HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE
Forum Religion : Le Forum des Religions Pluriel :: ○ Religions & Cie :: Focus/Questions :: Focus/Bible
Page 2 sur 4
Page 2 sur 4 • 1, 2, 3, 4
HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE
Rappel du premier message :
Daniel LORTSCH, Agent général de la Société Biblique Britannique et Étrangère
Préface de M. le pasteur Matthieu LELIÈVRE
1910 — Texte global
Le texte publié par Biblique est contient tout le livre original, hormis quelques illustrations, la partie relative au colportage, des remerciements et un sonnet de R.S. ; les errata, corrections et additions publiés à part et séparément, ont été pris en compte (contrairement à une ré-édition récente obtenue par photocopie de la première moitié de l’ouvrage de D. Lortsch).
Biblique est partage la plupart des opinions de l’auteur, mais pas toutes.
1 - Préface
Par Matth. LELIÈVRE, pasteur.
La Bible en France ! Les deux mots que rapproche le titre de cet ouvrage, mettent en face l'un de l'autre un grand livre et un grand peuple, — un peuple dont l'influence morale dans le monde eût décuplé s'il avait consenti à devenir le peuple de la Bible, — un livre dont l'action sur la race humaine eût été, sans doute, plus grande et plus rapide, s'il avait eu à son service cette incomparable semeuse d'idées qu'est la France. La France avait assurément besoin de la Bible plus que la Bible n'avait besoin de la France ; il n'en est pas moins fâcheux que la cause biblique, qui est la cause même de Dieu, n'ait pas pu s'appuyer, dans sa croisade contre les puissances du mal, sur la civilisation française, restée païenne à tant d'égards sous des dehors chrétiens.
Il y a pourtant une histoire de la Bible en France, et il faut remercier M. Lortsch d'en avoir rassemblé, avec un soin pieux et un zèle de bénédictin, les fragments épars. Il était bien l'ouvrier tout désigné pour une telle entreprise. Agent général en France de la noble Société biblique britannique et étrangère, et appelé, à ce titre, à diriger les travaux des colporteurs bibliques, il s'est voué, avec un enthousiasme que rien ne lasse, à cette belle tâche : mettre l'âme française en contact avec l'Évangile. Et en y travaillant, il s'est trouvé amené naturellement à rechercher, dans le passé, les tentatives faites dans ce but. C'est de ces recherches qu'est sorti l'ouvrage dont nous écrivons la préface.
L'accueil fait à ce livre avant même sa publication, par plus de douze cents souscripteurs, suffirait à montrer qu'il y a dans notre pays un public nombreux qui s'intéresse aux destinées de la Bible et a le pressentiment que cette histoire est une mine singulièrement riche à explorer. Il faut remercier l'auteur d'avoir voulu populariser des faits qui semblaient réservés aux érudits et aux spécialistes, et d'avoir arraché à la poussière des bibliothèques tant de vénérables documents, dont l'existence suffirait à attester que la Bible a eu un rôle important dans l'histoire de notre civilisation et de notre langue. Il ne serait peut-être pas difficile d'établir que, pendant le moyen âge, la France a été la plus biblique des nations de l'Europe. Il conviendrait d'ajouter toutefois que cette culture biblique fut forcément superficielle, d'abord parce que, avant la découverte de l'imprimerie, la Bible restait un livre plus ou moins aristocratique et peu accessible au peuple, et ensuite parce que l'Église romaine se défia de bonne heure du livre qu'elle faisait profession de vénérer, mais dans lequel, par un sûr instinct, elle pressentait un ennemi. Les vieilles Bibles enchaînées dans les bibliothèques des monastères, voilà le symbole parlant de la situation faite au livre de Dieu pendant l'époque médiévale. Ce sont nos réformateurs qui ont prononcé la Parole du Christ, sur ce Lazare revenu à la vie : « Déliez-le et laissez-le aller ! »
Dés lors, les destinées de la Bible sont inséparables de celles de la Réforme. Celle-ci fut la restauration du christianisme primitif et authentique, et en même temps la mise en lumière des Saintes Écritures. Sans s'être concertés et avec un ensemble où l'on reconnaît l'action divine, les réformateurs se montrent au monde, un livre à la main. Wicliffe et Tyndale en Angleterre, Luther et Mélanchthon en Allemagne, Lefèvre d'Étaples, Olivétan et Calvin en France, sont les hommes de la Bible. La mettre à la portée du peuple en la traduisant en langue vulgaire, l'expliquer par la prédication et par le livre, telle est leur tâche. La Bible fut pour eux le pic qui démolit, la truelle qui bâtit, l'épée qui combat. De la Parole écrite, on peut dire ce que dit saint Jean de la Parole vivante : « En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes ». Mais elle aussi naquit pour être « un signe qui provoque la contradiction ».
Nulle histoire n'est plus tragique et plus glorieuse à la fois que l'histoire de la Bible en France depuis la Réformation ; ailleurs, elle a eu des succès plus grands et a exercé une influence plus étendue ; mais nulle part elle n'a peut-être suscité autant d'amour, fait verser autant de larmes, exigé autant de sacrifices que chez nous. Elle a été le livre d'une minorité, toujours combattue, persécutée, méprisée. Ce caractère de la Bible française explique les dédains dont elle a souffert de la part des distributeurs de la renommée. Tandis que la Bible allemande et la Version anglaise « autorisée » devenaient des monuments littéraires de premier ordre et exerçaient une vraie maîtrise sur la langue nationale, la traduction française d'Olivétan restait, en dépit de révisions successives, le livre d'une minorité, dont le style retardait toujours de cinquante ou de cent ans sur la langue courante. Ce n'est que d'hier que notre Bible a renoncé à son style réfugié, dont les particularités étaient comme les cicatrices du soldat blessé dans maintes batailles.
Et que d'autres cicatrices, glorieuses celles-là, portent nos vieilles Bibles françaises ! Arrêtons-nous avec un respect ému devant ce vénérable in-folio du seizième siècle, qui a réussi à parvenir jusqu'à nous, alors que tant d'autres furent brûlés sur le bûcher ou lacérés par les mains du bourreau ou du prêtre. Cette vieille Bible huguenote, qui s'offre à nos regards avec ses feuillets rongés par l'humidité et souillés par le contact des doigts qui les ont tournés ; avec sa reliure disloquée et noircie par la fumée des grandes cheminées de cuisine, quelles aventures elle raconterait si elle pouvait parler ! Pour la dissimuler aux yeux des malintentionnés et des espions, on la cachait sous un tabouret, ou dans une cachette pratiquée dans l'épaisseur d'un mur, ou à l'intérieur du foyer ; dans les jours les plus mauvais, on l'ensevelissait sous les dalles de la maison, ou même dans une fosse creusée dans un champ, sauf à l'exhumer quand la persécution se calmait. Moins intéressante en apparence, mais d'un usage plus pratique, était la Bible de petit format, ordinairement accompagnée du psautier, du catéchisme et de la liturgie, qui pouvait plus facilement que l'in-folio traverser la frontière, dans la pacotille du colporteur, ou, glissée dans la poche, accompagner le prédicant ou le fidèle aux assemblées du Désert, dans les prisons et sur les bancs des galères.
On est dans l'admiration devant la forte culture biblique des huguenots du seizième et du dix-septième siècle, même lorsque la persécution proscrivait la Bible et qu'il était presque impossible de se la procurer. On trouvera plus loin (chapitre III, § 3) des preuves de ce fait, en ce qui concerne le seizième siècle, d'après le martyrologe de Crespin. Le fait est tout aussi certain pour l'époque qui suivit la Révocation de l'Édit de Nantes. Ceux qui résistèrent aux dragons et aux prêtres ou qui se relevèrent de leur défaillance momentanée, étaient des hommes et des femmes qui connaissaient leur Bible à fond et pouvaient tenir tête aux adversaires. Les lettres des galériens et des prisonniers montrent que, chez les laïques de toutes les classes, et chez les femmes comme chez les hommes, l'Évangile fut bien, selon le mot de Vinet, « la conscience de la conscience ». On peut même affirmer que la force de résistance fut en raison directe de la connaissance de la Bible, et que plus la piété fut biblique et plus incorruptibles furent les âmes. Les lettres des forçats pour la Foi, Isaac Le Fèvre, Élie Neau, Louis de Marolles, les frères Serres ; les sermons des pasteurs du Désert, Claude Brousson, Antoine Rocher, Paul Rabaut ; les mémoires de Blanche Gamond, l'héroïque prisonnière de l'hôpital de Valence ; les fragments des « témoignages » d'une Isabeau Vincent, la bergère de Crest et d'autres « petits prophètes » des Cévennes ou du Dauphiné, montrent à quel point l'âme huguenote fut saturée de la plus pure quintessence de l'enseignement biblique.
Du fond des cachots du château d'If, le galérien Céphas Carrière écrivait : « Malgré la vigilance de nos ennemis, nous avons la consolation d'y faire nos exercices de piété, d'y chanter les louanges du Seigneur, d'y lire la sainte Parole, de même qu'on pourrait faire dans une chambre parée et ornée, et nous pencher sur le sein de notre Sauveur et y laisser couler nos larmes. Je m'estime plus heureux dans ces lieux que dans des palais où je n'aurais pas la liberté de servir mon Dieu ».
C'est aussi du château d'If qu'un autre galérien, Élie Neau, écrivait à des amis qu'il avait pu conserver une Bible anglaise, dont la lecture faisait ses délices : « Ainsi, disait-il, je suis plus riche que mes ennemis ne croient ; dans ma plus grande pauvreté, je suis assuré que je suis plus riche qu'eux. Oh ! s'ils savaient combien un homme est riche lorsqu'il est pénétré des rayons de la face de son Dieu ! »
Ces témoignages, auxquels on pourrait en joindre beaucoup d'autres, montrent à quelle source nos pères puisèrent leur force et leur sérénité dans la longue affliction à laquelle ils furent soumis. Ils furent des hommes de la Bible, au sens le plus complet de ce mot. On pourrait même dire qu'ils le furent avec excès, surtout lorsqu'ils prirent les armes pour la défense de leur foi et pour tirer vengeance de leurs ennemis. Vivens, Cavalier, Roland et les Camisards, comme les Huguenots du seizième siècle, s'autorisèrent des exemples de l'Ancien Testament pour courir sus à ceux en qui ils voyaient des Amalécites ou des Philistins. Mais le plus souvent ils demandèrent à la Bible des leçons de patience plutôt que de représailles et prirent pour modèle Jésus plutôt que Josué.
Il n'est pas douteux que l'extrême rareté d'exemplaires des livres saints, pendant le siècle qui va de la Révocation à la Révolution, n'explique en une grande mesure l'état de tiédeur où le protestantisme français retomba, malgré la restauration, plus ecclésiastique que religieuse, dont Antoine Court fut l'instrument. Les Bibles manquaient, et le protestantisme sans la Bible dans toutes les maisons et dans toutes les mains, n'est qu'une protestation stérile et qu'une tradition impuissante.
La vraie restauration des Églises réformées de France, au sens complet et profond de ce mot, ne date ni d'Antoine Court, ni surtout de Napoléon. Elle date de ce retour à la piété qu'on a appelé le Réveil, et ce retour à la piété fut essentiellement un retour à la Bible. Chez nous, comme en Angleterre et dans d'autres contrées, le Réveil a donc dû se donner cet organe indispensable que sont les Sociétés bibliques. La Réformation du seizième siècle a largement utilisé l'imprimerie pour multiplier les exemplaires des Saintes Écritures ; elle a de plus connu et pratiqué le colportage biblique, et plusieurs de ses colporteurs ont été des héros et des martyrs ; mais elle n'a pas possédé ces puissantes sociétés, qui seules ont pu mettre la Bible entre toutes les mains, en en faisant, non plus un objet de commerce, sur lequel le libraire a son profit légitime, mais un instrument d'évangélisation que l'on livre à prix coûtant, et même gratuitement. Le Réveil a donc ajouté, aux moyens anciens de diffusion de la Bible, la puissance de l'association, cette découverte du dix-neuvième siècle, et il a utilisé toutes les ressources que la science moderne lui a fournies, tant pour la traduction et la révision des livres saints, que pour leur multiplication et leur dissémination rapide sur tous les points du globe.
La France a participé à ce mouvement d'évangélisation par la Bible, tant par les immenses bienfaits qu'elle a reçus de la Société biblique britannique et étrangère, que par la création de Sociétés françaises, qui tiennent à honneur de la considérer comme leur mère. Cette propagande a atteint des proportions si vastes, que ce n'est peut-être pas exagérer que de supposer que le nombre d'exemplaires de la Bible ou du Nouveau Testament répandus en France en une seule année égale le nombre vendu dans les trois siècles qui ont suivi la Réforme.
C'est cette histoire de la Bible en France que M. Lortsch raconte dans ce livre, où il a réuni des faits et des documents de grande valeur. Nous sommes assuré d'être l'organe de tous ceux qui le liront en le remerciant d'avoir doté notre littérature protestante d'un ouvrage de premier ordre qui lui manquait.
HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE
ET FRAGMENTS RELATIFS À L'HISTOIRE GÉNÉRALE DE LA BIBLE
Daniel LORTSCH, Agent général de la Société Biblique Britannique et Étrangère
Préface de M. le pasteur Matthieu LELIÈVRE
1910 — Texte global
Le texte publié par Biblique est contient tout le livre original, hormis quelques illustrations, la partie relative au colportage, des remerciements et un sonnet de R.S. ; les errata, corrections et additions publiés à part et séparément, ont été pris en compte (contrairement à une ré-édition récente obtenue par photocopie de la première moitié de l’ouvrage de D. Lortsch).
Biblique est partage la plupart des opinions de l’auteur, mais pas toutes.
1 - Préface
Par Matth. LELIÈVRE, pasteur.
La Bible en France ! Les deux mots que rapproche le titre de cet ouvrage, mettent en face l'un de l'autre un grand livre et un grand peuple, — un peuple dont l'influence morale dans le monde eût décuplé s'il avait consenti à devenir le peuple de la Bible, — un livre dont l'action sur la race humaine eût été, sans doute, plus grande et plus rapide, s'il avait eu à son service cette incomparable semeuse d'idées qu'est la France. La France avait assurément besoin de la Bible plus que la Bible n'avait besoin de la France ; il n'en est pas moins fâcheux que la cause biblique, qui est la cause même de Dieu, n'ait pas pu s'appuyer, dans sa croisade contre les puissances du mal, sur la civilisation française, restée païenne à tant d'égards sous des dehors chrétiens.
Il y a pourtant une histoire de la Bible en France, et il faut remercier M. Lortsch d'en avoir rassemblé, avec un soin pieux et un zèle de bénédictin, les fragments épars. Il était bien l'ouvrier tout désigné pour une telle entreprise. Agent général en France de la noble Société biblique britannique et étrangère, et appelé, à ce titre, à diriger les travaux des colporteurs bibliques, il s'est voué, avec un enthousiasme que rien ne lasse, à cette belle tâche : mettre l'âme française en contact avec l'Évangile. Et en y travaillant, il s'est trouvé amené naturellement à rechercher, dans le passé, les tentatives faites dans ce but. C'est de ces recherches qu'est sorti l'ouvrage dont nous écrivons la préface.
L'accueil fait à ce livre avant même sa publication, par plus de douze cents souscripteurs, suffirait à montrer qu'il y a dans notre pays un public nombreux qui s'intéresse aux destinées de la Bible et a le pressentiment que cette histoire est une mine singulièrement riche à explorer. Il faut remercier l'auteur d'avoir voulu populariser des faits qui semblaient réservés aux érudits et aux spécialistes, et d'avoir arraché à la poussière des bibliothèques tant de vénérables documents, dont l'existence suffirait à attester que la Bible a eu un rôle important dans l'histoire de notre civilisation et de notre langue. Il ne serait peut-être pas difficile d'établir que, pendant le moyen âge, la France a été la plus biblique des nations de l'Europe. Il conviendrait d'ajouter toutefois que cette culture biblique fut forcément superficielle, d'abord parce que, avant la découverte de l'imprimerie, la Bible restait un livre plus ou moins aristocratique et peu accessible au peuple, et ensuite parce que l'Église romaine se défia de bonne heure du livre qu'elle faisait profession de vénérer, mais dans lequel, par un sûr instinct, elle pressentait un ennemi. Les vieilles Bibles enchaînées dans les bibliothèques des monastères, voilà le symbole parlant de la situation faite au livre de Dieu pendant l'époque médiévale. Ce sont nos réformateurs qui ont prononcé la Parole du Christ, sur ce Lazare revenu à la vie : « Déliez-le et laissez-le aller ! »
Dés lors, les destinées de la Bible sont inséparables de celles de la Réforme. Celle-ci fut la restauration du christianisme primitif et authentique, et en même temps la mise en lumière des Saintes Écritures. Sans s'être concertés et avec un ensemble où l'on reconnaît l'action divine, les réformateurs se montrent au monde, un livre à la main. Wicliffe et Tyndale en Angleterre, Luther et Mélanchthon en Allemagne, Lefèvre d'Étaples, Olivétan et Calvin en France, sont les hommes de la Bible. La mettre à la portée du peuple en la traduisant en langue vulgaire, l'expliquer par la prédication et par le livre, telle est leur tâche. La Bible fut pour eux le pic qui démolit, la truelle qui bâtit, l'épée qui combat. De la Parole écrite, on peut dire ce que dit saint Jean de la Parole vivante : « En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes ». Mais elle aussi naquit pour être « un signe qui provoque la contradiction ».
Nulle histoire n'est plus tragique et plus glorieuse à la fois que l'histoire de la Bible en France depuis la Réformation ; ailleurs, elle a eu des succès plus grands et a exercé une influence plus étendue ; mais nulle part elle n'a peut-être suscité autant d'amour, fait verser autant de larmes, exigé autant de sacrifices que chez nous. Elle a été le livre d'une minorité, toujours combattue, persécutée, méprisée. Ce caractère de la Bible française explique les dédains dont elle a souffert de la part des distributeurs de la renommée. Tandis que la Bible allemande et la Version anglaise « autorisée » devenaient des monuments littéraires de premier ordre et exerçaient une vraie maîtrise sur la langue nationale, la traduction française d'Olivétan restait, en dépit de révisions successives, le livre d'une minorité, dont le style retardait toujours de cinquante ou de cent ans sur la langue courante. Ce n'est que d'hier que notre Bible a renoncé à son style réfugié, dont les particularités étaient comme les cicatrices du soldat blessé dans maintes batailles.
Et que d'autres cicatrices, glorieuses celles-là, portent nos vieilles Bibles françaises ! Arrêtons-nous avec un respect ému devant ce vénérable in-folio du seizième siècle, qui a réussi à parvenir jusqu'à nous, alors que tant d'autres furent brûlés sur le bûcher ou lacérés par les mains du bourreau ou du prêtre. Cette vieille Bible huguenote, qui s'offre à nos regards avec ses feuillets rongés par l'humidité et souillés par le contact des doigts qui les ont tournés ; avec sa reliure disloquée et noircie par la fumée des grandes cheminées de cuisine, quelles aventures elle raconterait si elle pouvait parler ! Pour la dissimuler aux yeux des malintentionnés et des espions, on la cachait sous un tabouret, ou dans une cachette pratiquée dans l'épaisseur d'un mur, ou à l'intérieur du foyer ; dans les jours les plus mauvais, on l'ensevelissait sous les dalles de la maison, ou même dans une fosse creusée dans un champ, sauf à l'exhumer quand la persécution se calmait. Moins intéressante en apparence, mais d'un usage plus pratique, était la Bible de petit format, ordinairement accompagnée du psautier, du catéchisme et de la liturgie, qui pouvait plus facilement que l'in-folio traverser la frontière, dans la pacotille du colporteur, ou, glissée dans la poche, accompagner le prédicant ou le fidèle aux assemblées du Désert, dans les prisons et sur les bancs des galères.
On est dans l'admiration devant la forte culture biblique des huguenots du seizième et du dix-septième siècle, même lorsque la persécution proscrivait la Bible et qu'il était presque impossible de se la procurer. On trouvera plus loin (chapitre III, § 3) des preuves de ce fait, en ce qui concerne le seizième siècle, d'après le martyrologe de Crespin. Le fait est tout aussi certain pour l'époque qui suivit la Révocation de l'Édit de Nantes. Ceux qui résistèrent aux dragons et aux prêtres ou qui se relevèrent de leur défaillance momentanée, étaient des hommes et des femmes qui connaissaient leur Bible à fond et pouvaient tenir tête aux adversaires. Les lettres des galériens et des prisonniers montrent que, chez les laïques de toutes les classes, et chez les femmes comme chez les hommes, l'Évangile fut bien, selon le mot de Vinet, « la conscience de la conscience ». On peut même affirmer que la force de résistance fut en raison directe de la connaissance de la Bible, et que plus la piété fut biblique et plus incorruptibles furent les âmes. Les lettres des forçats pour la Foi, Isaac Le Fèvre, Élie Neau, Louis de Marolles, les frères Serres ; les sermons des pasteurs du Désert, Claude Brousson, Antoine Rocher, Paul Rabaut ; les mémoires de Blanche Gamond, l'héroïque prisonnière de l'hôpital de Valence ; les fragments des « témoignages » d'une Isabeau Vincent, la bergère de Crest et d'autres « petits prophètes » des Cévennes ou du Dauphiné, montrent à quel point l'âme huguenote fut saturée de la plus pure quintessence de l'enseignement biblique.
Du fond des cachots du château d'If, le galérien Céphas Carrière écrivait : « Malgré la vigilance de nos ennemis, nous avons la consolation d'y faire nos exercices de piété, d'y chanter les louanges du Seigneur, d'y lire la sainte Parole, de même qu'on pourrait faire dans une chambre parée et ornée, et nous pencher sur le sein de notre Sauveur et y laisser couler nos larmes. Je m'estime plus heureux dans ces lieux que dans des palais où je n'aurais pas la liberté de servir mon Dieu ».
C'est aussi du château d'If qu'un autre galérien, Élie Neau, écrivait à des amis qu'il avait pu conserver une Bible anglaise, dont la lecture faisait ses délices : « Ainsi, disait-il, je suis plus riche que mes ennemis ne croient ; dans ma plus grande pauvreté, je suis assuré que je suis plus riche qu'eux. Oh ! s'ils savaient combien un homme est riche lorsqu'il est pénétré des rayons de la face de son Dieu ! »
Ces témoignages, auxquels on pourrait en joindre beaucoup d'autres, montrent à quelle source nos pères puisèrent leur force et leur sérénité dans la longue affliction à laquelle ils furent soumis. Ils furent des hommes de la Bible, au sens le plus complet de ce mot. On pourrait même dire qu'ils le furent avec excès, surtout lorsqu'ils prirent les armes pour la défense de leur foi et pour tirer vengeance de leurs ennemis. Vivens, Cavalier, Roland et les Camisards, comme les Huguenots du seizième siècle, s'autorisèrent des exemples de l'Ancien Testament pour courir sus à ceux en qui ils voyaient des Amalécites ou des Philistins. Mais le plus souvent ils demandèrent à la Bible des leçons de patience plutôt que de représailles et prirent pour modèle Jésus plutôt que Josué.
Il n'est pas douteux que l'extrême rareté d'exemplaires des livres saints, pendant le siècle qui va de la Révocation à la Révolution, n'explique en une grande mesure l'état de tiédeur où le protestantisme français retomba, malgré la restauration, plus ecclésiastique que religieuse, dont Antoine Court fut l'instrument. Les Bibles manquaient, et le protestantisme sans la Bible dans toutes les maisons et dans toutes les mains, n'est qu'une protestation stérile et qu'une tradition impuissante.
La vraie restauration des Églises réformées de France, au sens complet et profond de ce mot, ne date ni d'Antoine Court, ni surtout de Napoléon. Elle date de ce retour à la piété qu'on a appelé le Réveil, et ce retour à la piété fut essentiellement un retour à la Bible. Chez nous, comme en Angleterre et dans d'autres contrées, le Réveil a donc dû se donner cet organe indispensable que sont les Sociétés bibliques. La Réformation du seizième siècle a largement utilisé l'imprimerie pour multiplier les exemplaires des Saintes Écritures ; elle a de plus connu et pratiqué le colportage biblique, et plusieurs de ses colporteurs ont été des héros et des martyrs ; mais elle n'a pas possédé ces puissantes sociétés, qui seules ont pu mettre la Bible entre toutes les mains, en en faisant, non plus un objet de commerce, sur lequel le libraire a son profit légitime, mais un instrument d'évangélisation que l'on livre à prix coûtant, et même gratuitement. Le Réveil a donc ajouté, aux moyens anciens de diffusion de la Bible, la puissance de l'association, cette découverte du dix-neuvième siècle, et il a utilisé toutes les ressources que la science moderne lui a fournies, tant pour la traduction et la révision des livres saints, que pour leur multiplication et leur dissémination rapide sur tous les points du globe.
La France a participé à ce mouvement d'évangélisation par la Bible, tant par les immenses bienfaits qu'elle a reçus de la Société biblique britannique et étrangère, que par la création de Sociétés françaises, qui tiennent à honneur de la considérer comme leur mère. Cette propagande a atteint des proportions si vastes, que ce n'est peut-être pas exagérer que de supposer que le nombre d'exemplaires de la Bible ou du Nouveau Testament répandus en France en une seule année égale le nombre vendu dans les trois siècles qui ont suivi la Réforme.
C'est cette histoire de la Bible en France que M. Lortsch raconte dans ce livre, où il a réuni des faits et des documents de grande valeur. Nous sommes assuré d'être l'organe de tous ceux qui le liront en le remerciant d'avoir doté notre littérature protestante d'un ouvrage de premier ordre qui lui manquait.
Re: HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE
12 - Chapitre 9 — 16° siècle : La Bible de Lefèvre d'Étaples
Les docteurs de la Sorbonne sentaient que leur règne finirait avec l'élimination de l'alliage humain apporté au texte des Écritures. Aussi leur colère fut grande lorsque, en 1512, Lefèvre d'Étaples (*1), détrônant la Vulgate, fit paraître une traduction latine des épîtres de Paul, avec un commentaire. « Alors, dit M. Douen, les coeurs altérés de foi et de vérité purent saluer l'aurore de la Réformation ». Le premier ouvrage biblique de Lefèvre avait été, en 1509, une édition d'un quintuple texte du psautier, accompagné d'un commentaire (*2).
(*1) Voir ce qui a déjà été dit de Lefèvre, point 7 chapitre 4.
(*2) Psalterium quincuplex. Voici ces cinq textes : Romanum, première correction du psautier de la Vetus Itala par Jérôme, introduite au quatrième siècle dans le diocèse de Rome par le pape Damase. C'est encore le texte en usage dans les Églises du rite romain. La Vulgate n'a pas réussi à le remplacer. Gallicum, version adoptée dans les églises de France (Vulgate). Hebraïcum, version revue par Jérôme sur l'hébreu. Vetus, psautier de la Vetus Itala. Conciliatum, psautier gallican corrigé par Lefèvre d'après les autres.
Chaque psaume est accompagné d'un commentaire et d'une concordance très bien faite, très suggestive, où pour chaque phrase sont indiqués les passages correspondants du Nouveau ou de l'Ancien Testament, le tout en latin. Dans le commentaire sur le Psaume 6, on lit : Donne-moi ton salut éternel, non que j'en sois digne, non que je l'aie mérité, mais à cause de ta seule compassion, et de ta seule grâce. C'est déjà l'affirmation de la doctrine de la justification par la foi.
Voici un exemple de ces parallèles ou concordance (Concordia). Nous prenons le psaume 23. Lefèvre indique successivement les passages suivants (C'est nous qui indiquons les versets (postérieurs à Lefèvre) et les passages correspondants du psaume 23, qui ne sont pas juxtaposés avec les parallèles dans le commentaire, ceux-ci étant indiqués après).
1. Jean 10, 9 : Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé, il entrera et sortira et trouvera des pâturages
…L'Éternel est mon berger, je ne manquerai de rien.
2. Apocalypse 7, 17 : L'agneau qui est au milieu du trône les paîtra, et les conduira aux sources des eaux de la vie
… me dirige près des eaux paisibles.
3. Jérémie 3, 14 : Je vous introduirai dans Sion et je vous donnerai des bergers selon mon coeur
… Il restaure mon âme et me conduit dans les sentiers de la justice, à cause de son nom.
4. Luc 10 : Je vous ai donné puissance sur
les serpents et sur les scorpions
4. Matthieu 28, 20 : Je suis avec vous
tous les jours jusqu'à la fin du monde
…Quand je marche dans la vallée de l'ombre de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi.
5. Les apôtres se retirèrent joyeux d'avoir
été jugés dignes de subir des outrages
pour le nom de Jésus
… Ta houlette et ton bâton me rassurent.
6. Psaume 111, 5 : Il a donné de la nourriture à ceux qui le craignent
… Tu dresses devant moi une table.
7. 1 Pierre 2, 9 : Vous êtes la race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis…
… En face de mes adversaires.
7. 1 Cor. 9, 26 : Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur
…Et ma coupe déborde.
8. Psaume 89 : Je lui conserverai toujours ma bonté, et mon alliance lui sera fidèle
… Le bonheur et la grâce m'accompagneront tous les jours de ma vie.
9. Psaume 27 : Je demande à l'Éternel une chose… je voudrais habiter toute ma vie dans la maison de l'Éternel
… Et j'habiterai dans la maison de l'Éternel jusqu'à la fin de mes jours.
On voit combien ces rapprochements bibliques sont intéressants, quelle connaissance et quel amour de l'Écriture ils dénotent. On pourrait encore aujourd'hui consulter avec édification et profit le travail de Lefèvre.
Ce psautier est le n° 499. A de la Bibliothèque nationale.
Lefèvre d'Étaples, d'après les Icones de Théodore de Bèze.
SEIZIÈME SIÈCLE 93
Cliché prêté par la Société biblique Ce Paris. Nouveau Testament de Lefèvre d'Étaples. Anvers, 1525. Format du volume : 167 X 110 millimètres.
Cliché prété par la Société biblique de Paris.
Évangiles de Lefèvre d'Étaples. Paris, 1524. Format du volume : 164 x 106 millimètres.
Lefèvre d'Étaples, né en 1435, à la fois philosophe, mathématicien et versé dans les langues anciennes, commença par être professeur au collège du cardinal Lemoine, à Paris. Ses succès comme professeur, l'immense étendue de ses connaissances acquises dans de lointains voyages, attiraient sur lui et sur ses nombreux ouvrages l'attention de l'Europe savante et du roi Louis XII. Sa réputation balança, si même elle n'éclipsa un moment, celle d'Érasme. Peu épris du vain éclat de la gloire mondaine, aspirant à la solitude, Lefèvre donna sa démission de professeur en 1507, et accepta l'asile que lui offrait son disciple Briçonnet dans l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. C'est là que, méditant les Saintes Écritures, il ne tarda guère à y découvrir les grandes vérités qui allaient renouveler le monde, et y prépara la traduction et le commentaire sur les épîtres de saint Paul dont nous avons parlé. Ce commentaire fut condamné à la Sorbonne, et mis à l'index à Rome. La lecture en fut interdite sous les peines les plus rigoureuses. Persécuté, dénoncé à la haine populaire comme un précurseur de l'Antechrist, à la suite de ses dissertations sur Marie-Madeleine, où il montrait que Marie-Madeleine n'est pas la pécheresse de Luc vii, Lefèvre se réfugia auprès de Briçonnet, nommé évêque de Meaux en 1517, qui le reçut et le logea dans son palais épiscopal jusqu'en 1525. Il part alors pour Strasbourg. En 1521, il publie ses commentaires sur les quatre Évangiles. En 1523 paraît sa traduction en français du Nouveau Testament, faite sur la Vulgate, mais où sont introduites dans le texte, et indiquées dans une table à la fin du volume, cinquante neuf modifications faites d'après le grec, par exemple amendez-vous pour faites pénitence. Ceci était, pour l'époque, d'une hardiesse inouïe. La voie était ouverte aux traductions faites sur l'original (*).
(*) Ce Nouveau Testament est le no 6414 A, de la Bibliothèque nationale.
Dans les neuf mois qui suivirent son apparition, ce Nouveau Testament fut réimprimé quatre fois en entier.
Voici quelques lignes empruntées aux épîtres exhortatoires qui accompagnent soit les Évangiles, soit les épîtres. On y trouvera un véritable exposé du but et de la méthode évangéliques en fait de traduction, on y trouvera surtout de ces paroles tout enflammées d'un amour intense pour l'Écriture, dont il semble que nous ayons perdu le secret. On sent que Lefèvre a étudié l'Écriture en adorant. C'est nous qui soulignons :
… Maintenant le temps est venu que notre Seigneur Jésus-Christ, seul salut, vérité et vie, veut que son Évangile soit purement annoncé par tout le monde, afin qu'on ne se dévoie plus par autre doctrine des hommes qui cuident être quelque chose… Et afin que un chacun… soit disposé à recevoir cette présente grâce, laquelle Dieu, par sa seule bonté, pitié et clémence, nous présente en ce temps par le doux et amoureux regard de Jésus-Christ notre seul Sauveur, vous sont ordonnées en langue vulgaire, par la grâce d'icelui, les Évangiles… afin que les simples membres de Jésus-Christ puissent être aussi certains de la vérité évangélique comme ceux qui l'ont en latin.
… Ne voyons-nous point que quand il est jour et que le soleil luit clairement, qu'on ne voit nulles étoiles ? Comment donc au jour de Jésus-Christ qui est le vrai soleil, peut-on voir autre lumière que la lumière de sa foi laquelle est baillée en la Sainte Évangile. Si on a foi et fiance en autre qu'en Jésus-Christ touchant la vie éternelle, nous sommes encore en la nuit.
Sachons que les hommes et leurs doctrines ne sont rien sinon d'autant qu'elles sont corroborées et confirmées de la Parole de Dieu. Mais Jésus-Christ est tout. Il est tout homme et toute divinité, et tout homme n'est rien sinon en lui, et nulle parole d'homme n'est rien sinon en parole de lui (*).
(*) Épitre exhortatoire précédant les Évangiles et les Actes.
Et si aucuns disent qu'il vaut mieux lire les Évangiles… en ajoutant, diminuant ou exposant, et qui par ainsi sont plus élégants, se peut répondre qu'on n'a pas voulu aucunement user de paraphrase, crainte de bailler autre sens que le Saint-Esprit avait suggéré aux évangélistes ; pour cette cause user de paraphrase en translatant la Parole de Dieu est chose périlleuse. Et sachez que ce que plusieurs estiment élégance humaine est inélégance et parole fardée devant Dieu.
Qui est-ce donc celui qui n'estimera être chose due et convenante à salut d'avoir ce Nouveau Testament en langue vulgaire ? Qui est chose plus nécessaire à vie, non point de ce monde, mais à vie éternelle ? Et qui est-ce qui défendra aux enfants d'avoir, voir et lire le Testament de leur père ?
Suit une caractéristique des divers auteurs des épîtres. Voici ce que Lefèvre dit de saint Jean :
Et que dirai-je de Jean ? II est couché au lit d'amour divine et de charité qui est le sein de Jésus-Christ, sur lequel aussi s'inclina en terre si profond qu'il ne pense que à amour. Il ne parle que amour, il ne soupire que amour.
Car qui a charité, il a tout. Il a foi en pleine lumière, luisante plus clair en l'esprit élu de Dieu enflambé par amour que ne fait le soleil à midi au plus clair et plus chaud jour de l'été. Il a fiance si parfaite en Dieu que ni ciel ni terre ni chose qui soit au ciel ni en terre ne lui est rien sinon celui seul qui est sa fiance qui lui est tout… Dieu donc nous donne reposer au sein de Jésus-Christ afin que nous puissions être enivrés du vin des anges et de tous les saints et saintes du paradis et de ce monde, ce qui est charité de Jésus-Christ. Duquel on obtient l'intelligence en s'humiliant devant Dieu par humble prière, et plus par soupirs et désirs lesquels Dieu donne aux humbles, et ne sait-on dont ils viennent sinon qu'on sait bien qu'ils ne viennent point d'un coeur de glace comme le nôtre. Plaise au doux Jésus l'échauffer en lui qui est le vrai feu venu en terre pour se donner à tous… En iceux (soupirs) peut-on obtenir plus de grâce, d'intelligence et de connaissance de Dieu et ses saintes Écritures qu'en lisant les commentaires et écritures des hommes sur icelles. Car l'onction de Christ, comme dit saint Jean, enseigne de toutes choses.
… donne-moi de cette eau vive, laquelle se répand aussi et se dérive au résidu du Nouveau Testament, c'est assavoir aux épîtres de Paul, aux épîtres catholiques…, aux Actes, à l'Apocalypse, comme à quatre roues de doctrine divine du triomphant chariot du roi des rois, qui est notre Seigneur JésusChrist, lequel chariot mène au Dieu des dieux en Sion, qui est le père de notre sire Seigneur Jésus-Christ en la gloire céleste (*)…
(*) Epître exhortatoire précédant la seconde partie du Nouveau Testament.
Qu'y a-t-il de plus beau que le passage suivant de la préface du commentaire latin sur les Évangiles ? Le clairon de l'Évangile a-t-il jamais fait entendre des accents plus nets et plus entraînants ?
Le temps viendra bientôt où Christ sera prêché purement et sans mélange de traditions humaines, ce qui ne se fait pas maintenant … O Évangile ! fontaine de l'eau qui jaillit en vie éternelle, quand régneras-tu dans toute ta pureté ? quand Christ sera-t-il tout en tous ? Quand la seule étude, la seule consolation, le seul désir de tous sera-t-il de connaître l'Évangile, de le faire avancer partout ? Tous seront fermement persuadés, comme nos ancètres, que cette Église primitive, teinte du sang des martyrs, avait compris que ne rien savoir excepté l'Évangile, c'est tout savoir.
Dans son commentaire sur 1 Corinthiens 9, Lefèvre dit tout cela d'un mot, qui est une prière
Ô Christ, lumière véritable, reluis, et chasse ces ténèbres, afin qu'ils puissent voir la lumière de tes paroles et être sauvés.
Il vaut la peine de citer aussi les lignes de la préface du psautier de 1523 (ou 1525)
Nous avons mis cedit saint livre en langue vulgaire afin que ceux et celles qui parlent et entendent ce langage puissent prier plus dévotement et par meilleure affection et qu'ils entendent aucunement ce qu'ils prient comme ils font en plusieurs nations.
Et ces lignes de la préface du psautier de 1526 :
Si quelque autre passage en ces psaumes semble difficile ou étrange, et que les simples par eux ne puissent entendre : sans ôter de leur coeur de la Parole de Dieu qui est parole de vie, qu'ils demandent l'intelligence aux amateurs de ladite Parole, et non pas tant lesdits amateurs que la grâce et l'esprit de Dieu satisfera à leur désir et demande, tant en ce saint livre des psaumes qu'es Évangiles ou en autre écriture sainte.
… et s'il vous semble que vous ne puissiez profiter à leur répondre (aux maldisans) taisez-vous alors et bénissez Dieu en vos coeurs et sa sainte Parole, et priez Dieu pour eux que son saint plaisir soit de les enluminer. Mais s'il vous semble que puissiez profiter : admonestez les doucement comme la Parole de Dieu vous donnera et la charité. Disons ce que saint Paul disait : « Je n'ai certes point honte de l'Évangile, car elle est la puissance de Dieu à tout homme qui la croit ».
En 1528, Lefèvre achevait à Blois, où il était précepteur du troisième fils de François 1er, la traduction de l'Ancien Testament, qui paraissait la même année (sauf les psaumes, déjà publiés) à Anvers, avec un privilège de Charles-Quint, et avec l'approbation de Nicolas Coppain et d'autres docteurs de Louvain. Il avait fallu l'imprimer hors de France, car, depuis 1525, ni Simon de Colines, l'imprimeur ordinaire de Lefèvre, ni aucun autre imprimeur n'osait plus imprimer la Bible en français.
L'Ancien Testament fut réédité en 1530, et la Bible entière parut la même année. Cette édition est plus indépendante que la première vis-à-vis de la Vulgate. Ainsi Genèse 3, 15, on y lit Cette semence (au lieu du latin ipsa, la femme) brisera ta tête. Une nouvelle édition, plus indépendante encore vis-à-vis de la Vulgate (édition qu'utilisèrent beaucoup les éditeurs de la Bible anglaise de 1537), parut en 1534. Cette édition fut révisée et pourvue de notes marginales par Lefèvre lui-même, pendant sa retraite à Nérac. Une quatrième édition parut en 1541, après la mort de Lefèvre.
De 1509 à 1541 il parut trente-six éditions des Écritures traduites par Lefèvre : une des épîtres de Paul, en latin ; une du Pentateuque ; six du psautier ; vingt-trois du Nouveau Testament ; deux de l'Ancien ; trois de la Bible entière. D'autres éditions parurent depuis (*).
(*) Les Nouveaux Testaments publiés à Anvers après 1641 d'après Van Eys (nos 36, 37, 38, 40, par exemple) ne peuvent être que des éditions du Nouveau Testament de Lefèvre d'Étaples.
Si la traduction de Lefèvre suit la Vulgate, néanmoins, comme dit M. Petavel, « elle était purgée de ces gloses innombrables qui, comme des plantes parasites, avaient envahi le champ des Écritures ».
Il ne fut pas donné à Lefèvre, comme à Luther, de faire une version définitive de la Bible dans sa langue. « Mais l'idée généreuse et pleine de piété vivante de Lefèvre a traversé les siècles. Nous lui devons notre tribut de reconnaissance. Il fut le premier en France à rejeter dans un esprit sincèrement religieux les interprétations exégétiques fantastiques et arbitraires du moyen âge, et à se pénétrer du vrai sens de l'Écriture. Sans être un réformateur dans le sens vrai du mot (il ne s'est jamais séparé de l'Église romaine), il a compris par où péchait l'Église de son temps rivée à ses traditions, et il a essayé, par la traduction de la Bible en français, de briser les barrières qui séparaient le peuple du christianisme et de l'Évangile » (*).
(*) Lefèvre d'Étaples et la traduction française de la Bible, par A. LAUNE (Revue de l'Histoire des religions, XXXII).
Pourtant il fallait davantage au peuple de Dieu. Lefèvre, malgré le progrès immense qu'il accomplit, fut un réformateur timide et usa de trop de ménagements vis-à-vis de la Vulgate (Au seizième siècle, Thomas James, savant anglais, a relevé dans la Vulgate quatre mille erreurs). Lefèvre n'avait été que courageux, il ne fut pas héroïque. À la fin de sa vie, un soir, à table chez Marguerite de Navarre, dont il était l'hôte, il avait l'air tout défait et versait même des larmes. La reine lui demande la cause de son abattement. « Hélas ! Madame, répondit-il, comment pourrais-je avoir de la joie…, étant le plus grand homme pécheur qui soit sur terre… ? Comment pourrais-je subsister devant le tribunal de Dieu, moi qui ayant enseigné en toute pureté l'Évangile de son Fils à tant de personnes qui ont souffert la mort pour cela, l'ai cependant toujours évitée, dans un âge même où, bien loin de la devoir craindre, je la devais plutôt désirer ? » La reine lui fit entendre que, quelque grand pécheur qu'on se trouvât, il ne fallait jamais désespérer de la miséricorde et de la bonté de Dieu. « Il ne me reste donc plus, dit-il, après avoir fait mon testament, que de m'en aller à Dieu, car je sens qu'il m'appelle ». Après le repas, il se coucha, fortement angoissé. « C'était terrible, dit un témoin, de voir un vieillard si pieux en proie à une telle angoisse et à une telle crainte du jugement de Dieu. Il criait, disant que certainement il périrait éternellement parce qu'il n'avait pas ouvertement confessé la vérité de Dieu ». Un ami, Gérard Roussel, réussit à le calmer, en l'exhortant à mettre toute sa confiance en Christ, et c'est dans ces sentiments que, pleurant toujours, il rendit son âme à Dieu (*1). Il avait cent un ans (*2).
(*1) BONNET, Récits du seizième siècle, p. 18-20. HERMINARD, III, 400. Encyclopédie, article sur Lefèvre d'Étaples, de DOUEN.
(*2) Cela ressort de divers témoignages probants (Voir DOUMERGUE, Calvin, I, 539). Le grand âge qu'avait déjà Lefèvre au moment où ses convictions évangéliques se formèrent par l'étude des Écritures explique en grande partie qu'il ne se soit pas décidé pour la Réforme avec plus de vigueur, et ne peut que rehausser le courage, sinon l'héroïsme, dont il fit preuve. Quand il partit de Meaux pour Strasbourg, il n'avait pas moins de quatre-vingt-dix ans !
Mais, malgré ses lacunes, la version de Lefèvre creusa un sillon profond. Son rôle dans la Réforme fut considérable. Par elle, Lefèvre fut le père spirituel d'un grand nombre de martyrs, et son action au sein du catholicisme fut très étendue. Ce qui le prouve, c'est que, parue en 1530 avec un privilège de Charles-Quint et l'approbation des docteurs de Louvain, elle était, dès 1546, sur la demande de Philippe II et du duc d'Albe, classée dans l'appendice des livres défendus par le concile de Trente (*1). Aussi tous les exemplaires de cette Bible furent-ils détruits avec la dernière rigueur. Ceux qui subsistent sont très rares (*2). Mais la version de Lefèvre ne périt pas pour cela. Son succès demeura tel que les théologiens catholiques, ne pouvant empêcher qu'on la lût, la publièrent en la révisant. C'eût été de mauvaise politique, dans un pays singulièrement influencé par la Réforme, d'interdire purement et simplement la lecture de la Bible. Mieux valait laisser au peuple une Bible, sinon reconnue, au moins tolérée par l'Église, et lui ôter par là la tentation ou la nécessité de recourir à des traductions hérétiques.
(*1) II faut avouer que l'édition illustrée de 1534 contenait une provocation au moins inutile. Dans les deux récits de la tentation, celui de Matthieu et celui de Luc, une gravure représente le tentateur sous les traits et sous le costume d'un moine qui tient son chapelet à la main. Le caractère irénique de Lefèvre, l'âge qu'il avait alors, permettent de penser que cette caricature est imputable non à lui, mais à son éditeur.
(*2) Un exemplaire de l'édition de 1534 se trouve à la Bibliothèque de la Société de l'histoire du protestantisme français. On la trouve aussi à la Bibliothèque mazarine (D. 657) et à la Bibliothèque Sainte-Geneviève (A. 171). La Bibliothèque de la Faculté de théologie de l'Église libre, à Lausanne, possède un exemplaire de l'édition de 1530.
Ainsi la Bible de Lefèvre d'Étaples rendit des services incalculables. L'Église, qui, au dix-septième ou au dix-huitième siècle, ne la remplaça pas, lorsqu'elle eut vieilli, n'aurait certainement pas pris, au seizième siècle, l'initiative d'une version originale populaire, et elle eût encore moins permis aux fidèles l'usage d'une version protestante. Ce qui le prouve, c'est l'opposition qu'elle fit à diverses traductions indépendantes (Benoît, 1566; Corbin, 1643; Marolles, 1649). Grâce à Lefèvre, des milliers et des milliers purent lire la Parole de Dieu, qui, sans lui, en eussent été privés.
Les docteurs de la Sorbonne sentaient que leur règne finirait avec l'élimination de l'alliage humain apporté au texte des Écritures. Aussi leur colère fut grande lorsque, en 1512, Lefèvre d'Étaples (*1), détrônant la Vulgate, fit paraître une traduction latine des épîtres de Paul, avec un commentaire. « Alors, dit M. Douen, les coeurs altérés de foi et de vérité purent saluer l'aurore de la Réformation ». Le premier ouvrage biblique de Lefèvre avait été, en 1509, une édition d'un quintuple texte du psautier, accompagné d'un commentaire (*2).
(*1) Voir ce qui a déjà été dit de Lefèvre, point 7 chapitre 4.
(*2) Psalterium quincuplex. Voici ces cinq textes : Romanum, première correction du psautier de la Vetus Itala par Jérôme, introduite au quatrième siècle dans le diocèse de Rome par le pape Damase. C'est encore le texte en usage dans les Églises du rite romain. La Vulgate n'a pas réussi à le remplacer. Gallicum, version adoptée dans les églises de France (Vulgate). Hebraïcum, version revue par Jérôme sur l'hébreu. Vetus, psautier de la Vetus Itala. Conciliatum, psautier gallican corrigé par Lefèvre d'après les autres.
Chaque psaume est accompagné d'un commentaire et d'une concordance très bien faite, très suggestive, où pour chaque phrase sont indiqués les passages correspondants du Nouveau ou de l'Ancien Testament, le tout en latin. Dans le commentaire sur le Psaume 6, on lit : Donne-moi ton salut éternel, non que j'en sois digne, non que je l'aie mérité, mais à cause de ta seule compassion, et de ta seule grâce. C'est déjà l'affirmation de la doctrine de la justification par la foi.
Voici un exemple de ces parallèles ou concordance (Concordia). Nous prenons le psaume 23. Lefèvre indique successivement les passages suivants (C'est nous qui indiquons les versets (postérieurs à Lefèvre) et les passages correspondants du psaume 23, qui ne sont pas juxtaposés avec les parallèles dans le commentaire, ceux-ci étant indiqués après).
1. Jean 10, 9 : Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé, il entrera et sortira et trouvera des pâturages
…L'Éternel est mon berger, je ne manquerai de rien.
2. Apocalypse 7, 17 : L'agneau qui est au milieu du trône les paîtra, et les conduira aux sources des eaux de la vie
… me dirige près des eaux paisibles.
3. Jérémie 3, 14 : Je vous introduirai dans Sion et je vous donnerai des bergers selon mon coeur
… Il restaure mon âme et me conduit dans les sentiers de la justice, à cause de son nom.
4. Luc 10 : Je vous ai donné puissance sur
les serpents et sur les scorpions
4. Matthieu 28, 20 : Je suis avec vous
tous les jours jusqu'à la fin du monde
…Quand je marche dans la vallée de l'ombre de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi.
5. Les apôtres se retirèrent joyeux d'avoir
été jugés dignes de subir des outrages
pour le nom de Jésus
… Ta houlette et ton bâton me rassurent.
6. Psaume 111, 5 : Il a donné de la nourriture à ceux qui le craignent
… Tu dresses devant moi une table.
7. 1 Pierre 2, 9 : Vous êtes la race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis…
… En face de mes adversaires.
7. 1 Cor. 9, 26 : Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur
…Et ma coupe déborde.
8. Psaume 89 : Je lui conserverai toujours ma bonté, et mon alliance lui sera fidèle
… Le bonheur et la grâce m'accompagneront tous les jours de ma vie.
9. Psaume 27 : Je demande à l'Éternel une chose… je voudrais habiter toute ma vie dans la maison de l'Éternel
… Et j'habiterai dans la maison de l'Éternel jusqu'à la fin de mes jours.
On voit combien ces rapprochements bibliques sont intéressants, quelle connaissance et quel amour de l'Écriture ils dénotent. On pourrait encore aujourd'hui consulter avec édification et profit le travail de Lefèvre.
Ce psautier est le n° 499. A de la Bibliothèque nationale.
Lefèvre d'Étaples, d'après les Icones de Théodore de Bèze.
SEIZIÈME SIÈCLE 93
Cliché prêté par la Société biblique Ce Paris. Nouveau Testament de Lefèvre d'Étaples. Anvers, 1525. Format du volume : 167 X 110 millimètres.
Cliché prété par la Société biblique de Paris.
Évangiles de Lefèvre d'Étaples. Paris, 1524. Format du volume : 164 x 106 millimètres.
Lefèvre d'Étaples, né en 1435, à la fois philosophe, mathématicien et versé dans les langues anciennes, commença par être professeur au collège du cardinal Lemoine, à Paris. Ses succès comme professeur, l'immense étendue de ses connaissances acquises dans de lointains voyages, attiraient sur lui et sur ses nombreux ouvrages l'attention de l'Europe savante et du roi Louis XII. Sa réputation balança, si même elle n'éclipsa un moment, celle d'Érasme. Peu épris du vain éclat de la gloire mondaine, aspirant à la solitude, Lefèvre donna sa démission de professeur en 1507, et accepta l'asile que lui offrait son disciple Briçonnet dans l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. C'est là que, méditant les Saintes Écritures, il ne tarda guère à y découvrir les grandes vérités qui allaient renouveler le monde, et y prépara la traduction et le commentaire sur les épîtres de saint Paul dont nous avons parlé. Ce commentaire fut condamné à la Sorbonne, et mis à l'index à Rome. La lecture en fut interdite sous les peines les plus rigoureuses. Persécuté, dénoncé à la haine populaire comme un précurseur de l'Antechrist, à la suite de ses dissertations sur Marie-Madeleine, où il montrait que Marie-Madeleine n'est pas la pécheresse de Luc vii, Lefèvre se réfugia auprès de Briçonnet, nommé évêque de Meaux en 1517, qui le reçut et le logea dans son palais épiscopal jusqu'en 1525. Il part alors pour Strasbourg. En 1521, il publie ses commentaires sur les quatre Évangiles. En 1523 paraît sa traduction en français du Nouveau Testament, faite sur la Vulgate, mais où sont introduites dans le texte, et indiquées dans une table à la fin du volume, cinquante neuf modifications faites d'après le grec, par exemple amendez-vous pour faites pénitence. Ceci était, pour l'époque, d'une hardiesse inouïe. La voie était ouverte aux traductions faites sur l'original (*).
(*) Ce Nouveau Testament est le no 6414 A, de la Bibliothèque nationale.
Dans les neuf mois qui suivirent son apparition, ce Nouveau Testament fut réimprimé quatre fois en entier.
Voici quelques lignes empruntées aux épîtres exhortatoires qui accompagnent soit les Évangiles, soit les épîtres. On y trouvera un véritable exposé du but et de la méthode évangéliques en fait de traduction, on y trouvera surtout de ces paroles tout enflammées d'un amour intense pour l'Écriture, dont il semble que nous ayons perdu le secret. On sent que Lefèvre a étudié l'Écriture en adorant. C'est nous qui soulignons :
… Maintenant le temps est venu que notre Seigneur Jésus-Christ, seul salut, vérité et vie, veut que son Évangile soit purement annoncé par tout le monde, afin qu'on ne se dévoie plus par autre doctrine des hommes qui cuident être quelque chose… Et afin que un chacun… soit disposé à recevoir cette présente grâce, laquelle Dieu, par sa seule bonté, pitié et clémence, nous présente en ce temps par le doux et amoureux regard de Jésus-Christ notre seul Sauveur, vous sont ordonnées en langue vulgaire, par la grâce d'icelui, les Évangiles… afin que les simples membres de Jésus-Christ puissent être aussi certains de la vérité évangélique comme ceux qui l'ont en latin.
… Ne voyons-nous point que quand il est jour et que le soleil luit clairement, qu'on ne voit nulles étoiles ? Comment donc au jour de Jésus-Christ qui est le vrai soleil, peut-on voir autre lumière que la lumière de sa foi laquelle est baillée en la Sainte Évangile. Si on a foi et fiance en autre qu'en Jésus-Christ touchant la vie éternelle, nous sommes encore en la nuit.
Sachons que les hommes et leurs doctrines ne sont rien sinon d'autant qu'elles sont corroborées et confirmées de la Parole de Dieu. Mais Jésus-Christ est tout. Il est tout homme et toute divinité, et tout homme n'est rien sinon en lui, et nulle parole d'homme n'est rien sinon en parole de lui (*).
(*) Épitre exhortatoire précédant les Évangiles et les Actes.
Et si aucuns disent qu'il vaut mieux lire les Évangiles… en ajoutant, diminuant ou exposant, et qui par ainsi sont plus élégants, se peut répondre qu'on n'a pas voulu aucunement user de paraphrase, crainte de bailler autre sens que le Saint-Esprit avait suggéré aux évangélistes ; pour cette cause user de paraphrase en translatant la Parole de Dieu est chose périlleuse. Et sachez que ce que plusieurs estiment élégance humaine est inélégance et parole fardée devant Dieu.
Qui est-ce donc celui qui n'estimera être chose due et convenante à salut d'avoir ce Nouveau Testament en langue vulgaire ? Qui est chose plus nécessaire à vie, non point de ce monde, mais à vie éternelle ? Et qui est-ce qui défendra aux enfants d'avoir, voir et lire le Testament de leur père ?
Suit une caractéristique des divers auteurs des épîtres. Voici ce que Lefèvre dit de saint Jean :
Et que dirai-je de Jean ? II est couché au lit d'amour divine et de charité qui est le sein de Jésus-Christ, sur lequel aussi s'inclina en terre si profond qu'il ne pense que à amour. Il ne parle que amour, il ne soupire que amour.
Car qui a charité, il a tout. Il a foi en pleine lumière, luisante plus clair en l'esprit élu de Dieu enflambé par amour que ne fait le soleil à midi au plus clair et plus chaud jour de l'été. Il a fiance si parfaite en Dieu que ni ciel ni terre ni chose qui soit au ciel ni en terre ne lui est rien sinon celui seul qui est sa fiance qui lui est tout… Dieu donc nous donne reposer au sein de Jésus-Christ afin que nous puissions être enivrés du vin des anges et de tous les saints et saintes du paradis et de ce monde, ce qui est charité de Jésus-Christ. Duquel on obtient l'intelligence en s'humiliant devant Dieu par humble prière, et plus par soupirs et désirs lesquels Dieu donne aux humbles, et ne sait-on dont ils viennent sinon qu'on sait bien qu'ils ne viennent point d'un coeur de glace comme le nôtre. Plaise au doux Jésus l'échauffer en lui qui est le vrai feu venu en terre pour se donner à tous… En iceux (soupirs) peut-on obtenir plus de grâce, d'intelligence et de connaissance de Dieu et ses saintes Écritures qu'en lisant les commentaires et écritures des hommes sur icelles. Car l'onction de Christ, comme dit saint Jean, enseigne de toutes choses.
… donne-moi de cette eau vive, laquelle se répand aussi et se dérive au résidu du Nouveau Testament, c'est assavoir aux épîtres de Paul, aux épîtres catholiques…, aux Actes, à l'Apocalypse, comme à quatre roues de doctrine divine du triomphant chariot du roi des rois, qui est notre Seigneur JésusChrist, lequel chariot mène au Dieu des dieux en Sion, qui est le père de notre sire Seigneur Jésus-Christ en la gloire céleste (*)…
(*) Epître exhortatoire précédant la seconde partie du Nouveau Testament.
Qu'y a-t-il de plus beau que le passage suivant de la préface du commentaire latin sur les Évangiles ? Le clairon de l'Évangile a-t-il jamais fait entendre des accents plus nets et plus entraînants ?
Le temps viendra bientôt où Christ sera prêché purement et sans mélange de traditions humaines, ce qui ne se fait pas maintenant … O Évangile ! fontaine de l'eau qui jaillit en vie éternelle, quand régneras-tu dans toute ta pureté ? quand Christ sera-t-il tout en tous ? Quand la seule étude, la seule consolation, le seul désir de tous sera-t-il de connaître l'Évangile, de le faire avancer partout ? Tous seront fermement persuadés, comme nos ancètres, que cette Église primitive, teinte du sang des martyrs, avait compris que ne rien savoir excepté l'Évangile, c'est tout savoir.
Dans son commentaire sur 1 Corinthiens 9, Lefèvre dit tout cela d'un mot, qui est une prière
Ô Christ, lumière véritable, reluis, et chasse ces ténèbres, afin qu'ils puissent voir la lumière de tes paroles et être sauvés.
Il vaut la peine de citer aussi les lignes de la préface du psautier de 1523 (ou 1525)
Nous avons mis cedit saint livre en langue vulgaire afin que ceux et celles qui parlent et entendent ce langage puissent prier plus dévotement et par meilleure affection et qu'ils entendent aucunement ce qu'ils prient comme ils font en plusieurs nations.
Et ces lignes de la préface du psautier de 1526 :
Si quelque autre passage en ces psaumes semble difficile ou étrange, et que les simples par eux ne puissent entendre : sans ôter de leur coeur de la Parole de Dieu qui est parole de vie, qu'ils demandent l'intelligence aux amateurs de ladite Parole, et non pas tant lesdits amateurs que la grâce et l'esprit de Dieu satisfera à leur désir et demande, tant en ce saint livre des psaumes qu'es Évangiles ou en autre écriture sainte.
… et s'il vous semble que vous ne puissiez profiter à leur répondre (aux maldisans) taisez-vous alors et bénissez Dieu en vos coeurs et sa sainte Parole, et priez Dieu pour eux que son saint plaisir soit de les enluminer. Mais s'il vous semble que puissiez profiter : admonestez les doucement comme la Parole de Dieu vous donnera et la charité. Disons ce que saint Paul disait : « Je n'ai certes point honte de l'Évangile, car elle est la puissance de Dieu à tout homme qui la croit ».
En 1528, Lefèvre achevait à Blois, où il était précepteur du troisième fils de François 1er, la traduction de l'Ancien Testament, qui paraissait la même année (sauf les psaumes, déjà publiés) à Anvers, avec un privilège de Charles-Quint, et avec l'approbation de Nicolas Coppain et d'autres docteurs de Louvain. Il avait fallu l'imprimer hors de France, car, depuis 1525, ni Simon de Colines, l'imprimeur ordinaire de Lefèvre, ni aucun autre imprimeur n'osait plus imprimer la Bible en français.
L'Ancien Testament fut réédité en 1530, et la Bible entière parut la même année. Cette édition est plus indépendante que la première vis-à-vis de la Vulgate. Ainsi Genèse 3, 15, on y lit Cette semence (au lieu du latin ipsa, la femme) brisera ta tête. Une nouvelle édition, plus indépendante encore vis-à-vis de la Vulgate (édition qu'utilisèrent beaucoup les éditeurs de la Bible anglaise de 1537), parut en 1534. Cette édition fut révisée et pourvue de notes marginales par Lefèvre lui-même, pendant sa retraite à Nérac. Une quatrième édition parut en 1541, après la mort de Lefèvre.
De 1509 à 1541 il parut trente-six éditions des Écritures traduites par Lefèvre : une des épîtres de Paul, en latin ; une du Pentateuque ; six du psautier ; vingt-trois du Nouveau Testament ; deux de l'Ancien ; trois de la Bible entière. D'autres éditions parurent depuis (*).
(*) Les Nouveaux Testaments publiés à Anvers après 1641 d'après Van Eys (nos 36, 37, 38, 40, par exemple) ne peuvent être que des éditions du Nouveau Testament de Lefèvre d'Étaples.
Si la traduction de Lefèvre suit la Vulgate, néanmoins, comme dit M. Petavel, « elle était purgée de ces gloses innombrables qui, comme des plantes parasites, avaient envahi le champ des Écritures ».
Il ne fut pas donné à Lefèvre, comme à Luther, de faire une version définitive de la Bible dans sa langue. « Mais l'idée généreuse et pleine de piété vivante de Lefèvre a traversé les siècles. Nous lui devons notre tribut de reconnaissance. Il fut le premier en France à rejeter dans un esprit sincèrement religieux les interprétations exégétiques fantastiques et arbitraires du moyen âge, et à se pénétrer du vrai sens de l'Écriture. Sans être un réformateur dans le sens vrai du mot (il ne s'est jamais séparé de l'Église romaine), il a compris par où péchait l'Église de son temps rivée à ses traditions, et il a essayé, par la traduction de la Bible en français, de briser les barrières qui séparaient le peuple du christianisme et de l'Évangile » (*).
(*) Lefèvre d'Étaples et la traduction française de la Bible, par A. LAUNE (Revue de l'Histoire des religions, XXXII).
Pourtant il fallait davantage au peuple de Dieu. Lefèvre, malgré le progrès immense qu'il accomplit, fut un réformateur timide et usa de trop de ménagements vis-à-vis de la Vulgate (Au seizième siècle, Thomas James, savant anglais, a relevé dans la Vulgate quatre mille erreurs). Lefèvre n'avait été que courageux, il ne fut pas héroïque. À la fin de sa vie, un soir, à table chez Marguerite de Navarre, dont il était l'hôte, il avait l'air tout défait et versait même des larmes. La reine lui demande la cause de son abattement. « Hélas ! Madame, répondit-il, comment pourrais-je avoir de la joie…, étant le plus grand homme pécheur qui soit sur terre… ? Comment pourrais-je subsister devant le tribunal de Dieu, moi qui ayant enseigné en toute pureté l'Évangile de son Fils à tant de personnes qui ont souffert la mort pour cela, l'ai cependant toujours évitée, dans un âge même où, bien loin de la devoir craindre, je la devais plutôt désirer ? » La reine lui fit entendre que, quelque grand pécheur qu'on se trouvât, il ne fallait jamais désespérer de la miséricorde et de la bonté de Dieu. « Il ne me reste donc plus, dit-il, après avoir fait mon testament, que de m'en aller à Dieu, car je sens qu'il m'appelle ». Après le repas, il se coucha, fortement angoissé. « C'était terrible, dit un témoin, de voir un vieillard si pieux en proie à une telle angoisse et à une telle crainte du jugement de Dieu. Il criait, disant que certainement il périrait éternellement parce qu'il n'avait pas ouvertement confessé la vérité de Dieu ». Un ami, Gérard Roussel, réussit à le calmer, en l'exhortant à mettre toute sa confiance en Christ, et c'est dans ces sentiments que, pleurant toujours, il rendit son âme à Dieu (*1). Il avait cent un ans (*2).
(*1) BONNET, Récits du seizième siècle, p. 18-20. HERMINARD, III, 400. Encyclopédie, article sur Lefèvre d'Étaples, de DOUEN.
(*2) Cela ressort de divers témoignages probants (Voir DOUMERGUE, Calvin, I, 539). Le grand âge qu'avait déjà Lefèvre au moment où ses convictions évangéliques se formèrent par l'étude des Écritures explique en grande partie qu'il ne se soit pas décidé pour la Réforme avec plus de vigueur, et ne peut que rehausser le courage, sinon l'héroïsme, dont il fit preuve. Quand il partit de Meaux pour Strasbourg, il n'avait pas moins de quatre-vingt-dix ans !
Mais, malgré ses lacunes, la version de Lefèvre creusa un sillon profond. Son rôle dans la Réforme fut considérable. Par elle, Lefèvre fut le père spirituel d'un grand nombre de martyrs, et son action au sein du catholicisme fut très étendue. Ce qui le prouve, c'est que, parue en 1530 avec un privilège de Charles-Quint et l'approbation des docteurs de Louvain, elle était, dès 1546, sur la demande de Philippe II et du duc d'Albe, classée dans l'appendice des livres défendus par le concile de Trente (*1). Aussi tous les exemplaires de cette Bible furent-ils détruits avec la dernière rigueur. Ceux qui subsistent sont très rares (*2). Mais la version de Lefèvre ne périt pas pour cela. Son succès demeura tel que les théologiens catholiques, ne pouvant empêcher qu'on la lût, la publièrent en la révisant. C'eût été de mauvaise politique, dans un pays singulièrement influencé par la Réforme, d'interdire purement et simplement la lecture de la Bible. Mieux valait laisser au peuple une Bible, sinon reconnue, au moins tolérée par l'Église, et lui ôter par là la tentation ou la nécessité de recourir à des traductions hérétiques.
(*1) II faut avouer que l'édition illustrée de 1534 contenait une provocation au moins inutile. Dans les deux récits de la tentation, celui de Matthieu et celui de Luc, une gravure représente le tentateur sous les traits et sous le costume d'un moine qui tient son chapelet à la main. Le caractère irénique de Lefèvre, l'âge qu'il avait alors, permettent de penser que cette caricature est imputable non à lui, mais à son éditeur.
(*2) Un exemplaire de l'édition de 1534 se trouve à la Bibliothèque de la Société de l'histoire du protestantisme français. On la trouve aussi à la Bibliothèque mazarine (D. 657) et à la Bibliothèque Sainte-Geneviève (A. 171). La Bibliothèque de la Faculté de théologie de l'Église libre, à Lausanne, possède un exemplaire de l'édition de 1530.
Ainsi la Bible de Lefèvre d'Étaples rendit des services incalculables. L'Église, qui, au dix-septième ou au dix-huitième siècle, ne la remplaça pas, lorsqu'elle eut vieilli, n'aurait certainement pas pris, au seizième siècle, l'initiative d'une version originale populaire, et elle eût encore moins permis aux fidèles l'usage d'une version protestante. Ce qui le prouve, c'est l'opposition qu'elle fit à diverses traductions indépendantes (Benoît, 1566; Corbin, 1643; Marolles, 1649). Grâce à Lefèvre, des milliers et des milliers purent lire la Parole de Dieu, qui, sans lui, en eussent été privés.
Re: HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE
13 - Chapitre 10 — Notre vieil OSTERVALD
13.1 - Le Synode de Chanforans
Le 12 septembre 1532 se réunissait à Chanforans, dans le val d'Angrogne, au Piémont, un synode général des Églises vaudoises. Les Vaudois, « ces chrétiens, dit Merle d’Aubigné, qui appartenaient à la Réformation sans avoir jamais été réformés », avaient compris, à la suite d'un voyage d'enquête de deux de leurs barbes, que les réformateurs professaient sur divers points, soit de doctrine, soit de pratique ecclésiastique, des vues plus strictes qu'eux-mêmes. Ils avaient résolu de convoquer à Chanforans un synode de toutes leurs églises, et d'inviter les réformateurs à exposer leur point de vue. Deux barbes arrivèrent, en juillet 1532, à Grandson, où plusieurs ministres, parmi lesquels Farel, étaient en conférence. Ils les invitèrent à se rendre à Chanforans pour aider le synode de leurs lumières. L'invitation fut acceptée avec joie. Farel et Saunier se rendirent au val d'Angrogne, accompagnés, pensent quelques-uns, d'un troisième personnage dont nous parlerons tout à l'heure. Devant cette immense assemblée (*) qui comptait, outre des représentants des contrées voisines, des délégués venus de la Bourgogne, de la Lorraine, de la Calabre, de la Bohême, et où l'on voyait siéger, à côté des pasteurs et des paysans, les seigneurs de Rive-Noble, de Mirandole, de Solaro, Farel plaida pour la stricte doctrine et la stricte pratique de l'Évangile, et le synode se rangea à son avis. « Dominée par les foudres de Farel, dit M. Comba, la discussion fut rapide comme le feu roulant qui précède une victoire décisive ». Une déclaration nettement évangélique fut adoptée.
(*) En un site ombragé, sur le versant de la montagne, entouré comme un amphithéâtre de pentes rapides et de pics lointains, le barbe Martin Gonin, le pasteur d'Angrogne, avait préparé des bancs rustiques, où devaient prendre place les membres de cette assemblée chrétienne (MERLE D'AUBIGNÉ, Réformation au temps de Calvin, III, 340).
Les barbes montrèrent à Farel et à Saunier les exemplaires manuscrits de l'Ancien et du Nouveau Testament en langue vulgaire, qu'ils conservaient précieusement. Les deux réformateurs représentèrent à l'assemblée de Chanforans que ces exemplaires, en petit nombre, ne pouvaient servir qu'à peu de gens, et qu'une traduction ou une révision des livres saints sur l'original, une « Bible repurgée », s'imposait pour l'honneur de Dieu, pour le bien des chrétiens de langue française, en même temps que comme la meilleure arme contre l'erreur. Les barbes, qui venaient de visiter la France, racontèrent de leur côté qu'ils avaient trouvé les fidèles de ce pays mal pourvus de la parole de vie.
La proposition de Farel et de Saunier fut votée avec enthousiasme (*).
(*) Ceci est le résumé de l'Apologie du translateur, que l'on trouvera plus loin.
« La Bible des Vaudois, dit M. Petavel, fut pour les Églises de France, nouvellement fiancées à Jésus-Christ, comme le présent de noces donné par un frère aîné, le peuple des Vallées, à ses soeurs cadettes ».
« La réunion du val d'Angrogne, dit le même auteur, rencontre momentanée des Réformés d'avant la Réforme avec les enfants de la Renaissance littéraire et biblique, fut pour Rome comme le rapprochement de deux nuages chargés d'électricité. Il en sortit des foudres divines qui, en fondant sur la cité pontificale, purifièrent l'atmosphère morale du seizième siècle » (*).
(*) Op. cit. p. 86.
Déjà, plusieurs années auparavant, dans l'hiver de 1525 à 1526, plusieurs disciples de Lefèvre : Farel, Gérard, Roussel, Michel d'Arande, Simon Robert et Vadasta, avaient entrepris une traduction de la Bible d'après l'original. Gérard Roussel avait traduit le Pentateuque. Puis, l'entreprise avait été interrompue (*).
(*) O. DOUEN, article Olivétan, dans l'Encyclopédie des sciences religieuses.
13.2 - Le « maître d'école » et ce qu'il fit
L'homme qui devait exécuter la décision prise à Chanforans, fut Pierre Robert Olivétan.
Aucun nom ne devrait être plus populaire parmi les protestants que celui de l'homme modeste, consciencieux et savant, qui, traduisant le premier les Écritures en français sur l'original, donna à nos ancêtres la Parole de Dieu « repurgée », ainsi qu'il s'exprime lui-même. Si quelqu'un mérite le titre de Père de l'Église, c'est Olivétan. Et, chose étrange, son nom même est resté inconnu jusqu'à nos jours. On ne savait si Olivetanus (c'est ainsi qu'il est désigné dans les lettres de Calvin) était la traduction d'un nom français ou un surnom. On sait maintenant, par une lettre récemment découverte dans les archives de la ville de Neuchâtel, et qui nous reproduisons plus bas, que son nom était Louis Olivier (*).
(*) On ne sait pourquoi il échangea son prénom de Louis contre ceux de Pierre-Robert.
Boniface Wolfhard, dans une lettre de 1529 à Farel, s'exprime ainsi sur le compte d'Olivétan -
Ce jeune homme, qui aime d'un amour ardent les saintes lettres, et chez lequel on trouve une piété et une intégrité (innocentia) extrêmes, se dérobe pour le moment à la charge de prédicateur, comme étant au-dessus de ses forces, soit qu'il use en cela de modestie, soit qu'il ait une parole peu facile.
Ce dernier trait doit être exact, car Farel écrivait à Bucer, en 1529:
Guillaume du Moulin nous a dit que, pour la parole, il n'est pas fort (voce parum valere).
Mais cela ne l'empêchait pas d'inspirer à tous une vive sympathie. Andronicus, en effet, écrivait à Bucer, en 1533 :
Olivétan, qui n'est pas tant ton Olivétan que notre Olivétan à tous (non tam tuus quant omnium) a été envoyé au Piémont, dans une moisson du Seigneur, la plus dangereuse de toutes.
C'est Olivétan qui, le premier, initia son cousin Jean Calvin à l'Évangile. Il lui fit « goûter quelque chose de la pure religion », dit Théodore de Bèze. Il lui conseilla de lire l'Écriture. « Calvin, ayant suivi ce conseil, commença à se distraire des superstitions papales ».
« Quand Olivétan, a dit M. Doumergue, n'aurait fait qu'initier Calvin à la Réforme, il mériterait un souvenir et une reconnaissance impérissables » (*).
(*) Doumergue, Calvin, I, 119.
On sait peu sur Olivétan, mais le peu qu'on sait, d'après ces témoignages, est bien propre à le faire aimer. Nous verrons plus loin que ce maître d'école était un savant de premier ordre.
En 1528, la persécution l'oblige à s'expatrier. Il quitte Noyon, sa ville natale, et se réfugie à Strasbourg. Là, avec Bucer et Capiton pour maîtres, il étudie le grec et l'hébreu.
En 1531, on le trouve à Neuchâtel, maître d'école, comme naguère Farel à Aigle. Il avait été appelé à ces fonctions par les autorités de la ville. Voici la lettre qu'il leur écrit au commencement de l'hiver. C'est le seul autographe qu'on ait de lui. L'écriture en est lisible, fine, distinguée (*).
(*) Documents inédits sur la Réformation dans le pays de Neuchâtel, par Arthur PIAGET.
À mes très honorés et prudens Seigneurs, messieurs le Baudret, les quatre ministraulx, conseil et commun, etc.
Messieurs,
Entendu vostre bon et honneste vouloir et mandement, ainsi que sçavés suys ci venu par devers vous à votre instance pour enseigner et endoctriner vos enfans, comme par raison et commandement de Dieu appartiendra. Dont par la grâce d'iceluy, espérons mectre telle peine et diligence que ce sera à sa digne gloire, et de vous aultres, Messieurs, et generallement aussi de toute la conté de Neuchâtel, me submectant toujours à votre bon conseil et ordonnance.
Mais pour autant que ja longtemps avec grandz frais et despenz, suy chés honneste et bon bourgeois Henry Bonvespre, ne sachant sur qui seront faictz lesdits despens, attendu que telz ma pauvreté ne pourrait porter, et, davantage désirant sçavoir par quel moien et condition me voulés icy avoir, veu aussy que je suys pour le présent de toute chose destitué et que l'yver approche, auquel temps chascun appete estre ja retiré et logie, nous suplions humblement votre seigneurie et humanité d'avoir regart et mectre ordre et fin à notre estat et condition.
Ainsy que par vostre bonté et prudence sçairés bien faire. À ce prierons Dieu, le Créateur, le Roy des Roys, par lequel estes constitués, vous garder et maintenir en sa saincte volunté et ordonance en tout honneur et prospérité. Ainsy soit-il !
Louys OLIVIER.
Farel, qui savait combien Olivetan était savant en hébreu et en grec, le pressa de se charger de la traduction de la Bible décidée à Chanforans (*1). Saunier joignit ses instances à celles de Farel. Mais Olivétan, qui était d'une modestie rare, excessive même (*2), allégua son insuffisance, quoiqu'il se fût déjà occupé pour son compte personnel de la traduction de la Bible. L'importunité de ses amis ne put le vaincre.
(*1) Olivétan avait-il accompagné Farel et Saunier aux Vallées ? Reuss, Douen, Herminjard l'admettent ; Merle d'Aubigné et Comba ne le croient pas. M. Herminjard l'infère d'une lettre écrite des Vallées, le 5 novembre 1532, par Saunier à Farel. Saunier dit des Vaudois : Fratres… habentes gratiam vel maximam quod ad te nos remiseris (les frères te sont extrêmement reconnaissants de ce que tu nous as renvoyés auprès d'eux). Ce nos, dit M. Herminjard, ne peut désigner que Saunier et Olivétan, puisque les deux barbes revenus avec eux devaient revenir dans tous les cas. Donc, si Olivétan est renvoyé par Farel aux Vallées, c'est qu'il y avait déjà été, c'est qu'il avait assisté au Synode. L'argument est plausible. Toutefois, on peut se demander si, venu avec trois frères, n'ayant fait qu'un corps et qu'une âme avec eux pendant un long et pénible voyage, Saunier n'a pas été amené tout naturellement à dire « nous » même si, strictement, il était le seul « renvoyé », d'autant plus que les deux Vaudois, en fait, revenaient avec lui. On se le représente difficilement disant moi tout court. Certaines circonstances font parfois perdre aux mots leur précision mathématique. Et si Olivétan avait été à Chanforans, les Vaudois ne l'eussent-ils pas pressé, eux-mêmes, de traduire la Bible, vu sa réputation d'hébraïsant ? Or, il ne parle jamais que des instances de Farel, Saunier et Viret.
Ce qui nous semblerait trancher la question, c'est que dans les extraits de son Apologie que l'on trouvera plus loin, le langage d'Olivétan ne laisse guère supposer qu'il ait accompagné les réformateurs au Synode de Chanforans.
(*2) Voir la fin de l'épitre de Calvin en tête de la Bible d'Olivétan, citée plus loin, et ce qu'Olivétan dit de lui-même dans son Apologie.
Cependant on était décidé à ce que, d'une manière ou de l'autre, cette Bible vît le jour. Si on n'avait pas une traduction originale, on aurait une révision de la Bible de Lefèvre d'Étaples. Aussitôt après le synode, deux barbes vaudois, Martin Gonin et Guido, vinrent pour préparer les voies à la publication et s'entendre avec l'imprimeur, Pierre de Wingle. En mars 1533, cet imprimeur sollicitait du conseil de Genève l'autorisation d'imprimer une Bible française.
En octobre 1532, Gonin et Guido se remirent en route, emmenant avec eux Saunier et Olivétan. Ce dernier se rendait aux Vallées pour y annoncer l'Évangile. Mais ce voyage avait aussi pour but de recueillir auprès des Vaudois les dons nécessaires pour l'impression de la Bible. Ce fut donc, au point de vue de l'histoire de la Bible française, un voyage historique, puisqu'il rendit possible, matériellement, l'impression de cette Bible. Les voyageurs affrontaient un danger réel. Les Vaudois étaient persécutés. C'était la « moisson du Seigneur la plus dangereuse de toutes », disait Andronicus, à propos de ce voyage même, dans une lettre que nous avons citée plus haut. De plus, pour se rendre aux Vallées, il fallait traverser les terres du duc de Savoie. On les traversa de nuit. Mais le danger n'empêche pas les voyageurs d'être dévorés, tout le temps, par le besoin d'annoncer l'Évangile. À Vevey, ils « parlent de Christ » à leur hôte et à leur hôtesse (*1), « femme d'un esprit très vif ». Au-dessus de Martigny, avant de passer le Saint-Bernard, ils entreprennent, dans une auberge, un moine du célèbre couvent, auquel « ils parlent beaucoup de Christ » (*2), et qui promet à Saunier de suivre tous ses conseils et tout d'abord de rompre avec l'Antéchrist. Quels hommes ! Et combien dignes de travailler à la publication de la Bible, dont l'esprit les pénètre et les inspire à un si haut degré ! Dans la montagne, les voyageurs tombèrent tous malades, et eurent de mauvais moments à passer. Enfin, ils arrivèrent aux Vallées, où ils reçurent, avec un accueil chaleureux, les ressources nécessaires pour l'impression de la Bible « repurgée ». Ces pauvres montagnards remirent entre les mains de Gonin, le pasteur d'Angrogne, la somme de 500 écus d'or, soit 5.000 francs (qui équivaudraient à environ 60.000 francs, valeur actuelle) (*3) « pour qu'on imprimât le plus tôt possible ». En même temps, des instructions étaient envoyées à Farel pour diriger et hâter le travail.
