrice, et l'ennemi reste toujours le même. L'Occident sera toujours le mal, c'est immuable. Cinquième point commun : la déshumanisation et l'animalisation de l'ennemi. Le Coran qualifie les non-croyants de chiens, singes ou porcs. Si vous déshumanisez des personnes, vous leur ôtez le droit d'exister. C'est ainsi plus facile de les exterminer en masse sans problème de conscience. Ce que les nazis faisaient très exactement en qualifiant les juifs de cafards ou de rats. Enfin, regardez les buts de ces idéologies. Hitler voulait régner sur la planète entière, être « le maître du monde ». Ces mêmes mots se retrouvent dans les discours d'Hassan el-Banna.
Le monde musulman est aujourd'hui frappé par la violence. Mais l'histoire coloniale ou la géopolitique n'expliquent-elles pas davantage ces fractures que la nature même de l'islam ?
Bien sûr, si vous cherchez à comprendre les origines du terrorisme actuel, tout ne vient pas du Coran. Il y a des raisons géopolitiques, et évidemment les États-Unis et d'autres pays occidentaux ont une implication dans les guerres en Irak et Syrie. Mais vous ne pouvez épargner la religion en disant qu'elle n'a rien à voir avec cette violence. Pour en arriver au terrorisme, il faut d'abord une culture favorable, c'est-à-dire qui accepte la violence comme solution politique. C'est, je crois, ce qui se passe dans le monde islamique, car la religion, loin de condamner cette violence, fournit des arguments en sa faveur. Vous avez aussi une violence domestique, dans les familles. Quand un enfant grandit et voit sa mère se faire frapper par son père, il apprend que la violence est la première solution aux problèmes sociaux.
Vous avez confié que votre père battait votre mère, et que vous-même aviez subi des violences enfant. Ne faites-vous pas de votre histoire personnelle une généralité ?
Ce n'était pas un cas individuel, mais cela concernait toutes les familles que je connaissais enfant. Ces violences conjugales ne sont pas une petite minorité. C'est un vrai problème culturel, car le Coran encourage le mari à corriger sa femme si elle n'obéit pas. La religion est un moteur dans la façon de concevoir son couple ou d'éduquer les enfants. Son influence est considérable. Une autre raison de la violence dans le monde musulman, c'est l'insécurité des jeunes hommes dans notre époque moderne. D'un côté, on leur enseigne la certitude que l'islam est la vraie religion, que vous ne pouvez pas faire ça car c'est haram et que vous irez en enfer, sinon. Mais de leur côté, ils sont confrontés à la société moderne, libre et multiculturelle. Il leur est difficile de ne pas mordre dans le fruit défendu, mais après ça, ils se sentent coupables, et retournent vers un discours religieux les ramenant en arrière : « Tu es un pêcheur, reviens à Dieu. » La voie express, c'est le djihad. Mourir en tant que martyr, c'est la seule garantie d'aller directement au paradis. Dites-moi pourquoi un être humain voudrait se tuer tout en supprimant des dizaines de personnes comme ce qui est arrivé à Nice ou à Orlando ?
Mais la culture occidentale a elle aussi ses tueurs de masse !
Oui, mais il y a des raisons psychologiques qui expliquent ces tueurs de masse. Ce sont des profils qui ont été confrontés à la violence dans leur parcours. À Munich, Ali David Sonboly, le tueur germano-iranien, avait par exemple été la victime d'humiliations à l'école. Mais on ne peut pas trouver ces explications psychologiques chez tous les djihadistes. Ceux qui ont projeté le 11 septembre 2001 venaient souvent de familles riches, sans problèmes psychologiques apparents. C'est l'endoctrinement idéologique, l'utopie dans leur tête qui les a poussés à faire ça. Dans beaucoup de cas de tueurs de masse, le désespoir est la cause du passage à l'acte. Alors que pour la majorité des terroristes islamiques, c'est au contraire l'espoir d'atteindre quelque chose de supérieur. Ils ne sont pas déprimés en commettant les tueries. Au contraire, ils sourient. Ça fait une grande différence.
Quand vous présentez Mahomet comme un chef guerrier menant des purges et qui, aujourd'hui, serait responsable de « crimes contre l'humanité », n'est-ce pas de la provocation ?
