Le Coran ou la fabrication de l'incréé
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Le Coran ou la fabrication de l'incréé
Le Coran ou la fabrication de l'incréé
Histoire de la Fabrication-Falsification du Coran par les Califes : la preuve par les manuscrits" frameborder="0" allow="accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture; web-share" referrerpolicy="strict-origin-when-cross-origin" allowfullscreen>
Un artiste du Moyen Âge a sculpté sur le portail nord de la cathédrale de Chartres un personnage pensif : l’auteur du récit de la Genèse. Tout le monde sait depuis toujours que tous les ouvrages de la Bible hébraïque ont des « auteurs », même lorsqu’ils restent anonymes. Quand le nom en est donné dans les textes eux-mêmes, comme pour les prophètes, et même lorsque ceux-ci disent : « Oracle de Yahvé ! », ils se racontent aussi en disant « je » ; il y a des relais, des médiations ; il y a des noms d’hommes et de lieux, des événements situés en des temps donnés. Cela est vrai également pour les ouvrages du Nouveau Testament. Les spécialistes en toutes disciplines peuvent travailler, et le lecteur peut garder sa distance et se demander : « Qui agit ? qui parle ? à qui s’adresse-t-il ? quand ? pour qui ? pourquoi ?[1] Aristote, Poétique, 25, 1461a.[1] ».
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Dans le Coran, les choses sont différentes. Nous savons bien, en dépit des affirmations contraires, que ce livre, comme les autres, a des « auteurs », nous dirions aujourd’hui des rédacteurs –, et qu’il a une histoire. Mais cette histoire a abouti à un fait massif significatif de la manière dont le Coran est reçu par les musulmans – la moindre citation qu’ils en font est précédée par un : « Dieu Très-Haut a dit. » Pour connaître l’histoire de cette histoire, il est nécessaire de commencer par ce que disent les textes coraniques sur le Coran.
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« Nous l’avons fait descendre… »
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Qui parle dans le Coran ? Lorsqu’il s’agit du Coran lui-même – et, par voie de conséquence, de tout ce dont il parle – tout s’y organise autour d’un « Nous » de majesté. Le seul qui parle, c’est « Nous », Allah, qui avons fait descendre cette Écriture. Nous l’avons fait descendre sur toi ; Nous te l’avons inspirée – le récipiendaire est toujours anonyme. Nous l’avons fait descendre durant la Nuit de la destinée. Nous l’avons répartie pour que tu la récites aux gens sans te précipiter. À Nous appartient de la rassembler et de la réciter. Nous en avons bien détaché les mots et les phrases. Nous l’avons fait descendre en Coran arabe. Humains et djinns associés n’en peuvent point produire de semblable. Il provient de la Mère du Livre. C’est un Coran glorieux conservé sur une Table, auprès de « Nous », etc.
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Comme pour les dix commandements de la Loi de Moïse « inscrits du doigt de Dieu sur les Tables de pierre », selon le livre de l’Exode (31, 18), nous pourrions dire : dans le Coran, nous avons affaire, aussi, à un langage métaphorique et symbolique. Certes. Mais, outre que c’est nous qui disons cela en tant que lecteurs extérieurs, et non les exégètes ou le commun des musulmans, la question n’est pas là.
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Elle est dans l’envahissement total de l’activité et du champ de la proclamation et de la transmission du Coran par ce « Nous » souverain, qui ne donne une place à un autre qu’en lui ordonnant : Dis !, et en lui dictant à la lettre ce qu’il faut dire. Lorsque, dans un texte, apparaît un mode d’expression qui semble échapper à cet envahissement, les commentateurs autorisés, s’appuyant sur les traditions attribuées à Mahomet, les hadith, ont tôt fait d’y ramener les lecteurs. S’étant soumis eux-mêmes à la logique d’ensemble de l’écriture coranique, ils ont raison en ce sens que c’est bien là l’atmosphère constante et dominante dans laquelle son mode d’expression plonge le lecteur. Le caractère répétitif d’affirmations à la fois péremptoires et enveloppantes est plus efficace, pour justifier l’adhésion de celui qui veut croire, faire croire ou laisser croire, que tout raisonnement distancié sur la métaphore et le symbole.
Expression symbolique ou stratégie ?
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En effet, en examinant l’entourage textuel de chacune des affirmations concernant le Coran, on peut constater que, bien plus que d’une intention métaphorique ou symbolique, laquelle n’est pas exclue pour autant, ce mode d’expression procède d’une stratégie argumentative. Celle-ci vise à abolir chez l’auditeur ou le lecteur toute distanciation par rapport à ce qui est dit. Aucune narration ne vient jamais en fournir le contexte dans une situation donnée, ni n’évoque jamais, à une exception près (47, 2), un acteur humain qui soit nommé par son nom. Le seul à garder sa distance, c’est Allah qui sait ce que vous ne savez point. Quant au lecteur croyant, il ne peut éventuellement prendre du recul qu’avec crainte et tremblement, car, selon le texte lui-même, il a affaire à un Coran noble – Dans un Écrit caché – Ne le touchent que les purifiés – Descente (de la part) du Maître de l’Univers (56, 77-80).
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Enfin, dans la majorité des cas, les affirmations concernant la descente du Coran sont polémiques : Allah, directement ou en enjoignant à son messager de « dire », condescend, à rompre des lances avec les dénégateurs. Mais ceux-ci ne sont jamais explicitement nommés : Ils disent…, alors dis… ! Qui étaient ces « ils » ? Quand parlaient-ils ? Où étaient-ils ? À qui, même, s’adresse l’injonction : Dis ! Rien, dans le texte, ne permet au lecteur de le savoir. Il est alors tributaire d’opinions extérieures au Coran, véritable maquis de données contradictoires, promues au rang d’« interprétations » par les spécialistes des traditions de Mahomet, que les orientalistes appellent « traditionnistes ». Les commentateurs, en juxtaposant ces opinions, semblent aussi souvent dépassés que les lecteurs ordinaires par l’opacité savamment entretenue des textes coraniques. Mais cela ne les gêne pas outre mesure : de toute façon, Dieu Très-Haut n’a-t-il pas dit dans son Livre : Allah sait bien mieux ce qu’il fait descendre (16, 101) ? Le raisonnement reste circulaire : quelles qu’en furent les circonstances, les versets descendaient alors sur l’envoyé de Dieu, conférant au contenu des affirmations, à leur mode de proclamation, de transmission et enfin d’écriture, une force sacrale, allant, pour l’impression générale qu’elle provoque, bien au-delà de l’effet littéraire d’une expression métaphorique.
Entre les deux plats de la couverture
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Cependant, à un certain moment, il fallut bien descendre d’un cran. Dans le courant du viiie siècle, des récits commencèrent à circuler parmi les musulmans concernant ce qu’on appelait la collecte du Coran. Non que l’on mît en doute, au moins apparemment, que le Coran fût le Livre de Dieu. Mais on se demandait au moins par qui et comment avait été transmis et rassemblé ce qui était écrit entre les deux plats de la couverture du livre, selon une formule qui fera fortune plus tard. À partir de la fin du viiie siècle, et surtout au cours du ixe, de nombreuses informations sur ce sujet, attribuées à des informateurs divers, furent consignées par des compilateurs. Ceux-ci, à l’instar des maîtres juifs, commentateurs de la Tora, et pour garantir l’authenticité de ce qu’ils rapportaient, citaient en tête de chaque information le nom de l’informateur dont ils la tenaient, puis celui de l’informateur de l’informateur, et ainsi de suite en remontant le plus haut possible dans la suite des transmetteurs jusqu’à la source supposée initiale. Ce procédé était nommé l’isnad, « l’appui », que représentait la chaîne des garants. Il n’a cessé de poser, depuis toujours, de nombreux problèmes critiques sur lesquels je ne m’étendrai pas. Quant aux compilateurs, derrière cet appareil qui, avec le temps, deviendra une véritable langue de bois, ils se révèlent souvent des auteurs implicites passés maîtres dans l’art de sélectionner, d’agencer et d’orienter les éléments d’information qu’ils possèdent, à moins qu’ils ne se cantonnent dans de prudents silences. Ils avaient sans nul doute une intention historique. Ils voulaient donner un reflet de l’histoire vraie, mais ils canalisaient les données dont ils avaient connaissance en fonction des enjeux qu’ils pensaient avoir à préserver.
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Pour les traditionnistes du ixe siècle, en particulier, l’objectif était surtout de mettre en place, en la matière, une doctrine orthodoxe qui, par contrecoup, authentifierait comme venant du prophète les lois, les rites et la jurisprudence dont ils créaient ou organisaient les corpus, c’est-à-dire les recueils de hadith, en complément du Coran. Quant aux informateurs dont les historiographes citaient les propos, ils étaient surtout, et c’est ainsi qu’il convient de les considérer avant tout, les témoins d’un questionnement insistant sur différents points : qui étaient les gens qui avaient transmis les textes coraniques ? Quelle autorité garantissait que ceux-ci venaient bien du prophète ? Qui les avait composés par écrit ? Pourquoi y avait-il des différences dans les collections qui circulaient ? En fonction de quoi la répartition des textes avait-elle été effectuée ? Enfin, compte tenu de leur fonction à la fois législative, rituelle et liturgique, comment devait-on les comprendre, les lire et les réciter étant donné les incertitudes d’une graphie arabe défective, c’est-à-dire sans points diacritiques permettant de distinguer les lettres de même forme graphique, et sans signes vocaliques permettant de distinguer la fonction syntaxique d’un mot dans une phrase ?
Boukhari : la fabrication d’une version canonique
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C’est à Boukhari, traditionniste et auteur d’un grand recueil de hadith dont la composition se situe entre 850 et 870, date de sa mort, que nous devons une version synthétique de la collecte du Coran qui deviendra la base d’une sorte de catéchisme sur le sujet. Son principal souci, tel qu’il apparaît à travers l’agencement d’une sélection qu’il effectue dans une masse d’informations que nous connaissons par d’autres, est de dire que le Coran est le résultat d’une transmission littérale ininterrompue depuis ceux qui, ayant entendu le Coran de la bouche du prophète, l’avaient mémorisé, en passant par la collecte aboutissant à l’écriture réalisée par étapes sous l’autorité de ses successeurs immédiats, les califes Abou Bakr, Omar et Othman, les grands compagnons[2] Abou Bakr : 632-634 ; Omar : 634-644 ; Othman : 644-656. Avec...[2]. C’est là, en quelque sorte, l’isnad du Coran, son « appui ». Selon Boukhari, le travail de collecte et d’écriture est entrepris sous les deux premiers califes, Abou Bakr et Omar. Il en résulte un premier recueil, conservé confidentiellement par la fille du calife Omar, veuve du prophète ; on en reste là un certain temps. Puis, sur cette base, et, semble-t-il, dans l’urgence, le travail est réalisé définitivement, sous le califat d’Othman.
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Selon le récit unique sélectionné par Boukhari, l’urgence est de couper court aux variations importantes que l’on a constatées chez les hommes de troupe en territoires de conquête, dans leur manière de réciter le Coran – en quoi consiste ce Coran qui n’est pas encore un livre ? Rien n’en est dit. Voulant remédier à la situation, Othman décide de faire établir un texte officiel qui soit la référence écrite de toute récitation correcte.
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Ce texte est établi sous la responsabilité technique d’un scribe, Zaïd, un Médinois, assisté de trois notables mecquois chargés de vérifier que la langue en est bien celle de la tribu du prophète à La Mecque, les Qoraïch. Le calife Othman envoie des exemplaires du Coran officiel dans les grands centres des territoires de conquête, et il ordonne de détruire toute les autres collections. Boukhari ne parle de ces collections que de façon incidente, sans dire aucunement en quoi elles consistaient. En somme, on ne peut en parler qu’à partir du moment où elles n’existent plus.
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Cette synthèse orientée, résultat à la fois d’une sélection drastique et d’un habile « couper-coller », fera autorité, en dépit des autres informations qui continueront à circuler. On parle toujours aujourd’hui, de la « vulgate othmanienne », du « codex d’Othman », qui serait le Coran écrit tel que nous l’avons maintenant. Pour les musulmans croyants, c’est devenu presque un dogme. Pour les savants extérieurs, c’est devenu une désignation commode. Pour d’autres, c’est un langage diplomatique.
Un catéchisme débordé
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Pourtant, la version de Boukhari est débordée de toutes parts. Nous savons, à la fois par maints récits traditionnels d’un côté, par les études paléographiques modernes de l’autre, que l’introduction des points diacritiques et des voyelles syntaxiques dans la graphie coranique fut bien plus tardive que l’époque d’Othman, et même que l’époque dont on peut dater les plus anciens fragments coraniques manuscrits que nous possédons (fin du viie ou première moitié du viiie siècle). Ces derniers, en effet, ne comportent ni points diacritiques ni voyelles, et cette situation durera longtemps. Un codex officiel du temps d’Othman ne pouvait prétendre, à partir d’un texte réalisé dans une graphie tout aussi défective et incertaine, servir de référence pour garantir une lecture unique et une récitation correcte. Les collections qui furent détruites, si elles avaient existé, devaient donc contenir autre chose que de simples variations de prononciation, de lexique ou de syntaxe dues au caractère défectif de l’écriture.
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De plus, et en ce qui concerne précisément le recueil qui aurait été conservé par la fille d’Omar, il est dit que celle-ci ne fit que le prêter au calife Othman pour un temps limité. Ce n’était donc pas le Coran indéterminé qui, en Irak ou ailleurs, donnait lieu, dit-on, à tant de fautes de récitation. Ce recueil si jalousement gardé aurait d’ailleurs lui-même été détruit dès la mort de sa détentrice, en 665, sur la décision impérative du gouverneur de Médine, cousin germain d’Othman et futur calife, pour ne pas donner lieu à des contestations. Cette information, que Boukhari passe totalement sous silence, est des plus étranges, car pourquoi détruire ces feuillets s’ils avaient été à la base du codex d’Othman ?
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Enfin, le catéchisme de Boukhari est débordé de tous côtés par les autres compilations d’informations que nous avons en la matière. Je me limiterai ici à trois d’entre elles[3] Je laisse de côté le Livre des codex coraniques, de...[3].
Ibn Saad : un flou généralisé
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Ibn Saad (784-845), de Bagdad, auteur du Livre des grandes générations, est notre source première pour l’histoire de la transmission des traditions religieuses islamiques, histoire qu’il présente à travers les biographies des transmetteurs depuis les temps anciens jusqu’à son époque. Or, chez lui, l’histoire de la mise du Coran par écrit est floue, et la réalité d’une éventuelle collecte, incertaine. Il donne l’impression de ne vouloir aborder le problème de la mise par écrit que le moins possible. Rien n’est évoqué sur ce sujet pour le temps d’Abou Bakr, ni même, et c’est le plus curieux, pour le temps du calife Othman, ni, à plus forte raison, sur un rôle quelconque qu’aurait joué Zaïd, le scribe médinois mis en valeur par Boukhari. Pour Ibn Saad, Zaïd est un expert que l’on consulte en matière de droit ; il n’en dit rien d’autre. Quant au calife Omar, il aurait été le premier à entreprendre une collecte dans les feuilles ; mais son assassinat aurait coupé court à l’entreprise. C’est la seule fois où l’auteur parle de collecte dans les feuilles, donc de l’écrit. Habituellement, il entretient l’ambiguïté sur le terme collecte. Dans le langage des traditionnistes, en effet, le sens en est souvent subverti et interprété comme désignant une mémorisation complète du Coran transmis par la voie orale. En dépit de ce flou généralisé, Ibn Saad nous livre pourtant une information essentielle, concernant une époque plus tardive, et que j’analyserai plus loin.
Sayf et Ibn Chabba : les collections concurrentes
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Nous disposons encore de compilations d’informations effectuées sur le sujet par deux historiographes irakiens, Sayf ben Omar de Koufa (mort vers 786), auteur d’un Livre des conquêtes, et Ibn Chabba de Bassora (789-876), auteur d’une Histoire de Médine. Ni chez l’un ni chez l’autre il n’est question d’une première collecte qui aurait eu lieu au temps du premier successeur de Mahomet, le calife Abou Bakr. Mais, pour eux, il s’est bien passé quelque chose à Médine au temps du calife Othman. Les informations en sont nombreuses, voire foisonnantes, et c’est à partir de là que nous pouvons mesurer à quel point la version de Boukhari en constitue une sélection systématique. Limitons-nous ici à la question, récurrente chez l’un et l’autre de nos deux auteurs, des collections coraniques écrites concurrentes.
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Ces collections sont réalisées et circulent dans différents centres des territoires de conquête au Proche-Orient. C’est, chaque fois, un compagnon du prophète, le plus souvent très proche de lui, qui en a pris l’initiative, et qui est nommé par son nom et situé en un centre géographique donné : Damas et Homs en Syrie, Bassora et Koufa en Irak. Les variations qui existent entre les corpus ne sont pas dans la récitation d’un Coran unique que l’on prononcerait différemment. Ce sont les contenus mêmes qui en sont différents. Certaines choses existent chez les uns qui ne figurent pas chez les autres. On ajoute et on supprime. L’un de ces recueils a même une sorte de titre littéraire particulier. Les partisans respectifs de ces collections s’anathématisent les uns les autres. Et cela se passe dans un environnement de populations conquises qui ont leurs propres écritures, et qui revendiquent de connaître la Tora ou l’Évangile mieux que les partisans de la nouvelle religion.