(*1) De Christo locuti sumus cum hospite et hospita. Tous ces détails sont empruntés à la relation de ce voyage que Saunier envoya à Farel dans sa lettre du 5 novembre 1532. On trouve ce très pittoresque récit dans d'Aubigné (Op. cit., t. III, p. 395-400).
(*2) Quocum multa de Christo locuti sumus. Ibid.
(*3) À cette époque, le gage d'une servante était de 3 à 4 livres faibles, c'est-à-dire de 3 à 4 francs par an, plus deux chemises et une paire de souliers (PETAVEL).
Un an après, rien n'était encore fait, et Saunier, dans un nouveau voyage, essuyait les reproches des Vaudois, et les transmettait à Farel.
D'où venaient ces retards ? Probablement de ce que Farel, anxieux de donner aux Églises de France non une révision, mais une traduction, et persuadé qu'Olivétan pourrait mieux que personne mener l'entreprise à bonne fin, ne perdait pas l'espoir de décider ce dernier à s'en charger. Et c'est, en effet, ce qui arriva. Viret joignit ses importunités à celles de Farel, et, quatre ou cinq mois plus tard, les deux réformateurs triomphaient, à eux deux, des scrupules d'Olivétan. C'est par lettre qu'ils réussirent à le persuader, car Olivétan était resté aux Vallées. Vers la fin de 1533, ou vers le commencement de 1534, Olivétan se mit à l'oeuvre. Un an plus tard, il était prêt (*1). Il date sa préface « des Alpes » (c'est ainsi qu'il désigne le théâtre de ses labeurs), le « 12 février 1535». Le volume fut imprimé à Serrières, près (*2) Neuchâtel, par Wingle, un imprimeur de premier ordre, qui était missionnaire au moins autant qu'imprimeur (*3). Olivétan se rendit à Neuchâtel, probablement en mars, pour surveiller au moins la fin de l'impression. Il retourna aux Vallées en juillet, afin d'y reprendre ses travaux missionnaires.
(*1) « Après avoir travaillé toute l'année », dit-il, dans son Apologie. Cette rapidité s'explique par le fait qu'Olivétan, reprenant peut-être le travail de Gérard Roussel, avait déjà travaillé pour son compte personnel à la traduction de l'Ancien Testament. Quand il consentit à se charger du travail, ses matériaux, en ce qui concerne l'ancien Testament, devaient être prêts. « On ne se serait pas adressé à lui, dit M. Reuss (Op. cit., nouvelle série, t. IV), si le public, si ses amis n'avaient pas été au courant de ses études. Et l'on n'acquiert pas la réputation d'être un fort hébraïsant avant d'avoir approfondi les textes de la Loi et des Prophètes. Il était prêt dès l'époque de son voyage aux Vallées ». Ceci d'ailleurs ressort clairement des lignes suivantes de l'Apologie : « Ayant jà longuement trainé ce joug tout seul, ai été contraint entre ces montagnes et solitudes, user tout seulement des maitres muets c'est-à-dire livres, vu que ceux de vive voix me défaillaient ». En parlant d' « une année », il s'adresse, ne l'oublions pas, à Farel, Saunier, Viret, qui savaient à quoi s'en tenir. Le travail de l'« année », ce fut sans doute une mise au point de l'ancien Testament, la préparation du Nouveau Testament, des Apocryphes et des notes. L'effort accompli n'en était pas moins colossal.
(*2) Voir Doumergue, Jean Calvin, II, 770, et Quartier la Tente, le Canton de Neuchatel, I, 415
(*3) En 1534, Wingle avait imprimé à Neuchâtel un Nouveau Testament, reproduction de celui de Lefèvre. qu'il avait fait précéder d'une préface remarquable, tout enflammée de l'amour des Écritures. Elle est introduite par ces mots : L'imprimeur aux lecteurs. En voici quelques lignes :
« Entre toutes les choses que le Seigneur Dieu a données aux hommes, il n'y a rien de plus précieux, plus excellent ni plus digne que la Sainte et vraie Parole qui est contenue es livres de la Sainte Écriture…
« … à l'étude et leçon des Saintes Écritures nous sommes exhortés par notre bon Père céleste quand il nous commande de ouïr son cher fils Jésus-Christ…
« Même le fait de l'eunuque de la reine de Candace nous y admoneste, lequel jà soit qu'il fût barbare et payen détenu d'infinies occupations et de toutes parts environné de négoces et affaires forains, aussi non entendant la lecture, il lisait la Sainte Écriture, assis en son chariot. Que s'il a été diligent de lire par les chemins, que penses-tu qu'il fit en sa maison ? S'il n'entendait pas encore la leçon d'Ésaïe, que penses-tu qu'il fit après qu'il l'entendit ?.. ».
Le seul exemplaire connu de ce Nouveau Testament se trouve à la Bibliothèque publique de Neuchâtel.
En 1536, il vint à Genève et y occupa une place de professeur dans le collège récemment institué. Il fut aussi, d'après Froment, précepteur des enfants de Chautemps, conseiller de la ville. Il figure sur les registres de Genève, toujours comme « maître d'école ». Il s'occupa de la révision et de la réimpression du Nouveau Testament et de quelques livres de l'Ancien. En 1538, il partit pour l'Italie. Il ne devait pas en revenir. La nouvelle de sa mort, survenue en août de la même année, peut-être à Rome, parvint à Genève en janvier 1539. On n'a sur sa fin aucun détail. « Le voile qui enveloppe cette vie cachée en Dieu, dit M. Comba, nous dérobe même sa tombe ». Il circula des bruits d'empoisonnement, mais on n'a aucune preuve. Tout ce qu'on peut dire, c'est que, s'il mourut empoisonné, l'ennemi, ce jour-là, sut viser à la tête. La nouvelle de sa mort frappa Calvin et ses amis comme un coup de foudre. Dans la préface d'une révision de la Bible d'Olivétan, Calvin appelle ce dernier un « fidèle serviteur de l'Église chrétienne, de bonne et heureuse mémoire ».
Rappelant le mot de Bucer, cité plus haut, nous dirons, comme conclusion : Celui qui a donné aux Églises de la Réforme leur première traduction de la Bible, est bien « notre Olivétan à tous ».
13.3 - La Bible d'Olivétan
13.3.1 - Pièces liminaires
On ne saurait accorder une attention trop minutieuse à cette Bible qui a fourni la nourriture spirituelle de nos pères pendant plus de trois siècles. Ce volume est pour les protestants français une vraie relique de famille. Cette Bible, d'ailleurs, dès qu'on la regarde de près, a quelque chose de vivant. Elle rappelle le mot de Luther au sujet de l'Écriture : « On dirait qu'elle a des mains et des pieds ». Quand on en tourne les feuilles, on voit que tout y respire et l'amour de la Bible, et l'amour des âmes.
Le format est un petit in-folio.
En tête de la page qui sert de titre à l'Ancien Testament, on lit, dans une banderole, en hébreu : La parole de notre Dieu demeure éternellement (Ésaïe XL). Puis :
LA BIBLE
Qui est toute la Saincte escripture
En laquelle sont contenus le Vieil Testament
et le Nouveau translatés
en Francoys. Le Vieil de Lebrieu et le Nouveau
du Grec.
Aussi deux amples tables, l'une pour l'interpretation
des propres noms, l'autre en forme Dindice
pour trouver plusieurs sentences
et matières.
Dieu en tout
Au bas de la page :
Isaiah 1.
Ecoutez cieulx et toy terre preste laureille
car Leternel parle.
Cette page de titre suffit pour montrer avec quel sentiment de la valeur de la Bible et quel sentiment du droit de Dieu cette publication a été entreprise.
Au verso du titre se trouve une épître latine de Calvin (alors âgé de vingt-cinq ans) : À tous empereurs, rois, princes et peuples soumis à l'empire de Christ. Dans cette épître, Calvin revendique pour chacun le droit de lire l'Écriture. En voici quelques lignes :
Cette oeuvre sacrée n'a pas une origine récente, elle ne date pas d'aujourd'hui. Aussi ne nous semble-t-il pas qu'elle ait besoin de l'approbation des hommes… Notre brevet de privilège, c'est l'oracle, c'est l'éternelle vérité du Roi souverain, du Seigneur du ciel, de la terre et de la mer, du Roi des rois… Tout ce que je demande, c'est qu'il soit permis au peuple fidèle d'écouter parler son Dieu, de se laisser instruire par lui. Ne veut-il pas être connu de tous, du plus grand jusqu'au plus petit ? Ne promet-il pas que tous seront enseignés de Dieu ? N'enseigne-t-il pas la science aux enfants sevrés, à ceux qu'on vient d'ôter du sein ? Ne leur fait-il pas comprendre ce qu'ils entendent ? Ne donne-t-il pas la sagesse aux petits ? N'ordonne-t-il pas d'annoncer l'Évangile aux pauvres ? Et quand nous voyons des hommes de toute condition profiter en l'école de Dieu, nous reconnaissons que Dieu a dit vrai, lorsqu'il a promis de répandre son esprit sur toute chair. Nos adversaires murmurent et s'indignent. Qu'est-ce à dire, sinon qu'ils reprochent à Dieu sa générosité ? Oh ! s'ils avaient vécu au temps où Philippe avait six filles qui prophétisaient, comme ils auraient eu de la peine à les supporter, si même ils ne les eussent pas maltraitées…
Après cela, Calvin en appelle à l'exemple des Pères et tance encore, avec toute sa verve de polémiste, ceux qui veulent garder pour eux les trésors de l'Écriture. Puis il présente au lecteur la traduction, et le traducteur,
…qui, distingué par beaucoup d'autres qualités, se surpasse pourtant lui-même par sa modestie, si toutefois c'est de la modestie, et non une timidité démesurée (immodicus pudor) qui l'a presque empêché d'entreprendre un si saint labeur. Il ne l'eût pas fait, si Cusemeth et Chlorotes (*1), ces saints hommes, ces témoins et ces défenseurs de l'invincible Parole de Dieu, ne l'eussent vaincu par leurs exhortations et leurs vives sollicitations, et enfin contraint de rendre les armes…
Il est, je n'en doute point, des endroits qui, soit par suite de la grande diversité des opinions, soit parce que, dans un ouvrage de longue haleine, on a parfois des absences (quia opere in longo interdum somnus irrepit) (*2), ne plairont pas à tout le monde. Mais si le lecteur rencontre de ces endroits, je l'invite à ne pas attaquer et à ne pas incriminer un savant qui a bien mérité des études sacrées, mais bien plutôt à relever ses fautes avec modération… Quant à ceux dont aucune considération ne saurait contenir la langue, je les prie de se souvenir qu'il est très facile de faire assaut de médisances, et que, sous ce rapport, les commères des carrefours elles-mêmes l'emporteront toujours sur les plus habiles rhéteurs… Ils ont affaire à un homme que l'on peut attaquer impunément, sans craindre la réprocité d'un langage sans retenue, mais qu'ils n'attendent pas grande gloire de leur éloquence venimeuse, car ce dicton est aussi vrai qu'il est commun : Railler est facile, essayer de faire mieux l'est moins.
(*1) Cusemeth, mot hébreu qui signifie épeautre, en latin far, pseudonyme de Farel. Chlorotes, mot grec qui signifie verdure, pseudonyme de Viret (viretus).
(*2) Calvin ne se doutait pas qu'il fournissait lui-même, dans cette page (à moins que ce ne fût l'imprimeur), une preuve de la justesse de cette réflexion, si finement énoncée, en parlant des six filles du diacre Philippe, qui, d'après la Vulgate comme d'après le texte, n'en avait que quatre (Act. 21, 9).
Le second feuillet contient la dédicace du traducteur, en français, avec cette suscription : P. Robert Olivetanus lhumble et petit Translateur a Leglise de Jesus-Christ.
Voici quelques extraits de cette préface. C'est un des plus beaux morceaux de notre littérature religieuse protestante. Il est plein d'amour et d'humour (*). Il nous transporte en des temps singulièrement tragiques. On voit, en le lisant, que la traduction d'Olivétan a été faite en plein champ de bataille.
(*) Cet humour naïf, dit M. Doumergue, a fait d'Olivétan un des fondateurs de la langue française, entre Rabelais et Calvin, plus près de Rabelais pour le style, plus près de Calvin pour la pensée… Cette page devrait être, dans les anthologies de notre vieux français, à une place d'honneur (Calvin, I, p. 121).
La bonne coutume a obtenu de toute ancienneté que ceux qui mettent en avant quelque livre en public le viennent à dédier et présenter à quelque Prince, Roy, Empereur ou Monarque, ou s'il y a majesté plus souveraine… Aucuns ont bien telle prudence et égard que leurs inventions ne seraient pas bien reçues du peuple, si elles ne portaient la livrée de quelque très illustre, très excellent, très haut, très puissant, très magnifique, très redouté, très victorieux, très sacré, béatissime et sanctissime nom. Pourquoi avoir eu le tout bien considéré et vu courir et trotter tous les autres écrivains et translateurs, l'un deçà, l'autre delà, l'un à son Mecénas libéralissime, l'autre à son Patron colendissime, l'autre à son je ne sais quel Révérendissime : je ayant en main cette présente translation de la Bible, n'ay pas tant fait pour icelle dame coutume… que je me sois voulu asservir et assujettir au droit qu'elle exige et requiert… Aussi ne lui appartient-il point (à ce livre) faire du parasite quelque glorieux Thraso qu'il rencontre. Car il est bien d'autres étoffes que tous autres livres quels qu'ils soient, les auteurs desquels en font offrandes si profitables et méritoires et si cauteleux échanges contre riches dons et plantureux octrois. Après lesquelles bêtes je ne chasse point, car je me passe bien de tel gibier, la grâce à Dieu qui me fournit de contentement et suffisance.
Ce n'est donc pas à un grand personnage, dit M. Reuss, mais à la paoure Église que l'auteur dédiera son travail…
Car Jésus, dit-il, voulant faire fête à celle-ci de ce que tant elle désire et souhaite, m'a donné cette charge et commission de tirer et déployer icelui thrésor hors des armoires et coffres hébraïques et grecs, pour après l'avoir entassé et empaqueté en bougettes (boites) françaises le plus convenablement que je pourrai, en faire un présent à toi, ô pauvre Église. à qui rien l'on ne présente. Vraiment cette parole t'était proprement due, en tant qu'elle contient tout ton patrimoine, à savoir cette parole par laquelle, par la foi et assurance que tu as en icelle, en pauvreté tu te réputes très riche ; en malheureté, bienheureuse ; en solitude, bien accompagnée ; en doute, acertainée ; en périls, assurée ; en tourments, allégée ; en reproches, honorée ; en adversités, prospère ; en maladie, saine ; en mort, vivifiée. Tu accepteras donc, o pauvrette (paourette) petite Église, cestuy présent, d'aussi joyeuse affection que de bon coeur il t'est envoyé et dédié… Christ ne s'est-il pas donné à telle manière de gens abjects, petits et humbles ; ne leur a-t-il pas familièrement déclaré les grands secrets du royaume qu'il proteste leur appartenir ? C'est sa petite bande invincible, sa petite armée victorieuse, à laquelle, comme un vrai chef de guerre, il donne courage et hardiesse par sa présence, et chasse toute frayeur et crainte par sa vive et vigoureuse Parole…
Ce bien est le tien et toutefois il demeure entièrement à celui qui te le donne. O la bénigne possession de grâce, qui rend au donnant et à l'acceptant une même joie et délectation ! Quelque beau semblant que les hommes fassent et quelque propos qu'ils aient en la bouche, pour vouloir colorer et faire entendre de combien bon coeur ils donnent, toujours y a-t-il en quelque anglet de ce coeur une prudence peureuse qui crie : « Prends garde à ce que tu fais, que tu n'aies faute de ce dont tu es prodigue ! » Or il n'en va pas ainsi de ce don, car il n'est fait que pour être donné et communiqué à un chacun ; et ceux qui le donnent se tiennent pour avoir fait un grand gain et bonne emplette quand ils ont trouvé occasion de te le présenter et le mettre en ta possession.
Quant au pauvre peuple qui te fait le présent, il fut il y a plus de trois cents ans banni de ta compagnie. Épars aux quatre parties de la Gaule il est (à tort toutefois et pour le nom de Christ) réputé le plus méchant que jamais fût, tellement que les autres nations emploient son nom pour injure et reproche. C'est le vrai peuple de patience… Ton frère donc, auquel ta vie tant misérable faisait pitié, s'est souventes fois ingéré, en passant et repassant, de t'appeler par le nom de soeur, s'efforçant de te donner le mot du guet de parfaite et heureuse liberté. Mais toi, toute hébétée de tant de coups, tu passais outre et allais ton chemin… Or avant donc pauvre (paoure) petite Église qui es encore en état de chambrière sous les furieuses trongnes et magistrales menaces de tant de maîtres renfrognés et rébarbatifs, va décrotter tes haillons tout poudreux et terreux d'avoir couru, viré et tracassé, par le marché fangeux de vaines traditions : va laver tes mains toutes sales d'avoir fait l'oeuvre servile d'iniquité : va nettoyer tes yeux tout chassieux de superstition et d'hypocrisie. Veux-tu toujours être ainsi à Maître ? N'est-il pas temps que tu entendes à ton époux Christ ?… Ne prendras-tu pas égard aux précieux joyaux que lui-même (si tu sais comprendre) t'envoie en loyauté de mariage ?… Lui veux-tu point donner ton amour et ta foi ? Qu'attends-tu ? Ne veux-tu pas te fier en lui ? N'y a-t-il pas assez de bien en la maison de ton Père pour t'entretenir ?… As tu doute qu'il te traite mal, lui qui est tant doux et tant de bonne sorte ?… Ne te chaille ! (Courage !) Prends congé de tes maîtres et de cette traître marâtre que tu as si longtemps appelée mère. Mets leur en avant qu'il est temps que tu suives la volonté de Christ ton Époux, lequel te demande. Quitte leur tout ce que tu pourrais avoir gagné et mérité avec eux. Car le tien Époux n'a que faire de ces biens là, qui lui feraient déshonneur. Il est bien vrai que de ta part tu ne lui pourrais apporter en acquit chose qui vaille. Mais qu'y ferais-tu ? Viens hardiment avec tous les plus braves et mignons de ta cour tous faits exécration pour Christ, non pour leurs méfaits, desquels les titres sont ceux-ci, asçavoir : Injuriés, Blamés, Chassés, Decriés, Désavoués, Abandonnés, Excommuniés, Anathématisés, Confisqués, Emprisonnés, Géhennés, Bannis, Eschellés, Mitrés, Décrachés, Chaffaudés, Exoreillés, Tenaillés, Flétris, Tirés, Traînés, Grillés, Rôtis, Lapidés, Brûlés, Noyés, Décapités, Démembrés, et autres semblables titres glorieux et magnifiques du Royaume des Cieux. Tous lesquels il n'a point à dédain, lui qui est tout au contraire des autres princes et rois, lesquels ne veulent personne à leur cour et service s'il n'est noble, bien accoutré, gorgias (coquet), miste (élégant), sain et en bon point. Mais il les veut tels comme lui-même a été en ce monde, et il les appelle amiablement pour les soulager, les enrichir, les avancer et les faire triompher avec lui dans sa cour célestielle.
Maintenant donc, ô noble et digne Église, heureuse Épouse du Fils du Roi, accepte et reçois cette Parole, promesse et Testament…, où tu pourras voir la volonté de Christ, le tien Époux, et de Dieu son Père… lequel ô pauvre (paoure) petite Église, te maintienne en sa grâce ! Des Alpes ce 12° de Février (Feburier) 1535.
Après la préface, vient une Apologie du translateur qui occupe trois feuillets. Dans cette apologie, Olivétan raconte comment il a été amené à entreprendre son travail, et parle de ses labeurs avec une extrême et touchante modestie.
Je suis assez records que toi Cusemeth et toi Almeutes (*1), menés de l'esprit de Dieu pour les grâces qui lui a plu vous donner (quant à l'intelligence de l'Ecriture), allates (*2) trois ans y a visiter les Eglises chrétiennes nos bons frères. Et vous étant assemblés (comme est de coutume) pour conférer et traiter de l'Ecriture Sainte… advisates que tant de sectes et hérésies, tant de troubles et tumultes sordaient en ce temps au monde, et que tout cela venait pour l'ignorance de la parole de Dieu. Voyant aussi les exemplaires du Vieil et Nouveau Testament en langue vulgaire qui étaient entre nous (*3) écrits à la main depuis si longtemps qu'on n'en a point de souvenance ne pouvoir servir sinon à peu de gens, admonestates tous les autres frères pour l'honneur de Dieu (*4) et bien de tous les chrétiens ayant connaissance de la langue française, et pour la ruine de toute fausse doctrine répugnante à vérité : qu'il serait grandement expédient et nécessaire de repurger la Bible selon les langues hébraïques et grecques en langage français. À quoi iceux nos frères se sont joyeusement et de bon coeur accordés, eux employants et évertuants à ce que cette entreprise vînt à effet.
(*1) Mot grec qui signifie vendeur de sel, pseudonyme de Saunier.
(*2) Si Olivétan était allé au Synode de Chanforans avec Farel et Saunier, se serait-il exprimé ainsi ?
(*3) Olivétan s'identifie avec le peuple qu'il a évangélisé et au milieu duquel il a traduit l'Écriture.
(*4) On remarquera qu'à la base de cette entreprise se trouve la grande préoccupation, on peut dire la sublime obsession calviniste, de l'honneur de Dieu.
Or pour ce faire, vous ayant quelque estime de moi autre que ne pensais, m'avez tant prié, sollicité, importuné et quasi adjuré, qu'ai été contraint à entreprendre cette si grande charge. Laquelle certes toi Cusemeth et Chlorotes eussiez pu faire trop mieux que moi, si Dieu vous eût voulu permettre et donner le loisir et qu'il ne vous eût appelé à plus grand choses : asçavoir pour semer le pur grain de sa parole en son champ fructueux et arroser et faire verdoyer son délicieux jardin de Eden. Si vos persuasions (desquelles j'ai bonne souvenance) n'eussent été plus puissantes que mes excuses, je ne devais jamais accepter telle charge vu la grande difficulté de la besogne et la débilité et faiblesse de moi, laquelle ayant bien connue, avais jà par plusieurs fois fait refus de me adventurer à tel hasard ; vu aussi qu'il est autant difficile (comme vous savez) de pouvoir bien faire parler à l'éloquence hébraïque et grecque le langage français (lequel n'est que barbarie au regard d'icelles) si que on voulait enseigner le doux rossignol à chanter le chant du corbeau enroué (*). Attendu aussi que comme il va d'un édifice qui se fait en public, dont chacun devise à sa propre fantaisie, ainsi est-il d'une telle entreprise environnée de toutes parts de repreneurs, corrigears et calomniateurs, non pas domestiques (j'en suis bien assuré) mais étrangers et aliénés de charité. Chrétiens philosophans sur la pointe d'un omicron et étant munis de mille petites calomnies et mécontentements.
(*) C'est nous qui soulignons, ici et plus bas.
Partant à vous qui m'avez mis en oeuvre et estes cause de tout cet affaire, qui m'avez si bien donné à entendre et fait accroire par vive raison que j'en viendrais à bout et le ferais si bien, je viens maintenant, après avoir travaillé toute l'année (*), rendre compte de la besogne faite, rendant grâce et donnant la gloire à Dieu seul, si elle est si bien achevée et parfaite que vous l'entendiez… J'ai fait du mieux que j'ai pu, comme vous voyez. J'ai labouré et foui le plus profondément qu'il m'a été possible en la vive mine de pure vérité pour en tirer offrande que j'apporte pour la décoration et ornement du saint temple de Dieu… Il est licite à un chacun de pouvoir autant apporter et offrir. Aussi en un même corps tels que nous sommes en Jésus-Christ il n'y a nulle envie ni reproche entre les membres. L'œil net qui voit clair adresse le pied qu'il ne choppe et fasse un faux pas sans lui reprocher sa cécité ni souillure. Aussi le pied sale et fangeux marche par les mauvais passages sans avoir envie de la netteté des délicats yeux qui n'endureraient pas la moindre ordure qui soit. J'espère que les clairs et lumineux yeux ne dédaigneront, ne blâmeront point les petits labeurs de moi, qui suis comme l'un des plus petits orteils des bas et humbles pieds de ce corps, fouillans et quérans ce qui nous a été si longtemps caché aux étranges terroirs hébraïques et grecs… Aux bien accordantes orgues de l'Église universelle de Christ, desquels les vifs (vivants) tuyaux sont épars par tous les côtés du monde, les petits tuyaux, quelque menus qu'ils soient, ce néanmoins ils servent à la mélodie et les gros plus résonnants attempèrent aussi leur hautesse à la petitesse et tendre ton d'iceux. Ainsi ai-je espérance qu'il me sera fait, et que le petit et faible son que je jette ne troublera point l'accord, mais plutôt fournira et remplira la plaisante et douce harmonie de la seule et unique foi que nous avons en Jésus-Christ…
(*) Nous expliquons plus haut cette expression.
Je n'ai point honte, comme la veuve évangélique, d'avoir apporté devant vous mes deux petits quadrains en valeur d'une maille qui est toute ma substance…
Après l'Apologie, on lit :
Paul. 1 Corinthiens xiv.
Je veulx certes que tous vous parliez langaiges : mais
encore plus que vous prophetiziez
Item au mesme
Pourtant freres taschez a prophetizer et ne empeschez
point de parler langaiges (*).
(*) Tous ces préliminaires sont semés de citations de la Bible, bien mises en saillie. On voit combien le traducteur, lorsqu'il parlait lui-même, était impatient de laisser parler Dieu.
Suit une autre dédicace (sixième feuillet) avec cette inscription : V. F. C (*) a notre allie et confedere le peuple de l'alliance de Sinai salut.
(*) Viret, Farel, Calvin. Le morceau a cependant été rédigé par Olivétan, d'après M. Reuss, qui base son opinion sur le style. Olivétan exprime la pensée des réformateurs et leur sert de porte-parole.
C'est une épître au peuple juif, destinée à montrer que Jésus est le Messie. Ici encore on retrouve l'amour des âmes, l'esprit missionnaire. Ce morceau est le premier de ce genre que l'on trouve dans la littérature protestante. Il est suivi de cette citation :
Paul aux Romains 12.
Gloire honneur et paix a ung chascun qui fera bien
au juif premierement aussi au grec.
Le verso du septième feuillet contient une poésie latine d'un collaborateur d'Olivétan, Des Périers (*), qui recommande la traduction au lecteur.
(*) En sa qualité de grammairien, dit M. Reuss, il retouchait, corrigeait les rudesses de style du traducteur hébraïsant. Des Périers fut valet de chambre chez Marguerite de Navarre, dont il mettait au net les oeuvres poétiques. Olivétan l'appelle dans son Apologie « notre loyal frère et bon ami ».
Plus nimio quondam rerum studiosa novarum,
Eloquii dives Gallica lingua fuit.
Tot sibi librorum cum scripserit agmina, (mirum est)
Raro, vel nunquam, Biblia sacra refert (*1).
Vana refert : Domini spernens oracula vatum,
Seria futilibus posthabet illa jocis.
Ridiculas autem, Christo revotante, jocandi
Optabit tandem ponere blanditias.
Blanditias sed nacta novas, monimenta salutis,
En habet, et fidei pignora certa suae.
Relligionis habet nunc pura fluenta beatae,
Trita sur Ausonio quae latuere luto (*2).
Viderat ante suas haec Gallica lingua sorores
Scribere veracis verba retecta Dei.
Otia dum captat, tandem perfusa recenti
Luce Dei, voluit tam pia facta sequi.
Immo jam sequitur non inferiore loquendi
Utilitate, eadem quotquot in orbe ferunt.
En igitur faxis, gens Gallica, cordis apertas
Trajiciant aures, quae tua lingua canit.
Accipe, volve diu noctuque volumina sancta,
Non sine sollicito versa labore tibi.
Vana decent vanos. Tu non ignota recantes.
Sat, tua (cum polis es) non aliena colas.
Ad Candidum Lectorem.
Quisquis es, o Lector, primores carminis hujus
Tu ne sperne notas. Qui tibi vertit, is est.
(*1) Exagération manifeste, à moins que l'auteur ne veuille dire que la langue française manquait de traductions bibliques faites sur le texte original.
(*2) Allusion au texte corrompu de la Vulgate (Ausonius veut dire latin).
Ce dernier distique avertit le lecteur qu'il trouvera en acrostiche dans la poésie le nom du traducteur. En effet, en réunissant les premières lettres de ces vers, on forme (le u ayant alors la valeur du v, et réciproquement) le nom de Petrus Robertus Olivetanus.
Le huitième feuillet contient la table des matières, qui est suivie de ces mots : Toutes ces choses sont le livre de vie, et le pact du Souverain, et la connaissance de la verite (citation de l'Ecclésiastique, ch. 24, d'après la Vulgate).
Au verso de ce huitième feuillet on lit :
Au lecteur des deux Testaments contenant la volonté et parole de Dieu :
Le divin Testateur qui en testant ne ment
Et ne vouldroit frauder nullement sa partie :
Veult que de tous soit leu son double Testament
Et qua chascun en soit la teneur departie.
Veu donc que la copie en est dejia sortie
Aux autres nations : pour toy peuple françoys
En ton languaige aussi a este assortie
Afin que de ton droict plus asseure tu sois.
Non seulement en liure escrit lauras aincois
En ton coeur lescrira par diuine practique
(Ainsi qu'il a promis) si tu oys et receois
Du loyal Testateur le Testament publicque.
Après les livres canoniques de l'Ancien Testament viennent les livres apocryphes. Ils sont précédés d'une préface qui leur refuse la canonicité. La voici :
Entendu que les livres précédens se trouvent en langue hébraïque reçus d'un chacun et les suivans qui sont dits apocryphes… ne se trouvent ni en hébreu ni en chaldéen, et aussi ne sont point reçus ni tenus comme légitimes tant des hébreux que de toute l'Église, ainsi que profère Saint-Jérôme, nous les avons séparés et réduits à part pour les mieux discerner et connaître, afin qu'on sache desquels le témoignage doit être reçu ou non (Suivent quelques témoignages historiques).
Pourquoi donc, quand tu voudras maintenir aucune chose pour certaine rendant raison de ta foi, regarde d'y procéder par vive et puissante Ecriture en ensuivant saint Pierre qui dit : Celui qui parle, qu'il parle comme parole de Dieu. Il dit parole de Dieu comme très véritable et très certaine manifestée par les prophètes et apôtres divinement inspirés, desquels nous avons témoignage plus clair que le jour. Les juristes aussi, ayant grand soin de confirmer et établir leurs opinions par la loi humaine, disent qu'ils ont honte de parler sans loi. Combien donc plus grande horreur et vergogne doit avoir celui qui se dit chrétien, ne se attend et ne se arrête ès lois du Dieu vivant, mais aux humaines, jugeant toutes choses selon sa fantaisie et jugement incertain. Par ainsi, nous édifiés sur le fondement des saints prophètes et apôtres (sur lequel ils se sont fondés et lequel ils ont annoncé qui est Jésus-Christ, la ferme pierre), délaisserons les choses incertaines pour suivre les certaines, nous arrêtant et nous appuyant en icelles, et là fichant notre ancre comme en lieu sûr, car notre foi chrétienne ne consiste point ès choses douteuses, mais en pleine et très certaine assurance et très vraie persuasion prise et confirmée par vérité qui est infaillible. En laquelle Dieu nous doit cheminer perpétuellement afin que selon icelle (acceptant eu nous sa sainte volonté et déjetant toute autre intention à lui contraire) puissions vivre à son honneur et édification de son église. Ainsi soit-il.
En tête de la page de titre du Nouveau Testament, on lit, en grec, dans une banderole : Ils seront tous enseignés de Dieu.
Puis
Le Nouveau Testament
De nostre Seigneur et seul Sauveur
Jesus Christ
Translate de Grec en Francoys.
En Dieu tout.
Matthieu XVII.
Cestuy est mon fils bien ayme auquel
ay pris mon. bon plaisir
escoutez le.
Suit une nouvelle préface de Calvin, traduite en français par Olivétan, d'après Reuss (trois pages), qui retrace l'histoire de la révélation. Elle est trop belle pour ne pas en citer au moins la fin. CHRIST ET LES ÉCRITURES, voilà le thème de ce morceau.
Sans l'Évangile, nous sommes inutiles et vains ; sans l'Évangile, nous ne sommes chrétiens ; sans l'Évangile, toute richesse est pauvreté ; sagesse est folie devant Dieu ; force est faiblesse ; toute justice humaine est damnée. Mais par la connaissance de l'Évangile, nous sommes faits enfants de Dieu, frères de Jésus-Christ, combourgeois des saints, citoyens du royaume des cieux, héritiers de Dieu avec Jésus-Christ, par lequel les pauvres sont faits riches, les faibles puissants, les fous sages, les pécheurs justifiés, les désolés consolés, les douteurs certains, les serfs affranchis. C'est la puissance de Dieu en salut à tout croyant…
Ô chrétiens et chrétiennes, entendez ceci et apprenez ! Où est donc votre espérance, si vous méprisez et dédaignez d'ouïr, voir, lire et retenir ce saint Évangile ? Ceux qui ont leurs affections fichées en ce monde pourchassent par tous moyens ce qu'ils pensent appartenir à leur félicité, sans épargner ni labeur, ni corps, ni vie, ni renommée. Et toutes ces choses se font pour servir à ce malheureux corps, duquel la vie est si vaine, misérable et incertaine… Ceux qui s'adonnent aux arts mécaniques, quelque bas ou vils qu'ils soient, mettent si grande peine à les apprendre et savoir, et ceux qui veulent être réputés les plus vertueux se tourmentent l'esprit nuit et jour pour comprendre quelque chose aux sciences humaines, qui ne sont que vent et fumée. Combien, au prix, nous devons nous employer et efforcer en l'étude de cette sagesse céleste qui outrepasse tout le monde et pénètre jusqu'aux mystères de Dieu qu'il lui a plu de révéler par sa sainte Parole !
Quelle chose donc sera-ce qui nous pourra détourner et aliéner de ce saint Évangile ? Seront-ce injures, malédictions, opprobre, privation des honneurs mondains ? Mais nous savons bien que Jésus-Christ a passé par ce chemin que nous devons suivre, si nous voulons être ses disciples… Seront-ce bannissements, proscriptions, privations des biens et richesses ? Mais nous savons bien que quand nous serons bannis d'un pays, la terre est au Seigneur, et quand nous serons jetés hors de toute la terre, nous ne serons pas toutefois hors de son règne, que quand nous serons dépouillés et appauvris, nous aurons un Père assez riche pour nous nourrir, et même que Jésus-Christ s'est fait pauvre afin que nous le suivions en pauvreté. Seront-ce afflictions, prisons, tortures, tourments ? Mais nous connaissons par l'exemple de Jésus-Christ que c'est le chemin pour parvenir en gloire. Sera-ce finalement la mort ? Mais elle ne nous ôte pas la vie qui est à souhaiter. Bref, si nous avons Jésus-Christ avec nous, nous ne trouverons chose si M...... qui ne soit bénie par lui, chose si exécrable qui ne soit sanctifiée, chose si mauvaise qui ne nous tourne en bien. Ne nous décourageons pas quand nous verrons contre nous toutes les puissances et forces mondaines ; ne soyons donc pas désolés comme si toute espérance était perdue quand nous verrons mourir devant nos yeux les vrais serviteurs de Dieu…
Or puisque vous avez entendu que l'Évangile vous présente Jésus-Christ en qui toutes les promesses et grâces de Dieu sont accomplies, et vous déclare qu'il a été envoyé du Père, est descendu en terre, a conversé avec les hommes, a parfait tout ce qui touchait à notre salut, il vous doit être très certain et très manifeste que les trésors du Paradis vous y sont ouverts et les richesses de Dieu déployées et la vie éternelle révélée. Car ceci est la vie éternelle, connaître un seul vrai Dieu, et celui qu'il a envoyé, Jésus-Christ. C'est lui qui est Isaac, le Fils bien-aimé du Père, qui a été offert en sacrifice et toutefois n'a point succombé à la puissance de la mort. C'est lui le vigilant pasteur Jacob ayant si grand soin des brebis qu'il a en garde. C'est lui le bon et pitoyable frère Joseph qui en sa gloire n'a point pris honte de reconnaître ses frères, quelque méprisables et abjects qu'ils fussent. C'est lui le grand sacrificateur et évêque Melchisédec ayant fait sacrifice éternel une fois pour toutes. C'est lui le souverain législateur Moïse écrivant sa loi sur les tables de nos coeurs par son Esprit. C'est lui le fidèle capitaine et guide Josué, pour nous conduire en la terre promise. C'est lui le noble et victorieux roi David, assujettissant à sa main toute puissance rebelle. C'est lui le magnifique et triomphant roi Salomon, gouvernant son règne en paix et prospérité. Et même tout ce qui se pourrait penser ou désirer de bien est trouvé en un seul, Jésus-Christ. Car il s'est humilié pour nous exalter ; il s'est asservi pour nous affranchir ; il a été vendu pour nous racheter ; captif, pour nous délivrer ; condamné, pour nous absoudre ; il a été fait malédiction pour notre bénédiction ; oblation de péché pour notre justice ; il a été défiguré pour nous figurer ; il est mort pour notre vie, tellement que par lui rudesse est adoucie, courroux apaisé, ténèbres éclaircies, injustice justifiée, faiblesse vertueuse, déconfort consolé, péché empêché, mépris méprisé, crainte assurée, dette quittée, labeur allégé, tristesse réjouie, malheur bien heuré, difficulté facile, désordre ordonné, division unie, ignominie anoblie, rébellion assujettie, menace menacée, embûches débuchées, assauts assaillis, effort efforcé, combat combattu, guerre guerroyée, vengeance vengée, tourment tourmenté, damnation damnée, abime abimé, enfer enferré, mort morte, mortalité immortelle. Bref, miséricorde a englouti toute misère, et bonté toute malheureté. Car toutes ces choses qui solaient être armes du diable pour nous combattre et aiguillon de la mort pour nous poindre, nous sont tournées en exercice, desquels nous pouvons faire notre profit… Et de là il advient que par son Esprit promis à ses élus, nous ne vivons plus, mais Christ vit en nous, et nous sommes par esprit assis aux lieux célestes, en tant que le monde ne nous est plus monde, bien que nous continuions à y vivre. Mais nous sommes contents en tous pays, lieux, conditions, habillements, viandes et telles autres choses ; nous sommes consolés en tribulations ; joyeux en tristesse, glorieux en outrage, abondants en pauvreté, patients dans les maux, vivants en la mort.
Repentez-vous et croyez à l'Évangile
Marc I.
Après l'Apocalypse, on lit :
Tout en Dieu.
Paul aux Romains 10.
L'accomplissement de la loy est Christ.
(Ces derniers mots d'abord en grec, puis en français).
Le volume se termine par deux tables, dont la première donne l'explication des noms propres de la Bible (87 colonnes). Elle est précédée de ces deux distiques le premier, de H. Rosa, le second, de Des Périers :
Nomina perfacili distinximus indice lector
Ut collecta tuis usibus apta forent.
Ne mirere novo prodire vocabula cultu,
Sed verum in tenebris delituisse diu.
et suivie de la citation du passage suivant :
1 Jean I
Si nous disons : Nous navons point de peche
Nous decevons nous mesmes et verite
Nest point en nous.
L'autre table est un Indice des principales matieres contenues en la Bible, une table de concordance par sujets (66 colonnes).
Cet indice est précédé de l'intéressante petite préface qui suit (*1) :
Matthieu Gramelin (*2) aux lecteurs chrestiens :
La grace et paix de Dieu vous soit donnee par Jesus Christ. Comme les avettes songneusement recueillent les fleurs odorantes pour faire par naturel artifice le doulx miel : aussi ay ie les principales sentences contenues en la Bible. Lesquelles pour la consolation de ceulx qui ne sont point encore exercitez et instruictz en la Sainete escripture sont ordonnées par forme de Indice. Auquel sont exposez, collationnez, concordez, et lung a lautre confrontez plusieurs difficiles passages tant du vieil que du nouveau testament : affin que le prudent Lecteur par lesperit de Dieu en puisse rapporter naisve et claire intelligence. Dont chascun (comme est tenu) pourra estre appreste muny et garny de response a tous ceulx qui demanderont raison de sa foy. Ce aussi est utile pour les particuliers et generales exhortations quon faict a certains personnages ou commun populaire ; et pour véritablement respondre aux heretiques et confondre les adversaires de la parolle de Dieu. En quoi aussi on pourra trouver ce qui soulage grandement lestude des Lecteurs lexplication daucuns tropes hébraïques translations similitudes et facons de parler (que nous disons idiotismes) contenues en la Bible. Mais pour plus facilement trouver les matieres desirees (à cause que desordre produit confusion) iay procede jouxte lordre Alphabetique : affin que nul ne soit prive dung si precieux thresor : duquel vous userez a lhonneur et gloire de Dieu et a ledification de son eglise.
(*1) Dans ce court morceau, nous maintenons telle quelle. comme dans les morceaux en vers, à titre de spécimen, l'orthographe du temps, qu'ailleurs nous avons sacrifiée, pour faciliter la lecture.
(*2) Anagramme de Malingre, ancien dominicain qui fut un des premiers ouvriers de la Réformation dans la Suisse romande. Il devint pasteur à Neuchâtel en 1535. C'est lui qui est l'auteur de l'« indice », qu'il avait déjà publié, mais moins développé, dans le Nouveau Testament de Wingle de 1534.
À la dernière page du volume on lit,
Acheve d'imprimer en la ville et conte de
Neufchastel par Pierre Wingle dicit
Pirot Picard l'an M.D.XXXV
le IVe jour de juing
13.1 - Le Synode de Chanforans
Le 12 septembre 1532 se réunissait à Chanforans, dans le val d'Angrogne, au Piémont, un synode général des Églises vaudoises. Les Vaudois, « ces chrétiens, dit Merle d’Aubigné, qui appartenaient à la Réformation sans avoir jamais été réformés », avaient compris, à la suite d'un voyage d'enquête de deux de leurs barbes, que les réformateurs professaient sur divers points, soit de doctrine, soit de pratique ecclésiastique, des vues plus strictes qu'eux-mêmes. Ils avaient résolu de convoquer à Chanforans un synode de toutes leurs églises, et d'inviter les réformateurs à exposer leur point de vue. Deux barbes arrivèrent, en juillet 1532, à Grandson, où plusieurs ministres, parmi lesquels Farel, étaient en conférence. Ils les invitèrent à se rendre à Chanforans pour aider le synode de leurs lumières. L'invitation fut acceptée avec joie. Farel et Saunier se rendirent au val d'Angrogne, accompagnés, pensent quelques-uns, d'un troisième personnage dont nous parlerons tout à l'heure. Devant cette immense assemblée (*) qui comptait, outre des représentants des contrées voisines, des délégués venus de la Bourgogne, de la Lorraine, de la Calabre, de la Bohême, et où l'on voyait siéger, à côté des pasteurs et des paysans, les seigneurs de Rive-Noble, de Mirandole, de Solaro, Farel plaida pour la stricte doctrine et la stricte pratique de l'Évangile, et le synode se rangea à son avis. « Dominée par les foudres de Farel, dit M. Comba, la discussion fut rapide comme le feu roulant qui précède une victoire décisive ». Une déclaration nettement évangélique fut adoptée.
(*) En un site ombragé, sur le versant de la montagne, entouré comme un amphithéâtre de pentes rapides et de pics lointains, le barbe Martin Gonin, le pasteur d'Angrogne, avait préparé des bancs rustiques, où devaient prendre place les membres de cette assemblée chrétienne (MERLE D'AUBIGNÉ, Réformation au temps de Calvin, III, 340).
Les barbes montrèrent à Farel et à Saunier les exemplaires manuscrits de l'Ancien et du Nouveau Testament en langue vulgaire, qu'ils conservaient précieusement. Les deux réformateurs représentèrent à l'assemblée de Chanforans que ces exemplaires, en petit nombre, ne pouvaient servir qu'à peu de gens, et qu'une traduction ou une révision des livres saints sur l'original, une « Bible repurgée », s'imposait pour l'honneur de Dieu, pour le bien des chrétiens de langue française, en même temps que comme la meilleure arme contre l'erreur. Les barbes, qui venaient de visiter la France, racontèrent de leur côté qu'ils avaient trouvé les fidèles de ce pays mal pourvus de la parole de vie.
La proposition de Farel et de Saunier fut votée avec enthousiasme (*).
(*) Ceci est le résumé de l'Apologie du translateur, que l'on trouvera plus loin.
« La Bible des Vaudois, dit M. Petavel, fut pour les Églises de France, nouvellement fiancées à Jésus-Christ, comme le présent de noces donné par un frère aîné, le peuple des Vallées, à ses soeurs cadettes ».
« La réunion du val d'Angrogne, dit le même auteur, rencontre momentanée des Réformés d'avant la Réforme avec les enfants de la Renaissance littéraire et biblique, fut pour Rome comme le rapprochement de deux nuages chargés d'électricité. Il en sortit des foudres divines qui, en fondant sur la cité pontificale, purifièrent l'atmosphère morale du seizième siècle » (*).
(*) Op. cit. p. 86.
Déjà, plusieurs années auparavant, dans l'hiver de 1525 à 1526, plusieurs disciples de Lefèvre : Farel, Gérard, Roussel, Michel d'Arande, Simon Robert et Vadasta, avaient entrepris une traduction de la Bible d'après l'original. Gérard Roussel avait traduit le Pentateuque. Puis, l'entreprise avait été interrompue (*).
(*) O. DOUEN, article Olivétan, dans l'Encyclopédie des sciences religieuses.
13.2 - Le « maître d'école » et ce qu'il fit
L'homme qui devait exécuter la décision prise à Chanforans, fut Pierre Robert Olivétan.
Aucun nom ne devrait être plus populaire parmi les protestants que celui de l'homme modeste, consciencieux et savant, qui, traduisant le premier les Écritures en français sur l'original, donna à nos ancêtres la Parole de Dieu « repurgée », ainsi qu'il s'exprime lui-même. Si quelqu'un mérite le titre de Père de l'Église, c'est Olivétan. Et, chose étrange, son nom même est resté inconnu jusqu'à nos jours. On ne savait si Olivetanus (c'est ainsi qu'il est désigné dans les lettres de Calvin) était la traduction d'un nom français ou un surnom. On sait maintenant, par une lettre récemment découverte dans les archives de la ville de Neuchâtel, et qui nous reproduisons plus bas, que son nom était Louis Olivier (*).
(*) On ne sait pourquoi il échangea son prénom de Louis contre ceux de Pierre-Robert.
Boniface Wolfhard, dans une lettre de 1529 à Farel, s'exprime ainsi sur le compte d'Olivétan -
Ce jeune homme, qui aime d'un amour ardent les saintes lettres, et chez lequel on trouve une piété et une intégrité (innocentia) extrêmes, se dérobe pour le moment à la charge de prédicateur, comme étant au-dessus de ses forces, soit qu'il use en cela de modestie, soit qu'il ait une parole peu facile.
Ce dernier trait doit être exact, car Farel écrivait à Bucer, en 1529:
Guillaume du Moulin nous a dit que, pour la parole, il n'est pas fort (voce parum valere).
Mais cela ne l'empêchait pas d'inspirer à tous une vive sympathie. Andronicus, en effet, écrivait à Bucer, en 1533 :
Olivétan, qui n'est pas tant ton Olivétan que notre Olivétan à tous (non tam tuus quant omnium) a été envoyé au Piémont, dans une moisson du Seigneur, la plus dangereuse de toutes.
C'est Olivétan qui, le premier, initia son cousin Jean Calvin à l'Évangile. Il lui fit « goûter quelque chose de la pure religion », dit Théodore de Bèze. Il lui conseilla de lire l'Écriture. « Calvin, ayant suivi ce conseil, commença à se distraire des superstitions papales ».
« Quand Olivétan, a dit M. Doumergue, n'aurait fait qu'initier Calvin à la Réforme, il mériterait un souvenir et une reconnaissance impérissables » (*).
(*) Doumergue, Calvin, I, 119.
On sait peu sur Olivétan, mais le peu qu'on sait, d'après ces témoignages, est bien propre à le faire aimer. Nous verrons plus loin que ce maître d'école était un savant de premier ordre.
En 1528, la persécution l'oblige à s'expatrier. Il quitte Noyon, sa ville natale, et se réfugie à Strasbourg. Là, avec Bucer et Capiton pour maîtres, il étudie le grec et l'hébreu.
En 1531, on le trouve à Neuchâtel, maître d'école, comme naguère Farel à Aigle. Il avait été appelé à ces fonctions par les autorités de la ville. Voici la lettre qu'il leur écrit au commencement de l'hiver. C'est le seul autographe qu'on ait de lui. L'écriture en est lisible, fine, distinguée (*).
(*) Documents inédits sur la Réformation dans le pays de Neuchâtel, par Arthur PIAGET.
À mes très honorés et prudens Seigneurs, messieurs le Baudret, les quatre ministraulx, conseil et commun, etc.
Messieurs,
Entendu vostre bon et honneste vouloir et mandement, ainsi que sçavés suys ci venu par devers vous à votre instance pour enseigner et endoctriner vos enfans, comme par raison et commandement de Dieu appartiendra. Dont par la grâce d'iceluy, espérons mectre telle peine et diligence que ce sera à sa digne gloire, et de vous aultres, Messieurs, et generallement aussi de toute la conté de Neuchâtel, me submectant toujours à votre bon conseil et ordonnance.
Mais pour autant que ja longtemps avec grandz frais et despenz, suy chés honneste et bon bourgeois Henry Bonvespre, ne sachant sur qui seront faictz lesdits despens, attendu que telz ma pauvreté ne pourrait porter, et, davantage désirant sçavoir par quel moien et condition me voulés icy avoir, veu aussy que je suys pour le présent de toute chose destitué et que l'yver approche, auquel temps chascun appete estre ja retiré et logie, nous suplions humblement votre seigneurie et humanité d'avoir regart et mectre ordre et fin à notre estat et condition.
Ainsy que par vostre bonté et prudence sçairés bien faire. À ce prierons Dieu, le Créateur, le Roy des Roys, par lequel estes constitués, vous garder et maintenir en sa saincte volunté et ordonance en tout honneur et prospérité. Ainsy soit-il !
Louys OLIVIER.
Farel, qui savait combien Olivetan était savant en hébreu et en grec, le pressa de se charger de la traduction de la Bible décidée à Chanforans (*1). Saunier joignit ses instances à celles de Farel. Mais Olivétan, qui était d'une modestie rare, excessive même (*2), allégua son insuffisance, quoiqu'il se fût déjà occupé pour son compte personnel de la traduction de la Bible. L'importunité de ses amis ne put le vaincre.
(*1) Olivétan avait-il accompagné Farel et Saunier aux Vallées ? Reuss, Douen, Herminjard l'admettent ; Merle d'Aubigné et Comba ne le croient pas. M. Herminjard l'infère d'une lettre écrite des Vallées, le 5 novembre 1532, par Saunier à Farel. Saunier dit des Vaudois : Fratres… habentes gratiam vel maximam quod ad te nos remiseris (les frères te sont extrêmement reconnaissants de ce que tu nous as renvoyés auprès d'eux). Ce nos, dit M. Herminjard, ne peut désigner que Saunier et Olivétan, puisque les deux barbes revenus avec eux devaient revenir dans tous les cas. Donc, si Olivétan est renvoyé par Farel aux Vallées, c'est qu'il y avait déjà été, c'est qu'il avait assisté au Synode. L'argument est plausible. Toutefois, on peut se demander si, venu avec trois frères, n'ayant fait qu'un corps et qu'une âme avec eux pendant un long et pénible voyage, Saunier n'a pas été amené tout naturellement à dire « nous » même si, strictement, il était le seul « renvoyé », d'autant plus que les deux Vaudois, en fait, revenaient avec lui. On se le représente difficilement disant moi tout court. Certaines circonstances font parfois perdre aux mots leur précision mathématique. Et si Olivétan avait été à Chanforans, les Vaudois ne l'eussent-ils pas pressé, eux-mêmes, de traduire la Bible, vu sa réputation d'hébraïsant ? Or, il ne parle jamais que des instances de Farel, Saunier et Viret.
Ce qui nous semblerait trancher la question, c'est que dans les extraits de son Apologie que l'on trouvera plus loin, le langage d'Olivétan ne laisse guère supposer qu'il ait accompagné les réformateurs au Synode de Chanforans.
(*2) Voir la fin de l'épitre de Calvin en tête de la Bible d'Olivétan, citée plus loin, et ce qu'Olivétan dit de lui-même dans son Apologie.
Cependant on était décidé à ce que, d'une manière ou de l'autre, cette Bible vît le jour. Si on n'avait pas une traduction originale, on aurait une révision de la Bible de Lefèvre d'Étaples. Aussitôt après le synode, deux barbes vaudois, Martin Gonin et Guido, vinrent pour préparer les voies à la publication et s'entendre avec l'imprimeur, Pierre de Wingle. En mars 1533, cet imprimeur sollicitait du conseil de Genève l'autorisation d'imprimer une Bible française.
En octobre 1532, Gonin et Guido se remirent en route, emmenant avec eux Saunier et Olivétan. Ce dernier se rendait aux Vallées pour y annoncer l'Évangile. Mais ce voyage avait aussi pour but de recueillir auprès des Vaudois les dons nécessaires pour l'impression de la Bible. Ce fut donc, au point de vue de l'histoire de la Bible française, un voyage historique, puisqu'il rendit possible, matériellement, l'impression de cette Bible. Les voyageurs affrontaient un danger réel. Les Vaudois étaient persécutés. C'était la « moisson du Seigneur la plus dangereuse de toutes », disait Andronicus, à propos de ce voyage même, dans une lettre que nous avons citée plus haut. De plus, pour se rendre aux Vallées, il fallait traverser les terres du duc de Savoie. On les traversa de nuit. Mais le danger n'empêche pas les voyageurs d'être dévorés, tout le temps, par le besoin d'annoncer l'Évangile. À Vevey, ils « parlent de Christ » à leur hôte et à leur hôtesse (*1), « femme d'un esprit très vif ». Au-dessus de Martigny, avant de passer le Saint-Bernard, ils entreprennent, dans une auberge, un moine du célèbre couvent, auquel « ils parlent beaucoup de Christ » (*2), et qui promet à Saunier de suivre tous ses conseils et tout d'abord de rompre avec l'Antéchrist. Quels hommes ! Et combien dignes de travailler à la publication de la Bible, dont l'esprit les pénètre et les inspire à un si haut degré ! Dans la montagne, les voyageurs tombèrent tous malades, et eurent de mauvais moments à passer. Enfin, ils arrivèrent aux Vallées, où ils reçurent, avec un accueil chaleureux, les ressources nécessaires pour l'impression de la Bible « repurgée ». Ces pauvres montagnards remirent entre les mains de Gonin, le pasteur d'Angrogne, la somme de 500 écus d'or, soit 5.000 francs (qui équivaudraient à environ 60.000 francs, valeur actuelle) (*3) « pour qu'on imprimât le plus tôt possible ». En même temps, des instructions étaient envoyées à Farel pour diriger et hâter le travail.
(*1) De Christo locuti sumus cum hospite et hospita. Tous ces détails sont empruntés à la relation de ce voyage que Saunier envoya à Farel dans sa lettre du 5 novembre 1532. On trouve ce très pittoresque récit dans d'Aubigné (Op. cit., t. III, p. 395-400).
(*2) Quocum multa de Christo locuti sumus. Ibid.
(*3) À cette époque, le gage d'une servante était de 3 à 4 livres faibles, c'est-à-dire de 3 à 4 francs par an, plus deux chemises et une paire de souliers (PETAVEL).
Un an après, rien n'était encore fait, et Saunier, dans un nouveau voyage, essuyait les reproches des Vaudois, et les transmettait à Farel.
D'où venaient ces retards ? Probablement de ce que Farel, anxieux de donner aux Églises de France non une révision, mais une traduction, et persuadé qu'Olivétan pourrait mieux que personne mener l'entreprise à bonne fin, ne perdait pas l'espoir de décider ce dernier à s'en charger. Et c'est, en effet, ce qui arriva. Viret joignit ses importunités à celles de Farel, et, quatre ou cinq mois plus tard, les deux réformateurs triomphaient, à eux deux, des scrupules d'Olivétan. C'est par lettre qu'ils réussirent à le persuader, car Olivétan était resté aux Vallées. Vers la fin de 1533, ou vers le commencement de 1534, Olivétan se mit à l'oeuvre. Un an plus tard, il était prêt (*1). Il date sa préface « des Alpes » (c'est ainsi qu'il désigne le théâtre de ses labeurs), le « 12 février 1535». Le volume fut imprimé à Serrières, près (*2) Neuchâtel, par Wingle, un imprimeur de premier ordre, qui était missionnaire au moins autant qu'imprimeur (*3). Olivétan se rendit à Neuchâtel, probablement en mars, pour surveiller au moins la fin de l'impression. Il retourna aux Vallées en juillet, afin d'y reprendre ses travaux missionnaires.
(*1) « Après avoir travaillé toute l'année », dit-il, dans son Apologie. Cette rapidité s'explique par le fait qu'Olivétan, reprenant peut-être le travail de Gérard Roussel, avait déjà travaillé pour son compte personnel à la traduction de l'Ancien Testament. Quand il consentit à se charger du travail, ses matériaux, en ce qui concerne l'ancien Testament, devaient être prêts. « On ne se serait pas adressé à lui, dit M. Reuss (Op. cit., nouvelle série, t. IV), si le public, si ses amis n'avaient pas été au courant de ses études. Et l'on n'acquiert pas la réputation d'être un fort hébraïsant avant d'avoir approfondi les textes de la Loi et des Prophètes. Il était prêt dès l'époque de son voyage aux Vallées ». Ceci d'ailleurs ressort clairement des lignes suivantes de l'Apologie : « Ayant jà longuement trainé ce joug tout seul, ai été contraint entre ces montagnes et solitudes, user tout seulement des maitres muets c'est-à-dire livres, vu que ceux de vive voix me défaillaient ». En parlant d' « une année », il s'adresse, ne l'oublions pas, à Farel, Saunier, Viret, qui savaient à quoi s'en tenir. Le travail de l'« année », ce fut sans doute une mise au point de l'ancien Testament, la préparation du Nouveau Testament, des Apocryphes et des notes. L'effort accompli n'en était pas moins colossal.
(*2) Voir Doumergue, Jean Calvin, II, 770, et Quartier la Tente, le Canton de Neuchatel, I, 415
(*3) En 1534, Wingle avait imprimé à Neuchâtel un Nouveau Testament, reproduction de celui de Lefèvre. qu'il avait fait précéder d'une préface remarquable, tout enflammée de l'amour des Écritures. Elle est introduite par ces mots : L'imprimeur aux lecteurs. En voici quelques lignes :
« Entre toutes les choses que le Seigneur Dieu a données aux hommes, il n'y a rien de plus précieux, plus excellent ni plus digne que la Sainte et vraie Parole qui est contenue es livres de la Sainte Écriture…
« … à l'étude et leçon des Saintes Écritures nous sommes exhortés par notre bon Père céleste quand il nous commande de ouïr son cher fils Jésus-Christ…
« Même le fait de l'eunuque de la reine de Candace nous y admoneste, lequel jà soit qu'il fût barbare et payen détenu d'infinies occupations et de toutes parts environné de négoces et affaires forains, aussi non entendant la lecture, il lisait la Sainte Écriture, assis en son chariot. Que s'il a été diligent de lire par les chemins, que penses-tu qu'il fit en sa maison ? S'il n'entendait pas encore la leçon d'Ésaïe, que penses-tu qu'il fit après qu'il l'entendit ?.. ».
Le seul exemplaire connu de ce Nouveau Testament se trouve à la Bibliothèque publique de Neuchâtel.
En 1536, il vint à Genève et y occupa une place de professeur dans le collège récemment institué. Il fut aussi, d'après Froment, précepteur des enfants de Chautemps, conseiller de la ville. Il figure sur les registres de Genève, toujours comme « maître d'école ». Il s'occupa de la révision et de la réimpression du Nouveau Testament et de quelques livres de l'Ancien. En 1538, il partit pour l'Italie. Il ne devait pas en revenir. La nouvelle de sa mort, survenue en août de la même année, peut-être à Rome, parvint à Genève en janvier 1539. On n'a sur sa fin aucun détail. « Le voile qui enveloppe cette vie cachée en Dieu, dit M. Comba, nous dérobe même sa tombe ». Il circula des bruits d'empoisonnement, mais on n'a aucune preuve. Tout ce qu'on peut dire, c'est que, s'il mourut empoisonné, l'ennemi, ce jour-là, sut viser à la tête. La nouvelle de sa mort frappa Calvin et ses amis comme un coup de foudre. Dans la préface d'une révision de la Bible d'Olivétan, Calvin appelle ce dernier un « fidèle serviteur de l'Église chrétienne, de bonne et heureuse mémoire ».
Rappelant le mot de Bucer, cité plus haut, nous dirons, comme conclusion : Celui qui a donné aux Églises de la Réforme leur première traduction de la Bible, est bien « notre Olivétan à tous ».
13.3 - La Bible d'Olivétan
13.3.1 - Pièces liminaires
On ne saurait accorder une attention trop minutieuse à cette Bible qui a fourni la nourriture spirituelle de nos pères pendant plus de trois siècles. Ce volume est pour les protestants français une vraie relique de famille. Cette Bible, d'ailleurs, dès qu'on la regarde de près, a quelque chose de vivant. Elle rappelle le mot de Luther au sujet de l'Écriture : « On dirait qu'elle a des mains et des pieds ». Quand on en tourne les feuilles, on voit que tout y respire et l'amour de la Bible, et l'amour des âmes.
Le format est un petit in-folio.
En tête de la page qui sert de titre à l'Ancien Testament, on lit, dans une banderole, en hébreu : La parole de notre Dieu demeure éternellement (Ésaïe XL). Puis :
LA BIBLE
Qui est toute la Saincte escripture
En laquelle sont contenus le Vieil Testament
et le Nouveau translatés
en Francoys. Le Vieil de Lebrieu et le Nouveau
du Grec.
Aussi deux amples tables, l'une pour l'interpretation
des propres noms, l'autre en forme Dindice
pour trouver plusieurs sentences
et matières.
Dieu en tout
Au bas de la page :
Isaiah 1.
Ecoutez cieulx et toy terre preste laureille
car Leternel parle.
Cette page de titre suffit pour montrer avec quel sentiment de la valeur de la Bible et quel sentiment du droit de Dieu cette publication a été entreprise.
Au verso du titre se trouve une épître latine de Calvin (alors âgé de vingt-cinq ans) : À tous empereurs, rois, princes et peuples soumis à l'empire de Christ. Dans cette épître, Calvin revendique pour chacun le droit de lire l'Écriture. En voici quelques lignes :
Cette oeuvre sacrée n'a pas une origine récente, elle ne date pas d'aujourd'hui. Aussi ne nous semble-t-il pas qu'elle ait besoin de l'approbation des hommes… Notre brevet de privilège, c'est l'oracle, c'est l'éternelle vérité du Roi souverain, du Seigneur du ciel, de la terre et de la mer, du Roi des rois… Tout ce que je demande, c'est qu'il soit permis au peuple fidèle d'écouter parler son Dieu, de se laisser instruire par lui. Ne veut-il pas être connu de tous, du plus grand jusqu'au plus petit ? Ne promet-il pas que tous seront enseignés de Dieu ? N'enseigne-t-il pas la science aux enfants sevrés, à ceux qu'on vient d'ôter du sein ? Ne leur fait-il pas comprendre ce qu'ils entendent ? Ne donne-t-il pas la sagesse aux petits ? N'ordonne-t-il pas d'annoncer l'Évangile aux pauvres ? Et quand nous voyons des hommes de toute condition profiter en l'école de Dieu, nous reconnaissons que Dieu a dit vrai, lorsqu'il a promis de répandre son esprit sur toute chair. Nos adversaires murmurent et s'indignent. Qu'est-ce à dire, sinon qu'ils reprochent à Dieu sa générosité ? Oh ! s'ils avaient vécu au temps où Philippe avait six filles qui prophétisaient, comme ils auraient eu de la peine à les supporter, si même ils ne les eussent pas maltraitées…
Après cela, Calvin en appelle à l'exemple des Pères et tance encore, avec toute sa verve de polémiste, ceux qui veulent garder pour eux les trésors de l'Écriture. Puis il présente au lecteur la traduction, et le traducteur,
…qui, distingué par beaucoup d'autres qualités, se surpasse pourtant lui-même par sa modestie, si toutefois c'est de la modestie, et non une timidité démesurée (immodicus pudor) qui l'a presque empêché d'entreprendre un si saint labeur. Il ne l'eût pas fait, si Cusemeth et Chlorotes (*1), ces saints hommes, ces témoins et ces défenseurs de l'invincible Parole de Dieu, ne l'eussent vaincu par leurs exhortations et leurs vives sollicitations, et enfin contraint de rendre les armes…
Il est, je n'en doute point, des endroits qui, soit par suite de la grande diversité des opinions, soit parce que, dans un ouvrage de longue haleine, on a parfois des absences (quia opere in longo interdum somnus irrepit) (*2), ne plairont pas à tout le monde. Mais si le lecteur rencontre de ces endroits, je l'invite à ne pas attaquer et à ne pas incriminer un savant qui a bien mérité des études sacrées, mais bien plutôt à relever ses fautes avec modération… Quant à ceux dont aucune considération ne saurait contenir la langue, je les prie de se souvenir qu'il est très facile de faire assaut de médisances, et que, sous ce rapport, les commères des carrefours elles-mêmes l'emporteront toujours sur les plus habiles rhéteurs… Ils ont affaire à un homme que l'on peut attaquer impunément, sans craindre la réprocité d'un langage sans retenue, mais qu'ils n'attendent pas grande gloire de leur éloquence venimeuse, car ce dicton est aussi vrai qu'il est commun : Railler est facile, essayer de faire mieux l'est moins.
(*1) Cusemeth, mot hébreu qui signifie épeautre, en latin far, pseudonyme de Farel. Chlorotes, mot grec qui signifie verdure, pseudonyme de Viret (viretus).
(*2) Calvin ne se doutait pas qu'il fournissait lui-même, dans cette page (à moins que ce ne fût l'imprimeur), une preuve de la justesse de cette réflexion, si finement énoncée, en parlant des six filles du diacre Philippe, qui, d'après la Vulgate comme d'après le texte, n'en avait que quatre (Act. 21, 9).
Le second feuillet contient la dédicace du traducteur, en français, avec cette suscription : P. Robert Olivetanus lhumble et petit Translateur a Leglise de Jesus-Christ.
Voici quelques extraits de cette préface. C'est un des plus beaux morceaux de notre littérature religieuse protestante. Il est plein d'amour et d'humour (*). Il nous transporte en des temps singulièrement tragiques. On voit, en le lisant, que la traduction d'Olivétan a été faite en plein champ de bataille.
(*) Cet humour naïf, dit M. Doumergue, a fait d'Olivétan un des fondateurs de la langue française, entre Rabelais et Calvin, plus près de Rabelais pour le style, plus près de Calvin pour la pensée… Cette page devrait être, dans les anthologies de notre vieux français, à une place d'honneur (Calvin, I, p. 121).
La bonne coutume a obtenu de toute ancienneté que ceux qui mettent en avant quelque livre en public le viennent à dédier et présenter à quelque Prince, Roy, Empereur ou Monarque, ou s'il y a majesté plus souveraine… Aucuns ont bien telle prudence et égard que leurs inventions ne seraient pas bien reçues du peuple, si elles ne portaient la livrée de quelque très illustre, très excellent, très haut, très puissant, très magnifique, très redouté, très victorieux, très sacré, béatissime et sanctissime nom. Pourquoi avoir eu le tout bien considéré et vu courir et trotter tous les autres écrivains et translateurs, l'un deçà, l'autre delà, l'un à son Mecénas libéralissime, l'autre à son Patron colendissime, l'autre à son je ne sais quel Révérendissime : je ayant en main cette présente translation de la Bible, n'ay pas tant fait pour icelle dame coutume… que je me sois voulu asservir et assujettir au droit qu'elle exige et requiert… Aussi ne lui appartient-il point (à ce livre) faire du parasite quelque glorieux Thraso qu'il rencontre. Car il est bien d'autres étoffes que tous autres livres quels qu'ils soient, les auteurs desquels en font offrandes si profitables et méritoires et si cauteleux échanges contre riches dons et plantureux octrois. Après lesquelles bêtes je ne chasse point, car je me passe bien de tel gibier, la grâce à Dieu qui me fournit de contentement et suffisance.
Ce n'est donc pas à un grand personnage, dit M. Reuss, mais à la paoure Église que l'auteur dédiera son travail…
Car Jésus, dit-il, voulant faire fête à celle-ci de ce que tant elle désire et souhaite, m'a donné cette charge et commission de tirer et déployer icelui thrésor hors des armoires et coffres hébraïques et grecs, pour après l'avoir entassé et empaqueté en bougettes (boites) françaises le plus convenablement que je pourrai, en faire un présent à toi, ô pauvre Église. à qui rien l'on ne présente. Vraiment cette parole t'était proprement due, en tant qu'elle contient tout ton patrimoine, à savoir cette parole par laquelle, par la foi et assurance que tu as en icelle, en pauvreté tu te réputes très riche ; en malheureté, bienheureuse ; en solitude, bien accompagnée ; en doute, acertainée ; en périls, assurée ; en tourments, allégée ; en reproches, honorée ; en adversités, prospère ; en maladie, saine ; en mort, vivifiée. Tu accepteras donc, o pauvrette (paourette) petite Église, cestuy présent, d'aussi joyeuse affection que de bon coeur il t'est envoyé et dédié… Christ ne s'est-il pas donné à telle manière de gens abjects, petits et humbles ; ne leur a-t-il pas familièrement déclaré les grands secrets du royaume qu'il proteste leur appartenir ? C'est sa petite bande invincible, sa petite armée victorieuse, à laquelle, comme un vrai chef de guerre, il donne courage et hardiesse par sa présence, et chasse toute frayeur et crainte par sa vive et vigoureuse Parole…
Ce bien est le tien et toutefois il demeure entièrement à celui qui te le donne. O la bénigne possession de grâce, qui rend au donnant et à l'acceptant une même joie et délectation ! Quelque beau semblant que les hommes fassent et quelque propos qu'ils aient en la bouche, pour vouloir colorer et faire entendre de combien bon coeur ils donnent, toujours y a-t-il en quelque anglet de ce coeur une prudence peureuse qui crie : « Prends garde à ce que tu fais, que tu n'aies faute de ce dont tu es prodigue ! » Or il n'en va pas ainsi de ce don, car il n'est fait que pour être donné et communiqué à un chacun ; et ceux qui le donnent se tiennent pour avoir fait un grand gain et bonne emplette quand ils ont trouvé occasion de te le présenter et le mettre en ta possession.
Quant au pauvre peuple qui te fait le présent, il fut il y a plus de trois cents ans banni de ta compagnie. Épars aux quatre parties de la Gaule il est (à tort toutefois et pour le nom de Christ) réputé le plus méchant que jamais fût, tellement que les autres nations emploient son nom pour injure et reproche. C'est le vrai peuple de patience… Ton frère donc, auquel ta vie tant misérable faisait pitié, s'est souventes fois ingéré, en passant et repassant, de t'appeler par le nom de soeur, s'efforçant de te donner le mot du guet de parfaite et heureuse liberté. Mais toi, toute hébétée de tant de coups, tu passais outre et allais ton chemin… Or avant donc pauvre (paoure) petite Église qui es encore en état de chambrière sous les furieuses trongnes et magistrales menaces de tant de maîtres renfrognés et rébarbatifs, va décrotter tes haillons tout poudreux et terreux d'avoir couru, viré et tracassé, par le marché fangeux de vaines traditions : va laver tes mains toutes sales d'avoir fait l'oeuvre servile d'iniquité : va nettoyer tes yeux tout chassieux de superstition et d'hypocrisie. Veux-tu toujours être ainsi à Maître ? N'est-il pas temps que tu entendes à ton époux Christ ?… Ne prendras-tu pas égard aux précieux joyaux que lui-même (si tu sais comprendre) t'envoie en loyauté de mariage ?… Lui veux-tu point donner ton amour et ta foi ? Qu'attends-tu ? Ne veux-tu pas te fier en lui ? N'y a-t-il pas assez de bien en la maison de ton Père pour t'entretenir ?… As tu doute qu'il te traite mal, lui qui est tant doux et tant de bonne sorte ?… Ne te chaille ! (Courage !) Prends congé de tes maîtres et de cette traître marâtre que tu as si longtemps appelée mère. Mets leur en avant qu'il est temps que tu suives la volonté de Christ ton Époux, lequel te demande. Quitte leur tout ce que tu pourrais avoir gagné et mérité avec eux. Car le tien Époux n'a que faire de ces biens là, qui lui feraient déshonneur. Il est bien vrai que de ta part tu ne lui pourrais apporter en acquit chose qui vaille. Mais qu'y ferais-tu ? Viens hardiment avec tous les plus braves et mignons de ta cour tous faits exécration pour Christ, non pour leurs méfaits, desquels les titres sont ceux-ci, asçavoir : Injuriés, Blamés, Chassés, Decriés, Désavoués, Abandonnés, Excommuniés, Anathématisés, Confisqués, Emprisonnés, Géhennés, Bannis, Eschellés, Mitrés, Décrachés, Chaffaudés, Exoreillés, Tenaillés, Flétris, Tirés, Traînés, Grillés, Rôtis, Lapidés, Brûlés, Noyés, Décapités, Démembrés, et autres semblables titres glorieux et magnifiques du Royaume des Cieux. Tous lesquels il n'a point à dédain, lui qui est tout au contraire des autres princes et rois, lesquels ne veulent personne à leur cour et service s'il n'est noble, bien accoutré, gorgias (coquet), miste (élégant), sain et en bon point. Mais il les veut tels comme lui-même a été en ce monde, et il les appelle amiablement pour les soulager, les enrichir, les avancer et les faire triompher avec lui dans sa cour célestielle.
Maintenant donc, ô noble et digne Église, heureuse Épouse du Fils du Roi, accepte et reçois cette Parole, promesse et Testament…, où tu pourras voir la volonté de Christ, le tien Époux, et de Dieu son Père… lequel ô pauvre (paoure) petite Église, te maintienne en sa grâce ! Des Alpes ce 12° de Février (Feburier) 1535.
Ne craingniez point petit tropeau car il a pleu à vostre père vous donner le royaume. | En Dieu tout. | Je te eusse escrit plus amplement : mays tu voys ici le destroict ou je suis de papier et d'autres choses. |
Après la préface, vient une Apologie du translateur qui occupe trois feuillets. Dans cette apologie, Olivétan raconte comment il a été amené à entreprendre son travail, et parle de ses labeurs avec une extrême et touchante modestie.
Je suis assez records que toi Cusemeth et toi Almeutes (*1), menés de l'esprit de Dieu pour les grâces qui lui a plu vous donner (quant à l'intelligence de l'Ecriture), allates (*2) trois ans y a visiter les Eglises chrétiennes nos bons frères. Et vous étant assemblés (comme est de coutume) pour conférer et traiter de l'Ecriture Sainte… advisates que tant de sectes et hérésies, tant de troubles et tumultes sordaient en ce temps au monde, et que tout cela venait pour l'ignorance de la parole de Dieu. Voyant aussi les exemplaires du Vieil et Nouveau Testament en langue vulgaire qui étaient entre nous (*3) écrits à la main depuis si longtemps qu'on n'en a point de souvenance ne pouvoir servir sinon à peu de gens, admonestates tous les autres frères pour l'honneur de Dieu (*4) et bien de tous les chrétiens ayant connaissance de la langue française, et pour la ruine de toute fausse doctrine répugnante à vérité : qu'il serait grandement expédient et nécessaire de repurger la Bible selon les langues hébraïques et grecques en langage français. À quoi iceux nos frères se sont joyeusement et de bon coeur accordés, eux employants et évertuants à ce que cette entreprise vînt à effet.
(*1) Mot grec qui signifie vendeur de sel, pseudonyme de Saunier.
(*2) Si Olivétan était allé au Synode de Chanforans avec Farel et Saunier, se serait-il exprimé ainsi ?
(*3) Olivétan s'identifie avec le peuple qu'il a évangélisé et au milieu duquel il a traduit l'Écriture.
(*4) On remarquera qu'à la base de cette entreprise se trouve la grande préoccupation, on peut dire la sublime obsession calviniste, de l'honneur de Dieu.
Or pour ce faire, vous ayant quelque estime de moi autre que ne pensais, m'avez tant prié, sollicité, importuné et quasi adjuré, qu'ai été contraint à entreprendre cette si grande charge. Laquelle certes toi Cusemeth et Chlorotes eussiez pu faire trop mieux que moi, si Dieu vous eût voulu permettre et donner le loisir et qu'il ne vous eût appelé à plus grand choses : asçavoir pour semer le pur grain de sa parole en son champ fructueux et arroser et faire verdoyer son délicieux jardin de Eden. Si vos persuasions (desquelles j'ai bonne souvenance) n'eussent été plus puissantes que mes excuses, je ne devais jamais accepter telle charge vu la grande difficulté de la besogne et la débilité et faiblesse de moi, laquelle ayant bien connue, avais jà par plusieurs fois fait refus de me adventurer à tel hasard ; vu aussi qu'il est autant difficile (comme vous savez) de pouvoir bien faire parler à l'éloquence hébraïque et grecque le langage français (lequel n'est que barbarie au regard d'icelles) si que on voulait enseigner le doux rossignol à chanter le chant du corbeau enroué (*). Attendu aussi que comme il va d'un édifice qui se fait en public, dont chacun devise à sa propre fantaisie, ainsi est-il d'une telle entreprise environnée de toutes parts de repreneurs, corrigears et calomniateurs, non pas domestiques (j'en suis bien assuré) mais étrangers et aliénés de charité. Chrétiens philosophans sur la pointe d'un omicron et étant munis de mille petites calomnies et mécontentements.
(*) C'est nous qui soulignons, ici et plus bas.
Partant à vous qui m'avez mis en oeuvre et estes cause de tout cet affaire, qui m'avez si bien donné à entendre et fait accroire par vive raison que j'en viendrais à bout et le ferais si bien, je viens maintenant, après avoir travaillé toute l'année (*), rendre compte de la besogne faite, rendant grâce et donnant la gloire à Dieu seul, si elle est si bien achevée et parfaite que vous l'entendiez… J'ai fait du mieux que j'ai pu, comme vous voyez. J'ai labouré et foui le plus profondément qu'il m'a été possible en la vive mine de pure vérité pour en tirer offrande que j'apporte pour la décoration et ornement du saint temple de Dieu… Il est licite à un chacun de pouvoir autant apporter et offrir. Aussi en un même corps tels que nous sommes en Jésus-Christ il n'y a nulle envie ni reproche entre les membres. L'œil net qui voit clair adresse le pied qu'il ne choppe et fasse un faux pas sans lui reprocher sa cécité ni souillure. Aussi le pied sale et fangeux marche par les mauvais passages sans avoir envie de la netteté des délicats yeux qui n'endureraient pas la moindre ordure qui soit. J'espère que les clairs et lumineux yeux ne dédaigneront, ne blâmeront point les petits labeurs de moi, qui suis comme l'un des plus petits orteils des bas et humbles pieds de ce corps, fouillans et quérans ce qui nous a été si longtemps caché aux étranges terroirs hébraïques et grecs… Aux bien accordantes orgues de l'Église universelle de Christ, desquels les vifs (vivants) tuyaux sont épars par tous les côtés du monde, les petits tuyaux, quelque menus qu'ils soient, ce néanmoins ils servent à la mélodie et les gros plus résonnants attempèrent aussi leur hautesse à la petitesse et tendre ton d'iceux. Ainsi ai-je espérance qu'il me sera fait, et que le petit et faible son que je jette ne troublera point l'accord, mais plutôt fournira et remplira la plaisante et douce harmonie de la seule et unique foi que nous avons en Jésus-Christ…
(*) Nous expliquons plus haut cette expression.
Je n'ai point honte, comme la veuve évangélique, d'avoir apporté devant vous mes deux petits quadrains en valeur d'une maille qui est toute ma substance…
Après l'Apologie, on lit :
Paul. 1 Corinthiens xiv.