Non, car ce sont des choses décrites dans les récits islamiques. Mahomet aurait par exemple ordonné en un seul jour la décapitation de 400 à 900 juifs qui s'étaient pourtant rendus. La violence appartient bien sûr à la culture de cette époque. Mais aujourd'hui, s'il venait avec le même message, comme le fait d'annoncer que si vous allez en enfer, votre peau sera brûlée et que vous aurez une nouvelle peau pour sentir la même douleur à nouveau, on le qualifierait de psychopathe et on ne le prendrait pas au sérieux. Or ce message est tellement important aujourd'hui pour deux seules raisons : il est vieux d'un point de vue historique et 1,5 milliard de gens y croient. Si l'islam n'était pratiqué que par un petit groupe, on le considérerait comme une secte.
N'y a-t-il rien de bon pour vous dans une religion qui répond aussi à des aspirations spirituelles ?
Je dissocie trois niveaux différents dans le Coran. Le premier, c'est l'aspect documentaire qui décrit comment s'est développée une communauté autour de Mahomet, avec notamment les guerres qu'il a menées. C'est un document historique à inscrire dans un certain contexte, et auquel on ne peut plus se référer aujourd'hui. Mais il y a deux autres niveaux qui peuvent continuer à inspirer les croyants. L'un concerne l'éthique générale, comme les principes de justice et de pardon, le fait de respecter les animaux et la nature en ne détruisant pas une création parfaite, la quête de la connaissance... Et l'autre concerne la dimension spirituelle. Il y a des passages merveilleux et poétiques dans le Coran qui vous touchent. C'est l'une des facettes de Mahomet, qui a vécu une expérience spirituelle forte, méditant sur l'univers et les merveilles de Dieu. Mais il y a aussi chez lui une dimension sociale et politique, qui elle peut être très dangereuse si on l'use politiquement aujourd'hui. Je ne dis donc pas qu'il faut tout jeter dans le Coran. Mon prochain essai, qui sera publié en Allemagne en octobre, s'intitule d'ailleurs Coran : le message d'amour, le message de haine. Je montre l'ambivalence de ce livre. Mais si des gens croient que le Prophète est un modèle absolu à suivre, ça débouche sur des choses effrayantes comme Daech.
N'est-ce pas historiquement absurde d'établir des parallèles entre une religion apparue au VIIe siècle dans la péninsule arabique et le nazisme, une idéologie athée du XXe siècle née en Occident ?
C'est une question que je me suis posée durant toute l'écriture du livre. Mais l'islam n'est pas qu'une religion, c'est aussi une idéologie politique. Dès les origines, quand Mahomet se rend à Médine, elle est par nature une religion politique, car il n'était pas juste un prophète ou prédicateur, mais aussi un homme d'État, général d'armée, ministre des Finances, juge et policier. D'autre part, le fascisme n'est pas qu'un mouvement politique, mais c'est aussi une religion civile, avec un leader infaillible qui a accès à une vérité et qu'on n'a pas le droit de questionner.
Si on adopte un point de vue farouchement athée, toutes les religions – et surtout les monothéismes – peuvent être perçues comme ayant une dimension totalitaire. Ce n'est pas une exclusivité de l'islam...
Bien sûr. Les religions polythéistes, du fait de la diversité des dieux, sont moins enclines à ça. Il y a une place pour la négociation. Pour les naissances, vous vous adressez au dieu de la fertilité, en cas de décès au dieu de la mort... Vous n'êtes pas sous un contrôle unique. Mais les monothéismes, avec un Dieu jaloux, ont par essence quelque chose de totalitaire. Prenez l'épisode du sacrifice d'Abraham. Vous avez un père qui doit tuer son fils. Il faut obéir à une loi, en ignorant tout rationalisme ou dimension humaniste. Si le leader dit : « tue », vous obéissez... Les théologiens juifs et chrétiens ont par la suite transformé cette histoire en expliquant qu'il ne faut plus tuer d'êtres humains pour plaire à Dieu. Mais dans le Coran, c'est une preuve que si Dieu vous donne un ordre, vous l'exécutez. C'est un argument-clé des martyrs, pour qui il ne faut pas se soucier du sang versé, car Dieu sait ce qui est le meilleur pour vous.
Pour vous, il est artificiel de séparer islam et islamisme. Pourquoi ?
J'ai d'abord pensé qu'il était juste de dire que l'islam et l'islamisme sont deux choses bien distinctes. Mais j'en suis arrivé à la conclusion que ce n'est pas rendre service aux musulmans. Il s'est passé la même chose avec le communisme, quand on expliquait que la théorie marxiste est bonne, et que c'est simplement la pratique stalinienne qui était mauvaise. En faisant cela, on ne critique jamais le fond des choses. Qu'est-ce que l'islamisme ? C'est la volonté de contrôler le monde. D'où cela vient-il ? Du Coran et de la pratique du Prophète. Il veut faire de l'islam une religion universelle, quitte à utiliser la violence. L'invention de l'islamisme est dans la naissance même de l'islam. Les frontières entre les deux sont très floues.