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Tout cela donne à penser que le travail d’écriture battait son plein à l’époque de l’expansion militaire arabe au Proche-Orient, mais que Médine, la Ville du prophète, non seulement n’en était pas le pôle unique, mais encore n’en fut peut-être pas le premier pôle, qu’elle réagit tardivement et dans l’urgence, et qu’elle était débordée par les autres capitales du nouvel empire. Le Coran, c’était plusieurs livres, et toi tu les as réduits à un seul, tel est le reproche qui aurait été lancé au calife Othman par les insurgés venus d’Égypte et d’Irak en 656 en vue de l’assassiner… pour des raisons beaucoup plus prosaïques. Mais, étant donné l’insistance de nombreux récits sur la destruction de documents, à plusieurs reprises jusqu’à la fin du viie siècle, pour asseoir l’autorité d’un corpus unique, il est douteux que l’unification et l’officialisation de ce corpus aient pu avoir lieu à l’époque d’Othman.
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Un artiste du Moyen Âge a sculpté sur le portail nord de la cathédrale de Chartres un personnage pensif : l’auteur du récit de la Genèse. Tout le monde sait depuis toujours que tous les ouvrages de la Bible hébraïque ont des « auteurs », même lorsqu’ils restent anonymes. Quand le nom en est donné dans les textes eux-mêmes, comme pour les prophètes, et même lorsque ceux-ci disent : « Oracle de Yahvé ! », ils se racontent aussi en disant « je » ; il y a des relais, des médiations ; il y a des noms d’hommes et de lieux, des événements situés en des temps donnés. Cela est vrai également pour les ouvrages du Nouveau Testament. Les spécialistes en toutes disciplines peuvent travailler, et le lecteur peut garder sa distance et se demander : « Qui agit ? qui parle ? à qui s’adresse-t-il ? quand ? pour qui ? pourquoi ?[1] Aristote, Poétique, 25, 1461a.[1] ».
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Dans le Coran, les choses sont différentes. Nous savons bien, en dépit des affirmations contraires, que ce livre, comme les autres, a des « auteurs », nous dirions aujourd’hui des rédacteurs –, et qu’il a une histoire. Mais cette histoire a abouti à un fait massif significatif de la manière dont le Coran est reçu par les musulmans – la moindre citation qu’ils en font est précédée par un : « Dieu Très-Haut a dit. » Pour connaître l’histoire de cette histoire, il est nécessaire de commencer par ce que disent les textes coraniques sur le Coran.
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« Nous l’avons fait descendre… »
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Qui parle dans le Coran ? Lorsqu’il s’agit du Coran lui-même – et, par voie de conséquence, de tout ce dont il parle – tout s’y organise autour d’un « Nous » de majesté. Le seul qui parle, c’est « Nous », Allah, qui avons fait descendre cette Écriture. Nous l’avons fait descendre sur toi ; Nous te l’avons inspirée – le récipiendaire est toujours anonyme. Nous l’avons fait descendre durant la Nuit de la destinée. Nous l’avons répartie pour que tu la récites aux gens sans te précipiter. À Nous appartient de la rassembler et de la réciter. Nous en avons bien détaché les mots et les phrases. Nous l’avons fait descendre en Coran arabe. Humains et djinns associés n’en peuvent point produire de semblable. Il provient de la Mère du Livre. C’est un Coran glorieux conservé sur une Table, auprès de « Nous », etc.
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Comme pour les dix commandements de la Loi de Moïse « inscrits du doigt de Dieu sur les Tables de pierre », selon le livre de l’Exode (31, 18), nous pourrions dire : dans le Coran, nous avons affaire, aussi, à un langage métaphorique et symbolique. Certes. Mais, outre que c’est nous qui disons cela en tant que lecteurs extérieurs, et non les exégètes ou le commun des musulmans, la question n’est pas là.
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Elle est dans l’envahissement total de l’activité et du champ de la proclamation et de la transmission du Coran par ce « Nous » souverain, qui ne donne une place à un autre qu’en lui ordonnant : Dis !, et en lui dictant à la lettre ce qu’il faut dire. Lorsque, dans un texte, apparaît un mode d’expression qui semble échapper à cet envahissement, les commentateurs autorisés, s’appuyant sur les traditions attribuées à Mahomet, les hadith, ont tôt fait d’y ramener les lecteurs. S’étant soumis eux-mêmes à la logique d’ensemble de l’écriture coranique, ils ont raison en ce sens que c’est bien là l’atmosphère constante et dominante dans laquelle son mode d’expression plonge le lecteur. Le caractère répétitif d’affirmations à la fois péremptoires et enveloppantes est plus efficace, pour justifier l’adhésion de celui qui veut croire, faire croire ou laisser croire, que tout raisonnement distancié sur la métaphore et le symbole.
Expression symbolique ou stratégie ?
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En effet, en examinant l’entourage textuel de chacune des affirmations concernant le Coran, on peut constater que, bien plus que d’une intention métaphorique ou symbolique, laquelle n’est pas exclue pour autant, ce mode d’expression procède d’une stratégie argumentative. Celle-ci vise à abolir chez l’auditeur ou le lecteur toute distanciation par rapport à ce qui est dit. Aucune narration ne vient jamais en fournir le contexte dans une situation donnée, ni n’évoque jamais, à une exception près (47, 2), un acteur humain qui soit nommé par son nom. Le seul à garder sa distance, c’est Allah qui sait ce que vous ne savez point. Quant au lecteur croyant, il ne peut éventuellement prendre du recul qu’avec crainte et tremblement, car, selon le texte lui-même, il a affaire à un Coran noble – Dans un Écrit caché – Ne le touchent que les purifiés – Descente (de la part) du Maître de l’Univers (56, 77-80).
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Enfin, dans la majorité des cas, les affirmations concernant la descente du Coran sont polémiques : Allah, directement ou en enjoignant à son messager de « dire », condescend, à rompre des lances avec les dénégateurs. Mais ceux-ci ne sont jamais explicitement nommés : Ils disent…, alors dis… ! Qui étaient ces « ils » ? Quand parlaient-ils ? Où étaient-ils ? À qui, même, s’adresse l’injonction : Dis ! Rien, dans le texte, ne permet au lecteur de le savoir. Il est alors tributaire d’opinions extérieures au Coran, véritable maquis de données contradictoires, promues au rang d’« interprétations » par les spécialistes des traditions de Mahomet, que les orientalistes appellent « traditionnistes ». Les commentateurs, en juxtaposant ces opinions, semblent aussi souvent dépassés que les lecteurs ordinaires par l’opacité savamment entretenue des textes coraniques. Mais cela ne les gêne pas outre mesure : de toute façon, Dieu Très-Haut n’a-t-il pas dit dans son Livre : Allah sait bien mieux ce qu’il fait descendre (16, 101) ? Le raisonnement reste circulaire : quelles qu’en furent les circonstances, les versets descendaient alors sur l’envoyé de Dieu, conférant au contenu des affirmations, à leur mode de proclamation, de transmission et enfin d’écriture, une force sacrale, allant, pour l’impression générale qu’elle provoque, bien au-delà de l’effet littéraire d’une expression métaphorique.
Entre les deux plats de la couverture
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Cependant, à un certain moment, il fallut bien descendre d’un cran. Dans le courant du viiie siècle, des récits commencèrent à circuler parmi les musulmans concernant ce qu’on appelait la collecte du Coran. Non que l’on mît en doute, au moins apparemment, que le Coran fût le Livre de Dieu. Mais on se demandait au moins par qui et comment avait été transmis et rassemblé ce qui était écrit entre les deux plats de la couverture du livre, selon une formule qui fera fortune plus tard. À partir de la fin du viiie siècle, et surtout au cours du ixe, de nombreuses informations sur ce sujet, attribuées à des informateurs divers, furent consignées par des compilateurs. Ceux-ci, à l’instar des maîtres juifs, commentateurs de la Tora, et pour garantir l’authenticité de ce qu’ils rapportaient, citaient en tête de chaque information le nom de l’informateur dont ils la tenaient, puis celui de l’informateur de l’informateur, et ainsi de suite en remontant le plus haut possible dans la suite des transmetteurs jusqu’à la source supposée initiale. Ce procédé était nommé l’isnad, « l’appui », que représentait la chaîne des garants. Il n’a cessé de poser, depuis toujours, de nombreux problèmes critiques sur lesquels je ne m’étendrai pas. Quant aux compilateurs, derrière cet appareil qui, avec le temps, deviendra une véritable langue de bois, ils se révèlent souvent des auteurs implicites passés maîtres dans l’art de sélectionner, d’agencer et d’orienter les éléments d’information qu’ils possèdent, à moins qu’ils ne se cantonnent dans de prudents silences. Ils avaient sans nul doute une intention historique. Ils voulaient donner un reflet de l’histoire vraie, mais ils canalisaient les données dont ils avaient connaissance en fonction des enjeux qu’ils pensaient avoir à préserver.
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Pour les traditionnistes du ixe siècle, en particulier, l’objectif était surtout de mettre en place, en la matière, une doctrine orthodoxe qui, par contrecoup, authentifierait comme venant du prophète les lois, les rites et la jurisprudence dont ils créaient ou organisaient les corpus, c’est-à-dire les recueils de hadith, en complément du Coran. Quant aux informateurs dont les historiographes citaient les propos, ils étaient surtout, et c’est ainsi qu’il convient de les considérer avant tout, les témoins d’un questionnement insistant sur différents points : qui étaient les gens qui avaient transmis les textes coraniques ? Quelle autorité garantissait que ceux-ci venaient bien du prophète ? Qui les avait composés par écrit ? Pourquoi y avait-il des différences dans les collections qui circulaient ? En fonction de quoi la répartition des textes avait-elle été effectuée ? Enfin, compte tenu de leur fonction à la fois législative, rituelle et liturgique, comment devait-on les comprendre, les lire et les réciter étant donné les incertitudes d’une graphie arabe défective, c’est-à-dire sans points diacritiques permettant de distinguer les lettres de même forme graphique, et sans signes vocaliques permettant de distinguer la fonction syntaxique d’un mot dans une phrase ?
Boukhari : la fabrication d’une version canonique
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C’est à Boukhari, traditionniste et auteur d’un grand recueil de hadith dont la composition se situe entre 850 et 870, date de sa mort, que nous devons une version synthétique de la collecte du Coran qui deviendra la base d’une sorte de catéchisme sur le sujet. Son principal souci, tel qu’il apparaît à travers l’agencement d’une sélection qu’il effectue dans une masse d’informations que nous connaissons par d’autres, est de dire que le Coran est le résultat d’une transmission littérale ininterrompue depuis ceux qui, ayant entendu le Coran de la bouche du prophète, l’avaient mémorisé, en passant par la collecte aboutissant à l’écriture réalisée par étapes sous l’autorité de ses successeurs immédiats, les califes Abou Bakr, Omar et Othman, les grands compagnons[2] Abou Bakr : 632-634 ; Omar : 634-644 ; Othman : 644-656. Avec...[2]. C’est là, en quelque sorte, l’isnad du Coran, son « appui ». Selon Boukhari, le travail de collecte et d’écriture est entrepris sous les deux premiers califes, Abou Bakr et Omar. Il en résulte un premier recueil, conservé confidentiellement par la fille du calife Omar, veuve du prophète ; on en reste là un certain temps. Puis, sur cette base, et, semble-t-il, dans l’urgence, le travail est réalisé définitivement, sous le califat d’Othman.
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Selon le récit unique sélectionné par Boukhari, l’urgence est de couper court aux variations importantes que l’on a constatées chez les hommes de troupe en territoires de conquête, dans leur manière de réciter le Coran – en quoi consiste ce Coran qui n’est pas encore un livre ? Rien n’en est dit. Voulant remédier à la situation, Othman décide de faire établir un texte officiel qui soit la référence écrite de toute récitation correcte.
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Ce texte est établi sous la responsabilité technique d’un scribe, Zaïd, un Médinois, assisté de trois notables mecquois chargés de vérifier que la langue en est bien celle de la tribu du prophète à La Mecque, les Qoraïch. Le calife Othman envoie des exemplaires du Coran officiel dans les grands centres des territoires de conquête, et il ordonne de détruire toute les autres collections. Boukhari ne parle de ces collections que de façon incidente, sans dire aucunement en quoi elles consistaient. En somme, on ne peut en parler qu’à partir du moment où elles n’existent plus.
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Cette synthèse orientée, résultat à la fois d’une sélection drastique et d’un habile « couper-coller », fera autorité, en dépit des autres informations qui continueront à circuler. On parle toujours aujourd’hui, de la « vulgate othmanienne », du « codex d’Othman », qui serait le Coran écrit tel que nous l’avons maintenant. Pour les musulmans croyants, c’est devenu presque un dogme. Pour les savants extérieurs, c’est devenu une désignation commode. Pour d’autres, c’est un langage diplomatique.
Un catéchisme débordé
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Pourtant, la version de Boukhari est débordée de toutes parts. Nous savons, à la fois par maints récits traditionnels d’un côté, par les études paléographiques modernes de l’autre, que l’introduction des points diacritiques et des voyelles syntaxiques dans la graphie coranique fut bien plus tardive que l’époque d’Othman, et même que l’époque dont on peut dater les plus anciens fragments coraniques manuscrits que nous possédons (fin du viie ou première moitié du viiie siècle). Ces derniers, en effet, ne comportent ni points diacritiques ni voyelles, et cette situation durera longtemps. Un codex officiel du temps d’Othman ne pouvait prétendre, à partir d’un texte réalisé dans une graphie tout aussi défective et incertaine, servir de référence pour garantir une lecture unique et une récitation correcte. Les collections qui furent détruites, si elles avaient existé, devaient donc contenir autre chose que de simples variations de prononciation, de lexique ou de syntaxe dues au caractère défectif de l’écriture.
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De plus, et en ce qui concerne précisément le recueil qui aurait été conservé par la fille d’Omar, il est dit que celle-ci ne fit que le prêter au calife Othman pour un temps limité. Ce n’était donc pas le Coran indéterminé qui, en Irak ou ailleurs, donnait lieu, dit-on, à tant de fautes de récitation. Ce recueil si jalousement gardé aurait d’ailleurs lui-même été détruit dès la mort de sa détentrice, en 665, sur la décision impérative du gouverneur de Médine, cousin germain d’Othman et futur calife, pour ne pas donner lieu à des contestations. Cette information, que Boukhari passe totalement sous silence, est des plus étranges, car pourquoi détruire ces feuillets s’ils avaient été à la base du codex d’Othman ?
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Enfin, le catéchisme de Boukhari est débordé de tous côtés par les autres compilations d’informations que nous avons en la matière. Je me limiterai ici à trois d’entre elles[3] Je laisse de côté le Livre des codex coraniques, de...[3].
Ibn Saad : un flou généralisé
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Ibn Saad (784-845), de Bagdad, auteur du Livre des grandes générations, est notre source première pour l’histoire de la transmission des traditions religieuses islamiques, histoire qu’il présente à travers les biographies des transmetteurs depuis les temps anciens jusqu’à son époque. Or, chez lui, l’histoire de la mise du Coran par écrit est floue, et la réalité d’une éventuelle collecte, incertaine. Il donne l’impression de ne vouloir aborder le problème de la mise par écrit que le moins possible. Rien n’est évoqué sur ce sujet pour le temps d’Abou Bakr, ni même, et c’est le plus curieux, pour le temps du calife Othman, ni, à plus forte raison, sur un rôle quelconque qu’aurait joué Zaïd, le scribe médinois mis en valeur par Boukhari. Pour Ibn Saad, Zaïd est un expert que l’on consulte en matière de droit ; il n’en dit rien d’autre. Quant au calife Omar, il aurait été le premier à entreprendre une collecte dans les feuilles ; mais son assassinat aurait coupé court à l’entreprise. C’est la seule fois où l’auteur parle de collecte dans les feuilles, donc de l’écrit. Habituellement, il entretient l’ambiguïté sur le terme collecte. Dans le langage des traditionnistes, en effet, le sens en est souvent subverti et interprété comme désignant une mémorisation complète du Coran transmis par la voie orale. En dépit de ce flou généralisé, Ibn Saad nous livre pourtant une information essentielle, concernant une époque plus tardive, et que j’analyserai plus loin.
Sayf et Ibn Chabba : les collections concurrentes
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Nous disposons encore de compilations d’informations effectuées sur le sujet par deux historiographes irakiens, Sayf ben Omar de Koufa (mort vers 786), auteur d’un Livre des conquêtes, et Ibn Chabba de Bassora (789-876), auteur d’une Histoire de Médine. Ni chez l’un ni chez l’autre il n’est question d’une première collecte qui aurait eu lieu au temps du premier successeur de Mahomet, le calife Abou Bakr. Mais, pour eux, il s’est bien passé quelque chose à Médine au temps du calife Othman. Les informations en sont nombreuses, voire foisonnantes, et c’est à partir de là que nous pouvons mesurer à quel point la version de Boukhari en constitue une sélection systématique. Limitons-nous ici à la question, récurrente chez l’un et l’autre de nos deux auteurs, des collections coraniques écrites concurrentes.