Je veulx certes que tous vous parliez langaiges : mais
encore plus que vous prophetiziez
Item au mesme
Pourtant freres taschez a prophetizer et ne empeschez
point de parler langaiges (*).
(*) Tous ces préliminaires sont semés de citations de la Bible, bien mises en saillie. On voit combien le traducteur, lorsqu'il parlait lui-même, était impatient de laisser parler Dieu.
Suit une autre dédicace (sixième feuillet) avec cette inscription : V. F. C (*) a notre allie et confedere le peuple de l'alliance de Sinai salut.
(*) Viret, Farel, Calvin. Le morceau a cependant été rédigé par Olivétan, d'après M. Reuss, qui base son opinion sur le style. Olivétan exprime la pensée des réformateurs et leur sert de porte-parole.
C'est une épître au peuple juif, destinée à montrer que Jésus est le Messie. Ici encore on retrouve l'amour des âmes, l'esprit missionnaire. Ce morceau est le premier de ce genre que l'on trouve dans la littérature protestante. Il est suivi de cette citation :
Paul aux Romains 12.
Gloire honneur et paix a ung chascun qui fera bien
au juif premierement aussi au grec.
Le verso du septième feuillet contient une poésie latine d'un collaborateur d'Olivétan, Des Périers (*), qui recommande la traduction au lecteur.
(*) En sa qualité de grammairien, dit M. Reuss, il retouchait, corrigeait les rudesses de style du traducteur hébraïsant. Des Périers fut valet de chambre chez Marguerite de Navarre, dont il mettait au net les oeuvres poétiques. Olivétan l'appelle dans son Apologie « notre loyal frère et bon ami ».
Plus nimio quondam rerum studiosa novarum,
Eloquii dives Gallica lingua fuit.
Tot sibi librorum cum scripserit agmina, (mirum est)
Raro, vel nunquam, Biblia sacra refert (*1).
Vana refert : Domini spernens oracula vatum,
Seria futilibus posthabet illa jocis.
Ridiculas autem, Christo revotante, jocandi
Optabit tandem ponere blanditias.
Blanditias sed nacta novas, monimenta salutis,
En habet, et fidei pignora certa suae.
Relligionis habet nunc pura fluenta beatae,
Trita sur Ausonio quae latuere luto (*2).
Viderat ante suas haec Gallica lingua sorores
Scribere veracis verba retecta Dei.
Otia dum captat, tandem perfusa recenti
Luce Dei, voluit tam pia facta sequi.
Immo jam sequitur non inferiore loquendi
Utilitate, eadem quotquot in orbe ferunt.
En igitur faxis, gens Gallica, cordis apertas
Trajiciant aures, quae tua lingua canit.
Accipe, volve diu noctuque volumina sancta,
Non sine sollicito versa labore tibi.
Vana decent vanos. Tu non ignota recantes.
Sat, tua (cum polis es) non aliena colas.
Ad Candidum Lectorem.
Quisquis es, o Lector, primores carminis hujus
Tu ne sperne notas. Qui tibi vertit, is est.
(*1) Exagération manifeste, à moins que l'auteur ne veuille dire que la langue française manquait de traductions bibliques faites sur le texte original.
(*2) Allusion au texte corrompu de la Vulgate (Ausonius veut dire latin).
Ce dernier distique avertit le lecteur qu'il trouvera en acrostiche dans la poésie le nom du traducteur. En effet, en réunissant les premières lettres de ces vers, on forme (le u ayant alors la valeur du v, et réciproquement) le nom de Petrus Robertus Olivetanus.
Le huitième feuillet contient la table des matières, qui est suivie de ces mots : Toutes ces choses sont le livre de vie, et le pact du Souverain, et la connaissance de la verite (citation de l'Ecclésiastique, ch. 24, d'après la Vulgate).
Au verso de ce huitième feuillet on lit :
Au lecteur des deux Testaments contenant la volonté et parole de Dieu :
Le divin Testateur qui en testant ne ment
Et ne vouldroit frauder nullement sa partie :
Veult que de tous soit leu son double Testament
Et qua chascun en soit la teneur departie.
Veu donc que la copie en est dejia sortie
Aux autres nations : pour toy peuple françoys
En ton languaige aussi a este assortie
Afin que de ton droict plus asseure tu sois.
Non seulement en liure escrit lauras aincois
En ton coeur lescrira par diuine practique
(Ainsi qu'il a promis) si tu oys et receois
Du loyal Testateur le Testament publicque.
Après les livres canoniques de l'Ancien Testament viennent les livres apocryphes. Ils sont précédés d'une préface qui leur refuse la canonicité. La voici :
Entendu que les livres précédens se trouvent en langue hébraïque reçus d'un chacun et les suivans qui sont dits apocryphes… ne se trouvent ni en hébreu ni en chaldéen, et aussi ne sont point reçus ni tenus comme légitimes tant des hébreux que de toute l'Église, ainsi que profère Saint-Jérôme, nous les avons séparés et réduits à part pour les mieux discerner et connaître, afin qu'on sache desquels le témoignage doit être reçu ou non (Suivent quelques témoignages historiques).
Pourquoi donc, quand tu voudras maintenir aucune chose pour certaine rendant raison de ta foi, regarde d'y procéder par vive et puissante Ecriture en ensuivant saint Pierre qui dit : Celui qui parle, qu'il parle comme parole de Dieu. Il dit parole de Dieu comme très véritable et très certaine manifestée par les prophètes et apôtres divinement inspirés, desquels nous avons témoignage plus clair que le jour. Les juristes aussi, ayant grand soin de confirmer et établir leurs opinions par la loi humaine, disent qu'ils ont honte de parler sans loi. Combien donc plus grande horreur et vergogne doit avoir celui qui se dit chrétien, ne se attend et ne se arrête ès lois du Dieu vivant, mais aux humaines, jugeant toutes choses selon sa fantaisie et jugement incertain. Par ainsi, nous édifiés sur le fondement des saints prophètes et apôtres (sur lequel ils se sont fondés et lequel ils ont annoncé qui est Jésus-Christ, la ferme pierre), délaisserons les choses incertaines pour suivre les certaines, nous arrêtant et nous appuyant en icelles, et là fichant notre ancre comme en lieu sûr, car notre foi chrétienne ne consiste point ès choses douteuses, mais en pleine et très certaine assurance et très vraie persuasion prise et confirmée par vérité qui est infaillible. En laquelle Dieu nous doit cheminer perpétuellement afin que selon icelle (acceptant eu nous sa sainte volonté et déjetant toute autre intention à lui contraire) puissions vivre à son honneur et édification de son église. Ainsi soit-il.
En tête de la page de titre du Nouveau Testament, on lit, en grec, dans une banderole : Ils seront tous enseignés de Dieu.
Puis
Le Nouveau Testament
De nostre Seigneur et seul Sauveur
Jesus Christ
Translate de Grec en Francoys.
En Dieu tout.
Matthieu XVII.
Cestuy est mon fils bien ayme auquel
ay pris mon. bon plaisir
escoutez le.
Suit une nouvelle préface de Calvin, traduite en français par Olivétan, d'après Reuss (trois pages), qui retrace l'histoire de la révélation. Elle est trop belle pour ne pas en citer au moins la fin. CHRIST ET LES ÉCRITURES, voilà le thème de ce morceau.
Sans l'Évangile, nous sommes inutiles et vains ; sans l'Évangile, nous ne sommes chrétiens ; sans l'Évangile, toute richesse est pauvreté ; sagesse est folie devant Dieu ; force est faiblesse ; toute justice humaine est damnée. Mais par la connaissance de l'Évangile, nous sommes faits enfants de Dieu, frères de Jésus-Christ, combourgeois des saints, citoyens du royaume des cieux, héritiers de Dieu avec Jésus-Christ, par lequel les pauvres sont faits riches, les faibles puissants, les fous sages, les pécheurs justifiés, les désolés consolés, les douteurs certains, les serfs affranchis. C'est la puissance de Dieu en salut à tout croyant…
Ô chrétiens et chrétiennes, entendez ceci et apprenez ! Où est donc votre espérance, si vous méprisez et dédaignez d'ouïr, voir, lire et retenir ce saint Évangile ? Ceux qui ont leurs affections fichées en ce monde pourchassent par tous moyens ce qu'ils pensent appartenir à leur félicité, sans épargner ni labeur, ni corps, ni vie, ni renommée. Et toutes ces choses se font pour servir à ce malheureux corps, duquel la vie est si vaine, misérable et incertaine… Ceux qui s'adonnent aux arts mécaniques, quelque bas ou vils qu'ils soient, mettent si grande peine à les apprendre et savoir, et ceux qui veulent être réputés les plus vertueux se tourmentent l'esprit nuit et jour pour comprendre quelque chose aux sciences humaines, qui ne sont que vent et fumée. Combien, au prix, nous devons nous employer et efforcer en l'étude de cette sagesse céleste qui outrepasse tout le monde et pénètre jusqu'aux mystères de Dieu qu'il lui a plu de révéler par sa sainte Parole !
Quelle chose donc sera-ce qui nous pourra détourner et aliéner de ce saint Évangile ? Seront-ce injures, malédictions, opprobre, privation des honneurs mondains ? Mais nous savons bien que Jésus-Christ a passé par ce chemin que nous devons suivre, si nous voulons être ses disciples… Seront-ce bannissements, proscriptions, privations des biens et richesses ? Mais nous savons bien que quand nous serons bannis d'un pays, la terre est au Seigneur, et quand nous serons jetés hors de toute la terre, nous ne serons pas toutefois hors de son règne, que quand nous serons dépouillés et appauvris, nous aurons un Père assez riche pour nous nourrir, et même que Jésus-Christ s'est fait pauvre afin que nous le suivions en pauvreté. Seront-ce afflictions, prisons, tortures, tourments ? Mais nous connaissons par l'exemple de Jésus-Christ que c'est le chemin pour parvenir en gloire. Sera-ce finalement la mort ? Mais elle ne nous ôte pas la vie qui est à souhaiter. Bref, si nous avons Jésus-Christ avec nous, nous ne trouverons chose si M...... qui ne soit bénie par lui, chose si exécrable qui ne soit sanctifiée, chose si mauvaise qui ne nous tourne en bien. Ne nous décourageons pas quand nous verrons contre nous toutes les puissances et forces mondaines ; ne soyons donc pas désolés comme si toute espérance était perdue quand nous verrons mourir devant nos yeux les vrais serviteurs de Dieu…
Or puisque vous avez entendu que l'Évangile vous présente Jésus-Christ en qui toutes les promesses et grâces de Dieu sont accomplies, et vous déclare qu'il a été envoyé du Père, est descendu en terre, a conversé avec les hommes, a parfait tout ce qui touchait à notre salut, il vous doit être très certain et très manifeste que les trésors du Paradis vous y sont ouverts et les richesses de Dieu déployées et la vie éternelle révélée. Car ceci est la vie éternelle, connaître un seul vrai Dieu, et celui qu'il a envoyé, Jésus-Christ. C'est lui qui est Isaac, le Fils bien-aimé du Père, qui a été offert en sacrifice et toutefois n'a point succombé à la puissance de la mort. C'est lui le vigilant pasteur Jacob ayant si grand soin des brebis qu'il a en garde. C'est lui le bon et pitoyable frère Joseph qui en sa gloire n'a point pris honte de reconnaître ses frères, quelque méprisables et abjects qu'ils fussent. C'est lui le grand sacrificateur et évêque Melchisédec ayant fait sacrifice éternel une fois pour toutes. C'est lui le souverain législateur Moïse écrivant sa loi sur les tables de nos coeurs par son Esprit. C'est lui le fidèle capitaine et guide Josué, pour nous conduire en la terre promise. C'est lui le noble et victorieux roi David, assujettissant à sa main toute puissance rebelle. C'est lui le magnifique et triomphant roi Salomon, gouvernant son règne en paix et prospérité. Et même tout ce qui se pourrait penser ou désirer de bien est trouvé en un seul, Jésus-Christ. Car il s'est humilié pour nous exalter ; il s'est asservi pour nous affranchir ; il a été vendu pour nous racheter ; captif, pour nous délivrer ; condamné, pour nous absoudre ; il a été fait malédiction pour notre bénédiction ; oblation de péché pour notre justice ; il a été défiguré pour nous figurer ; il est mort pour notre vie, tellement que par lui rudesse est adoucie, courroux apaisé, ténèbres éclaircies, injustice justifiée, faiblesse vertueuse, déconfort consolé, péché empêché, mépris méprisé, crainte assurée, dette quittée, labeur allégé, tristesse réjouie, malheur bien heuré, difficulté facile, désordre ordonné, division unie, ignominie anoblie, rébellion assujettie, menace menacée, embûches débuchées, assauts assaillis, effort efforcé, combat combattu, guerre guerroyée, vengeance vengée, tourment tourmenté, damnation damnée, abime abimé, enfer enferré, mort morte, mortalité immortelle. Bref, miséricorde a englouti toute misère, et bonté toute malheureté. Car toutes ces choses qui solaient être armes du diable pour nous combattre et aiguillon de la mort pour nous poindre, nous sont tournées en exercice, desquels nous pouvons faire notre profit… Et de là il advient que par son Esprit promis à ses élus, nous ne vivons plus, mais Christ vit en nous, et nous sommes par esprit assis aux lieux célestes, en tant que le monde ne nous est plus monde, bien que nous continuions à y vivre. Mais nous sommes contents en tous pays, lieux, conditions, habillements, viandes et telles autres choses ; nous sommes consolés en tribulations ; joyeux en tristesse, glorieux en outrage, abondants en pauvreté, patients dans les maux, vivants en la mort.
Repentez-vous et croyez à l'Évangile
Marc I.
Après l'Apocalypse, on lit :
Tout en Dieu.
Paul aux Romains 10.
L'accomplissement de la loy est Christ.
(Ces derniers mots d'abord en grec, puis en français).
Le volume se termine par deux tables, dont la première donne l'explication des noms propres de la Bible (87 colonnes). Elle est précédée de ces deux distiques le premier, de H. Rosa, le second, de Des Périers :
Nomina perfacili distinximus indice lector
Ut collecta tuis usibus apta forent.
Ne mirere novo prodire vocabula cultu,
Sed verum in tenebris delituisse diu.
et suivie de la citation du passage suivant :
1 Jean I
Si nous disons : Nous navons point de peche
Nous decevons nous mesmes et verite
Nest point en nous.
L'autre table est un Indice des principales matieres contenues en la Bible, une table de concordance par sujets (66 colonnes).
Cet indice est précédé de l'intéressante petite préface qui suit (*1) :
Matthieu Gramelin (*2) aux lecteurs chrestiens :
La grace et paix de Dieu vous soit donnee par Jesus Christ. Comme les avettes songneusement recueillent les fleurs odorantes pour faire par naturel artifice le doulx miel : aussi ay ie les principales sentences contenues en la Bible. Lesquelles pour la consolation de ceulx qui ne sont point encore exercitez et instruictz en la Sainete escripture sont ordonnées par forme de Indice. Auquel sont exposez, collationnez, concordez, et lung a lautre confrontez plusieurs difficiles passages tant du vieil que du nouveau testament : affin que le prudent Lecteur par lesperit de Dieu en puisse rapporter naisve et claire intelligence. Dont chascun (comme est tenu) pourra estre appreste muny et garny de response a tous ceulx qui demanderont raison de sa foy. Ce aussi est utile pour les particuliers et generales exhortations quon faict a certains personnages ou commun populaire ; et pour véritablement respondre aux heretiques et confondre les adversaires de la parolle de Dieu. En quoi aussi on pourra trouver ce qui soulage grandement lestude des Lecteurs lexplication daucuns tropes hébraïques translations similitudes et facons de parler (que nous disons idiotismes) contenues en la Bible. Mais pour plus facilement trouver les matieres desirees (à cause que desordre produit confusion) iay procede jouxte lordre Alphabetique : affin que nul ne soit prive dung si precieux thresor : duquel vous userez a lhonneur et gloire de Dieu et a ledification de son eglise.
(*1) Dans ce court morceau, nous maintenons telle quelle. comme dans les morceaux en vers, à titre de spécimen, l'orthographe du temps, qu'ailleurs nous avons sacrifiée, pour faciliter la lecture.
(*2) Anagramme de Malingre, ancien dominicain qui fut un des premiers ouvriers de la Réformation dans la Suisse romande. Il devint pasteur à Neuchâtel en 1535. C'est lui qui est l'auteur de l'« indice », qu'il avait déjà publié, mais moins développé, dans le Nouveau Testament de Wingle de 1534.
À la dernière page du volume on lit,
Acheve d'imprimer en la ville et conte de
Neufchastel par Pierre Wingle dicit
Pirot Picard l'an M.D.XXXV
le IVe jour de juing
Re: HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE
Puis, en latin, dans une gravure au centre de laquelle se trouve un coeur surmonté d'une couronne
Dieu ne dédaigne pas un coeur humilié et contrit (Psaume 51)
Puis vient le curieux morceau suivant :
Au lecteur de la Bible
Lecteur entends si Verite addresse
Viens donc ouyr instamment sa promesse
et vif parler : lequel en excellence
veult asseurer notre grelle espérance.
lesprit Jesus qui visite et ordonne
nos tendres moeurs icy sans cry estonne
tout haut raillart escumant son ordure.
Remercions éternelle nature
prenons vouloir bienfaire librement
Jesus querons veoir Eternellement
Ces vers renferment une énigme dont la clef se trouve dans la
citation suivante d'Ézéchiel qui clot la page et le livre (*) :
Et leur ouvrage estoit comme si une
roue eust este au milieu de lautre
roue. Jehezek 1.
(*) Il serait fort désirable que toutes les pièces liminaires de cette Bible fussent publiées in-extenso en un volume. Il n'y aurait dans notre littérature protestante rien de plus beau, rien de plus prenant.
Si on joint ensemble les lettres initiales de tous les mots de ces dix vers, on obtient les deux vers suivants :
Les Vaudois, peuple évangélique,
Ont mis ce thrésor en publicque.
13.3.2 - Le texte
D'abord la forme. Jamais Bible ne fut imprimée avec plus d'amour et plus de goût. Les versets ne sont pas indiqués (ils n'existaient pas encore). Le texte est divisé en paragraphes, une disposition que l'on croit toute moderne. Dans les psaumes et dans les proverbes, il est séparé en courtes divisions, évidemment destinées à mettre en relief le parallélisme. Ces divisions devinrent plus tard les versets.
Le titre et les cinq premiers versets de la Genèse dans la Bible d'Olivétan de 1535.
D'abondantes notes marginales éclairent le texte. Elles sont géographiques, historiques, d'histoire naturelle, exégétiques, isagogiques, critiques même, et donnent l'indication des variantes (*1). Elles abondent en citations de toutes sortes d'auteurs, soit Pères de l'Église, soit classiques. « Le commentateur, dit M. Reuss, étale ici un véritable luxe d'érudition » (*2). Ces notes ne sont, sauf quelques exceptions, ni théologiques, ni polémiques. Celles de l'Ancien Testament sont plus nombreuses et ont encore plus de valeur que celles du Nouveau. Plusieurs sont destinées à indiquer les passages parallèles (*3).
Titre du Nouveau Testament d'Olivétan. Genève 1536. Format du volume : 134 x 76 millimètres. Ce titre ressemble beaucoup au titre de la Bible d'Olivétan (1535). En haut, on lit, en grec : Ils seront tous enseignés de Dieu.
(*1) . Nous tiendrons compte à Olivetan, dit M. Reuss, de ce qu'il n'a pas voulu négliger cette partie de la science à peine naissante. Les théologiens protestants n'ont que trop tôt répudié cet héritage et proscrit les études critiques qui auraient dû être estimées comme étant de première nécessité pour une Église qui prétendait édifier sa foi et son enseignement sur les seuls textes authentiques de l'Écriture. .
(*2) Quand on lit la savante étude de M. Reuss sur ces notes (op. cit., 3e série, IV, 1866), on est confondu de la connaissance de l'hébreu et de la science étendue et de bon aloi qu'elles dénotent. Olivétan connaissait, en matière biblique, tout ce qu'on pouvait connaître de son temps, y compris les commentateurs juifs du moyen âge. Voici une remarque curieuse de M. Reuss sur une note d'Olivétan à propos de Job XL. Elle montre que l'affranchissement de la pensée allait de pair avec la libération des consciences.
« S'il reconnaît dans le Béhémoth et le Léviathan l'éléphant et la baleine, l'exégèse moderne peut ne pas être de son avis ; mais un appréciateur impartial commencera par se rappeler que l'exégèse ancienne, représentée encore par une note marginale très explicite de la Bible d'Anvers, n'y voyait que le diable en personne ».
(*3) Les parallèles , on le voit, ne sont pas une invention moderne. « II y en avait dans la Bible d'Anvers. On les trouve pour la première fois, pour l'ancien Testament, dans une Bible imprimée par Froben, à Bâle, en 1491. Antérieurement, il y en avait déjà dans le Nouveau Testament » (REUSS).
Voici maintenant quant au fond.
« Je n'hésite pas à déclarer, a dit M. Reuss, que l'Ancien Testament d'Olivétan est non seulement une oeuvre d'érudition et de mérite, mais un véritable chef-d'oeuvre, bien entendu quand on a égard aux ressources de l'époque et surtout quand on compare cette traduction à ce qui existait antérieurement dans ce genre » (*).
(*) Voici une appréciation aussi élogieuse qu'impartiale de la traduction de l'Ancien Testament dans la « Bible de La Rochelle de 1516», qui est la réimpression d'une des révisions d'Olivétan. Elle est d'un auteur qui a lui-même traduit la Bible, en faisant surtout oeuvre de littérateur.
« Pour faire passer dans notre langue toute l'ardente littérature juive, les connaissances philologiques ne suffisent pas. Qui les possède seules ne peut fournir qu'une traduction pâle et tout à fait infidèle. Comment redire les paroles d’Isaïe et d'Ézéchiel sans avoir eu ses lèvres touchées comme les leurs par les vifs charbons de l'inspiration poétique ? À ce point de vue, ce qu'il y a de préférable, c'est peut-être encore, malgré la multitude des faux-sens, la vieille Bible protestante de La Rochelle de 1616» (Eug. LEDRAIN, La Bible, traduction nouvelle, I, viii).
Voici deux spécimens de cette traduction
PSAUME 23 : Le Seigneur est mon pasteur, je n'aurai faute de rien. Il me faict reposer es pasquiers herbeux, il me meine auprès des eaues quoyes. Il refectionne mon ame, il me conduict par les sentiers de justice pour son nom.
Quand aussi je chemineroye par la vallée de lombre de mort, je ne craindroye nul mal : car tu es avec moy : ta verge et ta houlette mont console. Tu appareilleras la table devant moy, present ceulx qui me tormentent : tu engraisseras mon chef de oingnement, et ma couppe est remplie a comble. Toutefois ta bonte et benignité me suyvront tous les jours de ma vie : et habiteray long temps en la maison du Seigneur.
ÉSAIE 53 : Qui est celuy qui croit à notre publication, et le bras du Seigneur a qui est il revele : Aussi cestuy montera comme le vergeon devant luy et comme la racine de la terre qui a soif. Il ny a en luy ne facon ne beaulte. Et lavons veu qui ny avoit pas de forme : et ne lavons point desire. Il est mesprise et deboute des hommes, homme languoreux et accoustume a douleurs : dont avons cache nostre face de luy, tant estoit mesprise et ne lavons de riens estime. Vrayment iceluy a porte noz langueurs : et a chargé noz douleurs. Touteffoys nous lavons estime divinement estre frappe de playe et afflige. Or cestuy est il navre pour noz forfaictz. Il a ete blece pour noz iniquitez. La correction de notre payement est sus luy : et par sa playe nous avons guerison. Nous tous avons erre comme brebis : nous nous sommes tonrnez ung chascun en sa propre voye : et le Seigneur a me sus luy liniqnite de nous tous. Il est harcele et afflige, touteffoys il ne ouvre point sa bouche. Il est mene a loccision comme laigneau : et a este muet comme la brebis devant celui qui la tond, touteffois il ne ouvre pas sa bouche. Il est oste hors de destresse et de condamnation. Qui est celui qui recitera sa generation. Car il est arrache hors de la terre des vivans : et est deplaye pour le peche de mon peuple. Et permet avoir son sepulcre avec les meschans et son monument avec les richardz. Combien quil ne ayt point faict d'injure : et que fraude ne soit pas en sa bouche. Le Seigneur la voulu debriser par doleur. Sil met son ame pour le peche, il verra sa posterité et prolongera ses jours, et la volunte du Seigneur sera adressee en sa main. Pour le labeur de son ame il en aura jouissance. Et mon juste serviteur rendra plusieurs justes par sa science : et luy mesme chargera leurs iniquitez. Pourtant luy en partiray plusieurs, et divisera les despouilles avec les puissans pource qu'il a baille son ame a la mort et qu'il a este compte avec les transgresseurs. Iceluy mesme a porte les pechez de plusieurs et a prie pour les transgresseurs.
La traduction du Nouveau Testament ne mérite pas les mêmes éloges que celle de l'Ancien. Olivétan savait mieux l'hébreu que le grec, et il se borna à revoir, en s'aidant de l'original et surtout de la traduction latine d'Érasme, la traduction de Lefèvre d'Étaples, faite sur le texte de la Vulgate. Pour avoir été faite à la lueur des bûchers, et malgré les progrès accomplis, l'oeuvre de Lefèvre, nous l'avons dit, n'en était pas moins défectueuse, ne fût-ce qu'à cause du texte imparfait de la Vulgate, qu'elle suit. Le Nouveau Testament d'Olivétan constitue néanmoins, somme toute, un progrès sur celui de Lefèvre (*).
(*) Dans quatre chapitres (Matth. v, Actes xvii, Philémon, I Pierre I). M. Reuss a relevé 194 variantes d'Olivétan d'avec Lefèvre, soit 14,7 pour dix versets (56 de style, peu importantes, 123 d'après Érasme, 15 d'après le grec). On voit par là que si Olivétan n'a pas fait oeuvre originale. il a pourtant sérieusement retravaillé le texte de son prédécesseur, bien que, d'après M. Reuss, ses corrections ne constituent pas toujours un progrès.
Et puis, qui jettera la pierre à Olivétan pour avoir voulu se hâter de donner la Parole de Dieu aux Églises persécutées qui en étaient privées ? « À Neuchâtel, dit M. Petavel, la Réforme était faite depuis cinq ans, et on n'avait pas de Bible ! »
« N'oublions pas, dit M. Reuss, que nous avons affaire à un auteur placé dans des conditions très défavorables pour mener à bonne fin une si grande entreprise, à un auteur réduit à bien peu de secours littéraires et ayant à lutter avec les difficultés d'une langue qui se formait à peine pour l'usage littéraire et savant, et que cet auteur, dans son extrême modestie, ne réclame guère d'autre gloire que celle de ne point s'être laissé rebuter par tous ces obstacles. Qu'on soit sévère envers ceux auxquels les progrès de la science ont rendu la besogne facile… Mais quand il s'agit d'un de ces infatigables pionniers de la science, qui suppléaient par l'héroïsme de leur volonté à l'insuffisance de leurs moyens, et qui bien souvent ne jouissaient pas même de la sécurité personnelle et des loisirs domestiques sans lesquels nous autres, aujourd'hui, nous ne ferions plus rien du tout, ce serait le comble de l'injustice que de vouloir leur appliquer la mesure d'une critique telle que nous aurions à l'exercer à l'égard des ouvrages contemporains » (*)
(*) REUSS, op. cit., nouvelle série, IV, 1866
« Loin de compter avec une complaisance à la fois peu généreuse et pleine de vanité, les fautes, nombreuses, sans doute, qui peuvent être signalées dans un livre comme celui qui nous occupe, et qui pour nous n'est plus une ressource ou une autorité, mais un monument vénérable et digne de l'attention de l'historien, nous arriverons à constater que son auteur, avec une érudition vraiment prodigieuse pour son temps, tout insuffisante qu'elle nous parait aujourd'hui, a eu le courage d'aborder une pareille tâche, l'ambition de ne pas se la rendre trop facile, et la gloire de s'en acquitter noblement » (*).
(*) Ibid., V, 1876.
Voici dans la traduction d'Olivétan la parabole de l'enfant prodigue :
Ors tous les fermiers et pecheurs sapprochoient de luy pour le ouyr… Puis dist : ung homme avoit deux filz : et le plus ieune diceulx dist au pere : mon pere donne moy la portion de la substance qui m'appartient. Et il leur partit la substance. Et peu de iours apres quand le plus ieune filz eut tout assemblé il sen alla dehors en region loingtaine et la dissipa sa substance en vivant dyssolument. Et apres qu'il eut tout consommé : une grande famine aduint en icelle region. Et commencea a auoir necessite. Il sen alla et se ioingnit a ung des citoyens dicelle region lequel l'enuoya a sa metayrie pour paistre les pourceaux. Et desyroit de remplir son ventre des escosses que les pourceaux mangeoient, mais nul ne luy en donnoit. Dont estant revenu a soimesme dist : Combien de mercenaires y a il en la maison de mon pere qui ont abondance de pains et moi je pery de faim. Je me leueray et men iray a mon pere et luy diray : Mon pere iay peche au ciel et devant toy et ne suis point maintenant digne destre appelé ton fils : fais moy comme ung de tes mercenaires. Lors se leva et vint a son pere. Et comme il etoit encore loing son pere le veit et fut meu de compassion : et accouru et cheut sur le col diceluy et le baisa. Et le fils lui dist : Mon pere iay peche contre le ciel et devant toy : et ne sui point maintenant digne destre appelle ton filz. Et le pere dist à ses serviteurs : apportez la robbe longue premiere et le vestez : et lui donnez ung aneau en sa main et des souliers en ses pieds. Et amenez ung veau gras et le tuez et le mangeons et menons ioye : car cestuy mon filz estoit mort et il est retourne a vie : il estoit perdu mais il est retrouve. Et commencerent a mener ioye.
Olivétan se rendait compte des imperfections de son oeuvre. Il publia en 1536 le Nouveau Testament revu par lui ; en 1537, une révision des psaumes qui inaugure l'emploi du terme l'Éternel pour traduire l'hébreu Jahveh. Dans sa première édition il s'était servi du terme Seigneur, selon l'usage des rabbins et de la Vulgate. Les traducteurs israélites Cahen et de Woguë ont adopté la traduction l'Éternel.
En 1538, Olivétan publia une nouvelle révision du Nouveau Testament, en même temps qu'une révision de l'Ecclésiaste, du Cantique et des Proverbes, dont les sentences sont, dans cette édition, numérotées au moyen de chiffres arabes. C'est le plus ancien exemple de l'emploi de chiffres pour la division en versets.
Dans ces dernières éditions, Olivétan avait pris le pseudonyme tout à la fois modeste, savant et humoristique, de Belishem de Belimâkôm, deux mots hébreux qui signifient Sans nom de Sans lieu ou Anonyme de nulle part. « Ainsi, Olivétan, dit M. Reuss, avait assez le goût et l'usage de l'hébreu, langue très peu cultivée par les savants de ce temps-là, pour le faire servir, de préférence au latin, à des plaisanteries littéraires ».
Qui sait jusqu'à quel point Olivétan eût perfectionné son travail ? Mais la mort le prit, comme nous l'avons dit, en 1538.
La traduction d'Olivétan était, pour l'époque, tellement bonne, que quelques exilés anglais pensèrent rendre un service éminent à leur pays en faisant paraître une traduction anglaise nouvelle calquée sur celle d'Olivétan, révisée, il est vrai, par Calvin. Ce fut la Bible dite de Genève (1562). Le Hollandais Hackius se servit aussi de la Bible d'Olivétan pour réviser la Bible hollandaise.
Voilà la traduction, nombre de fois révisée, comme nous le verrons, dont nos églises de langue française ont vécu pendant plus de trois siècles, sous le feu de la persécution, dans les cachots, sur les galères, au désert, et aux jours du réveil du dix-neuvième siècle. Il convient de saluer avec vénération la mémoire du modeste, consciencieux, et savant Olivétan, qui fut loin, assurément, de prévoir le succès de son oeuvre.
Depuis lors, toutes les traductions protestantes françaises de la Bible entière, sauf celles de Martin (1707), de Roques (1736), d'Ostervald (1744), (qui ne furent que des révisions d'Olivétan), de Lecène (1741) et celle de Reuss dans son commentaire, ont été faites par des étrangers : La France a eu au moins l'honneur de donner à l'Église le premier traducteur qui ait traduit la Bible entière en français d'après les textes originaux.
Portrait de Calvin, par Pierre 'Woeiriot, dédié au poète Louis des Mazures, avec le sceau du réformateur (la main qui offre le coeur à Dieu) et sa devise : Prompte et sincere. Portrait conservé au cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale (Ed. 5 B. Réserve).
13.4 - Révisions de la Bible d'Olivétan jusqu'à Ostervald,
« La Bible d'Olivétan, dit M. Reuss, doit être considérée comme la base de toutes les éditions, recensions ou versions, comme on voudra les appeler, reçues depuis dans les Églises protestantes de langue française… C'est de cette première édition ou traduction protestante en langue française que dérivent par une longue série de transformations, quelquefois radicales, toutes les autres qui ont été en usage, bien que celles-ci, dans leurs différentes formes actuelles, ne conservent plus guère de traces de leur origine » (*).
(*) M. Reuss écrivait ceci en 1866 (Op. cit., IV).
La Bible d'Olivétan fut révisée une première fois par Calvin, ou sous sa direction (1560). Calvin trouvait la traduction de son cousin « rude et aucunement éloignée de la façon commune et reçue ». Dans la préface de cette Bible, Calvin écrit ceci : « Mon désir serait que quelqu'un ayant bon loisir et étant garni de tout ce qui est requis à une telle oeuvre, y voulût employer une demi-douzaine d'ans, et puis communiquer ce qu'il a fait à gens entendus et experts, tellement qu'il fût bien revu de plusieurs yeux ». Malheureusement, ni cet homme ayant bon loisir, ni cette demi-douzaine d'ans, ne se sont trouvés pendant trois siècles et demi.
La Bible d'Olivétan fut révisée une seconde fois par Théodore de Bèze, en 1558. Les modifications des révisions de 1560 et de 1588 sont souvent des retouches malheureuses qui trahissent d'une manière trop évidente des préoccupations de controverse (*)
(*) Voir le fragment : Inexactitudes dans les traductions protestantes du Nouveau Testament.
La Bible de 1588 fut réimprimée pendant cent ans, à Lyon, à Caen, à Paris, à La Rochelle, à Sedan, à Niort, en Hollande, à Bâle, et dans la Suisse française. Elle survécut telle quelle, malheureusement, à la modification profonde que subit la langue française dans la seconde moitié du dix-septième siècle. Déjà alors son langage était suranné, preuve en soit le trait suivant, raconté par Bayle. C'était en 1675.
« Un conseiller de Sedan, catholique, fort honnête homme et fort savant, me contait, il y a environ un mois, que M. l'archevêque de Reims, ayant envoyé quelques-uns de son clergé à Sedan pour des affaires ecclésiastiques, ils furent curieux d'entendre prêcher M. Jurieu, un jour d'imposition des mains. Ils furent fort satisfaits de sa science et de son langage en général, mais ils trouvèrent des expressions insupportables, comme guerroyer le bon combat — l'iniquité d'Ephraïm est enfagottée — c'est un enfant qui n'est pas sage — il ne tient pas le temps en la brèche des enfants — offrir les bouveaux de nos lèvres (C'étaient des citations bibliques : 2 Tim. 3, 6; Osée 8, 12, 13; 14, 2). Ils le trouvèrent incompréhensible, voyant d'un côté qu'il avait un style fort pur et fort éloquent, et de l'autre qu'il avait de si méchantes phrases ».
En 1676, le grand Claude prit l'initiative d'une version nouvelle. Il comprenait que la Bible des protestants devait enfin parler la langue du grand siècle. Claude, chose remarquable, pour assurer l'impartialité de l'oeuvre, demanda le concours du savant Richard Simon, prêtre à l'Oratoire, qui, chose non moins remarquable, accepta. La traduction était assez avancée quand la Révocation de l'édit de Nantes arrêta net l'entreprise. « Le crime de Louis XIV, dit M. Stapfer, fut fécond en conséquences secondaires, toutes plus néfastes les unes que les autres. En voilà une et des plus graves. Si nous portons encore aujourd'hui le joug des révisions, nous le devons à la Révocation de l'édit de Nantes » (*).
(*) Revue chrétienne, 1900, p. 433, 434.
Les ravisions reprirent de plus belle et, malheureusement, se firent, comme par le passé, à l'étranger. À la fin du dix-septième siècle, le Synode des Églises wallonnes confia à David Martin la tâche de mettre au point la Bible française, devenue presque illisible.
David Martin, né à Revel (Haute-Garonne) en 1639, avait fait ses humanités à Montauban et à Nimes, et sa théologie à Puylaurens (Tarn). Il était très fort en hébreu et sur les questions bibliques. Consacré à Mazamet, en 1633, il fut pasteur à Espérausses, puis à Lacaune (Tarn). Très modeste, comme son prédécesseur Olivétan, il refusa successivement l'église de Millau et une chaire de théologie à Puylaurens. Quand, à la Révocation, le temple de Lacaune fut fermé, David Martin, au lieu de passer à l'étranger, essaya de continuer son ministère, malgré les dragons. Il allait être arrêté, quand des catholiques lui fournirent le moyen de s'enfuir et cachèrent sa famille, qui le rejoignit plus tard. En 1685, il fut nommé pasteur à Utrecht et refusa plus tard la chaire de théologie la plus importante des Pays-Bas, celle de La Haye. Il fut correspondant de l'Académie française et enseigna chez lui la philosophie et la théologie à des fils de princes. Il mourut en 1721, frappé en chaire, à quatre-vingt-deux ans, du mal qui l'emporta deux jours après.
Tel fut l'homme pieux, modeste et savant, qui donna son nom à l'une des révisions les plus consciencieuses et les plus durables du travail d'Olivétan. Le Nouveau Testament parut en 1696, et la Bible entière en 1707. Martin, craignant sans doute de dérouter ses lecteurs par trop de changements, écrasé par ce que M. Stapfer appelle le joug des révisions, ne corrigea pas assez. Voici comment il rend le passage Éphésiens 4, 16 :
Christ, duquel tout le corps bien ajusté et serré ensemble par toutes les jointures du fournissement, prend l'accroissement du corps selon la vigueur qui est dans la mesure de chaque partie, pour l'édification de soi-même en charité.
« Le mot de galimatias, dit M. Stapfer, est le seul qu'on puisse ici prononcer, et il est vraiment étrange qu'en 1696, c'est-à-dire au moment où la langue française était parlée avec une incomparable pureté, au lendemain du français de Bossuet et à la veille du français de Voltaire, on ait osé imprimer des phrases pareilles. Il est pénible de penser que nos pères n'avaient pas de Bibles plus correctes et plus françaises à étudier et à lire ».
La traduction de Martin était accompagnée de notes abondantes et excellentes, où se retrouve toutefois la préoccupation de justifier les personnages bibliques. Ainsi, à propos du mariage de Salomon avec une princesse égyptienne, nous apprenons que la défense d'épouser des femmes païennes ne s'appliquait qu'aux Cananéennes et à celles qui ne se feraient pas prosélytes, et que la fille de Pharaon dut très probablement embrasser la religion israélite en épousant Salomon.
Le besoin d'une révision se fit bientôt sentir, surtout en Suisse. En 1736 parut une révision de la Bible de Martin, par Pierre Roques, pasteur à Bâle, natif de Lacaune (Tarn), et en 1746 une autre, par Samuel Scholl, pasteur à Bienne. Mais la révision d'Ostervald fit oublier les révisions de Roques et de Scholl.
13.5 - Ostervald et sa révision
13.5.1 - J.-F. Ostervald
Ostervald, né à Neuchâtel en 1663, acheva ses études classiques à seize ans, étudia la théologie et la philosophie à Saumur, à Orléans et à Paris, et fut consacré à Neuchâtel à dix-neuf ans. Neuf ans après, il devenait, sans abandonner le ministère, professeur de théologie. Il eut beaucoup de succès comme prédicateur. Il prêchait moins le dogme que la morale. Il était pieux et croyait au surnaturel chrétien, mais il appartenait à la tendance « libérale » de l'époque. Il ne croyait pas au dogme calviniste de la corruption totale de l'homme. Son biographe, M. le pasteur R. Gretillat, signale son indécision dogmatique et le caractère rationaliste de certaines de ses interprétations. Ainsi, Marc 12, 62, il voit dans la destruction des Juifs et dans l'avancement du règne de Dieu la réalisation de la promesse de Jésus-Christ relative à son retour. Il était opposé à la confession de foi obligatoire. Il prêcha et professa jusqu'en 1746. Son ministère dura soixante-trois ans. Comme Martin, il fut frappé en chaire, au moment où il commençait un sermon sur Jean 20, 1-8. C'était son deux cent vingt et unième sermon sur l'Évangile de Jean. Le deux cent vingt-deuxième, pour le mercredi suivant, était déjà écrit. Mais il traîna plus longtemps que Martin. Frappé d'apoplexie en août 1746, il vécut jusqu'en avril 1747.
13.5.2 - Ostervald et le capucin — Ostervald et Louis XIV — Ostervald et Fénelon
Le récit suivant est emprunté aux Pages Neuchâteloises de Philippe GODET. Il fait revivre la figure de l'homme sympathique qui a attaché son nom à la version biblique dont nos Églises ont vécu si longtemps.
Un bon capucin des frontières de la France, qui connaissait M. Ostervald de longue date et qui l'estimait jusqu'à lui rendre visite régulièrement une fois par an à Neuchâtel même, tant par un principe de piété que par un principe de reconnaissance, comme il le disait à tout le monde, arriva à Neuchâtel le jour même des funérailles. Il alla voir le corps comme les autres, dans la chambre où on l'avait exposé, et y donna des marques de l'attendrissement le plus sincère, mais il ne voulut point troubler le convoi ni l'oraison funèbre par son habit. Seulement, vers le soir, quand tout le monde se fut retiré, il se glissa dans l'église encore ouverte, et, s'étant mis à genoux devant la tombe où le corps avait été déposé, il l'arrosa de ses larmes, y fit ses dévotions à sa manière, mais mentalement, pour ne choquer personne ; après quoi il se retira, satisfait de la consolation qu'il avait eue, se louant toujours des bontés qu'il avait reçues du défunt, et pour le temporel et pour le spirituel. Ce bon religieux était connu de diverses personnes qui lui faisaient civilité, mais dès qu'il avait vu et entretenu M. Ostervald, il s'en retournait aussitôt vers son monastère, comme si tout le reste lui eût été indifférent.
Ce religieux n'était pas le seul, parmi les catholiques, qui rendit justice à M. Ostervald. Tout ce qu'il y avait de plus éclairé dans cette communion lui appliquait unanimement le caractère de Conrart : il ne lui manque que l'orthodoxie romaine. M. l'abbé Bignon a reconnu le mérite du Traité des Sources de la corruption et du Catéchisme, et leur a donné place dans la Bibliothèque de Louis XIV. M. Colbert, évêque de Montpellier, M. Fléchier, évêque de Nimes, et quantité d'autres, possédaient ses ouvrages et ne l'ont point dissimulé dans l'occasion à des protestants étrangers.
Mais personne ne s'est déclaré avec plus de candeur que l'illustre Fénelon, toutes les fois que l'occasion s'en est présentée. M. Ostervald partageait les vues qu'il exprime dans Télémaque au sujet du mariage des jeunes gens. M. de Cambrai partageait celles de M. Ostervald quant aux premiers linéaments de la religion, et, quoiqu'il n'eût jamais vu notre pasteur, il l'estimait et l'aimait, d'après la manière unanime dont tant d'officiers suisses, admis tous les jours à sa table, lui avaient dépeint son caractère.
Ces sentiments furent mis au jour, assez singulièrement, par de longs entretiens qu'eut Fénelon avec un jeune homme de Neuchâtel, durant la guerre de 1702. Ce dernier était maçon de son métier ; comme il se trouvait sans ouvrage à Cambrai, l'archevêque, touché de sa position, lui en donna et l'occupa pendant quelques semaines à des réparations qu'il avait projetées dans son jardin ; il prenait plaisir, entre temps, à l'interroger sur son pays, sur sa profession, sur ses aventures. La conversation ne tarda pas à tomber sur M. Ostervald, et elle y revint plus d'une fois. Voici quelques lambeaux de ces entretiens.
« Connaissez-vous ce digne pasteur ?
- Si je le connais ? je n'en connais pas d'autre.
- Mais est-il vrai, ce qu'on dit de lui, qu'il prêche si bien et qu'il vit comme il prêche ?
- Holà, oui ! Monsieur (notre Neuchâtelois ne disait pas Monseigneur) ; quand vous auriez un coeur de pierre, sous votre respect, il vous toucherait.
- Et comment est-il fait de sa personne ?
- Ah ! Monsieur il est fait comme un ange ; il est plus grand que vous et moi ; mais quand il se fâche, il fait trembler tout le monde.
- Est-il possible ?
- Oui, certes.
- Apparemment, c'est tout comme ici : le peuple n'en devient pas meilleur ?
- Ah ! vous pouvez bien le dire ; c'est leur faute.
- Prêche-t-il souvent ?
- Oh ! Monsieur, il prêcherait tous les jours, si on le voulait.
- N'a-t-il point donné au public quelques ouvrages ?
- Oh ! que si ! nous avons son Catéchisme, où les réponses sont bien déduites et bien belles ; quand je les lis, il me semble que je le vois en chaire.
- N'a-t-il point publié d'autre livre, que vous sachiez ?
- Holà ! oui, il en a fait un contre les paillards, qui est bien bon.
- J'espère, mon ami, que ce n'est pas là votre cas ?
- Dieu m'en préserve !
- Et si la tentation s'en présentait, que feriez-vous ?
- Je lui dirais comme j'ai toujours fait : « Va arrière de moi, Satan ! »
- C'est très bien, mon ami ; tenez, voilà un pourboire ».
Toutes ces ingénuités étaient si fort du goût du prélat, que le lendemain c'était à recommencer. Quelquefois même, il faisait venir une demi-pinte pour animer le babil aussi bien que le travail de son ouvrier, mais, qu'il y eût du vin ou qu'il n'y en eût pas, il était toujours sûr de recevoir la pièce blanche, outre le salaire convenu. Enfin, quand il eut tout réparé et garni sa valise, il ne songea plus qu'à revoir le pays. M. de Cambrai le combla de bénédictions, l'exhorta à ne pas détruire sa foi par ses oeuvres, « Et n'oubliez pas, ajouta-t-il, de faire mes compliments à M. Ostervald ; dites-lui que je l'estime, que je l'honore, et que j'ai tous ses ouvrages ».
Aussi, dès qu'il fut de retour à Neuchâtel, notre homme ne manqua-t-il point de s'acquitter de sa commission. On le reçut fort amicalement et tout le voisinage en fut informé.
13.5.3 - Réflexions et notes
Ostervald composa plusieurs ouvrages, dont un Catéchisme. Mais l'ouvrage de sa vie, qu'il refit et réédita plusieurs fois pendant vingt-quatre ans, fut un recueil d'Arguments et Réflexions sur l'Ecriture sainte. En 1709, la vénérable classe (consistoire) l'avait chargé de composer des exhortations pour être lues en chaire après la Bible. Il rédigea, pour figurer en tête de chaque livre, un argument ; pour figurer en tête de chaque chapitre, un sommaire, et pour servir de conclusion à chaque chapitre, des « Réflexions » ou exhortations. Il rédigea donc onze cent quatre-vingt-neuf exhortations. En 1713, un pasteur anglais lui demanda son manuscrit, et le publia. Il le publia lui-même en 1720, refondu. En 1724, des libraires de Hollande le tourmentèrent pour leur permettre de publier ses exhortations dans une Bible qu'ils allaient éditer. Modeste comme ses prédécesseurs, Olivétan et Martin, Ostervald ne céda que sur la menace des libraires de faire traduire l'ouvrage d'anglais en français. Lui répugnait-il que ses exhortations fussent intercalées dans le texte sacré ?
On voit par ces détails de quelle vogue, dès le début, jouit cet ouvrage qui pourtant était loin d'être un chef-d'oeuvre. Une des lacunes de ces Réflexions c'est que jamais elles ne s'attachent à montrer l'enchaînement et le développement des idées chez l'auteur sacré. Chaque passage est expliqué comme s'il était tout seul, sans lien avec ce qui le précède et avec ce qui le suit. Ce genre d'explication était sans doute dans le goût du temps.
Autre trait à noter. Les Réflexions cherchent continuellement à disculper les personnages bibliques.
Ce que Moïse fit en tuant un Égyptien est une action extraordinaire qui ne doit point être tirée à conséquence puisque Moïse était un homme envoyé de Dieu. — Dans la persuasion où cette femme (Rahab) était que Dieu avait résolu de donner le pays de Canaan aux enfants d'lsrael, elle put faire innocemment ce qu'elle fit, sans quoi sa conduite envers son roi et sa patrie aurait été blâmable, et elle ne devrait pas être imitée. — Si David parle en des termes qui semblent marquer qu'il demandait la punition de ses ennemis, ce ne sont pas proprement des imprécations qu'il fait contre eux : ce sont des prédictions plutôt que des souhaits.
« Dans ce seul fait, dit M. Gretillat, nous constatons qu'il y a un abîme entre les auteurs inspirés de l'Ancien Testament et leurs commentateurs les plus pieux. Les premiers sont véridiques, les seconds sont bien intentionnés. Ceux-là réveillent la conscience, ceux-ci la froissent… » (*)
(*) Jean-Frédéric Ostervald, p. 239.
Et que penser d'une réflexion comme celle-ci, à propos de Romains 7 ?
C'est un chapitre qui doit être bien entendu, et dont il ne faut pas abuser.
Les Réflexions renferment aussi des fadeurs, des lieux communs, et même des naïvetés. Ainsi, à propos de Josué 23 :
Les magistrats doivent apprendre d'ici que leur principal soin doit être d'établir la Piété et la Religion pendant qu'ils sont au monde.
Ostervald fit aussi des notes, dans lesquelles, souvent, il affaiblit, énerve, et même contredit positivement le texte.
Le gobelet par lequel il (Joseph) devine infailliblement. Note : il reconnaîtra infailliblement que vous l'avez emporté (Ostervald luttait contre la divination). — Rahab la prostituée devient une hôtelière. — La fille de Jephthé sera à l'Éternel, « ou » je l'offrirai en holocauste. — Tout ce qui sort de la bouche de Dieu signifie : tout ce que Dieu ordonnera pour lui servir de nourriture. — Autrefois, j'étais sans loi, je vivais, signifie : j'étais plus tranquille. — Quand le Fils de l'homme viendra, pensez-vous qu'il trouve de la foi sur la terre ? C'est-à-dire dans ce pays, parmi les Juifs, quand il viendra pour les détruire. — Tu lui amasseras des charbons de feu sur la tête. Note : tu ôteras des charbons de dessus sa tête. — Je voudrais être anathème (Rom. 9, 3). Note : Pardonne-leur, sinon, Seigneur, retranche-moi plutôt du monde, je consens de mourir. Voilà un sens qui paraît simple, clair, naturel.
13.5.4 - Révision du texte
Ce n'est qu'à l'âge de quatre-vingts ans qu'Ostervald se mit à réviser le texte même de la Bible. Il avait plusieurs des qualités nécessaires à cette entreprise. En particulier, il connaissait très bien l'hébreu et le grec. Debout tous les jours à quatre heures du matin, il consacrait les premières heures de la journée à son travail de révision. Il n'interrompit pas une seule de ses fonctions pastorales, et en deux ans il eut achevé son oeuvre. Il faut admirer sans réserve cette vaillance.
La révision d'Ostervald parut en 1744: Elle eut une fortune inouïe, prodigieuse, et ce qui fit cette fortune, ce fut l'extrême popularité des Arguments et Réflexions qui avaient précédé la révision. Grâce aux Arguments et Réflexions, le règne d'Ostervald commença presque immédiatement. « Cette fortune, dit M. Stapfer, dure encore. Ostervald est passé au rang des traducteurs de la Bible, ce qu'il n'a jamais été, et il fait autorité, ce qu'il n'a jamais mérité. Simple réviseur, aussi pieux que distingué, il eût été aussi surpris et confus qu'Olivétan lui-même s'il avait pu prévoir le succès qu'on lui ferait » (*).
(*) Revue chrétienne, 1900, p. 436.
On pourrait dire, sans trop d'exagération, que la « version d'Ostervald » n'a jamais existé. On n'en a jamais vu le manuscrit. Ostervald écrivit simplement ses corrections au moyen de ratures et de surcharges, sur un exemplaire de la révision de Genève de 1724 (*1) qui est précieusement conservé à la bibliothèque des pasteurs de Neuchâtel. Plus de la moitié de l'ancien texte subsiste. Quand on étudie ce document on voit que si la traduction a été modifiée en certains endroits, notamment dans Job et dans les épîtres, néanmoins la très grande majorité des corrections indique non la préoccupation de mieux rendre le sens de l'original, mais celle de moderniser le style (*2). Voici quelques-unes de ces corrections :
(*1) Cette Bible de 1724 contient dans une de ses premières pages une liste des livres de la Bible, avec le nombre des versets et chapitres de chaque livre, et au bas de la liste les chiffres totaux. Nous apprenons ainsi que l'Ancien Testament contient 23.209 versets, le Nouveau Testament 7.958 versets, la Bible entière 31.167 versets.
(*2) C'est d'ailleurs le but exprès que, d'après la préface de la Bible de 1744, Ostervald s'est proposé. Cette préface explique que les exemplaires de la Bible de 1724 étaient devenus rares. Il fallait une nouvelle édition. Ostervald revit ses Arguments et Réflexions, et quant au texte, « en conservant la version qui est reçue dans nos Églises, il y a fait les corrections qui paraissaient nécessaires, et changé des expressions et des manières de parler qui ne sont plus en usage et qui pouvaient causer de l'obscurité.
Édition de 1724
Révision d'Ostervald
Psaume 23, 2 : Eaux coies
… Eaux tranquilles.
Psaume 49, 6 : L'iniquité de mes talons ( !) (*) m'environnait
… La malice de ceux qui me talonnent.
Ésaïe 53 : Qui a cru à notre publication et à qui le bras de l'Éternel a-t-il été découvert ?
… prédication
… révélé.
Romains 5, 8 : Recommande du tout
… fait éclater.
Éphésiens 2, 7 : Sa bénignité
… la bonté dont il a usé.
(*) Olivétan avait dit : la malice de celui qui est à mes talons.
Ainsi, Ostervald a remis au point, en une mesure, et surtout au point de vue du style, la version en usage de son temps, qui était elle-même une révision d'Olivétan. Ostervald a révisé une révision, rien de plus. Et cette révision de révision a été, depuis, révisée à l'infini.
Il ne faut point déprécier l'oeuvre d'Ostervald. La préface du Nouveau Testament de Mons, publié en 1667, par les solitaires de Port-Royal, dit excellemment :
Les défauts de nos versions ne diminuent rien de l'obligation qu'on a à ceux qui les ont faites. Ils ont servi l'Église de la meilleure manière qu'ils le pouvaient et ils n'ont pu écrire que comme ils ont fait. Si nous avions été de leur temps, nous aurions parlé comme eux, et s'ils étaient du nôtre, ils parleraient comme nous.
Et puis il ne faut pas oublier qu'Ostervald n'a voulu qu'améliorer le révision de 1724, et qu'il l'a améliorée considérablement. Il ne faut pas lui imputer des incorrections et des faiblesses « qui, dit M. Gretillat, ne sont pas de lui, et qu'il s'est borné à laisser subsister, pour des raisons qui ne nous sont pas connues ». Lui aussi, sans doute, a voulu ménager les lecteurs. Lui aussi portait le « joug des révisions ». Quand on voit à quel point ses successeurs ont subi l'influence de la version qui porte son nom, comment pourrait-on lui reprocher d'avoir subi, lui, l'influence de ceux qui l'ont précédé ?
Néanmoins, la critique ne perd pas ses droits. À prendre l'oeuvre en elle-même, il est permis de regretter l'autorité exagérée dont elle a joui pendant si longtemps. Ostervald a fait en deux ans ce qui, d'après Calvin, en demandait six, et son travail n'a pas été, selon le voeu du réformateur, « revu par plusieurs yeux ». Voici un exemple de ce qu'est par endroits la traduction qu'il a adoptée ou conservée
Ta vie sera comme pendante devant toi (Deut. 28, 66).
Tous tiraient des pierres avec une fronde à un cheveu (Juges 20, 16).
Faites-moi revenir le coeur par du vin et faites-moi une couche de pommes (Cant. 2, 5) (*).
(*) Olivétan avait dit : Sustentez-moi de flacons et confortez-moi de pommes.
Quand le Tout-Puissant dissipa les rois dans ce pays, il devint blanc comme la neige.. (Ps. 68, 15).
Il n'y a point eu d'obscurité épaisse pour celle qui a été affligée, au temps que le premier se déchargea légèrement vers le pays de Zabulon et vers le pays de Nephtali, et que le dernier s'appesantit sur le chemin de la mer, au delà du Jourdain, dans la Galilée des Gentils (Ésaïe 8, 23).
Mes entrailles font du bruit sur Moab, comme une harpe, et mon ventre sur Kirheres (Ésaïe 16, 11).
Ostervald sacrifie donc étrangement, par endroits, la langue. De plus, il affaiblit le texte. « Ostervald, dit M. Louis Bonnet, l'ancien pasteur de Francfort, auquel manquait, comme à toute son époque, le sens et le tact exégétiques, n'a produit qu'une pâle paraphrase des Écritures ». Adolphe Monod préférait la version de Martin à celle d'Ostervald « dont l'élégance relative, nous écrit M. William Monod, ne rachetait pas à ses yeux un certain manque de force et de simplicité. Il trouvait chez Martin plus de saveur et d'énergie, et c'est de Martin qu'il se servait habituellement. Il en avait toujours un exemplaire en chaire ».
De plus, Ostervald a conservé des erreurs manifestes. Ainsi, Hébreux 13, 4 : Le mariage est honorable entre tous, au lieu de Respectez tous le mariage. Ici c'est une préoccupation de controverse qui a fait fléchir la traduction. Voici une erreur imputable à la préoccupation dogmatique. Matthieu 28, 17, la révision d'Ostervald porte : Ils l'adorèrent, même ceux qui avaient douté (*). Or le texte dit : Ils l'adorèrent, mais quelques-uns doutèrent. Ajoutons à l'honneur d'Ostervald qu'il rétablit dans une note la vraie traduction, précédée du mot ou. C'était un commencement de retour vers la vérité.
(*) C'est dans la Bible revue qui fut publiée en 1693 à Genève, chez Antoine Chouet, que la leçon : Même ceux qui avaient douté, fait son apparition. Les réviseurs de 1693 n'admettaient pas qu'en eût pu douter en présence du Christ ressuscité. C'était d'un trop mauvais exemple.
On se demande, dit M. Stapfer, si, après tout, la moins mauvaise traduction n'est pas (abstraction faite des versions faites de nos jours) le premier travail d'Olivétan… Olivétan est le seul traducteur protestant français qui ait été vraiment impartial » (*)
(*) Revue chrétienne, 1900, p. 286, 287.
13.5.5 - Révisions d'Ostervald
Au siècle dernier parurent diverses révisions d'Ostervald. Une révision de l'Ancien Testament parut en 1805 à Genève. À Lausanne, une révision de la Bible parut en 1822. Plusieurs des éditions de la Société biblique de Paris furent plus ou moins retouchées, sans que le titre en fasse mention.
En 1835, parut une nouvelle révision dont l'initiative fut prise, en Angleterre, par la Société pour la propagation des connaissances chrétiennes, surtout en vue de pourvoir aux besoins des Églises françaises de Jersey, de Guernesey et du Canada. Cette Société s'adressa à M. Jacques Matter, ancien élève de la Faculté de théologie de Strasbourg, qui occupait dans l'Université la haute position d'inspecteur général des études, et qui fut père de M. Albert Matter, président de la Société biblique de France. M. Matter, avec l'aide du pasteur luthérien R. Cuvier (cousin du naturaliste du même nom) et de plusieurs jeunes savants, fit paraître la révision du Nouveau Testament en 1842 et celle de l'Ancien en 1849. Le format de cette Bible est immense et incommode. Ce travail, malgré ses mérites, passa à peu près inaperçu.
Une révision du Nouveau Testament qui eut plus de succès fut celle du pasteur Charles Frossard (1869), faite sur le texte dit reçu, que la Société biblique de France publia en 1872, sur le voeu de la Conférence pastorale de Paris.
La Société biblique de France entreprit, en 1868, la révision de l'Ancien Testament. Cette révision, oeuvre de cinq réviseurs, parut en 1881. La traduction de certains livres, Job par exemple, était entièrement nouvelle. À cet Ancien Testament révisé fut joint le Nouveau Testament Frossard.
Le Synode officieux de Nantes (1889) décida de confier une nouvelle révision à une « commission des versions bibliques ». Cette commission, dont le premier président fut M. Bersier, prépara la révision du Nouveau Testament sur un texte critique. Ce Nouveau Testament révisé parut en 1894, et fut soumis à l'examen des Églises et des synodes particuliers. Ceux-ci ayant demandé de nombreuses retouches, le synode de Sedan (1896) chargea divers réviseurs, qu'il désigna, de revoir minutieusement le texte du Nouveau Testament de 1894.
En 1903, la Société biblique de France publia la Revision synodale du Nouveau Testament, et en 1905 le Nouveau Testament avec les psaumes révisés. Cette révision du Nouveau Testament a une grande valeur. Elle représente dix-sept ans de travail (la première révision en prit dix, la seconde sept), et elle est le fruit des travaux d'une centaine de collaborateurs, dont une trentaine réguliers. Parmi ceux-ci, les principaux ont été M. le professeur A. Matter et MM. les pasteurs Ernest Bertrand, Elisée Lacheret, William Monod, Jacot. Les autres collaborateurs appartenaient à toutes les Églises évangéliques et à tous les pays de langue française. Cette traduction est donc une oeuvre oecuménique. La révision synodale du Nouveau Testament fut accueillie dans les Églises avec enthousiasme (*1). Le comité de révision achève en ce moment la préparation de l'Ancien Testament. Les principaux réviseurs de l'Ancien Testament ont été MM. les pasteurs Ernest Bertrand, Philémon Vincent et William Monod. C'est aux deux premiers qu'on doit l'excellente révision du psautier publiée en 1905. La révision du Psautier publiée en 1875 était l’œuvre de M. William Monod. La révision synodale de la Bible sera en fait une traduction entièrement nouvelle, dans laquelle il faut nous préparer à saluer la meilleure version protestante française de la Bible (*2).
(*1) Le Nouveau Testament in-16 a eu trois éditions (1903, 1905, 1907. — 18.000 exemplaires). Le Nouveau Testament in-24 a eu deux éditions (1906, 1908. — 50.000 exemplaires). Le Nouveau Testament in-8 avec psaumes de 1905 a été publié à 3.000 exemplaires.
(*2) Le psautier est la seule partie de l'Ancien Testament qui ait encore paru au moment où ces pages sont écrites. Cette traduction des psaumes nous parait extrêmement remarquable. Elle a été encore révisée depuis. Voici, dans le texte définitif, le psaume 87
1 Des enfants de Coré. — Psaume. Cantique.
Les fondements de Jérusalem reposent sur les montagnes saintes :
2 L'Éternel aime les portes de Sion ;
Il la préfère à toutes les demeures de Jacob.
3 Un avenir de gloire t'est destiné,
O cité de Dieu ! — (Sélah).
4 Je mentionnerai l'Égypte et Babylone parmi ceux qui me connaissent,
Ainsi que les Philistins et Tyr, et l'Ethiopie :
C'est ici que sera leur lieu de naissance !
5 Oui, on dira de Sion : Chacun d'eux est né dans cette ville ;
Et le Très-Haut lui-même l'a fondée.
6 L'Éternel passe les peuples en revue, et il écrit
Celui-là aussi est enfant de Sion ! — (Sélah).
7 Alors chanteurs et joueurs de flùte disent de concert
Tu es la source où nous allons tous puiser !
Voici le psaume 131
1 Cantique des pèlerinages. De David.
Éternel, mon coeur ne s'est pas enflé d'orgueil ;
Je n'ai pas porté trop haut mes regards,
Je ne recherche pas les grandeurs,
Et je n'aspire pas aux choses trop élevées pour moi.
2 J'impose plutôt à mon âme le calme et le silence,
Comme l'enfant sevré dans les bras de sa mère :
Tel un enfant sevré, telle est mon âme.
3 Israël, espère en l'Éternel,
Dès maintenant et à toujours !
Depuis que ces lignes ont été écrites, le 12 juin 1910, au temple du Saint-Esprit, dans une séance qu'on peut appeler une séance historique, vraie fête chrétienne qui couronnait quarante-deux années de travaux, la nouvelle Bible a été présentée à une assemblée émue, par M. le pasteur Camille Soulier, président de la Société, et par M. le pasteur Ernest Bertrand, son agent général.
Dieu ne dédaigne pas un coeur humilié et contrit (Psaume 51)
Puis vient le curieux morceau suivant :
Au lecteur de la Bible
Lecteur entends si Verite addresse
Viens donc ouyr instamment sa promesse
et vif parler : lequel en excellence
veult asseurer notre grelle espérance.
lesprit Jesus qui visite et ordonne
nos tendres moeurs icy sans cry estonne
tout haut raillart escumant son ordure.
Remercions éternelle nature
prenons vouloir bienfaire librement
Jesus querons veoir Eternellement
Ces vers renferment une énigme dont la clef se trouve dans la
citation suivante d'Ézéchiel qui clot la page et le livre (*) :
Et leur ouvrage estoit comme si une
roue eust este au milieu de lautre
roue. Jehezek 1.
(*) Il serait fort désirable que toutes les pièces liminaires de cette Bible fussent publiées in-extenso en un volume. Il n'y aurait dans notre littérature protestante rien de plus beau, rien de plus prenant.
Si on joint ensemble les lettres initiales de tous les mots de ces dix vers, on obtient les deux vers suivants :
Les Vaudois, peuple évangélique,
Ont mis ce thrésor en publicque.
13.3.2 - Le texte
D'abord la forme. Jamais Bible ne fut imprimée avec plus d'amour et plus de goût. Les versets ne sont pas indiqués (ils n'existaient pas encore). Le texte est divisé en paragraphes, une disposition que l'on croit toute moderne. Dans les psaumes et dans les proverbes, il est séparé en courtes divisions, évidemment destinées à mettre en relief le parallélisme. Ces divisions devinrent plus tard les versets.
Le titre et les cinq premiers versets de la Genèse dans la Bible d'Olivétan de 1535.
D'abondantes notes marginales éclairent le texte. Elles sont géographiques, historiques, d'histoire naturelle, exégétiques, isagogiques, critiques même, et donnent l'indication des variantes (*1). Elles abondent en citations de toutes sortes d'auteurs, soit Pères de l'Église, soit classiques. « Le commentateur, dit M. Reuss, étale ici un véritable luxe d'érudition » (*2). Ces notes ne sont, sauf quelques exceptions, ni théologiques, ni polémiques. Celles de l'Ancien Testament sont plus nombreuses et ont encore plus de valeur que celles du Nouveau. Plusieurs sont destinées à indiquer les passages parallèles (*3).
Titre du Nouveau Testament d'Olivétan. Genève 1536. Format du volume : 134 x 76 millimètres. Ce titre ressemble beaucoup au titre de la Bible d'Olivétan (1535). En haut, on lit, en grec : Ils seront tous enseignés de Dieu.
(*1) . Nous tiendrons compte à Olivetan, dit M. Reuss, de ce qu'il n'a pas voulu négliger cette partie de la science à peine naissante. Les théologiens protestants n'ont que trop tôt répudié cet héritage et proscrit les études critiques qui auraient dû être estimées comme étant de première nécessité pour une Église qui prétendait édifier sa foi et son enseignement sur les seuls textes authentiques de l'Écriture. .
(*2) Quand on lit la savante étude de M. Reuss sur ces notes (op. cit., 3e série, IV, 1866), on est confondu de la connaissance de l'hébreu et de la science étendue et de bon aloi qu'elles dénotent. Olivétan connaissait, en matière biblique, tout ce qu'on pouvait connaître de son temps, y compris les commentateurs juifs du moyen âge. Voici une remarque curieuse de M. Reuss sur une note d'Olivétan à propos de Job XL. Elle montre que l'affranchissement de la pensée allait de pair avec la libération des consciences.
« S'il reconnaît dans le Béhémoth et le Léviathan l'éléphant et la baleine, l'exégèse moderne peut ne pas être de son avis ; mais un appréciateur impartial commencera par se rappeler que l'exégèse ancienne, représentée encore par une note marginale très explicite de la Bible d'Anvers, n'y voyait que le diable en personne ».
(*3) Les parallèles , on le voit, ne sont pas une invention moderne. « II y en avait dans la Bible d'Anvers. On les trouve pour la première fois, pour l'ancien Testament, dans une Bible imprimée par Froben, à Bâle, en 1491. Antérieurement, il y en avait déjà dans le Nouveau Testament » (REUSS).
Voici maintenant quant au fond.
« Je n'hésite pas à déclarer, a dit M. Reuss, que l'Ancien Testament d'Olivétan est non seulement une oeuvre d'érudition et de mérite, mais un véritable chef-d'oeuvre, bien entendu quand on a égard aux ressources de l'époque et surtout quand on compare cette traduction à ce qui existait antérieurement dans ce genre » (*).
(*) Voici une appréciation aussi élogieuse qu'impartiale de la traduction de l'Ancien Testament dans la « Bible de La Rochelle de 1516», qui est la réimpression d'une des révisions d'Olivétan. Elle est d'un auteur qui a lui-même traduit la Bible, en faisant surtout oeuvre de littérateur.
« Pour faire passer dans notre langue toute l'ardente littérature juive, les connaissances philologiques ne suffisent pas. Qui les possède seules ne peut fournir qu'une traduction pâle et tout à fait infidèle. Comment redire les paroles d’Isaïe et d'Ézéchiel sans avoir eu ses lèvres touchées comme les leurs par les vifs charbons de l'inspiration poétique ? À ce point de vue, ce qu'il y a de préférable, c'est peut-être encore, malgré la multitude des faux-sens, la vieille Bible protestante de La Rochelle de 1616» (Eug. LEDRAIN, La Bible, traduction nouvelle, I, viii).
Voici deux spécimens de cette traduction
PSAUME 23 : Le Seigneur est mon pasteur, je n'aurai faute de rien. Il me faict reposer es pasquiers herbeux, il me meine auprès des eaues quoyes. Il refectionne mon ame, il me conduict par les sentiers de justice pour son nom.
Quand aussi je chemineroye par la vallée de lombre de mort, je ne craindroye nul mal : car tu es avec moy : ta verge et ta houlette mont console. Tu appareilleras la table devant moy, present ceulx qui me tormentent : tu engraisseras mon chef de oingnement, et ma couppe est remplie a comble. Toutefois ta bonte et benignité me suyvront tous les jours de ma vie : et habiteray long temps en la maison du Seigneur.
ÉSAIE 53 : Qui est celuy qui croit à notre publication, et le bras du Seigneur a qui est il revele : Aussi cestuy montera comme le vergeon devant luy et comme la racine de la terre qui a soif. Il ny a en luy ne facon ne beaulte. Et lavons veu qui ny avoit pas de forme : et ne lavons point desire. Il est mesprise et deboute des hommes, homme languoreux et accoustume a douleurs : dont avons cache nostre face de luy, tant estoit mesprise et ne lavons de riens estime. Vrayment iceluy a porte noz langueurs : et a chargé noz douleurs. Touteffoys nous lavons estime divinement estre frappe de playe et afflige. Or cestuy est il navre pour noz forfaictz. Il a ete blece pour noz iniquitez. La correction de notre payement est sus luy : et par sa playe nous avons guerison. Nous tous avons erre comme brebis : nous nous sommes tonrnez ung chascun en sa propre voye : et le Seigneur a me sus luy liniqnite de nous tous. Il est harcele et afflige, touteffoys il ne ouvre point sa bouche. Il est mene a loccision comme laigneau : et a este muet comme la brebis devant celui qui la tond, touteffois il ne ouvre pas sa bouche. Il est oste hors de destresse et de condamnation. Qui est celui qui recitera sa generation. Car il est arrache hors de la terre des vivans : et est deplaye pour le peche de mon peuple. Et permet avoir son sepulcre avec les meschans et son monument avec les richardz. Combien quil ne ayt point faict d'injure : et que fraude ne soit pas en sa bouche. Le Seigneur la voulu debriser par doleur. Sil met son ame pour le peche, il verra sa posterité et prolongera ses jours, et la volunte du Seigneur sera adressee en sa main. Pour le labeur de son ame il en aura jouissance. Et mon juste serviteur rendra plusieurs justes par sa science : et luy mesme chargera leurs iniquitez. Pourtant luy en partiray plusieurs, et divisera les despouilles avec les puissans pource qu'il a baille son ame a la mort et qu'il a este compte avec les transgresseurs. Iceluy mesme a porte les pechez de plusieurs et a prie pour les transgresseurs.
La traduction du Nouveau Testament ne mérite pas les mêmes éloges que celle de l'Ancien. Olivétan savait mieux l'hébreu que le grec, et il se borna à revoir, en s'aidant de l'original et surtout de la traduction latine d'Érasme, la traduction de Lefèvre d'Étaples, faite sur le texte de la Vulgate. Pour avoir été faite à la lueur des bûchers, et malgré les progrès accomplis, l'oeuvre de Lefèvre, nous l'avons dit, n'en était pas moins défectueuse, ne fût-ce qu'à cause du texte imparfait de la Vulgate, qu'elle suit. Le Nouveau Testament d'Olivétan constitue néanmoins, somme toute, un progrès sur celui de Lefèvre (*).
(*) Dans quatre chapitres (Matth. v, Actes xvii, Philémon, I Pierre I). M. Reuss a relevé 194 variantes d'Olivétan d'avec Lefèvre, soit 14,7 pour dix versets (56 de style, peu importantes, 123 d'après Érasme, 15 d'après le grec). On voit par là que si Olivétan n'a pas fait oeuvre originale. il a pourtant sérieusement retravaillé le texte de son prédécesseur, bien que, d'après M. Reuss, ses corrections ne constituent pas toujours un progrès.
Et puis, qui jettera la pierre à Olivétan pour avoir voulu se hâter de donner la Parole de Dieu aux Églises persécutées qui en étaient privées ? « À Neuchâtel, dit M. Petavel, la Réforme était faite depuis cinq ans, et on n'avait pas de Bible ! »
« N'oublions pas, dit M. Reuss, que nous avons affaire à un auteur placé dans des conditions très défavorables pour mener à bonne fin une si grande entreprise, à un auteur réduit à bien peu de secours littéraires et ayant à lutter avec les difficultés d'une langue qui se formait à peine pour l'usage littéraire et savant, et que cet auteur, dans son extrême modestie, ne réclame guère d'autre gloire que celle de ne point s'être laissé rebuter par tous ces obstacles. Qu'on soit sévère envers ceux auxquels les progrès de la science ont rendu la besogne facile… Mais quand il s'agit d'un de ces infatigables pionniers de la science, qui suppléaient par l'héroïsme de leur volonté à l'insuffisance de leurs moyens, et qui bien souvent ne jouissaient pas même de la sécurité personnelle et des loisirs domestiques sans lesquels nous autres, aujourd'hui, nous ne ferions plus rien du tout, ce serait le comble de l'injustice que de vouloir leur appliquer la mesure d'une critique telle que nous aurions à l'exercer à l'égard des ouvrages contemporains » (*)
(*) REUSS, op. cit., nouvelle série, IV, 1866
« Loin de compter avec une complaisance à la fois peu généreuse et pleine de vanité, les fautes, nombreuses, sans doute, qui peuvent être signalées dans un livre comme celui qui nous occupe, et qui pour nous n'est plus une ressource ou une autorité, mais un monument vénérable et digne de l'attention de l'historien, nous arriverons à constater que son auteur, avec une érudition vraiment prodigieuse pour son temps, tout insuffisante qu'elle nous parait aujourd'hui, a eu le courage d'aborder une pareille tâche, l'ambition de ne pas se la rendre trop facile, et la gloire de s'en acquitter noblement » (*).
(*) Ibid., V, 1876.
Voici dans la traduction d'Olivétan la parabole de l'enfant prodigue :
Ors tous les fermiers et pecheurs sapprochoient de luy pour le ouyr… Puis dist : ung homme avoit deux filz : et le plus ieune diceulx dist au pere : mon pere donne moy la portion de la substance qui m'appartient. Et il leur partit la substance. Et peu de iours apres quand le plus ieune filz eut tout assemblé il sen alla dehors en region loingtaine et la dissipa sa substance en vivant dyssolument. Et apres qu'il eut tout consommé : une grande famine aduint en icelle region. Et commencea a auoir necessite. Il sen alla et se ioingnit a ung des citoyens dicelle region lequel l'enuoya a sa metayrie pour paistre les pourceaux. Et desyroit de remplir son ventre des escosses que les pourceaux mangeoient, mais nul ne luy en donnoit. Dont estant revenu a soimesme dist : Combien de mercenaires y a il en la maison de mon pere qui ont abondance de pains et moi je pery de faim. Je me leueray et men iray a mon pere et luy diray : Mon pere iay peche au ciel et devant toy et ne suis point maintenant digne destre appelé ton fils : fais moy comme ung de tes mercenaires. Lors se leva et vint a son pere. Et comme il etoit encore loing son pere le veit et fut meu de compassion : et accouru et cheut sur le col diceluy et le baisa. Et le fils lui dist : Mon pere iay peche contre le ciel et devant toy : et ne sui point maintenant digne destre appelle ton filz. Et le pere dist à ses serviteurs : apportez la robbe longue premiere et le vestez : et lui donnez ung aneau en sa main et des souliers en ses pieds. Et amenez ung veau gras et le tuez et le mangeons et menons ioye : car cestuy mon filz estoit mort et il est retourne a vie : il estoit perdu mais il est retrouve. Et commencerent a mener ioye.
Olivétan se rendait compte des imperfections de son oeuvre. Il publia en 1536 le Nouveau Testament revu par lui ; en 1537, une révision des psaumes qui inaugure l'emploi du terme l'Éternel pour traduire l'hébreu Jahveh. Dans sa première édition il s'était servi du terme Seigneur, selon l'usage des rabbins et de la Vulgate. Les traducteurs israélites Cahen et de Woguë ont adopté la traduction l'Éternel.
En 1538, Olivétan publia une nouvelle révision du Nouveau Testament, en même temps qu'une révision de l'Ecclésiaste, du Cantique et des Proverbes, dont les sentences sont, dans cette édition, numérotées au moyen de chiffres arabes. C'est le plus ancien exemple de l'emploi de chiffres pour la division en versets.
Dans ces dernières éditions, Olivétan avait pris le pseudonyme tout à la fois modeste, savant et humoristique, de Belishem de Belimâkôm, deux mots hébreux qui signifient Sans nom de Sans lieu ou Anonyme de nulle part. « Ainsi, Olivétan, dit M. Reuss, avait assez le goût et l'usage de l'hébreu, langue très peu cultivée par les savants de ce temps-là, pour le faire servir, de préférence au latin, à des plaisanteries littéraires ».
Qui sait jusqu'à quel point Olivétan eût perfectionné son travail ? Mais la mort le prit, comme nous l'avons dit, en 1538.
La traduction d'Olivétan était, pour l'époque, tellement bonne, que quelques exilés anglais pensèrent rendre un service éminent à leur pays en faisant paraître une traduction anglaise nouvelle calquée sur celle d'Olivétan, révisée, il est vrai, par Calvin. Ce fut la Bible dite de Genève (1562). Le Hollandais Hackius se servit aussi de la Bible d'Olivétan pour réviser la Bible hollandaise.
Voilà la traduction, nombre de fois révisée, comme nous le verrons, dont nos églises de langue française ont vécu pendant plus de trois siècles, sous le feu de la persécution, dans les cachots, sur les galères, au désert, et aux jours du réveil du dix-neuvième siècle. Il convient de saluer avec vénération la mémoire du modeste, consciencieux, et savant Olivétan, qui fut loin, assurément, de prévoir le succès de son oeuvre.
Depuis lors, toutes les traductions protestantes françaises de la Bible entière, sauf celles de Martin (1707), de Roques (1736), d'Ostervald (1744), (qui ne furent que des révisions d'Olivétan), de Lecène (1741) et celle de Reuss dans son commentaire, ont été faites par des étrangers : La France a eu au moins l'honneur de donner à l'Église le premier traducteur qui ait traduit la Bible entière en français d'après les textes originaux.
Portrait de Calvin, par Pierre 'Woeiriot, dédié au poète Louis des Mazures, avec le sceau du réformateur (la main qui offre le coeur à Dieu) et sa devise : Prompte et sincere. Portrait conservé au cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale (Ed. 5 B. Réserve).
13.4 - Révisions de la Bible d'Olivétan jusqu'à Ostervald,
« La Bible d'Olivétan, dit M. Reuss, doit être considérée comme la base de toutes les éditions, recensions ou versions, comme on voudra les appeler, reçues depuis dans les Églises protestantes de langue française… C'est de cette première édition ou traduction protestante en langue française que dérivent par une longue série de transformations, quelquefois radicales, toutes les autres qui ont été en usage, bien que celles-ci, dans leurs différentes formes actuelles, ne conservent plus guère de traces de leur origine » (*).