Mais la majorité des musulmans vivent pacifiquement !
Bien sûr. C'est pour ça qu'il faut distinguer l'islam comme idéologie et les musulmans en tant qu'êtres humains. La majorité d'entre eux ne connaissent pas le Coran dans son intégralité. Et la majorité des croyants ne transposent pas tout ce qu'ils ont lu dans le Coran dans leur vie de tous les jours. Une victime yézidie d'un des commandants de Daech a raconté qu'il lui a dit qu'en la violant, il se rapprochait de Dieu. Qui sur terre sortirait une telle horreur s'il n'avait pas lu des textes expliquant que Dieu offre les femmes et les esclaves comme un présent ? Seules les religions peuvent vous convaincre que vous faites le bien en commettant des actes monstrueux. Heureusement, les croyants tirent de la religion des aspects qui leur ressemblent. Les musulmans pacifiques retiennent du Coran les passages pacifiques, tout comme les djihadistes citent les passages les plus guerriers. Chacun y trouve ce qui renforce son identité.
En politique, vous ne croyez pas aux « islamistes modérés », comme on a un temps pu présenter Erdogan. L'islam ne serait-il pas compatible avec la démocratie ?
Non, tout comme le christianisme ou le judaïsme. Si ces religions détiennent le pouvoir, elles ne sont pas compatibles avec la démocratie. D'abord parce que Dieu est le législateur, et non pas les humains, car il en sait plus que nous. Deuxièmement, parce que la démocratie suppose l'égalité entre tous les humains. Dans l'islam, il y a les humains en première classe – les musulmans –, d'autres en seconde classe – les juifs et les chrétiens –, et puis les non-croyants, qui n'ont aucune place. Enfin, la démocratie suppose une autonomie de l'individu, de son esprit comme de son corps. L'islam intervient jusque dans les domaines les plus intimes, et me dit quand je peux faire l'amour et avec qui. C'est pour ça que les États islamiques ont tant de problèmes avec les droits de l'homme. Mais, et je me répète, cela ne signifie bien sûr pas que les musulmans en tant que personnes ne peuvent pas être démocrates. Beaucoup sont profondément démocrates, mais ils ne tirent pas cela de la loi islamique, mais de leur expérience personnelle. En démocratie, les religions peuvent être représentées par des groupes d'influence au même niveau que les autres lobbys, mais elles ne peuvent pas être au-dessus des autres et détenir le pouvoir. Prenez le Vatican, on ne peut pas appeler ça une démocratie (rires). J'adore le pape François, mais il reste un dictateur.
Vous votez SPD, mais vous vous êtes plusieurs fois exprimé dans des meetings du parti populiste AFD (Alternative pour l'Allemagne). Ne jouez-vous pas le jeu de l'extrême droite ?
J'ai été invité par tous les partis : SPD, CDU, Verts, libéraux... Je m'exprime librement. Et à quoi sert la démocratie si ce n'est de discuter avec des gens qui ne sont pas d'accord avec vous ? Quand j'ai parlé devant l'AFD à Berlin et à Munich, c'était à un moment de polarisation importante autour des migrants. Autour, il y avait des manifestations antifascistes. J'ai dit que ces clivages étaient un poison, et qu'il fallait prouver que nous sommes toujours une démocratie dans laquelle on peut discuter sereinement. Nous avons besoin d'un débat sérieux sur l'islam, mais nous devons aussi épargner les réfugiés, qui ne peuvent pas se défendre. Parlons de politique, mais ne laissons pas la colère nous emporter contre ces musulmans. Nous avons besoin d'eux si nous voulons vaincre le terrorisme et devenir une vraie société multiculturelle.
Dans le livre, vous êtes très critique envers Thilo Sarrazin, figure de proue en Allemagne des positions contre l'immigration musulmane.
Parce qu'il stigmatise ces gens et ne croit pas en leur potentiel. Pour l'extrême droite, l'islam comme idéologie et les musulmans comme personnes humaines sont la même chose. Mais non !
L'Allemagne a elle aussi été touchée en juillet par le terrorisme. Cela marquera-t-il un tournant similaire aux agressions sexuelles de Cologne, qui ont traumatisé l'opinion dans votre pays ?