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Ces collections sont réalisées et circulent dans différents centres des territoires de conquête au Proche-Orient. C’est, chaque fois, un compagnon du prophète, le plus souvent très proche de lui, qui en a pris l’initiative, et qui est nommé par son nom et situé en un centre géographique donné : Damas et Homs en Syrie, Bassora et Koufa en Irak. Les variations qui existent entre les corpus ne sont pas dans la récitation d’un Coran unique que l’on prononcerait différemment. Ce sont les contenus mêmes qui en sont différents. Certaines choses existent chez les uns qui ne figurent pas chez les autres. On ajoute et on supprime. L’un de ces recueils a même une sorte de titre littéraire particulier. Les partisans respectifs de ces collections s’anathématisent les uns les autres. Et cela se passe dans un environnement de populations conquises qui ont leurs propres écritures, et qui revendiquent de connaître la Tora ou l’Évangile mieux que les partisans de la nouvelle religion.
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Tout cela donne à penser que le travail d’écriture battait son plein à l’époque de l’expansion militaire arabe au Proche-Orient, mais que Médine, la Ville du prophète, non seulement n’en était pas le pôle unique, mais encore n’en fut peut-être pas le premier pôle, qu’elle réagit tardivement et dans l’urgence, et qu’elle était débordée par les autres capitales du nouvel empire. Le Coran, c’était plusieurs livres, et toi tu les as réduits à un seul, tel est le reproche qui aurait été lancé au calife Othman par les insurgés venus d’Égypte et d’Irak en 656 en vue de l’assassiner… pour des raisons beaucoup plus prosaïques. Mais, étant donné l’insistance de nombreux récits sur la destruction de documents, à plusieurs reprises jusqu’à la fin du viie siècle, pour asseoir l’autorité d’un corpus unique, il est douteux que l’unification et l’officialisation de ce corpus aient pu avoir lieu à l’époque d’Othman.
Re: Le Coran ou la fabrication de l'incréé
Le premier Coran officiel
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Selon une personnalité de poids de la seconde moitié du viiie siècle, l’imam de Médine Malik ben Anas[4] Malik ben Anas (±706-796) fut à l’origine de l’une...[4], ce fut le gouverneur omeyyade Hajjaj ben Youssouf qui, le premier, envoya des exemplaires officiels du Coran dans les grands centres de l’Empire. Ceci revient à enlever au calife Othman la primeur d’une telle décision, et à dater cette officialisation de la fin du viie ou du début du viiie siècle. Hajjaj, en effet, fut, en tous les domaines, le pilier du règne du calife de Damas Abd el-Malik (685-705), au cours duquel furent réalisées, non seulement une nouvelle version du Coran, mais encore la construction du Dôme du Rocher à Jérusalem. Il est significatif que les premiers témoins datés de fragments d’écritures coraniques sont ceux qui figurent en mosaïques sur le pourtour intérieur de ce monument, dont l’inscription de fondation porte, avec le nom d’Abd el-Malik, la date de 72 de l’hégire (691-692 de notre ère).
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L’un des éléments externes les plus notables qui appuient ces données figure dans la biographie consacrée à Abd el-Malik par l’ouvrage d’Ibn Saad dont il a été question plus haut. Il s’agit d’un discours adressé par ce calife en l’année 695 aux gens de Médine, à l’occasion du pèlerinage rituel. Les Médinois, antérieurement à son règne, avaient été en rébellion ouverte contre les Omeyyades de Damas et avaient connu une répression impitoyable. Le grand massacre dont ils avaient été les victimes en 683 était dans toutes les mémoires. Abd el-Malik, en 695, prononce son discours alors qu’il a enfin triomphé du califat rival de La Mecque, dont Médine avait dépendu (683-692). Il est donc en position de force et peut jouer l’apaisement. Intransigeant sur le plan politique, il compose avec ses auditeurs médinois dans le domaine des textes religieux. Il laisse apparaître dans ses propos la part qu’il prend lui-même à ce domaine. Le point important pour notre sujet est qu’il évoque l’existence, à Médine, de deux corpus d’écritures distincts : d’un côté votre codex coranique, autour duquel Othman, vous a rassemblés, dit-il aux Médinois ; et, de l’autre, un corpus de prescriptions légales, qui provient de Zaïd, scribe expert et conseiller particulier d’Othman en la matière. Le calife apaise les Médinois en leur assurant qu’il serait tenu compte de l’un et de l’autre pour l’islam, et en honorant la mémoire du calife Othman qu’il ne désigne jamais autrement que par l’expression l’imam injustement traité, sans citer son nom personnel.
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On peut penser que de nombreux éléments du corpus coranique propre aux Médinois figurent dans le Coran actuel. Mais, faute d’un document existant de façon autonome, et compte tenu du caractère fragmentaire et dispersé des textes actuels, nous ne pouvons pas savoir lesquels, ni quelle était la configuration d’ensemble propre au codex médinois. Quant au corpus de prescriptions légales mis sous le nom de Zaïd, on peut faire l’hypothèse qu’un certain nombre d’éléments en furent sélectionnés pour figurer dans le Coran officiel au même titre que les éléments provenant du codex. Plusieurs historiens attribuent en effet au calife Abd el-Malik l’affirmation qu’il avait collecté le Coran un mois de ramadan. Enfin, selon d’autres sources, islamiques ou chrétiennes, rapportant les événements comme des faits bien connus, ce fut le gouverneur Hajjaj qui procéda à de nombreux aménagements textuels, puis qui envoya la nouvelle version du Coran dans les grandes villes de l’empire, et fit détruire toutes les collections antérieures, y compris le codex propre à Médine. Quant à la mise de l’opération d’unification du Coran définitif sous le label d’Othman, à la fois en tant que compagnon et successeur du prophète et en tant qu’ancêtre éponyme de la dynastie omeyyade se réclamant de son patronage, c’est un procédé d’attribution après coup bien connu ailleurs, et à propos duquel on ne s’émeut plus aujourd’hui.
Le regard extérieur
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À ces données provenant des sources islamiques vient s’ajouter le regard de deux témoins extérieurs. Il s’agit de deux écrits chrétiens du début du viiie siècle : d’une part, la discussion d’un moine anonyme d’Irak de langue syriaque avec un interlocuteur musulman, sous la forme littéraire d’un dialogue irénique ; d’autre part, le livre Des hérésies de Jean Damascène, Syrien de culture grecque et Père de l’Église ; dans ce livre, le chapitre sur « L’hérésie n° 100 », traite de la religion des Ismaélites, c’est-à-dire des Arabes descendants d’Ismaël. Le ton polémique de Jean, très habituel chez lui lorsqu’il pourfend n’importe laquelle des hérésies auxquelles il s’attaque, n’obère pourtant pas son témoignage sur les écrits de Mahomet qu’il décrit, car, avant de devenir moine, il avait été, à la suite de son père Sarjoun ben Mansour, fonctionnaire aux finances de l’État omeyyade entre 700 et 705, c’est-à-dire dans les dernières années du règne d’Abd el-Malik, et il semble bien connaître ce dont il parle.
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La manière dont chacun des deux témoins, sans aucune connexion entre eux, parle des écrits du prophète qu’il connaît indique de façon concordante que le corpus coranique, à leur époque, n’était pas encore stabilisé dans sa structure définitive et dans son contenu même. Le moine irakien parle d’un Coran – Quran –, à côté d’autres écrits distincts de lui, parmi lesquels on reconnaît, par son intitulé La Génisse, le titre d’une sourate qui fait maintenant partie du corpus définitif (la sourate 2). La discussion porte précisément sur des prescriptions légales qui ne figurent pas dans le Quran, mais qui se trouvent, entre autres, dans cet écrit de La Génisse, lequel est évoqué comme nettement distinct du Quran.
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Nous retrouvons chez Jean Damascène la même distinction entre un Biblos de Mahomet, d’un côté, et, de l’autre, des écrits divers, nantis de titres particuliers, notamment l’écrit de La Génisse, mais aussi l’écrit de La Chamelle de Dieu, qui ne correspond à aucun titre actuel de sourate ; le contenu qu’il évoque pour ce dernier se trouve, pour une part, actuellement dispersé en des endroits différents du Coran, une autre part ne figurant plus que dans des commentaires ultérieurs. Cela laisse penser qu’une opération de sélection dans un ensemble d’écrits encore en chantier, puis une mise au point dans un corpus coranique final, furent effectuées postérieurement à ce qu’en avait connu Jean lorsqu’il était fonctionnaire omeyyade.
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En somme, ces deux témoins extérieurs rejoignent ce qu’indiquait déjà le discours d’Abd el-Malik aux gens de Médine dont j’ai parlé plus haut.
Coran créé ou incréé
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Ce fut à Bagdad, dans la première moitié du ixe siècle, qu’éclata la controverse autour de la nature du Coran : était-il créé ou incréé ? Du questionnement sur l’histoire du texte, le problème se déplaçait et abordait le domaine spéculatif à partir de notions philosophico-théologiques. C’était le temps où le calife abbasside Ma’moun, à Bagdad, donnait une impulsion vigoureuse à la grande bibliothèque impériale appelée Maison de la Sagesse. Cette institution rassemblait surtout des ouvrages de philosophie et de sciences hérités de l’Antiquité grecque, persane ou indienne, qui avaient été traduits en arabe par des voies diverses, et elle était ouverte à l’élite intellectuelle et aux savants.
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Ce fut dans ce contexte intellectuel marqué par le développement des sciences dites « rationnelles » (philosophie, médecine, astronomie, etc.) que se développa le courant appelé « mu’tazilite ». Le discours mu’tazilite, utilisant les concepts philosophiques ambiants, les mettait au service d’une apologétique religieuse dirigée non seulement contre les adversaires extérieurs de l’islam, mais encore contre différents courants propres au monde intellectuel et politique musulman. Opposant l’exercice de la raison individuelle à la soumission à des traditions orales transmises et comprises littéralement, les mu’tazilites méprisaient les traditionnistes, qu’ils qualifiaient de discoureurs oiseux. Tout cela s’accordait avec l’intérêt éprouvé par le calife Ma’moun pour les sciences nouvelles, et avec sa politique générale en tant que prince soucieux de défendre l’unité de son empire contre les mouvements centrifuges, et d’en conforter les bases religieuses, dont il se voulait, en tant que calife, le seul garant.
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Les mu’tazilites défendaient la thèse selon laquelle le Coran était créé par Dieu, et non éternel comme lui. La controverse était liée au problème des attributs de Dieu (sa parole, sa science, sa puissance, etc.) et à la question de savoir si ces attributs sont de véritables substances, des entités éternelles, comme Dieu lui-même, ou de simples qualifications que l’on ne pouvait ni dissocier de lui, ni envisager de façon anthropomorphique. Selon les mu’tazilites, attribuer à Dieu une parole éternelle, c’est postuler un éternel à côté et distinct de lui, et donc se rendre coupable de lui associer un autre être, alors que le premier principe à défendre est celui de l’unicité absolue de Dieu, affirmée contre la conception d’une sorte de Logos hypostasié distinct de Dieu. Dieu est « parlant », il produit, donc crée sa parole. À plus forte raison le Coran, simple substrat matériel, lettres mises en ordre, et sons fragmentés, selon leur expression, est-il le résultat d’une création, et n’a pas l’attribut de l’éternité.
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Les traditionnistes, qui n’ignoraient pas les enjeux intellectuels et religieux de ce langage, évoluaient dans un univers mental radicalement différent de celui des sciences rationnelles étrangères et intruses, comme ils les qualifieront. Nous ne voulons savoir rien d’autre que ce que Dieu lui-même a dit dans son Livre, et, à sa suite, les Saints Anciens, répliquaient-ils donc : le Coran est littéralement Parole de Dieu. Il est donc éternel, et incréé ; et, ajoutaient les plus ardents, est incréé même ce qui se trouve écrit entre les deux plats de la couverture du livre, c’est-à-dire les exemplaires écrits du Coran, avec les lettres, l’encre et le papier. Même la récitation quotidienne du texte par les croyants n’est pas distincte de la parole de Dieu éternelle et incréée. Chose curieuse, c’étaient les traditionnistes qui, en somme, postulaient l’existence d’une sorte de Logos éternel auprès de Dieu, le Coran.
L’inquisition au service de la raison raisonnante
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Le calife Ma’moun, mû par ses propres tendances intellectuelles et par ses sympathies mu’tazilites, et voulant, de plus, combattre l’influence des traditionnistes sur un peuple ignorant, intervint en promoteur de la doctrine du Coran créé. Ses motivations et justifications intellectuelles et politiques apparaissent, clairement exprimées, dans les lettres successives qu’il écrivit au cours de l’année 833 au préfet de police de Bagdad. En conséquence de quoi il ordonnait à celui-ci de soumettre chacun des juges et des hauts fonctionnaires à une inquisition très serrée en la matière : examen doctrinal, signature devant témoins d’un document attestant son adhésion à la doctrine du Coran créé, surveillance étroite de son comportement ultérieur pour s’assurer de sa sincérité et de son obéissance. Enfin, il ordonnait chaque fois au préfet de police de lui envoyer son rapport sur les opérations inquisitoriales effectuées[5] Tabarî, Annales, année 218 (833). L’historien Tabarî...[5].
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Les traditionnistes furent soumis au même examen. Devant la perspective de se voir interdits d’enseignement et de fatwa, ou devant les menaces d’incarcération et de châtiments par le sabre ou la flagellation, s’ils n’adhéraient pas explicitement à la doctrine officielle, le nombre des récalcitrants se réduisit bientôt à quelques individus, dont le célèbre Ahmad ibn Hanbal. Celui-ci fut emprisonné peu avant la mort de Ma’moun, cette même année 833. Ayant subi la flagellation sous son successeur, il se serait finalement laissé convaincre de dire, au moins de façon formelle, ce que le calife ordonnait de dire[6] Selon la version de l’historien de tendance chiite...[6]. Les deux califes successeurs de Ma’moun, en effet, avaient poursuivi à ce sujet la même politique. Une tentative d’insurrection menée en 845 par un disciple d’Ibn Hanbal fut rapidement étouffée ; son leader fut décapité, le cadavre restant suspendu à un gibet plusieurs années.
Repères chronologiques (ère commune / ère hégirienne)
622 / 1 622-632 / 1-11 632-634 / 11-13 634-644 / 13-23 644-656 / 23-35 656-661 / 35-40 661-680 / 41-60 680-683 / 60-63 683-692 / 64-73 684-685 / 64-65 685-705 / 65-86 705-715 / 86-96 724-743 / 105-125 716 / 98 749-750 / 132 754-775 / 136-158 786-809 / 170-193 813-833 / 198-218 entre 833 et 847 / 218 et 232 847-861 / 232-247 entre 850 et 900 / 236 et 286 entre 900 et 935 / 288 et 323 991-1031 / 381-422 1031-1075/ 422-467 Hégire à Yathrib (future Médine), au Hedjaz (Arabie occidentale). Mahomet, ses compagnons, et les tribus qui le reconnaissent comme prophète. Charte et pactes de Yathrib. Abou Bakr, premier successeur de Mahomet. Répression des révoltes et conquêtes dans la péninsule arabe. Expédition et victoire de Gaza sur les Byzantins (634 / 12). Omar, deuxième successeur de Mahomet. Conquêtes extérieures : victoire du Yarmouk en Palestine ; occupation de Damas (636 / 15) ; chute de Ctésiphon, capitale perse en Irak ; fondation de Bassora (637 / 16) et de Koufa (638 / 17) en Irak ; reddition d’Aelia [Jérusalem] (638 / 17) ; campagne et occupation de la Perse occidentale (639-642 / 18-21) ; campagne d’Égypte (639-642 / 18-22) ; fondation de Fustat (= Vieux-Caire, 643 / 22). Assassinat d’Omar (644 / 23). Othman, troisième successeur de Mahomet. Poursuite des conquêtes (Alexandrie 646 / 25), Arménie (645-646 / 25), Perse orientale (651 / 30). Assassinat d’Othman (656 / 35). Ali, quatrième successeur de Mahomet. Première guerre civile (Fitna). Sécession de Mu’awiya, gouverneur de Damas (657 / 36-37). Naissance de schismes politico-religieux. Assassinat d’Ali à Koufa (661 / 40). Mu’awiya, premier calife omeyyade. Répression des partisans légitimistes d’Ali et de sa famille. Siège de Constantinople (668-673 / 47-53). Débuts de la conquête du Maghreb :
fondation de Kairouan (670 / 50) ; prise de Carthage (679 / 58). Califat de Yazid, fils de Mu’awiya. Défaite et mort de Hussein, fils d’Ali, et de ses partisans à Karbala en Irak (689 / 61). Naissance du chiisme. Répression de la révolte anti-omeyyade à Médine (683 / 63). Deuxième guerre civile (Fitna) : Ibn Zubayr, calife anti-omeyyade dans le Hedjaz (La Mecque, Médine) et au Yémen (Sanaa). Marwan, calife omeyyade de Damas. Califat d’Abd el-Malik, fils de Marwan, à Damas. Répression des mouvements dissidents. Prise de La Mecque par le gouverneur Hajjaj ben Youssef et mort d’Ibn Zubayr (692 / 73). Fondation du Dôme du Rocher à Jérusalem (692-693 / 72). Instauration d’une monnaie proprement arabe et islamique (696 / 77). Début de l’arabisation et de l’islamisation de l’administration. Califat d’Al-Walid Ier, fils d’Abd el-Malik. Conquête de l’Espagne (à partir de 711 / 92). Fondation de la grande mosquée des Omeyyades à Damas sur l’emplacement de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste. Califat de Hicham, fils d’Abd el-Malik. Début du mouvement abbasside pour la conquête du pouvoir califal, à partir du Khorasan (Iran oriental).