(*) M. Reuss écrivait ceci en 1866 (Op. cit., IV).
La Bible d'Olivétan fut révisée une première fois par Calvin, ou sous sa direction (1560). Calvin trouvait la traduction de son cousin « rude et aucunement éloignée de la façon commune et reçue ». Dans la préface de cette Bible, Calvin écrit ceci : « Mon désir serait que quelqu'un ayant bon loisir et étant garni de tout ce qui est requis à une telle oeuvre, y voulût employer une demi-douzaine d'ans, et puis communiquer ce qu'il a fait à gens entendus et experts, tellement qu'il fût bien revu de plusieurs yeux ». Malheureusement, ni cet homme ayant bon loisir, ni cette demi-douzaine d'ans, ne se sont trouvés pendant trois siècles et demi.
La Bible d'Olivétan fut révisée une seconde fois par Théodore de Bèze, en 1558. Les modifications des révisions de 1560 et de 1588 sont souvent des retouches malheureuses qui trahissent d'une manière trop évidente des préoccupations de controverse (*)
(*) Voir le fragment : Inexactitudes dans les traductions protestantes du Nouveau Testament.
La Bible de 1588 fut réimprimée pendant cent ans, à Lyon, à Caen, à Paris, à La Rochelle, à Sedan, à Niort, en Hollande, à Bâle, et dans la Suisse française. Elle survécut telle quelle, malheureusement, à la modification profonde que subit la langue française dans la seconde moitié du dix-septième siècle. Déjà alors son langage était suranné, preuve en soit le trait suivant, raconté par Bayle. C'était en 1675.
« Un conseiller de Sedan, catholique, fort honnête homme et fort savant, me contait, il y a environ un mois, que M. l'archevêque de Reims, ayant envoyé quelques-uns de son clergé à Sedan pour des affaires ecclésiastiques, ils furent curieux d'entendre prêcher M. Jurieu, un jour d'imposition des mains. Ils furent fort satisfaits de sa science et de son langage en général, mais ils trouvèrent des expressions insupportables, comme guerroyer le bon combat — l'iniquité d'Ephraïm est enfagottée — c'est un enfant qui n'est pas sage — il ne tient pas le temps en la brèche des enfants — offrir les bouveaux de nos lèvres (C'étaient des citations bibliques : 2 Tim. 3, 6; Osée 8, 12, 13; 14, 2). Ils le trouvèrent incompréhensible, voyant d'un côté qu'il avait un style fort pur et fort éloquent, et de l'autre qu'il avait de si méchantes phrases ».
En 1676, le grand Claude prit l'initiative d'une version nouvelle. Il comprenait que la Bible des protestants devait enfin parler la langue du grand siècle. Claude, chose remarquable, pour assurer l'impartialité de l'oeuvre, demanda le concours du savant Richard Simon, prêtre à l'Oratoire, qui, chose non moins remarquable, accepta. La traduction était assez avancée quand la Révocation de l'édit de Nantes arrêta net l'entreprise. « Le crime de Louis XIV, dit M. Stapfer, fut fécond en conséquences secondaires, toutes plus néfastes les unes que les autres. En voilà une et des plus graves. Si nous portons encore aujourd'hui le joug des révisions, nous le devons à la Révocation de l'édit de Nantes » (*).
(*) Revue chrétienne, 1900, p. 433, 434.
Les ravisions reprirent de plus belle et, malheureusement, se firent, comme par le passé, à l'étranger. À la fin du dix-septième siècle, le Synode des Églises wallonnes confia à David Martin la tâche de mettre au point la Bible française, devenue presque illisible.
David Martin, né à Revel (Haute-Garonne) en 1639, avait fait ses humanités à Montauban et à Nimes, et sa théologie à Puylaurens (Tarn). Il était très fort en hébreu et sur les questions bibliques. Consacré à Mazamet, en 1633, il fut pasteur à Espérausses, puis à Lacaune (Tarn). Très modeste, comme son prédécesseur Olivétan, il refusa successivement l'église de Millau et une chaire de théologie à Puylaurens. Quand, à la Révocation, le temple de Lacaune fut fermé, David Martin, au lieu de passer à l'étranger, essaya de continuer son ministère, malgré les dragons. Il allait être arrêté, quand des catholiques lui fournirent le moyen de s'enfuir et cachèrent sa famille, qui le rejoignit plus tard. En 1685, il fut nommé pasteur à Utrecht et refusa plus tard la chaire de théologie la plus importante des Pays-Bas, celle de La Haye. Il fut correspondant de l'Académie française et enseigna chez lui la philosophie et la théologie à des fils de princes. Il mourut en 1721, frappé en chaire, à quatre-vingt-deux ans, du mal qui l'emporta deux jours après.
Tel fut l'homme pieux, modeste et savant, qui donna son nom à l'une des révisions les plus consciencieuses et les plus durables du travail d'Olivétan. Le Nouveau Testament parut en 1696, et la Bible entière en 1707. Martin, craignant sans doute de dérouter ses lecteurs par trop de changements, écrasé par ce que M. Stapfer appelle le joug des révisions, ne corrigea pas assez. Voici comment il rend le passage Éphésiens 4, 16 :
Christ, duquel tout le corps bien ajusté et serré ensemble par toutes les jointures du fournissement, prend l'accroissement du corps selon la vigueur qui est dans la mesure de chaque partie, pour l'édification de soi-même en charité.
« Le mot de galimatias, dit M. Stapfer, est le seul qu'on puisse ici prononcer, et il est vraiment étrange qu'en 1696, c'est-à-dire au moment où la langue française était parlée avec une incomparable pureté, au lendemain du français de Bossuet et à la veille du français de Voltaire, on ait osé imprimer des phrases pareilles. Il est pénible de penser que nos pères n'avaient pas de Bibles plus correctes et plus françaises à étudier et à lire ».
La traduction de Martin était accompagnée de notes abondantes et excellentes, où se retrouve toutefois la préoccupation de justifier les personnages bibliques. Ainsi, à propos du mariage de Salomon avec une princesse égyptienne, nous apprenons que la défense d'épouser des femmes païennes ne s'appliquait qu'aux Cananéennes et à celles qui ne se feraient pas prosélytes, et que la fille de Pharaon dut très probablement embrasser la religion israélite en épousant Salomon.
Le besoin d'une révision se fit bientôt sentir, surtout en Suisse. En 1736 parut une révision de la Bible de Martin, par Pierre Roques, pasteur à Bâle, natif de Lacaune (Tarn), et en 1746 une autre, par Samuel Scholl, pasteur à Bienne. Mais la révision d'Ostervald fit oublier les révisions de Roques et de Scholl.
13.5 - Ostervald et sa révision
13.5.1 - J.-F. Ostervald
Ostervald, né à Neuchâtel en 1663, acheva ses études classiques à seize ans, étudia la théologie et la philosophie à Saumur, à Orléans et à Paris, et fut consacré à Neuchâtel à dix-neuf ans. Neuf ans après, il devenait, sans abandonner le ministère, professeur de théologie. Il eut beaucoup de succès comme prédicateur. Il prêchait moins le dogme que la morale. Il était pieux et croyait au surnaturel chrétien, mais il appartenait à la tendance « libérale » de l'époque. Il ne croyait pas au dogme calviniste de la corruption totale de l'homme. Son biographe, M. le pasteur R. Gretillat, signale son indécision dogmatique et le caractère rationaliste de certaines de ses interprétations. Ainsi, Marc 12, 62, il voit dans la destruction des Juifs et dans l'avancement du règne de Dieu la réalisation de la promesse de Jésus-Christ relative à son retour. Il était opposé à la confession de foi obligatoire. Il prêcha et professa jusqu'en 1746. Son ministère dura soixante-trois ans. Comme Martin, il fut frappé en chaire, au moment où il commençait un sermon sur Jean 20, 1-8. C'était son deux cent vingt et unième sermon sur l'Évangile de Jean. Le deux cent vingt-deuxième, pour le mercredi suivant, était déjà écrit. Mais il traîna plus longtemps que Martin. Frappé d'apoplexie en août 1746, il vécut jusqu'en avril 1747.
13.5.2 - Ostervald et le capucin — Ostervald et Louis XIV — Ostervald et Fénelon
Le récit suivant est emprunté aux Pages Neuchâteloises de Philippe GODET. Il fait revivre la figure de l'homme sympathique qui a attaché son nom à la version biblique dont nos Églises ont vécu si longtemps.
Un bon capucin des frontières de la France, qui connaissait M. Ostervald de longue date et qui l'estimait jusqu'à lui rendre visite régulièrement une fois par an à Neuchâtel même, tant par un principe de piété que par un principe de reconnaissance, comme il le disait à tout le monde, arriva à Neuchâtel le jour même des funérailles. Il alla voir le corps comme les autres, dans la chambre où on l'avait exposé, et y donna des marques de l'attendrissement le plus sincère, mais il ne voulut point troubler le convoi ni l'oraison funèbre par son habit. Seulement, vers le soir, quand tout le monde se fut retiré, il se glissa dans l'église encore ouverte, et, s'étant mis à genoux devant la tombe où le corps avait été déposé, il l'arrosa de ses larmes, y fit ses dévotions à sa manière, mais mentalement, pour ne choquer personne ; après quoi il se retira, satisfait de la consolation qu'il avait eue, se louant toujours des bontés qu'il avait reçues du défunt, et pour le temporel et pour le spirituel. Ce bon religieux était connu de diverses personnes qui lui faisaient civilité, mais dès qu'il avait vu et entretenu M. Ostervald, il s'en retournait aussitôt vers son monastère, comme si tout le reste lui eût été indifférent.
Ce religieux n'était pas le seul, parmi les catholiques, qui rendit justice à M. Ostervald. Tout ce qu'il y avait de plus éclairé dans cette communion lui appliquait unanimement le caractère de Conrart : il ne lui manque que l'orthodoxie romaine. M. l'abbé Bignon a reconnu le mérite du Traité des Sources de la corruption et du Catéchisme, et leur a donné place dans la Bibliothèque de Louis XIV. M. Colbert, évêque de Montpellier, M. Fléchier, évêque de Nimes, et quantité d'autres, possédaient ses ouvrages et ne l'ont point dissimulé dans l'occasion à des protestants étrangers.
Mais personne ne s'est déclaré avec plus de candeur que l'illustre Fénelon, toutes les fois que l'occasion s'en est présentée. M. Ostervald partageait les vues qu'il exprime dans Télémaque au sujet du mariage des jeunes gens. M. de Cambrai partageait celles de M. Ostervald quant aux premiers linéaments de la religion, et, quoiqu'il n'eût jamais vu notre pasteur, il l'estimait et l'aimait, d'après la manière unanime dont tant d'officiers suisses, admis tous les jours à sa table, lui avaient dépeint son caractère.
Ces sentiments furent mis au jour, assez singulièrement, par de longs entretiens qu'eut Fénelon avec un jeune homme de Neuchâtel, durant la guerre de 1702. Ce dernier était maçon de son métier ; comme il se trouvait sans ouvrage à Cambrai, l'archevêque, touché de sa position, lui en donna et l'occupa pendant quelques semaines à des réparations qu'il avait projetées dans son jardin ; il prenait plaisir, entre temps, à l'interroger sur son pays, sur sa profession, sur ses aventures. La conversation ne tarda pas à tomber sur M. Ostervald, et elle y revint plus d'une fois. Voici quelques lambeaux de ces entretiens.
« Connaissez-vous ce digne pasteur ?
- Si je le connais ? je n'en connais pas d'autre.
- Mais est-il vrai, ce qu'on dit de lui, qu'il prêche si bien et qu'il vit comme il prêche ?
- Holà, oui ! Monsieur (notre Neuchâtelois ne disait pas Monseigneur) ; quand vous auriez un coeur de pierre, sous votre respect, il vous toucherait.
- Et comment est-il fait de sa personne ?
- Ah ! Monsieur il est fait comme un ange ; il est plus grand que vous et moi ; mais quand il se fâche, il fait trembler tout le monde.
- Est-il possible ?
- Oui, certes.
- Apparemment, c'est tout comme ici : le peuple n'en devient pas meilleur ?
- Ah ! vous pouvez bien le dire ; c'est leur faute.
- Prêche-t-il souvent ?
- Oh ! Monsieur, il prêcherait tous les jours, si on le voulait.
- N'a-t-il point donné au public quelques ouvrages ?
- Oh ! que si ! nous avons son Catéchisme, où les réponses sont bien déduites et bien belles ; quand je les lis, il me semble que je le vois en chaire.
- N'a-t-il point publié d'autre livre, que vous sachiez ?
- Holà ! oui, il en a fait un contre les paillards, qui est bien bon.
- J'espère, mon ami, que ce n'est pas là votre cas ?
- Dieu m'en préserve !
- Et si la tentation s'en présentait, que feriez-vous ?
- Je lui dirais comme j'ai toujours fait : « Va arrière de moi, Satan ! »
- C'est très bien, mon ami ; tenez, voilà un pourboire ».
Toutes ces ingénuités étaient si fort du goût du prélat, que le lendemain c'était à recommencer. Quelquefois même, il faisait venir une demi-pinte pour animer le babil aussi bien que le travail de son ouvrier, mais, qu'il y eût du vin ou qu'il n'y en eût pas, il était toujours sûr de recevoir la pièce blanche, outre le salaire convenu. Enfin, quand il eut tout réparé et garni sa valise, il ne songea plus qu'à revoir le pays. M. de Cambrai le combla de bénédictions, l'exhorta à ne pas détruire sa foi par ses oeuvres, « Et n'oubliez pas, ajouta-t-il, de faire mes compliments à M. Ostervald ; dites-lui que je l'estime, que je l'honore, et que j'ai tous ses ouvrages ».
Aussi, dès qu'il fut de retour à Neuchâtel, notre homme ne manqua-t-il point de s'acquitter de sa commission. On le reçut fort amicalement et tout le voisinage en fut informé.
13.5.3 - Réflexions et notes
Ostervald composa plusieurs ouvrages, dont un Catéchisme. Mais l'ouvrage de sa vie, qu'il refit et réédita plusieurs fois pendant vingt-quatre ans, fut un recueil d'Arguments et Réflexions sur l'Ecriture sainte. En 1709, la vénérable classe (consistoire) l'avait chargé de composer des exhortations pour être lues en chaire après la Bible. Il rédigea, pour figurer en tête de chaque livre, un argument ; pour figurer en tête de chaque chapitre, un sommaire, et pour servir de conclusion à chaque chapitre, des « Réflexions » ou exhortations. Il rédigea donc onze cent quatre-vingt-neuf exhortations. En 1713, un pasteur anglais lui demanda son manuscrit, et le publia. Il le publia lui-même en 1720, refondu. En 1724, des libraires de Hollande le tourmentèrent pour leur permettre de publier ses exhortations dans une Bible qu'ils allaient éditer. Modeste comme ses prédécesseurs, Olivétan et Martin, Ostervald ne céda que sur la menace des libraires de faire traduire l'ouvrage d'anglais en français. Lui répugnait-il que ses exhortations fussent intercalées dans le texte sacré ?
On voit par ces détails de quelle vogue, dès le début, jouit cet ouvrage qui pourtant était loin d'être un chef-d'oeuvre. Une des lacunes de ces Réflexions c'est que jamais elles ne s'attachent à montrer l'enchaînement et le développement des idées chez l'auteur sacré. Chaque passage est expliqué comme s'il était tout seul, sans lien avec ce qui le précède et avec ce qui le suit. Ce genre d'explication était sans doute dans le goût du temps.
Autre trait à noter. Les Réflexions cherchent continuellement à disculper les personnages bibliques.
Ce que Moïse fit en tuant un Égyptien est une action extraordinaire qui ne doit point être tirée à conséquence puisque Moïse était un homme envoyé de Dieu. — Dans la persuasion où cette femme (Rahab) était que Dieu avait résolu de donner le pays de Canaan aux enfants d'lsrael, elle put faire innocemment ce qu'elle fit, sans quoi sa conduite envers son roi et sa patrie aurait été blâmable, et elle ne devrait pas être imitée. — Si David parle en des termes qui semblent marquer qu'il demandait la punition de ses ennemis, ce ne sont pas proprement des imprécations qu'il fait contre eux : ce sont des prédictions plutôt que des souhaits.
« Dans ce seul fait, dit M. Gretillat, nous constatons qu'il y a un abîme entre les auteurs inspirés de l'Ancien Testament et leurs commentateurs les plus pieux. Les premiers sont véridiques, les seconds sont bien intentionnés. Ceux-là réveillent la conscience, ceux-ci la froissent… » (*)
(*) Jean-Frédéric Ostervald, p. 239.
Et que penser d'une réflexion comme celle-ci, à propos de Romains 7 ?
C'est un chapitre qui doit être bien entendu, et dont il ne faut pas abuser.
Les Réflexions renferment aussi des fadeurs, des lieux communs, et même des naïvetés. Ainsi, à propos de Josué 23 :
Les magistrats doivent apprendre d'ici que leur principal soin doit être d'établir la Piété et la Religion pendant qu'ils sont au monde.
Ostervald fit aussi des notes, dans lesquelles, souvent, il affaiblit, énerve, et même contredit positivement le texte.
Le gobelet par lequel il (Joseph) devine infailliblement. Note : il reconnaîtra infailliblement que vous l'avez emporté (Ostervald luttait contre la divination). — Rahab la prostituée devient une hôtelière. — La fille de Jephthé sera à l'Éternel, « ou » je l'offrirai en holocauste. — Tout ce qui sort de la bouche de Dieu signifie : tout ce que Dieu ordonnera pour lui servir de nourriture. — Autrefois, j'étais sans loi, je vivais, signifie : j'étais plus tranquille. — Quand le Fils de l'homme viendra, pensez-vous qu'il trouve de la foi sur la terre ? C'est-à-dire dans ce pays, parmi les Juifs, quand il viendra pour les détruire. — Tu lui amasseras des charbons de feu sur la tête. Note : tu ôteras des charbons de dessus sa tête. — Je voudrais être anathème (Rom. 9, 3). Note : Pardonne-leur, sinon, Seigneur, retranche-moi plutôt du monde, je consens de mourir. Voilà un sens qui paraît simple, clair, naturel.
13.5.4 - Révision du texte
Ce n'est qu'à l'âge de quatre-vingts ans qu'Ostervald se mit à réviser le texte même de la Bible. Il avait plusieurs des qualités nécessaires à cette entreprise. En particulier, il connaissait très bien l'hébreu et le grec. Debout tous les jours à quatre heures du matin, il consacrait les premières heures de la journée à son travail de révision. Il n'interrompit pas une seule de ses fonctions pastorales, et en deux ans il eut achevé son oeuvre. Il faut admirer sans réserve cette vaillance.
La révision d'Ostervald parut en 1744: Elle eut une fortune inouïe, prodigieuse, et ce qui fit cette fortune, ce fut l'extrême popularité des Arguments et Réflexions qui avaient précédé la révision. Grâce aux Arguments et Réflexions, le règne d'Ostervald commença presque immédiatement. « Cette fortune, dit M. Stapfer, dure encore. Ostervald est passé au rang des traducteurs de la Bible, ce qu'il n'a jamais été, et il fait autorité, ce qu'il n'a jamais mérité. Simple réviseur, aussi pieux que distingué, il eût été aussi surpris et confus qu'Olivétan lui-même s'il avait pu prévoir le succès qu'on lui ferait » (*).
(*) Revue chrétienne, 1900, p. 436.
On pourrait dire, sans trop d'exagération, que la « version d'Ostervald » n'a jamais existé. On n'en a jamais vu le manuscrit. Ostervald écrivit simplement ses corrections au moyen de ratures et de surcharges, sur un exemplaire de la révision de Genève de 1724 (*1) qui est précieusement conservé à la bibliothèque des pasteurs de Neuchâtel. Plus de la moitié de l'ancien texte subsiste. Quand on étudie ce document on voit que si la traduction a été modifiée en certains endroits, notamment dans Job et dans les épîtres, néanmoins la très grande majorité des corrections indique non la préoccupation de mieux rendre le sens de l'original, mais celle de moderniser le style (*2). Voici quelques-unes de ces corrections :
(*1) Cette Bible de 1724 contient dans une de ses premières pages une liste des livres de la Bible, avec le nombre des versets et chapitres de chaque livre, et au bas de la liste les chiffres totaux. Nous apprenons ainsi que l'Ancien Testament contient 23.209 versets, le Nouveau Testament 7.958 versets, la Bible entière 31.167 versets.
(*2) C'est d'ailleurs le but exprès que, d'après la préface de la Bible de 1744, Ostervald s'est proposé. Cette préface explique que les exemplaires de la Bible de 1724 étaient devenus rares. Il fallait une nouvelle édition. Ostervald revit ses Arguments et Réflexions, et quant au texte, « en conservant la version qui est reçue dans nos Églises, il y a fait les corrections qui paraissaient nécessaires, et changé des expressions et des manières de parler qui ne sont plus en usage et qui pouvaient causer de l'obscurité.
Édition de 1724
Révision d'Ostervald
Psaume 23, 2 : Eaux coies
… Eaux tranquilles.
Psaume 49, 6 : L'iniquité de mes talons ( !) (*) m'environnait
… La malice de ceux qui me talonnent.
Ésaïe 53 : Qui a cru à notre publication et à qui le bras de l'Éternel a-t-il été découvert ?
… prédication
… révélé.
Romains 5, 8 : Recommande du tout
… fait éclater.
Éphésiens 2, 7 : Sa bénignité
… la bonté dont il a usé.
(*) Olivétan avait dit : la malice de celui qui est à mes talons.
Ainsi, Ostervald a remis au point, en une mesure, et surtout au point de vue du style, la version en usage de son temps, qui était elle-même une révision d'Olivétan. Ostervald a révisé une révision, rien de plus. Et cette révision de révision a été, depuis, révisée à l'infini.
Il ne faut point déprécier l'oeuvre d'Ostervald. La préface du Nouveau Testament de Mons, publié en 1667, par les solitaires de Port-Royal, dit excellemment :
Les défauts de nos versions ne diminuent rien de l'obligation qu'on a à ceux qui les ont faites. Ils ont servi l'Église de la meilleure manière qu'ils le pouvaient et ils n'ont pu écrire que comme ils ont fait. Si nous avions été de leur temps, nous aurions parlé comme eux, et s'ils étaient du nôtre, ils parleraient comme nous.
Et puis il ne faut pas oublier qu'Ostervald n'a voulu qu'améliorer le révision de 1724, et qu'il l'a améliorée considérablement. Il ne faut pas lui imputer des incorrections et des faiblesses « qui, dit M. Gretillat, ne sont pas de lui, et qu'il s'est borné à laisser subsister, pour des raisons qui ne nous sont pas connues ». Lui aussi, sans doute, a voulu ménager les lecteurs. Lui aussi portait le « joug des révisions ». Quand on voit à quel point ses successeurs ont subi l'influence de la version qui porte son nom, comment pourrait-on lui reprocher d'avoir subi, lui, l'influence de ceux qui l'ont précédé ?
Néanmoins, la critique ne perd pas ses droits. À prendre l'oeuvre en elle-même, il est permis de regretter l'autorité exagérée dont elle a joui pendant si longtemps. Ostervald a fait en deux ans ce qui, d'après Calvin, en demandait six, et son travail n'a pas été, selon le voeu du réformateur, « revu par plusieurs yeux ». Voici un exemple de ce qu'est par endroits la traduction qu'il a adoptée ou conservée
Ta vie sera comme pendante devant toi (Deut. 28, 66).
Tous tiraient des pierres avec une fronde à un cheveu (Juges 20, 16).
Faites-moi revenir le coeur par du vin et faites-moi une couche de pommes (Cant. 2, 5) (*).
(*) Olivétan avait dit : Sustentez-moi de flacons et confortez-moi de pommes.
Quand le Tout-Puissant dissipa les rois dans ce pays, il devint blanc comme la neige.. (Ps. 68, 15).
Il n'y a point eu d'obscurité épaisse pour celle qui a été affligée, au temps que le premier se déchargea légèrement vers le pays de Zabulon et vers le pays de Nephtali, et que le dernier s'appesantit sur le chemin de la mer, au delà du Jourdain, dans la Galilée des Gentils (Ésaïe 8, 23).
Mes entrailles font du bruit sur Moab, comme une harpe, et mon ventre sur Kirheres (Ésaïe 16, 11).
Ostervald sacrifie donc étrangement, par endroits, la langue. De plus, il affaiblit le texte. « Ostervald, dit M. Louis Bonnet, l'ancien pasteur de Francfort, auquel manquait, comme à toute son époque, le sens et le tact exégétiques, n'a produit qu'une pâle paraphrase des Écritures ». Adolphe Monod préférait la version de Martin à celle d'Ostervald « dont l'élégance relative, nous écrit M. William Monod, ne rachetait pas à ses yeux un certain manque de force et de simplicité. Il trouvait chez Martin plus de saveur et d'énergie, et c'est de Martin qu'il se servait habituellement. Il en avait toujours un exemplaire en chaire ».
De plus, Ostervald a conservé des erreurs manifestes. Ainsi, Hébreux 13, 4 : Le mariage est honorable entre tous, au lieu de Respectez tous le mariage. Ici c'est une préoccupation de controverse qui a fait fléchir la traduction. Voici une erreur imputable à la préoccupation dogmatique. Matthieu 28, 17, la révision d'Ostervald porte : Ils l'adorèrent, même ceux qui avaient douté (*). Or le texte dit : Ils l'adorèrent, mais quelques-uns doutèrent. Ajoutons à l'honneur d'Ostervald qu'il rétablit dans une note la vraie traduction, précédée du mot ou. C'était un commencement de retour vers la vérité.
(*) C'est dans la Bible revue qui fut publiée en 1693 à Genève, chez Antoine Chouet, que la leçon : Même ceux qui avaient douté, fait son apparition. Les réviseurs de 1693 n'admettaient pas qu'en eût pu douter en présence du Christ ressuscité. C'était d'un trop mauvais exemple.
On se demande, dit M. Stapfer, si, après tout, la moins mauvaise traduction n'est pas (abstraction faite des versions faites de nos jours) le premier travail d'Olivétan… Olivétan est le seul traducteur protestant français qui ait été vraiment impartial » (*)
(*) Revue chrétienne, 1900, p. 286, 287.
13.5.5 - Révisions d'Ostervald
Au siècle dernier parurent diverses révisions d'Ostervald. Une révision de l'Ancien Testament parut en 1805 à Genève. À Lausanne, une révision de la Bible parut en 1822. Plusieurs des éditions de la Société biblique de Paris furent plus ou moins retouchées, sans que le titre en fasse mention.
En 1835, parut une nouvelle révision dont l'initiative fut prise, en Angleterre, par la Société pour la propagation des connaissances chrétiennes, surtout en vue de pourvoir aux besoins des Églises françaises de Jersey, de Guernesey et du Canada. Cette Société s'adressa à M. Jacques Matter, ancien élève de la Faculté de théologie de Strasbourg, qui occupait dans l'Université la haute position d'inspecteur général des études, et qui fut père de M. Albert Matter, président de la Société biblique de France. M. Matter, avec l'aide du pasteur luthérien R. Cuvier (cousin du naturaliste du même nom) et de plusieurs jeunes savants, fit paraître la révision du Nouveau Testament en 1842 et celle de l'Ancien en 1849. Le format de cette Bible est immense et incommode. Ce travail, malgré ses mérites, passa à peu près inaperçu.
Une révision du Nouveau Testament qui eut plus de succès fut celle du pasteur Charles Frossard (1869), faite sur le texte dit reçu, que la Société biblique de France publia en 1872, sur le voeu de la Conférence pastorale de Paris.
La Société biblique de France entreprit, en 1868, la révision de l'Ancien Testament. Cette révision, oeuvre de cinq réviseurs, parut en 1881. La traduction de certains livres, Job par exemple, était entièrement nouvelle. À cet Ancien Testament révisé fut joint le Nouveau Testament Frossard.
Le Synode officieux de Nantes (1889) décida de confier une nouvelle révision à une « commission des versions bibliques ». Cette commission, dont le premier président fut M. Bersier, prépara la révision du Nouveau Testament sur un texte critique. Ce Nouveau Testament révisé parut en 1894, et fut soumis à l'examen des Églises et des synodes particuliers. Ceux-ci ayant demandé de nombreuses retouches, le synode de Sedan (1896) chargea divers réviseurs, qu'il désigna, de revoir minutieusement le texte du Nouveau Testament de 1894.
En 1903, la Société biblique de France publia la Revision synodale du Nouveau Testament, et en 1905 le Nouveau Testament avec les psaumes révisés. Cette révision du Nouveau Testament a une grande valeur. Elle représente dix-sept ans de travail (la première révision en prit dix, la seconde sept), et elle est le fruit des travaux d'une centaine de collaborateurs, dont une trentaine réguliers. Parmi ceux-ci, les principaux ont été M. le professeur A. Matter et MM. les pasteurs Ernest Bertrand, Elisée Lacheret, William Monod, Jacot. Les autres collaborateurs appartenaient à toutes les Églises évangéliques et à tous les pays de langue française. Cette traduction est donc une oeuvre oecuménique. La révision synodale du Nouveau Testament fut accueillie dans les Églises avec enthousiasme (*1). Le comité de révision achève en ce moment la préparation de l'Ancien Testament. Les principaux réviseurs de l'Ancien Testament ont été MM. les pasteurs Ernest Bertrand, Philémon Vincent et William Monod. C'est aux deux premiers qu'on doit l'excellente révision du psautier publiée en 1905. La révision du Psautier publiée en 1875 était l’œuvre de M. William Monod. La révision synodale de la Bible sera en fait une traduction entièrement nouvelle, dans laquelle il faut nous préparer à saluer la meilleure version protestante française de la Bible (*2).
(*1) Le Nouveau Testament in-16 a eu trois éditions (1903, 1905, 1907. — 18.000 exemplaires). Le Nouveau Testament in-24 a eu deux éditions (1906, 1908. — 50.000 exemplaires). Le Nouveau Testament in-8 avec psaumes de 1905 a été publié à 3.000 exemplaires.
(*2) Le psautier est la seule partie de l'Ancien Testament qui ait encore paru au moment où ces pages sont écrites. Cette traduction des psaumes nous parait extrêmement remarquable. Elle a été encore révisée depuis. Voici, dans le texte définitif, le psaume 87
1 Des enfants de Coré. — Psaume. Cantique.
Les fondements de Jérusalem reposent sur les montagnes saintes :
2 L'Éternel aime les portes de Sion ;
Il la préfère à toutes les demeures de Jacob.
3 Un avenir de gloire t'est destiné,
O cité de Dieu ! — (Sélah).
4 Je mentionnerai l'Égypte et Babylone parmi ceux qui me connaissent,
Ainsi que les Philistins et Tyr, et l'Ethiopie :
C'est ici que sera leur lieu de naissance !
5 Oui, on dira de Sion : Chacun d'eux est né dans cette ville ;
Et le Très-Haut lui-même l'a fondée.
6 L'Éternel passe les peuples en revue, et il écrit
Celui-là aussi est enfant de Sion ! — (Sélah).
7 Alors chanteurs et joueurs de flùte disent de concert
Tu es la source où nous allons tous puiser !
Voici le psaume 131
1 Cantique des pèlerinages. De David.
Éternel, mon coeur ne s'est pas enflé d'orgueil ;
Je n'ai pas porté trop haut mes regards,
Je ne recherche pas les grandeurs,
Et je n'aspire pas aux choses trop élevées pour moi.
2 J'impose plutôt à mon âme le calme et le silence,
Comme l'enfant sevré dans les bras de sa mère :
Tel un enfant sevré, telle est mon âme.
3 Israël, espère en l'Éternel,
Dès maintenant et à toujours !
Depuis que ces lignes ont été écrites, le 12 juin 1910, au temple du Saint-Esprit, dans une séance qu'on peut appeler une séance historique, vraie fête chrétienne qui couronnait quarante-deux années de travaux, la nouvelle Bible a été présentée à une assemblée émue, par M. le pasteur Camille Soulier, président de la Société, et par M. le pasteur Ernest Bertrand, son agent général.
Re: HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE
14 - Chapitre 11 — Versions Protestantes Originales parues depuis la version d’Olivétan
14.1 - Seizième siècle
Castalion, disciple de Servet, fit deux traductions de la Bible, une latine et une française. Dans sa traduction française (1555), « il essaie, dit M. Reuss, de plier la Bible au génie de la langue française, mais le génie de celle-ci au sien propre ». M. Stapfer (*) confirme ce jugement. Castalion traduit les mots d'après leur étymologie. Au lieu d'holocauste, il dit brûlage. Il met flairement au lieu d'odorat (1 Cor. 12, 17) ; songe-malices au lieu d'inventeurs de méchancetés (Rom. 1, 30). Pour petits enfants, il forge le barbarisme enfantons. Cette oeuvre n'eut qu'une seule édition, et ne méritait pas davantage.
(*) La traduction française du Nouveau Testament, ix (Revue chrétienne, 1900, p. 96-106). Les appréciations de M. Stapfer qu'on trouvera dans ce chapitre sont toutes empruntées à cette source.
14.2 - Dix-septième siècle
En 1644, Jean Diodati, le même qui fit une excellente traduction de la Bible en italien, publia une version française à Genève. « essai louable, dit M. Stapfer, de rajeunir le vieux français du dix-septième siècle. Mais Diodati fut accusé d'avoir paraphrasé plutôt que traduit, et on lui préféra la vieille version à laquelle on était habitué ».
14.3 - Dix-huitième siècle
Deux traductions, dans ce siècle, parurent en Hollande. D'abord une traduction du Nouveau Testament de Leclerc (1703), qui fut accusée de socinianisme. L'opposition qu'on lui fit, l'interdiction dont elle fut frappée à Berlin, la rendirent momentanément célèbre, mais elle tomba dans l'oubli.
Puis, la traduction de la BIBLE de Lecène (1741), qui mérite plus que la précédente le reproche de rationalisme. Elle fait souvent violence au texte, et, de plus, est bizarre et inexacte. Lecène voulait réagir contre les versions littérales, mais le remède parait avoir été pire que le mal. Au lieu de Dieu vit que la lumière était bonne, il met : car le Souverain voyait que cette lumière serait utile. Au lieu de faisons l'homme à notre image : faisons l'homme sur le dessein et sur l'idée que nous en avons formés. Au lieu de ceci est mon corps : ceci représente mon corps. Au lieu de la Parole a été faite chair : cet oracle était un corps humain.
En 1718, parut à Berlin une traduction excellente du NOUVEAU TESTAMENT, celle de Beausobre et Lenfant.
« Beausobre et Lenfant, dit M. Stapfer, étaient des pasteurs du Refuge, établis à Berlin. Ces deux hommes distingués firent une version extrêmement remarquable. Après avoir examiné très consciencieusement la question de la possibilité d'une révision de la version (révisée) de 1588, ils s'arrêtèrent, comme Claude, à la nécessité d'une version nouvelle, ce que ne comprenaient, à la même époque, ni Martin ni Ostervald… Ils publièrent leur oeuvre en deux volumes in-8, avec des notes abondantes et fort bien faites. Le texte est divisé en paragraphes. Si cette version est restée inconnue en France même, c'est que les portes de notre pays lui restaient rigoureusement fermées. Elle eut un grand succès en Suisse et en Allemagne, où elle parut avec le texte allemand en regard. Un seul exemplaire pénétra en France, celui qui fut envoyé à la duchesse d'Orléans, appelée la Palatine, princesse allemande et ex-protestante, seconde femme de Monsieur, frère de Louis XIV, et mère du Régent ».
14.4 - Dix-neuvième et vingtième siècles
LE LIVRE DE JOB, NOUVELLEMENT TRADUIT D'APRÈS LE TEXTE ORIGINAL non ponctué et les anciennes versions, notamment l'arabe et le syriaque, avec un commentaire imprimé à part, par Louis Bridel, professeur de langues orientales et de l'interprétation des Livres saints à l'Académie de Lausanne. Paris, Didot, 1818.
Le traducteur a reproduit la coupe des vers hébreux.
Cette traduction est la première traduction protestante originale d'un fragment des Écritures au siècle dernier. On voit que c'est un Suisse qui a ouvert la voie. 'M. Louis Bridel, frère du doyen Bridel, était l'arrière-grand-oncle du professeur Ph. Bridel.
JOB, LES PSAUMES, LES PROVERBES, L'ECCLÉSIASTE DE LA PAROLE DE DIEU, traduits de l'hébreu par Louis Vivien, ministre de l'Évangile, à Montbéliard. Imprimé à Montbéliard. Paris, chez Risler, 1831. Une deuxième édition (Arras, chez l'auteur. Paris, chez Grassart) ne porte pas de date. D'après l'apparence, le volume pourrait être d'environ 1850 ou 1860.
C'est le premier essai protestant d'une traduction personnelle des Écritures qui ait été imprimé en France. Il convient de signaler cette tentative modeste, inspirée par une piété profonde.
« Les trois livres de la Parole de Dieu qui suivent, dit l'auteur dans la préface de la première édition, ont toujours présenté à mon âme, depuis que la .grâce du Seigneur m'a été révélée, une nourriture exquise, et une source féconde d'enseignements et de consolations ; j'ai été tout naturellement conduit à les étudier dans l'original. Plus tard, frappé des nombreuses incorrections que présentent nos versions françaises, j'ai pensé faire une oeuvre utile et agréable à mes frères, en publiant dans ce petit volume les Psaumes, les Proverbes et l'Ecclésiaste, dans une version plus correcte que celle de nos Bibles. Ce n'est point que j'aie voulu faire une traduction nouvelle et qui m'appartint. J'ai seulement désiré d'en présenter une qui fût fidèle, et en conséquence, je me suis librement servi de toutes les versions que j'ai été à portée de connaître ».
Le traducteur a pourtant fait, en une mesure, oeuvre originale.
Le texte n'est pas coupé en versets, et ceux-ci sont indiqués en marge. Innovation remarquable pour l'époque.
En 1835, le NOUVEAU TESTAMENT, version nouvelle, dite de Genève, parce qu'elle fut faite par un Genevois et parce qu'elle eut l'approbation de la Compagnie des pasteurs de Genève (Marc Aurel, Valence). Le traducteur était le professeur Munier. C'est la première version originale protestante en français du Nouveau Testament qui ait paru au dix-neuvième siècle, ou qui ait été imprimée en France. Deux éditions furent publiées la même année. C'est cette version qui fut l'occasion de vifs débats au sein de la Société biblique protestante de Paris (Voir chapitre XIII).
LE NOUVEAU TESTAMENT DE NOTRE-SEIGNEUR .JÉSUS-CHRIST, TRADUIT EN SUISSE PAR UNE SOCIÉTÉ DE MINISTRES DE LA PAROLE DE DIEU. Version dite de Lausanne. Chez Georges Bridel, Lausanne. Première édition, 1839. Réédité en 1849, puis, sous le même titre, sauf les mots en Suisse, en 1859, 1872 et 1875. Les deux dernières éditions contiennent des variantes de texte et de traduction, celle de 1872 en appendice, celle de 1875 au bas des pages. La traduction est faite sur le texte reçu.
La traduction de l'ANCIEN TESTAMENT suivit celle du Nouveau. Les psaumes parurent en 1854, et furent réédités en 1862. Les autres livres parurent (y compris une seconde réimpression des psaumes) de 1861 à 1872.
Dans la traduction du Nouveau Testament, les deux hommes dont l'influence a été prépondérante furent, au début, Gaussen, et, à la fin, Louis Burnier. Les auteurs de cette version, partant de la conviction que le texte des Écritures nous donne la pensée même de Dieu, se sont attachés à le rendre littéralement, traduisant toujours, autant que possible, le même mot par le même mot, et évitant de rendre la traduction plus claire que le texte, de peur d'ajouter à celui-ci. De plus, ils se sont proposé de traduire de telle façon que le Nouveau Testament français fût aujourd'hui pour les lecteurs français ce que, au premier siècle, le Nouveau Testament grec était pour des Grecs. Ils ont dépouillé certains mots du sens convenu, technique, qu'ils ont pris en passant par le latin. Ils ont dit Bonne Nouvelle et non Évangile, envoyé et non apôtre, assemblée et non église, voie et non doctrine ou secte, etc.
Quoi qu'on puisse penser des principes adoptés et de leur application, parfois arbitraire, parfois excessive (*1), cette version n'en est pas moins une oeuvre intéressante et remarquable. Elle met en une mesure le texte original, dont elle est une sorte de décalque, sous les yeux de ceux qui n'y ont pas accès. Elle a enrichi le vocabulaire du Nouveau Testament de quatre cent trente mots environ, étrangers à la version d'Ostervald (*2).
(*1) Maris, pareillement, cohabitez pour la connaissance comme avec un vase plus faible, le féminin. (1 Pierre 3, 7).
Et quant à la cour qui est hors du temple, jette-la dehors (Apoc. 11, 2).
Tout hommage qui sera cuit au four et qui sera apprêté à la poêle… tout hommage pétri à l'huile et sec… (Lévit. 7, 9-10).
Ces bizarreries — on pourrait dire ces énormités — ont jeté sur cette version un ridicule que, dans son ensemble, elle est loin de mériter.
Il nous paraît intéressant de noter à ce propos l'opinion de Vinet en fait de traduction. Après avoir condamné le littéralisme absolu, il s'exprime ainsi :
Il y a entre deux langues, à quelque distance qu'on aille les prendre, une masse de rapports suffisants pour nous autoriser, nous obliger même, à essayer d'abord de la littéralité : toutes les fois qu'elle est possible, elle est nécessaire ; mais à quelle condition est-elle possible, si ce n'est à la condition de rendre, avec la pensée de l'écrivain, l'écrivain lui-même, je veux dire son intention, son âme, ce qu'il a mis de soi dans sa parole, et ensuite de satisfaire, par la pureté du langage, sinon les méticuleux puristes, du moins les hommes d'une oreille exercée et d'un goût délicat ?…
Pour nous résumer, le système de fidélité est bon et vrai sauf l'excès. Tous les faits bien examinés, il est rationnel de partir des mots et de la phrase de l'original, comme de l'hypothèse la plus vraisemblable ; ainsi procède celui qui cherche à se rendre compte des phénomènes naturels ; et il en est d'une hypothèse qui explique toutes les parties d'un fait comme d'une forme qui conserve toutes les parties de la pensée et toutes les intentions de l'écrivain. Cette hypothèse et cette forme se vérifient à cette épreuve (Études sur la littérature française. t. 1, p. 559, 572. Toute cette remarquable étude sur ce que doit être une traduction est à lire).
(*2) Voir : La version du Nouveau Testament dite de Lausanne, son histoire et ses critiques (1866), et Les mots du Nouveau Testament dans les versions comparées d'Ostervald et de Lausanne (1871), par Louis Burnier, deux brochures qui traitent avec une grande compétence des questions relatives à la traduction du Nouveau Testament.
La traduction de l'Ancien Testament est supérieure à celle du Nouveau, ce qui s'explique par la construction plus simple de l'hébreu. M. Segond disait que de toutes les traductions qu'il consultait après avoir étudié le texte, celle de Lausanne venait la dernière, et qu'il était presque toujours d'accord avec elle.
La TRADUCTION DE L'ANCIEN TESTAMENT de Perret-Gentil. Cette version reproduit essentiellement la version allemande de de Wette, fort prisée encore aujourd'hui par les théologiens allemands. Sa valeur scientifique est donc réelle. Quoiqu'elle présente des expressions malheureuses, parfois pédantes, des tournures tourmentées et déconcertantes, elle se distingue par un parfum archaïque qui lui donne de la saveur et même de la beauté. Elle révèle à chaque ligne, chez le traducteur, le savant et l'humble croyant, rempli du scrupuleux respect de la vérité en même temps que de l'esprit d'adoration et d'amour.
Hagiographes et Prophètes, chez Wolfrath, Neuchâtel (1847, seconde édition, 1866) ; Pentateuque et livres historiques (1861). Ancien Testament complet (Société biblique de Paris, 1866), édité par la même Société, la même année, avec le Nouveau Testament de Genève de 1835, d'une part, et avec le Nouveau Testament d'Arnaud d'autre part, puis, en 1874, avec le Nouveau Testament d'Oltramare.
La TRADUCTION DU NOUVEAU TESTAMENT de Rilliet. Paris, Cherbuliez (1858). Rilliet est, avec Arnaud, le premier qui ait rompu avec le texte reçu. Il traduisit sur le texte du Vaticanus. Sa version est remarquable et par l'admirable connaissance du grec qu'elle dénote et par sa grande valeur exégétique. « Elle abonde, dit M. Stapfer, en expressions incroyablement justes et bien choisies ». « Je ne le tiens pas pour infaillible, nous écrit M. Léopold Monod, mais j'ai été plus d'une fois frappé, en recourant à lui, du soin minutieux qu'il apportait à son grand travail. Sous les termes qu'il a adoptés, on sent le résultat d'une étude exégétique personnelle, d'une délibératon consciente et mûrie ». Elle est accompagnée de l'indication des variantes du texte et de notes explicatives, notes historiques, géographiques, archéologiques, et précédée d'une préface savante sur l'histoire du texte, les variantes du texte reçu, etc. Cette traduction a été réimprimée en 1860, sans la mention seconde édition. Elle a été revue néanmoins, preuve en soit la modification suivante, qui n'est pas sans importance. En 1858, Rilliet avait traduit ainsi la question de Jésus à Judas : « Camarade, qu'est ce qui t'amène ? » En 1860, il traduit ainsi : « Camarade, sois à ce qui t'amène » (*).
(*) Cette traduction est aussi celle de la version révisée anglaise (Friend, do that for which thou art come) de la version Segond revue (mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le), de B. W'eiss, dans son commentaire (il dit en note que le relatif hos n'étant jamais employé en interrogation directe, l'interprétation interrogative habituelle est inexacte), et elle a pour elle l'opinion de M. le pasteur Babut.
La TRADUCTION DU NOUVEAU TESTAMENT d'Arnaud. Paris, Grassart (1858). Arnaud rompit en même temps que Rilliet avec le texte reçu. Sa traduction fut réimprimée avec commentaire en 1863, en 1872 avec l'Ancien Testament de Perret-Gentil, et en 1880 avec l'Ancien Testament de Segond. « Arnaud, dit M. Stapfer, fut le premier, en France, à secouer le joug d'Ostervald ». Cette traduction n'est pas exempte d'expressions lourdes et incorrectes, dues au désir de serrer le texte de près.
C'est la première traduction originale du Nouveau Testament publiée en France par un protestant français.
Les LIVRES SAINTS CONNUS SOUS LE NOM DE NOUVEAU TESTAMENT. Version nouvelle. Pau-Vevey (1859). Elle fut rééditée en 1872, 1875, 1878. La Bible complète parut en 1885. C'est la traduction dite de Darby.
La traduction du Nouveau Testament n'a pas été faite sur le texte reçu. Elle est accompagnée de notes indiquant des variantes de texte. La préface de l'édition de 1885 dit que dès la première édition, et surtout dans les suivantes, « nous avons abandonné le texte appelé par les Elzévirs, sans aucun fondement acceptable, texte reçu ». La préface de 1872 contient de longs développements sur les manuscrits et la critique du texte. En fait, le traducteur est resté conservateur. Mais il retranche le passage des trois témoins (1 Jean 5, 8).
L'Ancien Testament renferme un grand nombre de notes marginales très intéressantes au point de vue de la traduction.
Faite d'après les mêmes principes que la version de Lausanne, elle a largement profité de cette version et elle a su en éviter bien des défauts. Elle est d'un littéralisme plus habile, plus scientifique, et souvent plus heureux. Dans la préparation de sa version, M. Darby a eu pour collaborateur M. Schlumberger, de Mulhouse, ce qui explique la supériorité du style sur celui des écrits de M. Darby lui-même. « Au fond, nous écrit M. le professeur Ch. Porret, c'est cette traduction qui me parait répondre le mieux à ce que désirent ceux qui cherchent la reproduction aussi exacte que possible de l'original sans que la langue soit trop sacrifiée ». M. Porret ajoute : « M. Frédéric Godet, avec lequel je parlais un jour de traductions, me dit : « Je ne les pratique pas. Mais en voici une avec laquelle « je suis presque toujours d'accord quand je la consulte », et il me montra un petit volume avec l'indication Pau-Vevey, dont il fut très étonné d'apprendre que c'était la traduction de M. Darby ».
LA SAINTE BIBLE, OU L'ANCIEN ET LE NOUVEAU TESTAMENT, TRADUCTION NOUVELLE D'APRÈS LES TEXTES HÉBREU ET GREC, par une réunion de pasteurs et de ministres des deux églises nationales de France. Sept livraisons, parues de 1864 à 1868 (1. La Genèse ; 2. Saint-Matthieu, Ruth ; 3. L'épître aux Romains, l'Ecclésiaste ; 4. Ésaïe ; 5. Esdras, Néhémie, Esther ; 6. Saint Marc ; 7. Les deux épîtres aux Corinthiens). Le secrétaire du comité de traduction était M. Étienne Coquerel. Cette traduction aurait été, si la publication n'en était pas restée inachevée, la première version originale française de la Bible faite (depuis Olivétan) par des protestants français.
LES PSAUMES TRADUITS DE L'HÉBREU, par Charles Bruston (1865). Paris, Ch. Meyrueis. Version qui « est en grande partie le résultat de recherches personnelles sur le texte des psaumes », et où le traducteur s'est efforcé « de faire disparaître des plus belles productions de la poésie hébraïque les détails insignifiants ou étranges qui les déparent.. ».
LA TRADUCTION DU NOUVEAU TESTAMENT d'Oltramare. Genève, Cherbuliez (1872). Due à l'initiative de la Compagnie des pasteurs de Genève. Rééditée par la Société biblique de Paris en 1874, à 56.500 exemplaires (in-32) ; en 1876, à 49.000 exemplaires (in-8) ; puis (revue) en 1900, à 27.000 exemplaires (in-8), et en 1901 à 30.000 exemplaires (in-32).
« Fort belle oeuvre, dit M. Stapfer, pleine de vie, serrant le texte de près, en rendant les nuances avec science et habileté ». Et M. Ch. Porret apprécie ainsi cette version : « Elle est précieuse pour une lecture d'ensemble, rapide. Par exemple, la seconde épître aux Corinthiens semble sortie toute fraîche de la plume de l'auteur. Malheureusement, elle est trop libre dans les détails, surtout pour tout ce qui tient au vocabulaire psychologique. Âme, coeur, esprit, c'est tout un pour lui. Il a l'air de choisir uniquement d'après l'euphonie ou les convenances du français ». Cette version se prête fort bien à une lecture publique (*).
(*) Une des trouvailles d'Oltramare, c'est le « éminentissimes apôtres » de 2 Cor. 11, 5.
LA TRADUCTION DE LA BIBLE, par Louis Segond. C'est à la requête de la Compagnie des pasteurs de Genève que M. Segond a fait sa version de l'Ancien Testament.
« De toutes nos versions protestantes, a écrit M. le pasteur Koenig, Segond reste encore le chef, malgré de nombreuses, de trop nombreuses faiblesses de traductions et surtout des amollissements du texte ».
Quelques réserves que l'on ait à faire sur cette version, qui a certainement une tendance à affaiblir l'original, et à laquelle manque la saveur du langage des vieilles versions, on doit reconnaître qu'elle a ouvert une ère nouvelle dans l'histoire des versions françaises. Elle a été pour plusieurs comme une révélation de l'Ancien Testament, surtout des Prophètes, et plus particulièrement des petits Prophètes, que nombre de chrétiens ne lisaient jamais. Ce qu'on a gagné à cette version et en exactitude et en clarté a compensé, et au delà, croyons-nous, ce qu'on a pu y perdre en énergie de style. Il vaut mieux être clair et exact sans énergie, qu'énergique sans clarté et sans exactitude.
Segond a été beaucoup utilisé et même reproduit par l'abbé Crampon.
La version du Nouveau Testament par Segond ne vaut pas sa traduction de l'Ancien. Elle équivaut à une révision moyenne d'Ostervald (*).
(*) BIBLIOGRAPHIE DE LA BIBLE SECOND, — Avant 1873, il parut des fragments. Les Proverbes, sans date (réédités en 1884), sous ce titre : Aux jeunes gens et aux jeunes hommes, un père et un roi. — Une chrestomathie (extraits de l'Ancien Testament), en 1864. — Ésaïe, en 1866, — En 1873, cent vingt psaumes.
L'ANCIEN TESTAMENT, traduit sous les auspices de la Compagnie des pasteurs de Genève, a paru pour la première fois à Genève, chez Cherbuliez, en 1873 (avec la date de 1874), en deux volumes, in-8, dont 500 exemplaires furent livrés au public, et un certain nombre d'autres, sans doute, gardés par la Compagnie des pasteurs.
L'Évangile selon saint Matthieu parut en 1878, à Genève, en petit in-12. L'Évangile selon saint Jean parut en 1879 à Genève, in-16.
Le NOUVEAU TESTAMENT parut en 1880, in-8, chez Cherbuliez.
L'Ancien Testament a été réimprimé par la Société biblique de Paris, en 1878. in-8, à 35.000 exemplaires. Cette édition a servi pour la publication d'une Bible Segond-Oltramare (Segond pour l'Ancien, Oltramare pour le Nouveau Testament), d'une Bible Segond-Arnaud, et d'une Bible Segond-Segond (1880).
Une Bible Segond-Oltramare, in-12, a paru en 1879, sous les auspices de la Compagnie des Pasteurs de Genève, tirée à 20.000 exemplaires.
Une Bible Segond-Segond, in-12, a paru en 1880, à Oxford, tirée à 50.000 exemplaires. Il en a été réimprimé 10.000 exemplaires en 1884, 10.000 en 1885, 10.000 en 1886, 10.000 en 1892. 10.000 en 1894. 10.000 en 1898, 20.000 en 1901, 10.000 en 1906, 10.000 en 1909, 10.000 en 1910. En tout, de 1880 à 1910, 160.000 exemplaires.
L'Ancien Testament, avec les livres se suivant dans l'ordre du canon hébreu, a été publié en 1900, par la Société biblique de Paris, à 2.000 exemplaires.
Une Bible Segond-Segond illustrée a été publiée en 1902, à Neuchâtel, par Zahn. Un second tirage a eu lieu depuis. Nous estimons que ces deux tirages ont dû s'élever à environ 5.000 exemplaires.
L'Ancien Testament a été réimprimé en grand in-8, en 1900, par la Société biblique de Paris (il y a eu quatre tirages, — dont le dernier en 1908 — de 9.000, 5.000, 5.000, et 20.000 exemplaires), et a servi à la publication d'une Bible Segond-Oltramare, d'une Bible Segond-Stapfer et d'une Bible de mariage Segond-Segond.
Une édition illustrée de la Bible Segond-Segond d'Oxford a été publiée en 1909 sous les auspices de la Scripture gift Society, de Londres. À Paris, chez Bargon, 25, rue Sainte-Isaure.
En 1910, la Société biblique britannique et étrangère a publié une édition revue et à parallèles de la Bible Segond, à 5.000 exemplaires, dont le succès a été tel, qu'il a fallu procéder presque immédiatement à un nouveau tirage (7.500). Cette Bible est actuellement la seule version moderne de la Bible pourvue de parallèles.
Le NOUVEAU TESTAMENT a été imprimé à part, plusieurs fois, outre l'édition de 1880, ci-dessus mentionnée :
En 1881, à Oxford, à 15.000 exemplaires. Il en a été réimprimé 5.000 exemplaires en 1884 et 5.000 en 1901, donc 25.000 exemplaires de 1881 à 1901. Ce Nouveau Testament est celui de la Bible d'Oxford de 1880.
En 1881, en Angleterre, parut une édition brochée, imprimée pour un particulier et destinée à être vendue dix centimes. Sur la dernière page se trouve une gravure représentant l'île de Chypre, et, au-dessous, ces mots : « Chypre, île dans la Méditerranée, visitée fréquemment par les apôtres et par d'autres ( !) Cette île est à présent (1881) la possession de la nation britannique ». Cette édition étrange est (heureusement) unique en son genre.
En 1885 (Lyon, Marseille). 80.000 exemplaires de cette édition ont été envoyés aux instituteurs de France avec une dédicace spéciale au verso du titre. Elle a été réimprimée en 1886.
En 1895 (Lyon-Marseille), édition illustrée.
En 1897. une autre édition illustrée (Lyon, date non indiquée), dont les divers tirages se sont élevés à 69.000 exemplaires, (un tiers avec Psaumes).
En tout 38 éditions ou réimpressions, 21 de la Bible (y compris les Bibles Segond-Arnaud, Segond-Oltramare, Segond-Stapfer), 8 du Nouveau Testament, 2 de l'Ancien, 7 de fragments, et pour les 25 éditions ou réimpressions dont le tirage nous est connu, 443.000 exemplaires (256.500 pour la Bible entière, 2.500 pour l'Ancien Testament, 174.000 pour le Nouveau Testament). Donc, au total, peut-être 500.000 exemplaires.
LA TRADUCTION DE LA BIBLE d'Édouard Reuss, dans son commentaire monumental sur la Bible (1874-1880, 16 volumes). Paris, Fischbacher. « Traduction médiocre comme français, dit M. Stapfer, mais d'une précision presque impeccable ».
LA TRADUCTION DU NOUVEAU TESTAMENT de L. Bonnet, dans son commentaire sur le Nouveau Testament (Première édition 1846-1855, 1er vol. Paris, Delay ; 2e vol. Paris, Grassart ; et Genève, Béroud). Il y eut une nouvelle édition (originale pour les tomes I et 11) (Bridel, Lausanne, 1876-1885) et une troisième, revue par M. le professeur A. Schroeder (Bridel, 1892-1905).
« Travail très consciencieux, dit M. Ch. Porret, visant plus à la fidélité (sans littéralisme) qu'à l'élégance. Quand le traducteur use de quelque liberté, il indique toujours en note la traduction littérale. Cette traduction repose sur une critique minutieuse du texte et tient compte de toutes les variantes importantes ».
LA TRADUCTION DE L'ANCIEN TESTAMENT DE LA BIBLE ANNOTÉE, par une société de théologiens et de pasteurs, faite sous la direction et avec la collaboration de Frédéric Godet, auquel on doit en particulier l'Introduction sur la Bible (Tome I). Attinger, Neuchâtel 1878-1898.
Traduction excellente, qui observe un juste milieu entre la liberté et le littéralisme. Au point de vue du mouvement, de la coloration du style, il y a un progrès réel sur Segond. Les éditeurs de la Bible Crampon, sinon l'abbé Crampon lui-même, ont rendu à cette traduction un éclatant hommage en en reproduisant purement et simplement des passages entiers, et quantité de notes, surtout dans les Prophètes. Ainsi s'est trouvé réalisé en une mesure, et sous une forme inattendue, le voeu de beaucoup de personnes qui auraient souhaité de voir cette version publiée à part.
LE PROPHÈTE ZACHARIE, par J. Walther, ministre de la Parole de Dieu (Beroud, Genève, 1882), avec commentaire.
JOEL, par le Savoureux (Paris, 1888), avec commentaire.
LES PSAUMES DES MAALOTH (Psaumes 120 à 134), par Félix Bovet avec commentaire (Neuchâtel, Attinger, 1889).
LA TRADUCTION DU NOUVEAU TESTAMENT de Stapfer, publiée en 1889 chez Fischbacher (*), et rééditée, avec plus ou moins de retouches, en 1894 chez Fischbacher, puis par la Société biblique de Paris en 1899, à 24.000 exemplaires (in-16), et en 1904 à 13.000 exemplaires (in-8).
(*) Avec une introduction au Nouveau Testament et une liste des principaux manuscrits grecs du Nouveau Testament en lettres onciales, et des principaux manuscrits des anciennes versions.
Cette traduction est très littéraire, d'un style très moderne. Les Écritures ont rarement été traduites avec autant d'élégance. Il faut que l'Évangile ait une singulière puissance d'adaptation à tous les milieux et à toutes les époques pour avoir inspiré une traduction d'allure aussi française et aussi moderne.
Plus encore que celle d'Oltramare, la version Stapfer se prête à une lecture cursive et d'ensemble. Mais on peut se demander si la recherche de l'élégance, de l'expression moderne, recherche excessive, selon nous, n'a pas plus nui à la traduction qu'elle ne l'a servie.
Si la traduction doit refléter le style de l'auteur, elle n'est plus, dès qu'il s'agit de la Bible, fidèle à son but, lorsqu'elle sacrifie non seulement la saveur d'archaïsme, mais la sobriété qui caractérise le style biblique, lorsqu'elle ajoute des oh ! des ah ! ou même d'autres mots dont l'auteur s'est passé (*1), ou lorsqu'elle rend les phrases longues, enchevêtrées, de l'apôtre Paul, par une série de phrases courtes et détachées. En lisant les épîtres de Paul dans cette traduction, on ne peut se défendre de l'impression que c'est un peu comme du Pascal transposé en langage courant du dix-neuvième siècle (*2). Il n'est que juste d'ajouter que ces défauts ne sont pas partout également saillants. L'auteur, d'après la préface, s'est imposé la règle de traduire littéralement les passages obscurs, et a usé de plus de liberté dans les passages clairs et faciles (*3).
(*1) Voir Rom. 6, 16; 14, 13 (jamais ajouté) ; 1 Cor. 1, 25; 2 Cor. 9, 15.
(*2) Citons encore ici Vinet (c'est nous qui soulignons) :
Je crois devoir déclarer que je préfère ce système (le littéralisme), tout impossible qu'il est, à celui que nous avons vu en faveur il'y a peu d'années encore, système de corrections et d'amendements, de suppressions même, en un mot d'aplanissement de tout ce qui, soit en bien, soit en mal, faisait saillie chez l'écrivain, bien réellement alors trahi par son traducteur, selon l'expressif proverbe des Italiens… Nous voulons, nous, que la traduction soit fidèle aux défauts mêmes de son original, quand ces défauts font partie de son caractère ; qu'elle soit bizarre où il est bizarre, et qu'elle ne se pique pas d'être claire où lui-même a voulu être obscur… Quoique chaque locution irrégulière ne soit pas une partie de Milton, toutes ensemble, ou par leur caractère, ou par leur fréquence, appartiennent au portrait de son génie : et vous demande-t-on autre chose qu'un portrait ? (Études sur la littérature française au dix-neuvième siècle, p. 560, 561).
Voir aussi pages 95, 215.
(*3) Voir sur la version Stapfer les articles de M. Aug. Sabatier dans les Annales de Bibliographie théologique (avril, mai, juin 1889), et la réponse de M. Stapfer (Fischbacher, 1889).
Cette traduction a ses lourdeurs, comme les autres. Voir saint Jean, 14, 21 :
… celui-là est celui qui m'aime. 16, 9: … le péché en tant qu'ils ne croient pas en moi : la justice, en tant que je m'en vais… le jugement, en tant que le Prince de ce monde est jugé.
Le DEUTÉRONOME, par Montet (Paris, 1891), avec commentaire.
L'ÉVANGILE DE LUC OU LA BONNE NOUVELLE DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, SELON LE RÉCIT DE LUC, VERSION POPULAIRE AVEC EXAMEN DES VARIANTES, par Paul Passy, docteur ès lettres, en écriture phonétique (1893) et en écriture usuelle (1894).
Du même traducteur, l'ÉVANGILE DE JEAN, en phonétique (1895) ; l'ÉPITRE AUX PHILIPPIENS, en phonétique (1896) ; LUC ET LES ACTES publiés ensemble en phonétique (1894), puis en orthographe usuelle (1903), sous ce titre : Les Origines du cristianisme, d'après des documents autentiques et des souvenirs personels, par un contemporain, Luc, médecin du premier siècle, traduit du grec et accompagné de notes explicatives. Le but du traducteur a été de mettre « la Parole de Dieu à la portée du peuple de nos campagnes en employant, au lieu du français d'il y a trois siècles, celui que nous parlons aujourd'hui ». Il vise à rendre tout ce qu'il y a de naïf, de populaire, de primesautier, dans le texte. Ainsi : Et un des malfaiteurs pendus en croix l'insultait : « Est-ce que ce n'est pas toi le Messie ? » (Luc 23, 39). — Si je veux qu'il reste jusqu'à ce que je vienne, qu'est-ce que ça te fait ? (Jean 21, 22). — Mais en filant sous le vent … on a dessendu les agrès, et comme ça on s'est laissé emporter (Actes 28, 16, 17».
La SULAMMITE, (le Cantique des Cantiques) par Charles Bruston (Paris, 1894), avec commentaire (*).
(*) Mentionnons le Sublime Cantique (Cantique des cantiques), drame sacré exposé selon la plus récente exégèse et mis en vers français, par Eug. RÉVEILLAUD (Paris, Fischbacher, 1895).
AGGÉE, par T. André (Paris, 1895), avec commentaire.
LES HUIT PREMIERS CHAPITRES DE LA LETTRE DE PAUL AUX ROMAINS, avec commentaire, par F. H. Krüger (Bridel, 1899).
Les TRADUCTIONS PARTIELLES de Frédéric Godet, dans ses commentaires, traductions de l'Évangile selon saint Luc, de l'Évangile selon saint Jean, de l'épître aux Romains et de la première épître aux Corinthiens (*).
(*) Les traductions de Frédéric Godet ont été réunies, sauf celle de l'épître aux Romains, dans l'excellente et très utile paraphrase de trois livres du Nouveau Testament conformément aux conclusions de Frédéric Godet, par ERNEST MONOD.
M. le pasteur DECOPPET a fait paraître en 1903 un Nouveau Testament avec notes explicatives, des préfaces, et une Introduction générale, dont il a établi le texte « sans s'astreindre, dit-il, à aucune version française ». « Je me suis servi, ajoute-t-il, pour les Évangiles et les Épîtres de saint Paul, de celle d'Ostervald, admirablement révisée par la commission synodale, et de celle d'Oltramare pour les autres épîtres. J'ai mis souvent aussi à contribution la belle traduction de M. le doyen Stapfer, bien que je la trouve d'un style un peu trop moderne ».
Ainsi, au dix-neuvième siècle, il a paru en français, si toutefois rien ne nous a échappé, 24 traductions protestantes originales des Écritures, soit 4 Bibles (Lausanne, Segond, Reuss, Darby), 2 Anciens Testaments (Perret-Gentil, Bible annotée), 6 Nouveaux Testaments (Munier, Rilliet, Arnaud, Oltramare, Bonnet, Stapfer), et 12 versions fragmentaires (*1) (L. Bridel, Vivien, Coquerel (*2), Bruston, Walther, le Savoureux, Félix Bovet, Montet, P. Passy, André, P. Krüger, Fréd. Godet).
(*1) Nous comptons comme une version fragmentaire les divers fragments traduits par un même auteur.
(*2) Pour plus de brièveté, nous désignons cette version par le nom de M. Coquerel, secrétaire du comité de traduction.
12 sont dues à des Suisses : 2 Bibles entières (Lausanne, Segond), 2 Anciens Testaments (Perret-Gentil, Bible annotée), 4 Nouveaux Testaments (Munier, Rilliet, Oltramare, Bonnet), et des fragments (L. Bridel, Walther, Félix Bovet, Fréd. Godet).
11 sont dues à des Français : 1 Bible entière (Reuss), 2 Nouveaux Testaments (Arnaud, Stapfer), et des fragments (Vivien, Coquerel, Bruston, le Savoureux, Montet, Passy, André, P. Krüger).
Une est due à un Anglais : la Bible de Darby.
On voit que les Suisses ont fait plus de la moitié du travail biblique original accompli au siècle dernier.
14.1 - Seizième siècle
Castalion, disciple de Servet, fit deux traductions de la Bible, une latine et une française. Dans sa traduction française (1555), « il essaie, dit M. Reuss, de plier la Bible au génie de la langue française, mais le génie de celle-ci au sien propre ». M. Stapfer (*) confirme ce jugement. Castalion traduit les mots d'après leur étymologie. Au lieu d'holocauste, il dit brûlage. Il met flairement au lieu d'odorat (1 Cor. 12, 17) ; songe-malices au lieu d'inventeurs de méchancetés (Rom. 1, 30). Pour petits enfants, il forge le barbarisme enfantons. Cette oeuvre n'eut qu'une seule édition, et ne méritait pas davantage.
(*) La traduction française du Nouveau Testament, ix (Revue chrétienne, 1900, p. 96-106). Les appréciations de M. Stapfer qu'on trouvera dans ce chapitre sont toutes empruntées à cette source.
14.2 - Dix-septième siècle
En 1644, Jean Diodati, le même qui fit une excellente traduction de la Bible en italien, publia une version française à Genève. « essai louable, dit M. Stapfer, de rajeunir le vieux français du dix-septième siècle. Mais Diodati fut accusé d'avoir paraphrasé plutôt que traduit, et on lui préféra la vieille version à laquelle on était habitué ».
14.3 - Dix-huitième siècle
Deux traductions, dans ce siècle, parurent en Hollande. D'abord une traduction du Nouveau Testament de Leclerc (1703), qui fut accusée de socinianisme. L'opposition qu'on lui fit, l'interdiction dont elle fut frappée à Berlin, la rendirent momentanément célèbre, mais elle tomba dans l'oubli.
Puis, la traduction de la BIBLE de Lecène (1741), qui mérite plus que la précédente le reproche de rationalisme. Elle fait souvent violence au texte, et, de plus, est bizarre et inexacte. Lecène voulait réagir contre les versions littérales, mais le remède parait avoir été pire que le mal. Au lieu de Dieu vit que la lumière était bonne, il met : car le Souverain voyait que cette lumière serait utile. Au lieu de faisons l'homme à notre image : faisons l'homme sur le dessein et sur l'idée que nous en avons formés. Au lieu de ceci est mon corps : ceci représente mon corps. Au lieu de la Parole a été faite chair : cet oracle était un corps humain.
En 1718, parut à Berlin une traduction excellente du NOUVEAU TESTAMENT, celle de Beausobre et Lenfant.
« Beausobre et Lenfant, dit M. Stapfer, étaient des pasteurs du Refuge, établis à Berlin. Ces deux hommes distingués firent une version extrêmement remarquable. Après avoir examiné très consciencieusement la question de la possibilité d'une révision de la version (révisée) de 1588, ils s'arrêtèrent, comme Claude, à la nécessité d'une version nouvelle, ce que ne comprenaient, à la même époque, ni Martin ni Ostervald… Ils publièrent leur oeuvre en deux volumes in-8, avec des notes abondantes et fort bien faites. Le texte est divisé en paragraphes. Si cette version est restée inconnue en France même, c'est que les portes de notre pays lui restaient rigoureusement fermées. Elle eut un grand succès en Suisse et en Allemagne, où elle parut avec le texte allemand en regard. Un seul exemplaire pénétra en France, celui qui fut envoyé à la duchesse d'Orléans, appelée la Palatine, princesse allemande et ex-protestante, seconde femme de Monsieur, frère de Louis XIV, et mère du Régent ».
14.4 - Dix-neuvième et vingtième siècles
LE LIVRE DE JOB, NOUVELLEMENT TRADUIT D'APRÈS LE TEXTE ORIGINAL non ponctué et les anciennes versions, notamment l'arabe et le syriaque, avec un commentaire imprimé à part, par Louis Bridel, professeur de langues orientales et de l'interprétation des Livres saints à l'Académie de Lausanne. Paris, Didot, 1818.
Le traducteur a reproduit la coupe des vers hébreux.
Cette traduction est la première traduction protestante originale d'un fragment des Écritures au siècle dernier. On voit que c'est un Suisse qui a ouvert la voie. 'M. Louis Bridel, frère du doyen Bridel, était l'arrière-grand-oncle du professeur Ph. Bridel.
JOB, LES PSAUMES, LES PROVERBES, L'ECCLÉSIASTE DE LA PAROLE DE DIEU, traduits de l'hébreu par Louis Vivien, ministre de l'Évangile, à Montbéliard. Imprimé à Montbéliard. Paris, chez Risler, 1831. Une deuxième édition (Arras, chez l'auteur. Paris, chez Grassart) ne porte pas de date. D'après l'apparence, le volume pourrait être d'environ 1850 ou 1860.
C'est le premier essai protestant d'une traduction personnelle des Écritures qui ait été imprimé en France. Il convient de signaler cette tentative modeste, inspirée par une piété profonde.
« Les trois livres de la Parole de Dieu qui suivent, dit l'auteur dans la préface de la première édition, ont toujours présenté à mon âme, depuis que la .grâce du Seigneur m'a été révélée, une nourriture exquise, et une source féconde d'enseignements et de consolations ; j'ai été tout naturellement conduit à les étudier dans l'original. Plus tard, frappé des nombreuses incorrections que présentent nos versions françaises, j'ai pensé faire une oeuvre utile et agréable à mes frères, en publiant dans ce petit volume les Psaumes, les Proverbes et l'Ecclésiaste, dans une version plus correcte que celle de nos Bibles. Ce n'est point que j'aie voulu faire une traduction nouvelle et qui m'appartint. J'ai seulement désiré d'en présenter une qui fût fidèle, et en conséquence, je me suis librement servi de toutes les versions que j'ai été à portée de connaître ».
Le traducteur a pourtant fait, en une mesure, oeuvre originale.
Le texte n'est pas coupé en versets, et ceux-ci sont indiqués en marge. Innovation remarquable pour l'époque.
En 1835, le NOUVEAU TESTAMENT, version nouvelle, dite de Genève, parce qu'elle fut faite par un Genevois et parce qu'elle eut l'approbation de la Compagnie des pasteurs de Genève (Marc Aurel, Valence). Le traducteur était le professeur Munier. C'est la première version originale protestante en français du Nouveau Testament qui ait paru au dix-neuvième siècle, ou qui ait été imprimée en France. Deux éditions furent publiées la même année. C'est cette version qui fut l'occasion de vifs débats au sein de la Société biblique protestante de Paris (Voir chapitre XIII).
LE NOUVEAU TESTAMENT DE NOTRE-SEIGNEUR .JÉSUS-CHRIST, TRADUIT EN SUISSE PAR UNE SOCIÉTÉ DE MINISTRES DE LA PAROLE DE DIEU. Version dite de Lausanne. Chez Georges Bridel, Lausanne. Première édition, 1839. Réédité en 1849, puis, sous le même titre, sauf les mots en Suisse, en 1859, 1872 et 1875. Les deux dernières éditions contiennent des variantes de texte et de traduction, celle de 1872 en appendice, celle de 1875 au bas des pages. La traduction est faite sur le texte reçu.
La traduction de l'ANCIEN TESTAMENT suivit celle du Nouveau. Les psaumes parurent en 1854, et furent réédités en 1862. Les autres livres parurent (y compris une seconde réimpression des psaumes) de 1861 à 1872.
Dans la traduction du Nouveau Testament, les deux hommes dont l'influence a été prépondérante furent, au début, Gaussen, et, à la fin, Louis Burnier. Les auteurs de cette version, partant de la conviction que le texte des Écritures nous donne la pensée même de Dieu, se sont attachés à le rendre littéralement, traduisant toujours, autant que possible, le même mot par le même mot, et évitant de rendre la traduction plus claire que le texte, de peur d'ajouter à celui-ci. De plus, ils se sont proposé de traduire de telle façon que le Nouveau Testament français fût aujourd'hui pour les lecteurs français ce que, au premier siècle, le Nouveau Testament grec était pour des Grecs. Ils ont dépouillé certains mots du sens convenu, technique, qu'ils ont pris en passant par le latin. Ils ont dit Bonne Nouvelle et non Évangile, envoyé et non apôtre, assemblée et non église, voie et non doctrine ou secte, etc.
Quoi qu'on puisse penser des principes adoptés et de leur application, parfois arbitraire, parfois excessive (*1), cette version n'en est pas moins une oeuvre intéressante et remarquable. Elle met en une mesure le texte original, dont elle est une sorte de décalque, sous les yeux de ceux qui n'y ont pas accès. Elle a enrichi le vocabulaire du Nouveau Testament de quatre cent trente mots environ, étrangers à la version d'Ostervald (*2).
(*1) Maris, pareillement, cohabitez pour la connaissance comme avec un vase plus faible, le féminin. (1 Pierre 3, 7).
Et quant à la cour qui est hors du temple, jette-la dehors (Apoc. 11, 2).
Tout hommage qui sera cuit au four et qui sera apprêté à la poêle… tout hommage pétri à l'huile et sec… (Lévit. 7, 9-10).
Ces bizarreries — on pourrait dire ces énormités — ont jeté sur cette version un ridicule que, dans son ensemble, elle est loin de mériter.
Il nous paraît intéressant de noter à ce propos l'opinion de Vinet en fait de traduction. Après avoir condamné le littéralisme absolu, il s'exprime ainsi :
Il y a entre deux langues, à quelque distance qu'on aille les prendre, une masse de rapports suffisants pour nous autoriser, nous obliger même, à essayer d'abord de la littéralité : toutes les fois qu'elle est possible, elle est nécessaire ; mais à quelle condition est-elle possible, si ce n'est à la condition de rendre, avec la pensée de l'écrivain, l'écrivain lui-même, je veux dire son intention, son âme, ce qu'il a mis de soi dans sa parole, et ensuite de satisfaire, par la pureté du langage, sinon les méticuleux puristes, du moins les hommes d'une oreille exercée et d'un goût délicat ?…
Pour nous résumer, le système de fidélité est bon et vrai sauf l'excès. Tous les faits bien examinés, il est rationnel de partir des mots et de la phrase de l'original, comme de l'hypothèse la plus vraisemblable ; ainsi procède celui qui cherche à se rendre compte des phénomènes naturels ; et il en est d'une hypothèse qui explique toutes les parties d'un fait comme d'une forme qui conserve toutes les parties de la pensée et toutes les intentions de l'écrivain. Cette hypothèse et cette forme se vérifient à cette épreuve (Études sur la littérature française. t. 1, p. 559, 572. Toute cette remarquable étude sur ce que doit être une traduction est à lire).
(*2) Voir : La version du Nouveau Testament dite de Lausanne, son histoire et ses critiques (1866), et Les mots du Nouveau Testament dans les versions comparées d'Ostervald et de Lausanne (1871), par Louis Burnier, deux brochures qui traitent avec une grande compétence des questions relatives à la traduction du Nouveau Testament.
La traduction de l'Ancien Testament est supérieure à celle du Nouveau, ce qui s'explique par la construction plus simple de l'hébreu. M. Segond disait que de toutes les traductions qu'il consultait après avoir étudié le texte, celle de Lausanne venait la dernière, et qu'il était presque toujours d'accord avec elle.
La TRADUCTION DE L'ANCIEN TESTAMENT de Perret-Gentil. Cette version reproduit essentiellement la version allemande de de Wette, fort prisée encore aujourd'hui par les théologiens allemands. Sa valeur scientifique est donc réelle. Quoiqu'elle présente des expressions malheureuses, parfois pédantes, des tournures tourmentées et déconcertantes, elle se distingue par un parfum archaïque qui lui donne de la saveur et même de la beauté. Elle révèle à chaque ligne, chez le traducteur, le savant et l'humble croyant, rempli du scrupuleux respect de la vérité en même temps que de l'esprit d'adoration et d'amour.
Hagiographes et Prophètes, chez Wolfrath, Neuchâtel (1847, seconde édition, 1866) ; Pentateuque et livres historiques (1861). Ancien Testament complet (Société biblique de Paris, 1866), édité par la même Société, la même année, avec le Nouveau Testament de Genève de 1835, d'une part, et avec le Nouveau Testament d'Arnaud d'autre part, puis, en 1874, avec le Nouveau Testament d'Oltramare.
La TRADUCTION DU NOUVEAU TESTAMENT de Rilliet. Paris, Cherbuliez (1858). Rilliet est, avec Arnaud, le premier qui ait rompu avec le texte reçu. Il traduisit sur le texte du Vaticanus. Sa version est remarquable et par l'admirable connaissance du grec qu'elle dénote et par sa grande valeur exégétique. « Elle abonde, dit M. Stapfer, en expressions incroyablement justes et bien choisies ». « Je ne le tiens pas pour infaillible, nous écrit M. Léopold Monod, mais j'ai été plus d'une fois frappé, en recourant à lui, du soin minutieux qu'il apportait à son grand travail. Sous les termes qu'il a adoptés, on sent le résultat d'une étude exégétique personnelle, d'une délibératon consciente et mûrie ». Elle est accompagnée de l'indication des variantes du texte et de notes explicatives, notes historiques, géographiques, archéologiques, et précédée d'une préface savante sur l'histoire du texte, les variantes du texte reçu, etc. Cette traduction a été réimprimée en 1860, sans la mention seconde édition. Elle a été revue néanmoins, preuve en soit la modification suivante, qui n'est pas sans importance. En 1858, Rilliet avait traduit ainsi la question de Jésus à Judas : « Camarade, qu'est ce qui t'amène ? » En 1860, il traduit ainsi : « Camarade, sois à ce qui t'amène » (*).
(*) Cette traduction est aussi celle de la version révisée anglaise (Friend, do that for which thou art come) de la version Segond revue (mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le), de B. W'eiss, dans son commentaire (il dit en note que le relatif hos n'étant jamais employé en interrogation directe, l'interprétation interrogative habituelle est inexacte), et elle a pour elle l'opinion de M. le pasteur Babut.