Cologne a mis fin à une période d'optimisme. Les Allemands avaient fait un accueil chaleureux aux migrants, les attendant dans les gares avec fleurs et ours en peluche. Il y avait un sentiment joyeux. Mais Cologne a mis un terme à ça, car personne ne pensait qu'une intimidation de masse comme ça envers des femmes pouvait arriver en Allemagne. Maintenant, après le terrorisme en juillet, on se demande s'il faut s'habituer à des attentats tous les jours dans les médias. Entre le 11 Septembre et les attentats de Madrid ou Londres, il y avait plusieurs années. Mais depuis le Bataclan, le rythme s'est accéléré. Les gens se disent qu'il doit y avoir une corrélation entre la présence des musulmans dans notre société et ce terrorisme, car il n'y a pas d'attaques dans un pays comme... (il hésite)... disons l'Islande. La société n'est pas prête à digérer ça d'une manière sereine. N'oubliez pas que l'Allemagne est une démocratie récente, en comparaison avec vous. En France, avec votre Révolution et votre Marseillaise, vous avez toujours une mystique nationale à offrir aux immigrés. En Allemagne, la démocratie est née d'une catastrophe, le nazisme. Quelle identité peut regrouper tous ces gens ensemble ? Les Allemands se sentent fébriles face à ça, les Turcs émigrés en Allemagne votent en majorité pour Erdogan en dépit de toutes ses violations démocratiques, et les réfugiés sont venus ici avec des illusions – une belle maison, un travail –, mais ils se retrouvent dans des cagibis et n'ont guère de perspective de devenir des membres de cette société. Tout cela va créer des tensions. Le débat politique devient très nerveux. Mais j'espère montrer qu'on peut parler de ces choses sans avoir peur. On peut battre l'extrême droite comme l'islamisme si nous croyons profondément en notre démocratie.
« Le futur appartient au multiculturalisme et à la flexibilité », écrivez-vous dans le livre. « Ceux qui pratiquent l'hygiène identitaire et érigent des remparts autour de leur culture ou de leur religion ont perdu la partie depuis longtemps. » Vous restez donc optimiste ?
La démocratie ne peut jamais être détruite de l'extérieur. Ce n'est que de l'intérieur, quand les gens abandonnent leurs principes ou deviennent indifférents, qu'elle peut s'écrouler. Battons-nous pour nos valeurs, et nous gagnerons contre les extrémistes – nationalistes comme islamistes –, car nous avons le meilleur modèle, qui fascine bien plus de gens à travers le monde que l'islamisme. Mais si nous permettons aux terroristes de nous intimider, et si nous les laissons censurer notre imagination artistique ou nos livres par peur de heurter des sensibilités religieuses, nous allons perdre. Ce qui m'effraie le plus, c'est la peur qui paralyse ou qui rend violent. N'opposons ainsi pas la haine à la haine en suivant la logique primitive des extrémistes. Mais je continue à croire dans le bon sens et l'esprit de ce continent. Nous avons atteint le meilleur niveau de vie de toute l'histoire humaine. C'est un fait, ce n'est pas une utopie, concept qui a toujours débouché sur des catastrophes. L'Europe n'est pas parfaite, mais c'est un projet collectif sur lequel il faut travailler tous les jours !
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Re: Pourquoi l'islamisme monte-t-il en France et dans le monde ???
Faites confiance à l’islam des Lumières!
Faites confiance à l’islam des Lumières! Photo Christophe Maout
De quoi les musulmans de France ont-ils besoin ? D’être représentés, au plus haut niveau, par des personnalités conciliant la double culture. Alors que Jean-Pierre Chevènement est pressenti pour diriger la Fondation pour les œuvres de l’islam de France, il est urgent de donner la parole aux hérauts d’un islam régénéré.
Faites confiance à l’islam des Lumières!, par Abdennour Bidar
Qui nommer à la tête de la Fondation pour les œuvres de l’islam de France ? La réponse dépend d’abord de la vocation que l’on souhaite donner à cette fondation. A quoi donc doit-elle servir ? Certes, il s’agira pour elle de prendre en charge des questions diverses parmi lesquelles les plus lourdes sont celles du financement du culte et de la formation des imams. Cela, tout le monde en convient. Mais le plus crucial est ailleurs et, pourtant, on semble ne pas s’en apercevoir… Les musulmans de France sont en mal d’identification, et ils ont besoin d’incarnation. Ce qui leur a fait défaut jusqu’ici, ce sont des personnalités et des institutions capables de donner de la culture musulmane une «grande image» fédératrice - l’image rayonnante de parcours de vie et de prises de position publiques qui expriment tout autant les héritages humanistes de l’islam que l’inscription plénière et sans réserve dans la République et ses valeurs.