Abou al-Abbas, premier calife abbasside en Irak. Défaite et massacre des Omeyyades. Califat d’Al-Mansour, deuxième calife abbasside. Abd al-Rahman, émir omeyyade réfugié au Maghreb puis en Andalousie, fonde l’émirat omeyyade de Cordoue (756 / 138). Fondation de Bagdad, capitale abbasside (762 / 144-145). Travail de collecte plus ou moins systématique de traditions attribuées au prophète et à ses compagnons. Califat de Haroun al-Rachid. Essor du mouvement de traduction en arabe des ouvrages philosophiques et scientifiques, grecs notamment. Constitution des premiers corpus organisés de traditions du prophète de l’islam par les traditionnistes, spécialistes des hadith. Califat de Ma’moun. Essor de la « Maison de la sagesse », grande bibliothèque califale. Officialisation de la doctrine mu’tazilite du Coran créé ; inquisition (833 / 218). La même politique doctrinale et inquisitoriale se poursuit sous les deux successeurs de Ma’moun. Califat de Moutawakkil. Rupture avec la politique doctrinale antérieure. Condamnation de la doctrine du Coran créé. Constitution des six grands corpus canoniques de traditions attribuées au prophète de l’islam (hadith).
Mise au point définitive par un corps de spécialistes, et officialisation par le pouvoir califal, de sept « lectures » autorisées d’un corpus coranique unifié et unique ; proscription de recensions coraniques concurrentes encore en circulation. Califat d’Al-Qadir. Consécration officielle de la doctrine du Coran incréé : lecture du manifeste officiel dit Qadiriyya, condamnant les thèses contraires (1018-1019 / 409). Califat d’Al-Qa’im. Nouvelle lecture solennelle de la Qadiriyya (1042 / 433).
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Ce fut en 851 que le calife Mutawakkil rompit avec la politique de ses prédécesseurs sur la question du Coran. Cette affaire, s’ajoutant à d’autres, était dangereuse pour sa politique intérieure. Le peuple prenait tumultueusement parti pour le Coran incréé et pour les traditionnistes. Le calife ordonna la restitution du corps de l’ancien insurgé disciple d’Ibn Hanbal à sa famille, et rechercha la caution morale d’Ibn Hanbal lui-même. Remettant en honneur les traditionnistes, il leur créa des centres d’enseignement, révoqua les juges et les gouverneurs qui avaient mené l’inquisition antérieure, fit condamner les thèses mu’tazilites, et, à son tour, persécuta les récalcitrants. Enfin, il interdit l’enseignement de la théologie dogmatique[7] Tabarî, Annales, année 237 (851-852).[7].
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Les traditionnistes les plus stricts eurent donc le dernier mot sur la question du Coran incréé. Cette question devint même, dans leur milieu, une sorte de pierre de touche de la pensée orthodoxe, quand elle ne fut pas prise comme prétexte tortueux pour se débarrasser d’un collègue. C’est de l’époque du calife Mutawakkil et de ses successeurs que datent les plus importants corpus de hadith qui feront désormais autorité et deviendront, avec le Coran, la base du dogme et de la loi de l’islam.
Compromis intellectuels et doctrine officielle
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Le mu’tazilisme ne disparut pas pour autant, et son influence subsista durant longtemps. Quant à la réflexion théologique dans le cadre du sunnisme, elle était désormais solidement encadrée par le pouvoir et les gens des hadith. Le courant de pensée issu d’Ach’ari (± 873-935), un transfuge du mu’tazilisme rallié à la doctrine d’Ibn Hanbal, tenta une sorte de compromis qui fit école. Selon un écrit se situant dans ce courant, le Coran, Parole de Dieu incréée, n’est pas Lui et n’est pas autre que Lui, mais réellement Son attribut, écrit sur les feuillets, récité par les langues, conservé dans les cœurs, mais n’y résidant pas. L’encre, l’écriture, le papier, sont créés, ce sont des œuvres humaines. La Parole de Dieu est incréée, et l’écriture, les lettres, les mots et les versets manifestent le Coran pour répondre aux besoins des hommes… Quiconque dit que la Parole de Dieu Très Haut est créée est impie au regard de Dieu […][8] Texte traduit par Louis Gardet, Encyclopédie de l’Islam,...[8]. Ce genre de compromis fut toujours combattu par les tenants de la tradition sunnite stricte, notamment par le courant traditionaliste militant issu d’Ibn Hanbal, dont les prolongements dans le wahhabisme et le mouvement réformiste modernes sont connus.
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Le dogme du Coran incréé reçut sa consécration califale officielle et définitive au début du xie siècle, dans un contexte de politique générale sur lequel je ne puis m’étendre ici. En 1018, Le calife abbasside Qadir (991-1031) fit donner solennellement, dans son palais à Bagdad, lecture d’un manifeste, la Qadiriyya, dans lequel il définissait, en face des différents courants qui se partageaient la communauté islamique, le credo officiel de l’État tel qu’Ibn Hanbal l’avait exprimé. La doctrine du Coran créé y était à nouveau condamnée en même temps que le mu’tazilisme et le chiisme, ainsi que la théologie dogmatique, même sous la forme du compromis doctrinal que lui avait donné Ach’ari. La lecture de ce manifeste fut réitérée non moins solennellement en 1042 par son successeur le calife Qa’im (1031-1075).
Deux univers séparés
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La question qui mérite d’être posée à l’issue de notre parcours est la suivante : y eut-il, à l’époque de la controverse, d’un côté chez les transmetteurs de traditions sur l’histoire du texte coranique, et, de l’autre, chez les théologiens spéculatifs traitant de la nature du Coran, un rapport explicite ou implicite entre les deux ordres de questionnement ?
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Du côté des théologiens spéculatifs, on peut remarquer que les mu’tazilites, tout en voulant tenir un discours rationnel en affirmant que le Coran écrit n’est qu’un substrat matériel créé par Dieu, ne font jamais allusion, dans leurs discussions, aux aléas de l’activité rédactionnelle humaine dont ce substrat fut le résultat ; le questionnement d’ordre historique semble donc absent, au moins, de leur argumentaire habituel, sinon de leur mode de réflexion. Pour eux, le texte est là, définitivement fixé et, en quelque sorte, consacré. Leur réflexion en la matière reste donc finalement circonscrite dans le même type d’argumentation scripturaire que celui des traditionnistes : les uns et les autres s’appuient sur le texte du Coran, les premiers pour affirmer qu’il est créé directement par Dieu, les seconds pour déclarer qu’il est incréé. Les mu’tazilites de l’époque furent des théologiens apologètes beaucoup plus que des philosophes rationalistes tels qu’on les présente parfois.
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Quant aux compilateurs de traditions sur l’histoire du texte, ils furent historiquement impliqués, mais de façons différentes, dans l’affaire du Coran créé : l’auteur du Livre des grandes générations, Ibn Saad, au temps du calife Ma’moun, ne semble pas avoir eu beaucoup de peine à se rallier à la thèse officielle du Coran créé[9] Tabarî, Annales, année 218 (833).[9]. Ibn Chabba, l’auteur de l’Histoire de Médine, soumis à examen par l’un des successeurs de Ma’moun, aurait, selon l’un de ses fidèles disciples, résisté à la pression califale. Boukhari lui-même aurait été l’objet de calomnies à ce sujet, dues à la jalousie d’ordre professionnel de l’un de ses collègues traditionnistes. Quoi qu’il en fût, ces trois auteurs faisaient partie d’un univers commun, celui des transmetteurs de traditions, fonctionnant intellectuellement à partir de critères relevant du droit positif et non de la spéculation rationnelle naturelle. Soucieux de valider la transmission des textes du Coran à partir du prophète, ils cherchaient la garantie que celui-ci était bien le Livre de Dieu en tant que fondement d’une Loi dont ils établissaient, dans le même temps, les sources et les critères de validité. Le débat qui les intéressait était avant tout de l’ordre de la légitimation et du droit, et la preuve garante de toute chose était d’ordre juridique. La réflexion et les controverses d’ordre philosophico-théologique, même s’ils en connaissaient les données, leur étaient finalement aussi étrangères et intruses que les sciences philosophiques qui avaient suscité ces questions chez les mu’tazilites. Tout cela marqua de son sceau l’orientation fondamentale et l’univers mental des sciences islamiques traditionnelles, en regard des sciences rationnelles d’origine étrangère, sinon en opposition avec elles. Les sciences rationnelles, devenues arabes, se développèrent et poursuivirent leur carrière de façon indépendante, parallèlement à l’activité intellectuelle des traditionnistes sunnites, sur lesquels, sauf exceptions ponctuelles notables, elles n’eurent finalement guère d’influence.
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Un certain nombre de penseurs musulmans modernes déplorent aujour-d’hui que le courant mu’tazilite ait été, par son dogmatisme et les intrusions du pouvoir politique, l’artisan de sa propre mort, et ils estiment que sa disparition fut le plus grand malheur qui ait frappé la pensée religieuse de l’islam. Certains autres manifestent le souci apologétique de laver les mu’tazilites de tout soupçon de collusion avec l’inquisition organisée par le pouvoir politique.
43
De toute manière, et bien que la question du Coran incréé ne soit plus d’actualité, au moins explicitement, dans la pensée musulmane contemporaine, les choses ne semblent guère avoir changé pour ce qui concerne la relation entre des sciences religieuses islamiques continuant à se mouvoir à l’intérieur d’un cercle fermé, et des disciplines intellectuelles étrangères et intruses d’un nouveau genre.
Notes
http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=MEDIU_003_0003#re1no1
[*]
Outre les titres d’ouvrages, les mots ou phrases mis en italiques sont soit des formulations coraniques, soit des termes et des expressions techniques ou typiques des ouvrages traditionnels.
[1]
Aristote, Poétique, 25, 1461a.
[2]
Abou Bakr : 632-634 ; Omar : 634-644 ; Othman : 644-656. Avec Ali (656-661), le dernier d’entre eux, ancêtre du chiisme, ils constituent ce que la tradition sunnite appelle « les califes bien dirigés » (par Dieu). Compagnon : quelqu’un qui a accompagné le prophète au cours de sa carrière d’une façon plus ou moins proche et qui a pu entendre de lui soit des proclamations prophétiques, soit des propos appelés hadith.
[3]
Je laisse de côté le Livre des codex coraniques, de Sijistani (844-929), dont l’analyse nous entraînerait trop loin.
[4]
Malik ben Anas (±706-796) fut à l’origine de l’une des quatre écoles de jurisprudence islamique officielles dans l’islam sunnite, essentiellement à partir des hadith.
[5]
Tabarî, Annales, année 218 (833). L’historien Tabarî écrivit ses Annales à Bagdad entre 870 et la date de sa mort, en 923.
[6]
Selon la version de l’historien de tendance chiite Ya’qubi (fin du ixe siècle), Histoire, chapitre sur le règne de Mu’tasim, Ibn Hanbal (Bagdad, 780-855), théologien, jurisconsulte et traditionniste, fut le fondateur de l’une des quatre écoles jurisprudentielles sunnites, et l’auteur d’un important corpus de hadith.
[7]
Tabarî, Annales, année 237 (851-852).
[8]
Texte traduit par Louis Gardet, Encyclopédie de l’Islam, Paris, Maisonneuve et Larose, 1985, IV, 491a in fine (article « Kalâm »).
[9]
Tabarî, Annales, année 218 (833).
Résumé
Français
Plan de l'article
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Selon une personnalité de poids de la seconde moitié du viiie siècle, l’imam de Médine Malik ben Anas[4] Malik ben Anas (±706-796) fut à l’origine de l’une...[4], ce fut le gouverneur omeyyade Hajjaj ben Youssouf qui, le premier, envoya des exemplaires officiels du Coran dans les grands centres de l’Empire. Ceci revient à enlever au calife Othman la primeur d’une telle décision, et à dater cette officialisation de la fin du viie ou du début du viiie siècle. Hajjaj, en effet, fut, en tous les domaines, le pilier du règne du calife de Damas Abd el-Malik (685-705), au cours duquel furent réalisées, non seulement une nouvelle version du Coran, mais encore la construction du Dôme du Rocher à Jérusalem. Il est significatif que les premiers témoins datés de fragments d’écritures coraniques sont ceux qui figurent en mosaïques sur le pourtour intérieur de ce monument, dont l’inscription de fondation porte, avec le nom d’Abd el-Malik, la date de 72 de l’hégire (691-692 de notre ère).
23
L’un des éléments externes les plus notables qui appuient ces données figure dans la biographie consacrée à Abd el-Malik par l’ouvrage d’Ibn Saad dont il a été question plus haut. Il s’agit d’un discours adressé par ce calife en l’année 695 aux gens de Médine, à l’occasion du pèlerinage rituel. Les Médinois, antérieurement à son règne, avaient été en rébellion ouverte contre les Omeyyades de Damas et avaient connu une répression impitoyable. Le grand massacre dont ils avaient été les victimes en 683 était dans toutes les mémoires. Abd el-Malik, en 695, prononce son discours alors qu’il a enfin triomphé du califat rival de La Mecque, dont Médine avait dépendu (683-692). Il est donc en position de force et peut jouer l’apaisement. Intransigeant sur le plan politique, il compose avec ses auditeurs médinois dans le domaine des textes religieux. Il laisse apparaître dans ses propos la part qu’il prend lui-même à ce domaine. Le point important pour notre sujet est qu’il évoque l’existence, à Médine, de deux corpus d’écritures distincts : d’un côté votre codex coranique, autour duquel Othman, vous a rassemblés, dit-il aux Médinois ; et, de l’autre, un corpus de prescriptions légales, qui provient de Zaïd, scribe expert et conseiller particulier d’Othman en la matière. Le calife apaise les Médinois en leur assurant qu’il serait tenu compte de l’un et de l’autre pour l’islam, et en honorant la mémoire du calife Othman qu’il ne désigne jamais autrement que par l’expression l’imam injustement traité, sans citer son nom personnel.
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On peut penser que de nombreux éléments du corpus coranique propre aux Médinois figurent dans le Coran actuel. Mais, faute d’un document existant de façon autonome, et compte tenu du caractère fragmentaire et dispersé des textes actuels, nous ne pouvons pas savoir lesquels, ni quelle était la configuration d’ensemble propre au codex médinois. Quant au corpus de prescriptions légales mis sous le nom de Zaïd, on peut faire l’hypothèse qu’un certain nombre d’éléments en furent sélectionnés pour figurer dans le Coran officiel au même titre que les éléments provenant du codex. Plusieurs historiens attribuent en effet au calife Abd el-Malik l’affirmation qu’il avait collecté le Coran un mois de ramadan. Enfin, selon d’autres sources, islamiques ou chrétiennes, rapportant les événements comme des faits bien connus, ce fut le gouverneur Hajjaj qui procéda à de nombreux aménagements textuels, puis qui envoya la nouvelle version du Coran dans les grandes villes de l’empire, et fit détruire toutes les collections antérieures, y compris le codex propre à Médine. Quant à la mise de l’opération d’unification du Coran définitif sous le label d’Othman, à la fois en tant que compagnon et successeur du prophète et en tant qu’ancêtre éponyme de la dynastie omeyyade se réclamant de son patronage, c’est un procédé d’attribution après coup bien connu ailleurs, et à propos duquel on ne s’émeut plus aujourd’hui.
Le regard extérieur
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À ces données provenant des sources islamiques vient s’ajouter le regard de deux témoins extérieurs. Il s’agit de deux écrits chrétiens du début du viiie siècle : d’une part, la discussion d’un moine anonyme d’Irak de langue syriaque avec un interlocuteur musulman, sous la forme littéraire d’un dialogue irénique ; d’autre part, le livre Des hérésies de Jean Damascène, Syrien de culture grecque et Père de l’Église ; dans ce livre, le chapitre sur « L’hérésie n° 100 », traite de la religion des Ismaélites, c’est-à-dire des Arabes descendants d’Ismaël. Le ton polémique de Jean, très habituel chez lui lorsqu’il pourfend n’importe laquelle des hérésies auxquelles il s’attaque, n’obère pourtant pas son témoignage sur les écrits de Mahomet qu’il décrit, car, avant de devenir moine, il avait été, à la suite de son père Sarjoun ben Mansour, fonctionnaire aux finances de l’État omeyyade entre 700 et 705, c’est-à-dire dans les dernières années du règne d’Abd el-Malik, et il semble bien connaître ce dont il parle.
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La manière dont chacun des deux témoins, sans aucune connexion entre eux, parle des écrits du prophète qu’il connaît indique de façon concordante que le corpus coranique, à leur époque, n’était pas encore stabilisé dans sa structure définitive et dans son contenu même. Le moine irakien parle d’un Coran – Quran –, à côté d’autres écrits distincts de lui, parmi lesquels on reconnaît, par son intitulé La Génisse, le titre d’une sourate qui fait maintenant partie du corpus définitif (la sourate 2). La discussion porte précisément sur des prescriptions légales qui ne figurent pas dans le Quran, mais qui se trouvent, entre autres, dans cet écrit de La Génisse, lequel est évoqué comme nettement distinct du Quran.
27
Nous retrouvons chez Jean Damascène la même distinction entre un Biblos de Mahomet, d’un côté, et, de l’autre, des écrits divers, nantis de titres particuliers, notamment l’écrit de La Génisse, mais aussi l’écrit de La Chamelle de Dieu, qui ne correspond à aucun titre actuel de sourate ; le contenu qu’il évoque pour ce dernier se trouve, pour une part, actuellement dispersé en des endroits différents du Coran, une autre part ne figurant plus que dans des commentaires ultérieurs. Cela laisse penser qu’une opération de sélection dans un ensemble d’écrits encore en chantier, puis une mise au point dans un corpus coranique final, furent effectuées postérieurement à ce qu’en avait connu Jean lorsqu’il était fonctionnaire omeyyade.