La TRADUCTION DU NOUVEAU TESTAMENT d'Arnaud. Paris, Grassart (1858). Arnaud rompit en même temps que Rilliet avec le texte reçu. Sa traduction fut réimprimée avec commentaire en 1863, en 1872 avec l'Ancien Testament de Perret-Gentil, et en 1880 avec l'Ancien Testament de Segond. « Arnaud, dit M. Stapfer, fut le premier, en France, à secouer le joug d'Ostervald ». Cette traduction n'est pas exempte d'expressions lourdes et incorrectes, dues au désir de serrer le texte de près.
C'est la première traduction originale du Nouveau Testament publiée en France par un protestant français.
Les LIVRES SAINTS CONNUS SOUS LE NOM DE NOUVEAU TESTAMENT. Version nouvelle. Pau-Vevey (1859). Elle fut rééditée en 1872, 1875, 1878. La Bible complète parut en 1885. C'est la traduction dite de Darby.
La traduction du Nouveau Testament n'a pas été faite sur le texte reçu. Elle est accompagnée de notes indiquant des variantes de texte. La préface de l'édition de 1885 dit que dès la première édition, et surtout dans les suivantes, « nous avons abandonné le texte appelé par les Elzévirs, sans aucun fondement acceptable, texte reçu ». La préface de 1872 contient de longs développements sur les manuscrits et la critique du texte. En fait, le traducteur est resté conservateur. Mais il retranche le passage des trois témoins (1 Jean 5, 8).
L'Ancien Testament renferme un grand nombre de notes marginales très intéressantes au point de vue de la traduction.
Faite d'après les mêmes principes que la version de Lausanne, elle a largement profité de cette version et elle a su en éviter bien des défauts. Elle est d'un littéralisme plus habile, plus scientifique, et souvent plus heureux. Dans la préparation de sa version, M. Darby a eu pour collaborateur M. Schlumberger, de Mulhouse, ce qui explique la supériorité du style sur celui des écrits de M. Darby lui-même. « Au fond, nous écrit M. le professeur Ch. Porret, c'est cette traduction qui me parait répondre le mieux à ce que désirent ceux qui cherchent la reproduction aussi exacte que possible de l'original sans que la langue soit trop sacrifiée ». M. Porret ajoute : « M. Frédéric Godet, avec lequel je parlais un jour de traductions, me dit : « Je ne les pratique pas. Mais en voici une avec laquelle « je suis presque toujours d'accord quand je la consulte », et il me montra un petit volume avec l'indication Pau-Vevey, dont il fut très étonné d'apprendre que c'était la traduction de M. Darby ».
LA SAINTE BIBLE, OU L'ANCIEN ET LE NOUVEAU TESTAMENT, TRADUCTION NOUVELLE D'APRÈS LES TEXTES HÉBREU ET GREC, par une réunion de pasteurs et de ministres des deux églises nationales de France. Sept livraisons, parues de 1864 à 1868 (1. La Genèse ; 2. Saint-Matthieu, Ruth ; 3. L'épître aux Romains, l'Ecclésiaste ; 4. Ésaïe ; 5. Esdras, Néhémie, Esther ; 6. Saint Marc ; 7. Les deux épîtres aux Corinthiens). Le secrétaire du comité de traduction était M. Étienne Coquerel. Cette traduction aurait été, si la publication n'en était pas restée inachevée, la première version originale française de la Bible faite (depuis Olivétan) par des protestants français.
LES PSAUMES TRADUITS DE L'HÉBREU, par Charles Bruston (1865). Paris, Ch. Meyrueis. Version qui « est en grande partie le résultat de recherches personnelles sur le texte des psaumes », et où le traducteur s'est efforcé « de faire disparaître des plus belles productions de la poésie hébraïque les détails insignifiants ou étranges qui les déparent.. ».
LA TRADUCTION DU NOUVEAU TESTAMENT d'Oltramare. Genève, Cherbuliez (1872). Due à l'initiative de la Compagnie des pasteurs de Genève. Rééditée par la Société biblique de Paris en 1874, à 56.500 exemplaires (in-32) ; en 1876, à 49.000 exemplaires (in-8) ; puis (revue) en 1900, à 27.000 exemplaires (in-8), et en 1901 à 30.000 exemplaires (in-32).
« Fort belle oeuvre, dit M. Stapfer, pleine de vie, serrant le texte de près, en rendant les nuances avec science et habileté ». Et M. Ch. Porret apprécie ainsi cette version : « Elle est précieuse pour une lecture d'ensemble, rapide. Par exemple, la seconde épître aux Corinthiens semble sortie toute fraîche de la plume de l'auteur. Malheureusement, elle est trop libre dans les détails, surtout pour tout ce qui tient au vocabulaire psychologique. Âme, coeur, esprit, c'est tout un pour lui. Il a l'air de choisir uniquement d'après l'euphonie ou les convenances du français ». Cette version se prête fort bien à une lecture publique (*).
(*) Une des trouvailles d'Oltramare, c'est le « éminentissimes apôtres » de 2 Cor. 11, 5.
LA TRADUCTION DE LA BIBLE, par Louis Segond. C'est à la requête de la Compagnie des pasteurs de Genève que M. Segond a fait sa version de l'Ancien Testament.
« De toutes nos versions protestantes, a écrit M. le pasteur Koenig, Segond reste encore le chef, malgré de nombreuses, de trop nombreuses faiblesses de traductions et surtout des amollissements du texte ».
Quelques réserves que l'on ait à faire sur cette version, qui a certainement une tendance à affaiblir l'original, et à laquelle manque la saveur du langage des vieilles versions, on doit reconnaître qu'elle a ouvert une ère nouvelle dans l'histoire des versions françaises. Elle a été pour plusieurs comme une révélation de l'Ancien Testament, surtout des Prophètes, et plus particulièrement des petits Prophètes, que nombre de chrétiens ne lisaient jamais. Ce qu'on a gagné à cette version et en exactitude et en clarté a compensé, et au delà, croyons-nous, ce qu'on a pu y perdre en énergie de style. Il vaut mieux être clair et exact sans énergie, qu'énergique sans clarté et sans exactitude.
Segond a été beaucoup utilisé et même reproduit par l'abbé Crampon.
La version du Nouveau Testament par Segond ne vaut pas sa traduction de l'Ancien. Elle équivaut à une révision moyenne d'Ostervald (*).
(*) BIBLIOGRAPHIE DE LA BIBLE SECOND, — Avant 1873, il parut des fragments. Les Proverbes, sans date (réédités en 1884), sous ce titre : Aux jeunes gens et aux jeunes hommes, un père et un roi. — Une chrestomathie (extraits de l'Ancien Testament), en 1864. — Ésaïe, en 1866, — En 1873, cent vingt psaumes.
L'ANCIEN TESTAMENT, traduit sous les auspices de la Compagnie des pasteurs de Genève, a paru pour la première fois à Genève, chez Cherbuliez, en 1873 (avec la date de 1874), en deux volumes, in-8, dont 500 exemplaires furent livrés au public, et un certain nombre d'autres, sans doute, gardés par la Compagnie des pasteurs.
L'Évangile selon saint Matthieu parut en 1878, à Genève, en petit in-12. L'Évangile selon saint Jean parut en 1879 à Genève, in-16.
Le NOUVEAU TESTAMENT parut en 1880, in-8, chez Cherbuliez.
L'Ancien Testament a été réimprimé par la Société biblique de Paris, en 1878. in-8, à 35.000 exemplaires. Cette édition a servi pour la publication d'une Bible Segond-Oltramare (Segond pour l'Ancien, Oltramare pour le Nouveau Testament), d'une Bible Segond-Arnaud, et d'une Bible Segond-Segond (1880).
Une Bible Segond-Oltramare, in-12, a paru en 1879, sous les auspices de la Compagnie des Pasteurs de Genève, tirée à 20.000 exemplaires.
Une Bible Segond-Segond, in-12, a paru en 1880, à Oxford, tirée à 50.000 exemplaires. Il en a été réimprimé 10.000 exemplaires en 1884, 10.000 en 1885, 10.000 en 1886, 10.000 en 1892. 10.000 en 1894. 10.000 en 1898, 20.000 en 1901, 10.000 en 1906, 10.000 en 1909, 10.000 en 1910. En tout, de 1880 à 1910, 160.000 exemplaires.
L'Ancien Testament, avec les livres se suivant dans l'ordre du canon hébreu, a été publié en 1900, par la Société biblique de Paris, à 2.000 exemplaires.
Une Bible Segond-Segond illustrée a été publiée en 1902, à Neuchâtel, par Zahn. Un second tirage a eu lieu depuis. Nous estimons que ces deux tirages ont dû s'élever à environ 5.000 exemplaires.
L'Ancien Testament a été réimprimé en grand in-8, en 1900, par la Société biblique de Paris (il y a eu quatre tirages, — dont le dernier en 1908 — de 9.000, 5.000, 5.000, et 20.000 exemplaires), et a servi à la publication d'une Bible Segond-Oltramare, d'une Bible Segond-Stapfer et d'une Bible de mariage Segond-Segond.
Une édition illustrée de la Bible Segond-Segond d'Oxford a été publiée en 1909 sous les auspices de la Scripture gift Society, de Londres. À Paris, chez Bargon, 25, rue Sainte-Isaure.
En 1910, la Société biblique britannique et étrangère a publié une édition revue et à parallèles de la Bible Segond, à 5.000 exemplaires, dont le succès a été tel, qu'il a fallu procéder presque immédiatement à un nouveau tirage (7.500). Cette Bible est actuellement la seule version moderne de la Bible pourvue de parallèles.
Le NOUVEAU TESTAMENT a été imprimé à part, plusieurs fois, outre l'édition de 1880, ci-dessus mentionnée :
En 1881, à Oxford, à 15.000 exemplaires. Il en a été réimprimé 5.000 exemplaires en 1884 et 5.000 en 1901, donc 25.000 exemplaires de 1881 à 1901. Ce Nouveau Testament est celui de la Bible d'Oxford de 1880.
En 1881, en Angleterre, parut une édition brochée, imprimée pour un particulier et destinée à être vendue dix centimes. Sur la dernière page se trouve une gravure représentant l'île de Chypre, et, au-dessous, ces mots : « Chypre, île dans la Méditerranée, visitée fréquemment par les apôtres et par d'autres ( !) Cette île est à présent (1881) la possession de la nation britannique ». Cette édition étrange est (heureusement) unique en son genre.
En 1885 (Lyon, Marseille). 80.000 exemplaires de cette édition ont été envoyés aux instituteurs de France avec une dédicace spéciale au verso du titre. Elle a été réimprimée en 1886.
En 1895 (Lyon-Marseille), édition illustrée.
En 1897. une autre édition illustrée (Lyon, date non indiquée), dont les divers tirages se sont élevés à 69.000 exemplaires, (un tiers avec Psaumes).
En tout 38 éditions ou réimpressions, 21 de la Bible (y compris les Bibles Segond-Arnaud, Segond-Oltramare, Segond-Stapfer), 8 du Nouveau Testament, 2 de l'Ancien, 7 de fragments, et pour les 25 éditions ou réimpressions dont le tirage nous est connu, 443.000 exemplaires (256.500 pour la Bible entière, 2.500 pour l'Ancien Testament, 174.000 pour le Nouveau Testament). Donc, au total, peut-être 500.000 exemplaires.
LA TRADUCTION DE LA BIBLE d'Édouard Reuss, dans son commentaire monumental sur la Bible (1874-1880, 16 volumes). Paris, Fischbacher. « Traduction médiocre comme français, dit M. Stapfer, mais d'une précision presque impeccable ».
LA TRADUCTION DU NOUVEAU TESTAMENT de L. Bonnet, dans son commentaire sur le Nouveau Testament (Première édition 1846-1855, 1er vol. Paris, Delay ; 2e vol. Paris, Grassart ; et Genève, Béroud). Il y eut une nouvelle édition (originale pour les tomes I et 11) (Bridel, Lausanne, 1876-1885) et une troisième, revue par M. le professeur A. Schroeder (Bridel, 1892-1905).
« Travail très consciencieux, dit M. Ch. Porret, visant plus à la fidélité (sans littéralisme) qu'à l'élégance. Quand le traducteur use de quelque liberté, il indique toujours en note la traduction littérale. Cette traduction repose sur une critique minutieuse du texte et tient compte de toutes les variantes importantes ».
LA TRADUCTION DE L'ANCIEN TESTAMENT DE LA BIBLE ANNOTÉE, par une société de théologiens et de pasteurs, faite sous la direction et avec la collaboration de Frédéric Godet, auquel on doit en particulier l'Introduction sur la Bible (Tome I). Attinger, Neuchâtel 1878-1898.
Traduction excellente, qui observe un juste milieu entre la liberté et le littéralisme. Au point de vue du mouvement, de la coloration du style, il y a un progrès réel sur Segond. Les éditeurs de la Bible Crampon, sinon l'abbé Crampon lui-même, ont rendu à cette traduction un éclatant hommage en en reproduisant purement et simplement des passages entiers, et quantité de notes, surtout dans les Prophètes. Ainsi s'est trouvé réalisé en une mesure, et sous une forme inattendue, le voeu de beaucoup de personnes qui auraient souhaité de voir cette version publiée à part.
LE PROPHÈTE ZACHARIE, par J. Walther, ministre de la Parole de Dieu (Beroud, Genève, 1882), avec commentaire.
JOEL, par le Savoureux (Paris, 1888), avec commentaire.
LES PSAUMES DES MAALOTH (Psaumes 120 à 134), par Félix Bovet avec commentaire (Neuchâtel, Attinger, 1889).
LA TRADUCTION DU NOUVEAU TESTAMENT de Stapfer, publiée en 1889 chez Fischbacher (*), et rééditée, avec plus ou moins de retouches, en 1894 chez Fischbacher, puis par la Société biblique de Paris en 1899, à 24.000 exemplaires (in-16), et en 1904 à 13.000 exemplaires (in-8).
(*) Avec une introduction au Nouveau Testament et une liste des principaux manuscrits grecs du Nouveau Testament en lettres onciales, et des principaux manuscrits des anciennes versions.
Cette traduction est très littéraire, d'un style très moderne. Les Écritures ont rarement été traduites avec autant d'élégance. Il faut que l'Évangile ait une singulière puissance d'adaptation à tous les milieux et à toutes les époques pour avoir inspiré une traduction d'allure aussi française et aussi moderne.
Plus encore que celle d'Oltramare, la version Stapfer se prête à une lecture cursive et d'ensemble. Mais on peut se demander si la recherche de l'élégance, de l'expression moderne, recherche excessive, selon nous, n'a pas plus nui à la traduction qu'elle ne l'a servie.
Si la traduction doit refléter le style de l'auteur, elle n'est plus, dès qu'il s'agit de la Bible, fidèle à son but, lorsqu'elle sacrifie non seulement la saveur d'archaïsme, mais la sobriété qui caractérise le style biblique, lorsqu'elle ajoute des oh ! des ah ! ou même d'autres mots dont l'auteur s'est passé (*1), ou lorsqu'elle rend les phrases longues, enchevêtrées, de l'apôtre Paul, par une série de phrases courtes et détachées. En lisant les épîtres de Paul dans cette traduction, on ne peut se défendre de l'impression que c'est un peu comme du Pascal transposé en langage courant du dix-neuvième siècle (*2). Il n'est que juste d'ajouter que ces défauts ne sont pas partout également saillants. L'auteur, d'après la préface, s'est imposé la règle de traduire littéralement les passages obscurs, et a usé de plus de liberté dans les passages clairs et faciles (*3).
(*1) Voir Rom. 6, 16; 14, 13 (jamais ajouté) ; 1 Cor. 1, 25; 2 Cor. 9, 15.
(*2) Citons encore ici Vinet (c'est nous qui soulignons) :
Je crois devoir déclarer que je préfère ce système (le littéralisme), tout impossible qu'il est, à celui que nous avons vu en faveur il'y a peu d'années encore, système de corrections et d'amendements, de suppressions même, en un mot d'aplanissement de tout ce qui, soit en bien, soit en mal, faisait saillie chez l'écrivain, bien réellement alors trahi par son traducteur, selon l'expressif proverbe des Italiens… Nous voulons, nous, que la traduction soit fidèle aux défauts mêmes de son original, quand ces défauts font partie de son caractère ; qu'elle soit bizarre où il est bizarre, et qu'elle ne se pique pas d'être claire où lui-même a voulu être obscur… Quoique chaque locution irrégulière ne soit pas une partie de Milton, toutes ensemble, ou par leur caractère, ou par leur fréquence, appartiennent au portrait de son génie : et vous demande-t-on autre chose qu'un portrait ? (Études sur la littérature française au dix-neuvième siècle, p. 560, 561).
Voir aussi pages 95, 215.
(*3) Voir sur la version Stapfer les articles de M. Aug. Sabatier dans les Annales de Bibliographie théologique (avril, mai, juin 1889), et la réponse de M. Stapfer (Fischbacher, 1889).
Cette traduction a ses lourdeurs, comme les autres. Voir saint Jean, 14, 21 :
… celui-là est celui qui m'aime. 16, 9: … le péché en tant qu'ils ne croient pas en moi : la justice, en tant que je m'en vais… le jugement, en tant que le Prince de ce monde est jugé.
Le DEUTÉRONOME, par Montet (Paris, 1891), avec commentaire.
L'ÉVANGILE DE LUC OU LA BONNE NOUVELLE DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, SELON LE RÉCIT DE LUC, VERSION POPULAIRE AVEC EXAMEN DES VARIANTES, par Paul Passy, docteur ès lettres, en écriture phonétique (1893) et en écriture usuelle (1894).
Du même traducteur, l'ÉVANGILE DE JEAN, en phonétique (1895) ; l'ÉPITRE AUX PHILIPPIENS, en phonétique (1896) ; LUC ET LES ACTES publiés ensemble en phonétique (1894), puis en orthographe usuelle (1903), sous ce titre : Les Origines du cristianisme, d'après des documents autentiques et des souvenirs personels, par un contemporain, Luc, médecin du premier siècle, traduit du grec et accompagné de notes explicatives. Le but du traducteur a été de mettre « la Parole de Dieu à la portée du peuple de nos campagnes en employant, au lieu du français d'il y a trois siècles, celui que nous parlons aujourd'hui ». Il vise à rendre tout ce qu'il y a de naïf, de populaire, de primesautier, dans le texte. Ainsi : Et un des malfaiteurs pendus en croix l'insultait : « Est-ce que ce n'est pas toi le Messie ? » (Luc 23, 39). — Si je veux qu'il reste jusqu'à ce que je vienne, qu'est-ce que ça te fait ? (Jean 21, 22). — Mais en filant sous le vent … on a dessendu les agrès, et comme ça on s'est laissé emporter (Actes 28, 16, 17».
La SULAMMITE, (le Cantique des Cantiques) par Charles Bruston (Paris, 1894), avec commentaire (*).
(*) Mentionnons le Sublime Cantique (Cantique des cantiques), drame sacré exposé selon la plus récente exégèse et mis en vers français, par Eug. RÉVEILLAUD (Paris, Fischbacher, 1895).
AGGÉE, par T. André (Paris, 1895), avec commentaire.
LES HUIT PREMIERS CHAPITRES DE LA LETTRE DE PAUL AUX ROMAINS, avec commentaire, par F. H. Krüger (Bridel, 1899).
Les TRADUCTIONS PARTIELLES de Frédéric Godet, dans ses commentaires, traductions de l'Évangile selon saint Luc, de l'Évangile selon saint Jean, de l'épître aux Romains et de la première épître aux Corinthiens (*).
(*) Les traductions de Frédéric Godet ont été réunies, sauf celle de l'épître aux Romains, dans l'excellente et très utile paraphrase de trois livres du Nouveau Testament conformément aux conclusions de Frédéric Godet, par ERNEST MONOD.
M. le pasteur DECOPPET a fait paraître en 1903 un Nouveau Testament avec notes explicatives, des préfaces, et une Introduction générale, dont il a établi le texte « sans s'astreindre, dit-il, à aucune version française ». « Je me suis servi, ajoute-t-il, pour les Évangiles et les Épîtres de saint Paul, de celle d'Ostervald, admirablement révisée par la commission synodale, et de celle d'Oltramare pour les autres épîtres. J'ai mis souvent aussi à contribution la belle traduction de M. le doyen Stapfer, bien que je la trouve d'un style un peu trop moderne ».
Ainsi, au dix-neuvième siècle, il a paru en français, si toutefois rien ne nous a échappé, 24 traductions protestantes originales des Écritures, soit 4 Bibles (Lausanne, Segond, Reuss, Darby), 2 Anciens Testaments (Perret-Gentil, Bible annotée), 6 Nouveaux Testaments (Munier, Rilliet, Arnaud, Oltramare, Bonnet, Stapfer), et 12 versions fragmentaires (*1) (L. Bridel, Vivien, Coquerel (*2), Bruston, Walther, le Savoureux, Félix Bovet, Montet, P. Passy, André, P. Krüger, Fréd. Godet).
(*1) Nous comptons comme une version fragmentaire les divers fragments traduits par un même auteur.
(*2) Pour plus de brièveté, nous désignons cette version par le nom de M. Coquerel, secrétaire du comité de traduction.
12 sont dues à des Suisses : 2 Bibles entières (Lausanne, Segond), 2 Anciens Testaments (Perret-Gentil, Bible annotée), 4 Nouveaux Testaments (Munier, Rilliet, Oltramare, Bonnet), et des fragments (L. Bridel, Walther, Félix Bovet, Fréd. Godet).
11 sont dues à des Français : 1 Bible entière (Reuss), 2 Nouveaux Testaments (Arnaud, Stapfer), et des fragments (Vivien, Coquerel, Bruston, le Savoureux, Montet, Passy, André, P. Krüger).
Une est due à un Anglais : la Bible de Darby.
On voit que les Suisses ont fait plus de la moitié du travail biblique original accompli au siècle dernier.
Re: HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE
15 - Chapitre 12 — Le Psautier Huguenot
Le psautier a joué un trop grand rôle dans l'histoire des Églises réformées pour que nous ne retracions pas, au moins brièvement, ses destinées.
Clément Marot, né à Cahors en 1497, valet de chambre de François 1er, gagné à la Réforme à Blois en 1525, dut quitter la France pour échapper à la persécution, y rentra en 1537 sur l'autorisation du roi, mais au prix d'une rétractation, et y devint le poète de la cour.
Il suivit au collège royal les leçons du savant Vatable, qui y expliquait le texte hébreu de l'Ancien Testament. « De tous les livres de la Bible, c'est celui des psaumes que Vatable paraît avoir étudié avec le plus de prédilection, et ce fut lui, dit Florimond de Roemond, qui engagea Marot à les mettre en vers. Il les lui expliqua lui-même mot à mot, lui faisant comme toucher au doigt la beauté et l'énergie des expressions originales, et l'initiant à cette grande poésie, qui, depuis tant de siècles, selon la belle expression de M. Villemain, « a défrayé de sublime l'imagination des hommes » (*). Marot avait eu l'idée et commencé l'exécution d'une traduction des psaumes dès 1533, ce qui n'exclut pas l'intervention de Vatable, soit pour lui conseiller de reprendre son travail, soit pour lui faire comprendre les beautés de l'original.
(*) Félix Bovet, Histoire du psautier des Églises réformées, p. 5.
Marot traduisit trente psaumes (*1), les dédia, manuscrits, à François 1er, en 1540 (*2), l'année du passage de Charles-Quint en France. Sur l'ordre de François 1er, il présenta sa traduction à ce monarque, et celui-ci, dit un contemporain (*3),
…reçut bénignement ladite translation, la prisa et par parole et par présent de 200 doublons qu'il donna audit Marot, lui donnant aussi courage de traduire le reste des dits psaumes et le priant de lui envoyer le plus tôt qu'il pourrait Confitemini Domino quoniam bonus (*4), d'autant qu'il l'aimait. Que voyant et entendant, les musiciens de ces deux princes, voire tous ceux de notre France, mirent à qui mieux mieux les dits psaumes en musique, et chacun les chantait.
(*1) C'étaient les psaumes 1-15, 19, 22, 24, 32, 37, 38, 51, 103, 104, 113-115, 130, 137, 143.
(*2) Douze psaumes de Marot avaient paru à Strasbourg, en 1539, dans un recueil publié par Calvin en vue du culte public. Ces psaumes circulaient donc parmi les réformés à l'état de manuscrit, même avant leur publication par l'auteur. Cet usage et cette publication « avant la lettre » montrent quel écho ces psaumes trouvaient dans le coeur des réformés.
(*3) Villemadon, un des intimes de Marguerite de Navarre, dans une lettre de 1559 à Catherine de Médicis.
(*4) Le psaume 118, d'après M. Félix Bovet.
« Il est curieux, dit M. Félix Bovet (*), de voir en cette occasion les deux puissants rivaux qui se partageaient alors le monde, les deux redoutables ennemis de la Réformation, servir ensemble de parrains au futur bréviaire de l'Église réformée ».
(*) Op. cit., p. 6.
Ces psaumes parurent, imprimés, en 1541, en deux éditions, à Paris, avec « la certification de trois docteurs en théologie », de la Sorbonne, et à Anvers « reconnus et corrigés » par un carme. La Sorbonne se ravisa : elle s'aperçut sans doute que Marot ne s'était pas assujetti à la Vulgate. En 1542, le Parlement de Paris décréta Marot de prise de corps, et celui-ci se réfugia à Genève. François 1er lui fit savoir sous main qu'il le verrait avec plaisir continuer son oeuvre (*1). Marot traduisit dix-neuf nouveaux psaumes (*2), qui furent publiés avec les trente premiers, précédés d'une préface de Calvin, en 1543. Marot ne s'entendit pas longtemps avec Calvin, quitta Genève, et mourut, dit-on, à Turin en 1544.
(*1) François 1er, continuait à faire grand cas des psaumes, et, sur son lit de mort, se les fit apporter au dire de Jean de Serres, et s'en fit lire quelques-uns pour sa consolation. Henri II, encore dauphin, les chantait et les faisait chanter par ses musiciens. Diane de Poitiers avait le choisi le 131. Catherine de Médicis, qui gémissait de n'avoir pas d'enfants, donnait sa préférence au psaume 6 et au 142, qui expriment la tristesse et la plainte (Mat. LELIÈVRE, Portraits et Récits huguenots, p. 336).
(*2) Les psaumes 18, 23, 25, 33, 36, 43, 45, 46, 50, 72, 79, 86, 91, 101, 107, 110, 118, 128, 138. Marot comptait comme vingtième psaume le Cantique de Siméon. De là vient qu'on parle toujours des cinquante psaumes de Marot.
Marot eut bientôt un successeur.
Comme Calvin allait un jour voir Théodore de Bèze et ne le trouvait pas chez lui, il aperçut un brouillon sur sa table à écrire. C'étaient des vers français, une traduction du psaume XVI : Sois-moi, Seigneur, ma garde et mon appui. Il emporta cette feuille, à l'insu de l'auteur, et la fit lire à ses collègues. Les vers de Bèze leur plurent tellement qu'ils engagèrent celui-ci à ne pas tarder de traduire les autres psaumes (*).
(*) Félix BOVET, Histoire du Psautier, p. 25.
Théodore de Bèze publia trente-quatre psaumes en 1551. En 1562, son travail était achevé, et le premier psautier complet parut cette même année à Lyon, avec un privilège de Charles IX, accordé peu de jours après le colloque de Poissy. À ce moment, la cour avait intérêt à ménager les huguenots.
Le succès du psautier complet fut prodigieux. Vingt-cinq éditions connues parurent cette même année (1562), neuf à Genève, sept à Paris, trois à Lyon, une à Saint-Lô, et cinq sans indication de lieu d'origine. Il y eut quatorze éditions en 1563, dix en 1564, treize en 1565, donc soixante-deux éditions en quatre ans, sans compter celles que l'on ne connaît pas (*).
(*) Matthieu LELIÈVRE, Le Psautier huguenot et son histoire (Portraits et Récits huguenots, p. 345). DOUEN, Clément Marot, I, 562.
Le psautier huguenot n'eut pas une moindre fortune à l'étranger. Les psaumes de Marot et de Théodore de Bèze ont été retraduits du français en dix-sept langues : en allemand, 1573; en quatre idiomes des Grisons (romanche, 1683, dialecte de la Haute-Engadine, 1661, dialecte de la Basse-Engadine, 1666, tous deux nommés ladin, — dialecte des vallées italiennes de Poschiavo et de la Bregaglia, 1573) ; en danois, 1596; en vers latins, 1596; en hollandais, 1566 (en deux siècles, on vit paraître trente psautiers composés en hollandais sur le rythme des psaumes français) ; en italien, 1603 ; en gascon, 1565; en béarnais, 1583 ; en espagnol, 1606; en bohème, en turc (la traduction sur le français est probable) ; en hongrois, 1624; en anglais, 1596 ; et, chose curieuse, quelques-uns des psaumes de Marot ont été traduits du français en hébreu, 1623. « L'évolution était complète, dit M. Félix Bovet. La langue sainte elle-même avait dû se plier à la mesure des vers français, la harpe de David avait fini par être accordée sur le flageolet de Clément Marot » (*).
(*) Félix BOVET, op. Cit., p. 110.
Au point de vue de la traduction, voici comment M. Félix Bovet, un hébraïsant qui s'y connaissait, apprécie le psautier de Marot et de Théodore de Bèze
« Un incontestable mérite de notre psautier, tant sous sa forme primitive que sous sa forme actuelle, c'est la fidélité de la traduction. Peut-être est-il tel passage dont Marot et Bèze ne possédaient pas le sens aussi bien que peuvent le faire d'habiles hébraïsants de notre siècle ; mais leur travail est pleinement à la hauteur des connaissances de leur temps. Jamais surtout les exigences de la versification ne les ont entraînés à modifier le sens du texte ou à le développer outre mesure. On peut, comme on l'a fait jadis dans un grand nombre d'éditions, placer une traduction en prose en marge de leur traduction en vers, sans que l'une soit la condamnation de l'autre. Tout en ne négligeant aucune des pensées du texte, et sans affecter une concision contraire au génie de la poésie lyrique, ils ont su toujours éviter la paraphrase, et à ce point de vue leur oeuvre peut être considérée comme un vrai modèle de ce que doit être une traduction » (*).
(*) Histoire du Psautier, p. 46.
Au point de vue littéraire, l'oeuvre de Marot et de Théodore de Bèze a été jugée sévèrement. « Ils ne sont bons, a écrit Laharpe, qu'à être chantés dans les églises protestantes ». « Ce jugement hostile et dédaigneux, dit M. Félix Bovet, qu'il ne tiendrait qu'à nous néanmoins de considérer comme une éloge, a été répété par la plupart des critiques (*1), et il peut paraître téméraire d'en appeler ». M. Félix Bovet lui-même est moins sévère. Il regrette certaines trivialités, il reconnaît que c'est dans les passages mélancoliques, tendres et gracieux (*2), que Marot et même Théodore de Bèze sont le plus heureusement inspirés, « mais il n'y a pas à aller bien loin, ajoute-t-il, pour trouver dans Marot la vigueur du ton et l'élévation du style » (*3).
(*1) Il serait vain, dit M. Lelièvre, de vouloir contester le verdict qui relègue cette oeuvre parmi les moins réussies de Marot. Cette insuffisance tient à deux causes. L'une est l'époque même où il composa son oeuvre. Le seizième siècle, qui a excellé dans la poésie badine, a complètement échoué dans la poésie lyrique ou épique ; les cordes graves manquaient à sa lyre, et la langue elle-même se refusait à la grande poésie. L'autre raison tient à l'individualité intellectuelle et morale de Marot, à qui faisaient défaut à la fois l'intensité de vie religieuse qui lui eût permis de sympathiser pleinement avec la pensée du psalmiste, et le genre lyrique nécessaire pour la traduire (Portraits et Récits huguenots, p. 343).
(*2) Dessus et près de ces ruisseaux courans
Les oiselets du ciel sont demeurans,
Qui du milieu des feuilles et des branches
Font résonner leurs voix nettes et franches (Ps. 104).
(*3) Pourquoi font bruit et s'assemblent les gens ?
Quelle folie à murmurer les mène ?
Pourquoi sont tant les peuples diligens
À mettre sus une entreprise vaine ?
Bandés se sont les grands rois de la terre,
Et les primats ont bien tant présumé
De conspirer et vouloir faire guerre
Tous contre Dieu et son roi bien-aimé (Ps. 2).
Les psaumes de Théodore de Bèze sont inférieurs à ceux de Marot. On a relevé chez lui de la contrainte, de la rudesse, des négligences de langage, des chevilles. « La tournure même de son esprit, critique et satirique, dit M. Lelièvre à sa décharge, s'opposait à ce qu'il comprit et rendit le mysticisme élevé du roi prophète. S'il réussit à mettre de l'énergie et de la vie dans sa traduction, ce fut dans un psaume comme le soixante-huitième, par exemple, où il rencontra un thème en rapport avec son talent ».
C'est de lui aussi, il ne faut pas l'oublier, qu'est le plus beau de tous nos psaumes, le seul peut-être qui soit resté vraiment populaire : Comme un cerf altéré brame (*).
(*) Félix BOVET, op. Cit., p. 38. M. Bovet ajoute : On a mis, depuis, ce psaume en langue moderne, mais tout le mouvement lyrique est de Théodore de Bèze, et même il y a dans ses vers une sorte d'harmonie imitative que le nouveau traducteur n'a pas su conserver et qui peint à merveille le brâmement du cerf altéré :
Ainsi qu'on oit le cerf bruire
Pourchassant le frais des eaux,
Ainsi mon coeur qui soupire,
Seigneur, après tes ruisseaux,
Va toujours criant, suivant,
Le grand, le grand Dieu vivant.
Hélas ! donques quand sera-ce
Que verrai de Dieu la face ?
Et à la fin du second verset
Je fons en me souvenant,
Qu'en troupe j'allais menant,
Priant, chantant, grosse bande
Faire au temple son offrande.
Le psautier réformé se trouva de bonne heure vieilli, à cause des changements de la langue. Il fut révisé prématurément, en 1646, par Diodati, à Genève, et, plus tard, par Conrart, dans le salon duquel naquit l'Académie française et qui fut dès l'origine le secrétaire perpétuel de ce corps.
Voici quelle fut, d'après Ancillon (*), l'origine de cette révision « Tout le monde sait que M. Conrart était extrêmement incommodé de la goutte ; elle l'obligeait très souvent à garder la chambre. Un jour de communion, ne pouvant aller à Charenton pour faire ses dévotions, il resta à Paris. Aux heures à peu près qu'il savait que l'on communiait il se fit porter les chapitres de la Sainte Écriture que l'on lit ordinairement aux jours de cène, il chanta quelques-uns des psaumes qui se chantent avant et après la communion. Son cabinet étoit sur la rue et il chantait assez haut, de sorte qu'un académicien catholique romain de ses amis, passant sous ses fenêtres, crut entendre la voix de M. Conrart. Il s'arrêta, et, l'ayant reconnue, il entendit qu'il chantait le premier verset du psaume trente-huitième : Las ! en ta fureur aiguë, ne m'arguë de mon fait, Dieu tout puissant, etc. Surpris d'entendre ce vieux langage dans la bouche de M. Conrart, il monta dans son cabinet et, après y être entré : « Quoi ! dit-il d'un ton railleur, M. Conrart, ce beau génie, l'oracle de l'Académie françoise, cet homme qui parle et qui écrit avec tant de politesse se sert de ce jargon : Las ! en ta fureur aiguë, ne m'arguë ! » M. Conrart le laissa dire et rire, et après l'avoir écouté fort tranquillement, il lui répondit plus sérieusement encore : « Monsieur, c'est aujourd'hui pour moi un jour de dévotion, je chante les paroles d'un homme qui, se sentant accablé de maux sensibles aussi bien que du poids de ses péchés, tâche de s'en soulager. Il ne cherche pour cela ni les belles pensées, ni les paroles étudiées ». Il lui dit encore d'autres choses qui le contentèrent. Mais après que cet académicien fut sorti de son cabinet, il fit quelques réflexions sur cette aventure et, pensant à ce que cet ami lui avait dit, il crut qu'on pourrait bien, sans altérer le sens des paroles du psalmiste, parler mieux et faire meilleurs vers françois. Sur le champ il essaya de retoucher le psaume 38 qu'il corrigea tout entier. Il le montra à MM. les ministres de Paris et leur dit qu'il ne seroit pas malaisé de retoucher de même tous les psaumes. Ils trouvèrent sa correction belle et juste, ils entrèrent dans sa pensée et le prièrent de travailler à cet ouvrage. Voilà l'origine de la révision de nos psaumes ».
(*) Dans ses Mémoires concernant la vie et les ouvrages de plusieurs modernes, p. 100. Ancillon, fils d'un pasteur réfugié, fut historiographe de Frédéric 1er.
Les synodes, ayant eu connaissance du travail entrepris par Conrart, « l'en louèrent par leurs lettres et par les actes de leurs assemblées et l'exhortèrent à exécuter ce travail le plus tôt qu'il le pourrait ».
Les psaumes de Conrart parurent. Il mourut en 1675, avant d'avoir pu y mettre la dernière main, et chargea de ce soin son ami La Bastide. Une première édition partielle parut en 1677, une seconde, complète, en 1679.
« On se plait, dit M. Félix Bovet (*), à retrouver dans plusieurs de ces psaumes le mouvement lyrique et la simplicité naïve de l'oeuvre originale de Marot ; on admire dans d'autres la solennité, la noblesse, l'ampleur de la langue classique du dix-septième siècle.
« Quoi de plus beau dans ce genre que le psaume 103, par exemple :
Bénissons Dieu, mon âme, en toute chose, etc.
« N'y a-t-il pas aussi une grâce et une douceur extrêmes dans des vers tels que ceux-ci :
Dieu fut toujours ma lumière et ma vie ;
Qui peut me nuire ou qu'ai-je à redouter ?
J'ai pour soutien sa puissance infinie,
L'homme mortel peut-il m'épouvanter ?…
Quand je n'aurais pour moi père ni mère,
Abandonné de tout secours humain,
Le Tout-Puissant, en qui mon âme espère,
Pour me sauver me prendrait par la main…
Si je n'eusse eu cette douce espérance,
Qu'un jour en paix, après tant de travaux,
Des biens de Dieu j'aurais la jouissance,
Je succombais sous le poids de mes maux, etc.
(*) Op. cit., p. 169.
La révision de Conrart fut elle-même révisée en 1694 par les pasteurs de Genève. Cette dernière révision, à son tour, fut révisée en Hollande en 1729, et c'est de ce psautier de 1729 qu'on se sert encore dans l'Église wallonne.
M. Félix Bovet donne dans son Histoire du Psautier la nomenclature de trois cents éditions différentes du psautier huguenot en français qui se sont succédé du seizième au dix-neuvième siècle, (non comprises les simples réimpressions), de quatre-vingt-six traductions ou adaptations en d'autres langues, et de cent six traductions totales ou partielles des psaumes en vers français, indépendantes du psautier de Marot et de Théodore de Bèze. En tout, quatre cent quatre-vingt-douze éditions (*).
(*) M. Douen (Clément Marot et le Psautier Huguenot, II, 503) parle de 1400 impressions du psautier en vers. M. le pasteur D. Junod de Neuchâtel nous écrit : « Je pourrais indiquer une bonne quarantaine d’éditions que ne signalent ni F. Bovet ni Douen ».
Il y aurait un volume à écrire sur le rôle des psaumes dans la Réforme. « Les psaumes, dit M. Félix Bovet, devinrent le drapeau, le symbole, et, si l'on peut ainsi dire, le synonyme de la Réforme. Les martyrs gravissaient le bûcher en chantant les psaumes, et les soldats huguenots les entonnaient avant d'engager le combat ».
Voici le témoignage d'un catholique, Godeau, évêque de Grasse, dans la préface de sa propre traduction des psaumes (1649) :
« Ceux dont nous déplorons la séparation de l'Église ont rendu la version dont ils se servent célèbre par les airs agréables que de doctes musiciens y mirent lorsqu'ils furent composés. Les savoir par coeur est parmi eux comme une marque de leur communion, et, à notre grande honte, aux villes où ils sont en plus grand nombre, on les entend retentir dans la bouche des artisans et à la campagne dans celle des laboureurs, tandis que les catholiques, ou sont muets, ou chantent des chansons déshonnêtes ».
On peut juger par les traits suivants, que nous choisissons au milieu d'une multitude d'autres, de ce que les psaumes étaient pour les huguenots, et on peut ajouter : de ce que les huguenots étaient pour leurs psaumes.
« Nous volions, dit Durand Fage, l'un des prophètes cévenols, quand nous entendions le chant de ces divins cantiques ; nous sentions au dedans de nous une ardeur qui nous animait, un désir qui nous transportait ; cela ne se peut exprimer. Quelque grande que fût parfois notre lassitude, nous n'y pensions plus dès que le chant des psaumes frappait nos oreilles : nous devenions légers. C'est une de ces choses qu'il faut avoir éprouvées pour les connaitre » (*).
(*) Théâtre sacré des Cévennes.
Plus de vingt-cinq ans après la Révocation de l'Édit de Nantes, la belle-soeur de Louis XIV, Madame, duchesse d'Orléans (princesse palatine qui, née réformée, avait dû faire profession de catholicisme pour épouser le frère du roi de France), écrivait à sa soeur … « Je chante souvent les psaumes et je les trouve fort consolants. Il faut que je vous raconte ce qui m'est arrivé à cet égard, il y a plus de vingt-cinq ans. Je ne savais pas que M. Rousseau, qui a peint l'orangerie, était un réformé : il était à travailler sur un échafaudage, et moi, me croyant toute seule dans la galerie, je me mis à chanter le sixième psaume (Ne veuille pas, ô Sire, me reprendre en ton ire). J'avais à peine achevé le premier verset, que je vois quelqu'un descendre en toute hâte de l'échafaudage et tomber à mes pieds. C'était Rousseau. Je crus qu'il était devenu fou. « Bon Dieu ! lui dis-je, qu'avez-vous, Rousseau ? » Il me répondit : « Est-il possible, Madame, que vous vous souveniez encore de nos psaumes et que vous les chantiez ! Que le bon Dieu vous bénisse et vous maintienne dans ces bons sentiments. Il avait les larmes aux yeux ».
M. Félix Bovet, qui relate ce fait, ajoute : « Ainsi, pour les protestants de France, peuple proscrit et sans patrie depuis la destruction de ses temples, les psaumes étaient alors ce qu'ils avaient été au bord des fleuves de Babylone pour les captifs de Juda ».
À Verteuil, dans l'Angoumois, où le temple était voisin de l'église, le clergé en obtint la démolition, attendu que le service de la messe se trouvait troublé « par le bruit et par la multitude des voix discordantes qui chantaient les rimes de Marot (*).
(*) Félix BOVET, op. Cit., p. 133.
Dans une autre petite ville, raconte Jean Rou (*), le bailli, sollicité par un curé séditieux, envoya faire défense à un serrurier de la religion, qui demeurait vis-à-vis de l'église, de plus chanter des psaumes dans sa boutique ; le service de la messe, au sentiment du bon prêtre, était troublé tous les matins par ce chant importun, et il ne l'était pas par les perpétuels coups de marteau du cyclope et par le retentissement aigu de sa lime. Comme le serrurier ne se pressa pas d'obéir aux premiers ordres, on réitéra la défense, qui lui fut même signifiée par un sergent dans toutes les formes de la justice, et parce qu'il fallait que le sergent écrivit sur son exploit la réponse de l'assigné, le pauvre homme représenta qu'il n'avait rien à répondre. — Mais il faut bien que je mette quelque chose. — Ha ! bien, dit le serrurier, mettez donc
Jamais ne cesserai
De magnifier le Seigneur ;
En ma bouche aurai son honneur
Tant que vivant serai ».
(*) Félix BOVET, op. Cit., p. 133.
Baulacre, qui rapporte la même anecdote, ajoute que le bailli, qui trouvait son curé trop vétilleux, s'écria en lisant cette singulière réponse : « Ah ! parbleu, qu'on le laisse magnifier le Seigneur, tant qu'il voudra ! Pour moi, je ne veux plus m'en mêler ».
Le psautier a joué un trop grand rôle dans l'histoire des Églises réformées pour que nous ne retracions pas, au moins brièvement, ses destinées.
Clément Marot, né à Cahors en 1497, valet de chambre de François 1er, gagné à la Réforme à Blois en 1525, dut quitter la France pour échapper à la persécution, y rentra en 1537 sur l'autorisation du roi, mais au prix d'une rétractation, et y devint le poète de la cour.
Il suivit au collège royal les leçons du savant Vatable, qui y expliquait le texte hébreu de l'Ancien Testament. « De tous les livres de la Bible, c'est celui des psaumes que Vatable paraît avoir étudié avec le plus de prédilection, et ce fut lui, dit Florimond de Roemond, qui engagea Marot à les mettre en vers. Il les lui expliqua lui-même mot à mot, lui faisant comme toucher au doigt la beauté et l'énergie des expressions originales, et l'initiant à cette grande poésie, qui, depuis tant de siècles, selon la belle expression de M. Villemain, « a défrayé de sublime l'imagination des hommes » (*). Marot avait eu l'idée et commencé l'exécution d'une traduction des psaumes dès 1533, ce qui n'exclut pas l'intervention de Vatable, soit pour lui conseiller de reprendre son travail, soit pour lui faire comprendre les beautés de l'original.
(*) Félix Bovet, Histoire du psautier des Églises réformées, p. 5.
Marot traduisit trente psaumes (*1), les dédia, manuscrits, à François 1er, en 1540 (*2), l'année du passage de Charles-Quint en France. Sur l'ordre de François 1er, il présenta sa traduction à ce monarque, et celui-ci, dit un contemporain (*3),
…reçut bénignement ladite translation, la prisa et par parole et par présent de 200 doublons qu'il donna audit Marot, lui donnant aussi courage de traduire le reste des dits psaumes et le priant de lui envoyer le plus tôt qu'il pourrait Confitemini Domino quoniam bonus (*4), d'autant qu'il l'aimait. Que voyant et entendant, les musiciens de ces deux princes, voire tous ceux de notre France, mirent à qui mieux mieux les dits psaumes en musique, et chacun les chantait.
(*1) C'étaient les psaumes 1-15, 19, 22, 24, 32, 37, 38, 51, 103, 104, 113-115, 130, 137, 143.
(*2) Douze psaumes de Marot avaient paru à Strasbourg, en 1539, dans un recueil publié par Calvin en vue du culte public. Ces psaumes circulaient donc parmi les réformés à l'état de manuscrit, même avant leur publication par l'auteur. Cet usage et cette publication « avant la lettre » montrent quel écho ces psaumes trouvaient dans le coeur des réformés.
(*3) Villemadon, un des intimes de Marguerite de Navarre, dans une lettre de 1559 à Catherine de Médicis.
(*4) Le psaume 118, d'après M. Félix Bovet.
« Il est curieux, dit M. Félix Bovet (*), de voir en cette occasion les deux puissants rivaux qui se partageaient alors le monde, les deux redoutables ennemis de la Réformation, servir ensemble de parrains au futur bréviaire de l'Église réformée ».
(*) Op. cit., p. 6.
Ces psaumes parurent, imprimés, en 1541, en deux éditions, à Paris, avec « la certification de trois docteurs en théologie », de la Sorbonne, et à Anvers « reconnus et corrigés » par un carme. La Sorbonne se ravisa : elle s'aperçut sans doute que Marot ne s'était pas assujetti à la Vulgate. En 1542, le Parlement de Paris décréta Marot de prise de corps, et celui-ci se réfugia à Genève. François 1er lui fit savoir sous main qu'il le verrait avec plaisir continuer son oeuvre (*1). Marot traduisit dix-neuf nouveaux psaumes (*2), qui furent publiés avec les trente premiers, précédés d'une préface de Calvin, en 1543. Marot ne s'entendit pas longtemps avec Calvin, quitta Genève, et mourut, dit-on, à Turin en 1544.
(*1) François 1er, continuait à faire grand cas des psaumes, et, sur son lit de mort, se les fit apporter au dire de Jean de Serres, et s'en fit lire quelques-uns pour sa consolation. Henri II, encore dauphin, les chantait et les faisait chanter par ses musiciens. Diane de Poitiers avait le choisi le 131. Catherine de Médicis, qui gémissait de n'avoir pas d'enfants, donnait sa préférence au psaume 6 et au 142, qui expriment la tristesse et la plainte (Mat. LELIÈVRE, Portraits et Récits huguenots, p. 336).
(*2) Les psaumes 18, 23, 25, 33, 36, 43, 45, 46, 50, 72, 79, 86, 91, 101, 107, 110, 118, 128, 138. Marot comptait comme vingtième psaume le Cantique de Siméon. De là vient qu'on parle toujours des cinquante psaumes de Marot.
Marot eut bientôt un successeur.
Comme Calvin allait un jour voir Théodore de Bèze et ne le trouvait pas chez lui, il aperçut un brouillon sur sa table à écrire. C'étaient des vers français, une traduction du psaume XVI : Sois-moi, Seigneur, ma garde et mon appui. Il emporta cette feuille, à l'insu de l'auteur, et la fit lire à ses collègues. Les vers de Bèze leur plurent tellement qu'ils engagèrent celui-ci à ne pas tarder de traduire les autres psaumes (*).
(*) Félix BOVET, Histoire du Psautier, p. 25.
Théodore de Bèze publia trente-quatre psaumes en 1551. En 1562, son travail était achevé, et le premier psautier complet parut cette même année à Lyon, avec un privilège de Charles IX, accordé peu de jours après le colloque de Poissy. À ce moment, la cour avait intérêt à ménager les huguenots.
Le succès du psautier complet fut prodigieux. Vingt-cinq éditions connues parurent cette même année (1562), neuf à Genève, sept à Paris, trois à Lyon, une à Saint-Lô, et cinq sans indication de lieu d'origine. Il y eut quatorze éditions en 1563, dix en 1564, treize en 1565, donc soixante-deux éditions en quatre ans, sans compter celles que l'on ne connaît pas (*).
(*) Matthieu LELIÈVRE, Le Psautier huguenot et son histoire (Portraits et Récits huguenots, p. 345). DOUEN, Clément Marot, I, 562.
Le psautier huguenot n'eut pas une moindre fortune à l'étranger. Les psaumes de Marot et de Théodore de Bèze ont été retraduits du français en dix-sept langues : en allemand, 1573; en quatre idiomes des Grisons (romanche, 1683, dialecte de la Haute-Engadine, 1661, dialecte de la Basse-Engadine, 1666, tous deux nommés ladin, — dialecte des vallées italiennes de Poschiavo et de la Bregaglia, 1573) ; en danois, 1596; en vers latins, 1596; en hollandais, 1566 (en deux siècles, on vit paraître trente psautiers composés en hollandais sur le rythme des psaumes français) ; en italien, 1603 ; en gascon, 1565; en béarnais, 1583 ; en espagnol, 1606; en bohème, en turc (la traduction sur le français est probable) ; en hongrois, 1624; en anglais, 1596 ; et, chose curieuse, quelques-uns des psaumes de Marot ont été traduits du français en hébreu, 1623. « L'évolution était complète, dit M. Félix Bovet. La langue sainte elle-même avait dû se plier à la mesure des vers français, la harpe de David avait fini par être accordée sur le flageolet de Clément Marot » (*).
(*) Félix BOVET, op. Cit., p. 110.
Au point de vue de la traduction, voici comment M. Félix Bovet, un hébraïsant qui s'y connaissait, apprécie le psautier de Marot et de Théodore de Bèze
« Un incontestable mérite de notre psautier, tant sous sa forme primitive que sous sa forme actuelle, c'est la fidélité de la traduction. Peut-être est-il tel passage dont Marot et Bèze ne possédaient pas le sens aussi bien que peuvent le faire d'habiles hébraïsants de notre siècle ; mais leur travail est pleinement à la hauteur des connaissances de leur temps. Jamais surtout les exigences de la versification ne les ont entraînés à modifier le sens du texte ou à le développer outre mesure. On peut, comme on l'a fait jadis dans un grand nombre d'éditions, placer une traduction en prose en marge de leur traduction en vers, sans que l'une soit la condamnation de l'autre. Tout en ne négligeant aucune des pensées du texte, et sans affecter une concision contraire au génie de la poésie lyrique, ils ont su toujours éviter la paraphrase, et à ce point de vue leur oeuvre peut être considérée comme un vrai modèle de ce que doit être une traduction » (*).
(*) Histoire du Psautier, p. 46.
Au point de vue littéraire, l'oeuvre de Marot et de Théodore de Bèze a été jugée sévèrement. « Ils ne sont bons, a écrit Laharpe, qu'à être chantés dans les églises protestantes ». « Ce jugement hostile et dédaigneux, dit M. Félix Bovet, qu'il ne tiendrait qu'à nous néanmoins de considérer comme une éloge, a été répété par la plupart des critiques (*1), et il peut paraître téméraire d'en appeler ». M. Félix Bovet lui-même est moins sévère. Il regrette certaines trivialités, il reconnaît que c'est dans les passages mélancoliques, tendres et gracieux (*2), que Marot et même Théodore de Bèze sont le plus heureusement inspirés, « mais il n'y a pas à aller bien loin, ajoute-t-il, pour trouver dans Marot la vigueur du ton et l'élévation du style » (*3).
(*1) Il serait vain, dit M. Lelièvre, de vouloir contester le verdict qui relègue cette oeuvre parmi les moins réussies de Marot. Cette insuffisance tient à deux causes. L'une est l'époque même où il composa son oeuvre. Le seizième siècle, qui a excellé dans la poésie badine, a complètement échoué dans la poésie lyrique ou épique ; les cordes graves manquaient à sa lyre, et la langue elle-même se refusait à la grande poésie. L'autre raison tient à l'individualité intellectuelle et morale de Marot, à qui faisaient défaut à la fois l'intensité de vie religieuse qui lui eût permis de sympathiser pleinement avec la pensée du psalmiste, et le genre lyrique nécessaire pour la traduire (Portraits et Récits huguenots, p. 343).
(*2) Dessus et près de ces ruisseaux courans
Les oiselets du ciel sont demeurans,
Qui du milieu des feuilles et des branches
Font résonner leurs voix nettes et franches (Ps. 104).
(*3) Pourquoi font bruit et s'assemblent les gens ?
Quelle folie à murmurer les mène ?
Pourquoi sont tant les peuples diligens
À mettre sus une entreprise vaine ?
Bandés se sont les grands rois de la terre,
Et les primats ont bien tant présumé
De conspirer et vouloir faire guerre
Tous contre Dieu et son roi bien-aimé (Ps. 2).
Les psaumes de Théodore de Bèze sont inférieurs à ceux de Marot. On a relevé chez lui de la contrainte, de la rudesse, des négligences de langage, des chevilles. « La tournure même de son esprit, critique et satirique, dit M. Lelièvre à sa décharge, s'opposait à ce qu'il comprit et rendit le mysticisme élevé du roi prophète. S'il réussit à mettre de l'énergie et de la vie dans sa traduction, ce fut dans un psaume comme le soixante-huitième, par exemple, où il rencontra un thème en rapport avec son talent ».
C'est de lui aussi, il ne faut pas l'oublier, qu'est le plus beau de tous nos psaumes, le seul peut-être qui soit resté vraiment populaire : Comme un cerf altéré brame (*).
(*) Félix BOVET, op. Cit., p. 38. M. Bovet ajoute : On a mis, depuis, ce psaume en langue moderne, mais tout le mouvement lyrique est de Théodore de Bèze, et même il y a dans ses vers une sorte d'harmonie imitative que le nouveau traducteur n'a pas su conserver et qui peint à merveille le brâmement du cerf altéré :
Ainsi qu'on oit le cerf bruire
Pourchassant le frais des eaux,
Ainsi mon coeur qui soupire,
Seigneur, après tes ruisseaux,
Va toujours criant, suivant,
Le grand, le grand Dieu vivant.
Hélas ! donques quand sera-ce
Que verrai de Dieu la face ?
Et à la fin du second verset
Je fons en me souvenant,
Qu'en troupe j'allais menant,
Priant, chantant, grosse bande
Faire au temple son offrande.
Le psautier réformé se trouva de bonne heure vieilli, à cause des changements de la langue. Il fut révisé prématurément, en 1646, par Diodati, à Genève, et, plus tard, par Conrart, dans le salon duquel naquit l'Académie française et qui fut dès l'origine le secrétaire perpétuel de ce corps.
Voici quelle fut, d'après Ancillon (*), l'origine de cette révision « Tout le monde sait que M. Conrart était extrêmement incommodé de la goutte ; elle l'obligeait très souvent à garder la chambre. Un jour de communion, ne pouvant aller à Charenton pour faire ses dévotions, il resta à Paris. Aux heures à peu près qu'il savait que l'on communiait il se fit porter les chapitres de la Sainte Écriture que l'on lit ordinairement aux jours de cène, il chanta quelques-uns des psaumes qui se chantent avant et après la communion. Son cabinet étoit sur la rue et il chantait assez haut, de sorte qu'un académicien catholique romain de ses amis, passant sous ses fenêtres, crut entendre la voix de M. Conrart. Il s'arrêta, et, l'ayant reconnue, il entendit qu'il chantait le premier verset du psaume trente-huitième : Las ! en ta fureur aiguë, ne m'arguë de mon fait, Dieu tout puissant, etc. Surpris d'entendre ce vieux langage dans la bouche de M. Conrart, il monta dans son cabinet et, après y être entré : « Quoi ! dit-il d'un ton railleur, M. Conrart, ce beau génie, l'oracle de l'Académie françoise, cet homme qui parle et qui écrit avec tant de politesse se sert de ce jargon : Las ! en ta fureur aiguë, ne m'arguë ! » M. Conrart le laissa dire et rire, et après l'avoir écouté fort tranquillement, il lui répondit plus sérieusement encore : « Monsieur, c'est aujourd'hui pour moi un jour de dévotion, je chante les paroles d'un homme qui, se sentant accablé de maux sensibles aussi bien que du poids de ses péchés, tâche de s'en soulager. Il ne cherche pour cela ni les belles pensées, ni les paroles étudiées ». Il lui dit encore d'autres choses qui le contentèrent. Mais après que cet académicien fut sorti de son cabinet, il fit quelques réflexions sur cette aventure et, pensant à ce que cet ami lui avait dit, il crut qu'on pourrait bien, sans altérer le sens des paroles du psalmiste, parler mieux et faire meilleurs vers françois. Sur le champ il essaya de retoucher le psaume 38 qu'il corrigea tout entier. Il le montra à MM. les ministres de Paris et leur dit qu'il ne seroit pas malaisé de retoucher de même tous les psaumes. Ils trouvèrent sa correction belle et juste, ils entrèrent dans sa pensée et le prièrent de travailler à cet ouvrage. Voilà l'origine de la révision de nos psaumes ».
(*) Dans ses Mémoires concernant la vie et les ouvrages de plusieurs modernes, p. 100. Ancillon, fils d'un pasteur réfugié, fut historiographe de Frédéric 1er.
Les synodes, ayant eu connaissance du travail entrepris par Conrart, « l'en louèrent par leurs lettres et par les actes de leurs assemblées et l'exhortèrent à exécuter ce travail le plus tôt qu'il le pourrait ».
Les psaumes de Conrart parurent. Il mourut en 1675, avant d'avoir pu y mettre la dernière main, et chargea de ce soin son ami La Bastide. Une première édition partielle parut en 1677, une seconde, complète, en 1679.
« On se plait, dit M. Félix Bovet (*), à retrouver dans plusieurs de ces psaumes le mouvement lyrique et la simplicité naïve de l'oeuvre originale de Marot ; on admire dans d'autres la solennité, la noblesse, l'ampleur de la langue classique du dix-septième siècle.
« Quoi de plus beau dans ce genre que le psaume 103, par exemple :
Bénissons Dieu, mon âme, en toute chose, etc.
« N'y a-t-il pas aussi une grâce et une douceur extrêmes dans des vers tels que ceux-ci :
Dieu fut toujours ma lumière et ma vie ;
Qui peut me nuire ou qu'ai-je à redouter ?
J'ai pour soutien sa puissance infinie,
L'homme mortel peut-il m'épouvanter ?…
Quand je n'aurais pour moi père ni mère,
Abandonné de tout secours humain,
Le Tout-Puissant, en qui mon âme espère,
Pour me sauver me prendrait par la main…
Si je n'eusse eu cette douce espérance,
Qu'un jour en paix, après tant de travaux,
Des biens de Dieu j'aurais la jouissance,
Je succombais sous le poids de mes maux, etc.
(*) Op. cit., p. 169.
La révision de Conrart fut elle-même révisée en 1694 par les pasteurs de Genève. Cette dernière révision, à son tour, fut révisée en Hollande en 1729, et c'est de ce psautier de 1729 qu'on se sert encore dans l'Église wallonne.
M. Félix Bovet donne dans son Histoire du Psautier la nomenclature de trois cents éditions différentes du psautier huguenot en français qui se sont succédé du seizième au dix-neuvième siècle, (non comprises les simples réimpressions), de quatre-vingt-six traductions ou adaptations en d'autres langues, et de cent six traductions totales ou partielles des psaumes en vers français, indépendantes du psautier de Marot et de Théodore de Bèze. En tout, quatre cent quatre-vingt-douze éditions (*).
(*) M. Douen (Clément Marot et le Psautier Huguenot, II, 503) parle de 1400 impressions du psautier en vers. M. le pasteur D. Junod de Neuchâtel nous écrit : « Je pourrais indiquer une bonne quarantaine d’éditions que ne signalent ni F. Bovet ni Douen ».
Il y aurait un volume à écrire sur le rôle des psaumes dans la Réforme. « Les psaumes, dit M. Félix Bovet, devinrent le drapeau, le symbole, et, si l'on peut ainsi dire, le synonyme de la Réforme. Les martyrs gravissaient le bûcher en chantant les psaumes, et les soldats huguenots les entonnaient avant d'engager le combat ».
Voici le témoignage d'un catholique, Godeau, évêque de Grasse, dans la préface de sa propre traduction des psaumes (1649) :
« Ceux dont nous déplorons la séparation de l'Église ont rendu la version dont ils se servent célèbre par les airs agréables que de doctes musiciens y mirent lorsqu'ils furent composés. Les savoir par coeur est parmi eux comme une marque de leur communion, et, à notre grande honte, aux villes où ils sont en plus grand nombre, on les entend retentir dans la bouche des artisans et à la campagne dans celle des laboureurs, tandis que les catholiques, ou sont muets, ou chantent des chansons déshonnêtes ».
On peut juger par les traits suivants, que nous choisissons au milieu d'une multitude d'autres, de ce que les psaumes étaient pour les huguenots, et on peut ajouter : de ce que les huguenots étaient pour leurs psaumes.
« Nous volions, dit Durand Fage, l'un des prophètes cévenols, quand nous entendions le chant de ces divins cantiques ; nous sentions au dedans de nous une ardeur qui nous animait, un désir qui nous transportait ; cela ne se peut exprimer. Quelque grande que fût parfois notre lassitude, nous n'y pensions plus dès que le chant des psaumes frappait nos oreilles : nous devenions légers. C'est une de ces choses qu'il faut avoir éprouvées pour les connaitre » (*).
(*) Théâtre sacré des Cévennes.
Plus de vingt-cinq ans après la Révocation de l'Édit de Nantes, la belle-soeur de Louis XIV, Madame, duchesse d'Orléans (princesse palatine qui, née réformée, avait dû faire profession de catholicisme pour épouser le frère du roi de France), écrivait à sa soeur … « Je chante souvent les psaumes et je les trouve fort consolants. Il faut que je vous raconte ce qui m'est arrivé à cet égard, il y a plus de vingt-cinq ans. Je ne savais pas que M. Rousseau, qui a peint l'orangerie, était un réformé : il était à travailler sur un échafaudage, et moi, me croyant toute seule dans la galerie, je me mis à chanter le sixième psaume (Ne veuille pas, ô Sire, me reprendre en ton ire). J'avais à peine achevé le premier verset, que je vois quelqu'un descendre en toute hâte de l'échafaudage et tomber à mes pieds. C'était Rousseau. Je crus qu'il était devenu fou. « Bon Dieu ! lui dis-je, qu'avez-vous, Rousseau ? » Il me répondit : « Est-il possible, Madame, que vous vous souveniez encore de nos psaumes et que vous les chantiez ! Que le bon Dieu vous bénisse et vous maintienne dans ces bons sentiments. Il avait les larmes aux yeux ».
M. Félix Bovet, qui relate ce fait, ajoute : « Ainsi, pour les protestants de France, peuple proscrit et sans patrie depuis la destruction de ses temples, les psaumes étaient alors ce qu'ils avaient été au bord des fleuves de Babylone pour les captifs de Juda ».
À Verteuil, dans l'Angoumois, où le temple était voisin de l'église, le clergé en obtint la démolition, attendu que le service de la messe se trouvait troublé « par le bruit et par la multitude des voix discordantes qui chantaient les rimes de Marot (*).
(*) Félix BOVET, op. Cit., p. 133.
Dans une autre petite ville, raconte Jean Rou (*), le bailli, sollicité par un curé séditieux, envoya faire défense à un serrurier de la religion, qui demeurait vis-à-vis de l'église, de plus chanter des psaumes dans sa boutique ; le service de la messe, au sentiment du bon prêtre, était troublé tous les matins par ce chant importun, et il ne l'était pas par les perpétuels coups de marteau du cyclope et par le retentissement aigu de sa lime. Comme le serrurier ne se pressa pas d'obéir aux premiers ordres, on réitéra la défense, qui lui fut même signifiée par un sergent dans toutes les formes de la justice, et parce qu'il fallait que le sergent écrivit sur son exploit la réponse de l'assigné, le pauvre homme représenta qu'il n'avait rien à répondre. — Mais il faut bien que je mette quelque chose. — Ha ! bien, dit le serrurier, mettez donc
Jamais ne cesserai
De magnifier le Seigneur ;
En ma bouche aurai son honneur
Tant que vivant serai ».
(*) Félix BOVET, op. Cit., p. 133.
Baulacre, qui rapporte la même anecdote, ajoute que le bailli, qui trouvait son curé trop vétilleux, s'écria en lisant cette singulière réponse : « Ah ! parbleu, qu'on le laisse magnifier le Seigneur, tant qu'il voudra ! Pour moi, je ne veux plus m'en mêler ».
Re: HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE
16 - Chapitre 13 — L'œuvre Biblique en France au 19° siècle
16.1 - Disette de Bibles — Premiers efforts — La Société biblique britannique — Frédéric Léo — Oberlin et Henri Oberlin — Daniel Legrand
La disette de Bibles, en France, avant ou même au commencement du Réveil, était effrayante.
« Depuis plus de cent-vingt ans, a écrit M. Frank Puaux, on n'en avait pas fait paraître en France en raison de l'effrayante persécution qui avait atteint les réformés. Celles qui avaient échappé aux persécuteurs se conservaient dans les familles, et la Sainte Écriture était devenue un livre de bibliophile qui se rencontrait çà et là dans les ventes. Cette disette était si grande que, dans nombre d'Églises, il y avait des recueils manuscrits de passages des Écritures ».
Stouber, pasteur au Ban de la Roche avant Oberlin, avait fait venir de Bâle cinquante Bibles françaises, mais estimant ce nombre insuffisant, il partagea chaque Bible en trois parties, qu'il fit relier chacune en fort parchemin, si bien qu'avec ses cinquante Bibles il en eut cent cinquante. Il les plaça dans les écoles, et permit aux élèves de les emporter chez eux, dans leurs villages (*).
(*) Un catholique romain entrant dans une maison de l'un de ces villages, aperçut à la fenêtre un livre épais muni d'un fermoir. Sachant que les Bibles étaient ainsi faites, il prit le volume, en regarda le titre, et demanda si l'on pouvait se procurer une Bible pareille pour deux écus. Celui à qui cette Bible appartenait lui ayant répondu que cela était possible, le catholique lui jeta deux écus et s'enfuit en emportant la Bible.
Oberlin, lui, s'y prit un peu autrement, mais fut paralysé, lui aussi, par la disette de Bibles.
Il acheta à grands frais trois Bibles et les confia à trois pauvres villageois qui allaient les lire de chaumière en chaumière, les prêtant pour un jour ou pour quelques heures. C'étaient de véritables colporteurs. Leurs travaux ne furent interrompus que lorsque les trois Bibles furent usées, à force de passer par tant de mains plus accoutumées à conduire la charrue qu'à feuilleter des livres.
(Il faut remarquer l'importance attachée par le grand pasteur missionnaire à l'Évangélisation par la Bible).
En 1802, des chrétiens anglais délégués par la Société des Missions de Londres pour faire une enquête à Paris, ne purent pas, malgré trois jours de recherches, mettre la main sur un seul exemplaire des Écritures.
En 1825, à Saint Hippolyte-du-Fort (Gard), pour une population protestante de 5.300 âmes, il n'y avait que 100 Bibles ou Nouveaux Testaments. En 1828, à Montcaret (Dordogne), il y avait 3.000 protestants sans une seule Bible. En 1831, à Saint-Jean-duGard, pour 3.464 protestants, il n'y avait que 74 Bibles. Que peut être la vie chrétienne et la vie missionnaire là où il y a une telle disette de la Parole de Dieu ?
C'est l'action de la Société biblique britannique et étrangère, « mère et modèle, a dit M. Douen, de toutes les associations du même genre », qui a fait cesser cette disette. Il y eut cependant des efforts remarquables qui précédèrent ou accompagnèrent les siens.
Une Société biblique française s'était constituée à Londres en 1792. « Le but qu'on se propose, disait le prospectus qu'elle envoya aux chrétiens de France, est de procurer autant qu'il sera possible des Bibles françaises aux Français dans une langue intelligible pour eux ». Il y eut une correspondance commencée avec des chrétiens de Paris, et un traité passé avec un imprimeur, auquel 4.000 francs furent avancés. Mais les événements politiques mirent un terme à ces efforts : l'imprimeur fut ruiné, et les 4.000 francs avancés disparurent dans la tourmente révolutionnaire. La Société, découragée, appliqua les fonds qu'elle avait à la distribution de Bibles anglaises parmi les catholiques pauvres de la Grande-Bretagne et de l'Irlande.
Un nouvel effort fut tenté par la Société des Missions de Londres. Elle travailla d'abord à réunir, pour les distribuer, tous les exemplaires des Écritures sur lesquels on put mettre la main à Bâle, à Genève, et peut-être en Hollande. Elle n'en avait pas trouvé à Paris, comme nous l'avons déjà dit. La distribution fut confiée à un comité, sous la surveillance du Consistoire de l'Église réformée de Paris. En 1802 cette Société fit imprimer chez Smith 10.000 Nouveaux Testaments français. C'était la première édition protestante des livres saints imprimée en France depuis 1678, donc depuis cent vingt-quatre ans. En 1805 la même Société fit imprimer une édition de la Bible, à 5.000 exemplaires, qui furent répandus en France sous le couvert et au nom de la Société biblique de Bâle, à cause des relations troublées entre la France et l'Angleterre. Le pasteur Soulier de Paris et Oberlin furent les principaux distributeurs de ces volumes.
Le 7 mars 1804 fut fondée la Société biblique britannique et étrangère, qui, en groupant les chrétiens de toutes les églises en vue de ce but unique : la diffusion des Écritures, devait donner à l'oeuvre biblique une impulsion extraordinaire.
Oberlin, qui avait vu s'user rapidement les trois Bibles qu'il faisait lire de chaumière en chaumière, écrivit à la Société nouvellement fondée et en obtint un don de 720 francs qui dépassa ses espérances, car il le qualifie d'inattendu. « Telle fut, dit M. Douen, la première munificence de la Société biblique britannique et étrangère envers un pays qu'elle allait combler de ses dons ». La lettre de remerciements d'Oberlin (*), qui parle avec une émotion communicative de trois nobles femmes auxquelles il destinait une des Bibles données, produisit une impression profonde, et inspira à un membre du comité, M. Dudley, la pensée de former des Sociétés bibliques auxiliaires de dames. En quatre ou cinq ans, il en fonda cent-quatre-vingts. Ces associations de dames furent une grande force pour la cause biblique. Ainsi Oberlin rendit avec usure à la Société ce qu'il avait reçu d'elle. C'était, comme on l'a dit, le petit ruisseau des montagnes donnant naissance à une rivière majestueuse.
(*) Nous avons reproduit cette lettre en appendice dans notre brochure La Bible dans le monde.
Nous retrouverons Oberlin tout à l'heure. Mais, pour suivre l'ordre historique, il nous faut le quitter et mentionner les éditions nombreuses dont la Société britannique prit l'initiative. Il y en eut une, au lendemain même de la fondation de la Société qui nous intéresse, comme Français, à un titre spécial. En 1805, le comité, touché par le triste sort des prisonniers de guerre français et espagnols qui gémissaient sur les pontons anglais, décida de faire imprimer pour eux un Nouveau Testament espagnol et une Bible française. En attendant que le cliché de la Bible fût terminé, elle consacra 2.500 francs à l'achat de Nouveaux Testaments qui furent distribués aux prisonniers français.
Ces distributions se continuèrent de 1806 à 1813 et furent souvent accueillies avec des effusions de reconnaissance. Quelques églises de France y contribuèrent par leurs dons.
En 1840, un colporteur rencontrait un de ces anciens prisonniers que la lecture du Nouveau Testament reçu sur les pontons en 1813 avait amené à la foi.
Des distributions de livres saints se firent également dans les onze dépôts de prisonniers anglais en France. Le ministre de la marine et les diverses administrations facilitèrent ces envois.
De 1811 à 1814 la Société publia en Angleterre deux éditions de la Bible française et quatre éditions du Nouveau Testament français.
De 1808 à 1813 se succédèrent à Bâle plusieurs éditions, pour lesquelles la Société alloua une somme de 27.500 francs. En 1815, elle votait un subside de 22.500 francs à une Société biblique récemment fondée à Strasbourg.
Les efforts réunis des Sociétés de Londres et de Bâle firent pénétrer la Bible dans un grand nombre d'églises du midi, de l'est et du nord. En 1810, par exemple, deux mille Nouveaux Testaments étaient envoyés à Nimes, et neuf cents à Montbéliard. En 1815, le pasteur Larchevêque, de Walincourt, en reçut deux cents exemplaires par l'intermédiaire de l'aumônier d'un régiment anglais. Il les partagea avec son collègue Colani, de Lemé, et tous deux les distribuèrent dans leurs vastes paroisses, qui embrassaient chacune presque tout un département.
Le doyen Encontre, de Montauban, prit, en 1809, l'initiative d'une publication de la Bible Martin (*), dont deux éditions parurent en 1819, l'une à Montauban, tirée à 6.000 exemplaires, l'autre à Toulouse, tirée à 10.000 exemplaires. Celle-ci parut par les soins du pasteur Chabrand, de Toulouse. La Société britannique contribua aux frais de ces deux éditions.
(*) Dans le projet qu'il rédigea alors, on lit : « Il n'existe point de Société biblique dans le midi de la France. Les efforts qu'on fit pour en établir une, il y a trois ans, furent sans succès. Quelques pasteurs et professeurs se proposent de donner une nouvelle édition de la Bible Martin, sans notes ni commentaires.. ». Dans les Archives du christianisme (II, 62), Encontre explique ainsi le choix de Martin : 1° Cette édition semble plus conforme aux originaux ; 2° elle s'accorde plus que les autres avec les versions anglaise, hollandaise, allemande ; 3° elle est supérieure pour le style aux autres versions françaises » (Qu'était donc le style de ces autres versions ?) Tout le monde ne favorisa pas cette entreprise. Encontre se plaint, dans une lettre à M. Steinkopff, de ce que la plupart des actionnaires de Montauban, membres du comité, y prennent un médiocre intérêt, et de ce que certains pasteurs, au lieu de la seconder, travaillent secrètement à la faire échouer. Il avoue son isolement depuis le départ de plusieurs frères, qui l'ont laissé presque mourant. Il mourut en effet peu après, sans avoir eu la joie de voir la publication de cette Bible, dont il se préoccupa jusque sur son lit de mort.
C'est ici qu'il faut parler de l'effort colossal accompli en vue de la diffusion de la Bible en France, par un jeune théologien allemand, M Frédéric Léo, arrivé à Paris en 1811 pour exercer les fonctions de suffragant à l'église des Billettes. Il y prêchait en allemand. Le blocus continental le retint en France et lui permit d'y faire une oeuvre admirable. Dès le début il fut frappé de la pénurie de livres saints en France, de l'ignorance et de l'indifférence des protestants vis-à-vis du saint volume (Il ne se vendit en 1813, à Paris, que quelques psautiers et une seule Bible). Consacrant toutes ses ressources personnelles à répandre la Parole de Dieu, il fit venir de Bâle de nombreux exemplaires de la Bible, et les offrit aux consistoires luthérien et réformé pour être distribués. Ces Bibles, marquées du sceau de l'église, étaient prêtées à vie. Mais ces distributions n'étaient pas en proportion des besoins, et les ressources de M. Léo furent bientôt épuisées. Il prit alors (en 1812) l'initiative d'une vaste souscription pour créer un fonds qui permit d'imprimer les Écritures. Il se fit collecteur et frappa à toutes les portes, même à celle des rois. L'empereur de Russie lui donna 500 francs, le roi de Prusse, 120 francs, le général Rapp, 500 francs, Oberlin, 200 francs. Il reçut aussi des souscriptions de la duchesse de Courlande, de M. Bartholdi, des consistoires de Lille, Nancy, Colmar, Strasbourg. Il collecta en Écosse, en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, en Norvège, en Suisse et en France. Que ne peut inspirer l'amour de la Bible, l'amour de Jésus-Christ ? En 1815, après trois ans d'efforts, il avait réuni 15.500 francs.
Les cinq pasteurs de Paris, parmi lesquels, Marron, Rabaut Pommier et Jean Monod, patronnèrent l'entreprise, et le ministre des cultes l'autorisa. La maison Didot fournit les planches pour un tirage de 250.000 exemplaires du Nouveau Testament d'Ostervald, et ces planches furent offertes aux deux consistoires de Paris, réformé et luthérien, à la condition qu'ils s'engageraient à les utiliser et à couvrir par de nouvelles collectes les frais des tirages subséquents. Chaque consistoire devait garder et utiliser les planches pendant deux ans. Pour aider à de nouveaux tirages, la Société britannique envoya aux consistoires la somme de 12.500 francs. Les clichés servirent aux premiers approvisionnements de la Société biblique de Paris.
En 1820, il y avait eu huit tirages, et 34.011 exemplaires imprimés, au prix de 52.430 francs. 991 avaient été donnés, les autres vendus au prix de revient. En 1831, le comité de la fondation plaça à intérêts le capital qu'il possédait. En 1868, le revenu était de 1.100 francs. C'est avec ce revenu que les Nouveaux Testaments de première communion sont encore aujourd'hui fournis aux catéchumènes de Paris, luthériens et réformés.
Tout ceci avait été fait en vue des protestants, mais M. Léo songea aussi aux catholiques. Il se remit en campagne, et fit pour le Nouveau Testament de Sacy ce qu'il avait fait pour celui d'Ostervald. Le ministre de l'intérieur, Laîné, souscrivit pour une somme de 1.000 francs. Le ministre des cultes et de l'instruction publique, l'abbé Frayssinous, et d'autres prêtres, applaudirent à l'entreprise. La Société britannique souscrivit pour 6.125 francs. Mais il y eut mieux que cela. Les efforts de Frédéric Léo aboutirent à la formation, en 1816, d'une Société catholique pour la distribution du Nouveau Testament, qui lança un prospectus et ouvrit une souscription
…pour faire une édition du Nouveau Testament d'après la version de Sacy, telle qu'elle a été publiée ci-devant avec l'approbation de Nosseigneurs les archevêques de Paris. Elle sera distribuée par un comité qui devra en délivrer les exemplaires au plus bas prix. Le prix sera réduit selon la nécessité pour ceux qui ne pourront y atteindre. Enfin des exemplaires seront distribués gratis aux pauvres par les membres du comité.
Il faut dire qu'à ce moment-là, sous la Restauration, le retour de l'ancien clergé avait ramené quelques traditions gallicanes et jansénistes, et que les liens étaient quelque peu relâchés entre le Saint-Siège et le clergé français.
Le Nouveau Testament de Sacy, fruit des efforts de Frédéric Léo, parut en 1816. La Société catholique pour la distribution du Nouveau Testament ne dura que huit ans.