N’existerait-il pas de citoyens, du côté musulman, qui puissent incarner cela et que l’on pourrait mettre en avant ? Certains cèdent encore à l’idée fausse que «l’islam de France est une abstraction» parce que «les musulmans sont trop divers pour être représentés, et pour que l’on en choisisse arbitrairement quelques-uns susceptibles de représenter tous les autres». Mais pour ne prendre que le dernier exemple en date, les 41 signataires de l’Appel des musulmans de France ne sont justement pas une abstraction, et leur diversité n’est pas une faiblesse mais une force ! Voudrait-on au contraire qu’ils se ressemblent tous pour entretenir le fantasme d’une «communauté musulmane» uniformisée sous le joug des mêmes représentations archaïques et des mêmes mœurs exogènes ?
Ces 41, dont je fais partie, sont en réalité - parmi une multitude d’autres - la preuve bien vivante que nous avons aujourd’hui parmi nous, en France, un nombre considérable de femmes et d’hommes qui concilient l’identité musulmane et l’identité française sans aucune difficulté ni contradiction mais de façon sereine, harmonieuse et féconde, c’est-à-dire d’une manière telle que les deux identités trouvent dans leur rencontre l’opportunité d’une expression nouvelle de leur génie respectif et d’un enrichissement réciproque. En chacun d’eux, et de façon singulière à chaque fois, la culture musulmane a accompli une véritable mutation, telle qu’ils ne sont pas ici les importateurs d’une civilisation étrangère mais des Françaises et des Français à part entière, riches d’une alchimie culturelle particulière et porteuse d’une individualité propre - voilà d’ailleurs ce dont la France est actuellement le formidable creuset, qui a une valeur immense et dont nous devrions tous être à la fois conscients et fiers pour notre pays.
Mais l’esprit chagrin continue de dominer… Je constate à ce sujet la persistance d’une forme d’incrédulité très étrange et dérangeante, en particulier chez nos élites : «Comment ? Que dites-vous ? Des musulmans républicains, des musulmans auxquels on peut faire confiance, des musulmans éclairés qui ne tiendraient pas de double discours, qui ne seraient pas restés inconsciemment antisémites, dogmatiques et misogynes, qui seraient tout aussi pleinement français que musulmans et qui seraient en plus assez forts et fiables intellectuellement pour participer à nos débats de société ?» J’ai entendu ces derniers temps avec beaucoup de peine tous ces scepticismes désolants, toutes ces suspicions atterrantes, larvées ou déclarées, sur l’honnêteté ou même le niveau moral et intellectuel de ceux qui s’engagent actuellement pour un islam éclairé. Alors je me permets de dire calmement à tous ces sceptiques de bien mesurer le risque et la responsabilité qu’ils prennent en persistant ainsi à ne pas faire confiance aux figures de l’islam des Lumières : si vous laissez passer l’occasion de nous donner les fonctions et positions d’autorité idoines, avec qui allez-vous discuter et contracter demain pour construire un islam de France ? Qui vous restera-t-il comme interlocuteur du côté musulman si vous refusez de voir et d’accepter le fait qu’il y a maintenant en France des élites musulmanes éclairées «capables», autrement dit et plus clairement assez compétentes et légitimes pour que d’autres ne prennent pas à leur place la direction de l’islam de France ?
J’y insiste tant le point me paraît décisif, l’heure est venue de faire entendre la voix - et d’investir de responsabilités majeures - des personnalités qui permettent à l’ensemble des musulmans de France de réaliser que deux choses sont parfaitement possibles : d’une part, le sentiment et le fait de l’appartenance simultanée aux deux cultures ; d’autre part, l’adhésion à une culture musulmane qui ne soit pas celle du traditionalisme ni du néoconservatisme. Voilà ce dont les musulmans de France ont besoin, voilà ce dont il serait très hasardeux, voire très périlleux, de les priver plus longtemps encore : une visibilité publique au plus haut niveau pour ce que j’appelle depuis des années avec quelques autres un islam des Lumières, complètement régénéré par l’élimination de tout ce qui dans la tradition est incompatible avec la liberté de conscience, l’égalité des sexes, la tolérance, la fraternité universelle, la non-violence et toutes les valeurs des droits de l’homme ; complètement régénéré, aussi, par le renouveau de la transmission de ses propres ressources historiques de sagesse et de spiritualité, notamment celles de la pensée libérée des dogmes (depuis Averroès jusqu’à Iqbal) et du soufisme - voie d’amour, de paix et connaissance de soi.