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En somme, ces deux témoins extérieurs rejoignent ce qu’indiquait déjà le discours d’Abd el-Malik aux gens de Médine dont j’ai parlé plus haut.
Coran créé ou incréé
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Ce fut à Bagdad, dans la première moitié du ixe siècle, qu’éclata la controverse autour de la nature du Coran : était-il créé ou incréé ? Du questionnement sur l’histoire du texte, le problème se déplaçait et abordait le domaine spéculatif à partir de notions philosophico-théologiques. C’était le temps où le calife abbasside Ma’moun, à Bagdad, donnait une impulsion vigoureuse à la grande bibliothèque impériale appelée Maison de la Sagesse. Cette institution rassemblait surtout des ouvrages de philosophie et de sciences hérités de l’Antiquité grecque, persane ou indienne, qui avaient été traduits en arabe par des voies diverses, et elle était ouverte à l’élite intellectuelle et aux savants.
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Ce fut dans ce contexte intellectuel marqué par le développement des sciences dites « rationnelles » (philosophie, médecine, astronomie, etc.) que se développa le courant appelé « mu’tazilite ». Le discours mu’tazilite, utilisant les concepts philosophiques ambiants, les mettait au service d’une apologétique religieuse dirigée non seulement contre les adversaires extérieurs de l’islam, mais encore contre différents courants propres au monde intellectuel et politique musulman. Opposant l’exercice de la raison individuelle à la soumission à des traditions orales transmises et comprises littéralement, les mu’tazilites méprisaient les traditionnistes, qu’ils qualifiaient de discoureurs oiseux. Tout cela s’accordait avec l’intérêt éprouvé par le calife Ma’moun pour les sciences nouvelles, et avec sa politique générale en tant que prince soucieux de défendre l’unité de son empire contre les mouvements centrifuges, et d’en conforter les bases religieuses, dont il se voulait, en tant que calife, le seul garant.
31
Les mu’tazilites défendaient la thèse selon laquelle le Coran était créé par Dieu, et non éternel comme lui. La controverse était liée au problème des attributs de Dieu (sa parole, sa science, sa puissance, etc.) et à la question de savoir si ces attributs sont de véritables substances, des entités éternelles, comme Dieu lui-même, ou de simples qualifications que l’on ne pouvait ni dissocier de lui, ni envisager de façon anthropomorphique. Selon les mu’tazilites, attribuer à Dieu une parole éternelle, c’est postuler un éternel à côté et distinct de lui, et donc se rendre coupable de lui associer un autre être, alors que le premier principe à défendre est celui de l’unicité absolue de Dieu, affirmée contre la conception d’une sorte de Logos hypostasié distinct de Dieu. Dieu est « parlant », il produit, donc crée sa parole. À plus forte raison le Coran, simple substrat matériel, lettres mises en ordre, et sons fragmentés, selon leur expression, est-il le résultat d’une création, et n’a pas l’attribut de l’éternité.
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Les traditionnistes, qui n’ignoraient pas les enjeux intellectuels et religieux de ce langage, évoluaient dans un univers mental radicalement différent de celui des sciences rationnelles étrangères et intruses, comme ils les qualifieront. Nous ne voulons savoir rien d’autre que ce que Dieu lui-même a dit dans son Livre, et, à sa suite, les Saints Anciens, répliquaient-ils donc : le Coran est littéralement Parole de Dieu. Il est donc éternel, et incréé ; et, ajoutaient les plus ardents, est incréé même ce qui se trouve écrit entre les deux plats de la couverture du livre, c’est-à-dire les exemplaires écrits du Coran, avec les lettres, l’encre et le papier. Même la récitation quotidienne du texte par les croyants n’est pas distincte de la parole de Dieu éternelle et incréée. Chose curieuse, c’étaient les traditionnistes qui, en somme, postulaient l’existence d’une sorte de Logos éternel auprès de Dieu, le Coran.
L’inquisition au service de la raison raisonnante
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Le calife Ma’moun, mû par ses propres tendances intellectuelles et par ses sympathies mu’tazilites, et voulant, de plus, combattre l’influence des traditionnistes sur un peuple ignorant, intervint en promoteur de la doctrine du Coran créé. Ses motivations et justifications intellectuelles et politiques apparaissent, clairement exprimées, dans les lettres successives qu’il écrivit au cours de l’année 833 au préfet de police de Bagdad. En conséquence de quoi il ordonnait à celui-ci de soumettre chacun des juges et des hauts fonctionnaires à une inquisition très serrée en la matière : examen doctrinal, signature devant témoins d’un document attestant son adhésion à la doctrine du Coran créé, surveillance étroite de son comportement ultérieur pour s’assurer de sa sincérité et de son obéissance. Enfin, il ordonnait chaque fois au préfet de police de lui envoyer son rapport sur les opérations inquisitoriales effectuées[5] Tabarî, Annales, année 218 (833). L’historien Tabarî...[5].
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Les traditionnistes furent soumis au même examen. Devant la perspective de se voir interdits d’enseignement et de fatwa, ou devant les menaces d’incarcération et de châtiments par le sabre ou la flagellation, s’ils n’adhéraient pas explicitement à la doctrine officielle, le nombre des récalcitrants se réduisit bientôt à quelques individus, dont le célèbre Ahmad ibn Hanbal. Celui-ci fut emprisonné peu avant la mort de Ma’moun, cette même année 833. Ayant subi la flagellation sous son successeur, il se serait finalement laissé convaincre de dire, au moins de façon formelle, ce que le calife ordonnait de dire[6] Selon la version de l’historien de tendance chiite...[6]. Les deux califes successeurs de Ma’moun, en effet, avaient poursuivi à ce sujet la même politique. Une tentative d’insurrection menée en 845 par un disciple d’Ibn Hanbal fut rapidement étouffée ; son leader fut décapité, le cadavre restant suspendu à un gibet plusieurs années.
Repères chronologiques (ère commune / ère hégirienne)
622 / 1 622-632 / 1-11 632-634 / 11-13 634-644 / 13-23 644-656 / 23-35 656-661 / 35-40 661-680 / 41-60 680-683 / 60-63 683-692 / 64-73 684-685 / 64-65 685-705 / 65-86 705-715 / 86-96 724-743 / 105-125 716 / 98 749-750 / 132 754-775 / 136-158 786-809 / 170-193 813-833 / 198-218 entre 833 et 847 / 218 et 232 847-861 / 232-247 entre 850 et 900 / 236 et 286 entre 900 et 935 / 288 et 323 991-1031 / 381-422 1031-1075/ 422-467 Hégire à Yathrib (future Médine), au Hedjaz (Arabie occidentale). Mahomet, ses compagnons, et les tribus qui le reconnaissent comme prophète. Charte et pactes de Yathrib. Abou Bakr, premier successeur de Mahomet. Répression des révoltes et conquêtes dans la péninsule arabe. Expédition et victoire de Gaza sur les Byzantins (634 / 12). Omar, deuxième successeur de Mahomet. Conquêtes extérieures : victoire du Yarmouk en Palestine ; occupation de Damas (636 / 15) ; chute de Ctésiphon, capitale perse en Irak ; fondation de Bassora (637 / 16) et de Koufa (638 / 17) en Irak ; reddition d’Aelia [Jérusalem] (638 / 17) ; campagne et occupation de la Perse occidentale (639-642 / 18-21) ; campagne d’Égypte (639-642 / 18-22) ; fondation de Fustat (= Vieux-Caire, 643 / 22). Assassinat d’Omar (644 / 23). Othman, troisième successeur de Mahomet. Poursuite des conquêtes (Alexandrie 646 / 25), Arménie (645-646 / 25), Perse orientale (651 / 30). Assassinat d’Othman (656 / 35). Ali, quatrième successeur de Mahomet. Première guerre civile (Fitna). Sécession de Mu’awiya, gouverneur de Damas (657 / 36-37). Naissance de schismes politico-religieux. Assassinat d’Ali à Koufa (661 / 40). Mu’awiya, premier calife omeyyade. Répression des partisans légitimistes d’Ali et de sa famille. Siège de Constantinople (668-673 / 47-53). Débuts de la conquête du Maghreb :
fondation de Kairouan (670 / 50) ; prise de Carthage (679 / 58). Califat de Yazid, fils de Mu’awiya. Défaite et mort de Hussein, fils d’Ali, et de ses partisans à Karbala en Irak (689 / 61). Naissance du chiisme. Répression de la révolte anti-omeyyade à Médine (683 / 63). Deuxième guerre civile (Fitna) : Ibn Zubayr, calife anti-omeyyade dans le Hedjaz (La Mecque, Médine) et au Yémen (Sanaa). Marwan, calife omeyyade de Damas. Califat d’Abd el-Malik, fils de Marwan, à Damas. Répression des mouvements dissidents. Prise de La Mecque par le gouverneur Hajjaj ben Youssef et mort d’Ibn Zubayr (692 / 73). Fondation du Dôme du Rocher à Jérusalem (692-693 / 72). Instauration d’une monnaie proprement arabe et islamique (696 / 77). Début de l’arabisation et de l’islamisation de l’administration. Califat d’Al-Walid Ier, fils d’Abd el-Malik. Conquête de l’Espagne (à partir de 711 / 92). Fondation de la grande mosquée des Omeyyades à Damas sur l’emplacement de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste. Califat de Hicham, fils d’Abd el-Malik. Début du mouvement abbasside pour la conquête du pouvoir califal, à partir du Khorasan (Iran oriental).
Abou al-Abbas, premier calife abbasside en Irak. Défaite et massacre des Omeyyades. Califat d’Al-Mansour, deuxième calife abbasside. Abd al-Rahman, émir omeyyade réfugié au Maghreb puis en Andalousie, fonde l’émirat omeyyade de Cordoue (756 / 138). Fondation de Bagdad, capitale abbasside (762 / 144-145). Travail de collecte plus ou moins systématique de traditions attribuées au prophète et à ses compagnons. Califat de Haroun al-Rachid. Essor du mouvement de traduction en arabe des ouvrages philosophiques et scientifiques, grecs notamment. Constitution des premiers corpus organisés de traditions du prophète de l’islam par les traditionnistes, spécialistes des hadith. Califat de Ma’moun. Essor de la « Maison de la sagesse », grande bibliothèque califale. Officialisation de la doctrine mu’tazilite du Coran créé ; inquisition (833 / 218). La même politique doctrinale et inquisitoriale se poursuit sous les deux successeurs de Ma’moun. Califat de Moutawakkil. Rupture avec la politique doctrinale antérieure. Condamnation de la doctrine du Coran créé. Constitution des six grands corpus canoniques de traditions attribuées au prophète de l’islam (hadith).
Mise au point définitive par un corps de spécialistes, et officialisation par le pouvoir califal, de sept « lectures » autorisées d’un corpus coranique unifié et unique ; proscription de recensions coraniques concurrentes encore en circulation. Califat d’Al-Qadir. Consécration officielle de la doctrine du Coran incréé : lecture du manifeste officiel dit Qadiriyya, condamnant les thèses contraires (1018-1019 / 409). Califat d’Al-Qa’im. Nouvelle lecture solennelle de la Qadiriyya (1042 / 433).
35
Ce fut en 851 que le calife Mutawakkil rompit avec la politique de ses prédécesseurs sur la question du Coran. Cette affaire, s’ajoutant à d’autres, était dangereuse pour sa politique intérieure. Le peuple prenait tumultueusement parti pour le Coran incréé et pour les traditionnistes. Le calife ordonna la restitution du corps de l’ancien insurgé disciple d’Ibn Hanbal à sa famille, et rechercha la caution morale d’Ibn Hanbal lui-même. Remettant en honneur les traditionnistes, il leur créa des centres d’enseignement, révoqua les juges et les gouverneurs qui avaient mené l’inquisition antérieure, fit condamner les thèses mu’tazilites, et, à son tour, persécuta les récalcitrants. Enfin, il interdit l’enseignement de la théologie dogmatique[7] Tabarî, Annales, année 237 (851-852).[7].
36
Les traditionnistes les plus stricts eurent donc le dernier mot sur la question du Coran incréé. Cette question devint même, dans leur milieu, une sorte de pierre de touche de la pensée orthodoxe, quand elle ne fut pas prise comme prétexte tortueux pour se débarrasser d’un collègue. C’est de l’époque du calife Mutawakkil et de ses successeurs que datent les plus importants corpus de hadith qui feront désormais autorité et deviendront, avec le Coran, la base du dogme et de la loi de l’islam.
Compromis intellectuels et doctrine officielle
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Le mu’tazilisme ne disparut pas pour autant, et son influence subsista durant longtemps. Quant à la réflexion théologique dans le cadre du sunnisme, elle était désormais solidement encadrée par le pouvoir et les gens des hadith. Le courant de pensée issu d’Ach’ari (± 873-935), un transfuge du mu’tazilisme rallié à la doctrine d’Ibn Hanbal, tenta une sorte de compromis qui fit école. Selon un écrit se situant dans ce courant, le Coran, Parole de Dieu incréée, n’est pas Lui et n’est pas autre que Lui, mais réellement Son attribut, écrit sur les feuillets, récité par les langues, conservé dans les cœurs, mais n’y résidant pas. L’encre, l’écriture, le papier, sont créés, ce sont des œuvres humaines. La Parole de Dieu est incréée, et l’écriture, les lettres, les mots et les versets manifestent le Coran pour répondre aux besoins des hommes… Quiconque dit que la Parole de Dieu Très Haut est créée est impie au regard de Dieu […][8] Texte traduit par Louis Gardet, Encyclopédie de l’Islam,...[8]. Ce genre de compromis fut toujours combattu par les tenants de la tradition sunnite stricte, notamment par le courant traditionaliste militant issu d’Ibn Hanbal, dont les prolongements dans le wahhabisme et le mouvement réformiste modernes sont connus.
38
Le dogme du Coran incréé reçut sa consécration califale officielle et définitive au début du xie siècle, dans un contexte de politique générale sur lequel je ne puis m’étendre ici. En 1018, Le calife abbasside Qadir (991-1031) fit donner solennellement, dans son palais à Bagdad, lecture d’un manifeste, la Qadiriyya, dans lequel il définissait, en face des différents courants qui se partageaient la communauté islamique, le credo officiel de l’État tel qu’Ibn Hanbal l’avait exprimé. La doctrine du Coran créé y était à nouveau condamnée en même temps que le mu’tazilisme et le chiisme, ainsi que la théologie dogmatique, même sous la forme du compromis doctrinal que lui avait donné Ach’ari. La lecture de ce manifeste fut réitérée non moins solennellement en 1042 par son successeur le calife Qa’im (1031-1075).
Deux univers séparés
39
La question qui mérite d’être posée à l’issue de notre parcours est la suivante : y eut-il, à l’époque de la controverse, d’un côté chez les transmetteurs de traditions sur l’histoire du texte coranique, et, de l’autre, chez les théologiens spéculatifs traitant de la nature du Coran, un rapport explicite ou implicite entre les deux ordres de questionnement ?
40
Du côté des théologiens spéculatifs, on peut remarquer que les mu’tazilites, tout en voulant tenir un discours rationnel en affirmant que le Coran écrit n’est qu’un substrat matériel créé par Dieu, ne font jamais allusion, dans leurs discussions, aux aléas de l’activité rédactionnelle humaine dont ce substrat fut le résultat ; le questionnement d’ordre historique semble donc absent, au moins, de leur argumentaire habituel, sinon de leur mode de réflexion. Pour eux, le texte est là, définitivement fixé et, en quelque sorte, consacré. Leur réflexion en la matière reste donc finalement circonscrite dans le même type d’argumentation scripturaire que celui des traditionnistes : les uns et les autres s’appuient sur le texte du Coran, les premiers pour affirmer qu’il est créé directement par Dieu, les seconds pour déclarer qu’il est incréé. Les mu’tazilites de l’époque furent des théologiens apologètes beaucoup plus que des philosophes rationalistes tels qu’on les présente parfois.
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Quant aux compilateurs de traditions sur l’histoire du texte, ils furent historiquement impliqués, mais de façons différentes, dans l’affaire du Coran créé : l’auteur du Livre des grandes générations, Ibn Saad, au temps du calife Ma’moun, ne semble pas avoir eu beaucoup de peine à se rallier à la thèse officielle du Coran créé[9] Tabarî, Annales, année 218 (833).[9]. Ibn Chabba, l’auteur de l’Histoire de Médine, soumis à examen par l’un des successeurs de Ma’moun, aurait, selon l’un de ses fidèles disciples, résisté à la pression califale. Boukhari lui-même aurait été l’objet de calomnies à ce sujet, dues à la jalousie d’ordre professionnel de l’un de ses collègues traditionnistes. Quoi qu’il en fût, ces trois auteurs faisaient partie d’un univers commun, celui des transmetteurs de traditions, fonctionnant intellectuellement à partir de critères relevant du droit positif et non de la spéculation rationnelle naturelle. Soucieux de valider la transmission des textes du Coran à partir du prophète, ils cherchaient la garantie que celui-ci était bien le Livre de Dieu en tant que fondement d’une Loi dont ils établissaient, dans le même temps, les sources et les critères de validité. Le débat qui les intéressait était avant tout de l’ordre de la légitimation et du droit, et la preuve garante de toute chose était d’ordre juridique. La réflexion et les controverses d’ordre philosophico-théologique, même s’ils en connaissaient les données, leur étaient finalement aussi étrangères et intruses que les sciences philosophiques qui avaient suscité ces questions chez les mu’tazilites. Tout cela marqua de son sceau l’orientation fondamentale et l’univers mental des sciences islamiques traditionnelles, en regard des sciences rationnelles d’origine étrangère, sinon en opposition avec elles. Les sciences rationnelles, devenues arabes, se développèrent et poursuivirent leur carrière de façon indépendante, parallèlement à l’activité intellectuelle des traditionnistes sunnites, sur lesquels, sauf exceptions ponctuelles notables, elles n’eurent finalement guère d’influence.