C'est ici que nous retrouvons Oberlin. Avec lui nous rencontrons d'autres personnalités qui firent preuve, elles aussi, d'un zèle biblique extraordinaire, Henri Oberlin et Daniel Legrand (*), le grand chrétien et le grand philanthrope de Fouday. Un jour, au printemps de 1816, Oberlin avait à sa table frugale, avec la famille Legrand, trois étrangers : Spittler, de Bâle, secrétaire de la Société chrétienne allemande, un baron livonien et un vicaire catholique. On s'entretenait des moyens d'étendre le règne de Dieu et de répandre l'Évangile en France. « Mais, dit Spittler, voici un comité : M. Oberlin, président ; Henri Oberlin, secrétaire ; Daniel Legrand, trésorier ». Le comité se constitua. Henri Oberlin se mit aussitôt en campagne et parcourut la France de long en large pour éveiller l'intérêt en faveur de la diffusion de la Bible. Il alla à Marseille, à Nîmes, à Montauban, à Bordeaux, à Nantes, à Orléans, ensemençant la France de Sociétés bibliques. Un incendie ayant éclaté dans une des villes qu'il traversait, Valence, il se mit à la chaîne et fut pris d'un refroidissement dont il ne se remit pas. Il revint mourir, en 1817, au Ban de la Roche. Ainsi l'amour de la Bible ne fait pas seulement des mystiques, il fait des hommes qui savent servir, il fait les vrais socialistes. Daniel Legrand se mit à son tour en route dans le même but et visita le midi et l'ouest. Pénétré du désir de répandre partout l'Écriture, il allait trouver les catholiques comme les protestants, et tous l'accueillaient. Les doyens Encontre et Bonnard (de Montauban), les pasteurs Chabrand (de Toulouse), Lissignol (de Montpellier), Colani (de Lemé), lui prêtèrent un concours actif. Des curés, des directeurs de séminaires, lui demandaient des exemplaires du Nouveau Testament, ceux-ci pour leurs élèves, ceux-là pour leurs paroissiens. Des marins, des militaires, recevaient le saint volume avec reconnaissance. L'évêque d'Angoulême lui en demandait deux cents exemplaires, et l'archevêque de Bordeaux, vieillard octogénaire, lui promettait de placer des Nouveaux Testaments dans son diocèse. Ces Nouveaux Testaments demandés par les catholiques ou répandus avec leur agrément, étaient les Nouveaux Testaments de Sacy qui avaient été imprimés par l'initiative de Frédéric Léo, et sous les auspices de la Société catholique pour la distribution du Nouveau Testament. Des collaborateurs, enflammés sans doute par le zèle de Legrand, surgissaient. Un cultivateur, Benèche, vendit à lui seul, muni de l'autorisation de l'évêque de Montauban, douze mille exemplaires. Il fut, en France, le premier colporteur biblique au 19° siècle. Deux commis négociants, Lhuillier et Gerber, placèrent près de quinze mille Nouveaux Testaments tout en voyageant pour les affaires de leur maison.
(*) Ce Daniel Legrand était possédé par l'amour des âmes. Lors du mariage du duc d'Orléans, il se sentit ému de sollicitude pour la princesse protestante qui entrait dans une cour aux mœurs et aux croyances si nouvelles pour elle. Dés lors il lui envoya chaque année les meilleurs ouvrages religieux publiés en France et en Allemagne. Ces volumes lui arrivaient régulièrement, par une main inconnue, la veille de Noël, comme un souvenir de son enfance et de sa première patrie. Intriguée par ces envois, la duchesse aurait voulu connaître le donateur. Une fois, le nom et l'adresse de M. Legrand, restés égarés dans un des livres envoyés, le trahirent. Elle voulut le voir, et, lorsqu'il vint à Paris, l'invita aux Tuileries. M. Legrand et la duchesse devinrent grands amis. Celle-ci ayant formé le projet, en 1832, de s'arrêter au Ban de la Roche, à son retour d'une cure aux eaux de Plombières, le duc d'Orléans lui dit : « Va, je t'y laisserai oberliner tout à ton aise ». La visite ne put avoir lieu, à cause de la mort du prince.
La Société biblique britannique contribua pour une grande part à cette large diffusion des Écritures en France, d'abord et surtout par l'enthousiasme qu'elle créa pour la cause biblique, puis par les éditions des livres saints dont nous avons parlé plus haut (en 1817 elle avait fait imprimer en français 13.000 Bibles et 79.000 Nouveaux Testaments), et par les secours qu'elle accorda aux distributeurs des Écritures. Ainsi, en 1817, elle faisait en sorte qu'Oberlin fût régulièrement approvisionné d'exemplaires selon les besoins de ses distributions. D'autres pasteurs français, en grand nombre, avaient coutume de s'adresser à elle pour obtenir des Bibles. C'est à ses frais qu'Henri Oberlin (et probablement aussi Daniel Legrand) parcourut la France pour éveiller l'intérêt en faveur de la Bible et fonder des Sociétés bibliques.
Ainsi, par ses publications de livres saints en langue française, par ses dons de livres saints aux Français, soit en France (à Oberlin et à tant d'autres), soit hors de France (aux prisonniers français en Angleterre), par l'impulsion et le concours qu'elle donna à l'oeuvre biblique en France, oeuvre qui, comme nous allons le voir, fut la souche féconde de toutes les autres, la Société biblique britannique et étrangère est la première Société religieuse qui ait évangélisé la France au siècle dernier. Elle a puissamment contribué à créer le sol dans lequel ont pris naissance toutes nos oeuvres de mission et d'évangélisation. Elle a sa part considérable de maternité dans l'existence de notre protestantisme français des 19° et 20° siècles, avec toute son expansion missionnaire en France et au dehors (*).
(*) « Sans vous », disait en 1904, aux fêtes du Centenaire de la Société à Londres, M. le pasteur J. de Visme, délégué de la Société Biblique de France, « le protestantisme français ne serait pas ce qu'il est ! »
Quel admirable spectacle offre cette oeuvre biblique en France au début du 19° siècle ! Ce sont les années où l'hostilité entre la France et l'Allemagne, entre la France et l'Angleterre, est à son maximum d'intensité, et c'est dans ces années mêmes, c'est en 1805, en 1812, en 1814, que l'on voit une Société anglaise et un particulier allemand, celui-ci aidé des deniers du roi de Prusse et de l'empereur de Russie, répondre aux invasions napoléoniennes par une contre-invasion, une invasion de la Parole de Dieu ! Jusque-là l'Angleterre et la France ne s'étaient rencontrées que sur les champs de bataille, pour s'entr'égorger, et voici tout à coup réalisée entre elles, pour la Bible et par la Bible, l'entente cordiale ! Si l'on voulait une preuve que l'humanité n'est pas livrée à elle-même, mais que Dieu besogne au milieu d'elle, on l'aurait dans ces hommes qui, au milieu du cliquetis des armes, apparaissent porteurs du rameau d'olivier.
16.2 - Société biblique protestante de Paris — Société biblique française et étrangère — Société biblique de France
L'entreprise de M. Léo avait un caractère trop individuel et trop restreint. Une Société biblique s'imposait. En présence du bien accompli ailleurs par l'oeuvre biblique, quelques chrétiens éminents de Paris s'entretinrent, au commencement de 1818, de la fondation d'une Société biblique à Paris, mais sans aboutir. Quelques mois après, le Révérend J. Owen, secrétaire de la Société biblique britannique, était de passage à Paris. Grâce à son intervention, le projet fut repris, et cette fois suivi d'exécution. Au mois de novembre, la Société biblique protestante de Paris, — la première de toutes nos Sociétés religieuses, — se constitua avec l'autorisation du gouvernement. L'article premier de son règlement limitait son action aux chrétiens protestants, limitation sans laquelle l'autorisation n'eût pas été obtenue (*). Le marquis de Jaucourt fut nommé président.
(*) En 1820, le duc d'Estissac (probablement un chef militaire) écrivit au marquis de Jaucourt, président de la Société, qu'il avait fait saisir à Orléans un certain nombre de Bibles entre les mains des soldats de la garnison, auxquels elles avaient été distribuées clandestinement, et qu'il les avait fait remettre chez M. Lagarde, pasteur de la ville, à la disposition de la Société. Informations prises, il se trouva que ces Bibles étaient trente-six Nouveaux Testaments distribués aux soldats d'un régiment étranger à la ville par une personne étrangère à la Société.
Le ministre, le duc Decaze, souscrivit pour mille francs en faveur d'« un objet, disait-il, auquel devraient concourir toutes les communions chrétiennes ». Le préfet du Gard souscrivit pour cent francs.
À peine née, la nouvelle institution fut l'objet de violentes critiques. L'abbé Lamennais fit une charge à fond contre le mouvement biblique, qu'il appela « la dernière convulsion d'une secte expirante ». « Les crimes, disait-il, se sont multipliés en Angleterre depuis la fondation des Sociétés bibliques ». La Société put répondre dans le Moniteur, l'organe officiel du gouvernement. M. de Bonald fit une critique plus malheureuse encore en prétendant que l'oeuvre nouvelle n'était qu'une adroite spéculation de commerce (*). Tant de colère chez les adversaires était un hommage à la Société.
(*) En 1819, Joseph de Maystre écrivait ceci : « Bien qu'elle renferme de grands caractères, des hommes pleins de foi et d'illustres protecteurs, la société biblique, entreprise protestante, est la plus anti-chrétienne qui ait jamais été imaginée ». Elle produit un mal immense, à savoir la communication de l'Écriture Sainte en langue vulgaire, sans explication, sans distinction de personne ».
Dès sa fondation, la Société eut une action et un rayonnement extraordinaires.
Au bout d'un an environ, elle comptait déjà en France 113 comités auxiliaires, dont 17 à Paris seulement. La fondation de ces Sociétés fut due en grande partie aux voyages de M. Pinkerton, secrétaire de la Société britannique.
En 1821 un plan d'organisation divisa la France protestante en trente-trois départements bibliques ou sociétés auxiliaires qui devaient correspondre, pour les achats, avec la Société de Paris, et lui verser l'excédent de leurs recettes. À ces sociétés auxiliaires se rattachaient les sociétés branches, situées dans leur circonscription, et les sociétés branches, à leur tour, devaient étendre partout leurs ramifications en associations bibliques dont les membres s'engageraient à verser deux sous par semaine. On recommandait de composer les auxiliaires et les branches d'une douzaine de personnes. La présidence devait appartenir à un laïque.
En 1829, le nombre de ces divers comités auxiliaires s'élevait à 663. À douze personnes par comité (beaucoup en comptaient davantage), cela faisait huit mille personnes qui, du nord au sud de la France, s'occupaient activement de répandre la Bible (*).
(*) Le trait suivant, raconté par les Archives du Christianisme en 1822, montrera quel enthousiasme soulevait partout la cause biblique.
« En 1822, les enfants de l'école d'enseignement mutuel, établie par M. le pasteur Rosselloty, à Châtillon-sur-Loire, ont formé entre eux une petite Société biblique d'école et donnent 1 ou 2 liards par semaine, ce qui produit ensemble de 15 à 19 sous. Ils ont pour but de répandre la Sainte Bible dans toutes les familles, en la présentant aux nouveaux époux à chaque bénédiction de mariage dans le temple. L'un des enfants les plus sages a le bonheur d'offrir de sa main le Livre saint aux mariés à la fin de la prière ou de l'exhortation nuptiale ».
Les membres les plus importants du comité — M. Stapfer, l'amiral Verhuell, le comte Pelet de La Lozère, le pasteur Frédéric Monod, etc., etc. et des pasteurs amis, — payaient largement de leurs personnes, et n'hésitaient pas à entreprendre de longs et fatigants voyages à travers la France pour éveiller l'intérêt en faveur de l'oeuvre et fonder des Sociétés. C'étaient de vrais missionnaires de la cause biblique.
À côté du comité directeur, il y avait un comité auxiliaire de vingt dames de l'aristocratie protestante, dont chacune était chargée d'un des vingt arrondissements de Paris, pour visiter les familles protestantes, y distribuer les Écritures, y exciter le zèle pour la cause biblique, former des associations de douze membres au plus, avec cotisation de cinq ou dix centimes par semaine. En 1826, toutes les familles protestantes connues étaient visitées par ces dames. En 1827, ces associations comptaient six cent trente membres.
« Les assemblées annuelles de la Société mère, dit M. Douen, étaient des fêtes auxquelles les protestants, disséminés et sans lien commun, accouraient souvent de très loin, apprenaient à se connaître, à se compter et à s'aider mutuellement ». Pendant les premières années, on vit à ces assemblées de hauts personnages politiques catholiques, députés, pairs de France, ministres d'État, ministres étrangers, savants, par exemple le duc de Broglie, le duc de La Rochefoucauld, le duc Decaze, Maine de Biran. Il n'a été donné à aucune autre Société, que nous sachions, d'avoir de tels auditoires à ses assemblées. Après 1828, on n'y vit plus, en fait de notabilités, que les députés protestants, ce qui était encore quelque chose. Les temps ont bien changé.
La Société devint non seulement un centre de ralliement mais un foyer d'action d'où sortirent les Sociétés des Traités religieux (1822), des Missions (1822), de Prévoyance (1823), la Société pour l'encouragement de l'instruction primaire (1829), et d'autres encore.
La Société jouissait d'une popularité extraordinaire, et son influence s'étendait bien en dehors des cercles protestants. Ses rapports, tirés à 5.000 exemplaires, étaient lus avec ardeur. Cinquante exemplaires tirés sur vélin, bien reliés, étaient présentés ou envoyés par le marquis de Jaucourt aux ducs d'Angoulême, de Richelieu, de La Rochefoucauld, Decaze, de Broglie, au préfet de la Seine, au préfet de police, au directeur des douanes, au directeur des postes, à plusieurs députés, à la Chambre des pairs, à la Chambre des députés. Bien plus, accompagné du comte Pelet de la Lozère, vice-président de la Société, le marquis de Jaucourt allait présenter chaque année le rapport au duc d'Orléans, et continua de le faire lorsque le duc d'Orléans fut devenu le roi Louis-Philippe.
Il faut croire que ces rapports étaient lus et n'étaient pas sans exercer quelque influence et provoquer des sympathies, car peu de temps après la fondation de la Société, le gouvernement suspendit les droits de douane pour tous les livres saints envoyés à la Société de l'étranger. Vraiment, ici, tout est unique.
La période de développement de la Société s'arrête vers 1830. Cependant, il y eut encore dans son histoire bien des faits intéressants. Nous en citerons quelques-uns par anticipation.
En 1840, le préfet de l'Aisne demanda à la Société le don d'un nombre de Nouveaux Testaments proportionné à celui des détenus du département. La Société ne put accorder les volumes demandés que pour les détenus protestants. À la même époque, le ministre de l'instruction publique souscrivit pour 300 francs en vue de l'impression d'une Bible in-4 qu'il se proposait de placer dans les établissements de l'Université pour la célébration du culte protestant. En 1846, le ministre de la guerre fit transporter gratuitement les Bibles et les Nouveaux Testaments envoyés aux troupes d'Algérie, et la duchesse d'Orléans joignit à cet envoi une Bible in-folio richement reliée qu'elle destinait à la chaire du temple protestant d'Alger.
C'est en 1831 que le comité de la Société décida de mettre à la disposition des pasteurs des Nouveaux Testaments pour être offerts aux catéchumènes et des Bibles pour être offertes aux nouveaux époux (*).
(*) La première Bible protestante de mariage, dit M. Douen, a été donnée en 1822 par le pasteur Née, de Marsauceux.
La Société britannique aida largement la Société de Paris par des dons qui, de 1819 à 1831, s'élevèrent à 228.310 francs, dont 83.000 francs en argent et le reste en volumes. Aussi, à chaque assemblée annuelle, des remerciements étaient votés par la Société de Paris à la Société britannique.
Il y eut de très bonne heure deux tendances opposées au sein du Comité de la Société de Paris. Les divergences apparurent sur divers points.
D'abord sur la question des traductions. Les uns étaient conservateurs, ils voulaient l'unité de version, ils tenaient à Ostervald, qui avait édifié tant de générations ; les autres attachaient plus de prix à une version aussi exacte que possible, fallût-il innover. Déjà en 1822, un membre du comité proposa l'adoption d'une révision toute récente d'Ostervald (Lausanne, 1822), et sa proposition fut repoussée.
Puis, sur la question des Apocryphes. Les uns étaient défavorables, les autres favorables à la publication de ces livres.
16.1 - Disette de Bibles — Premiers efforts — La Société biblique britannique — Frédéric Léo — Oberlin et Henri Oberlin — Daniel Legrand
La disette de Bibles, en France, avant ou même au commencement du Réveil, était effrayante.
« Depuis plus de cent-vingt ans, a écrit M. Frank Puaux, on n'en avait pas fait paraître en France en raison de l'effrayante persécution qui avait atteint les réformés. Celles qui avaient échappé aux persécuteurs se conservaient dans les familles, et la Sainte Écriture était devenue un livre de bibliophile qui se rencontrait çà et là dans les ventes. Cette disette était si grande que, dans nombre d'Églises, il y avait des recueils manuscrits de passages des Écritures ».
Stouber, pasteur au Ban de la Roche avant Oberlin, avait fait venir de Bâle cinquante Bibles françaises, mais estimant ce nombre insuffisant, il partagea chaque Bible en trois parties, qu'il fit relier chacune en fort parchemin, si bien qu'avec ses cinquante Bibles il en eut cent cinquante. Il les plaça dans les écoles, et permit aux élèves de les emporter chez eux, dans leurs villages (*).
(*) Un catholique romain entrant dans une maison de l'un de ces villages, aperçut à la fenêtre un livre épais muni d'un fermoir. Sachant que les Bibles étaient ainsi faites, il prit le volume, en regarda le titre, et demanda si l'on pouvait se procurer une Bible pareille pour deux écus. Celui à qui cette Bible appartenait lui ayant répondu que cela était possible, le catholique lui jeta deux écus et s'enfuit en emportant la Bible.
Oberlin, lui, s'y prit un peu autrement, mais fut paralysé, lui aussi, par la disette de Bibles.
Il acheta à grands frais trois Bibles et les confia à trois pauvres villageois qui allaient les lire de chaumière en chaumière, les prêtant pour un jour ou pour quelques heures. C'étaient de véritables colporteurs. Leurs travaux ne furent interrompus que lorsque les trois Bibles furent usées, à force de passer par tant de mains plus accoutumées à conduire la charrue qu'à feuilleter des livres.
(Il faut remarquer l'importance attachée par le grand pasteur missionnaire à l'Évangélisation par la Bible).
En 1802, des chrétiens anglais délégués par la Société des Missions de Londres pour faire une enquête à Paris, ne purent pas, malgré trois jours de recherches, mettre la main sur un seul exemplaire des Écritures.
En 1825, à Saint Hippolyte-du-Fort (Gard), pour une population protestante de 5.300 âmes, il n'y avait que 100 Bibles ou Nouveaux Testaments. En 1828, à Montcaret (Dordogne), il y avait 3.000 protestants sans une seule Bible. En 1831, à Saint-Jean-duGard, pour 3.464 protestants, il n'y avait que 74 Bibles. Que peut être la vie chrétienne et la vie missionnaire là où il y a une telle disette de la Parole de Dieu ?
C'est l'action de la Société biblique britannique et étrangère, « mère et modèle, a dit M. Douen, de toutes les associations du même genre », qui a fait cesser cette disette. Il y eut cependant des efforts remarquables qui précédèrent ou accompagnèrent les siens.
Une Société biblique française s'était constituée à Londres en 1792. « Le but qu'on se propose, disait le prospectus qu'elle envoya aux chrétiens de France, est de procurer autant qu'il sera possible des Bibles françaises aux Français dans une langue intelligible pour eux ». Il y eut une correspondance commencée avec des chrétiens de Paris, et un traité passé avec un imprimeur, auquel 4.000 francs furent avancés. Mais les événements politiques mirent un terme à ces efforts : l'imprimeur fut ruiné, et les 4.000 francs avancés disparurent dans la tourmente révolutionnaire. La Société, découragée, appliqua les fonds qu'elle avait à la distribution de Bibles anglaises parmi les catholiques pauvres de la Grande-Bretagne et de l'Irlande.
Un nouvel effort fut tenté par la Société des Missions de Londres. Elle travailla d'abord à réunir, pour les distribuer, tous les exemplaires des Écritures sur lesquels on put mettre la main à Bâle, à Genève, et peut-être en Hollande. Elle n'en avait pas trouvé à Paris, comme nous l'avons déjà dit. La distribution fut confiée à un comité, sous la surveillance du Consistoire de l'Église réformée de Paris. En 1802 cette Société fit imprimer chez Smith 10.000 Nouveaux Testaments français. C'était la première édition protestante des livres saints imprimée en France depuis 1678, donc depuis cent vingt-quatre ans. En 1805 la même Société fit imprimer une édition de la Bible, à 5.000 exemplaires, qui furent répandus en France sous le couvert et au nom de la Société biblique de Bâle, à cause des relations troublées entre la France et l'Angleterre. Le pasteur Soulier de Paris et Oberlin furent les principaux distributeurs de ces volumes.
Le 7 mars 1804 fut fondée la Société biblique britannique et étrangère, qui, en groupant les chrétiens de toutes les églises en vue de ce but unique : la diffusion des Écritures, devait donner à l'oeuvre biblique une impulsion extraordinaire.
Oberlin, qui avait vu s'user rapidement les trois Bibles qu'il faisait lire de chaumière en chaumière, écrivit à la Société nouvellement fondée et en obtint un don de 720 francs qui dépassa ses espérances, car il le qualifie d'inattendu. « Telle fut, dit M. Douen, la première munificence de la Société biblique britannique et étrangère envers un pays qu'elle allait combler de ses dons ». La lettre de remerciements d'Oberlin (*), qui parle avec une émotion communicative de trois nobles femmes auxquelles il destinait une des Bibles données, produisit une impression profonde, et inspira à un membre du comité, M. Dudley, la pensée de former des Sociétés bibliques auxiliaires de dames. En quatre ou cinq ans, il en fonda cent-quatre-vingts. Ces associations de dames furent une grande force pour la cause biblique. Ainsi Oberlin rendit avec usure à la Société ce qu'il avait reçu d'elle. C'était, comme on l'a dit, le petit ruisseau des montagnes donnant naissance à une rivière majestueuse.
(*) Nous avons reproduit cette lettre en appendice dans notre brochure La Bible dans le monde.
Nous retrouverons Oberlin tout à l'heure. Mais, pour suivre l'ordre historique, il nous faut le quitter et mentionner les éditions nombreuses dont la Société britannique prit l'initiative. Il y en eut une, au lendemain même de la fondation de la Société qui nous intéresse, comme Français, à un titre spécial. En 1805, le comité, touché par le triste sort des prisonniers de guerre français et espagnols qui gémissaient sur les pontons anglais, décida de faire imprimer pour eux un Nouveau Testament espagnol et une Bible française. En attendant que le cliché de la Bible fût terminé, elle consacra 2.500 francs à l'achat de Nouveaux Testaments qui furent distribués aux prisonniers français.
Ces distributions se continuèrent de 1806 à 1813 et furent souvent accueillies avec des effusions de reconnaissance. Quelques églises de France y contribuèrent par leurs dons.
En 1840, un colporteur rencontrait un de ces anciens prisonniers que la lecture du Nouveau Testament reçu sur les pontons en 1813 avait amené à la foi.
Des distributions de livres saints se firent également dans les onze dépôts de prisonniers anglais en France. Le ministre de la marine et les diverses administrations facilitèrent ces envois.
De 1811 à 1814 la Société publia en Angleterre deux éditions de la Bible française et quatre éditions du Nouveau Testament français.
De 1808 à 1813 se succédèrent à Bâle plusieurs éditions, pour lesquelles la Société alloua une somme de 27.500 francs. En 1815, elle votait un subside de 22.500 francs à une Société biblique récemment fondée à Strasbourg.
Les efforts réunis des Sociétés de Londres et de Bâle firent pénétrer la Bible dans un grand nombre d'églises du midi, de l'est et du nord. En 1810, par exemple, deux mille Nouveaux Testaments étaient envoyés à Nimes, et neuf cents à Montbéliard. En 1815, le pasteur Larchevêque, de Walincourt, en reçut deux cents exemplaires par l'intermédiaire de l'aumônier d'un régiment anglais. Il les partagea avec son collègue Colani, de Lemé, et tous deux les distribuèrent dans leurs vastes paroisses, qui embrassaient chacune presque tout un département.
Le doyen Encontre, de Montauban, prit, en 1809, l'initiative d'une publication de la Bible Martin (*), dont deux éditions parurent en 1819, l'une à Montauban, tirée à 6.000 exemplaires, l'autre à Toulouse, tirée à 10.000 exemplaires. Celle-ci parut par les soins du pasteur Chabrand, de Toulouse. La Société britannique contribua aux frais de ces deux éditions.
(*) Dans le projet qu'il rédigea alors, on lit : « Il n'existe point de Société biblique dans le midi de la France. Les efforts qu'on fit pour en établir une, il y a trois ans, furent sans succès. Quelques pasteurs et professeurs se proposent de donner une nouvelle édition de la Bible Martin, sans notes ni commentaires.. ». Dans les Archives du christianisme (II, 62), Encontre explique ainsi le choix de Martin : 1° Cette édition semble plus conforme aux originaux ; 2° elle s'accorde plus que les autres avec les versions anglaise, hollandaise, allemande ; 3° elle est supérieure pour le style aux autres versions françaises » (Qu'était donc le style de ces autres versions ?) Tout le monde ne favorisa pas cette entreprise. Encontre se plaint, dans une lettre à M. Steinkopff, de ce que la plupart des actionnaires de Montauban, membres du comité, y prennent un médiocre intérêt, et de ce que certains pasteurs, au lieu de la seconder, travaillent secrètement à la faire échouer. Il avoue son isolement depuis le départ de plusieurs frères, qui l'ont laissé presque mourant. Il mourut en effet peu après, sans avoir eu la joie de voir la publication de cette Bible, dont il se préoccupa jusque sur son lit de mort.
C'est ici qu'il faut parler de l'effort colossal accompli en vue de la diffusion de la Bible en France, par un jeune théologien allemand, M Frédéric Léo, arrivé à Paris en 1811 pour exercer les fonctions de suffragant à l'église des Billettes. Il y prêchait en allemand. Le blocus continental le retint en France et lui permit d'y faire une oeuvre admirable. Dès le début il fut frappé de la pénurie de livres saints en France, de l'ignorance et de l'indifférence des protestants vis-à-vis du saint volume (Il ne se vendit en 1813, à Paris, que quelques psautiers et une seule Bible). Consacrant toutes ses ressources personnelles à répandre la Parole de Dieu, il fit venir de Bâle de nombreux exemplaires de la Bible, et les offrit aux consistoires luthérien et réformé pour être distribués. Ces Bibles, marquées du sceau de l'église, étaient prêtées à vie. Mais ces distributions n'étaient pas en proportion des besoins, et les ressources de M. Léo furent bientôt épuisées. Il prit alors (en 1812) l'initiative d'une vaste souscription pour créer un fonds qui permit d'imprimer les Écritures. Il se fit collecteur et frappa à toutes les portes, même à celle des rois. L'empereur de Russie lui donna 500 francs, le roi de Prusse, 120 francs, le général Rapp, 500 francs, Oberlin, 200 francs. Il reçut aussi des souscriptions de la duchesse de Courlande, de M. Bartholdi, des consistoires de Lille, Nancy, Colmar, Strasbourg. Il collecta en Écosse, en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, en Norvège, en Suisse et en France. Que ne peut inspirer l'amour de la Bible, l'amour de Jésus-Christ ? En 1815, après trois ans d'efforts, il avait réuni 15.500 francs.
Les cinq pasteurs de Paris, parmi lesquels, Marron, Rabaut Pommier et Jean Monod, patronnèrent l'entreprise, et le ministre des cultes l'autorisa. La maison Didot fournit les planches pour un tirage de 250.000 exemplaires du Nouveau Testament d'Ostervald, et ces planches furent offertes aux deux consistoires de Paris, réformé et luthérien, à la condition qu'ils s'engageraient à les utiliser et à couvrir par de nouvelles collectes les frais des tirages subséquents. Chaque consistoire devait garder et utiliser les planches pendant deux ans. Pour aider à de nouveaux tirages, la Société britannique envoya aux consistoires la somme de 12.500 francs. Les clichés servirent aux premiers approvisionnements de la Société biblique de Paris.
En 1820, il y avait eu huit tirages, et 34.011 exemplaires imprimés, au prix de 52.430 francs. 991 avaient été donnés, les autres vendus au prix de revient. En 1831, le comité de la fondation plaça à intérêts le capital qu'il possédait. En 1868, le revenu était de 1.100 francs. C'est avec ce revenu que les Nouveaux Testaments de première communion sont encore aujourd'hui fournis aux catéchumènes de Paris, luthériens et réformés.
Tout ceci avait été fait en vue des protestants, mais M. Léo songea aussi aux catholiques. Il se remit en campagne, et fit pour le Nouveau Testament de Sacy ce qu'il avait fait pour celui d'Ostervald. Le ministre de l'intérieur, Laîné, souscrivit pour une somme de 1.000 francs. Le ministre des cultes et de l'instruction publique, l'abbé Frayssinous, et d'autres prêtres, applaudirent à l'entreprise. La Société britannique souscrivit pour 6.125 francs. Mais il y eut mieux que cela. Les efforts de Frédéric Léo aboutirent à la formation, en 1816, d'une Société catholique pour la distribution du Nouveau Testament, qui lança un prospectus et ouvrit une souscription
…pour faire une édition du Nouveau Testament d'après la version de Sacy, telle qu'elle a été publiée ci-devant avec l'approbation de Nosseigneurs les archevêques de Paris. Elle sera distribuée par un comité qui devra en délivrer les exemplaires au plus bas prix. Le prix sera réduit selon la nécessité pour ceux qui ne pourront y atteindre. Enfin des exemplaires seront distribués gratis aux pauvres par les membres du comité.
Il faut dire qu'à ce moment-là, sous la Restauration, le retour de l'ancien clergé avait ramené quelques traditions gallicanes et jansénistes, et que les liens étaient quelque peu relâchés entre le Saint-Siège et le clergé français.
Le Nouveau Testament de Sacy, fruit des efforts de Frédéric Léo, parut en 1816. La Société catholique pour la distribution du Nouveau Testament ne dura que huit ans.
C'est ici que nous retrouvons Oberlin. Avec lui nous rencontrons d'autres personnalités qui firent preuve, elles aussi, d'un zèle biblique extraordinaire, Henri Oberlin et Daniel Legrand (*), le grand chrétien et le grand philanthrope de Fouday. Un jour, au printemps de 1816, Oberlin avait à sa table frugale, avec la famille Legrand, trois étrangers : Spittler, de Bâle, secrétaire de la Société chrétienne allemande, un baron livonien et un vicaire catholique. On s'entretenait des moyens d'étendre le règne de Dieu et de répandre l'Évangile en France. « Mais, dit Spittler, voici un comité : M. Oberlin, président ; Henri Oberlin, secrétaire ; Daniel Legrand, trésorier ». Le comité se constitua. Henri Oberlin se mit aussitôt en campagne et parcourut la France de long en large pour éveiller l'intérêt en faveur de la diffusion de la Bible. Il alla à Marseille, à Nîmes, à Montauban, à Bordeaux, à Nantes, à Orléans, ensemençant la France de Sociétés bibliques. Un incendie ayant éclaté dans une des villes qu'il traversait, Valence, il se mit à la chaîne et fut pris d'un refroidissement dont il ne se remit pas. Il revint mourir, en 1817, au Ban de la Roche. Ainsi l'amour de la Bible ne fait pas seulement des mystiques, il fait des hommes qui savent servir, il fait les vrais socialistes. Daniel Legrand se mit à son tour en route dans le même but et visita le midi et l'ouest. Pénétré du désir de répandre partout l'Écriture, il allait trouver les catholiques comme les protestants, et tous l'accueillaient. Les doyens Encontre et Bonnard (de Montauban), les pasteurs Chabrand (de Toulouse), Lissignol (de Montpellier), Colani (de Lemé), lui prêtèrent un concours actif. Des curés, des directeurs de séminaires, lui demandaient des exemplaires du Nouveau Testament, ceux-ci pour leurs élèves, ceux-là pour leurs paroissiens. Des marins, des militaires, recevaient le saint volume avec reconnaissance. L'évêque d'Angoulême lui en demandait deux cents exemplaires, et l'archevêque de Bordeaux, vieillard octogénaire, lui promettait de placer des Nouveaux Testaments dans son diocèse. Ces Nouveaux Testaments demandés par les catholiques ou répandus avec leur agrément, étaient les Nouveaux Testaments de Sacy qui avaient été imprimés par l'initiative de Frédéric Léo, et sous les auspices de la Société catholique pour la distribution du Nouveau Testament. Des collaborateurs, enflammés sans doute par le zèle de Legrand, surgissaient. Un cultivateur, Benèche, vendit à lui seul, muni de l'autorisation de l'évêque de Montauban, douze mille exemplaires. Il fut, en France, le premier colporteur biblique au 19° siècle. Deux commis négociants, Lhuillier et Gerber, placèrent près de quinze mille Nouveaux Testaments tout en voyageant pour les affaires de leur maison.
(*) Ce Daniel Legrand était possédé par l'amour des âmes. Lors du mariage du duc d'Orléans, il se sentit ému de sollicitude pour la princesse protestante qui entrait dans une cour aux mœurs et aux croyances si nouvelles pour elle. Dés lors il lui envoya chaque année les meilleurs ouvrages religieux publiés en France et en Allemagne. Ces volumes lui arrivaient régulièrement, par une main inconnue, la veille de Noël, comme un souvenir de son enfance et de sa première patrie. Intriguée par ces envois, la duchesse aurait voulu connaître le donateur. Une fois, le nom et l'adresse de M. Legrand, restés égarés dans un des livres envoyés, le trahirent. Elle voulut le voir, et, lorsqu'il vint à Paris, l'invita aux Tuileries. M. Legrand et la duchesse devinrent grands amis. Celle-ci ayant formé le projet, en 1832, de s'arrêter au Ban de la Roche, à son retour d'une cure aux eaux de Plombières, le duc d'Orléans lui dit : « Va, je t'y laisserai oberliner tout à ton aise ». La visite ne put avoir lieu, à cause de la mort du prince.
La Société biblique britannique contribua pour une grande part à cette large diffusion des Écritures en France, d'abord et surtout par l'enthousiasme qu'elle créa pour la cause biblique, puis par les éditions des livres saints dont nous avons parlé plus haut (en 1817 elle avait fait imprimer en français 13.000 Bibles et 79.000 Nouveaux Testaments), et par les secours qu'elle accorda aux distributeurs des Écritures. Ainsi, en 1817, elle faisait en sorte qu'Oberlin fût régulièrement approvisionné d'exemplaires selon les besoins de ses distributions. D'autres pasteurs français, en grand nombre, avaient coutume de s'adresser à elle pour obtenir des Bibles. C'est à ses frais qu'Henri Oberlin (et probablement aussi Daniel Legrand) parcourut la France pour éveiller l'intérêt en faveur de la Bible et fonder des Sociétés bibliques.
Ainsi, par ses publications de livres saints en langue française, par ses dons de livres saints aux Français, soit en France (à Oberlin et à tant d'autres), soit hors de France (aux prisonniers français en Angleterre), par l'impulsion et le concours qu'elle donna à l'oeuvre biblique en France, oeuvre qui, comme nous allons le voir, fut la souche féconde de toutes les autres, la Société biblique britannique et étrangère est la première Société religieuse qui ait évangélisé la France au siècle dernier. Elle a puissamment contribué à créer le sol dans lequel ont pris naissance toutes nos oeuvres de mission et d'évangélisation. Elle a sa part considérable de maternité dans l'existence de notre protestantisme français des 19° et 20° siècles, avec toute son expansion missionnaire en France et au dehors (*).
(*) « Sans vous », disait en 1904, aux fêtes du Centenaire de la Société à Londres, M. le pasteur J. de Visme, délégué de la Société Biblique de France, « le protestantisme français ne serait pas ce qu'il est ! »
Quel admirable spectacle offre cette oeuvre biblique en France au début du 19° siècle ! Ce sont les années où l'hostilité entre la France et l'Allemagne, entre la France et l'Angleterre, est à son maximum d'intensité, et c'est dans ces années mêmes, c'est en 1805, en 1812, en 1814, que l'on voit une Société anglaise et un particulier allemand, celui-ci aidé des deniers du roi de Prusse et de l'empereur de Russie, répondre aux invasions napoléoniennes par une contre-invasion, une invasion de la Parole de Dieu ! Jusque-là l'Angleterre et la France ne s'étaient rencontrées que sur les champs de bataille, pour s'entr'égorger, et voici tout à coup réalisée entre elles, pour la Bible et par la Bible, l'entente cordiale ! Si l'on voulait une preuve que l'humanité n'est pas livrée à elle-même, mais que Dieu besogne au milieu d'elle, on l'aurait dans ces hommes qui, au milieu du cliquetis des armes, apparaissent porteurs du rameau d'olivier.
16.2 - Société biblique protestante de Paris — Société biblique française et étrangère — Société biblique de France
L'entreprise de M. Léo avait un caractère trop individuel et trop restreint. Une Société biblique s'imposait. En présence du bien accompli ailleurs par l'oeuvre biblique, quelques chrétiens éminents de Paris s'entretinrent, au commencement de 1818, de la fondation d'une Société biblique à Paris, mais sans aboutir. Quelques mois après, le Révérend J. Owen, secrétaire de la Société biblique britannique, était de passage à Paris. Grâce à son intervention, le projet fut repris, et cette fois suivi d'exécution. Au mois de novembre, la Société biblique protestante de Paris, — la première de toutes nos Sociétés religieuses, — se constitua avec l'autorisation du gouvernement. L'article premier de son règlement limitait son action aux chrétiens protestants, limitation sans laquelle l'autorisation n'eût pas été obtenue (*). Le marquis de Jaucourt fut nommé président.
(*) En 1820, le duc d'Estissac (probablement un chef militaire) écrivit au marquis de Jaucourt, président de la Société, qu'il avait fait saisir à Orléans un certain nombre de Bibles entre les mains des soldats de la garnison, auxquels elles avaient été distribuées clandestinement, et qu'il les avait fait remettre chez M. Lagarde, pasteur de la ville, à la disposition de la Société. Informations prises, il se trouva que ces Bibles étaient trente-six Nouveaux Testaments distribués aux soldats d'un régiment étranger à la ville par une personne étrangère à la Société.
Le ministre, le duc Decaze, souscrivit pour mille francs en faveur d'« un objet, disait-il, auquel devraient concourir toutes les communions chrétiennes ». Le préfet du Gard souscrivit pour cent francs.
À peine née, la nouvelle institution fut l'objet de violentes critiques. L'abbé Lamennais fit une charge à fond contre le mouvement biblique, qu'il appela « la dernière convulsion d'une secte expirante ». « Les crimes, disait-il, se sont multipliés en Angleterre depuis la fondation des Sociétés bibliques ». La Société put répondre dans le Moniteur, l'organe officiel du gouvernement. M. de Bonald fit une critique plus malheureuse encore en prétendant que l'oeuvre nouvelle n'était qu'une adroite spéculation de commerce (*). Tant de colère chez les adversaires était un hommage à la Société.
(*) En 1819, Joseph de Maystre écrivait ceci : « Bien qu'elle renferme de grands caractères, des hommes pleins de foi et d'illustres protecteurs, la société biblique, entreprise protestante, est la plus anti-chrétienne qui ait jamais été imaginée ». Elle produit un mal immense, à savoir la communication de l'Écriture Sainte en langue vulgaire, sans explication, sans distinction de personne ».
Dès sa fondation, la Société eut une action et un rayonnement extraordinaires.
Au bout d'un an environ, elle comptait déjà en France 113 comités auxiliaires, dont 17 à Paris seulement. La fondation de ces Sociétés fut due en grande partie aux voyages de M. Pinkerton, secrétaire de la Société britannique.
En 1821 un plan d'organisation divisa la France protestante en trente-trois départements bibliques ou sociétés auxiliaires qui devaient correspondre, pour les achats, avec la Société de Paris, et lui verser l'excédent de leurs recettes. À ces sociétés auxiliaires se rattachaient les sociétés branches, situées dans leur circonscription, et les sociétés branches, à leur tour, devaient étendre partout leurs ramifications en associations bibliques dont les membres s'engageraient à verser deux sous par semaine. On recommandait de composer les auxiliaires et les branches d'une douzaine de personnes. La présidence devait appartenir à un laïque.
En 1829, le nombre de ces divers comités auxiliaires s'élevait à 663. À douze personnes par comité (beaucoup en comptaient davantage), cela faisait huit mille personnes qui, du nord au sud de la France, s'occupaient activement de répandre la Bible (*).
(*) Le trait suivant, raconté par les Archives du Christianisme en 1822, montrera quel enthousiasme soulevait partout la cause biblique.
« En 1822, les enfants de l'école d'enseignement mutuel, établie par M. le pasteur Rosselloty, à Châtillon-sur-Loire, ont formé entre eux une petite Société biblique d'école et donnent 1 ou 2 liards par semaine, ce qui produit ensemble de 15 à 19 sous. Ils ont pour but de répandre la Sainte Bible dans toutes les familles, en la présentant aux nouveaux époux à chaque bénédiction de mariage dans le temple. L'un des enfants les plus sages a le bonheur d'offrir de sa main le Livre saint aux mariés à la fin de la prière ou de l'exhortation nuptiale ».
Les membres les plus importants du comité — M. Stapfer, l'amiral Verhuell, le comte Pelet de La Lozère, le pasteur Frédéric Monod, etc., etc. et des pasteurs amis, — payaient largement de leurs personnes, et n'hésitaient pas à entreprendre de longs et fatigants voyages à travers la France pour éveiller l'intérêt en faveur de l'oeuvre et fonder des Sociétés. C'étaient de vrais missionnaires de la cause biblique.
À côté du comité directeur, il y avait un comité auxiliaire de vingt dames de l'aristocratie protestante, dont chacune était chargée d'un des vingt arrondissements de Paris, pour visiter les familles protestantes, y distribuer les Écritures, y exciter le zèle pour la cause biblique, former des associations de douze membres au plus, avec cotisation de cinq ou dix centimes par semaine. En 1826, toutes les familles protestantes connues étaient visitées par ces dames. En 1827, ces associations comptaient six cent trente membres.
« Les assemblées annuelles de la Société mère, dit M. Douen, étaient des fêtes auxquelles les protestants, disséminés et sans lien commun, accouraient souvent de très loin, apprenaient à se connaître, à se compter et à s'aider mutuellement ». Pendant les premières années, on vit à ces assemblées de hauts personnages politiques catholiques, députés, pairs de France, ministres d'État, ministres étrangers, savants, par exemple le duc de Broglie, le duc de La Rochefoucauld, le duc Decaze, Maine de Biran. Il n'a été donné à aucune autre Société, que nous sachions, d'avoir de tels auditoires à ses assemblées. Après 1828, on n'y vit plus, en fait de notabilités, que les députés protestants, ce qui était encore quelque chose. Les temps ont bien changé.
La Société devint non seulement un centre de ralliement mais un foyer d'action d'où sortirent les Sociétés des Traités religieux (1822), des Missions (1822), de Prévoyance (1823), la Société pour l'encouragement de l'instruction primaire (1829), et d'autres encore.
La Société jouissait d'une popularité extraordinaire, et son influence s'étendait bien en dehors des cercles protestants. Ses rapports, tirés à 5.000 exemplaires, étaient lus avec ardeur. Cinquante exemplaires tirés sur vélin, bien reliés, étaient présentés ou envoyés par le marquis de Jaucourt aux ducs d'Angoulême, de Richelieu, de La Rochefoucauld, Decaze, de Broglie, au préfet de la Seine, au préfet de police, au directeur des douanes, au directeur des postes, à plusieurs députés, à la Chambre des pairs, à la Chambre des députés. Bien plus, accompagné du comte Pelet de la Lozère, vice-président de la Société, le marquis de Jaucourt allait présenter chaque année le rapport au duc d'Orléans, et continua de le faire lorsque le duc d'Orléans fut devenu le roi Louis-Philippe.
Il faut croire que ces rapports étaient lus et n'étaient pas sans exercer quelque influence et provoquer des sympathies, car peu de temps après la fondation de la Société, le gouvernement suspendit les droits de douane pour tous les livres saints envoyés à la Société de l'étranger. Vraiment, ici, tout est unique.
La période de développement de la Société s'arrête vers 1830. Cependant, il y eut encore dans son histoire bien des faits intéressants. Nous en citerons quelques-uns par anticipation.
En 1840, le préfet de l'Aisne demanda à la Société le don d'un nombre de Nouveaux Testaments proportionné à celui des détenus du département. La Société ne put accorder les volumes demandés que pour les détenus protestants. À la même époque, le ministre de l'instruction publique souscrivit pour 300 francs en vue de l'impression d'une Bible in-4 qu'il se proposait de placer dans les établissements de l'Université pour la célébration du culte protestant. En 1846, le ministre de la guerre fit transporter gratuitement les Bibles et les Nouveaux Testaments envoyés aux troupes d'Algérie, et la duchesse d'Orléans joignit à cet envoi une Bible in-folio richement reliée qu'elle destinait à la chaire du temple protestant d'Alger.
C'est en 1831 que le comité de la Société décida de mettre à la disposition des pasteurs des Nouveaux Testaments pour être offerts aux catéchumènes et des Bibles pour être offertes aux nouveaux époux (*).
(*) La première Bible protestante de mariage, dit M. Douen, a été donnée en 1822 par le pasteur Née, de Marsauceux.
La Société britannique aida largement la Société de Paris par des dons qui, de 1819 à 1831, s'élevèrent à 228.310 francs, dont 83.000 francs en argent et le reste en volumes. Aussi, à chaque assemblée annuelle, des remerciements étaient votés par la Société de Paris à la Société britannique.
Il y eut de très bonne heure deux tendances opposées au sein du Comité de la Société de Paris. Les divergences apparurent sur divers points.
D'abord sur la question des traductions. Les uns étaient conservateurs, ils voulaient l'unité de version, ils tenaient à Ostervald, qui avait édifié tant de générations ; les autres attachaient plus de prix à une version aussi exacte que possible, fallût-il innover. Déjà en 1822, un membre du comité proposa l'adoption d'une révision toute récente d'Ostervald (Lausanne, 1822), et sa proposition fut repoussée.
Puis, sur la question des Apocryphes. Les uns étaient défavorables, les autres favorables à la publication de ces livres.
Re: HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE
Enfin, sur la question de la distribution des livres saints aux catholiques. On se demande, puisque le comité du dépôt de la Société britannique, dont nous parlons plus loin, pouvait distribuer des livres saints aux catholiques, pourquoi la Société de Paris n'aurait pas pu le faire. Pourquoi l'autorisation du gouvernement lui était-elle plus nécessaire qu'au comité du dépôt britannique ? Sans doute pour être une Société reconnue. Cette restriction fut certainement une faiblesse. Plusieurs membres — ceux qui dirigeaient le dépôt britannique — le sentaient, et, après la révolution de 1830, proposèrent au comité de supprimer cette restriction. Se basant sur le manque de ressources, la majorité se prononça pour son maintien. Il s'ensuivit des tiraillements, des élections de combat, et finalement la démission de quatre membres, M .M. Stapfer, Lutteroth, Juillerat et Frédéric Monod. Faut-il chercher ailleurs la cause de l'arrêt dans le développement de la Société à partir de 1830 ?
En 1833, les membres démissionnaires fondèrent la Société biblique française et étrangère, dont le premier président fut M. P.-A. Stapfer. C'est l'amiral Verhuell qui lui succéda. Cette Société répandit la Bible, sans les Apocryphes, parmi les catholiques romains comme parmi les protestants. C'est elle qu'aida dorénavant la Société biblique britannique. Elle lui alloua pendant les trente-deux années de son existence 169.250 francs.
Les deux tendances dont nous avons parlé allèrent s'accentuant au sein du comité de la Société de Paris. La question des traductions toujours remise et toujours éludée, s'imposa en 1862, soit à cause d'une proposition formelle de M. Eichhoff demandant l'adoption du Nouveau Testament de Genève (1835), soit parce que la presse religieuse intervint avec vivacité et porta le débat devant les églises. Le Lien fit une campagne très vive contre Ostervald. L'Espérance, de son côté, condamnait le Nouveau Testament de Genève « qui a affaibli les principaux passages qui se rapportent à la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ », et ajoutait que si cette version était publiée, « tous les fidèles attachés à la saine doctrine devraient retirer leur concours de la Société ». Les conférences pastorales de 1863 se prononcèrent contre cette version, « qui soulève des objections très graves au point de vue de la fidélité ». Soixante-dix églises se prononcèrent dans le même sens. D'autre part, une centaine d'églises avaient exprimé le voeu de recevoir des Nouveaux Testaments de Genève. On peut penser si la lutte fut vive au sein du comité. La majorité était pour l'adoption de la version de l'Ancien Testament de Perret-Gentil et de celle de Genève pour le Nouveau. La minorité était contre cette dernière version, « de tendance socinienne », et pour Ostervald. Elle estimait la liberté réclamée périlleuse pour les églises et pour l'oeuvre biblique elle-même. La logique, disait-on, nous entraînera à publier des traductions faites par des incrédules tels que M. Strauss et M. Renan. L'article du règlement en vertu duquel la Société répandait les Écritures dans les versions reçues et en usage dans les églises fut soumis à des interprétations contraires. Au commencement de 1863 une commission conclut à l'adoption du Nouveau Testament de Genève, mais après un long débat M. Guizot refusa de mettre la proposition aux voix, comme contraire au règlement, et il semble bien qu'elle l'était en effet. Toutefois, M. Guizot offrit, mais inutilement, de céder le fauteuil de la présidence à l’un des vice-présidents.
La lutte reprit, l'agitation au sein des églises devint plus vive. 213 églises se prononcèrent, et parmi elles 193 étaient en faveur du Nouveau Testament de Genève. La question revint devant le comité à la fin de l'année, par le rapport d'une nouvelle commission, et le comité, à une grande majorité, prit la résolution de donner satisfaction à tous ceux qui demandaient soit la version de Genève (1835), soit le Nouveau Testament d'Arnaud, soit, si les circonstances le permettaient, à ceux qui demanderaient l'Ancien Testament de Perret-Gentil.
À la suite de ce vote, six membres, MM. F. Delessert, Berger, Léon de Bussière, Bartholdi, Martin-Rollin, Pelet de la Lozère, donnèrent leur démission. « Les deux fractions de ce comité, dit M. Lambert, n'avaient en commun ni les mêmes croyances, ni les mêmes principes, ni les mêmes vues. Elles représentaient deux esprits essentiellement différents, tranchons le mot, deux partis religieux. Une rupture était fatale. La question de la version de Genève en a été non la cause, mais l'occasion ».
Le schisme qui se produisit en 1863 au sein du comité de la Société biblique de Paris, à la suite de l'adoption du Nouveau Testament de Genève de 1835, aboutit, en 1864, à la fondation de la Société biblique de France. Voici les deux premiers articles du règlement qu'adopta la nouvelle Société :
ART. 1. — La Société biblique de France est fondée sur la foi en l'inspiration divine des Écritures saintes et en leur autorité infaillible en matière religieuse.
Cette Société a pour but de répandre les Écritures saintes.
ART. 2. — Les versions françaises répandues par la Société sont, pour le moment, celles d'Ostervald et de Martin, sans Apocryphes. Toutefois, si la majorité des Églises demande d'autres versions fidèles, celles-ci pourront être distribuées par la Société (*).
(*) Depuis, le mot infaillible, dans l'article premier, a été remplacé par le mot souveraine, et l'article second a été modifié comme suit :
Outre les versions d'Ostervald et de Martin, d'autres versions pourront être distribuées par la société, si elles sont reconnues fidèles et demandées par les Églises protestantes…
Trois ans après le schisme, la Société biblique de Paris, pour éviter à l'avenir une interprétation semblable à celle qui avait amené le schisme, modifia le premier article de son règlement. Il est actuellement ainsi conçu :
La Société a pour but de répandre parmi les chrétiens protestants les Saintes Écritures, sans commentaires, dans les versions demandées par les Églises.
On le voit, la ligne de conduite est différente. L'une des deux sociétés consacre, en fait de distributions des Écritures, la liberté absolue ; l'autre exerce un contrôle, elle ne répand que les versions qu'elle estime fidèles et qui sont réclamées ou sanctionnées par des corps autorisés, autrefois « la majorité des églises », aujourd'hui, le synode.
Il y eut donc en France, un moment (au commencement de 1864), quatre Sociétés bibliques : La Société biblique protestante de Paris, la Société biblique britannique et étrangère, la Société biblique française et étrangère, la Société biblique de France. Mais ces quatre Sociétés furent bientôt réduites à trois. Entre les deux dernières, il n'y avait de différence ni quant à la foi, ni quant à la ligne de conduite. L'union répondait aux voeux de tous comme à la réalité de la situation. Aussi fut-elle bientôt un fait accompli. Le 24 avril 1864, la Société biblique française et étrangère tint sa trente-deuxième et dernière séance (après avoir distribué 750.000 volumes et dépensé 2.400.000 francs), et annonça sa fusion avec la Société biblique de France. « On peut affirmer, dit M. Lambert, que jamais fusion ne fut plus complète, plus heureuse, plus bénie, et que jamais les différences d'origine des membres du comité biblique ne laissèrent la moindre trace ».
Cette fusion facilita certainement les débuts de la nouvelle Société. Dès qu'elle fut fondée, 119 églises, dont les églises réformée et luthérienne de Paris,se rattachèrent à elle. Ses recettes de la première année s'élevèrent à 46.000 francs.
La Société biblique de France offre gratuitement la Bible à tous les couples qui font bénir leur union par un pasteur, le Nouveau Testament à tous les catéchumènes, un Nouveau Testament petit format à tous les jeunes soldats protestants appelés sous les drapeaux. Elle met à la disposition des pasteurs des Nouveaux Testaments pour distribution gratuite à différentes catégories de personnes, indigents, vieillards, malades dans les hôpitaux.
La Société publie Ostervald et Ostervald revisé. Nous avons parlé précédemment avec détail de ses travaux de traduction.
Depuis 1864 jusqu'en 1909 inclusivement, la Société biblique de France a répandu 1.191.675 volumes (264.960 Bibles, 540.774 Nouveaux Testaments, 385.941 portions).
Ses recettes se sont élevées pendant le même temps à 2.030.727 francs et ses dépensess à 2.059.680 francs.
Les distributions de la Société biblique de Paris se sont élevées, depuis sa fondation à 1909 inclusivement, à 1.058.729 volumes. Les Bibles figurent sur ce chiffre pour trois huitièmes, les Nouveaux Testaments pour cinq huitièmes environ.
Les dépenses se sont élevées pendant le même laps de temps à 3.471.809 francs. Les recettes, à la même somme, plus une soixantaine de mille francs.
Les versions publiées par la Société biblique de Paris ont été, pour la Bible : Ostervald (épuisé) ; Segond ; pour l'Ancien Testament : Perret Gentil (épuisé), et Segond, avec les livres rangés dans l'ordre du canon hébreu ; pour le Nouveau Testament : Ostervald (épuisé) ; Arnaud (presque épuisé), Oltramare, Oltramare révisé, Stapfer. En 1909, les Livres apocryphes. En 1910, l'Évangile de Marc, dans le texte duquel ont été insérés les discours de Jésus tels que les donnent Matthieu et Luc, avec une préface tout à fait propre à montrer au lecteur moderne, étranger aux choses de Dieu, combien l'Évangile est moderne, humain.
La Société publie une Bible Segond-Oltramare, une Bible Segond-Segond, une Bible Segond-Stapfer.
Elle publie aussi une petit Guide pour la lecture de la Bible qui a eu un vif succès. Il figure en tête de toutes les Bibles de mariage. Il a été aussi publié à part.
Les présidents de la Société biblique de Paris ont été : Le marquis de Jaucourt (1818-1852), M. Guizot (1855-1874), M. le pasteur Montandon (1876-1877), M. le baron F. de Schickler (1878-1909).
Les présidents de la Société biblique de France ont été : M. François Delessert (1864-1867), le général de Chabaud-Latour (1867-1885), M. le pasteur Dhombres, faisant fonction de président de 1885 à 1888, puis président en titre (1888-1895), M. le professeur A. Matter (1895-1905), depuis 1905 M. le pasteur Camille Soulier.
16.3 - Agence française de la Société biblique britannique et étrangère
16.3.1 - En France
La Société britannique ne se borna pas à aider la Société de Paris. Celle-ci, comme nous l'avons dit, limitait son action aux protestants. La Société britannique voulut rester fidèle, en France comme ailleurs, à la catholicité de son programme et étendre son activité à tous. Elle fonda en 1820 un dépôt à Paris, sous la direction de M. Kieffer (*1), laïque luthérien, professeur au Collège de France et interprète pour les langues orientales au Ministère des affaires étrangères. M. Kieffer était assisté d'un comité formé par quelques membres de la Société de Paris. Telle fut l'origine de l'agence française de la Société biblique britannique et étrangère (*2).
(*1) M. Kieffer était un savant. Tout en travaillant à la diffusion de la Bible en France, il rendit de grands services en révisant la Bible turque et en surveillant l'impression, à Paris, des livres saints en basque, en breton, en italien, en arménien, en syriaque et en carschoun.
(*2) Il semble qu'il y ait eu quelque hésitation quant au meilleur nom à donner en français à la Société. Sur une Bible de 1807, elle porte le nom de Société pour l'impression de la Bible en langue anglaise et en langues étrangères, et sur une Bible de 1819 elle porte le nom d'Association anglaise et étrangère de la Bible.
En 1826, sous la pression de l'opinion publique et à la suite de polémiques retentissantes, la Société britannique cessa de distribuer les Apocryphes et de subventionner les Sociétés qui les distribuaient, parmi elles la Société de Paris.
À M. Kieffer succéda, en 1834, M. Victor de Pressensé (*) ; à M. Victor de Pressensé, en 1871, M. Gustave Monod, administrateur admirable, vrai père pour les colporteurs ; à M. Gustave Monod, en 1901, l'auteur de ces lignes.
(*) Directeur de l'agence française de la Société de 1833 à 1871, M. Victor de Pressensé (père d'Edmond de Pressensé, grand-père de M. F. de Pressensé), a été l'une des personnalités les plus marquantes du protestantisme français au siècle dernier. Fils d'un père catholique et d'une mère protestante, il fut élevé dans la religion catholique, comme les fils devaient l'être d'après une convention mutuelle. Toute la famille émigra en Hollande lors de la Révolution. Le fils devint élève des Jésuites, et fut rebaptisé par eux en grande pompe. La famille s'étant transportée à Lausanne, le jeune Victor se trouva sous une influence protestante, et surtout sous celle d'une soeur plus âgée que lui, qui, toujours maladive, toujours étendue dans un fauteuil, ne trouvait de consolation que dans la Bible de famille, constamment ouverte devant elle. Chaque jour elle faisait venir son frère auprès d'elle pour lui parler, avec une onction et un ravissement qui auraient ému le coeur le plus dur, de ses espérances et de ses joies spirituelles. Sentant sa fin approcher, elle parla à son frère avec plus d'énergie que jamais. Elle lui lut plusieurs passages des plus frappants de l'Écriture, et le supplia de donner son coeur au Seigneur. On l'entendit fréquemment implorer le Seigneur pour que son frère devint un serviteur de sa Parole. Cependant, celui-ci devait rester dans l'indifférence religieuse jusqu'en 1830. Le beau mouvement religieux qui se produisit alors à Paris et fut un véritable réveil des âmes, l'entraîna et le gagna pour toujours. Ce fut la consécration exclusive de sa vie au service de Dieu et de Jésus-Christ. Dans son grand zèle, il collabora à toutes les fondations qui surgirent alors au sein des Églises.
La Société se proposait de répandre la Bible parmi les catholiques. À plusieurs reprises, le croirait-on, ce fut le gouvernement lui-même qui lui en fournit l'occasion.
En 1831, le ministre de l'instruction publique lui commanda 20.000 Nouveaux Testaments pour être employés dans les écoles comme livres de classe, et les paya 10.000 francs. L'année suivante, les membres du conseil royal demandaient, aux mêmes conditions, 20.000 Nouveaux Testaments, et un membre de ce conseil, inspecteur des écoles primaires, en demandait 20.000 autres pour être distribués dans les écoles de seize départements.
Dans le rapport de l'année 1834, nous relevons cette phrase : les sommes reçues par M. de Pressensé s'élèvent à 41.350 francs (*1), dont 15.000 reçus du ministre de l'instruction publique. Cette dernière somme était évidemment destinée à payer les volumes envoyés cette année-là aux écoles : 239 Bibles et 23.683 Nouveaux Testaments. L'année suivante la Société disposa en faveur des écoles de 14.560 exemplaires (*2).
(*1) Il semble donc qu'alors on donnait largement en France pour la Société. Une autre année. M. de Pressensé reçut pour la Société un don de 25.000 francs.
(*2) Qui dira tout le bien dont ces exemplaires distribués dans les écoles furent le moyen ? Nés catholiques, le père et la mère de M. Sainton, l'évangéliste bien connu, ont été convertis par la lecture d'un Nouveau Testament, qui, à l'école primaire, avait servi de livre de classe à M. Sainton.
La Société ne cessa d'aider les oeuvres bibliques locales. Dans le rapport de 1834, nous relevons les affectations suivantes :
Pour un nouveau dépôt à Nancy, 50 Bibles, 500 Nouveaux Testaments.
Société évangélique de Genève, 170 Bibles, 1.942 Nouveaux Testaments.
Nouvelle Société biblique, à Lille, 102 Bibles, 350 Nouveaux Testaments.
MM. Courtois, à Toulouse, 154 Bibles, 4.200 Nouveaux Testaments.
Pasteur Saulter, Marseille, 175 Bibles.
Pasteur Frédéric Monod, 250 Bibles.
Comme distributions, signalons 71.612 Nouveaux Testaments aux soldats français pendant la guerre de Crimée ; 6.000, aux troupes en partance pour le Mexique ; un million de volumes aux soldats français et allemands pendant la guerre de 1870; 200.000 Nouveaux Testaments aux familles françaises et allemandes qui avaient perdu l'un des leurs pendant cette même guerre ; 400.000 Évangiles distribués à l'Exposition universelle de Paris en 1900; 4.500 volumes aux victimes des inondations de 1875; 10.500, aux victimes des inondations de 1907; plus de 35.000 aux victimes des inondations de 1910; 400 Évangiles aux forçats de la Guyane en 1909, etc.
À la suite d'une souscription spéciale, 602 Nouveaux Testaments furent envoyés, pour le 1er janvier 1906, aux gardiens des phares de France, et 24 aux gardiens des phares de Belgique.
Toutefois, le principal moyen d'action de la Société, ce fut le colportage biblique. À peine l'agence française est-elle fondée, qu'on voit à l'oeuvre un peu partout des colporteurs bibliques par lesquels elle répand la parole de Dieu parmi les catholiques. Dans plusieurs départements du nord, il y en avait qui travaillaient sous la direction des pasteurs protestants, par exemple de M. Guillaume Monod, à Saint-Quentin. Dans le midi, les frères Louis, Frank et Armand Courtois de Toulouse, dirigeaient une oeuvre étendue de colportage, et répandaient les livres saints que leur fournit la Société pendant des années (*) dans tout le midi de la France, dans les Pyrénées, et jusqu'en Espagne, dans les campagnes, dans les villes, parmi les pauvres, parmi les prisonniers, parmi les soldats, parmi les forçats. À Paris même, des colporteurs travaillaient avec succès. Les gens les appelaient parfois de leurs boutiques et leur achetaient avec joie. Plus tard, il y eut des concierges qui acceptaient des livres saints en dépôt et les vendaient. Les colporteurs qui n'étaient pas sous une direction particulière gagnaient leur vie par le bénéfice réalisé sur la vente des volumes que la Société leur laissait avec une forte remise.
(*) De 1832 jusque, sans doute, à 1848, année où le rapport de la Société mentionne les frères Courtois pour la dernière fois. En 1832, M. Frank Courtois écrivait : « Le grand nombre d'exemplaires du Nouveau Testament répandus parmi les couches inférieures de la Société ont positivement agi sur l'opinion publique ».
Aussitôt fondée, en 1830, la Société évangélique de Genève employa treize colporteurs, et depuis lors ne cessa de développer le colportage biblique. Elle s'est toujours pourvue de livres saints auprès de la Société britannique.
C'est sous M. Victor de Pressensé et par son initiative que commença, en 1837, le colportage organisé et surveillé par la Société. Sous sa direction, le nombre des colporteurs varia de 80 à 110. Il faudrait un volume pour parler des résultats de l'oeuvre du colportage. Que de conversions de bon aloi dues à la lecture des livres saints vendus par les colporteurs ! Un seul trait suffira à donner une idée du nombre d'âmes ainsi amenées à Jésus-Christ : Plus de la moitié des 1.800 ou 1.900 colporteurs employés pendant ces trente dernières années, écrivait M. de Pressensé en 1863, étaient d'anciens catholiques, et c'est par la lecture d'une Bible ou d'un Nouveau Testament acheté à un colporteur qu'ils ont été convertis à Jésus-Christ. Depuis lors, le ministère des colporteurs n'a pas cessé de se poursuivre avec labeur, mais avec bénédiction (*).
(*) On lira avec intérêt l'appréciation de Vinet sur les premiers succès du colportage en France. Elle date de près de quatre-vingts ans. Vinet parle des encouragements obtenus par les premiers colporteurs bibliques employés par la Société évangélique de Genève :
Voilà ce qui se passe, sans bruit, au milieu des événements qui en font tant, des craintes et des espérances vaines qui en font davantage encore. Je ne sache pas que nos journaux, à l'affût des moindres nouvelles, aient fait la plus légère mention de ce mouvement religieux, qui, s'il se soutient, prépare à la France la plus bienfaisante et la plus radicale des révolutions. Il révélerait aux hommes d'État, s'ils y voulaient prendre garde, dans l'esprit national, un élément caché, inaperçu, dont on peut tirer le plus grand parti ; il leur ferait voir que la religion, traitée par eux avec trop de légèreté, vit, du moins sous forme de besoin, dans les coeurs de la multitude, et qu'il y a encore dans cette nation, qu'on a tant travaillé à rendre frivole et légère, l'étoffe d'un peuple sérieux, par conséquent d'un peuple paisible et d'un peuple libre (L'Éducation, la Famille et la Société, p. 153).
Voir plus loin : Aperçu sur le colportage biblique en France.
Il y a eu plus que l'action sur les individus. Bien souvent, le colportage biblique a été l'instrument principal d'un réveil religieux et de la fondation d'une église. En 1844, M. Victor de Pressensé écrivait, à propos d'un mouvement religieux en Saintonge : « Plus de soixante communes réclament des pasteurs évangéliques. Ce mouvement, qui est vraiment extraordinaire, est le résultat des travaux d'un colporteur ». Des indications de ce genre reviennent souvent sous sa plume. Les églises de Thiat, de Rouillac, de Limoges, de Villefavard, d'Auxerre, de la Chapelle-aux-Neaux (près Tours), de Fleurance, de Madranges, de Malataverne, de Notre-Dame-de-Commiers (Isère), de Monteynard (Isère) (*), sont dans une mesure plus ou moins grande, et pour quelques-unes très grande les fruits du colportage biblique ou de la distribution des livres saints. Ceci dit sans songer à diminuer en rien la part importante que d'autres oeuvres et d'autres hommes ont eue à ces conquêtes.
(*) Voir plus loin le récit : Le Père Jacob.
En 1909, la Société avait répandu en France, depuis 1804, 13.143.031 volumes, dont 5.844.643 par le colportage biblique.
16.3.2 - Dans les colonies
Comme la Société britannique a été la première Société qui ait évangélisé la France, elle a aussi été la première Société qui ait travaillé à l'évangélisation des populations européenne, arabe, kabyle, de l'Algérie, de la Tunisie et de la Tripolitaine. Lorsque, en 1882, la Société établit une agence à Alger, et commença à employer des colporteurs dans le nord de l'Afrique, il n'y avait en Algérie et en Tunisie que deux Sociétés missionnaires anglaises à l'oeuvre parmi les juifs. Quand M. Pearce commença son oeuvre parmi les Kabyles, la Société avait déjà fait traduire dans le dialecte berbère une partie de l'Évangile selon saint Luc.
De 1882 à la fin de 1908, l'agence de la Société a répandu 275.000 livres saints en Algérie, en Tunisie et dans la Tripolitaine.
De même, la Société biblique britannique et étrangère aura été la première et est actuellement la seule Société à évangéliser les païens de l'Annam (*1). Lorsque M. Ch. Bonnet s'établit à Tourane en 1902, il arrivait dans ce pays comme le premier représentant de l'Évangile apostolique et non romain. En 1898, la Société britannique avait déjà fait un essai en Cochinchine. Les missionnaires catholiques sont dans ce pays depuis 1620. Pendant les six ans et demi (1902 à 1909) que M. Bonnet vient de passer en Indo-Chine, il a fait avec deux aides indigènes des tournées de colportage, non seulement en Annam, mais jusqu'à Hanoï au nord et jusqu'au Cambodge au sud, et a vendu 97.741 volumes. Il a pu lire et expliquer l'Évangile partout, dans les maisons, sur les marchés, chez les maires, chez les préfets et jusque dans les pagodes bouddhistes (*2).
(*1) Précédemment, les missionnaires de l'Église presbytérienne des États-finis ont travaillé sur la rive gauche du Mékong, puis dans la partie française du Siam. Les indigènes convertis ont émigré depuis dans la partie siamoise.
Une station missionnaire a été fondée en 1902 à Song-Khône (Laos) par MM. Willy et Contesse. Les missionnaires de Song-Khône et l'agent de la Société britannique sont donc actuellement les seuls représentants de l'Évangile établis parmi les païens de l'Indochine française.
(*2) Voir plus loin . Aperçu sur le colportage biblique en Indo-Chine.
De même, la Société biblique britannique et étrangère sera la première à évangéliser le Soudan français. Un jeune proposant méthodiste, M. Mesnard, a été nommé, en 1908, comme sous-agent pour répandre les Écritures dans la vallée du Niger, et éventuellement jusqu'à Tombouctou.
16.3.3 - Pour nos missions françaises
Il faut aussi parler de ce que la Société fait pour les missions françaises. Elle les fournit gratuitement (sauf à rentrer par la vente des volumes dans une partie de ses débours) de ces livres saints sans lesquels on ne peut former ni des chrétiens ni des évangélistes indigènes, sans lesquels il n'est pas de mission prospère. Aussi, il faut voir avec quel enthousiasme, avec quelle reconnaissance, les missionnaires, sans exception, parlent de la Société ! (*). Le service rendu, incommensurable au point de vue spirituel, n'est pas à dédaigner à un point de vue inférieur. Quel surcroît de dépenses se trouve ainsi épargné à la direction de la Mission ! Quelle charge, s'il avait fallu débourser, par exemple, 100.000 francs pour la publication de la Bible en sessouto (c'est ce qu'elle a coûté à la Société), et à l'avenant pour les Écritures en d'autres langues !
(*) Voir le Fragment : La Bible au Lessouto.
Aux missionnaires français, la Société fournit la Bible en sessouto (elle a envoyé au Lessouto, de 1881 à 1908, 165.944 exemplaires des Écritures, soit 36.244 Bibles, 125.700 Nouveaux Testaments, 4.000 portions), en malgache, en tahitien, en maréen ; le Nouveau Testament en kabyle ; Matthieu et Marc en pahouin, le Pentateuque, les Psaumes et le Nouveau Testament en galwa, la Genèse et Matthieu en fang (Congo) ; Matthieu en wolof, les quatre Évangiles en mandingue (Sénégal) ; Marc, Jean, en annamite ; Luc en cambodgien ; Jean en laotien (le premier livre imprimé au Laos. Luc est en préparation) ; Matthieu en ongom (Congo) ; Marc et Jean en Houaïlou (Nouvelle Calédonie) ; Marc en Ponérihouen (id.).
16.3.4 - Société nationale pour une traduction nouvelle des livres saints en langue française
Cette Société fut fondée en 1866. Son but était de donner, en se plaçant sur le terrain philologique et littéraire, une traduction qui pût être acceptée par toutes les communions. Sa création fut le fruit des efforts de M. le pasteur Emmanuel Petavel, efforts dans lesquels il se trouva efficacement secondé par M. l'abbé Étienne Blanc, du clergé de la Madeleine, et par M. Lévy Bing, savant hébraïsant. Pendant plusieurs mois, ces messieurs accompagnèrent M. Petavel dans un grand nombre des visites qu'il fit aux personnes dont il sollicitait l'adhésion. Une feuille de propagande (*) indiquait dans les termes suivants le but de la Société :
(*) Cette feuille donnait le nom des soixante-huit membres de la Société, parmi lesquels le prince Louis-Lucien Bonaparte, MM. Saint-René Taillandier, Saint-Marc Girardin, de Vogue, professeur au séminaire israélite, Montalembert, le prince Albert de Broglie, Amédée Thierry, les pasteurs Edmond de Pressensé, Théodore Monod, Rognon, Louis Vernes, A. Matter, le grand rabbin Astruc, quatorze prêtres dont le père Gratry, MM. Alfred André, Chabaud Latour, Rosseuw Saint-Hilaire, Munk, membre de l'Institut, Oppert, membre de la Société asiatique, ces deux derniers orientalistes célèbres, et M. Egger, de l'Institut, le prince des hellénistes français.
Un membre de l'Institut, professeur au Collège de France, faisait naguère la remarque suivante : « Une lacune sérieuse existe dans la littérature française ; on y chercherait en vain une traduction satisfaisante de la Bible ». Les versions en usage pèchent par leur inexactitude, ou par l'incorrection et la vulgarité du style. Pour l'honneur de la France et de sa langue, dont la mission est universelle, l'indifférence relative à cette lacune ne doit pas se prolonger. À quelque point de vue qu'on se place, on reconnaîtra que les textes bibliques ont droit à une traduction nouvelle, aujourd'hui surtout que les questions morales et religieuses occupent tous les esprits. Depuis quelques années, il est vrai, on s'est mis à l'oeuvre de plusieurs côtés à la fois. Mais, sans contester les mérites respectifs des essais mis au jour, ne faut-il pas regretter la dissémination et l'insuffisance de tant d'efforts dont la combinaison et l'union pourraient donner le succès ? Nous demandons une entente des hommes de bonne volonté, se rencontrant sur le terrain commun de la philologie et des études littéraires. Que les savants hébraïsants ou hellénistes de l'Institut de France, de la Sorbonne, de la Société asiatique, se réunissent pour la formation d'une Société ou d'une académie nouvelle ; qu'ils s'adjoignent les érudits et les littérateurs les plus compétents. Sous l'égide d'un gouvernement favorable aux recherches de la science, ils érigeront ensemble un monument national, digne de la belle langue que nous parlons, digne de la science philologique qui a réalisé de si importants progrès, digne surtout des immortelles vérités dont l'Écriture nous a transmis l'inépuisable trésor ».
Un comité fut constitué, avec M. Amédée Thierry pour président, MM. l'abbé Martin de Noirlieu, curé de Saint-Louis d'Antin à Paris, le pasteur Vallette, Astruc, grand rabbin, et Paulin Paris, membre de l'Institut, pour assesseurs, et M. Petavel, secrétaire. L'archevêque de Paris se montra sympathique à l'entreprise qui, d'après les Archives du christianisme, obtint son approbation.
La séance d'inauguration eut lieu, le 21 mars 1866, à l'amphithéâtre de la Sorbonne, prêté par le ministre de l'instruction publique, M. Duruy, sous la présidence de M. Amédée Thierry, sénateur et membre de l'Institut. Près de 2.000 personnes étaient présentes. On entendit, outre le président, qui appela la Bible « le livre universel, le livre de la civilisation même », M. Petavel, secrétaire, le pasteur Vallette, l'abbé Martin de Noirlieu, l'abbé Bertrand, chanoine de la cathédrale de Versailles, M. Aristide Astruc, gradué grand rabbin, l'abbé Théodore Loyson, curé de Sainte-Clotilde, frère de M. Hyacinthe Loyson, un autre israélite : M. Lévy-Bing, membre de la Société asiatique, et M. Eichhoff, membre du consistoire luthérien (donc, trois protestants, dont deux réformés et un luthérien, quatre catholiques, deux israélites). Voici un extrait du discours de l'abbé Bertrand.
J'ai été pendant vingt ans à la tête d'une commune rurale assez importante. Or cette paroisse, composée presque uniquement de cultivateurs, était, sans contredit, l'une des plus religieuses des environs de Paris, malgré les relations journalières des paysans avec la capitale. Je me félicitais un jour de cet état de choses en présence d'un membre éminent du consistoire central de Paris. — Ne serait-ce pas, me dit-il, que votre paroisse était autrefois protestante ? — En aucune façon, lui répondis-je : ses habitants étaient au contraire du parti de la Ligue.
Je ne viens pas ici, Messieurs, rechercher quelles ont été les causes de cette heureuse exception d'une paroisse chrétienne au milieu de communes irréligieuses. Je me contenterai de vous apprendre qu'il y avait une Bible à peu près dans chaque famille et qu'elle était lue tout haut pendant les veillées de l'hiver. Je me suis demandé si ce n'était pas là le secret de la conservation de la foi dans cette paroisse ? Nous lisons en effet dans Isaïe 55, 11 : « Ainsi en sera-t-il de la parole qui sera sortie de ma bouche ; elle ne reviendra pas à moi sans effet ». La Parole de Dieu est donc féconde par elle-même…
L'abbé Loyson prononça un discours remarquable. Il parla de « l'avantage que pourrait créer, au point de vue de la controverse religieuse, cette version commune » :
Sans doute, elle ne franchirait le seuil de chaque communion religieuse qu'avec l'assentiment, l'approbation de l'autorité qui la gouverne… Mais enfin, le texte serait là, dans sa pureté originelle, dégagé des paraphases et des tournures plus accentuées ou plus adoucies que de part et d'autre on y a souvent introduites (*).
(*) C'est nous qui soulignons ici et plus loin.
Il est intéressant de voir un ecclésiastique catholique, un docteur en théologie, reconnaitre le caractère tendancieux de certaines traductions catholiques.
Le passage suivant mérite aussi d'être reproduit.
C'est ma croyance intime qu'un jour tous, sur cette terre, dans l'unité d'une seule et même Église, nous nous donnerons la main, formant une guirlande glorieuse autour de Celui qui règne dans l'éternité. Mais en attendant, sur ce champ de bataille où nous sommes divisés, le seul accord possible, avec celui de la charité, c'est le choix, consenti de tous, du terrain et des armes les plus propres à faire sortir de la lutte le triomphe final de l'unité. Le temps n'est plus où de part et d'autre on tentait d'atteindre les âmes en frappant sur les corps. À ces combats, d'autres ont succédé : les combats de l'esprit, les controverses pacifiques, le choc lumineux de convictions opposées. C'est avec ces armes que les hommes d'aujourd'hui doivent se mesurer, se vaincre, ou plutôt, par la vérité communiquée et reçue, se couronner mutuellement (*).
(*) Malheureusement, l'abbé Loyson n'autorisa pas la publication de son discours dans la brochure qui rendait compte de la séance. Son confesseur ne le lui permit pas, et la cause de cette interdiction avait, parait-il, pour cause le désaveu implicite formulé par l'orateur de la répression violente de l'hérésie et des procédés de l'Inquisition. M. Petavel s'inclina, bien que le discours étant déjà imprimé et la brochure paginée, il eût eu le droit légal de passer outre.
Un témoin oculaire, le pasteur Ad. Duchemin, écrivait dans les Archives du Christianisme du 30 mars : « Rien de plus étrange que l'aspect de cette réunion. Sur l'estrade, des prêtres, des pasteurs, des rabbins, et la plus fraternelle entente établie entre tous : les prêtres applaudissant à la parole du pasteur, et tous ensemble exaltant le rabbin qui venait d'exalter les Écritures divines. Dans l'assemblée, même mélange et même enthousiasme. De tous les côtés, la cordialité s'est montrée sans que l'individualité fût sacrifiée, sans que les divergences de croyances fussent voilées. Les prêtres ont parlé en prêtres, les pasteurs en pasteurs, les rabbins en rabbins juifs. Tous ont revendiqué leur pleine indépendance dogmatique, et déclaré qu'ils restaient ce qu'ils sont, et demeuraient fidèles à leur foi. Il n'y a point eu confusion ; il y a eu fusion d'efforts pour arriver à un but nettement défini : produire une traduction des livres saints, fidèle, exacte, française ».
Quarante et un journaux, parmi lesquels les Débats, le Temps, le Siècle, le Times, rendirent compte de la séance ou de ce qui suivit. Ce qui suivit, malheureusement, ce fut la retraite des prêtres catholiques. Au lendemain de la réunion parut dans la Semaine religieuse de Paris une note anonyme, glissée par une main inconnue, d'après laquelle le pape désavouait l'entreprise. C'était faux, mais, malgré la désapprobation de Mgr Darboy, qui avait accueilli et accueillit encore M. Petavel avec la plus grande bienveillance, cette note ne fut pas démentie, et les ecclésiastiques catholiques qui avaient donné leur adhésion se virent contraints de se retirer. « Avez-vous vu, dit un journal, les moineaux du Palais-Royal s'envoler au coup de canon de midi ? Ainsi se sont éclipsés nos prétendus libéraux catholiques ». La Société cessait ainsi d'être nationale. Elle eut, un an après, le 27 mars 1867, une seconde séance, que présida M. Amédée Thierry, et qui réunit une élite de savants hébraïsants et hellénistes de Paris. Mais cette seconde séance fut la dernière. Bientôt la Société nationale pour la traduction des livres saints en langue française ne fut plus qu'un souvenir. Tout ce qui en resta, comme traduction, ce fut un essai de traduction des trois premiers chapitres de la première épître de Pierre présenté par M. Petavel, essai que publièrent les Archives.