Sinon qu’arrivera-t-il, si on ne permet pas à cet islam des Lumières de s’incarner dans les institutions qui lui donneraient le rayonnement et l’autorité nécessaires ? On laissera coupablement les musulmans de France livrés toujours plus, et sans alternative, à l’emprise d’images de l’islam médiocres et nuisibles, portées déjà un peu partout sur Internet et dans la rue par une cohorte de prêcheurs traditionalistes et ignorants qui, chaque jour, distillent un véritable poison mental - à savoir les absurdités dangereuses qu’«entre être musulman et être français il faut choisir», ou bien que la civilisation et la foi de l’islam seraient «supérieures» au reste du monde, ou bien encore que la France devrait faire l’objet d’un ressentiment parce qu’elle «méprise l’islam et les musulmans».
Tant qu’on ne donnera pas à l’islam des Lumières la reconnaissance la plus haute dans la République, nous tous, Français, nous livrerons pieds et poings liés, impuissants donc, à la propagation de cet obscurantisme - terreau non seulement de toutes les sécessions identitaires mais aussi du radicalisme terroriste. Demander une telle reconnaissance officielle n’a rien d’exorbitant. Ce n’est ni réclamer un privilège ni manifester un opportunisme. C’est simplement attendre qu’on inscrive l’islam dans la grande tradition française de la dignification politique des forces vives de la société civile. II ne me semble pas qu’il faille être grand clerc pour comprendre tout cela… Et pourtant. Va-t-on manquer une nouvelle fois l’occasion ? Après l’échec du CFCM (le Conseil français du culte musulman) ? Après des années de tergiversation sur le serpent de mer du «mais qui pour représenter une religion sans clergé» et du «mais qui pour représenter une communauté si diverse» ?
Face à ces atermoiements, je le dis haut et fort en espérant être entendu : nous, musulmans qui vivons un islam des Lumières - dans tous nos engagements et notre conduite de vie quotidienne -, «nous existons» ! Nous ne sommes pas une «majorité silencieuse et introuvable». Nous existons dans toutes les composantes de la société française, à toutes ses échelles. Nous sommes là, éduqués, diplômés, aussi français, républicains et humanistes que nos pairs cultivés et engagés de tous bords… et que ceux qui persisteraient à vouloir nous donner telle ou telle leçon. Ou qui, pour des motifs que je préfère ignorer, ne voudraient pas qu’une telle élite musulmane voie le jour en France. Nous sommes entièrement prêts à prendre notre responsabilité - beaucoup parmi nous l’assument depuis longtemps. Nous sommes déterminés à ne pas laisser gagner un islam rétrograde. Nous sommes déterminés à offrir à la culture et à la société française tout l’apport des trésors de sens et d’éthique d’une culture musulmane que nous réinventons ici et maintenant de fond en comble à partir d’une inspiration non seulement française mais européenne !
Oui, nous existons, et il suffirait qu’on nous donne enfin l’occasion de nous exprimer dans une institution de niveau national pour que des millions de musulmans français s’identifient sans peine à leurs porte-parole ! En se sentant soudain eux-mêmes extraordinairement confortés, encouragés, exaltés dans leur propre conviction d’être tout autant français que musulmans - sans que cela ne soit deux parties séparées de leur identité mais l’expression d’un seul et même être au monde.
Pour toutes les raisons invoquées, le plus judicieux ne serait-il donc pas de nommer à la tête de la Fondation des œuvres pour l’islam de France un collège de personnalités (avec une présidence tournante) choisies parmi toutes celles et ceux qui sont les hérauts d’un islam des Lumières ?
Abdennour Bidar philosophe
Faites confiance à l’islam des Lumières! Photo Christophe Maout
De quoi les musulmans de France ont-ils besoin ? D’être représentés, au plus haut niveau, par des personnalités conciliant la double culture. Alors que Jean-Pierre Chevènement est pressenti pour diriger la Fondation pour les œuvres de l’islam de France, il est urgent de donner la parole aux hérauts d’un islam régénéré.
Faites confiance à l’islam des Lumières!, par Abdennour Bidar
Qui nommer à la tête de la Fondation pour les œuvres de l’islam de France ? La réponse dépend d’abord de la vocation que l’on souhaite donner à cette fondation. A quoi donc doit-elle servir ? Certes, il s’agira pour elle de prendre en charge des questions diverses parmi lesquelles les plus lourdes sont celles du financement du culte et de la formation des imams. Cela, tout le monde en convient. Mais le plus crucial est ailleurs et, pourtant, on semble ne pas s’en apercevoir… Les musulmans de France sont en mal d’identification, et ils ont besoin d’incarnation. Ce qui leur a fait défaut jusqu’ici, ce sont des personnalités et des institutions capables de donner de la culture musulmane une «grande image» fédératrice - l’image rayonnante de parcours de vie et de prises de position publiques qui expriment tout autant les héritages humanistes de l’islam que l’inscription plénière et sans réserve dans la République et ses valeurs.