42
Un certain nombre de penseurs musulmans modernes déplorent aujour-d’hui que le courant mu’tazilite ait été, par son dogmatisme et les intrusions du pouvoir politique, l’artisan de sa propre mort, et ils estiment que sa disparition fut le plus grand malheur qui ait frappé la pensée religieuse de l’islam. Certains autres manifestent le souci apologétique de laver les mu’tazilites de tout soupçon de collusion avec l’inquisition organisée par le pouvoir politique.
43
De toute manière, et bien que la question du Coran incréé ne soit plus d’actualité, au moins explicitement, dans la pensée musulmane contemporaine, les choses ne semblent guère avoir changé pour ce qui concerne la relation entre des sciences religieuses islamiques continuant à se mouvoir à l’intérieur d’un cercle fermé, et des disciplines intellectuelles étrangères et intruses d’un nouveau genre.
Notes
http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=MEDIU_003_0003#re1no1
[*]
Outre les titres d’ouvrages, les mots ou phrases mis en italiques sont soit des formulations coraniques, soit des termes et des expressions techniques ou typiques des ouvrages traditionnels.
[1]
Aristote, Poétique, 25, 1461a.
[2]
Abou Bakr : 632-634 ; Omar : 634-644 ; Othman : 644-656. Avec Ali (656-661), le dernier d’entre eux, ancêtre du chiisme, ils constituent ce que la tradition sunnite appelle « les califes bien dirigés » (par Dieu). Compagnon : quelqu’un qui a accompagné le prophète au cours de sa carrière d’une façon plus ou moins proche et qui a pu entendre de lui soit des proclamations prophétiques, soit des propos appelés hadith.
[3]
Je laisse de côté le Livre des codex coraniques, de Sijistani (844-929), dont l’analyse nous entraînerait trop loin.
[4]
Malik ben Anas (±706-796) fut à l’origine de l’une des quatre écoles de jurisprudence islamique officielles dans l’islam sunnite, essentiellement à partir des hadith.
[5]
Tabarî, Annales, année 218 (833). L’historien Tabarî écrivit ses Annales à Bagdad entre 870 et la date de sa mort, en 923.
[6]
Selon la version de l’historien de tendance chiite Ya’qubi (fin du ixe siècle), Histoire, chapitre sur le règne de Mu’tasim, Ibn Hanbal (Bagdad, 780-855), théologien, jurisconsulte et traditionniste, fut le fondateur de l’une des quatre écoles jurisprudentielles sunnites, et l’auteur d’un important corpus de hadith.
[7]
Tabarî, Annales, année 237 (851-852).
[8]
Texte traduit par Louis Gardet, Encyclopédie de l’Islam, Paris, Maisonneuve et Larose, 1985, IV, 491a in fine (article « Kalâm »).
[9]
Tabarî, Annales, année 218 (833).
Résumé
Français
Le Livre des musulmans se distingue de celui des juifs et des chrétiens en ce qu’il consigne la parole même de Dieu, révélée au prophète dans la « Nuit du destin » par l’entremise de l’ange Gabriel. En réalité, la « descente » du Coran, que la tradition appelle « incréé », est issue d’un long travail d’inscription, de sélection et de composition. Preuve que transmettre et transformer ne font qu’un. Une mise au point rigoureuse, par un grand savant.
Plan de l'article
- Expression symbolique ou stratégie ?
- Entre les deux plats de la couverture
- Boukhari : la fabrication d’une version canonique
- Un catéchisme débordé
- Ibn Saad : un flou généralisé
- Sayf et Ibn Chabba : les collections concurrentes
- Le premier Coran officiel
- Le regard extérieur
- Coran créé ou incréé
- L’inquisition au service de la raison raisonnante
- Compromis intellectuels et doctrine officielle
- Deux univers séparés
Re: Le Coran ou la fabrication de l'incréé
Histoire de la compilation et de la diffusion du Coran
Arefeh Hedjazi
La « compilation » du Coran ne signifie pas son écriture ; puisque le Coran est la Parole de Dieu révélée au Prophète Mohammad, messager dont le devoir était de transmettre cette Parole à l’Humanité. D’après le Coran lui-même, ce Livre est une représentation physique d’un autre Coran, incréé et préservé dans "La Tablette gardée" [1] : [2]
"Ce Qoran glorieux
Est écrit sur une table gardée avec soin" [3]
Le Coran a été révélé au prophète Mohammad par l’intermédiaire de l’archange Gabriel durant 23 années. Le Prophète a récité au fur et à mesure ce qui lui était révélé du Livre aux hommes.
Ainsi la compilation du Coran ne signifie pas sa "rédaction" mais sa transcription et son rassemblement dans un volume unique. Cette compilation s’est faite en trois temps : du vivant du Prophète, où ce dernier s’est assuré de la mise en écrit de toute la Parole qui lui avait été révélée ; après son décès et à l’époque du premier calife, où la validité de tous les versets a été vérifiée et le Coran rassemblé dans des volumes uniques ; et enfin le califat de ’Othmân, où les diverses compilations ont été unifiées en une seule, qui est la version originelle de tous les Corans existants et publiés aujourd’hui.
Manuscrit en script hijazi remontant à la première moitié du Ier siècle de l’hégire
La première étape de la préservation du Coran
Elle a commencé dès la Révélation, avec le travail du Prophète lui-même et son acharnement à préserver le verset exactement, dans les moindres détails, même phonétiques. Dès les premières conversions - qui étaient d’ailleurs souvent provoquées par l’écoute du Coran -, les nouveaux musulmans apprenaient les versets par cœur et le Prophète vérifiait l’exactitude de ce qu’ils avaient appris. Les nouveaux musulmans appréciaient tant le Coran qu’ils rivalisaient dans sa connaissance, à tel point que le Prophète devait parfois calmer les ardeurs des nouveaux convertis. [4] Le Prophète écoutait lui-même les musulmans réciter pour vérifier leur prononciation et la correction de ce qu’ils avaient retenu. Il faut préciser que la culture arabe était essentiellement une culture orale, où la mémoire jouait un rôle fondamental. Les Arabes de la péninsule arabique des débuts de l’islam disposaient pour la plupart d’une capacité de mémorisation exacte et extraordinaire qui les rendait capables de retenir des livres entiers par cœur. Il était courant pour beaucoup d’Arabes de cette période de connaitre plusieurs dizaines de milliers de chants ou de poèmes. Ainsi, la première « compilation » du Coran fut orale et se fit au fur et à mesure de la Révélation des versets divins au Prophète, qui les transmettait immédiatement.
Combien de personnes ont été les premières à connaître l’intégralité du Coran ? C’est une question polémique qui a posé beaucoup de problèmes. Le Français Blachère cite sept noms, se basant sur un hadith de Bokhâri [5], alors qu’un autre hadith cite uniquement quatre noms et que les historiens estiment aujourd’hui que leur nombre dépassait les dizaines.
La compilation écrite des versets
Considérant que la tradition arabe était une tradition orale, il faut insister sur le fait que le Coran s’est diffusé de façon orale sous la supervision du Prophète, mais ce dernier s’est également chargé immédiatement de transcrire par écrit les versets. Le mot "Coran" est dérivé de la racine arabe relative à "lecture" et le premier verset de la Révélation musulmane a été un ordre de lecture :
1. Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé,
2. qui a créé l’homme d’une adhérence.
3. Lis ! Ton Seigneur est le Très Noble,
4. qui a enseigné par la plume [le calame],
5. a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas. [6]
C’est donc normal que la compilation écrite du Coran ait également été immédiatement poursuivie par le Prophète. Dès le départ, rassemblant les rares lettrés, le Prophète a procédé à la mise en écrit du Coran, parallèlement à sa diffusion orale. [7] Le Coran lui-même est la meilleure preuve de cette compilation écrite.
Dans la sourate 98 Al-Bayyinah (La preuve), versets 1 à 3, il est insisté sur le caractère "écrit" du Coran :
1. Les infidèles parmi les gens du Livre, ainsi que les Associateurs, ne cesseront pas de mécroire jusqu’à ce que leur vienne la Preuve évidente :
2. un Messager, de la part d’Allah, qui leur récite des feuilles purifiées,
3. dans lesquelles se trouvent des prescriptions d’une rectitude parfaite.
Les scribes du Coran étaient tous des Compagnons du Prophète et des musulmans dignes de confiance. Hakim dit dans le Mostadrak que "Le Coran fut compilé trois fois : la première fois durant la vie du Prophète, la deuxième et la troisième fois sous la supervision des deux califes" et il cite Zeyd "Nous étions auprès du Prophète et rassemblions le Coran qui était écrit sur les feuilles fraîches." Le théologien chiite du Xe siècle, Seyyed Râzi, estime également que le Coran a été compilé intégralement sous sa forme actuelle à l’époque du Prophète, suivant le raisonnement suivant : les premiers Compagnons du Prophète ont plusieurs fois récité l’intégralité du Coran suivant l’ordre actuel du Coran – la version actuellement existante du Coran datant d’après le décès du Prophète -, pour que le Prophète vérifie la justesse de leur récitation, il y avait donc déjà à l’époque une compilation "intégrale".
Coran en style kufi datant du VIIe siècle
Les « scribes » de la Révélation
L’histoire raconte que durant les débuts de la Révélation, dans tout le clan des Quraysh, seuls dix-sept personnes savaient lire et écrire et à Médine, région plus rurale, leur nombre était encore plus réduit.
Mais dès l’apparition de l’islam, l’alphabétisation commença sous l’impulsion du Prophète et finalement, durant les dernières années de sa vie, une quarantaine de scribes étaient chargés de transcrire le Coran. C’est un chiffre également très polémique. Certains de ces scribes, comme Zeyd et Ubbay, qui maîtrisaient tous deux le syriaque et l’hébreu, ont uniquement travaillé à cette transcription, alors que d’autres étaient également chargés de la correspondance officielle de la nouvelle communauté musulmane. Parmi ces derniers, le calife ’Othmân et l’Imâm ’Ali étaient particulièrement actifs.
Les versets étaient inscrits sur des feuilles de qualité diverse : feuilles de palmier, peaux de gazelle, cuir, soie, pierres ou os blancs et plats, ou même des tablettes en bois. Il y avait aussi du papier et de l’encre disponibles, puisque la ville de La Mecque était située sur une route de commerce et que les riches Mecquois avaient donc besoin de tenir une comptabilité.
Les compilations écrites du Coran
A la mort du Prophète, l’ensemble du Coran avait été compilé et le Prophète avait vérifié la conformité des versets et l’ordonnance des sourates. Tous les hadiths et souvenirs recueillis de cette époque confirment effectivement que le Prophète lui-même avait indiqué l’ordre des versets dans les sourates et l’ordonnance des sourates dans le Livre. Ainsi, la sourate qui ouvre le Coran, « Al-Fatiha » (L’ouverture ou Le prologue) avait le même nom du vivant du Prophète.
Verset 17 de la sourate al-Isra’, Coran datant du IXe siècle, calligraphe anonyme, Library of Congress
Les compilations du Coran après le décès du Prophète
La guerre du Yamâmah
Un an après le décès du Prophète, la guerre du Yamâmah causa la mort de centaines de récitants du Coran, les chiffres variant de 70 à 450. Cet événement poussa le calife Abou-Bakr à rassembler l’ensemble du Coran en un livre unique, sous l’instigation du futur calife ’Omar, dit-on. [8] Ce fut la deuxième compilation. Ainsi, ’Omar ordonna que tous ceux qui possédaient un manuscrit de versets l’apportent pour que les versets soient ajoutés à l’ensemble et aucun verset n’était accepté, pas même s’il était apporté par un des scribes du Prophète, sans qu’au moins deux personnes témoignent de la validité du verset, c’est-à-dire qu’ils témoignent que ce verset avait été transcrit directement sous la supervision du Prophète. L’histoire et les commentaires du Coran sont en soi des preuves de l’extrême méticulosité qui fut portée au rassemblement du Coran à cette occasion. Le scribe Zeyd, secondé par ’Omar Ibn al-Khattâb, fut choisi par le calife pour mener à bien cette compilation. Ce travail commença en l’an 13 de l’hégire (633) et dura quatorze mois. Cette compilation est le Coran tel qu’il est connu aujourd’hui. Une unique version fut donc préparée, et conservée par Abou-Bakr jusqu’à son décès. Puis ce fut le second calife ’Omar, qui le conserva, et finalement Hafsa, sa fille et épouse du Prophète. Le calife ’Othmân copia ce Coran en deux exemplaires et il fut finalement détruit – certains disent brulé, d’autres disent lavé, d’autres disent déchiré, par Marvan, le calife omeyyade - [9], mais il avait déjà été copié et distribué dès l’an 30, après la troisième compilation (qui a conduit à l’unification de tous les exemplaires) ; et c’est le Coran aujourd’hui existant dans la communauté musulmane qui veille sur son intégrité.
Les Corans personnels
Avant l’ordre de rassemblement des versets et sourates épars, il était courant, surtout pour les premiers musulmans et les Compagnons du prophète, d’avoir des Corans propres, c’est-à-dire des Corans comportant uniquement quelques versets ou sourates, qui n’étaient pas intégraux et dont l’ordonnance était également variable d’un exemplaire à l’autre. Ces Corans étaient des quasi-titres de noblesse et donnaient un prestige immense à leurs propriétaires. On cite 23 de ces exemplaires dont les noms des propriétaires soient parvenus jusqu’à nous. Aucune de ces compilations n’a été découverte à ce jour et les plus anciennes pages des Corans trouvées datent d’après l’unification. Durant ces années, les musulmans utilisèrent ces compilations souvent incomplètes éparses et certaines d’entre elles avaient également des spécificités graphiques basées sur les différences de récitations ou d’accents. Le Coran qui existe aujourd’hui est entendu dans l’accent mecquois des Quraysh et au moment de son rassemblement par Zeyd, un groupe de lettrés et de poètes qurayshites fut chargé de s’assurer de la justesse de la prononciation. Ces diverses compilations, surtout celles qui étaient intégrales, avaient chacune leurs défenseurs.
Versets 85-88 de la sourate Al-Anaam, IXe siècle, calligraphe anonyme, écriture koufique, Library of Congress
L’unification des compilations à l’époque du calife ’Othmân
Avec le développement et la diffusion de l’islam dans des pays non-arabophones et les difficultés de prononciation de ces peuples, ainsi que les particularités des différents accents arabes de la péninsule elle-même, une demande en traduction se montra très tôt, ainsi qu’une pression pour l’acception de toutes les prononciations existantes. D’un autre côté, les récitants avaient chacun leur propre manière de lire et chacun était libre de suivre l’une de ces récitations. Ainsi, des problèmes sérieux avaient surgi en matière de lecture coranique et de prononciation phonétique à l’époque du calife ’Othmân. Une organisation, un groupe fut mis en place, encore une fois sous la direction de Zeyd, pour unifier toutes les compilations existantes. Durant cette unification, toutes les compilations différentes, y compris la compilation d’Abou-Bakr, furent comparées ensemble.
Cette comparaison des différentes compilations fut le secret du succès de cette unification car à cette époque, chacune des compilations avait ses défenseurs qui s’accusaient mutuellement d’hérésie. De plus, parallèlement à la comparaison, la même méthode utilisée pour compiler le Coran à l’époque d’Abou-Bakr fut utilisée pour vérifier la validité des versets et sourates de chaque compilation. Ainsi, un nouveau Coran fut transcrit avec une grande attention, non seulement dans la vérification de l’authenticité des versets et des sourates et de leur ordonnance, mais aussi du choix de leur graphie. A l’époque, l’écriture arabe était encore en formation et chaque mot pouvait être orthographié de plusieurs manières. Les scribes se montrèrent très attentifs à utiliser exactement la même graphie pour chaque mot et ses dérivés et ainsi ce Coran fut aussi parfaitement homogène graphiquement. Quand il y avait des différences d’avis sur la phonétique d’un mot selon les différences de récitations, on transcrivait le mot avec une autre orthographe dans un autre manuscrit, pour ne pas mélanger les graphies. C’est-à-dire qu’on conserva les différentes récitations à l’écrit de façon indépendante les unes des autres. [10] Quant aux récitations, on n’accepta que celles qui étaient le plus en accord avec la récitation du Prophète lui-même. Malik Ibn Amir, qui était membre du groupe de vérification raconte : "Quand il existait une divergence d’opinion sur un verset, et si par exemple, ce verset avait été récité par le Prophète à une personne, on le transcrivait en laissant un espace blanc, puis on allait chercher la personne à qui le Prophète l’avait récité et ce dernier témoignait de la prononciation du Prophète. Son témoignage était vérifié et s’il était validé, le verset était définitivement transcrit." [11]
Ainsi, l’immense œuvre de transcription définitive du Coran à l’époque du calife ’Othmân se fit sans heurts et sans dissensions. Après la compilation définitive, le calife ’Othmân ordonna le rassemblement de toutes les compilations personnelles et de tous les manuscrits coraniques existants, puis il en ordonna la destruction totale. On sait qu’effectivement la plupart des manuscrits furent détruits à ce moment, mais certains ont refusé de rendre le leur et au fil de l’Histoire, certains de ces manuscrits ont parfois réapparus. [12] Pourtant, les deux seules compilations intégrales dont on sait qu’elles n’ont pas été détruites à l’époque sont celle de l’Imâm ’Ali (quatrième calife), qui demeura dans sa famille et celle de ’Abdollâh. Deux siècles plus tard, le grand libraire et collectionneur persan Ibn Nadim, auteur de la plus ancienne bibliographie du monde musulman, dit avoir vu ce Coran chez Abou Yalâ, un des descendants du Prophète. [13] Quant à la date exacte de cette compilation, les avis des historiens divergent, mais au vu des documents existants, cette compilation a probablement commencé vers la fin de l’an 24 de l’hégire ou au début de l’an 25 et s’est terminée avant l’an 30, soit sur une durée d’environ cinq années.