Ce fut donc un échec. Mais quelle grandeur dans cet accord, même éphémère, de trois confessions religieuses réunies sur le terrain biblique ! Ce fut une manifestation passagère de l'unité éternelle des croyants. Ce fut dans la nuit comme un éclair prophétique. Plût à Dieu qu'il y eût beaucoup d'échecs de ce genre ! L'initiative du pasteur Petavel mérite d'être saluée comme l'un des plus nobles efforts qu'enregistre l'histoire religieuse de notre pays.
En 1833, les membres démissionnaires fondèrent la Société biblique française et étrangère, dont le premier président fut M. P.-A. Stapfer. C'est l'amiral Verhuell qui lui succéda. Cette Société répandit la Bible, sans les Apocryphes, parmi les catholiques romains comme parmi les protestants. C'est elle qu'aida dorénavant la Société biblique britannique. Elle lui alloua pendant les trente-deux années de son existence 169.250 francs.
Les deux tendances dont nous avons parlé allèrent s'accentuant au sein du comité de la Société de Paris. La question des traductions toujours remise et toujours éludée, s'imposa en 1862, soit à cause d'une proposition formelle de M. Eichhoff demandant l'adoption du Nouveau Testament de Genève (1835), soit parce que la presse religieuse intervint avec vivacité et porta le débat devant les églises. Le Lien fit une campagne très vive contre Ostervald. L'Espérance, de son côté, condamnait le Nouveau Testament de Genève « qui a affaibli les principaux passages qui se rapportent à la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ », et ajoutait que si cette version était publiée, « tous les fidèles attachés à la saine doctrine devraient retirer leur concours de la Société ». Les conférences pastorales de 1863 se prononcèrent contre cette version, « qui soulève des objections très graves au point de vue de la fidélité ». Soixante-dix églises se prononcèrent dans le même sens. D'autre part, une centaine d'églises avaient exprimé le voeu de recevoir des Nouveaux Testaments de Genève. On peut penser si la lutte fut vive au sein du comité. La majorité était pour l'adoption de la version de l'Ancien Testament de Perret-Gentil et de celle de Genève pour le Nouveau. La minorité était contre cette dernière version, « de tendance socinienne », et pour Ostervald. Elle estimait la liberté réclamée périlleuse pour les églises et pour l'oeuvre biblique elle-même. La logique, disait-on, nous entraînera à publier des traductions faites par des incrédules tels que M. Strauss et M. Renan. L'article du règlement en vertu duquel la Société répandait les Écritures dans les versions reçues et en usage dans les églises fut soumis à des interprétations contraires. Au commencement de 1863 une commission conclut à l'adoption du Nouveau Testament de Genève, mais après un long débat M. Guizot refusa de mettre la proposition aux voix, comme contraire au règlement, et il semble bien qu'elle l'était en effet. Toutefois, M. Guizot offrit, mais inutilement, de céder le fauteuil de la présidence à l’un des vice-présidents.
La lutte reprit, l'agitation au sein des églises devint plus vive. 213 églises se prononcèrent, et parmi elles 193 étaient en faveur du Nouveau Testament de Genève. La question revint devant le comité à la fin de l'année, par le rapport d'une nouvelle commission, et le comité, à une grande majorité, prit la résolution de donner satisfaction à tous ceux qui demandaient soit la version de Genève (1835), soit le Nouveau Testament d'Arnaud, soit, si les circonstances le permettaient, à ceux qui demanderaient l'Ancien Testament de Perret-Gentil.
À la suite de ce vote, six membres, MM. F. Delessert, Berger, Léon de Bussière, Bartholdi, Martin-Rollin, Pelet de la Lozère, donnèrent leur démission. « Les deux fractions de ce comité, dit M. Lambert, n'avaient en commun ni les mêmes croyances, ni les mêmes principes, ni les mêmes vues. Elles représentaient deux esprits essentiellement différents, tranchons le mot, deux partis religieux. Une rupture était fatale. La question de la version de Genève en a été non la cause, mais l'occasion ».
Le schisme qui se produisit en 1863 au sein du comité de la Société biblique de Paris, à la suite de l'adoption du Nouveau Testament de Genève de 1835, aboutit, en 1864, à la fondation de la Société biblique de France. Voici les deux premiers articles du règlement qu'adopta la nouvelle Société :
ART. 1. — La Société biblique de France est fondée sur la foi en l'inspiration divine des Écritures saintes et en leur autorité infaillible en matière religieuse.
Cette Société a pour but de répandre les Écritures saintes.
ART. 2. — Les versions françaises répandues par la Société sont, pour le moment, celles d'Ostervald et de Martin, sans Apocryphes. Toutefois, si la majorité des Églises demande d'autres versions fidèles, celles-ci pourront être distribuées par la Société (*).
(*) Depuis, le mot infaillible, dans l'article premier, a été remplacé par le mot souveraine, et l'article second a été modifié comme suit :
Outre les versions d'Ostervald et de Martin, d'autres versions pourront être distribuées par la société, si elles sont reconnues fidèles et demandées par les Églises protestantes…
Trois ans après le schisme, la Société biblique de Paris, pour éviter à l'avenir une interprétation semblable à celle qui avait amené le schisme, modifia le premier article de son règlement. Il est actuellement ainsi conçu :
La Société a pour but de répandre parmi les chrétiens protestants les Saintes Écritures, sans commentaires, dans les versions demandées par les Églises.
On le voit, la ligne de conduite est différente. L'une des deux sociétés consacre, en fait de distributions des Écritures, la liberté absolue ; l'autre exerce un contrôle, elle ne répand que les versions qu'elle estime fidèles et qui sont réclamées ou sanctionnées par des corps autorisés, autrefois « la majorité des églises », aujourd'hui, le synode.
Il y eut donc en France, un moment (au commencement de 1864), quatre Sociétés bibliques : La Société biblique protestante de Paris, la Société biblique britannique et étrangère, la Société biblique française et étrangère, la Société biblique de France. Mais ces quatre Sociétés furent bientôt réduites à trois. Entre les deux dernières, il n'y avait de différence ni quant à la foi, ni quant à la ligne de conduite. L'union répondait aux voeux de tous comme à la réalité de la situation. Aussi fut-elle bientôt un fait accompli. Le 24 avril 1864, la Société biblique française et étrangère tint sa trente-deuxième et dernière séance (après avoir distribué 750.000 volumes et dépensé 2.400.000 francs), et annonça sa fusion avec la Société biblique de France. « On peut affirmer, dit M. Lambert, que jamais fusion ne fut plus complète, plus heureuse, plus bénie, et que jamais les différences d'origine des membres du comité biblique ne laissèrent la moindre trace ».
Cette fusion facilita certainement les débuts de la nouvelle Société. Dès qu'elle fut fondée, 119 églises, dont les églises réformée et luthérienne de Paris,se rattachèrent à elle. Ses recettes de la première année s'élevèrent à 46.000 francs.
La Société biblique de France offre gratuitement la Bible à tous les couples qui font bénir leur union par un pasteur, le Nouveau Testament à tous les catéchumènes, un Nouveau Testament petit format à tous les jeunes soldats protestants appelés sous les drapeaux. Elle met à la disposition des pasteurs des Nouveaux Testaments pour distribution gratuite à différentes catégories de personnes, indigents, vieillards, malades dans les hôpitaux.
La Société publie Ostervald et Ostervald revisé. Nous avons parlé précédemment avec détail de ses travaux de traduction.
Depuis 1864 jusqu'en 1909 inclusivement, la Société biblique de France a répandu 1.191.675 volumes (264.960 Bibles, 540.774 Nouveaux Testaments, 385.941 portions).
Ses recettes se sont élevées pendant le même temps à 2.030.727 francs et ses dépensess à 2.059.680 francs.
Les distributions de la Société biblique de Paris se sont élevées, depuis sa fondation à 1909 inclusivement, à 1.058.729 volumes. Les Bibles figurent sur ce chiffre pour trois huitièmes, les Nouveaux Testaments pour cinq huitièmes environ.
Les dépenses se sont élevées pendant le même laps de temps à 3.471.809 francs. Les recettes, à la même somme, plus une soixantaine de mille francs.
Les versions publiées par la Société biblique de Paris ont été, pour la Bible : Ostervald (épuisé) ; Segond ; pour l'Ancien Testament : Perret Gentil (épuisé), et Segond, avec les livres rangés dans l'ordre du canon hébreu ; pour le Nouveau Testament : Ostervald (épuisé) ; Arnaud (presque épuisé), Oltramare, Oltramare révisé, Stapfer. En 1909, les Livres apocryphes. En 1910, l'Évangile de Marc, dans le texte duquel ont été insérés les discours de Jésus tels que les donnent Matthieu et Luc, avec une préface tout à fait propre à montrer au lecteur moderne, étranger aux choses de Dieu, combien l'Évangile est moderne, humain.
La Société publie une Bible Segond-Oltramare, une Bible Segond-Segond, une Bible Segond-Stapfer.
Elle publie aussi une petit Guide pour la lecture de la Bible qui a eu un vif succès. Il figure en tête de toutes les Bibles de mariage. Il a été aussi publié à part.
Les présidents de la Société biblique de Paris ont été : Le marquis de Jaucourt (1818-1852), M. Guizot (1855-1874), M. le pasteur Montandon (1876-1877), M. le baron F. de Schickler (1878-1909).
Les présidents de la Société biblique de France ont été : M. François Delessert (1864-1867), le général de Chabaud-Latour (1867-1885), M. le pasteur Dhombres, faisant fonction de président de 1885 à 1888, puis président en titre (1888-1895), M. le professeur A. Matter (1895-1905), depuis 1905 M. le pasteur Camille Soulier.
16.3 - Agence française de la Société biblique britannique et étrangère
16.3.1 - En France
La Société britannique ne se borna pas à aider la Société de Paris. Celle-ci, comme nous l'avons dit, limitait son action aux protestants. La Société britannique voulut rester fidèle, en France comme ailleurs, à la catholicité de son programme et étendre son activité à tous. Elle fonda en 1820 un dépôt à Paris, sous la direction de M. Kieffer (*1), laïque luthérien, professeur au Collège de France et interprète pour les langues orientales au Ministère des affaires étrangères. M. Kieffer était assisté d'un comité formé par quelques membres de la Société de Paris. Telle fut l'origine de l'agence française de la Société biblique britannique et étrangère (*2).
(*1) M. Kieffer était un savant. Tout en travaillant à la diffusion de la Bible en France, il rendit de grands services en révisant la Bible turque et en surveillant l'impression, à Paris, des livres saints en basque, en breton, en italien, en arménien, en syriaque et en carschoun.
(*2) Il semble qu'il y ait eu quelque hésitation quant au meilleur nom à donner en français à la Société. Sur une Bible de 1807, elle porte le nom de Société pour l'impression de la Bible en langue anglaise et en langues étrangères, et sur une Bible de 1819 elle porte le nom d'Association anglaise et étrangère de la Bible.
En 1826, sous la pression de l'opinion publique et à la suite de polémiques retentissantes, la Société britannique cessa de distribuer les Apocryphes et de subventionner les Sociétés qui les distribuaient, parmi elles la Société de Paris.
À M. Kieffer succéda, en 1834, M. Victor de Pressensé (*) ; à M. Victor de Pressensé, en 1871, M. Gustave Monod, administrateur admirable, vrai père pour les colporteurs ; à M. Gustave Monod, en 1901, l'auteur de ces lignes.
(*) Directeur de l'agence française de la Société de 1833 à 1871, M. Victor de Pressensé (père d'Edmond de Pressensé, grand-père de M. F. de Pressensé), a été l'une des personnalités les plus marquantes du protestantisme français au siècle dernier. Fils d'un père catholique et d'une mère protestante, il fut élevé dans la religion catholique, comme les fils devaient l'être d'après une convention mutuelle. Toute la famille émigra en Hollande lors de la Révolution. Le fils devint élève des Jésuites, et fut rebaptisé par eux en grande pompe. La famille s'étant transportée à Lausanne, le jeune Victor se trouva sous une influence protestante, et surtout sous celle d'une soeur plus âgée que lui, qui, toujours maladive, toujours étendue dans un fauteuil, ne trouvait de consolation que dans la Bible de famille, constamment ouverte devant elle. Chaque jour elle faisait venir son frère auprès d'elle pour lui parler, avec une onction et un ravissement qui auraient ému le coeur le plus dur, de ses espérances et de ses joies spirituelles. Sentant sa fin approcher, elle parla à son frère avec plus d'énergie que jamais. Elle lui lut plusieurs passages des plus frappants de l'Écriture, et le supplia de donner son coeur au Seigneur. On l'entendit fréquemment implorer le Seigneur pour que son frère devint un serviteur de sa Parole. Cependant, celui-ci devait rester dans l'indifférence religieuse jusqu'en 1830. Le beau mouvement religieux qui se produisit alors à Paris et fut un véritable réveil des âmes, l'entraîna et le gagna pour toujours. Ce fut la consécration exclusive de sa vie au service de Dieu et de Jésus-Christ. Dans son grand zèle, il collabora à toutes les fondations qui surgirent alors au sein des Églises.
La Société se proposait de répandre la Bible parmi les catholiques. À plusieurs reprises, le croirait-on, ce fut le gouvernement lui-même qui lui en fournit l'occasion.
En 1831, le ministre de l'instruction publique lui commanda 20.000 Nouveaux Testaments pour être employés dans les écoles comme livres de classe, et les paya 10.000 francs. L'année suivante, les membres du conseil royal demandaient, aux mêmes conditions, 20.000 Nouveaux Testaments, et un membre de ce conseil, inspecteur des écoles primaires, en demandait 20.000 autres pour être distribués dans les écoles de seize départements.
Dans le rapport de l'année 1834, nous relevons cette phrase : les sommes reçues par M. de Pressensé s'élèvent à 41.350 francs (*1), dont 15.000 reçus du ministre de l'instruction publique. Cette dernière somme était évidemment destinée à payer les volumes envoyés cette année-là aux écoles : 239 Bibles et 23.683 Nouveaux Testaments. L'année suivante la Société disposa en faveur des écoles de 14.560 exemplaires (*2).
(*1) Il semble donc qu'alors on donnait largement en France pour la Société. Une autre année. M. de Pressensé reçut pour la Société un don de 25.000 francs.
(*2) Qui dira tout le bien dont ces exemplaires distribués dans les écoles furent le moyen ? Nés catholiques, le père et la mère de M. Sainton, l'évangéliste bien connu, ont été convertis par la lecture d'un Nouveau Testament, qui, à l'école primaire, avait servi de livre de classe à M. Sainton.
La Société ne cessa d'aider les oeuvres bibliques locales. Dans le rapport de 1834, nous relevons les affectations suivantes :
Pour un nouveau dépôt à Nancy, 50 Bibles, 500 Nouveaux Testaments.
Société évangélique de Genève, 170 Bibles, 1.942 Nouveaux Testaments.
Nouvelle Société biblique, à Lille, 102 Bibles, 350 Nouveaux Testaments.
MM. Courtois, à Toulouse, 154 Bibles, 4.200 Nouveaux Testaments.
Pasteur Saulter, Marseille, 175 Bibles.
Pasteur Frédéric Monod, 250 Bibles.
Comme distributions, signalons 71.612 Nouveaux Testaments aux soldats français pendant la guerre de Crimée ; 6.000, aux troupes en partance pour le Mexique ; un million de volumes aux soldats français et allemands pendant la guerre de 1870; 200.000 Nouveaux Testaments aux familles françaises et allemandes qui avaient perdu l'un des leurs pendant cette même guerre ; 400.000 Évangiles distribués à l'Exposition universelle de Paris en 1900; 4.500 volumes aux victimes des inondations de 1875; 10.500, aux victimes des inondations de 1907; plus de 35.000 aux victimes des inondations de 1910; 400 Évangiles aux forçats de la Guyane en 1909, etc.
À la suite d'une souscription spéciale, 602 Nouveaux Testaments furent envoyés, pour le 1er janvier 1906, aux gardiens des phares de France, et 24 aux gardiens des phares de Belgique.
Toutefois, le principal moyen d'action de la Société, ce fut le colportage biblique. À peine l'agence française est-elle fondée, qu'on voit à l'oeuvre un peu partout des colporteurs bibliques par lesquels elle répand la parole de Dieu parmi les catholiques. Dans plusieurs départements du nord, il y en avait qui travaillaient sous la direction des pasteurs protestants, par exemple de M. Guillaume Monod, à Saint-Quentin. Dans le midi, les frères Louis, Frank et Armand Courtois de Toulouse, dirigeaient une oeuvre étendue de colportage, et répandaient les livres saints que leur fournit la Société pendant des années (*) dans tout le midi de la France, dans les Pyrénées, et jusqu'en Espagne, dans les campagnes, dans les villes, parmi les pauvres, parmi les prisonniers, parmi les soldats, parmi les forçats. À Paris même, des colporteurs travaillaient avec succès. Les gens les appelaient parfois de leurs boutiques et leur achetaient avec joie. Plus tard, il y eut des concierges qui acceptaient des livres saints en dépôt et les vendaient. Les colporteurs qui n'étaient pas sous une direction particulière gagnaient leur vie par le bénéfice réalisé sur la vente des volumes que la Société leur laissait avec une forte remise.
(*) De 1832 jusque, sans doute, à 1848, année où le rapport de la Société mentionne les frères Courtois pour la dernière fois. En 1832, M. Frank Courtois écrivait : « Le grand nombre d'exemplaires du Nouveau Testament répandus parmi les couches inférieures de la Société ont positivement agi sur l'opinion publique ».
Aussitôt fondée, en 1830, la Société évangélique de Genève employa treize colporteurs, et depuis lors ne cessa de développer le colportage biblique. Elle s'est toujours pourvue de livres saints auprès de la Société britannique.
C'est sous M. Victor de Pressensé et par son initiative que commença, en 1837, le colportage organisé et surveillé par la Société. Sous sa direction, le nombre des colporteurs varia de 80 à 110. Il faudrait un volume pour parler des résultats de l'oeuvre du colportage. Que de conversions de bon aloi dues à la lecture des livres saints vendus par les colporteurs ! Un seul trait suffira à donner une idée du nombre d'âmes ainsi amenées à Jésus-Christ : Plus de la moitié des 1.800 ou 1.900 colporteurs employés pendant ces trente dernières années, écrivait M. de Pressensé en 1863, étaient d'anciens catholiques, et c'est par la lecture d'une Bible ou d'un Nouveau Testament acheté à un colporteur qu'ils ont été convertis à Jésus-Christ. Depuis lors, le ministère des colporteurs n'a pas cessé de se poursuivre avec labeur, mais avec bénédiction (*).
(*) On lira avec intérêt l'appréciation de Vinet sur les premiers succès du colportage en France. Elle date de près de quatre-vingts ans. Vinet parle des encouragements obtenus par les premiers colporteurs bibliques employés par la Société évangélique de Genève :
Voilà ce qui se passe, sans bruit, au milieu des événements qui en font tant, des craintes et des espérances vaines qui en font davantage encore. Je ne sache pas que nos journaux, à l'affût des moindres nouvelles, aient fait la plus légère mention de ce mouvement religieux, qui, s'il se soutient, prépare à la France la plus bienfaisante et la plus radicale des révolutions. Il révélerait aux hommes d'État, s'ils y voulaient prendre garde, dans l'esprit national, un élément caché, inaperçu, dont on peut tirer le plus grand parti ; il leur ferait voir que la religion, traitée par eux avec trop de légèreté, vit, du moins sous forme de besoin, dans les coeurs de la multitude, et qu'il y a encore dans cette nation, qu'on a tant travaillé à rendre frivole et légère, l'étoffe d'un peuple sérieux, par conséquent d'un peuple paisible et d'un peuple libre (L'Éducation, la Famille et la Société, p. 153).
Voir plus loin : Aperçu sur le colportage biblique en France.
Il y a eu plus que l'action sur les individus. Bien souvent, le colportage biblique a été l'instrument principal d'un réveil religieux et de la fondation d'une église. En 1844, M. Victor de Pressensé écrivait, à propos d'un mouvement religieux en Saintonge : « Plus de soixante communes réclament des pasteurs évangéliques. Ce mouvement, qui est vraiment extraordinaire, est le résultat des travaux d'un colporteur ». Des indications de ce genre reviennent souvent sous sa plume. Les églises de Thiat, de Rouillac, de Limoges, de Villefavard, d'Auxerre, de la Chapelle-aux-Neaux (près Tours), de Fleurance, de Madranges, de Malataverne, de Notre-Dame-de-Commiers (Isère), de Monteynard (Isère) (*), sont dans une mesure plus ou moins grande, et pour quelques-unes très grande les fruits du colportage biblique ou de la distribution des livres saints. Ceci dit sans songer à diminuer en rien la part importante que d'autres oeuvres et d'autres hommes ont eue à ces conquêtes.
(*) Voir plus loin le récit : Le Père Jacob.
En 1909, la Société avait répandu en France, depuis 1804, 13.143.031 volumes, dont 5.844.643 par le colportage biblique.
16.3.2 - Dans les colonies
Comme la Société britannique a été la première Société qui ait évangélisé la France, elle a aussi été la première Société qui ait travaillé à l'évangélisation des populations européenne, arabe, kabyle, de l'Algérie, de la Tunisie et de la Tripolitaine. Lorsque, en 1882, la Société établit une agence à Alger, et commença à employer des colporteurs dans le nord de l'Afrique, il n'y avait en Algérie et en Tunisie que deux Sociétés missionnaires anglaises à l'oeuvre parmi les juifs. Quand M. Pearce commença son oeuvre parmi les Kabyles, la Société avait déjà fait traduire dans le dialecte berbère une partie de l'Évangile selon saint Luc.
De 1882 à la fin de 1908, l'agence de la Société a répandu 275.000 livres saints en Algérie, en Tunisie et dans la Tripolitaine.
De même, la Société biblique britannique et étrangère aura été la première et est actuellement la seule Société à évangéliser les païens de l'Annam (*1). Lorsque M. Ch. Bonnet s'établit à Tourane en 1902, il arrivait dans ce pays comme le premier représentant de l'Évangile apostolique et non romain. En 1898, la Société britannique avait déjà fait un essai en Cochinchine. Les missionnaires catholiques sont dans ce pays depuis 1620. Pendant les six ans et demi (1902 à 1909) que M. Bonnet vient de passer en Indo-Chine, il a fait avec deux aides indigènes des tournées de colportage, non seulement en Annam, mais jusqu'à Hanoï au nord et jusqu'au Cambodge au sud, et a vendu 97.741 volumes. Il a pu lire et expliquer l'Évangile partout, dans les maisons, sur les marchés, chez les maires, chez les préfets et jusque dans les pagodes bouddhistes (*2).
(*1) Précédemment, les missionnaires de l'Église presbytérienne des États-finis ont travaillé sur la rive gauche du Mékong, puis dans la partie française du Siam. Les indigènes convertis ont émigré depuis dans la partie siamoise.
Une station missionnaire a été fondée en 1902 à Song-Khône (Laos) par MM. Willy et Contesse. Les missionnaires de Song-Khône et l'agent de la Société britannique sont donc actuellement les seuls représentants de l'Évangile établis parmi les païens de l'Indochine française.
(*2) Voir plus loin . Aperçu sur le colportage biblique en Indo-Chine.
De même, la Société biblique britannique et étrangère sera la première à évangéliser le Soudan français. Un jeune proposant méthodiste, M. Mesnard, a été nommé, en 1908, comme sous-agent pour répandre les Écritures dans la vallée du Niger, et éventuellement jusqu'à Tombouctou.
16.3.3 - Pour nos missions françaises
Il faut aussi parler de ce que la Société fait pour les missions françaises. Elle les fournit gratuitement (sauf à rentrer par la vente des volumes dans une partie de ses débours) de ces livres saints sans lesquels on ne peut former ni des chrétiens ni des évangélistes indigènes, sans lesquels il n'est pas de mission prospère. Aussi, il faut voir avec quel enthousiasme, avec quelle reconnaissance, les missionnaires, sans exception, parlent de la Société ! (*). Le service rendu, incommensurable au point de vue spirituel, n'est pas à dédaigner à un point de vue inférieur. Quel surcroît de dépenses se trouve ainsi épargné à la direction de la Mission ! Quelle charge, s'il avait fallu débourser, par exemple, 100.000 francs pour la publication de la Bible en sessouto (c'est ce qu'elle a coûté à la Société), et à l'avenant pour les Écritures en d'autres langues !
(*) Voir le Fragment : La Bible au Lessouto.
Aux missionnaires français, la Société fournit la Bible en sessouto (elle a envoyé au Lessouto, de 1881 à 1908, 165.944 exemplaires des Écritures, soit 36.244 Bibles, 125.700 Nouveaux Testaments, 4.000 portions), en malgache, en tahitien, en maréen ; le Nouveau Testament en kabyle ; Matthieu et Marc en pahouin, le Pentateuque, les Psaumes et le Nouveau Testament en galwa, la Genèse et Matthieu en fang (Congo) ; Matthieu en wolof, les quatre Évangiles en mandingue (Sénégal) ; Marc, Jean, en annamite ; Luc en cambodgien ; Jean en laotien (le premier livre imprimé au Laos. Luc est en préparation) ; Matthieu en ongom (Congo) ; Marc et Jean en Houaïlou (Nouvelle Calédonie) ; Marc en Ponérihouen (id.).
16.3.4 - Société nationale pour une traduction nouvelle des livres saints en langue française
Cette Société fut fondée en 1866. Son but était de donner, en se plaçant sur le terrain philologique et littéraire, une traduction qui pût être acceptée par toutes les communions. Sa création fut le fruit des efforts de M. le pasteur Emmanuel Petavel, efforts dans lesquels il se trouva efficacement secondé par M. l'abbé Étienne Blanc, du clergé de la Madeleine, et par M. Lévy Bing, savant hébraïsant. Pendant plusieurs mois, ces messieurs accompagnèrent M. Petavel dans un grand nombre des visites qu'il fit aux personnes dont il sollicitait l'adhésion. Une feuille de propagande (*) indiquait dans les termes suivants le but de la Société :
(*) Cette feuille donnait le nom des soixante-huit membres de la Société, parmi lesquels le prince Louis-Lucien Bonaparte, MM. Saint-René Taillandier, Saint-Marc Girardin, de Vogue, professeur au séminaire israélite, Montalembert, le prince Albert de Broglie, Amédée Thierry, les pasteurs Edmond de Pressensé, Théodore Monod, Rognon, Louis Vernes, A. Matter, le grand rabbin Astruc, quatorze prêtres dont le père Gratry, MM. Alfred André, Chabaud Latour, Rosseuw Saint-Hilaire, Munk, membre de l'Institut, Oppert, membre de la Société asiatique, ces deux derniers orientalistes célèbres, et M. Egger, de l'Institut, le prince des hellénistes français.
Un membre de l'Institut, professeur au Collège de France, faisait naguère la remarque suivante : « Une lacune sérieuse existe dans la littérature française ; on y chercherait en vain une traduction satisfaisante de la Bible ». Les versions en usage pèchent par leur inexactitude, ou par l'incorrection et la vulgarité du style. Pour l'honneur de la France et de sa langue, dont la mission est universelle, l'indifférence relative à cette lacune ne doit pas se prolonger. À quelque point de vue qu'on se place, on reconnaîtra que les textes bibliques ont droit à une traduction nouvelle, aujourd'hui surtout que les questions morales et religieuses occupent tous les esprits. Depuis quelques années, il est vrai, on s'est mis à l'oeuvre de plusieurs côtés à la fois. Mais, sans contester les mérites respectifs des essais mis au jour, ne faut-il pas regretter la dissémination et l'insuffisance de tant d'efforts dont la combinaison et l'union pourraient donner le succès ? Nous demandons une entente des hommes de bonne volonté, se rencontrant sur le terrain commun de la philologie et des études littéraires. Que les savants hébraïsants ou hellénistes de l'Institut de France, de la Sorbonne, de la Société asiatique, se réunissent pour la formation d'une Société ou d'une académie nouvelle ; qu'ils s'adjoignent les érudits et les littérateurs les plus compétents. Sous l'égide d'un gouvernement favorable aux recherches de la science, ils érigeront ensemble un monument national, digne de la belle langue que nous parlons, digne de la science philologique qui a réalisé de si importants progrès, digne surtout des immortelles vérités dont l'Écriture nous a transmis l'inépuisable trésor ».
Un comité fut constitué, avec M. Amédée Thierry pour président, MM. l'abbé Martin de Noirlieu, curé de Saint-Louis d'Antin à Paris, le pasteur Vallette, Astruc, grand rabbin, et Paulin Paris, membre de l'Institut, pour assesseurs, et M. Petavel, secrétaire. L'archevêque de Paris se montra sympathique à l'entreprise qui, d'après les Archives du christianisme, obtint son approbation.
La séance d'inauguration eut lieu, le 21 mars 1866, à l'amphithéâtre de la Sorbonne, prêté par le ministre de l'instruction publique, M. Duruy, sous la présidence de M. Amédée Thierry, sénateur et membre de l'Institut. Près de 2.000 personnes étaient présentes. On entendit, outre le président, qui appela la Bible « le livre universel, le livre de la civilisation même », M. Petavel, secrétaire, le pasteur Vallette, l'abbé Martin de Noirlieu, l'abbé Bertrand, chanoine de la cathédrale de Versailles, M. Aristide Astruc, gradué grand rabbin, l'abbé Théodore Loyson, curé de Sainte-Clotilde, frère de M. Hyacinthe Loyson, un autre israélite : M. Lévy-Bing, membre de la Société asiatique, et M. Eichhoff, membre du consistoire luthérien (donc, trois protestants, dont deux réformés et un luthérien, quatre catholiques, deux israélites). Voici un extrait du discours de l'abbé Bertrand.
J'ai été pendant vingt ans à la tête d'une commune rurale assez importante. Or cette paroisse, composée presque uniquement de cultivateurs, était, sans contredit, l'une des plus religieuses des environs de Paris, malgré les relations journalières des paysans avec la capitale. Je me félicitais un jour de cet état de choses en présence d'un membre éminent du consistoire central de Paris. — Ne serait-ce pas, me dit-il, que votre paroisse était autrefois protestante ? — En aucune façon, lui répondis-je : ses habitants étaient au contraire du parti de la Ligue.
Je ne viens pas ici, Messieurs, rechercher quelles ont été les causes de cette heureuse exception d'une paroisse chrétienne au milieu de communes irréligieuses. Je me contenterai de vous apprendre qu'il y avait une Bible à peu près dans chaque famille et qu'elle était lue tout haut pendant les veillées de l'hiver. Je me suis demandé si ce n'était pas là le secret de la conservation de la foi dans cette paroisse ? Nous lisons en effet dans Isaïe 55, 11 : « Ainsi en sera-t-il de la parole qui sera sortie de ma bouche ; elle ne reviendra pas à moi sans effet ». La Parole de Dieu est donc féconde par elle-même…
L'abbé Loyson prononça un discours remarquable. Il parla de « l'avantage que pourrait créer, au point de vue de la controverse religieuse, cette version commune » :
Sans doute, elle ne franchirait le seuil de chaque communion religieuse qu'avec l'assentiment, l'approbation de l'autorité qui la gouverne… Mais enfin, le texte serait là, dans sa pureté originelle, dégagé des paraphases et des tournures plus accentuées ou plus adoucies que de part et d'autre on y a souvent introduites (*).
(*) C'est nous qui soulignons ici et plus loin.
Il est intéressant de voir un ecclésiastique catholique, un docteur en théologie, reconnaitre le caractère tendancieux de certaines traductions catholiques.
Le passage suivant mérite aussi d'être reproduit.
C'est ma croyance intime qu'un jour tous, sur cette terre, dans l'unité d'une seule et même Église, nous nous donnerons la main, formant une guirlande glorieuse autour de Celui qui règne dans l'éternité. Mais en attendant, sur ce champ de bataille où nous sommes divisés, le seul accord possible, avec celui de la charité, c'est le choix, consenti de tous, du terrain et des armes les plus propres à faire sortir de la lutte le triomphe final de l'unité. Le temps n'est plus où de part et d'autre on tentait d'atteindre les âmes en frappant sur les corps. À ces combats, d'autres ont succédé : les combats de l'esprit, les controverses pacifiques, le choc lumineux de convictions opposées. C'est avec ces armes que les hommes d'aujourd'hui doivent se mesurer, se vaincre, ou plutôt, par la vérité communiquée et reçue, se couronner mutuellement (*).
(*) Malheureusement, l'abbé Loyson n'autorisa pas la publication de son discours dans la brochure qui rendait compte de la séance. Son confesseur ne le lui permit pas, et la cause de cette interdiction avait, parait-il, pour cause le désaveu implicite formulé par l'orateur de la répression violente de l'hérésie et des procédés de l'Inquisition. M. Petavel s'inclina, bien que le discours étant déjà imprimé et la brochure paginée, il eût eu le droit légal de passer outre.
Un témoin oculaire, le pasteur Ad. Duchemin, écrivait dans les Archives du Christianisme du 30 mars : « Rien de plus étrange que l'aspect de cette réunion. Sur l'estrade, des prêtres, des pasteurs, des rabbins, et la plus fraternelle entente établie entre tous : les prêtres applaudissant à la parole du pasteur, et tous ensemble exaltant le rabbin qui venait d'exalter les Écritures divines. Dans l'assemblée, même mélange et même enthousiasme. De tous les côtés, la cordialité s'est montrée sans que l'individualité fût sacrifiée, sans que les divergences de croyances fussent voilées. Les prêtres ont parlé en prêtres, les pasteurs en pasteurs, les rabbins en rabbins juifs. Tous ont revendiqué leur pleine indépendance dogmatique, et déclaré qu'ils restaient ce qu'ils sont, et demeuraient fidèles à leur foi. Il n'y a point eu confusion ; il y a eu fusion d'efforts pour arriver à un but nettement défini : produire une traduction des livres saints, fidèle, exacte, française ».
Quarante et un journaux, parmi lesquels les Débats, le Temps, le Siècle, le Times, rendirent compte de la séance ou de ce qui suivit. Ce qui suivit, malheureusement, ce fut la retraite des prêtres catholiques. Au lendemain de la réunion parut dans la Semaine religieuse de Paris une note anonyme, glissée par une main inconnue, d'après laquelle le pape désavouait l'entreprise. C'était faux, mais, malgré la désapprobation de Mgr Darboy, qui avait accueilli et accueillit encore M. Petavel avec la plus grande bienveillance, cette note ne fut pas démentie, et les ecclésiastiques catholiques qui avaient donné leur adhésion se virent contraints de se retirer. « Avez-vous vu, dit un journal, les moineaux du Palais-Royal s'envoler au coup de canon de midi ? Ainsi se sont éclipsés nos prétendus libéraux catholiques ». La Société cessait ainsi d'être nationale. Elle eut, un an après, le 27 mars 1867, une seconde séance, que présida M. Amédée Thierry, et qui réunit une élite de savants hébraïsants et hellénistes de Paris. Mais cette seconde séance fut la dernière. Bientôt la Société nationale pour la traduction des livres saints en langue française ne fut plus qu'un souvenir. Tout ce qui en resta, comme traduction, ce fut un essai de traduction des trois premiers chapitres de la première épître de Pierre présenté par M. Petavel, essai que publièrent les Archives.
Ce fut donc un échec. Mais quelle grandeur dans cet accord, même éphémère, de trois confessions religieuses réunies sur le terrain biblique ! Ce fut une manifestation passagère de l'unité éternelle des croyants. Ce fut dans la nuit comme un éclair prophétique. Plût à Dieu qu'il y eût beaucoup d'échecs de ce genre ! L'initiative du pasteur Petavel mérite d'être saluée comme l'un des plus nobles efforts qu'enregistre l'histoire religieuse de notre pays.
Re: HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE
17 - Chapitre 14 — Versions catholiques
Parlons d'abord des révisions catholiques de la Bible de Lefèvre d'Étaples. Les théologiens catholiques, comme nous l'avons dit (*), ne pouvant empêcher qu'on lût cette Bible, préférèrent la publier révisée. Cette révision fut l'oeuvre de François de Leuse et de Nicolas de Larben. Ils ne la modifièrent que légèrement, l'expurgeant surtout de ses notes, d'une saveur trop protestante. Cette révision parut en 1550 et circula sans empêchement parmi les catholiques français, grâce, en grande partie, au prestige de l'université de Louvain, et malgré le mécontentement de la Sorbonne. Celle-ci n'osait s'attaquer à une Université qui était le principal rempart du Saint-Siège aux Pays-Bas. Cette Bible, dite de Louvain, jouit d'une demi-autorisation et dura plus d'un siècle. Elle eut, sous diverses formes, environ 200 éditions, imprimées notamment à Anvers, à Paris, à Rouen, à Lyon. Elle fut, à diverses reprises, plus ou moins révisée, soit tout entière, en 1572 par de Bay, en 1608 (édition illustrée) par Besse (Bible illustrée. Dédiée à Henri IV), en 1613 par Deville, en 1621 par Frizon (Bible dédiée à Louis XIII), — soit le Nouveau Testament seulement, en 1647, par Véron.
(*) Voir derniers paragraphes du point 12 (chapitre 9) du texte global = point 12 de la Partie 1 « Jusqu’au 16° siècle ».
Ce dernier Nouveau Testament vaut la peine qu'on s'y arrête. Ces différentes Bibles firent souvent le tourment des polémistes catholiques. Ils ne pouvaient les récuser, et dans maints passages elles donnaient gain de cause à leurs adversaires. François Véron, prédicateur et lecteur du Roi (Louis XIV) pour les controverses, sentit vivement ce désavantage. Curé à Charenton, il avait de vives discussions à soutenir avec les ministres protestants, qui le battaient parfois par leurs citations bibliques. Impatienté, le P. Véron se décida à faire paraître, en 1646, une nouvelle traduction du Nouveau Testament, toujours sous le pavillon de Louvain. Il déclare qu'il a dû corriger plusieurs erreurs préjudiciables à la religion catholique. Il reprend ses prédécesseurs de ce qu'ils n'ont pas assez repurgé les traductions protestantes de leurs ordures. Veut-on savoir comment il « repurgeait » les traductions hérétiques de leurs « ordures » ? Dans sa traduction, on lit à Actes 13, 2, au lieu de pendant qu'ils servaient le Seigneur dans leur ministère : EUX DONC DISANT LA MESSE (traduction qu'on trouve déjà dans la Bible de Corbin de 1643, dont nous aurons à reparler). Trois pages (in-4) de la préface sont consacrées à justifier cette traduction, que le traducteur déclare indiscutable, en rabrouant d'importance les contradicteurs. Dans un Nouveau Testament publié à Bordeaux en 1686, les mots le sacrifice de la messe se trouvent même dans le titre du chapitre (*). On lit dans cette dernière édition, à 1 Corinthiens 3, 15: « ainsi toutefois comme par le feu du purgatoire », et à 1 Timothée 4, 1 : « quelques-uns se sépareront de la foi romaine ».
(*) Nous avons vu des exemplaires de ces deux Nouveaux Testaments à la bibliothèque de Genève. L'exemplaire du Nouveau Testament de 1686 offre une particularité qui en fait une curiosité bibliographique. Le commencement de Actes 13 s'y lit à la page 364. Or, les pages 363 (recto) et 364 (verso) se trouvent deux fois à la suite. Sur la deuxième page 364 se trouve dans le titre : Le sacrifice de la Messe, et au verset 2 : Pendant qu'ils offraient le sacrifice de la Messe. La première page 364 (carton très habilement collé), porte la traduction normale : pendant qu'ils servaient le Seigneur. On pense qu'elle a été insérée dans cet exemplaire, et peut-être dans d'autres, par un ami de la vérité, qui sait ? par un ouvrier huguenot de l'imprimeur du volume, qui aura voulu confondre et flétrir la traduction mensongère en conservant à côté la traduction exacte.
On mentionne d'autres éditions semblables du Nouveau Testament, deux à Bordeaux, avant celle de 1686 : en 1661 et 1663, et plusieurs de Girodon (1661, 1662, 1672, 1688, 1692) (*).
(*) Girodon, dit M. Douen, a réussi à découvrir, c'est-à-dire à mettre dans le Nouveau Testament, non seulement la pénitence et la messe, mais le culte de latrie, les pèlerinages, les processions, le purgatoire, les péchés véniels, le sacrement du mariage, etc… Livre destiné aux protestants nouveaux convertis, comme si la scandaleuse falsification du texte sacré eût été de nature à affermir des conversions obtenues par la violence (Article Versions modernes de la Bible, dans l'Encyclopédie.
À cause des modifications de la langue, il vint un moment où la version de Louvain tomba en désuétude. Aucune autre version approuvée ou tolérée par l'Église ne la remplaça.
Voici l'énumération des traductions catholiques de la Bible, données comme originales (*), depuis la Réformation jusqu'à aujourd'hui. Cette énumération, dans sa sécheresse apparente, nous paraît singulièrement éloquente. Elle montre, en effet, combien la Bible s'est imposée même à ceux qui n'encouragent pas, pour dire le moins, la lecture de la Bible par les fidèles. Et puis, en présence de cette longue liste, en présence de ces Bibles commentées parfois en vingt-trois, en vingt-huit volumes, en présence de ces éditions multiples, en présence de ces Écritures répandues si abondamment par un de Barneville, et sûrement par d'autres, comment ne pas reconnaître dans cette Église, malgré tout ce qui nous sépare d'elle, un élément de piété véritable attesté par cet amour, par cette pratique des Écritures ? Pour parler le langage des mathématiques, si on compare les deux Églises à deux cercles, ces cercles ne sont pas concentriques, puisque le siège de l'autorité n'est pas le même, mais ils ont un segment commun, et ce segment, c'est la Bible.
(*) Nous ne garantissons pas qu'elle soit complète. Nous l'avons établie d'après la Bible en France, de E. Petavel, l'Extrait du catalogue de la bibliothèque de la Société biblique protestante de Paris, le Historical Catalogue of printed Bibles, British and Foreign Bible Society, et l'article de O. Douen sur les Versions modernes, dans l'Encyclopédie.
En 1566, la BIBLE, par René Benoist, curé de Saint-Eustache, confesseur de Marie Stuart et de Henri IV. Elle était dédiée à Charles IX. Elle reproduisait en grande partie la version protestante. L'auteur avait-il voulu, comme on le prétendit, se donner l'air de faire une oeuvre originale et s'était-il approprié la version de Genève sans la démarquer suffisamment ? De plus la préface recommandait la dissémination de la Bible en langue vulgaire pour combattre l'hérésie. C'était assez pour la rendre suspecte. Elle provoqua un tollé général. La Sorbonne condamna l'oeuvre en 1567. La chose vint devant Rome et devant le Roi. L'auteur fut déposé. Il finit par se rétracter, et au bout de vingt ans fut réhabilité. Chose curieuse, pendant la controverse même dont la Bible de René Benoist fut l'objet, son Nouveau Testament sans notes fut souvent réimprimé, malgré la censure. En 1568, la Bible de René Benoist est éditée trois fois à Paris, par trois libraires différents.
En 1643, la BIBLE traduite par Jacques Corbin. Nouvelle traduction très élégante, dit le titre, très littérale et très conforme à la Vulgate du pape Sixte Quint, revue et corrigée par le très exprès commandement du roi. Malgré le patronage de Louis XIII, qui avait chargé Corbin de ce travail et auquel il était dédié, cette Bible fut condamnée par la Sorbonne. On ne peut le regretter quand on sait que Corbin a traduit, Actes 13, 2 : Or eux célébrans au Seigneur le sainct sacrifice de la messe.
En 1649, le NOUVEAU TESTAMENT traduit par Michel de Marolles, abbé de Villeloin, sur la traduction latine d'Érasme. Michel de Marolles voulut publier aussi l'Ancien Testament. Il obtint l'autorisation du chancelier Matthieu Molé. Mais, en 1671, comme l'imprimeur en était à Lévitique 24, le successeur de Molé, Séguier, interdit l'impression, qui ne put jamais être reprise.
On voit par le sort de ces trois publications combien fut extraordinaire et vraiment providentielle la demi-autorisation accordée à la Bible de Louvain, malgré son origine hérétique.
En 1666, le NOUVEAU TESTAMENT du P. Amelote, publication entreprise à la requête de l'Archevêque de Toulouse et de l'évêque de Montauban, que l'assemblée générale du clergé de France de 1655 avait chargés de faire paraître une nouvelle version. Réédité en 1733, 1738, 1771, 1781, 1793 (on imprima donc la Bible en France en pleine Terreur. Cette édition est de Saint-Brieuc), 1813. 1824, 1834. C'était le Nouveau Testament de Port-Royal, dont le P. Amelote s'était procuré une copie, et qu'il publia, avec peu de changements, un an avant que parût l'original. Ce Nouveau Testament contient de graves erreurs, qui y ont été introduites peut-être après la mort du traducteur. On l'opposait au Nouveau Testament de Port-Royal. Félix Neff a trouvé ce Nouveau Testament entre les mains des protestants des Hautes-Alpes, dont les ancêtres l'avaient sans doute adopté pour apaiser leurs persécuteurs.
En 1667, le NOUVEAU TESTAMENT dit de Port-Royal, traduit par de Sacy, et en 1696, la BIBLE entière, du même traducteur (*).
(*) Nous consacrons le chapitre suivant à cette version célèbre.
En 1671, le NOUVEAU TESTAMENT EN FRANÇAIS AVEC DES RÉFLEXIONS MORALES sur chaque verset par le P. Quesnel (dont le nom n'est pas sur le titre). Ouvrage justement célèbre. Ces commentaires seront toujours une nourriture de choix pour les âmes pieuses. La traduction est celle du Nouveau Testament de Port-Royal, mais avec des modifications. Voici comment Quesnel traduit Luc 15, 18 : Il faut que de ce pas je m'en aille trouver mon père et que je lui dise : « Mon père, j'ai péché… ». Cet ouvrage a été réédité notamment en 1693, 1696, 1702, 1705, 1727.
En 1668, le NOUVEAU TESTAMENT traduit par Antoine Godeau, évêque de Vence, traduction paraphrastique, remarquable en ce qu'elle adopte le tutoiement en usage chez les protestants, car « il y aurait indécence à ce que Dieu parlât au diable par vous ». En 1686, il publia une traduction des Psaumes.
De 1697 à 1703 le NOUVEAU TESTAMENT traduit par le père Bouhours, aidé par les Pères jésuites Le Tellier et Besnier, une autre version d'opposition à la version de Sacy.
De 1701 à 1716, la BIBLE traduite par L. des Carrières, révision de la version de Port-Royal. Elle a été rééditée en 1750, puis, en quinze volumes, en 1825 et en 1833, ensuite en 1846 à Québec, et en 1847 à Paris, six Volumés. Saint-Matthieu a été réédité en 1890.
En 1702, à Trévoux (près de Bourg), une nouvelle version du NOUVEAU TESTAMENT, sans nom d'auteur, mais que M. Reuss dit être indubitablement du savant oratorien Richard Simon. Cette traduction fut attaquée par Bossuet dans ses Instructions parues en 1702 et 1703.
En 1702, le NOUVEAU TESTAMENT traduit par Charles Huré, ancien professeur de l'Université de Paris, un laïque. Réédité en 1709, 1712, 1728.
De 1707 à 1716, la BIBLE, commentée par Dom Calmet, en 23 volumes in-4. Une troisième édition paraissait de 1724 à 1726, une quatrième en 1771. Cette Bible reproduit et modifie par endroits la traduction de Sacy. Dont Calmet avait appris l'hébreu d'un pasteur protestant, tout en faisant ses études à l'abbaye de Munster (Alsace).
De 1713 à 1715, la BIBLE, version de Port-Royal révisée, avec réflexions, par Mme Guyon. Vingt volumes in-8. Rééditée en 1790.
De 1713 à 1725, les RÉFLEXIONS SUR LE NOUVEAU TESTAMENT du P. Lallemant, avec la traduction du P. Bouhours, révisée, douze volumes in-12. La traduction a été rééditée en 1748, 1823, 1829, 1830, 1845, 1847, puis, révisée et corrigée par l'abbé Herbet, en 1848, 1860 (Évangiles), 1866.
En 1719, le NOUVEAU TESTAMENT traduit par l'abbé de Barneville, oratorien. Ce Nouveau Testament vaut la peine qu'on s'y arrête.
Vers 1719, à l'instigation de l'abbé de Barneville, — qui commença son activité biblique à l'âge de soixante ans, et la continua jusqu'à sa mort, pendant vingt ans environ — il se forma une Association catholique, la première Société biblique française, pour répandre, au moyen de dons, le Nouveau Testament, sans notes ni commentaires. C'est à elle qu'est dû ce Nouveau Testament de 1719, traduit par de Barneville lui-même et imprimé à Paris avec les approbations des évêques d'Auxerre, de Lectoure, de Rodez, et d'un docteur en Sorbonne, Pinsonnat, censeur royal des livres. Douze éditions successives de ce Nouveau Testament parurent de 1719 à 1753. Celle de 1731 est annoncée comme revue à nouveau sur tout ce qu'il y a eu de versions de ce divin Livre faites en notre langue, non seulement en France, mais encore dans le reste de l'Europe. Ces éditions étaient précédées d'admirables préfaces dont la Société des traités religieux a imprimé de nombreux extraits dans le numéro 107 de ses publications. Voici quelques citations de ces préfaces :
PRÉFACE DE 1719 : Des personnes qui s'intéressent sincèrement au besoin des âmes ayant appris par différents missionnaires que la Parole de Dieu n'était ni prêchée ni lue que fort rarement en certains cantons du royaume, qu'ainsi des milliers de baptisés y croupissaient dans une profonde ignorance de leurs devoirs de chrétiens, elles ont été tellement touchées d'un mal si digne de larmes aux yeux de la foi, qu'elles se sont portées comme de concert à en chercher le remède et à le faire appliquer incessamment.
Après avoir imploré le secours du souverain Pasteur, ces personnes ont fait représenter à quelques prélats, sensibles aux maux de l'Église, que s'ils le trouvaient bon, elles se joindraient à eux pour faciliter l'instruction de leurs peuples par le moyen des livres de piété et surtout par celui du saint Évangile… ; elles ajoutaient qu'afin d'en avoir les exemplaires plus commodément et à meilleur marché, elles feraient volontiers des avances pour plusieurs éditions de ce divin livre… La Parole de Dieu ainsi distribuée à des pauvres et à des riches de tout le royaume aura désormais ce cours magnifique que lui souhaitait le grand apôtre dans sa seconde épitre aux Thessaloniciens, chapitre III :
« Que la Parole de Dieu ait son cours et qu'elle soit glorifiée », et ce cours ne sera pas seulement glorieux à cette divine Parole, mais encore honorable à toute l'Église gallicane, laquelle recevra un surcroît de gloire qui la distinguera jusqu'à la fin des siècles des autres églises, pour avoir su mieux qu'elles trouver le secret de prodiguer le saint Évangile dans des pays incultes.
PRÉFACE DE 1728 : Comme la principale fonction du sacerdoce de Jésus Christ consiste à faire connaître aux hommes les Saintes Écritures, selon l'expression du septième concile de Nicée, et que les ministres évangéliques en sont redevables aux personnes de tout âge et de toute condition, après avoir donné une édition d'un Nouveau Testament portatif en faveur des jeunes gens, on a cru devoir faire celle-ci en beaux et gros caractères neufs, plus correcte que les précédentes, pour donner moyen aux personnes de l'un et de l'autre sexe, qui sont plus avancées en âge, ou qui ont la vue faible, de puiser avec plus de facilité les eaux claires et vives des fontaines du Sauveur.
PRÉFACE DE 1731 : Nous devons rendre ce témoignage au zèle de quelques personnes d'une fortune fort médiocre, qu'elles donnèrent très volontiers selon leur pouvoir, et même au delà de leur pouvoir, pour contribuer à ce moyen de répandre l'Évangile. Il y eut aussi des gens riches et charitables qui voulurent bien y entrer. Ils ne se contentèrent pas de faire provision pour eux et pour leur famille de cet ouvrage : ils firent donc encore la dépense d'en acheter un grand nombre qu'ils ont fait distribuer gratuitement aux pauvres, à Paris et dans les provinces. On n'a rien négligé pour faire qu'il fût au plus bas prix qu'il était possible…
UNE AUTRE PRÉFACE : Tout ce que l'on peut dire à la louange de la Parole de Dieu ne la fait pas si bien sentir qu'elle se fait sentir elle-même, quand on la lit avec un esprit docile et avec un coeur humble… Il en est d'elle comme du miel auquel le Saint-Esprit la compare et dont une goutte qu'on met sur la langue fait mieux goûter la douceur que ne pourraient jamais le faire les discours les plus amples et les expressions les plus vives.
A-t-on jamais mieux parlé de l'Écriture que dans ces dernières lignes ?
Nous reprenons notre énumération
En 1729, le NOUVEAU TESTAMENT de Mésenguy, prêtre janséniste ardent, traduction remarquable par la pureté du style comme par l'esprit de piété qu'elle révèle chez son auteur. Rééditée en 1752 et 1764.
En 1732, les PSAUMES traduits par l'abbé d'A… Brux.
De 1738 à 1743, la BIBLE de l'abbé Vence, révision de la Bible du P. de Carrières, dite Bible de Vence, vingt-deux volumes in-12, rééditée de 1767 à 1773 en dix-sept volumes in-4, en 1820 en vingt-cinq volumes in-8.
En 1739, la BIBLE de Nicolas le Gros, version originale jusqu'à Nombres xxxtl, ensuite révision de Sacy, reprise par d'autres après la mort de l'auteur et achevée en 1753, cinq volumes. L'abbé Glaire a dit de cette Bible qu'elle « est sans contredit la meilleure que nous possédions dans notre langue, tant sous le rapport du style que de la fidélité ». Il fait des réserves sur ses tendances protestantes.
En 1760, le NOUVEAU TESTAMENT de l'abbé Valart, réédité en 1789.
En 1760, ÉSAIE, par Deschamps.
En 1762, les PSAUMES, traduits par Laugeois. En 1788, ÉSAIE, du P. Berthier, cinq volumes.
En 1804, le PSAUTIER de Laharpe, réédité en 1811, en 1820 et en 1829.
En 1819, la BIBLE par Desoer, deux éditions différentes, l'une en un volume in-8, l'autre en sept volumes in-16.
De 1820 à 1824, la BIBLE de Genoude, dix-neuf volumes in-8. Le Nouveau Testament fut édité à part en deux volumes in-18. L'auteur avait été un instant séminariste, il était donc laïque. Sa traduction de la Bible lui valut de la part de Louis XVIII l'anoblissement et une pension. Il se maria. Devenu veuf en 1834, il rentra dans les ordres. Le Nouveau Testament fut réédité en 1829, et de nouveau, révisé par Gaume, en 1859. La Bible fut rééditée en 1834, en cinq volumes in-4, « sous les auspices du clergé de France », puis : en 1837, en trois volumes in-4; de 1838 à 1840, en cinq volumes in-4 ; 1846, révisée par l'auteur, en deux volumes in-12; plus tard encore en édition diamant in-18 (1859 ?). La traduction de Genoude est élégante, mais souvent inexacte.
En 1825, JÉRÉMIE, traduit par Dahler.
En 1826, les PSAUMES, traduits par Gosseaume.
En 1826, les PSAUMES, traduits par l'abbé Danicourt.
En 1826, JOB, traduit par Levavasseur.
En 1834, la BIBLE française-latine de l'abbé Glaire. La Bible française de l'abbé Glaire a paru en 1863 et a été rééditée en 1873. « Dépourvue d'élégance, dit M. Douen, elle tombe souvent dans l'obscurité pour avoir voulu être trop textuelle ».
En 1836, les ÉVANGILES de l'abbé Dassance, deux volumes in-8.
En 1838, le PSAUTIER, de Dargaud.
En 1839, JOB, par Dargaud.
En 1840, les PSAUMES. par l'abbé Boudil.
En 1841, les PSAUMES, traduits sur l'hébreu, par M. Wurth, professeur à l'Université de Liège (un laïque), et dédiés à la Reine.
En 1841, les PSAUMES, le CANTIQUE DES CANTIQUES et les LAMENTATIONS, par Cardonnel et Debar.
En 1842, le NOUVEAU TESTAMENT, Version nouvelle par un anonyme (Machais, certainement un laïque).
En 1843, les ÉVANGILES de l'abbé Orsini.
En 1845, les PSAUMES, traduits de l'hébreu par Latouche, chanoine d'Angers.
En 1846, les ÉVANGILES (au moins quatre éditions), et, en 1851, le NOUVEAU TESTAMENT de Lamennais. Lamennais a essayé de « plier notre langue aux formes de l'original qui, dans sa concision elliptique, néglige fréquemment soit les liaisons grammaticales, soit des pensées intermédiaires, soit certains compléments logiques du discours ». « Mais il est loin, dit M. Douen, d'avoir toujours réussi (Voyez Rom. ch. 7 v. 10, 14, 18, 21 ; ch. 8 v. 1, etc.). La traduction, trop systématique, offre le même genre d'intérêt que la lutte d'un cavalier opiniâtre contre un cheval rétif ».
En 1846, la BIBLE de Sacy, revue par l'abbé Jager, quatre volumes in-folio.
En 1848, le livre de JOB, par P. D. de Peyronet, ancien garde des sceaux de France.
En 1853, la BIBLE DES FAMILLES CATHOLIQUES à I'usage des gens du monde, par M. l'abbé Orsini. C'est une Bible expurgée. Les petits prophètes ne sont qu'indiqués, et les épitres et l'Apocalypse sont résumés très succintement. Le texte est celui de Sacy.
En 1854, le SAINT ÉVANGILE selon les quatre évangélistes, par l'abbé Destrem.
En 1855, les ÉVANGILES, traduction de Bossuet mise en ordre et complétée par H. Wallon.
En 1855, réédition, en français, par l'abbé Gimarey d'Autun, des Saintes Écritures de l'ANCIEN ET DU NOUVEAU TESTAMENT traduites et expliquées par T. Allioli, prévôt de la cathédrale d'Augsbourg, ouvrage paru à Nuremberg en 1830. C'est une Bible latine-française en dix volumes. Le texte français est celui du P. des Carrieres. L'édition française est augmentée de nombreuses notes.
En 1857, PSAUMES, d'après le parallélisme, par l'abbé Bertrand.
En 1858, PSAUMES, de F. Claude.
En 1858, les PSAUMES, traduction d'Ambroise Rendu.
En 1858, les ÉVANGILES de l'abbé Dassance, illustrés.
En 1859, le livre de JOB, traduit de l'hébreu, par Ernest Renan. Renan publia le CANTIQUE DES CANTIQUES en 1860 et l'ECCLÉSIASTE en 1882 (*).
(*) Ces traductions de Renan ne devraient pas, en réalité, figurer dans une énumération de « Versions catholiques », non plus que les Évangiles, annotés par Proudhon, la Genèse, par Lenormand, le Cantique des Cantiques, par Aicard, la Bible de Ledrain, les traductions de la parabole de l'Enfant prodigue en patois français. Voir plus bas. Nous les y laissons cependant, vu leur petit nombre, pour simplifier la classification. On peut entendre l'expression de versions catholiques dans le sens de versions non protestantes.
En 1859, ISAIE, traduction en vers, par A. Savary.
En 1859, JOB, RUTH, TOBIE, JUDITH, ESTHER, par l'abbé Giguet.
En 1860, VISIONS D'ISAIE, en vers, par l'abbé Chabert.
En 1861, le NOUVEAU TESTAMENT de l'abbé Glaire. Ce Nouveau Testament reçut l'autorisation du pape et fut connu sous le nom de « Nouveau Testament du pape ». Réédité en 1865. En 1877 parut l'ANCIEN TESTAMENT de l'abbé Glaire, et de 1889 à 1893 la BIBLE de Glaire et Vigouroux, 4 volumes in-8. « La traduction de Glaire, dit M. Douen, dépourvue d'élégance, tombe souvent dans l'obscurité pour avoir voulu être trop textuelle ».
En 1862, ÉVANGILES en vers, par A. Brun.
En 1862, LES ÉVANGÉLISTES, par Ruben.
En 1863, le NOUVEAU TESTAMENT de l'abbé Gaume, chanoine de Paris. Traduction peu littéraire (*1). La préface et les notes (très abondantes) sont agrémentées d'une polémique anti-protestante dont la fougue et la violence sont difficiles à concevoir. On dirait des charges de cavalerie (*2).
(*1) La femme, ce fut séduite qu'elle tomba en prévarication (1 Tim. 2, 14).
(*2) Qu'on en juge. Dans la préface, après avoir exprimé cette pensée que le catholique a dans l'église tout ce qu'il lui faut, qu'il n'a qu'à accepter, qu'à se soumettre, l'abbé Gaume continue :
« Lorsque le protestant se présente armé d'un texte de la Bible, on peut le traiter comme on traite le voleur, qui, s'étant emparé d'un titre de propriété prétend s'en prévaloir pour justifier ses déprédations. Le catholique peut se contenter de lui dire avec Tertullien : Qui êtes-vous ? Depuis quand et d'où êtes-vous venu ? Que faites-vous chez moi, n'étant pas de la famille ? De quel droit coupez-vous ma forêt ? Qui vous a permis de détourner mes canaux ? Qui vous autorise à ébranler mes bornes ? Comment osez-vous semer et vivre ici à discrétion ? C'est mon bien. Je possède, et ma possession est authentique, mes origines incontestables. Le titre que vous présentez, vous l'avez volé, il appartient à ma mère. Qui vous a chargé de l'expliquer, et surtout de l'expliquer contre elle ? Vous êtes protestants : votre nom donne le frisson. Satan a été le premier protestant : il a protesté dans le ciel, et des anges ses complices il a fait d'affreux démons ; il a protesté sur la terre avec Ève, et il a perdu le genre humain. Vous faites le métier de votre père. Arrière, arrière ! Assez de crimes et de ruines avec toutes ces Protestations ! »
Voici la note sur Matthieu 8, 14. « Quand il fut appelé à l'apostolat, Pierre quitta sa femme et sa fille, lesquelles imitèrent si bien sa foi qu'elles sont honorées comme saintes, l'une martyre, et l'autre vierge ». Et sur 1 Tim. 3, 2: « Ce n'est pas qu'il dût être marié. On aurait préféré qu'il en fût autrement. Les nouveaux convertis propres au sacerdoce étant mariés, il eût été difficile de choisir ailleurs ; mais après leur ordination (ici nous traduisons quelques mots en latin) : ab usu muliebri temperabant, et ne pouvaient former d'autres liens ».
En 1865, le NOUVEAU TESTAMENT de Mgr Ch. Fr. Baillargeon, évêque de Tloa (publié à Québec).
En 1865, la SAINTE BIBLE selon la Vulgate, traduction nouvelle par les chanoines Bourassé et Janvier, avec les dessins de Gustave Doré. 2 volumes in-folio. Le Nouveau Testament a été publié à part en 1875. « Cette traduction, dit M. Douen, se distingue par la clarté, la limpidité du style ».
En 1865, les PSAUMES, par Arnaud de Saint-Maur.
En 1865, ÉVANGILES, de Deschamps.
En 1866, LES ÉVANGILES annotés par Proudhon.
En 1866, JOB, drame en cinq actes, traduit par J. Leroux.
En 1868, PSAUMES de Mabire.
En 1868, ÉVANGILES de Fouquet.
En 1868, ÉVANGILES en vers, par la baronne de Montaran.
En 1872, la SAINTE BIBLE avec commentaires de l'abbé Drioux, 8 volumes in-8, rééditée en 1884.
En 1872, BIBLE de l'abbé Giguet, d'après les Septante.
En 1879, CHAINE D'OR DES PSAUMES, par l'abbé Péronne.
En 1881 et années suivantes, la SAINTE BIBLE, avec introductions générales et particulières, commentaires théologiques, moraux, philosophiques, historiques, etc., par MM. les abbés Trochon, Bayle, Clair, Lesêtre, Fillion, etc., 28 volumes in-8.
En 1881, la SAINTE BIBLE, traduction française avec commentaires, par A. Arnaud.
En 1881, PSAUMES de Vacquerte.
En 1882, ÉVANGILES de l'abbé de La Perche.
En 1883, GENÈSE, par Lenormand.
En 1884. le NOUVEAU TESTAMENT traduit sur la Vulgate par l'abbé Crampon. Les ÉVANGILES, l'APOCALYPSE, les PSAUMES, traduits par le même, ont paru à part.
En 1885, le CANTIQUE DES CANTIQUES en vers, de Jean Aicard.
En 1887, les SAINTS ÉVANGILES de Lasserre, publiés avec l'autorisation du Saint-Siège à 100.000 exemplaires (vendus en un an), puis mis à l'index la même année. L'auteur s'est proposé de présenter les Évangiles à ses compatriotes dans un style et sous un aspect vraiment modernes. Il s'est inspiré de la méthode préconisée par Jérôme dans l'éloge que fait ce père des traductions bibliques du confesseur Hilaire : « Il s'est emparé du sens en vainqueur, et l'a transporté dans sa langue » (*). Une édition de luxe in-4, illustrée, préparée la même année, porte le millésime de 1888.
(*) Lasserre consacra quinze ans à cette traduction et en corrigea les épreuves pendant douze ans, payant à l'imprimeur le loyer des caractères. Il donne ce renseignement dans sa préface.
Voici un extrait de cette remarquable préface, qui compte trente-sept pages :
« Considérant le Livre sacré comme inutile et dangereux, on croit faire oeuvre pie de le reléguer, loin des profanes, dans les savantes arcanes du sanctuaire. N'était-ce point oublier que les discours de Jésus, au lieu de se renfermer, pour quelques initiés, dans une enceinte soigneusement close, ont au contraire retenti en plein air sur les places publiques, sur la pente des monts, sur la rive des lacs, au sein des foules populaires pressées autour de lui ; parmi les ignorants comme parmi les doctes ; parmi les bons et les méchants, les grands et les petits, les justes et les pécheurs ; parmi les juifs, les païens, les vieillards, les femmes, les enfants ? N'était-ce point oublier qu'il a été prescrit aux apôtres et à leurs successeurs d'annoncer partout ce même Évangile, à travers les siècles, et de le faire entendre ici-bas à tout être créé : Euntes in mundum universum, praedicate Evangelium omni creaturae ; Kèruxaté, dit le grec, « soyez-en comme les crieurs publics ». N'était-ce point oublier que cet ordre était tellement absolu que, quand il arrivait à Notre Seigneur de prendre à part ses disciples et de s'entretenir avec eux en dehors des multitudes, il ne manquait pas de leur bien spécifier que ces paroles mêmes, qu'il leur adressait alors en particulier, devaient, après lui, être répétées et répandues comme tous ses autres enseignements : « Ce que je vous expose présentement dans l'ombre, vous avez à le proclamer dans le plein jour ; et ce que vous entendez à l'oreille, vous avez à le prêcher sur les toits ».
Dans cette préface, d'ailleurs, Lasserre se montre fils soumis de l'Église, et se sépare du protestantisme, qui « repoussant tout jugement supérieur, afficha la prétention de livrer d'une façon absolue l'interprétation souveraine de la Parole de Dieu à l'arbitraire individuel et à la fantaisie de chaque lecteur ».
Cette traduction est remarquable comme effort pour transposer le texte en français d'allure moderne. Mais l'auteur a étrangement et inutilement forcé la note dans des expressions comme celles-ci : mon joug est suave (Mat. 11, 30) et : les larmes coulaient sur la face de Jésus (Jean 11, 35).
En 1887, la SAINTE BIBLE avec commentaires, édition de Dom Calmet, rajeunie par l'abbé Petit, dix-sept volumes in-4.
En 1888, BIBLE de l'abbé Fillion, dix volumes. Nouveau Testament réédité en 1896.
En 1888, PSAUTIER de Baïf.
En 1891, les QUATRE ÉVANGILES ET LES ACTES, traduction nouvelle, avec notes, illustrée, édition approuvée par l'évêque de Nîmes.
En 1891, les QUATRE ÉVANGILES en un seul et les ACTES DES APOTRES, par le chanoine Weber. Les récits de la tradition sont ajoutés entre crochets au texte sacré. En 1900 cet ouvrage avait atteint sa cinquantième édition.
De 1894 à 1904, la SAINTE BIBLE, traduite en français sur les textes originaux, avec introductions et notes et la Vulgate latine en regard, par Aug. Crampon, chanoine d'Amiens, 7 volumes grand in-8, avec l'imprimatur de l'évêque de Tournai. Cette traduction est la première traduction française de la Bible qui ait été faite dans l'Église romaine sur les textes originaux. En 1904, nouvelle édition sous ce titre : la SAINTE BIBLE, traduction d'après les textes originaux, par l'abbé Crampon, revisée par des pères de la Compagnie de Jésus, avec la collaboration de professeurs de Saint-Sulpice, portant l'imprimatur de l'évêque de Tournai, petit in-8. Sur la couverture sont imprimés, en latin, ces mots : Je suis le chemin, la vérité et la vie. Cette Bible reproduit le texte français de la grande édition de 1894 à 1904 pour l'Ancien Testament, mais la traduction du Nouveau Testament a été révisée. Le Nouveau Testament a paru à part dans une traduction révisée pour la seconde fois. En 1906, les Évangiles et les Actes ont été publiés à part, en cinq petits volumes. à 20.000 exemplaires chacun, épuisés la même année, et réédités l'année suivante. En 1909, la Bible petit in-8° a été réimprimée, et purgée des innombrables fautes d'impression qui la déparaient.
Cette version a, comme toutes les autres, ses inégalités et ses faiblesses. D'autre part, elle a largement mis à profit (pour l'Ancien Testament) les traductions de Segond, de la Bible annotée et de Renan. Ce serait déjà rendre un grand service au lecteur que de mettre à sa portée ce qu'il y a de mieux dans les meilleures versions, pas toujours accessibles. Mais cette version a sa valeur propre, qui est grande. Notons seulement qu'elle maintient soit les inversions (Le mal, il y a des mains pour le bien faire. Michée 7, 3), soit la répétition voulue du pronom (car moi, Jéhovah, ton Dieu, je te prends par la main droite… c'est moi qui viens à ton aide… c'est moi qui viens à ton secours… Ésaïe 41, 13, 14). ce qui donne une toute autre allure au style et conserve ce qu'il y a de palpitant dans le texte original. Dans le Nouveau Testament, où on ne retrouve pas les mêmes emprunts que dans l'Ancien, la traduction est remarquable de concision et de précision. Cette version est indispensable. comme instrument de travail, là tous ceux qui étudient la Bible (*).
(*) Voir, sur cette version, les chaleureux articles de M. Ch. Pfender dans les deux premiers numéros de janvier 1905 du Témoignage.
On trouvera dans le Bulletin trimestriel de la Société biblique de France (numero de décembre 1906) un article critique de M. le pasteur E. Bertrand, sur la version Crampon. Voir aussi l'article de M. E. Stapfer sur Une nouvelle traduction de la Bible, dans la Revue chrétienne d'avril 1906.
La traduction de l'abbé Crampon est accompagné de nombreuses notes qui sont surtout des notes historiques, exégétiques et d'édification. La doctrine catholique s'y affirme, sans doute, mais ne s’y étale pas, et ces notes sont exemptes de polémique. Nous sommes ici aux antipodes du Nouveau Testament de l'abbé Gaume (*).
(*) Voici ce que M. le pasteur Babut écrivait sur la version Crampon, en mars 1906, dans le Messager des Messagers.
Plus j'étudie cette version, plus je suis frappé de ses mérites. Je n'en relèverai qu'un, celui que j'aurais le moins attendu : la fidélité, l'objectivité, l'absence de préoccupation dogmatique ou ecclésiastique. N'était l'emploi du prénom vous appliqué à Dieu et la présence des livres apocryphes, que je suis fort aise de trouver dans ce beau volume, mais que je regrette de voir tout-à-fait mêlés aux livres canoniques comme s'ils ne formaient pas en tout cas une classe à part, sans ces deux circonstances, dis-je, il semblerait très vraisemblable que cette traduction est d'une plume protestante (Naturellement, dans quelques-unes des notes, l'idée catholique est plus apparente (Mat. 16, 19). Encore s'exprime-t-elle avec une certaine sobriété).
Aussi cet important ouvrage me parait-il propre à dissiper quelques-uns des préjugés gui séparent les deux communions. Il nous prouve, à nous protestants, qu'on peut s’appeler jésuite et interpréter la Sainte Parole avec beaucoup de conscience et d'intelligence. Mais d'autre part, cette identité presque complète, et qui, à coup sûr, n'est pas fortuite, de la Bible catholique et de la Bible protestante, convainc d'erreur ou de mensonge le reproche si souvent jeté à la tête de nos vaillants colporteurs : « Vos Bibles sont falsifiées ». Nous avions déjà, nos frères catholiques et nous, le même Dieu et le même Sauveur ; nous avons désormais, à peu de chose prés, la même Bible. C'est un pas qui compte vers l'accomplissement de cette parole du Maître, que je cite d'après Crampon : « une seule bergerie, un seul pasteur » (Jean 10, 16).
De 1898 à 1908, l'abbé Vigouroux, membre de la commission des études bibliques du Vatican, a fait paraître une BIBLE POLYGLOTTE en quatre langues (hébreu, grec, latin, français), huit volumes.
En 1899, la BIBLE, traduction nouvelle d'après l'hébreu et le grec, par Eugène Ledrain, dix volumes. Cette traduction, faite par un homme étranger à l'Église, est avant tout philologique et littéraire. Elle reproduit souvent l'hébreu dans toute sa crudité.
CINQ-CENT DEUX TRADUCTIONS DE LA PARABOLE DE L'ENFANT PRODIGUE.
En fait de traductions de la Bible, il est intéressant de signaler un livre sur les patois de France, de Coquebert de Montbret, où la parabole de l'enfant prodigue se trouve reproduite en 89 patois français différents, 12 patois suisses, 2 alsaciens, 1 prussien. Cet ouvrage paraît avoir été composé au moyen d'un dossier aussi curieux que peu connu dont il nous reste à parler.
En 1807 et dans les années suivantes, le Ministère de l'intérieur fit procéder à une vaste enquête sur les patois parlés dans la France d'alors. Le ministre demanda à chaque préfet de lui procurer une traduction de la parabole de l'enfant prodigue dans tous les patois du département. Ces pièces furent fournies. Plusieurs semblent avoir été perdues. On les réunit en 1824 (*). On trouve dans cette collection la parabole de l'Enfant prodigue traduite en 494 patois, dont 352 parlés dans cinquante départements faisant partie de la France actuelle, et 142 parlés dans des contrées qui ne font plus partie de la France. Il y a en outre huit traductions en langues étrangères. Total : 502 traductions. On trouve 10 spécimens pour la Charente, 10 pour la Charente-Inférieure, 12 pour la Creuse, 7 pour la Drôme, 13 pour la Gironde, 11 pour l'Hérault, 14 pour le Puy-de-Dôme, 15 pour la Haute-Vienne, etc. Quelques-uns diffèrent peu, d'autres beaucoup.
(*) Ce dossier, malheureusement, a été dispersé. On en trouve une partie à la Bibliothèque nationale (Manuscrits français, 5910-5913), une autre aux Archives (carton F (17), 1209), une autre à la Bibliothèque municipale de Rouen (n° 183, 433, qui sont les n° 1639 et 1641 du Catalogue Osmont).
Une lettre d'un M. Pitois, en tête de la collection, nous apprend que primitivement il avait été question de demander une traduction de la parabole du Semeur et une de l'Enfant prodigue, et « le choix de ces deux paraboles, ajoutait l'écrivain, n'est pas arbitraire… Nous les trouvons dans la plupart des statistiques et des voyages, dans les mémoires de l'ancienne Académie celtique et leur continuation. C'est en un mot une sorte d'étalon convenu qu'on est dans l'usage d'appliquer à tous les idiomes qu'on veut explorer, et cet usage n'est pas seulement adopté en France, il est également suivi en Allemagne, où l'on a publié il y a peu d'années un ouvrage tout semblable à celui dont je parle ».
Voilà un bel hommage rendu à la Bible. C'est donc dans la Bible, c'est dans les paroles de Christ, qu'on choisit l'étalon pour explorer les idiomes. N'est-ce pas reconnaître que, au point de vue de la forme tout au moins, la Bible est le livre de la vérité, que jamais livre n'a parlé comme ce livre, que jamais homme n'a parlé comme cet homme ?
Parlons d'abord des révisions catholiques de la Bible de Lefèvre d'Étaples. Les théologiens catholiques, comme nous l'avons dit (*), ne pouvant empêcher qu'on lût cette Bible, préférèrent la publier révisée. Cette révision fut l'oeuvre de François de Leuse et de Nicolas de Larben. Ils ne la modifièrent que légèrement, l'expurgeant surtout de ses notes, d'une saveur trop protestante. Cette révision parut en 1550 et circula sans empêchement parmi les catholiques français, grâce, en grande partie, au prestige de l'université de Louvain, et malgré le mécontentement de la Sorbonne. Celle-ci n'osait s'attaquer à une Université qui était le principal rempart du Saint-Siège aux Pays-Bas. Cette Bible, dite de Louvain, jouit d'une demi-autorisation et dura plus d'un siècle. Elle eut, sous diverses formes, environ 200 éditions, imprimées notamment à Anvers, à Paris, à Rouen, à Lyon. Elle fut, à diverses reprises, plus ou moins révisée, soit tout entière, en 1572 par de Bay, en 1608 (édition illustrée) par Besse (Bible illustrée. Dédiée à Henri IV), en 1613 par Deville, en 1621 par Frizon (Bible dédiée à Louis XIII), — soit le Nouveau Testament seulement, en 1647, par Véron.
(*) Voir derniers paragraphes du point 12 (chapitre 9) du texte global = point 12 de la Partie 1 « Jusqu’au 16° siècle ».
Ce dernier Nouveau Testament vaut la peine qu'on s'y arrête. Ces différentes Bibles firent souvent le tourment des polémistes catholiques. Ils ne pouvaient les récuser, et dans maints passages elles donnaient gain de cause à leurs adversaires. François Véron, prédicateur et lecteur du Roi (Louis XIV) pour les controverses, sentit vivement ce désavantage. Curé à Charenton, il avait de vives discussions à soutenir avec les ministres protestants, qui le battaient parfois par leurs citations bibliques. Impatienté, le P. Véron se décida à faire paraître, en 1646, une nouvelle traduction du Nouveau Testament, toujours sous le pavillon de Louvain. Il déclare qu'il a dû corriger plusieurs erreurs préjudiciables à la religion catholique. Il reprend ses prédécesseurs de ce qu'ils n'ont pas assez repurgé les traductions protestantes de leurs ordures. Veut-on savoir comment il « repurgeait » les traductions hérétiques de leurs « ordures » ? Dans sa traduction, on lit à Actes 13, 2, au lieu de pendant qu'ils servaient le Seigneur dans leur ministère : EUX DONC DISANT LA MESSE (traduction qu'on trouve déjà dans la Bible de Corbin de 1643, dont nous aurons à reparler). Trois pages (in-4) de la préface sont consacrées à justifier cette traduction, que le traducteur déclare indiscutable, en rabrouant d'importance les contradicteurs. Dans un Nouveau Testament publié à Bordeaux en 1686, les mots le sacrifice de la messe se trouvent même dans le titre du chapitre (*). On lit dans cette dernière édition, à 1 Corinthiens 3, 15: « ainsi toutefois comme par le feu du purgatoire », et à 1 Timothée 4, 1 : « quelques-uns se sépareront de la foi romaine ».
(*) Nous avons vu des exemplaires de ces deux Nouveaux Testaments à la bibliothèque de Genève. L'exemplaire du Nouveau Testament de 1686 offre une particularité qui en fait une curiosité bibliographique. Le commencement de Actes 13 s'y lit à la page 364. Or, les pages 363 (recto) et 364 (verso) se trouvent deux fois à la suite. Sur la deuxième page 364 se trouve dans le titre : Le sacrifice de la Messe, et au verset 2 : Pendant qu'ils offraient le sacrifice de la Messe. La première page 364 (carton très habilement collé), porte la traduction normale : pendant qu'ils servaient le Seigneur. On pense qu'elle a été insérée dans cet exemplaire, et peut-être dans d'autres, par un ami de la vérité, qui sait ? par un ouvrier huguenot de l'imprimeur du volume, qui aura voulu confondre et flétrir la traduction mensongère en conservant à côté la traduction exacte.
On mentionne d'autres éditions semblables du Nouveau Testament, deux à Bordeaux, avant celle de 1686 : en 1661 et 1663, et plusieurs de Girodon (1661, 1662, 1672, 1688, 1692) (*).
(*) Girodon, dit M. Douen, a réussi à découvrir, c'est-à-dire à mettre dans le Nouveau Testament, non seulement la pénitence et la messe, mais le culte de latrie, les pèlerinages, les processions, le purgatoire, les péchés véniels, le sacrement du mariage, etc… Livre destiné aux protestants nouveaux convertis, comme si la scandaleuse falsification du texte sacré eût été de nature à affermir des conversions obtenues par la violence (Article Versions modernes de la Bible, dans l'Encyclopédie.
À cause des modifications de la langue, il vint un moment où la version de Louvain tomba en désuétude. Aucune autre version approuvée ou tolérée par l'Église ne la remplaça.