N’existerait-il pas de citoyens, du côté musulman, qui puissent incarner cela et que l’on pourrait mettre en avant ? Certains cèdent encore à l’idée fausse que «l’islam de France est une abstraction» parce que «les musulmans sont trop divers pour être représentés, et pour que l’on en choisisse arbitrairement quelques-uns susceptibles de représenter tous les autres». Mais pour ne prendre que le dernier exemple en date, les 41 signataires de l’Appel des musulmans de France ne sont justement pas une abstraction, et leur diversité n’est pas une faiblesse mais une force ! Voudrait-on au contraire qu’ils se ressemblent tous pour entretenir le fantasme d’une «communauté musulmane» uniformisée sous le joug des mêmes représentations archaïques et des mêmes mœurs exogènes ?
Ces 41, dont je fais partie, sont en réalité - parmi une multitude d’autres - la preuve bien vivante que nous avons aujourd’hui parmi nous, en France, un nombre considérable de femmes et d’hommes qui concilient l’identité musulmane et l’identité française sans aucune difficulté ni contradiction mais de façon sereine, harmonieuse et féconde, c’est-à-dire d’une manière telle que les deux identités trouvent dans leur rencontre l’opportunité d’une expression nouvelle de leur génie respectif et d’un enrichissement réciproque. En chacun d’eux, et de façon singulière à chaque fois, la culture musulmane a accompli une véritable mutation, telle qu’ils ne sont pas ici les importateurs d’une civilisation étrangère mais des Françaises et des Français à part entière, riches d’une alchimie culturelle particulière et porteuse d’une individualité propre - voilà d’ailleurs ce dont la France est actuellement le formidable creuset, qui a une valeur immense et dont nous devrions tous être à la fois conscients et fiers pour notre pays.
Mais l’esprit chagrin continue de dominer… Je constate à ce sujet la persistance d’une forme d’incrédulité très étrange et dérangeante, en particulier chez nos élites : «Comment ? Que dites-vous ? Des musulmans républicains, des musulmans auxquels on peut faire confiance, des musulmans éclairés qui ne tiendraient pas de double discours, qui ne seraient pas restés inconsciemment antisémites, dogmatiques et misogynes, qui seraient tout aussi pleinement français que musulmans et qui seraient en plus assez forts et fiables intellectuellement pour participer à nos débats de société ?» J’ai entendu ces derniers temps avec beaucoup de peine tous ces scepticismes désolants, toutes ces suspicions atterrantes, larvées ou déclarées, sur l’honnêteté ou même le niveau moral et intellectuel de ceux qui s’engagent actuellement pour un islam éclairé. Alors je me permets de dire calmement à tous ces sceptiques de bien mesurer le risque et la responsabilité qu’ils prennent en persistant ainsi à ne pas faire confiance aux figures de l’islam des Lumières : si vous laissez passer l’occasion de nous donner les fonctions et positions d’autorité idoines, avec qui allez-vous discuter et contracter demain pour construire un islam de France ? Qui vous restera-t-il comme interlocuteur du côté musulman si vous refusez de voir et d’accepter le fait qu’il y a maintenant en France des élites musulmanes éclairées «capables», autrement dit et plus clairement assez compétentes et légitimes pour que d’autres ne prennent pas à leur place la direction de l’islam de France ?
J’y insiste tant le point me paraît décisif, l’heure est venue de faire entendre la voix - et d’investir de responsabilités majeures - des personnalités qui permettent à l’ensemble des musulmans de France de réaliser que deux choses sont parfaitement possibles : d’une part, le sentiment et le fait de l’appartenance simultanée aux deux cultures ; d’autre part, l’adhésion à une culture musulmane qui ne soit pas celle du traditionalisme ni du néoconservatisme. Voilà ce dont les musulmans de France ont besoin, voilà ce dont il serait très hasardeux, voire très périlleux, de les priver plus longtemps encore : une visibilité publique au plus haut niveau pour ce que j’appelle depuis des années avec quelques autres un islam des Lumières, complètement régénéré par l’élimination de tout ce qui dans la tradition est incompatible avec la liberté de conscience, l’égalité des sexes, la tolérance, la fraternité universelle, la non-violence et toutes les valeurs des droits de l’homme ; complètement régénéré, aussi, par le renouveau de la transmission de ses propres ressources historiques de sagesse et de spiritualité, notamment celles de la pensée libérée des dogmes (depuis Averroès jusqu’à Iqbal) et du soufisme - voie d’amour, de paix et connaissance de soi.