Cette œuvre du calife ’Othmân est sans conteste l’une des grandes victoires de l’islam. Au fil des siècles, d’incessants débats ont eu lieu autour du Coran et sur son contenu, mais les millions de musulmans, même aujourd’hui, n’ont jamais eu affaire à des versions différentes et il n’existe définitivement qu’un seul Coran.
Versets 35-36 de la sourate al-Ghafir, XIe-XIIe siècles, calligraphe anonyme, Library of Congress
Les copies du Coran et sa diffusion
Après que la compilation définitive du Livre saint prit fin, des copies en furent faites et envoyées aux quatre coins des territoires islamiques. [14] Cet événement n’a jamais subi le moindre démenti et pendant des siècles, ces copies étaient si prestigieuses qu’elles étaient conservées avec le plus grand soin dans la grande mosquée de la région où elles avaient été envoyées. [15] Mais il existe des dissensions quant au nombre de ces premières copies. Finalement, les historiens, au vu des études faites, sont d’accord sur le fait que ce nombre premier de copies correspond au nombre des "provinces" stratégiques du territoire islamique, c’est-à-dire un total de cinq copies, qui furent chacune envoyées aux gouverneurs de ces provinces : la région de La Mecque, la région de Médine, Koufa, Bassora et la Syrie (Damas).
Très vite, ces cinq copies furent de nouveau copiées et mises à la disposition de tous. Aujourd’hui, il existe une dizaine de très anciennes copies, certaines même datant des deux premiers siècles de l’Hégire, conservées un peu partout dans le monde. [16] Pour conclure, il faut préciser que les millions de copies existantes du Coran aujourd’hui sont toutes basées sur cette compilation finale conduite à l’époque de ’Othmân.
Bibliographie :
Râmyâr, Mahmoud, Târikh-e Qor’ân (Histoire du Coran), Téhéran, éd. Amir Kabir, 1983.
Notes
[1] Al-Lawh al-Mahfoûdh ou Tablette préservée est le Livre divin où Dieu a inscrit la destinée de toutes les créatures avant même leur création.
[2] "La nuit d’al-Qadr, le Coran était révélé en une seule fois depuis la Table conservée aux cieux (Al-Lawh al-Mahfoûdh) vers les cieux inférieurs (littéralement le ciel terrestre). Al-Lawh al-Mahfoûdh est évoqué par ailleurs dans le Coran (Sourate al-Bûrûj, les Constellations) et interprété comme l’exemplaire original du Coran, c’est-à-dire celui qui ne peut subir aucune altération." Faher, Mourad, Approche critique des représentations de l’Islam contemporain, Collection Histoire et perspectives méditerranéennes, Editions L’Harmattan, 2003, p. 30.
[3] Le Koran, traduction de Kazimirski.
[4] Râmyâr, Mahmoud, Târikh-e Qor’ân (Histoire du Coran), Téhéran, éd. Amir Kabir, 1983. Cite Ibn Sa’ad, Kitâb al-Tabaghât-el Kabir, Beyrout 1968, 13 vol.
[5] Ibid. p.248, Blachère, Régis, Introduction au Coran, Paris, 1943, note 26.
[6] Sourate Al-’Alaq (L’adhérence) ; 96 : 1-5.
[7] Râmyâr, M., op.cit., p. 257.
[8] Ibid., p. 306.
[9] Ibid., cite Abou-Shâmeh, p. 326.
[10] Ibid., p. 425.
[11] Ibid., p. 426, cite Abou-Shâmeh, Masâhef,60,65, Mughana’, 7.
[12] Ibid., p. 431, cite Noldeke, Theodor, Die Sammlung des Qurans, Leipzig, 1919, p. 122.
[13] Ibid.
[14] Ibid.p. 460.
[15] Ibid.
[16] On peut notamment citer la copie conservée au Conseil musulman Académie culturelle ouzbek depuis 1923, qui est si ancienne qu’on pensait qu’elle était l’une des copies originales faites à l’époque du calife ’Othmân, ou la copie offerte par le sultan ottoman à l’empereur Guillaume II à la veille de la Grande Guerre. Il y a également un manuscrit, le codex Parisino-petropolitanus, comportant une soixantaine de feuillets figurant à la Bibliothèque Nationale de France, qui daterait de l’an 34 de l’Hégire. Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Coran
Arefeh Hedjazi
La « compilation » du Coran ne signifie pas son écriture ; puisque le Coran est la Parole de Dieu révélée au Prophète Mohammad, messager dont le devoir était de transmettre cette Parole à l’Humanité. D’après le Coran lui-même, ce Livre est une représentation physique d’un autre Coran, incréé et préservé dans "La Tablette gardée" [1] : [2]
"Ce Qoran glorieux
Est écrit sur une table gardée avec soin" [3]
Le Coran a été révélé au prophète Mohammad par l’intermédiaire de l’archange Gabriel durant 23 années. Le Prophète a récité au fur et à mesure ce qui lui était révélé du Livre aux hommes.
Ainsi la compilation du Coran ne signifie pas sa "rédaction" mais sa transcription et son rassemblement dans un volume unique. Cette compilation s’est faite en trois temps : du vivant du Prophète, où ce dernier s’est assuré de la mise en écrit de toute la Parole qui lui avait été révélée ; après son décès et à l’époque du premier calife, où la validité de tous les versets a été vérifiée et le Coran rassemblé dans des volumes uniques ; et enfin le califat de ’Othmân, où les diverses compilations ont été unifiées en une seule, qui est la version originelle de tous les Corans existants et publiés aujourd’hui.
Manuscrit en script hijazi remontant à la première moitié du Ier siècle de l’hégire
La première étape de la préservation du Coran
Elle a commencé dès la Révélation, avec le travail du Prophète lui-même et son acharnement à préserver le verset exactement, dans les moindres détails, même phonétiques. Dès les premières conversions - qui étaient d’ailleurs souvent provoquées par l’écoute du Coran -, les nouveaux musulmans apprenaient les versets par cœur et le Prophète vérifiait l’exactitude de ce qu’ils avaient appris. Les nouveaux musulmans appréciaient tant le Coran qu’ils rivalisaient dans sa connaissance, à tel point que le Prophète devait parfois calmer les ardeurs des nouveaux convertis. [4] Le Prophète écoutait lui-même les musulmans réciter pour vérifier leur prononciation et la correction de ce qu’ils avaient retenu. Il faut préciser que la culture arabe était essentiellement une culture orale, où la mémoire jouait un rôle fondamental. Les Arabes de la péninsule arabique des débuts de l’islam disposaient pour la plupart d’une capacité de mémorisation exacte et extraordinaire qui les rendait capables de retenir des livres entiers par cœur. Il était courant pour beaucoup d’Arabes de cette période de connaitre plusieurs dizaines de milliers de chants ou de poèmes. Ainsi, la première « compilation » du Coran fut orale et se fit au fur et à mesure de la Révélation des versets divins au Prophète, qui les transmettait immédiatement.
Combien de personnes ont été les premières à connaître l’intégralité du Coran ? C’est une question polémique qui a posé beaucoup de problèmes. Le Français Blachère cite sept noms, se basant sur un hadith de Bokhâri [5], alors qu’un autre hadith cite uniquement quatre noms et que les historiens estiment aujourd’hui que leur nombre dépassait les dizaines.
La compilation écrite des versets
Considérant que la tradition arabe était une tradition orale, il faut insister sur le fait que le Coran s’est diffusé de façon orale sous la supervision du Prophète, mais ce dernier s’est également chargé immédiatement de transcrire par écrit les versets. Le mot "Coran" est dérivé de la racine arabe relative à "lecture" et le premier verset de la Révélation musulmane a été un ordre de lecture :
1. Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé,
2. qui a créé l’homme d’une adhérence.
3. Lis ! Ton Seigneur est le Très Noble,
4. qui a enseigné par la plume [le calame],
5. a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas. [6]
C’est donc normal que la compilation écrite du Coran ait également été immédiatement poursuivie par le Prophète. Dès le départ, rassemblant les rares lettrés, le Prophète a procédé à la mise en écrit du Coran, parallèlement à sa diffusion orale. [7] Le Coran lui-même est la meilleure preuve de cette compilation écrite.
Dans la sourate 98 Al-Bayyinah (La preuve), versets 1 à 3, il est insisté sur le caractère "écrit" du Coran :
1. Les infidèles parmi les gens du Livre, ainsi que les Associateurs, ne cesseront pas de mécroire jusqu’à ce que leur vienne la Preuve évidente :
2. un Messager, de la part d’Allah, qui leur récite des feuilles purifiées,
3. dans lesquelles se trouvent des prescriptions d’une rectitude parfaite.
Les scribes du Coran étaient tous des Compagnons du Prophète et des musulmans dignes de confiance. Hakim dit dans le Mostadrak que "Le Coran fut compilé trois fois : la première fois durant la vie du Prophète, la deuxième et la troisième fois sous la supervision des deux califes" et il cite Zeyd "Nous étions auprès du Prophète et rassemblions le Coran qui était écrit sur les feuilles fraîches." Le théologien chiite du Xe siècle, Seyyed Râzi, estime également que le Coran a été compilé intégralement sous sa forme actuelle à l’époque du Prophète, suivant le raisonnement suivant : les premiers Compagnons du Prophète ont plusieurs fois récité l’intégralité du Coran suivant l’ordre actuel du Coran – la version actuellement existante du Coran datant d’après le décès du Prophète -, pour que le Prophète vérifie la justesse de leur récitation, il y avait donc déjà à l’époque une compilation "intégrale".
Coran en style kufi datant du VIIe siècle
Les « scribes » de la Révélation
L’histoire raconte que durant les débuts de la Révélation, dans tout le clan des Quraysh, seuls dix-sept personnes savaient lire et écrire et à Médine, région plus rurale, leur nombre était encore plus réduit.
Mais dès l’apparition de l’islam, l’alphabétisation commença sous l’impulsion du Prophète et finalement, durant les dernières années de sa vie, une quarantaine de scribes étaient chargés de transcrire le Coran. C’est un chiffre également très polémique. Certains de ces scribes, comme Zeyd et Ubbay, qui maîtrisaient tous deux le syriaque et l’hébreu, ont uniquement travaillé à cette transcription, alors que d’autres étaient également chargés de la correspondance officielle de la nouvelle communauté musulmane. Parmi ces derniers, le calife ’Othmân et l’Imâm ’Ali étaient particulièrement actifs.
Les versets étaient inscrits sur des feuilles de qualité diverse : feuilles de palmier, peaux de gazelle, cuir, soie, pierres ou os blancs et plats, ou même des tablettes en bois. Il y avait aussi du papier et de l’encre disponibles, puisque la ville de La Mecque était située sur une route de commerce et que les riches Mecquois avaient donc besoin de tenir une comptabilité.
Les compilations écrites du Coran
A la mort du Prophète, l’ensemble du Coran avait été compilé et le Prophète avait vérifié la conformité des versets et l’ordonnance des sourates. Tous les hadiths et souvenirs recueillis de cette époque confirment effectivement que le Prophète lui-même avait indiqué l’ordre des versets dans les sourates et l’ordonnance des sourates dans le Livre. Ainsi, la sourate qui ouvre le Coran, « Al-Fatiha » (L’ouverture ou Le prologue) avait le même nom du vivant du Prophète.
Verset 17 de la sourate al-Isra’, Coran datant du IXe siècle, calligraphe anonyme, Library of Congress
Les compilations du Coran après le décès du Prophète
La guerre du Yamâmah
Un an après le décès du Prophète, la guerre du Yamâmah causa la mort de centaines de récitants du Coran, les chiffres variant de 70 à 450. Cet événement poussa le calife Abou-Bakr à rassembler l’ensemble du Coran en un livre unique, sous l’instigation du futur calife ’Omar, dit-on. [8] Ce fut la deuxième compilation. Ainsi, ’Omar ordonna que tous ceux qui possédaient un manuscrit de versets l’apportent pour que les versets soient ajoutés à l’ensemble et aucun verset n’était accepté, pas même s’il était apporté par un des scribes du Prophète, sans qu’au moins deux personnes témoignent de la validité du verset, c’est-à-dire qu’ils témoignent que ce verset avait été transcrit directement sous la supervision du Prophète. L’histoire et les commentaires du Coran sont en soi des preuves de l’extrême méticulosité qui fut portée au rassemblement du Coran à cette occasion. Le scribe Zeyd, secondé par ’Omar Ibn al-Khattâb, fut choisi par le calife pour mener à bien cette compilation. Ce travail commença en l’an 13 de l’hégire (633) et dura quatorze mois. Cette compilation est le Coran tel qu’il est connu aujourd’hui. Une unique version fut donc préparée, et conservée par Abou-Bakr jusqu’à son décès. Puis ce fut le second calife ’Omar, qui le conserva, et finalement Hafsa, sa fille et épouse du Prophète. Le calife ’Othmân copia ce Coran en deux exemplaires et il fut finalement détruit – certains disent brulé, d’autres disent lavé, d’autres disent déchiré, par Marvan, le calife omeyyade - [9], mais il avait déjà été copié et distribué dès l’an 30, après la troisième compilation (qui a conduit à l’unification de tous les exemplaires) ; et c’est le Coran aujourd’hui existant dans la communauté musulmane qui veille sur son intégrité.
Les Corans personnels
Avant l’ordre de rassemblement des versets et sourates épars, il était courant, surtout pour les premiers musulmans et les Compagnons du prophète, d’avoir des Corans propres, c’est-à-dire des Corans comportant uniquement quelques versets ou sourates, qui n’étaient pas intégraux et dont l’ordonnance était également variable d’un exemplaire à l’autre. Ces Corans étaient des quasi-titres de noblesse et donnaient un prestige immense à leurs propriétaires. On cite 23 de ces exemplaires dont les noms des propriétaires soient parvenus jusqu’à nous. Aucune de ces compilations n’a été découverte à ce jour et les plus anciennes pages des Corans trouvées datent d’après l’unification. Durant ces années, les musulmans utilisèrent ces compilations souvent incomplètes éparses et certaines d’entre elles avaient également des spécificités graphiques basées sur les différences de récitations ou d’accents. Le Coran qui existe aujourd’hui est entendu dans l’accent mecquois des Quraysh et au moment de son rassemblement par Zeyd, un groupe de lettrés et de poètes qurayshites fut chargé de s’assurer de la justesse de la prononciation. Ces diverses compilations, surtout celles qui étaient intégrales, avaient chacune leurs défenseurs.
Versets 85-88 de la sourate Al-Anaam, IXe siècle, calligraphe anonyme, écriture koufique, Library of Congress
L’unification des compilations à l’époque du calife ’Othmân
Avec le développement et la diffusion de l’islam dans des pays non-arabophones et les difficultés de prononciation de ces peuples, ainsi que les particularités des différents accents arabes de la péninsule elle-même, une demande en traduction se montra très tôt, ainsi qu’une pression pour l’acception de toutes les prononciations existantes. D’un autre côté, les récitants avaient chacun leur propre manière de lire et chacun était libre de suivre l’une de ces récitations. Ainsi, des problèmes sérieux avaient surgi en matière de lecture coranique et de prononciation phonétique à l’époque du calife ’Othmân. Une organisation, un groupe fut mis en place, encore une fois sous la direction de Zeyd, pour unifier toutes les compilations existantes. Durant cette unification, toutes les compilations différentes, y compris la compilation d’Abou-Bakr, furent comparées ensemble.
Cette comparaison des différentes compilations fut le secret du succès de cette unification car à cette époque, chacune des compilations avait ses défenseurs qui s’accusaient mutuellement d’hérésie. De plus, parallèlement à la comparaison, la même méthode utilisée pour compiler le Coran à l’époque d’Abou-Bakr fut utilisée pour vérifier la validité des versets et sourates de chaque compilation. Ainsi, un nouveau Coran fut transcrit avec une grande attention, non seulement dans la vérification de l’authenticité des versets et des sourates et de leur ordonnance, mais aussi du choix de leur graphie. A l’époque, l’écriture arabe était encore en formation et chaque mot pouvait être orthographié de plusieurs manières. Les scribes se montrèrent très attentifs à utiliser exactement la même graphie pour chaque mot et ses dérivés et ainsi ce Coran fut aussi parfaitement homogène graphiquement. Quand il y avait des différences d’avis sur la phonétique d’un mot selon les différences de récitations, on transcrivait le mot avec une autre orthographe dans un autre manuscrit, pour ne pas mélanger les graphies. C’est-à-dire qu’on conserva les différentes récitations à l’écrit de façon indépendante les unes des autres. [10] Quant aux récitations, on n’accepta que celles qui étaient le plus en accord avec la récitation du Prophète lui-même. Malik Ibn Amir, qui était membre du groupe de vérification raconte : "Quand il existait une divergence d’opinion sur un verset, et si par exemple, ce verset avait été récité par le Prophète à une personne, on le transcrivait en laissant un espace blanc, puis on allait chercher la personne à qui le Prophète l’avait récité et ce dernier témoignait de la prononciation du Prophète. Son témoignage était vérifié et s’il était validé, le verset était définitivement transcrit." [11]
Ainsi, l’immense œuvre de transcription définitive du Coran à l’époque du calife ’Othmân se fit sans heurts et sans dissensions. Après la compilation définitive, le calife ’Othmân ordonna le rassemblement de toutes les compilations personnelles et de tous les manuscrits coraniques existants, puis il en ordonna la destruction totale. On sait qu’effectivement la plupart des manuscrits furent détruits à ce moment, mais certains ont refusé de rendre le leur et au fil de l’Histoire, certains de ces manuscrits ont parfois réapparus. [12] Pourtant, les deux seules compilations intégrales dont on sait qu’elles n’ont pas été détruites à l’époque sont celle de l’Imâm ’Ali (quatrième calife), qui demeura dans sa famille et celle de ’Abdollâh. Deux siècles plus tard, le grand libraire et collectionneur persan Ibn Nadim, auteur de la plus ancienne bibliographie du monde musulman, dit avoir vu ce Coran chez Abou Yalâ, un des descendants du Prophète. [13] Quant à la date exacte de cette compilation, les avis des historiens divergent, mais au vu des documents existants, cette compilation a probablement commencé vers la fin de l’an 24 de l’hégire ou au début de l’an 25 et s’est terminée avant l’an 30, soit sur une durée d’environ cinq années.
Cette œuvre du calife ’Othmân est sans conteste l’une des grandes victoires de l’islam. Au fil des siècles, d’incessants débats ont eu lieu autour du Coran et sur son contenu, mais les millions de musulmans, même aujourd’hui, n’ont jamais eu affaire à des versions différentes et il n’existe définitivement qu’un seul Coran.
Versets 35-36 de la sourate al-Ghafir, XIe-XIIe siècles, calligraphe anonyme, Library of Congress
Les copies du Coran et sa diffusion
Après que la compilation définitive du Livre saint prit fin, des copies en furent faites et envoyées aux quatre coins des territoires islamiques. [14] Cet événement n’a jamais subi le moindre démenti et pendant des siècles, ces copies étaient si prestigieuses qu’elles étaient conservées avec le plus grand soin dans la grande mosquée de la région où elles avaient été envoyées. [15] Mais il existe des dissensions quant au nombre de ces premières copies. Finalement, les historiens, au vu des études faites, sont d’accord sur le fait que ce nombre premier de copies correspond au nombre des "provinces" stratégiques du territoire islamique, c’est-à-dire un total de cinq copies, qui furent chacune envoyées aux gouverneurs de ces provinces : la région de La Mecque, la région de Médine, Koufa, Bassora et la Syrie (Damas).
Très vite, ces cinq copies furent de nouveau copiées et mises à la disposition de tous. Aujourd’hui, il existe une dizaine de très anciennes copies, certaines même datant des deux premiers siècles de l’Hégire, conservées un peu partout dans le monde. [16] Pour conclure, il faut préciser que les millions de copies existantes du Coran aujourd’hui sont toutes basées sur cette compilation finale conduite à l’époque de ’Othmân.
Bibliographie :
Râmyâr, Mahmoud, Târikh-e Qor’ân (Histoire du Coran), Téhéran, éd. Amir Kabir, 1983.
Notes
[1] Al-Lawh al-Mahfoûdh ou Tablette préservée est le Livre divin où Dieu a inscrit la destinée de toutes les créatures avant même leur création.
[2] "La nuit d’al-Qadr, le Coran était révélé en une seule fois depuis la Table conservée aux cieux (Al-Lawh al-Mahfoûdh) vers les cieux inférieurs (littéralement le ciel terrestre). Al-Lawh al-Mahfoûdh est évoqué par ailleurs dans le Coran (Sourate al-Bûrûj, les Constellations) et interprété comme l’exemplaire original du Coran, c’est-à-dire celui qui ne peut subir aucune altération." Faher, Mourad, Approche critique des représentations de l’Islam contemporain, Collection Histoire et perspectives méditerranéennes, Editions L’Harmattan, 2003, p. 30.
[3] Le Koran, traduction de Kazimirski.
[4] Râmyâr, Mahmoud, Târikh-e Qor’ân (Histoire du Coran), Téhéran, éd. Amir Kabir, 1983. Cite Ibn Sa’ad, Kitâb al-Tabaghât-el Kabir, Beyrout 1968, 13 vol.
[5] Ibid. p.248, Blachère, Régis, Introduction au Coran, Paris, 1943, note 26.
[6] Sourate Al-’Alaq (L’adhérence) ; 96 : 1-5.
[7] Râmyâr, M., op.cit., p. 257.
[8] Ibid., p. 306.
[9] Ibid., cite Abou-Shâmeh, p. 326.
[10] Ibid., p. 425.
[11] Ibid., p. 426, cite Abou-Shâmeh, Masâhef,60,65, Mughana’, 7.
[12] Ibid., p. 431, cite Noldeke, Theodor, Die Sammlung des Qurans, Leipzig, 1919, p. 122.
[13] Ibid.
[14] Ibid.p. 460.
[15] Ibid.
[16] On peut notamment citer la copie conservée au Conseil musulman Académie culturelle ouzbek depuis 1923, qui est si ancienne qu’on pensait qu’elle était l’une des copies originales faites à l’époque du calife ’Othmân, ou la copie offerte par le sultan ottoman à l’empereur Guillaume II à la veille de la Grande Guerre. Il y a également un manuscrit, le codex Parisino-petropolitanus, comportant une soixantaine de feuillets figurant à la Bibliothèque Nationale de France, qui daterait de l’an 34 de l’Hégire. Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Coran
Re: Le Coran ou la fabrication de l'incréé
"Le calife Uthman" a brûlé 31 versions différentes des Corans qui tournés à l'époque !.
Sous le califat de `Uthman, troisième calife (644 - 656), le territoire musulman s'est considérablement agrandi et de nouveaux problèmes surgissent : quatre types de divergences apparaissent à propos du texte du Coran. Le calife Uthman décide alors d'officialiser un type unique d'écriture du texte coranique et d'établir une classification unique des sourates les unes par rapport aux autres.
C'est à cette fin qu'il charge une commission de préparer plusieurs copies (mus'haf) du Coran. Et cela se passait en l'an 25 de l'hégire, soit quinze ans après la mort du Prophète. Ces copies préparées, `Uthman les fait envoyer en différents points importants du territoire musulman.
Tous ces éléments sont rapportés par Al-Bukhârî, no 4 702. Les copies du Coran écrites de nos jours suivraient toujours mot pour mot et lettre pour lettre cette écriture des copies d'Uthman, écriture nommée « ar-rasm al-uthmanî ». Quelques-unes de ces copies existeraient encore aujourd'hui, l'une se trouverait à Istanbul (Turquie), l'autre à Tachkent (Ouzbékistan).
Après avoir envoyé ces copies dans chaque région, `Uthman fit détruire toutes les copies précédentes, dont celle d'Ali, gendre de Mahomet, celle d'Ubai b. Ka'b ainsi que celle d'Ibn Mas`ud. Bien que ce dernier ait refusé de détruire sa copie de son vivant, elle fut brûlée par la suite.
Le Calife othman ibn afan a brûlé toutes les 31 versions du coran pour garder sa version qui circule aujourd'hui, c’est pourquoi il y a un seul coran.
Mais on trouve quelques versions qui circulent toujours comme :
1)Coran version Hafess en Égypte
2)Coran version Warche au Maroc
3)Coran version Kaloun en Tunisie
Ref:
Dairat el maaref el islamiya, livre 26 page 8177 à 8194
Al masahef de Iben Daoud al Cijistani page 21
Fehrest de Iben al nadim
Le plus grand auteur arabe Dr Taha Houssen dans son livre al fetna al koubra partie 1 page 160 a 183 a critiqué l'islam
Al Tabari
De toutes ces anciennes versions du Coran qui ont été détruites, seuls deux manuscripts ont survécu jusqu'à notre époque : le Codex de Samarcande (daté de 654) conservé au musée Doktary à Istamboul et le Codex de Londres (daté de 772) conservé au British Museum. Chacun contient environ 750 divergences par rapport au Coran actuel (on remarque que c'est souvent le Coran actuel qui semble avoir ajouté des mots ou des phrases au texte primitif).
Al Tabry, au 10ème siècle, l'avouait carément :
"Le texte du coran n’était pas fixé à mon époque."
Et l'Imam Ja'far, pour résumer la situation, allait plus loin encore :
"Le véritable Coran n'existe pas !"
Selon As-Suyuti (mort en 1505) Ibn ’Umar al Khattab aurait dit :
"Que personne d’entre vous ne dise qu’il a acquis le Coran entier, car qu’en sait-il ? Beaucoup du Coran a été perdu ! Alors qu’il dise : J’ai acquis ce qui était disponible. "
(As-Suyuti, Itqan, partie 3, page 72).
Jabir a rapporté que l'Imam Bar a dit :
"Personne ne peut affirmer avoir rassemblé tout le Coran tel qu'il a été révélé par Allah, si ce n'est un menteur ! Le Prophète dit alors : c'est ainsi que le démon m'a envoyé ses deux serviteurs à l'instant Abu Bakr et Omar". (Commentaire de bas de page de la traduction de Maqbool : Sourate "Hajj": 674)
Un grand nombre d'exemple de modification du Coran. En voici un.
L’Imâm Al-Bukhârî et Ibn Jarîr disent que, selon Ubayy Ibn Ka`b et Anas b. Malik, ces paroles ont été révélées dans la Sourate 102 "At-Takâthur" (La course aux richesses) :
"Le Prophète (paix et bénédiction d’Allâh sur lui) a dit : 'Si le fils d’Adam avait deux vallées de richesses, il souhaiterait que lui en fût échue une troisième. Rien ne peut remplir le ventre du fils d'Adam sauf la terre (= la mort), mais Dieu revient vers celui qui revient à Lui' ...".
-----> Pourtant on ne retrouve plus ce passage dans la sourate 102 (qui ne contient que 8 versets) du coran actuel. Il a donc été enlevé.
Sous le califat de `Uthman, troisième calife (644 - 656), le territoire musulman s'est considérablement agrandi et de nouveaux problèmes surgissent : quatre types de divergences apparaissent à propos du texte du Coran. Le calife Uthman décide alors d'officialiser un type unique d'écriture du texte coranique et d'établir une classification unique des sourates les unes par rapport aux autres.
C'est à cette fin qu'il charge une commission de préparer plusieurs copies (mus'haf) du Coran. Et cela se passait en l'an 25 de l'hégire, soit quinze ans après la mort du Prophète. Ces copies préparées, `Uthman les fait envoyer en différents points importants du territoire musulman.
Tous ces éléments sont rapportés par Al-Bukhârî, no 4 702. Les copies du Coran écrites de nos jours suivraient toujours mot pour mot et lettre pour lettre cette écriture des copies d'Uthman, écriture nommée « ar-rasm al-uthmanî ». Quelques-unes de ces copies existeraient encore aujourd'hui, l'une se trouverait à Istanbul (Turquie), l'autre à Tachkent (Ouzbékistan).
Après avoir envoyé ces copies dans chaque région, `Uthman fit détruire toutes les copies précédentes, dont celle d'Ali, gendre de Mahomet, celle d'Ubai b. Ka'b ainsi que celle d'Ibn Mas`ud. Bien que ce dernier ait refusé de détruire sa copie de son vivant, elle fut brûlée par la suite.
Le Calife othman ibn afan a brûlé toutes les 31 versions du coran pour garder sa version qui circule aujourd'hui, c’est pourquoi il y a un seul coran.
Mais on trouve quelques versions qui circulent toujours comme :
1)Coran version Hafess en Égypte
2)Coran version Warche au Maroc
3)Coran version Kaloun en Tunisie
Ref:
Dairat el maaref el islamiya, livre 26 page 8177 à 8194
Al masahef de Iben Daoud al Cijistani page 21
Fehrest de Iben al nadim
Le plus grand auteur arabe Dr Taha Houssen dans son livre al fetna al koubra partie 1 page 160 a 183 a critiqué l'islam
Al Tabari
Le Coran d'Othman ou de Mohammed ?
La lste de corans qui ont été brûlé par Othman.
Le Coran d'Abdullah Bin Amre Ibn Al-Ass
le Coran d'Abdullah Ibn Abbas
le Coran d'Abdullah Ibn Al Zoubir
le Coran d'Abe Baker Al Sedeek
le Coran d"Abe Mosa Al Asharee
le Coran de Abu Zaied
le Coran d' Aïcha,
le Coran d'Akrama
le Coran d'Al Asoad Ibn Yazid
le Coran d'Al Hajaj Ibn Yousef Al Thakafy
le Coran d'Anes Bin Malek
le Coran d'Ata' Abe Rabeh
le Coran d'Hafsa
le Coran de Moaaz Bin Gabel
le Coran de Moujahid
le Coran de Muhammad Bin Abe Mosa.
le Coran d'Obaid Bin Omeir Al-Laithy.
le Coran d'Othman Ibn Affan
le Coran de Qualown /Abu Mosa Ibn Mina
le Coran de Saeed Bin Gabber
le Coran de Salem Maola Abe Hozaifa
le Coran de Suleiman Ibn Mahran
le Coran de Talha
le Coran de Waresh
le Coran de Zaied Ibn Thabet
etc...
De toutes ces anciennes versions du Coran qui ont été détruites, seuls deux manuscripts ont survécu jusqu'à notre époque : le Codex de Samarcande (daté de 654) conservé au musée Doktary à Istamboul et le Codex de Londres (daté de 772) conservé au British Museum. Chacun contient environ 750 divergences par rapport au Coran actuel (on remarque que c'est souvent le Coran actuel qui semble avoir ajouté des mots ou des phrases au texte primitif).
Al Tabry, au 10ème siècle, l'avouait carément :
"Le texte du coran n’était pas fixé à mon époque."
Et l'Imam Ja'far, pour résumer la situation, allait plus loin encore :
"Le véritable Coran n'existe pas !"
Selon As-Suyuti (mort en 1505) Ibn ’Umar al Khattab aurait dit :
"Que personne d’entre vous ne dise qu’il a acquis le Coran entier, car qu’en sait-il ? Beaucoup du Coran a été perdu ! Alors qu’il dise : J’ai acquis ce qui était disponible. "
(As-Suyuti, Itqan, partie 3, page 72).
Jabir a rapporté que l'Imam Bar a dit :
"Personne ne peut affirmer avoir rassemblé tout le Coran tel qu'il a été révélé par Allah, si ce n'est un menteur ! Le Prophète dit alors : c'est ainsi que le démon m'a envoyé ses deux serviteurs à l'instant Abu Bakr et Omar". (Commentaire de bas de page de la traduction de Maqbool : Sourate "Hajj": 674)
Un grand nombre d'exemple de modification du Coran. En voici un.
L’Imâm Al-Bukhârî et Ibn Jarîr disent que, selon Ubayy Ibn Ka`b et Anas b. Malik, ces paroles ont été révélées dans la Sourate 102 "At-Takâthur" (La course aux richesses) :
"Le Prophète (paix et bénédiction d’Allâh sur lui) a dit : 'Si le fils d’Adam avait deux vallées de richesses, il souhaiterait que lui en fût échue une troisième. Rien ne peut remplir le ventre du fils d'Adam sauf la terre (= la mort), mais Dieu revient vers celui qui revient à Lui' ...".
-----> Pourtant on ne retrouve plus ce passage dans la sourate 102 (qui ne contient que 8 versets) du coran actuel. Il a donc été enlevé.
Al Tabry, au 10ème siècle, l'avouait carément :
"Le texte du coran n’était pas fixé à mon époque."
Et l'Imam Ja'far, pour résumer la situation, allait plus loin encore :
"Le véritable Coran n'existe pas !"
Selon As-Suyuti (mort en 1505) Ibn ’Umar al Khattab aurait dit :
"Que personne d’entre vous ne dise qu’il a acquis le Coran entier, car qu’en sait-il ? Beaucoup du Coran a été perdu ! Alors qu’il dise : J’ai acquis ce qui était disponible. "
(As-Suyuti, Itqan, partie 3, page 72).
Jabir a rapporté que l'Imam Bar a dit :
"Personne ne peut affirmer avoir rassemblé tout le Coran tel qu'il a été révélé par Allah, si ce n'est un menteur ! Le Prophète dit alors : c'est ainsi que le démon m'a envoyé ses deux serviteurs à l'instant Abu Bakr et Omar". (Commentaire de bas de page de la traduction de Maqbool : Sourate "Hajj": 674)
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