Sinon qu’arrivera-t-il, si on ne permet pas à cet islam des Lumières de s’incarner dans les institutions qui lui donneraient le rayonnement et l’autorité nécessaires ? On laissera coupablement les musulmans de France livrés toujours plus, et sans alternative, à l’emprise d’images de l’islam médiocres et nuisibles, portées déjà un peu partout sur Internet et dans la rue par une cohorte de prêcheurs traditionalistes et ignorants qui, chaque jour, distillent un véritable poison mental - à savoir les absurdités dangereuses qu’«entre être musulman et être français il faut choisir», ou bien que la civilisation et la foi de l’islam seraient «supérieures» au reste du monde, ou bien encore que la France devrait faire l’objet d’un ressentiment parce qu’elle «méprise l’islam et les musulmans».
Tant qu’on ne donnera pas à l’islam des Lumières la reconnaissance la plus haute dans la République, nous tous, Français, nous livrerons pieds et poings liés, impuissants donc, à la propagation de cet obscurantisme - terreau non seulement de toutes les sécessions identitaires mais aussi du radicalisme terroriste. Demander une telle reconnaissance officielle n’a rien d’exorbitant. Ce n’est ni réclamer un privilège ni manifester un opportunisme. C’est simplement attendre qu’on inscrive l’islam dans la grande tradition française de la dignification politique des forces vives de la société civile. II ne me semble pas qu’il faille être grand clerc pour comprendre tout cela… Et pourtant. Va-t-on manquer une nouvelle fois l’occasion ? Après l’échec du CFCM (le Conseil français du culte musulman) ? Après des années de tergiversation sur le serpent de mer du «mais qui pour représenter une religion sans clergé» et du «mais qui pour représenter une communauté si diverse» ?
Face à ces atermoiements, je le dis haut et fort en espérant être entendu : nous, musulmans qui vivons un islam des Lumières - dans tous nos engagements et notre conduite de vie quotidienne -, «nous existons» ! Nous ne sommes pas une «majorité silencieuse et introuvable». Nous existons dans toutes les composantes de la société française, à toutes ses échelles. Nous sommes là, éduqués, diplômés, aussi français, républicains et humanistes que nos pairs cultivés et engagés de tous bords… et que ceux qui persisteraient à vouloir nous donner telle ou telle leçon. Ou qui, pour des motifs que je préfère ignorer, ne voudraient pas qu’une telle élite musulmane voie le jour en France. Nous sommes entièrement prêts à prendre notre responsabilité - beaucoup parmi nous l’assument depuis longtemps. Nous sommes déterminés à ne pas laisser gagner un islam rétrograde. Nous sommes déterminés à offrir à la culture et à la société française tout l’apport des trésors de sens et d’éthique d’une culture musulmane que nous réinventons ici et maintenant de fond en comble à partir d’une inspiration non seulement française mais européenne !
Oui, nous existons, et il suffirait qu’on nous donne enfin l’occasion de nous exprimer dans une institution de niveau national pour que des millions de musulmans français s’identifient sans peine à leurs porte-parole ! En se sentant soudain eux-mêmes extraordinairement confortés, encouragés, exaltés dans leur propre conviction d’être tout autant français que musulmans - sans que cela ne soit deux parties séparées de leur identité mais l’expression d’un seul et même être au monde.
Pour toutes les raisons invoquées, le plus judicieux ne serait-il donc pas de nommer à la tête de la Fondation des œuvres pour l’islam de France un collège de personnalités (avec une présidence tournante) choisies parmi toutes celles et ceux qui sont les hérauts d’un islam des Lumières ?
Abdennour Bidar philosophe
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Re: Pourquoi l'islamisme monte-t-il en France et dans le monde ???
Tahar Ben Jelloun : "Le jihadisme fait un mal énorme aux musulmans"
Notre invité, Tahar Ben Jelloun, vient de publier "Le terrorisme expliqué à nos enfants" (Seuil). L’écrivain marocain, qui est entré au conseil d'administration de la Fondation de l'islam de France, revient sur le terrorisme islamiste et sur les attentats qui ont frappé la France, ainsi que sur la laïcité, la place des musulmans de France ou encore sur "l’histoire stupide" du burkini.
https://www.youtube.com/embed/ufDPXSRF4mE
Notre invité, Tahar Ben Jelloun, vient de publier "Le terrorisme expliqué à nos enfants" (Seuil). L’écrivain marocain, qui est entré au conseil d'administration de la Fondation de l'islam de France, revient sur le terrorisme islamiste et sur les attentats qui ont frappé la France, ainsi que sur la laïcité, la place des musulmans de France ou encore sur "l’histoire stupide" du burkini.
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