Voici l'énumération des traductions catholiques de la Bible, données comme originales (*), depuis la Réformation jusqu'à aujourd'hui. Cette énumération, dans sa sécheresse apparente, nous paraît singulièrement éloquente. Elle montre, en effet, combien la Bible s'est imposée même à ceux qui n'encouragent pas, pour dire le moins, la lecture de la Bible par les fidèles. Et puis, en présence de cette longue liste, en présence de ces Bibles commentées parfois en vingt-trois, en vingt-huit volumes, en présence de ces éditions multiples, en présence de ces Écritures répandues si abondamment par un de Barneville, et sûrement par d'autres, comment ne pas reconnaître dans cette Église, malgré tout ce qui nous sépare d'elle, un élément de piété véritable attesté par cet amour, par cette pratique des Écritures ? Pour parler le langage des mathématiques, si on compare les deux Églises à deux cercles, ces cercles ne sont pas concentriques, puisque le siège de l'autorité n'est pas le même, mais ils ont un segment commun, et ce segment, c'est la Bible.
(*) Nous ne garantissons pas qu'elle soit complète. Nous l'avons établie d'après la Bible en France, de E. Petavel, l'Extrait du catalogue de la bibliothèque de la Société biblique protestante de Paris, le Historical Catalogue of printed Bibles, British and Foreign Bible Society, et l'article de O. Douen sur les Versions modernes, dans l'Encyclopédie.
En 1566, la BIBLE, par René Benoist, curé de Saint-Eustache, confesseur de Marie Stuart et de Henri IV. Elle était dédiée à Charles IX. Elle reproduisait en grande partie la version protestante. L'auteur avait-il voulu, comme on le prétendit, se donner l'air de faire une oeuvre originale et s'était-il approprié la version de Genève sans la démarquer suffisamment ? De plus la préface recommandait la dissémination de la Bible en langue vulgaire pour combattre l'hérésie. C'était assez pour la rendre suspecte. Elle provoqua un tollé général. La Sorbonne condamna l'oeuvre en 1567. La chose vint devant Rome et devant le Roi. L'auteur fut déposé. Il finit par se rétracter, et au bout de vingt ans fut réhabilité. Chose curieuse, pendant la controverse même dont la Bible de René Benoist fut l'objet, son Nouveau Testament sans notes fut souvent réimprimé, malgré la censure. En 1568, la Bible de René Benoist est éditée trois fois à Paris, par trois libraires différents.
En 1643, la BIBLE traduite par Jacques Corbin. Nouvelle traduction très élégante, dit le titre, très littérale et très conforme à la Vulgate du pape Sixte Quint, revue et corrigée par le très exprès commandement du roi. Malgré le patronage de Louis XIII, qui avait chargé Corbin de ce travail et auquel il était dédié, cette Bible fut condamnée par la Sorbonne. On ne peut le regretter quand on sait que Corbin a traduit, Actes 13, 2 : Or eux célébrans au Seigneur le sainct sacrifice de la messe.
En 1649, le NOUVEAU TESTAMENT traduit par Michel de Marolles, abbé de Villeloin, sur la traduction latine d'Érasme. Michel de Marolles voulut publier aussi l'Ancien Testament. Il obtint l'autorisation du chancelier Matthieu Molé. Mais, en 1671, comme l'imprimeur en était à Lévitique 24, le successeur de Molé, Séguier, interdit l'impression, qui ne put jamais être reprise.
On voit par le sort de ces trois publications combien fut extraordinaire et vraiment providentielle la demi-autorisation accordée à la Bible de Louvain, malgré son origine hérétique.
En 1666, le NOUVEAU TESTAMENT du P. Amelote, publication entreprise à la requête de l'Archevêque de Toulouse et de l'évêque de Montauban, que l'assemblée générale du clergé de France de 1655 avait chargés de faire paraître une nouvelle version. Réédité en 1733, 1738, 1771, 1781, 1793 (on imprima donc la Bible en France en pleine Terreur. Cette édition est de Saint-Brieuc), 1813. 1824, 1834. C'était le Nouveau Testament de Port-Royal, dont le P. Amelote s'était procuré une copie, et qu'il publia, avec peu de changements, un an avant que parût l'original. Ce Nouveau Testament contient de graves erreurs, qui y ont été introduites peut-être après la mort du traducteur. On l'opposait au Nouveau Testament de Port-Royal. Félix Neff a trouvé ce Nouveau Testament entre les mains des protestants des Hautes-Alpes, dont les ancêtres l'avaient sans doute adopté pour apaiser leurs persécuteurs.
En 1667, le NOUVEAU TESTAMENT dit de Port-Royal, traduit par de Sacy, et en 1696, la BIBLE entière, du même traducteur (*).
(*) Nous consacrons le chapitre suivant à cette version célèbre.
En 1671, le NOUVEAU TESTAMENT EN FRANÇAIS AVEC DES RÉFLEXIONS MORALES sur chaque verset par le P. Quesnel (dont le nom n'est pas sur le titre). Ouvrage justement célèbre. Ces commentaires seront toujours une nourriture de choix pour les âmes pieuses. La traduction est celle du Nouveau Testament de Port-Royal, mais avec des modifications. Voici comment Quesnel traduit Luc 15, 18 : Il faut que de ce pas je m'en aille trouver mon père et que je lui dise : « Mon père, j'ai péché… ». Cet ouvrage a été réédité notamment en 1693, 1696, 1702, 1705, 1727.
En 1668, le NOUVEAU TESTAMENT traduit par Antoine Godeau, évêque de Vence, traduction paraphrastique, remarquable en ce qu'elle adopte le tutoiement en usage chez les protestants, car « il y aurait indécence à ce que Dieu parlât au diable par vous ». En 1686, il publia une traduction des Psaumes.
De 1697 à 1703 le NOUVEAU TESTAMENT traduit par le père Bouhours, aidé par les Pères jésuites Le Tellier et Besnier, une autre version d'opposition à la version de Sacy.
De 1701 à 1716, la BIBLE traduite par L. des Carrières, révision de la version de Port-Royal. Elle a été rééditée en 1750, puis, en quinze volumes, en 1825 et en 1833, ensuite en 1846 à Québec, et en 1847 à Paris, six Volumés. Saint-Matthieu a été réédité en 1890.
En 1702, à Trévoux (près de Bourg), une nouvelle version du NOUVEAU TESTAMENT, sans nom d'auteur, mais que M. Reuss dit être indubitablement du savant oratorien Richard Simon. Cette traduction fut attaquée par Bossuet dans ses Instructions parues en 1702 et 1703.
En 1702, le NOUVEAU TESTAMENT traduit par Charles Huré, ancien professeur de l'Université de Paris, un laïque. Réédité en 1709, 1712, 1728.
De 1707 à 1716, la BIBLE, commentée par Dom Calmet, en 23 volumes in-4. Une troisième édition paraissait de 1724 à 1726, une quatrième en 1771. Cette Bible reproduit et modifie par endroits la traduction de Sacy. Dont Calmet avait appris l'hébreu d'un pasteur protestant, tout en faisant ses études à l'abbaye de Munster (Alsace).
De 1713 à 1715, la BIBLE, version de Port-Royal révisée, avec réflexions, par Mme Guyon. Vingt volumes in-8. Rééditée en 1790.
De 1713 à 1725, les RÉFLEXIONS SUR LE NOUVEAU TESTAMENT du P. Lallemant, avec la traduction du P. Bouhours, révisée, douze volumes in-12. La traduction a été rééditée en 1748, 1823, 1829, 1830, 1845, 1847, puis, révisée et corrigée par l'abbé Herbet, en 1848, 1860 (Évangiles), 1866.
En 1719, le NOUVEAU TESTAMENT traduit par l'abbé de Barneville, oratorien. Ce Nouveau Testament vaut la peine qu'on s'y arrête.
Vers 1719, à l'instigation de l'abbé de Barneville, — qui commença son activité biblique à l'âge de soixante ans, et la continua jusqu'à sa mort, pendant vingt ans environ — il se forma une Association catholique, la première Société biblique française, pour répandre, au moyen de dons, le Nouveau Testament, sans notes ni commentaires. C'est à elle qu'est dû ce Nouveau Testament de 1719, traduit par de Barneville lui-même et imprimé à Paris avec les approbations des évêques d'Auxerre, de Lectoure, de Rodez, et d'un docteur en Sorbonne, Pinsonnat, censeur royal des livres. Douze éditions successives de ce Nouveau Testament parurent de 1719 à 1753. Celle de 1731 est annoncée comme revue à nouveau sur tout ce qu'il y a eu de versions de ce divin Livre faites en notre langue, non seulement en France, mais encore dans le reste de l'Europe. Ces éditions étaient précédées d'admirables préfaces dont la Société des traités religieux a imprimé de nombreux extraits dans le numéro 107 de ses publications. Voici quelques citations de ces préfaces :
PRÉFACE DE 1719 : Des personnes qui s'intéressent sincèrement au besoin des âmes ayant appris par différents missionnaires que la Parole de Dieu n'était ni prêchée ni lue que fort rarement en certains cantons du royaume, qu'ainsi des milliers de baptisés y croupissaient dans une profonde ignorance de leurs devoirs de chrétiens, elles ont été tellement touchées d'un mal si digne de larmes aux yeux de la foi, qu'elles se sont portées comme de concert à en chercher le remède et à le faire appliquer incessamment.
Après avoir imploré le secours du souverain Pasteur, ces personnes ont fait représenter à quelques prélats, sensibles aux maux de l'Église, que s'ils le trouvaient bon, elles se joindraient à eux pour faciliter l'instruction de leurs peuples par le moyen des livres de piété et surtout par celui du saint Évangile… ; elles ajoutaient qu'afin d'en avoir les exemplaires plus commodément et à meilleur marché, elles feraient volontiers des avances pour plusieurs éditions de ce divin livre… La Parole de Dieu ainsi distribuée à des pauvres et à des riches de tout le royaume aura désormais ce cours magnifique que lui souhaitait le grand apôtre dans sa seconde épitre aux Thessaloniciens, chapitre III :
« Que la Parole de Dieu ait son cours et qu'elle soit glorifiée », et ce cours ne sera pas seulement glorieux à cette divine Parole, mais encore honorable à toute l'Église gallicane, laquelle recevra un surcroît de gloire qui la distinguera jusqu'à la fin des siècles des autres églises, pour avoir su mieux qu'elles trouver le secret de prodiguer le saint Évangile dans des pays incultes.
PRÉFACE DE 1728 : Comme la principale fonction du sacerdoce de Jésus Christ consiste à faire connaître aux hommes les Saintes Écritures, selon l'expression du septième concile de Nicée, et que les ministres évangéliques en sont redevables aux personnes de tout âge et de toute condition, après avoir donné une édition d'un Nouveau Testament portatif en faveur des jeunes gens, on a cru devoir faire celle-ci en beaux et gros caractères neufs, plus correcte que les précédentes, pour donner moyen aux personnes de l'un et de l'autre sexe, qui sont plus avancées en âge, ou qui ont la vue faible, de puiser avec plus de facilité les eaux claires et vives des fontaines du Sauveur.
PRÉFACE DE 1731 : Nous devons rendre ce témoignage au zèle de quelques personnes d'une fortune fort médiocre, qu'elles donnèrent très volontiers selon leur pouvoir, et même au delà de leur pouvoir, pour contribuer à ce moyen de répandre l'Évangile. Il y eut aussi des gens riches et charitables qui voulurent bien y entrer. Ils ne se contentèrent pas de faire provision pour eux et pour leur famille de cet ouvrage : ils firent donc encore la dépense d'en acheter un grand nombre qu'ils ont fait distribuer gratuitement aux pauvres, à Paris et dans les provinces. On n'a rien négligé pour faire qu'il fût au plus bas prix qu'il était possible…
UNE AUTRE PRÉFACE : Tout ce que l'on peut dire à la louange de la Parole de Dieu ne la fait pas si bien sentir qu'elle se fait sentir elle-même, quand on la lit avec un esprit docile et avec un coeur humble… Il en est d'elle comme du miel auquel le Saint-Esprit la compare et dont une goutte qu'on met sur la langue fait mieux goûter la douceur que ne pourraient jamais le faire les discours les plus amples et les expressions les plus vives.
A-t-on jamais mieux parlé de l'Écriture que dans ces dernières lignes ?
Nous reprenons notre énumération
En 1729, le NOUVEAU TESTAMENT de Mésenguy, prêtre janséniste ardent, traduction remarquable par la pureté du style comme par l'esprit de piété qu'elle révèle chez son auteur. Rééditée en 1752 et 1764.
En 1732, les PSAUMES traduits par l'abbé d'A… Brux.
De 1738 à 1743, la BIBLE de l'abbé Vence, révision de la Bible du P. de Carrières, dite Bible de Vence, vingt-deux volumes in-12, rééditée de 1767 à 1773 en dix-sept volumes in-4, en 1820 en vingt-cinq volumes in-8.
En 1739, la BIBLE de Nicolas le Gros, version originale jusqu'à Nombres xxxtl, ensuite révision de Sacy, reprise par d'autres après la mort de l'auteur et achevée en 1753, cinq volumes. L'abbé Glaire a dit de cette Bible qu'elle « est sans contredit la meilleure que nous possédions dans notre langue, tant sous le rapport du style que de la fidélité ». Il fait des réserves sur ses tendances protestantes.
En 1760, le NOUVEAU TESTAMENT de l'abbé Valart, réédité en 1789.
En 1760, ÉSAIE, par Deschamps.
En 1762, les PSAUMES, traduits par Laugeois. En 1788, ÉSAIE, du P. Berthier, cinq volumes.
En 1804, le PSAUTIER de Laharpe, réédité en 1811, en 1820 et en 1829.
En 1819, la BIBLE par Desoer, deux éditions différentes, l'une en un volume in-8, l'autre en sept volumes in-16.
De 1820 à 1824, la BIBLE de Genoude, dix-neuf volumes in-8. Le Nouveau Testament fut édité à part en deux volumes in-18. L'auteur avait été un instant séminariste, il était donc laïque. Sa traduction de la Bible lui valut de la part de Louis XVIII l'anoblissement et une pension. Il se maria. Devenu veuf en 1834, il rentra dans les ordres. Le Nouveau Testament fut réédité en 1829, et de nouveau, révisé par Gaume, en 1859. La Bible fut rééditée en 1834, en cinq volumes in-4, « sous les auspices du clergé de France », puis : en 1837, en trois volumes in-4; de 1838 à 1840, en cinq volumes in-4 ; 1846, révisée par l'auteur, en deux volumes in-12; plus tard encore en édition diamant in-18 (1859 ?). La traduction de Genoude est élégante, mais souvent inexacte.
En 1825, JÉRÉMIE, traduit par Dahler.
En 1826, les PSAUMES, traduits par Gosseaume.
En 1826, les PSAUMES, traduits par l'abbé Danicourt.
En 1826, JOB, traduit par Levavasseur.
En 1834, la BIBLE française-latine de l'abbé Glaire. La Bible française de l'abbé Glaire a paru en 1863 et a été rééditée en 1873. « Dépourvue d'élégance, dit M. Douen, elle tombe souvent dans l'obscurité pour avoir voulu être trop textuelle ».
En 1836, les ÉVANGILES de l'abbé Dassance, deux volumes in-8.
En 1838, le PSAUTIER, de Dargaud.
En 1839, JOB, par Dargaud.
En 1840, les PSAUMES. par l'abbé Boudil.
En 1841, les PSAUMES, traduits sur l'hébreu, par M. Wurth, professeur à l'Université de Liège (un laïque), et dédiés à la Reine.
En 1841, les PSAUMES, le CANTIQUE DES CANTIQUES et les LAMENTATIONS, par Cardonnel et Debar.
En 1842, le NOUVEAU TESTAMENT, Version nouvelle par un anonyme (Machais, certainement un laïque).
En 1843, les ÉVANGILES de l'abbé Orsini.
En 1845, les PSAUMES, traduits de l'hébreu par Latouche, chanoine d'Angers.
En 1846, les ÉVANGILES (au moins quatre éditions), et, en 1851, le NOUVEAU TESTAMENT de Lamennais. Lamennais a essayé de « plier notre langue aux formes de l'original qui, dans sa concision elliptique, néglige fréquemment soit les liaisons grammaticales, soit des pensées intermédiaires, soit certains compléments logiques du discours ». « Mais il est loin, dit M. Douen, d'avoir toujours réussi (Voyez Rom. ch. 7 v. 10, 14, 18, 21 ; ch. 8 v. 1, etc.). La traduction, trop systématique, offre le même genre d'intérêt que la lutte d'un cavalier opiniâtre contre un cheval rétif ».
En 1846, la BIBLE de Sacy, revue par l'abbé Jager, quatre volumes in-folio.
En 1848, le livre de JOB, par P. D. de Peyronet, ancien garde des sceaux de France.
En 1853, la BIBLE DES FAMILLES CATHOLIQUES à I'usage des gens du monde, par M. l'abbé Orsini. C'est une Bible expurgée. Les petits prophètes ne sont qu'indiqués, et les épitres et l'Apocalypse sont résumés très succintement. Le texte est celui de Sacy.
En 1854, le SAINT ÉVANGILE selon les quatre évangélistes, par l'abbé Destrem.
En 1855, les ÉVANGILES, traduction de Bossuet mise en ordre et complétée par H. Wallon.
En 1855, réédition, en français, par l'abbé Gimarey d'Autun, des Saintes Écritures de l'ANCIEN ET DU NOUVEAU TESTAMENT traduites et expliquées par T. Allioli, prévôt de la cathédrale d'Augsbourg, ouvrage paru à Nuremberg en 1830. C'est une Bible latine-française en dix volumes. Le texte français est celui du P. des Carrieres. L'édition française est augmentée de nombreuses notes.
En 1857, PSAUMES, d'après le parallélisme, par l'abbé Bertrand.
En 1858, PSAUMES, de F. Claude.
En 1858, les PSAUMES, traduction d'Ambroise Rendu.
En 1858, les ÉVANGILES de l'abbé Dassance, illustrés.
En 1859, le livre de JOB, traduit de l'hébreu, par Ernest Renan. Renan publia le CANTIQUE DES CANTIQUES en 1860 et l'ECCLÉSIASTE en 1882 (*).
(*) Ces traductions de Renan ne devraient pas, en réalité, figurer dans une énumération de « Versions catholiques », non plus que les Évangiles, annotés par Proudhon, la Genèse, par Lenormand, le Cantique des Cantiques, par Aicard, la Bible de Ledrain, les traductions de la parabole de l'Enfant prodigue en patois français. Voir plus bas. Nous les y laissons cependant, vu leur petit nombre, pour simplifier la classification. On peut entendre l'expression de versions catholiques dans le sens de versions non protestantes.
En 1859, ISAIE, traduction en vers, par A. Savary.
En 1859, JOB, RUTH, TOBIE, JUDITH, ESTHER, par l'abbé Giguet.
En 1860, VISIONS D'ISAIE, en vers, par l'abbé Chabert.
En 1861, le NOUVEAU TESTAMENT de l'abbé Glaire. Ce Nouveau Testament reçut l'autorisation du pape et fut connu sous le nom de « Nouveau Testament du pape ». Réédité en 1865. En 1877 parut l'ANCIEN TESTAMENT de l'abbé Glaire, et de 1889 à 1893 la BIBLE de Glaire et Vigouroux, 4 volumes in-8. « La traduction de Glaire, dit M. Douen, dépourvue d'élégance, tombe souvent dans l'obscurité pour avoir voulu être trop textuelle ».
En 1862, ÉVANGILES en vers, par A. Brun.
En 1862, LES ÉVANGÉLISTES, par Ruben.
En 1863, le NOUVEAU TESTAMENT de l'abbé Gaume, chanoine de Paris. Traduction peu littéraire (*1). La préface et les notes (très abondantes) sont agrémentées d'une polémique anti-protestante dont la fougue et la violence sont difficiles à concevoir. On dirait des charges de cavalerie (*2).
(*1) La femme, ce fut séduite qu'elle tomba en prévarication (1 Tim. 2, 14).
(*2) Qu'on en juge. Dans la préface, après avoir exprimé cette pensée que le catholique a dans l'église tout ce qu'il lui faut, qu'il n'a qu'à accepter, qu'à se soumettre, l'abbé Gaume continue :
« Lorsque le protestant se présente armé d'un texte de la Bible, on peut le traiter comme on traite le voleur, qui, s'étant emparé d'un titre de propriété prétend s'en prévaloir pour justifier ses déprédations. Le catholique peut se contenter de lui dire avec Tertullien : Qui êtes-vous ? Depuis quand et d'où êtes-vous venu ? Que faites-vous chez moi, n'étant pas de la famille ? De quel droit coupez-vous ma forêt ? Qui vous a permis de détourner mes canaux ? Qui vous autorise à ébranler mes bornes ? Comment osez-vous semer et vivre ici à discrétion ? C'est mon bien. Je possède, et ma possession est authentique, mes origines incontestables. Le titre que vous présentez, vous l'avez volé, il appartient à ma mère. Qui vous a chargé de l'expliquer, et surtout de l'expliquer contre elle ? Vous êtes protestants : votre nom donne le frisson. Satan a été le premier protestant : il a protesté dans le ciel, et des anges ses complices il a fait d'affreux démons ; il a protesté sur la terre avec Ève, et il a perdu le genre humain. Vous faites le métier de votre père. Arrière, arrière ! Assez de crimes et de ruines avec toutes ces Protestations ! »
Voici la note sur Matthieu 8, 14. « Quand il fut appelé à l'apostolat, Pierre quitta sa femme et sa fille, lesquelles imitèrent si bien sa foi qu'elles sont honorées comme saintes, l'une martyre, et l'autre vierge ». Et sur 1 Tim. 3, 2: « Ce n'est pas qu'il dût être marié. On aurait préféré qu'il en fût autrement. Les nouveaux convertis propres au sacerdoce étant mariés, il eût été difficile de choisir ailleurs ; mais après leur ordination (ici nous traduisons quelques mots en latin) : ab usu muliebri temperabant, et ne pouvaient former d'autres liens ».
En 1865, le NOUVEAU TESTAMENT de Mgr Ch. Fr. Baillargeon, évêque de Tloa (publié à Québec).
En 1865, la SAINTE BIBLE selon la Vulgate, traduction nouvelle par les chanoines Bourassé et Janvier, avec les dessins de Gustave Doré. 2 volumes in-folio. Le Nouveau Testament a été publié à part en 1875. « Cette traduction, dit M. Douen, se distingue par la clarté, la limpidité du style ».
En 1865, les PSAUMES, par Arnaud de Saint-Maur.
En 1865, ÉVANGILES, de Deschamps.
En 1866, LES ÉVANGILES annotés par Proudhon.
En 1866, JOB, drame en cinq actes, traduit par J. Leroux.
En 1868, PSAUMES de Mabire.
En 1868, ÉVANGILES de Fouquet.
En 1868, ÉVANGILES en vers, par la baronne de Montaran.
En 1872, la SAINTE BIBLE avec commentaires de l'abbé Drioux, 8 volumes in-8, rééditée en 1884.
En 1872, BIBLE de l'abbé Giguet, d'après les Septante.
En 1879, CHAINE D'OR DES PSAUMES, par l'abbé Péronne.
En 1881 et années suivantes, la SAINTE BIBLE, avec introductions générales et particulières, commentaires théologiques, moraux, philosophiques, historiques, etc., par MM. les abbés Trochon, Bayle, Clair, Lesêtre, Fillion, etc., 28 volumes in-8.
En 1881, la SAINTE BIBLE, traduction française avec commentaires, par A. Arnaud.
En 1881, PSAUMES de Vacquerte.
En 1882, ÉVANGILES de l'abbé de La Perche.
En 1883, GENÈSE, par Lenormand.
En 1884. le NOUVEAU TESTAMENT traduit sur la Vulgate par l'abbé Crampon. Les ÉVANGILES, l'APOCALYPSE, les PSAUMES, traduits par le même, ont paru à part.
En 1885, le CANTIQUE DES CANTIQUES en vers, de Jean Aicard.
En 1887, les SAINTS ÉVANGILES de Lasserre, publiés avec l'autorisation du Saint-Siège à 100.000 exemplaires (vendus en un an), puis mis à l'index la même année. L'auteur s'est proposé de présenter les Évangiles à ses compatriotes dans un style et sous un aspect vraiment modernes. Il s'est inspiré de la méthode préconisée par Jérôme dans l'éloge que fait ce père des traductions bibliques du confesseur Hilaire : « Il s'est emparé du sens en vainqueur, et l'a transporté dans sa langue » (*). Une édition de luxe in-4, illustrée, préparée la même année, porte le millésime de 1888.
(*) Lasserre consacra quinze ans à cette traduction et en corrigea les épreuves pendant douze ans, payant à l'imprimeur le loyer des caractères. Il donne ce renseignement dans sa préface.
Voici un extrait de cette remarquable préface, qui compte trente-sept pages :
« Considérant le Livre sacré comme inutile et dangereux, on croit faire oeuvre pie de le reléguer, loin des profanes, dans les savantes arcanes du sanctuaire. N'était-ce point oublier que les discours de Jésus, au lieu de se renfermer, pour quelques initiés, dans une enceinte soigneusement close, ont au contraire retenti en plein air sur les places publiques, sur la pente des monts, sur la rive des lacs, au sein des foules populaires pressées autour de lui ; parmi les ignorants comme parmi les doctes ; parmi les bons et les méchants, les grands et les petits, les justes et les pécheurs ; parmi les juifs, les païens, les vieillards, les femmes, les enfants ? N'était-ce point oublier qu'il a été prescrit aux apôtres et à leurs successeurs d'annoncer partout ce même Évangile, à travers les siècles, et de le faire entendre ici-bas à tout être créé : Euntes in mundum universum, praedicate Evangelium omni creaturae ; Kèruxaté, dit le grec, « soyez-en comme les crieurs publics ». N'était-ce point oublier que cet ordre était tellement absolu que, quand il arrivait à Notre Seigneur de prendre à part ses disciples et de s'entretenir avec eux en dehors des multitudes, il ne manquait pas de leur bien spécifier que ces paroles mêmes, qu'il leur adressait alors en particulier, devaient, après lui, être répétées et répandues comme tous ses autres enseignements : « Ce que je vous expose présentement dans l'ombre, vous avez à le proclamer dans le plein jour ; et ce que vous entendez à l'oreille, vous avez à le prêcher sur les toits ».
Dans cette préface, d'ailleurs, Lasserre se montre fils soumis de l'Église, et se sépare du protestantisme, qui « repoussant tout jugement supérieur, afficha la prétention de livrer d'une façon absolue l'interprétation souveraine de la Parole de Dieu à l'arbitraire individuel et à la fantaisie de chaque lecteur ».
Cette traduction est remarquable comme effort pour transposer le texte en français d'allure moderne. Mais l'auteur a étrangement et inutilement forcé la note dans des expressions comme celles-ci : mon joug est suave (Mat. 11, 30) et : les larmes coulaient sur la face de Jésus (Jean 11, 35).
En 1887, la SAINTE BIBLE avec commentaires, édition de Dom Calmet, rajeunie par l'abbé Petit, dix-sept volumes in-4.
En 1888, BIBLE de l'abbé Fillion, dix volumes. Nouveau Testament réédité en 1896.
En 1888, PSAUTIER de Baïf.
En 1891, les QUATRE ÉVANGILES ET LES ACTES, traduction nouvelle, avec notes, illustrée, édition approuvée par l'évêque de Nîmes.
En 1891, les QUATRE ÉVANGILES en un seul et les ACTES DES APOTRES, par le chanoine Weber. Les récits de la tradition sont ajoutés entre crochets au texte sacré. En 1900 cet ouvrage avait atteint sa cinquantième édition.
De 1894 à 1904, la SAINTE BIBLE, traduite en français sur les textes originaux, avec introductions et notes et la Vulgate latine en regard, par Aug. Crampon, chanoine d'Amiens, 7 volumes grand in-8, avec l'imprimatur de l'évêque de Tournai. Cette traduction est la première traduction française de la Bible qui ait été faite dans l'Église romaine sur les textes originaux. En 1904, nouvelle édition sous ce titre : la SAINTE BIBLE, traduction d'après les textes originaux, par l'abbé Crampon, revisée par des pères de la Compagnie de Jésus, avec la collaboration de professeurs de Saint-Sulpice, portant l'imprimatur de l'évêque de Tournai, petit in-8. Sur la couverture sont imprimés, en latin, ces mots : Je suis le chemin, la vérité et la vie. Cette Bible reproduit le texte français de la grande édition de 1894 à 1904 pour l'Ancien Testament, mais la traduction du Nouveau Testament a été révisée. Le Nouveau Testament a paru à part dans une traduction révisée pour la seconde fois. En 1906, les Évangiles et les Actes ont été publiés à part, en cinq petits volumes. à 20.000 exemplaires chacun, épuisés la même année, et réédités l'année suivante. En 1909, la Bible petit in-8° a été réimprimée, et purgée des innombrables fautes d'impression qui la déparaient.
Cette version a, comme toutes les autres, ses inégalités et ses faiblesses. D'autre part, elle a largement mis à profit (pour l'Ancien Testament) les traductions de Segond, de la Bible annotée et de Renan. Ce serait déjà rendre un grand service au lecteur que de mettre à sa portée ce qu'il y a de mieux dans les meilleures versions, pas toujours accessibles. Mais cette version a sa valeur propre, qui est grande. Notons seulement qu'elle maintient soit les inversions (Le mal, il y a des mains pour le bien faire. Michée 7, 3), soit la répétition voulue du pronom (car moi, Jéhovah, ton Dieu, je te prends par la main droite… c'est moi qui viens à ton aide… c'est moi qui viens à ton secours… Ésaïe 41, 13, 14). ce qui donne une toute autre allure au style et conserve ce qu'il y a de palpitant dans le texte original. Dans le Nouveau Testament, où on ne retrouve pas les mêmes emprunts que dans l'Ancien, la traduction est remarquable de concision et de précision. Cette version est indispensable. comme instrument de travail, là tous ceux qui étudient la Bible (*).
(*) Voir, sur cette version, les chaleureux articles de M. Ch. Pfender dans les deux premiers numéros de janvier 1905 du Témoignage.
On trouvera dans le Bulletin trimestriel de la Société biblique de France (numero de décembre 1906) un article critique de M. le pasteur E. Bertrand, sur la version Crampon. Voir aussi l'article de M. E. Stapfer sur Une nouvelle traduction de la Bible, dans la Revue chrétienne d'avril 1906.
La traduction de l'abbé Crampon est accompagné de nombreuses notes qui sont surtout des notes historiques, exégétiques et d'édification. La doctrine catholique s'y affirme, sans doute, mais ne s’y étale pas, et ces notes sont exemptes de polémique. Nous sommes ici aux antipodes du Nouveau Testament de l'abbé Gaume (*).
(*) Voici ce que M. le pasteur Babut écrivait sur la version Crampon, en mars 1906, dans le Messager des Messagers.
Plus j'étudie cette version, plus je suis frappé de ses mérites. Je n'en relèverai qu'un, celui que j'aurais le moins attendu : la fidélité, l'objectivité, l'absence de préoccupation dogmatique ou ecclésiastique. N'était l'emploi du prénom vous appliqué à Dieu et la présence des livres apocryphes, que je suis fort aise de trouver dans ce beau volume, mais que je regrette de voir tout-à-fait mêlés aux livres canoniques comme s'ils ne formaient pas en tout cas une classe à part, sans ces deux circonstances, dis-je, il semblerait très vraisemblable que cette traduction est d'une plume protestante (Naturellement, dans quelques-unes des notes, l'idée catholique est plus apparente (Mat. 16, 19). Encore s'exprime-t-elle avec une certaine sobriété).
Aussi cet important ouvrage me parait-il propre à dissiper quelques-uns des préjugés gui séparent les deux communions. Il nous prouve, à nous protestants, qu'on peut s’appeler jésuite et interpréter la Sainte Parole avec beaucoup de conscience et d'intelligence. Mais d'autre part, cette identité presque complète, et qui, à coup sûr, n'est pas fortuite, de la Bible catholique et de la Bible protestante, convainc d'erreur ou de mensonge le reproche si souvent jeté à la tête de nos vaillants colporteurs : « Vos Bibles sont falsifiées ». Nous avions déjà, nos frères catholiques et nous, le même Dieu et le même Sauveur ; nous avons désormais, à peu de chose prés, la même Bible. C'est un pas qui compte vers l'accomplissement de cette parole du Maître, que je cite d'après Crampon : « une seule bergerie, un seul pasteur » (Jean 10, 16).
De 1898 à 1908, l'abbé Vigouroux, membre de la commission des études bibliques du Vatican, a fait paraître une BIBLE POLYGLOTTE en quatre langues (hébreu, grec, latin, français), huit volumes.
En 1899, la BIBLE, traduction nouvelle d'après l'hébreu et le grec, par Eugène Ledrain, dix volumes. Cette traduction, faite par un homme étranger à l'Église, est avant tout philologique et littéraire. Elle reproduit souvent l'hébreu dans toute sa crudité.
CINQ-CENT DEUX TRADUCTIONS DE LA PARABOLE DE L'ENFANT PRODIGUE.
En fait de traductions de la Bible, il est intéressant de signaler un livre sur les patois de France, de Coquebert de Montbret, où la parabole de l'enfant prodigue se trouve reproduite en 89 patois français différents, 12 patois suisses, 2 alsaciens, 1 prussien. Cet ouvrage paraît avoir été composé au moyen d'un dossier aussi curieux que peu connu dont il nous reste à parler.
En 1807 et dans les années suivantes, le Ministère de l'intérieur fit procéder à une vaste enquête sur les patois parlés dans la France d'alors. Le ministre demanda à chaque préfet de lui procurer une traduction de la parabole de l'enfant prodigue dans tous les patois du département. Ces pièces furent fournies. Plusieurs semblent avoir été perdues. On les réunit en 1824 (*). On trouve dans cette collection la parabole de l'Enfant prodigue traduite en 494 patois, dont 352 parlés dans cinquante départements faisant partie de la France actuelle, et 142 parlés dans des contrées qui ne font plus partie de la France. Il y a en outre huit traductions en langues étrangères. Total : 502 traductions. On trouve 10 spécimens pour la Charente, 10 pour la Charente-Inférieure, 12 pour la Creuse, 7 pour la Drôme, 13 pour la Gironde, 11 pour l'Hérault, 14 pour le Puy-de-Dôme, 15 pour la Haute-Vienne, etc. Quelques-uns diffèrent peu, d'autres beaucoup.
(*) Ce dossier, malheureusement, a été dispersé. On en trouve une partie à la Bibliothèque nationale (Manuscrits français, 5910-5913), une autre aux Archives (carton F (17), 1209), une autre à la Bibliothèque municipale de Rouen (n° 183, 433, qui sont les n° 1639 et 1641 du Catalogue Osmont).
Une lettre d'un M. Pitois, en tête de la collection, nous apprend que primitivement il avait été question de demander une traduction de la parabole du Semeur et une de l'Enfant prodigue, et « le choix de ces deux paraboles, ajoutait l'écrivain, n'est pas arbitraire… Nous les trouvons dans la plupart des statistiques et des voyages, dans les mémoires de l'ancienne Académie celtique et leur continuation. C'est en un mot une sorte d'étalon convenu qu'on est dans l'usage d'appliquer à tous les idiomes qu'on veut explorer, et cet usage n'est pas seulement adopté en France, il est également suivi en Allemagne, où l'on a publié il y a peu d'années un ouvrage tout semblable à celui dont je parle ».
Voilà un bel hommage rendu à la Bible. C'est donc dans la Bible, c'est dans les paroles de Christ, qu'on choisit l'étalon pour explorer les idiomes. N'est-ce pas reconnaître que, au point de vue de la forme tout au moins, la Bible est le livre de la vérité, que jamais livre n'a parlé comme ce livre, que jamais homme n'a parlé comme cet homme ?
Re: HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE
18 - Chapitre 15 — La Version de Sacy
18.1 - Historique
Isaac Louis Lemaistre, plus connu sous le non, de de Sacy, naquit à Paris en 1613.
Il était d'origine huguenote. Son père, Isaac Lemaistre, gagné à la religion réformée en 1616, dut subir, comme hérétique, les persécutions acharnées de sa famille. Celle-ci, à grand renfort de calomnies, le fit, en 1619, enfermer à la Bastille, après lui avoir enlevé ses cinq fils, dont l'un était Isaac, le futur traducteur de la Bible (*). Sans cet attentat, le protestantisme aurait sûrement compté une gloire de plus, et aurait peut-être possédé, dans la langue du grand siècle, la traduction originale des Écritures qui lui manque.
(*) France protestante (article : Isaac Lemaître). O. DOUEN, la Révocation à Paris.
La mère d'Isaac de Sacy, Catherine Arnauld, soeur du grand Arnauld, était petite-fille d'Arnauld, seigneur de Corbeville, qui avait embrassé la réforme et épousé une soeur de l'illustre Anne du Bourg. Tout en regrettant que la traduction de de Sacy ne soit pas nôtre, on ne peut que noter avec intérêt cette origine protestante d'une traduction catholique de la Bible.
Dès sa jeunesse, Isaac de Sacy fit preuve d'un grand amour pour l'étude et d'une grande piété. Il se répétait sans cesse ce passage de Job : « J'ai toujours craint Dieu comme des flots suspendus au-dessus de moi, et je n'ai pu en supporter le poids » (Job 31, 23, Vulgate). Il choisit l'état ecclésiastique, mais sa profonde humilité lui fit retarder son entrée dans les ordres jusqu'à l'âge de trente-cinq ans. Aussitôt consacré, il fut appelé à la direction des religieuses et des solitaires de Port-Royal.
Très versé dans l'Écriture, sans cesse en prières, plein d'onction et d'autorité, « il fut, dit M. Matilvaut, le type du prêtre réalisant au plus haut point l'idéal des vertus sacerdotales » (*). Il renvoyait toujours les âmes à la lecture et à la méditation des Écritures. « Sur ce point, dit Sainte-Beuve, il était aussi absolu que ceux qui croient à la Bible seule, sans autre tradition nécessaire ». « Avec une Bible, disait-il, j'irais jusqu'au bout du monde ».
(*) Encyclopédie des sciences religieuses, article : Lemaistre (Louis Isaac).
Isaac Lemaistre était donc bien préparé pour travailler à la traduction de la Bible. S'il attacha son nom à cette traduction, il n'en fut pourtant ni le seul initiateur, ni le seul artisan. Cette oeuvre fut en réalité l'oeuvre de Port-Royal.
« Il faut bien se représenter, dit Sainte-Beuve, quelle était la situation générale des esprits catholiques en France, par rapport à la Sainte Écriture, quand Port-Royal, par M. de Sacy principalement, entreprit de la traduire et de la divulguer. Les traductions faites par les protestants ne comptaient pas pour les catholiques, et demeuraient suspectes d'interprétation non orthodoxe. Les traductions surannées et gauloises étaient imparfaites, difficiles d'ailleurs et de peu d'usage, à cause du grand changement survenu dans la langue, et de cette nouveauté d'élégance à laquelle l'époque de Louis XIV s'était aussitôt accoutumée et comme asservie ».
Mais où trouver, comme dit M. Petavel, des joailliers assez habiles et assez audacieux pour polir ce diamant brut, sur lequel la Sorbonne fixait un oeil jaloux, sans permettre à personne d'y toucher ? Le crédit d'un seul n'eût pas suffi à la tâche… Il fallait, pour rendre la lutte moins inégale, que tous les amis de la Parole de Dieu s'entendissent et ne formassent qu'un corps, afin d'opposer si possible, contre les résistances opiniâtres de la Sorbonne, maison à maison, société à société. Dieu, dans ses vues miséricordieuses à l'égard de la France, suscita Port-Royal.
Déjà vers 1640 les solitaires de Port-Royal s'étaient proposé de traduire le Nouveau Testament, mais en 1657 seulement eurent lieu à Vaumurier les conférences qui donnèrent naissance au Nouveau Testament dit de Mons, publié dix ans plus tard. Ces conférences étaient présidées par le grand Arnauld, que la Sorbonne avait exclu de son sein l'année précédente. Pascal y assistait, et son opinion fut prépondérante pour fixer le genre de style qui devait être adopté pour la traduction. La plupart des solitaires de Port-Royal, y compris Pascal, collaborèrent à ce travail. Les principaux traducteurs furent, d'après une note manuscrite de Jean Racine, Isaac Lemaistre, son frère Antoine, Arnauld, Nicole, et le duc de Luynes. La part principale revient aux deux premiers, les deux descendants des huguenots, à Antoine Lemaistre, qui traduisit les quatre Évangiles et l'Apocalypse, point de départ de l'oeuvre de son frère, et surtout à Isaac Lemaistre, dit de Sacy.
Ces cinq savants s'assemblaient pour travailler ensemble. « M. de Sacy, raconte Jean Racine, faisait le canevas, et il ne le remportait presque jamais comme il l'avait fait, mais il avait lui-même la plus grande part aux changements, étant assez fertile en expressions. M. Arnauld était presque toujours celui qui déterminait le sens. M. Nicole avait toujours devant lui saint Chrysostome et de Bèze, ce dernier afin de l'éviter ». Voilà, pour finir, un détail piquant. On reconnaissait sans doute l'exactitude de la version protestante, mais on tenait à en modifier les expressions, pour ménager les oreilles catholiques.
Si ce n'avait été que cela ! Mais malheureusement, par respect pour l'autorité de l'Église, on subissait le joug de la Vulgate. De là quelques altérations de texte sur lesquelles nous reviendrons.
Qui sait si ce ne fut point parce que le nom de Lemaistre, trop huguenot, risquait d'impressionner désagréablement les catholiques, qu'Isaac Lemaistre adopta celui de Sacy ? Sacy n'est que le nom d'Isaac retourné, avec transposition du c et de l's pour faciliter la prononciation.
Les religieuses de Port-Royal prirent un intérêt extraordinaire à cette traduction des Saintes Écritures. Elles y collaborèrent même, et cela d'une manière probablement unique dans l'histoire des traductions de la Bible, en l'arrosant de leurs prières. Elles prièrent, et même « prièrent sans cesse » pour les traducteurs. Elles s'organisèrent en groupes, et comme des sentinelles qui se relèvent, les groupes se relayaient pour prier. Quand un groupe avait fini, un autre venait immédiatement le remplacer. À genoux, elles offraient ainsi à Dieu des prières ferventes et continuelles, le suppliant de faire descendre sur les traducteurs de sa Parole l'esprit de sagesse, de lumière et d'intelligence, afin qu'il ne pût sortir de leurs plumes qu'une sainte et pure traduction du volume inspiré, image fidèle du texte original.
La persécution contre Port-Royal recommença en 1660, et les traducteurs furent obligés de se disperser. Le travail ne put être repris qu'en 1666, et il le fut, dit un auteur, « à la sollicitation de diverses personnes d'un fort grand mérite, dans l'Église et dans l'État ». Il fallut prendre des précautions et travailler en cachette. On revit d'abord les quatre Évangiles chez un ami, puis la duchesse de Longueville donna, dans son hôtel, asile aux traducteurs. La révision s'acheva chez elle. On avait fixé le 13 mai 1666 pour revoir, en dernier lieu, la préface préparée par de Sacy. Ce jour-là, de grand matin, de Sacy, acompagné de son disciple Fontaine, prit le chemin de l'hôtel de Longueville. Il avait dans la poche le manuscrit de sa préface. Avec quelle joie il voyait luire le jour où on allait achever la laborieuse entreprise ! La Bastille était sur leur chemin. Devant la forteresse, le maître et le disciple s'apitoyèrent sur le sort du pauvre Levreux, libraire de Port-Royal, qu'on y avait enfermé. Tout à coup, ils entendirent une voix qui criait derrrière eux : « C'est assez, messieurs, c'est assez ! » et au même moment ils se virent arrêter par le personnage qui avait prononcé ces mots, un commissaire civil, instrument des jésuites, qui avaient obtenu contre eux un décret d'emprisonnement.
Un instant après, de Sacy, dépouillé de son manuscrit, était enfermé à la Bastille, ainsi que Fontaine. Devinerait-on quel fut à ce moment le plus grand chagrin de de Sacy ? Ce fut de n'avoir pas emporté ce jour là son Saint-Paul. Depuis deux ans qu'il s'attendait toujours à être saisi, les épîtres de Paul ne le quittaient pas. Il les avait fait relier tout exprès. « Qu'on fasse de moi ce qu'on voudra, disait-il ; quelque part qu'on me mette, pourvu que j'aie avec moi mon Saint-Paul, je ne crains rien ». Et justement, ce jour-là, il ne l'avait pas ! Il se consola toutefois au moyen d'une Bible latine qui lui fut accordée (*).
(*) Tout ceci d'après Sainte-Beuve, dans Port-Royal.
L'idée lui vint alors de mettre ses loisirs forcés à profit pour traduire l'Ancien Testament. La Bastille devint la Wartbourg de de Sacy, avec cette différence qu'à la Wartbourg Luther traduisit le Nouveau Testament, tandis qu'à la Bastille de Sacy traduisit l'Ancien. Autre différence : Luther traduisait sur le grec, de Sacy traduisait sur le latin de la Vulgate. Cette traduction l'occupa pendant toute sa captivité. Il l'acheva la veille même de son élargissement, le 1er novembre 1668.
« Que je suis heureux d'être ici, disait-il dans sa captivité. Dieu me montre qu'il désire que j'y sois. Les barrières qu'on a posées aux avenues de ma chambre sont pour empêcher de venir à moi le monde qui me dissiperait, plutôt que pour m'empêcher de le voir, moi qui ne le cherche point ». Il se regardait dans cette forteresse comme dans une haute tour de Sion, pour y être l'humble interprète des choses de Sion. « Toute sa vie est dans la prière et dans la lecture », écrivait son ami Fontaine, qui avait obtenu la faveur de partager sa chambre. Chose remarquable, Isaac de Sacy fit cette traduction de la Bible dans le donjon même où son père, martyr huguenot, avait lu la Bible tant de fois.
Pendant que de Sacy était à la Bastille, les Jansénistes firent imprimer leur Nouveau Testament à Amsterdam, car on leur en refusait l'autorisation en France. Il portait le nom d'un libraire de Mons, Migeot, et était revêtu des approbations de l'archevêque de Cambrai, de l'évêque de Namur, d'un privilège de Charles II, roi d'Espagne, et d'une approbation de l'Université de Louvain, propre à désarmer la Sorbonne, à cause de la considération où celle-ci tenait cette Université. Néanmoins la Sorbonne fit campagne contre la nouvelle traduction, mais Arnauld défendit triomphalement, dans ses Réponses magistrales, l'oeuvre de Port-Royal. Bossuet consentit même à prendre part à une révision de l'oeuvre, et il eut à cet effet des conférences à l'hôtel Longueville avec MM. de Port-Royal, qui acceptaient ses avis. Mais cette révision ne fut pas achevée.
Ce Nouveau Testament fut favorablement accueilli par tous. « Ce fut, dit Sainte-Beuve, non seulement chez les personnes de piété, mais dans le monde et auprès des dames un prodigieux succès ». Dès 1667, il s'en débita cinq mille exemplaires dans l'espace de quelques mois. Il y en eut cinq éditions cette même année, et quatre l'année suivante. En 1683, il s'en était vendu 40.000 exemplaires. Louis XIV, nous l'avons vu, en fit imprimer à lui seul 20.000 exemplaires.
Cette traduction a été imprimée en toutes manières, dit le Dr Mallet, éditeur des oeuvres d'Arnauld, en bons caractères pour les riches, en caractères très communs pour les pauvres ; avec des notes pour les savants, sans notes pour le simple peuple ; en petit papier pour être portée plus facilement, en plus grand pour être gardée dans les bibliothèques ; en français seulement pour ceux qui n'entendent que cette langue, et avec le grec et le latin, pour ceux qui sont capables de confronter les textes. Enfin je ne sais s'il y a aucune province du royaume où elle n'ait été imprimée pour être ainsi répandue partout.
Il y eut mieux encore. Dès que la traduction fut prête, les jansénistes, vraie Société biblique avant la lettre, envoyèrent de Paris un grand nombre de colporteurs chargés de la vendre au prix de revient, et même, dans certaines circonstances, à des prix réduits, et ils couvrirent la dépense par des dons volontaires.
Quant à l'Ancien Testament de de Sacy, les ennemis de la Parole de Dieu, effrayés du succès du Nouveau, firent ce qu'ils purent pour en empêcher la publication. De Sacy, selon la vieille tradition romaine, se vit imposer comme condition, pour publier soit Ancien Testament, d'y ajouter des explications. Ce fut un retard de plus de vingt années. Commencée en 1672, l'impression de la Bible annotée de de Sacy ne fut terminée qu'en 1696, c'est-à-dire douze ans après sa mort, survenue en 1684. De Sacy put cependant achever les explications de l'Ancien Testament. Cette obligation d'expliquer le texte, tout en retardant la publication de l'oeuvre, eut ce bon résultat d'obliger de Sacy à réviser minutieusement sa traduction, et ainsi, en définitive, l'ennemi servit la cause de la Parole de Dieu au lieu de lui nuire (*).
(*) L'édition de 1699 compte 32 volumes, de 8 à 90 pages chacun, dont le commentaire remplit les trois quarts.
L'édition de 1701 est revêtue des approbations de l'abbé Courtier, théologal de Paris, de quatre docteurs en théologie de la Faculté de Paris, et du Cardinal de Noailles, archevêque de Paris.
Après tout ce qui précède, on voit que M. Petavel n'a rien exagéré en disant que « la version de de Sacy fut pour la France un instrument d'évangélisation dont on calculerait difficilement la salutaire influence ». « Combien la refonte opérée par Port-Royal, dit le même auteur, a élargi le cercle des lecteurs du saint Livre en France ! Ce fut après s'être nourri de la traduction de de Sacy que Racine composa les deux chefs-d'oeuvres de notre langue, Esther, en 1689, et Athalie, en 1691».
Sainte-Beuve a fait remarquer « l'admirable convenance de toute cette vie de M. de Sacy avec sa mission singulière d'interprète des Écritures. Il était constamment occupé dans sa pensée à se rendre digne de cet emploi, à se purifier les mains et à se châtier le coeur, le plus chaste des coeurs. Toutefois, il continua jusqu'à la fin à s'en croire indigne ».
En racontant précédemment la vie d'autres traducteurs de l'Écriture, Olivétan, Martin, Ostervald, nous avons été frappés de l'humilité qui les caractérisait. Et maintenant voici que de Sacy, à son tour, nous frappe par son humilité. Ne serait-ce pas que Dieu n'élève que ceux qui s'abaissent, et ne confie les grandes tâches qu'aux humbles ? Ne serait-ce pas aussi que, plus que toute autre chose, le contact intime et prolongé avec la Parole de Dieu met l'homme dans le vrai, lui fait sentir la grandeur de Dieu et son propre néant ?
18.2 - Caractéristique
La valeur littéraire de cette version est très grande (*). Elle est bien plus française que nos anciennes versions protestantes. Nous ne citerons qu'un exemple : Ésaïe viii, 22, 23.
(*) M. Eugène LEDRAIN, dans la Préface de la Bible, traduction nouvelle, caractérise ainsi le style de de Sacy : Quelle bonne et ferme langue française ! Celle que l'on savait parler à Port-Royal et qui indique la bonne santé de l'esprit.
Martin qui publia sa version en 1707, et Ostervald, qui publia la sienne en 1744, ne paraissent avoir beaucoup profité de celle de de Sacy, parue, pour le Nouveau Testament, en 1667, et pour la Bible entière en 1696!
De Sacy se demandait si sa traduction n'était pas trop littéraire. L'année de sa mort, il eut, avec son ami Fontaine, une conversation où il fit preuve de scrupules qu'on peut trouver excessifs, mais qui l'honorent singulièrement, et dont il y a à apprendre.
Que sais-je, lui dit-il, si je n'ai rien fait contre les desseins de Dieu ? J'ai tâché d'ôter de l'Écriture Sainte l'obscurité et la rudesse, et Dieu jusqu'ici a voulu que sa Parole fût enveloppée d'obscurités. N'ai-je donc pas sujet de craindre que ce ne soit résister aux desseins du Saint-Esprit que de donner, comme j'ai tâché de le faire, une version claire et peut-être assez exacte par rapport à la pureté du langage ? Je sais bien que je n'ai affecté ni les agréments ni les curiosités qu'on aime dans le monde, et qu'on pourrait rechercher dans l'Académie française. Dieu m'est témoin combien ces ajustements m'ont toujours été en horreur ; mais je ne puis me dissimuler à moi-même que j'ai tâché de rendre le langage de l'Écriture clair, pur et conforme aux règles de la grammaire, et qui peut m'assurer que ce ne soit pas là une méthode différente de celle qu'il a plu au Saint-Esprit de choisir ? Je vois dans l'Écriture que le feu qui ne venait pas du sanctuaire était profane et étranger, quoiqu'il pût être plus clair et plus beau que celui du sanctuaire. Il ne faut pas se tromper dans cette belle pensée d'édifier les âmes. Il y a grande différence entre contenter et édifier. Il est certain que l'on contente les hommes en leur parlant avec quelque élégance, mais on ne les édifie pas toujours en cette manière.
Il est vraiment remarquable de voir Bossuet, le grand maitre de la parole, faire à propos du Nouveau Testament de Mons des réflexions semblables. Il n'y trouvait qu'un défaut essentiel, un « tour trop recherché, trop d'industrie de paroles, une affectation de politesse et d'agrément que le Saint-Esprit a dédaignée dans l'original ».
Les auteurs sacrés ne se préoccupent que de la vérité, jamais de l'effet. Ils n'ont voulu que « le royaume de Dieu », et la beauté littéraire leur a été donnée « par-dessus ». Traducteurs, écrivains, prédicateurs, témoins de la vérité sous une forme quelconque, nous ferons bien de les imiter, de rechercher la démonstration de l'Esprit plus que la sagesse du langage.
Malheureusement cette version a été faite sur la Vulgate, et elle en reproduit certaines erreurs. De Sacy suivit la Vulgate parce qu'elle était, dit-il, « plus en usage dans l'Église », sans doute aussi parce que c'était la version ecclésiastique, et qu'il croyait à l'autorité de l'Église. Il ne faudrait pourtant pas, comme on l'a fait, parler de servilité vis-à-vis de la Vulgate. De Sacy et ses collaborateurs savaient fort bien que la décision du concile de Trente ne proscrivait pas le recours aux textes originaux (*), et ils ne se firent pas faute d'y recourir, au moins pour le Nouveau Testament. Tout ce qui est dans la Vulgate et non dans le grec, est mis entre crochets, avec un V (Vulgate). Tout ce qui est dans le grec et non dans la Vulgate est ajouté dans le texte entre crochets avec un G (grec). Là où la traduction de la Vulgate diffère du grec, la traduction du grec est généralement mise en marge, quelquefois dans le texte. Dans ces derniers cas le texte de la Vulgate est mis en marge. Le titre des premières éditions porte : Traduit en français selon l'édition Vulgate avec les différences du grec. Cette indépendance est remarquable. Néanmoins quelques erreurs de la Vulgate ont été conservées dans la traduction. Voici toutes celles qu'on a relevées, à tort ou à raison (nous les discuterons plus tard), soit dans l'Ancien, soit dans le Nouveau Testament.
(*) Voir, dans le fragment l'Église romaine et la Bible, le paragraphe IV : La Vulgate intangible ?
1. Genèse 3, 15. Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre sa race et la tienne. Elle te brisera la tête.
Elle, c'est la femme, tandis que le pronom, dans l'hébreu, se rapporte à la semence. Dans la femme, on peut voir la Vierge Marie.
2. Genèse 42, 6, etc. Ses frères l'ayant donc adoré.
3. Exode 20, 5. Vous ne leur rendrez point le souverain culte. Souverain est une addition qui semble légitimer la distinction entre le culte d'adoration (latrie) dû à Dieu, et le culte de respect (dulie ou hyperdulie) qu'on peut rendre à certaines créatures.
4. Psaume 98, 5. Adorez l'escabeau de ses pieds.
5. Job 5, 1. Adressez-vous à quelqu'un des saints.
6. Daniel 4, 27. Rachetez vos péchés par des aumônes, et vos iniquités par des oeuvres de miséricorde envers les pauvres.
7. Matthieu 1, 25. Et il ne l'avait point connue quand elle enfanta son fils premier-né.
Au lieu de : Il ne la connut point jusqu'à ce qu'elle enfantât.
8. Matthieu 3, 2; 4, 17, etc. Faites pénitence.
9. Luc 1, 28. Je vous salue, ô pleine de grâce.
10. Actes 11, 30; 15, 4; Timothée 4, 14, etc., prêtre, au lieu de ancien.
11. 1 Corinthiens 7, 37. Celui qui… juge… qu'il doit conserver sa fille vierge, fait une bonne oeuvre.
12. Éphésiens 5, 32 (À propos du mariage) Ce sacrement.
13. 2 Corinthiens 11, 10. Ce que vous accordez par indulgence.
14. Colossiens 2, 18. Culte superstitieux des anges.
Donc un culte non superstitieux des anges pourrait être permis.
15. 1 Timothée 3, 2. Il faut que l'évêque n'ait épousé qu'une seule femme. De même Tite 1, 6 : Choisissant celui qui n'aura épousé qu'une femme.
16. Philémon, 22. Par le mérite de vos prières.
17. Hébreux 11, 21. Il s'inclina profondément devant le bâton de commandement que portait son fils.
18. 1 Pierre 1, 9. Le salut de vos âmes, la fin et le prix de votre foi.
Prix introduit l'idée de mérite.
19. 1 Pierre 3, 19. Aux esprits qui étaient retenus en prison. Retenus favorise la doctrine du purgatoire.
20. Jude 3. La foi qui a été une fois laissée par tradition aux saints. Inutile d'ajouter que la version de de Sacy contient les Apocryphes (*).
(*) Disons un mot du commentaire (édition de 1699).
Il y a dans ce commentaire des choses excellentes. Ainsi, à propos d' « oeil pour oeil, dent pour dent », de Sacy, citant saint Augustin, fait remarquer que cette disposition était destinée non à allumer la colère de l'homme, mais à l'éteindre, car l'homme à qui son adversaire crève un oeil se vengera, si on le laisse faire, en lui ôtant la vie (Combien, encore aujourd'hui, surtout aujourd'hui, qui veulent voir dans cette disposition juridique destinée à contenir la vengeance, une excitation à la vengeance !)
Ailleurs, par contre, l'interprétation de de Sacy (ou de ses continuateurs) est déconcertante. À propos de Genèse 12, 11-13, il rappelle que plusieurs ont blâmé Abraham d'avoir voulu sauver sa vie par un mensonge en faisant passer Sara pour sa soeur. Voici comment il justifie le patriarche.
« Ce saint docteur (saint Augustin), répond très solidement qu'on ne doit pas accuser un si grand homme d'avoir blessé la vérité en cette occasion, où il a parlé au contraire très sincèrement. Car il n'a pas nié que Sara fût sa femme à ceux qui lui auraient demandé si elle ne l'était pas, ce qui aurait été un mensonge. Mais des personnes qui ne connaissaient ni lui ni Sara lui demandant qui elle était, il leur répond qu'elle était sa sœur, ce qui était très vrai, comme Abraham le soutient dans la suite. Et ainsi, ajoute ce père, il n'a rien dit de faux, quoi qu'il n'ait pas dit une chose qui était vraie ».
Plus loin : « L'homme ne doit jamais tenter Dieu, et s'il se trouve en même temps exposé à deux périls dont il puisse éviter l'un par un moyen humain et dont l'autre lui soit entièrement inévitable, il doit se délivrer lui-même du premier, et remettre à Dieu le soin de le tirer du second. C'est ce qui est arrivé à Abraham en cette rencontre. Il devait craindre en même temps la perte et de sa vie et de l'honneur de sa femme. Il sauva sa vie, en disant ce qui était vrai, que Sara était sa soeur, c'est-à-dire sa nièce, selon l'expression ordinaire de la langue hébraïque, et il remet à Dieu le soin de tirer du péril l’honneur de sa femme.
Voici un passage curieux sur Genèse 2, 18
Il est donc certain que la femme est proprement aide à l'égard de l'homme afin qu'il devienne père et qu'il en puisse naître des enfants. C'est pourquoi comme cette raison qui a eu encore lieu dans la loi ancienne, où Dieu voulait multiplier la race d'un peuple qu'il avait choisi, et d'où le Messie devait naître, n'a plus aucun lieu en la loi nouvelle, il est bon au contraire selon saint Paul que l'homme soit seul et qu'il fuie la société des femmes, comme les femmes celle des hommes, afin que les uns et les autres embrassent une vie toute pure qui apprend aux hommes, selon l'Évangile, à imiter dans un corps mortel l'état de ces esprits si sublimes qui n'ont point de corps, et qui est comme une anticipation de la vie du ciel.
Il semble qu'on n'ait pas souvent réédité ce commentaire. Après la lecture de ces notes, on est tenté de dire : Heureusement ! Il faut se rappeler, pour être juste, que de Sacy (si toutefois ces notes sont de lui et non de ses continuateurs) n'a pas été le seul à essayer d'expurger la Bible. Ces tentatives, qu'on retrouve chez Martin, chez Ostervald, et chez d'autres, ont toujours été malheureuses.
Comment concilier ces erreurs avec la piété du traducteur, avec les prières ardentes des religieuses de Port-Royal, qui demandaient à Dieu de faire descendre son Esprit sur les traducteurs, pour les préserver d'erreur ?
Nous pourrions répondre à cette question par une autre question : Comment les anciens traducteurs protestants, dont la sincérité, l'amour ardent et même héroïque pour la vérité, est hors de doute, et qui ont certainement eux aussi, prié pour que leurs traductions fussent fidèles, ont-ils pu traduire inexactement certains passages ? On a signalé vingt-six de ces inexactitudes protestantes (*). Ou bien l'on pourrait demander : Comment Calvin, disciple de la Bible, a-t-il pu faire condamner Servet à mort pour hérésie ? Mais une question n'est pas une réponse. Voici comment nous répondrions.
(*) Voir le fragment : Inexactitudes protestantes dans la traduction du Nouveau Testament.
La marche de la vérité dans l'histoire est lente. Tout homme subit étrangement l'influence de son milieu. Les siècles passés pèsent sur nous lourdement. Et Dieu respecte la liberté de l'homme. Dieu tolère beaucoup d'erreurs, beaucoup d'abus, comme sous l'ancienne alliance, « à cause de la dureté » et aussi à cause de la paresse « des coeurs ». Il laisse l'homme faire des expériences, souvent humiliantes, douloureuses, parce qu'il veut que l'homme conquière la vérité par lui-même, seul moyen d'arriver à la majorité spirituelle. C'est toujours la vieille question : Pourquoi Dieu a-t-il permis le péché ?
Les jansénistes, obsédés par l'idée de l'autorité de l'Église (qui les maltraitait bien, pourtant), ont agi sous l'empire de cette obsession en se soumettant au texte des Livres saints choisi par l'Église. De même les traducteurs protestants, obsédés par l'idée de la prédestination, du salut gratuit, ont parfois fait fléchir ou forcé la traduction dans le sens de leur dogmatique, avec cette circonstance aggravante, dans leur cas, qu'ils traduisaient sur l'original, tandis que de Sacy, qui commettait l'erreur de traduire sur la Vulgate, ne commettait pas celle de faire fléchir le sens du texte qu'il traduisait.
18.3 - Pouvons-nous répandre cette version ?
On a contesté aux chrétiens évangéliques, et même très vivement, le droit de répandre la version de Sacy parmi les catholiques romains. Cette question nous laisse assez calmes, aujourd'hui, mais, dans la génération qui a précédé la nôtre, elle a passionné les esprits. D'ardentes controverses ont eu lieu à ce sujet, soit en France, soit en Angleterre. Répandre cette version, a-t-on dit, c'est répandre une Bible qui enseigne les erreurs romaines, une Bible qui n'est pas la parole de Dieu.
La Société biblique britannique n'a pas été de cet avis. En dépit des reproches amers qu'on lui adresse encore (hors de France), elle répand de Sacy, et nous croyons qu'elle a raison. Voici pourquoi :
1° D'abord, dans certains de ces passages, la traduction de Sacy peut se défendre.
Martin, qui n'était pas catholique, a rachète dans Daniel 4, 27. Segond, qu'on ne peut pas accuser non plus de tendance romaine, traduit ce passage comme de Sacy : Rachète tes péchés par des bienfaits, et tes iniquités par la compassion envers les malheureux. Si on traduit « rachète », il est évident qu'il faut entendre ce passage comme on entend cet autre passage : La justice des hommes droits les délivre (Prov. 11, 6).
Pierre 1, 9, Segond a, lui aussi : Pour prix de votre foi.
Le mot adorer employé Genèse 42, 6, et Psaume 98, 5 n'a ici que le sens de : se prosterner devant. C'est le quatrième sens indiqué pour adorer par Littré, qui cite un exemple de Montesquieu.
2° Plusieurs de ces erreurs n'enseignent pas ouvertement ou même n'enseignent pas du tout la doctrine romaine. Dans Elle te brisera la tête, le sens naturel, c'est que la femme brisera la tête du serpent par sa race. Pour voir là la Vierge, il faut l'y mettre.
Vous ne leur rendrez point le souverain culte. Le lecteur conclura-t-il forcément qu'on puisse leur en rendre un autre, alors qu'il lit dans ce qui précède immédiatement : Vous ne les adorerez point, et, dans le passage parallèle, Deutéronome 5, 9 : Vous ne les adorerez et ne les servirez point ?
Job 5, 1 . Adressez-vous à quelqu'un des saints peut être entendu dans un sens ironique.
Matthieu 1, 25, l'expression premier-né détruit tout l'effet de l'atténuation de la première partie du verset.
Le retenus de Pierre 3, 19, n'enseigne pas la doctrine du purgatoire. Ici aussi, pour voir le purgatoire, il faut l'y mettre.
Matthieu 3, 2, etc. La pénitence, d'après l'enseignement de l'Église romaine (*), c'est tout d'abord « la contrition ou la douleur des péchés qu'on a commis, avec la résolution de s'amender et de satisfaire à la justice divine ». Littré donne comme premier sens du mot : « retour du pécheur à Dieu, avec une ferme résolution de ne plus pécher à l'avenir ». Subsidiairement, la pénitence, selon l'enseignement de l'Église, c'est « l'acte de pénitence, la peine, volontaire ou infligée, pour l'expiation du péché, peine qui fait partie de la pénitence ». C'est le troisième sens qu'indique Littré : « Tout ce que le prêtre impose en expiation des péchés ». On peut regretter cette expression, qui prête à un double sens, mais on ne peut pas dire qu'elle soit une altération du texte et qu'elle restreigne la repentance à l'acte extérieur. Ce n'est pas ainsi que peuvent l'entendre ceux qui connaissent le véritable enseignement de l'Église. Ce qui le prouve, ce sont les lignes suivantes, écrites à propos de Matthieu 3, 2, par le P. Quesnel dans ses admirables Réflexions morales sur le Nouveau Testament (1687)
(*) Nous tenons les renseignements qui suivent d'un prêtre actuellement en exercice dans l'Église romaine. Ils nous ont été confirmés par un autre frère, naguère laïque pieux dans la même Église.
La pénitence est la vraie préparation au règne de Dieu. La pénitence doit commencer par ôter les empêchements du salut pour aller droit à Dieu. La pénitence n'est pas l'affaire d'un moment, puisque c'est une préparation pour être réconcilié avec Dieu ; ni cette pénitence n'est pas simplement des pensées ou des paroles, puisque c'est dans la volonté qu'est la voie de Dieu ; ni cette voie facile à préparer, puisqu'elle consiste à faire passer le coeur des ténèbres à la lumière… ; ni tout cela l'ouvrage de l'homme, puisque c'est au Seigneur de préparer la volonté.
Le terme bonne oeuvre, dans 1 Corinthiens 7, 37, n'implique pas l'idée d'œuvre méritoire.
Le terme culte superstitieux des anges (Colossiens 2, 18) n'implique pas que le culte non superstitieux soit permis.
À propos de la tradition par laquelle la foi a été laissée aux saints (Jude, 3), on peut se demander comment elle aurait pu leur être laissée autrement. Cette tradition est évidemment la tradition apostolique.
Il s'inclina devant le bâton de commandement (Hébreux 11, 21, traduction absurde, mais conforme au texte tel que l'ont lu les Septante) s'entend évidemment comme un hommage à l'autorité de Joseph, et non comme une légitimation du culte des images, très éloignée assurément de la pensée des Septante.
Restent, sur vingt soi-disant altérations relevées, six expressions (Pleine de grâce, Luc 1, 28. — Prêtre, Actes 11, 30, etc. — Sacrement, Éphésiens 5, 32. — Indulgence, 2 Corinthiens 2, 10. — Ait épousé, 1 Timothée 3, 2. — Mérite, Philémon, 22) sur lesquelles peut réellement s'appuyer la doctrine romaine. (D'autres, évidemment, comme pénitence, bonne oeuvre, ont une saveur romaine. Mais ce n'est pas la même chose). Les fortes convictions des controversistes protestants nous paraissent les avoir rendus injustes pour de Sacy.
3° La Bible n'est pas un code, où la portée de chaque article est indépendante du reste. La Bible est une histoire plusieurs fois séculaire, un organisme imposant, et ce ne sont pas six altérations qui peuvent la falsifier et étouffer son témoignage. On aura beau traduire faites pénitence, et prendre cette expression dans le sens de « tout ce que le prêtre impose », toute la Bible avec ses enseignements, les appels des prophètes, les confessions du psalmiste, l'histoire de David, la parabole de l'enfant prodigue, les larmes et la réhabilitation de Pierre, etc., etc., montre qu'on ne vient pas à Dieu par la pénitence, entendue comme peine ecclésiastique, mais par la repentance. La Bible corrige elle-même son traducteur.
De même, le rachetez vos péchés par des aumônes, de Daniel 4, 24 (à le supposer mal traduit, malgré de Sacy, Martin et Segond), fait l'effet d'un petit nuage qui disparait dans un rayon lumineux intense, le rayon lumineux de tout l'enseignement biblique sur le salut gratuit, le salut par la foi.
Les autres erreurs ne tiennent pas debout non plus devant l'enseignement biblique constant. C'est le caillou entrainé par le torrent. Une autre comparaison, inspirée par un souvenir personnel, se présente à notre esprit :
Un jour, un peu d'arsenic était tombé dans le puits d'une maison que nous habitions. La famille prit peur. N'allait-on pas être empoisonné par l'eau de ce puits ? On la fit analyser. Le résultat fut nul. Et pourtant l'arsenic était bien dans le puits ! Mais il y était en quantité infinitésimale. La masse d'eau pure neutralisait le poison. Comparaison n'est pas raison, mais, tout de même, c'est un peu cela avec de Sacy. La masse historique et organique de vérité que présente cette version neutralise, en fait, les six inexactitudes de mots qu'elle renferme.
Rome ne s'y trompe pas, et elle n'approuve pas plus la version de Sacy que les versions protestantes.
Combien d'âmes sont arrivées à la connaissance de la vérité et à la possession du salut par la lecture de la Vulgate, ou par celle de de Sacy ! C'est la lecture de la Vulgate, malgré ses quatre mille erreurs, qui a éclairé et affranchi Luther. Ce n'est pas le Maria gratiâ plena qui l'a empêché de trouver et de comprendre le passage
Le juste vivra par la foi. C'est aussi la lecture de de Sacy qui a amené le P. Chiniquy à rompre avec Rome, et cette version a été son principal instrument pour l'aider à affranchir des milliers d'âmes. Combien d'autres parvinrent, par l'usage de cette version même, à la connaissance de la vérité, qui, à vues humaines, n'y seraient pas parvenus autrement !
Dans les Bibles de Sacy que répand la Société biblique britannique et étrangère, non seulement les Apocryphes sont supprimés, mais encore toutes les inexactitudes qui trahissent l'idée romaine sont corrigées par une note marginale où le sens de l'hébreu ou du grec se trouve rétabli.
Dans le temps où on se passionnait pour ou contre la version de Sacy, quelqu'un s'écria, au cours d'une discussion assez vive : « Si seulement nous étions aussi chrétiens que cette traduction !
18.1 - Historique
Isaac Louis Lemaistre, plus connu sous le non, de de Sacy, naquit à Paris en 1613.
Il était d'origine huguenote. Son père, Isaac Lemaistre, gagné à la religion réformée en 1616, dut subir, comme hérétique, les persécutions acharnées de sa famille. Celle-ci, à grand renfort de calomnies, le fit, en 1619, enfermer à la Bastille, après lui avoir enlevé ses cinq fils, dont l'un était Isaac, le futur traducteur de la Bible (*). Sans cet attentat, le protestantisme aurait sûrement compté une gloire de plus, et aurait peut-être possédé, dans la langue du grand siècle, la traduction originale des Écritures qui lui manque.
(*) France protestante (article : Isaac Lemaître). O. DOUEN, la Révocation à Paris.
La mère d'Isaac de Sacy, Catherine Arnauld, soeur du grand Arnauld, était petite-fille d'Arnauld, seigneur de Corbeville, qui avait embrassé la réforme et épousé une soeur de l'illustre Anne du Bourg. Tout en regrettant que la traduction de de Sacy ne soit pas nôtre, on ne peut que noter avec intérêt cette origine protestante d'une traduction catholique de la Bible.
Dès sa jeunesse, Isaac de Sacy fit preuve d'un grand amour pour l'étude et d'une grande piété. Il se répétait sans cesse ce passage de Job : « J'ai toujours craint Dieu comme des flots suspendus au-dessus de moi, et je n'ai pu en supporter le poids » (Job 31, 23, Vulgate). Il choisit l'état ecclésiastique, mais sa profonde humilité lui fit retarder son entrée dans les ordres jusqu'à l'âge de trente-cinq ans. Aussitôt consacré, il fut appelé à la direction des religieuses et des solitaires de Port-Royal.
Très versé dans l'Écriture, sans cesse en prières, plein d'onction et d'autorité, « il fut, dit M. Matilvaut, le type du prêtre réalisant au plus haut point l'idéal des vertus sacerdotales » (*). Il renvoyait toujours les âmes à la lecture et à la méditation des Écritures. « Sur ce point, dit Sainte-Beuve, il était aussi absolu que ceux qui croient à la Bible seule, sans autre tradition nécessaire ». « Avec une Bible, disait-il, j'irais jusqu'au bout du monde ».
(*) Encyclopédie des sciences religieuses, article : Lemaistre (Louis Isaac).
Isaac Lemaistre était donc bien préparé pour travailler à la traduction de la Bible. S'il attacha son nom à cette traduction, il n'en fut pourtant ni le seul initiateur, ni le seul artisan. Cette oeuvre fut en réalité l'oeuvre de Port-Royal.
« Il faut bien se représenter, dit Sainte-Beuve, quelle était la situation générale des esprits catholiques en France, par rapport à la Sainte Écriture, quand Port-Royal, par M. de Sacy principalement, entreprit de la traduire et de la divulguer. Les traductions faites par les protestants ne comptaient pas pour les catholiques, et demeuraient suspectes d'interprétation non orthodoxe. Les traductions surannées et gauloises étaient imparfaites, difficiles d'ailleurs et de peu d'usage, à cause du grand changement survenu dans la langue, et de cette nouveauté d'élégance à laquelle l'époque de Louis XIV s'était aussitôt accoutumée et comme asservie ».
Mais où trouver, comme dit M. Petavel, des joailliers assez habiles et assez audacieux pour polir ce diamant brut, sur lequel la Sorbonne fixait un oeil jaloux, sans permettre à personne d'y toucher ? Le crédit d'un seul n'eût pas suffi à la tâche… Il fallait, pour rendre la lutte moins inégale, que tous les amis de la Parole de Dieu s'entendissent et ne formassent qu'un corps, afin d'opposer si possible, contre les résistances opiniâtres de la Sorbonne, maison à maison, société à société. Dieu, dans ses vues miséricordieuses à l'égard de la France, suscita Port-Royal.
Déjà vers 1640 les solitaires de Port-Royal s'étaient proposé de traduire le Nouveau Testament, mais en 1657 seulement eurent lieu à Vaumurier les conférences qui donnèrent naissance au Nouveau Testament dit de Mons, publié dix ans plus tard. Ces conférences étaient présidées par le grand Arnauld, que la Sorbonne avait exclu de son sein l'année précédente. Pascal y assistait, et son opinion fut prépondérante pour fixer le genre de style qui devait être adopté pour la traduction. La plupart des solitaires de Port-Royal, y compris Pascal, collaborèrent à ce travail. Les principaux traducteurs furent, d'après une note manuscrite de Jean Racine, Isaac Lemaistre, son frère Antoine, Arnauld, Nicole, et le duc de Luynes. La part principale revient aux deux premiers, les deux descendants des huguenots, à Antoine Lemaistre, qui traduisit les quatre Évangiles et l'Apocalypse, point de départ de l'oeuvre de son frère, et surtout à Isaac Lemaistre, dit de Sacy.
Ces cinq savants s'assemblaient pour travailler ensemble. « M. de Sacy, raconte Jean Racine, faisait le canevas, et il ne le remportait presque jamais comme il l'avait fait, mais il avait lui-même la plus grande part aux changements, étant assez fertile en expressions. M. Arnauld était presque toujours celui qui déterminait le sens. M. Nicole avait toujours devant lui saint Chrysostome et de Bèze, ce dernier afin de l'éviter ». Voilà, pour finir, un détail piquant. On reconnaissait sans doute l'exactitude de la version protestante, mais on tenait à en modifier les expressions, pour ménager les oreilles catholiques.
Si ce n'avait été que cela ! Mais malheureusement, par respect pour l'autorité de l'Église, on subissait le joug de la Vulgate. De là quelques altérations de texte sur lesquelles nous reviendrons.
Qui sait si ce ne fut point parce que le nom de Lemaistre, trop huguenot, risquait d'impressionner désagréablement les catholiques, qu'Isaac Lemaistre adopta celui de Sacy ? Sacy n'est que le nom d'Isaac retourné, avec transposition du c et de l's pour faciliter la prononciation.
Les religieuses de Port-Royal prirent un intérêt extraordinaire à cette traduction des Saintes Écritures. Elles y collaborèrent même, et cela d'une manière probablement unique dans l'histoire des traductions de la Bible, en l'arrosant de leurs prières. Elles prièrent, et même « prièrent sans cesse » pour les traducteurs. Elles s'organisèrent en groupes, et comme des sentinelles qui se relèvent, les groupes se relayaient pour prier. Quand un groupe avait fini, un autre venait immédiatement le remplacer. À genoux, elles offraient ainsi à Dieu des prières ferventes et continuelles, le suppliant de faire descendre sur les traducteurs de sa Parole l'esprit de sagesse, de lumière et d'intelligence, afin qu'il ne pût sortir de leurs plumes qu'une sainte et pure traduction du volume inspiré, image fidèle du texte original.
La persécution contre Port-Royal recommença en 1660, et les traducteurs furent obligés de se disperser. Le travail ne put être repris qu'en 1666, et il le fut, dit un auteur, « à la sollicitation de diverses personnes d'un fort grand mérite, dans l'Église et dans l'État ». Il fallut prendre des précautions et travailler en cachette. On revit d'abord les quatre Évangiles chez un ami, puis la duchesse de Longueville donna, dans son hôtel, asile aux traducteurs. La révision s'acheva chez elle. On avait fixé le 13 mai 1666 pour revoir, en dernier lieu, la préface préparée par de Sacy. Ce jour-là, de grand matin, de Sacy, acompagné de son disciple Fontaine, prit le chemin de l'hôtel de Longueville. Il avait dans la poche le manuscrit de sa préface. Avec quelle joie il voyait luire le jour où on allait achever la laborieuse entreprise ! La Bastille était sur leur chemin. Devant la forteresse, le maître et le disciple s'apitoyèrent sur le sort du pauvre Levreux, libraire de Port-Royal, qu'on y avait enfermé. Tout à coup, ils entendirent une voix qui criait derrrière eux : « C'est assez, messieurs, c'est assez ! » et au même moment ils se virent arrêter par le personnage qui avait prononcé ces mots, un commissaire civil, instrument des jésuites, qui avaient obtenu contre eux un décret d'emprisonnement.
Un instant après, de Sacy, dépouillé de son manuscrit, était enfermé à la Bastille, ainsi que Fontaine. Devinerait-on quel fut à ce moment le plus grand chagrin de de Sacy ? Ce fut de n'avoir pas emporté ce jour là son Saint-Paul. Depuis deux ans qu'il s'attendait toujours à être saisi, les épîtres de Paul ne le quittaient pas. Il les avait fait relier tout exprès. « Qu'on fasse de moi ce qu'on voudra, disait-il ; quelque part qu'on me mette, pourvu que j'aie avec moi mon Saint-Paul, je ne crains rien ». Et justement, ce jour-là, il ne l'avait pas ! Il se consola toutefois au moyen d'une Bible latine qui lui fut accordée (*).
(*) Tout ceci d'après Sainte-Beuve, dans Port-Royal.
L'idée lui vint alors de mettre ses loisirs forcés à profit pour traduire l'Ancien Testament. La Bastille devint la Wartbourg de de Sacy, avec cette différence qu'à la Wartbourg Luther traduisit le Nouveau Testament, tandis qu'à la Bastille de Sacy traduisit l'Ancien. Autre différence : Luther traduisait sur le grec, de Sacy traduisait sur le latin de la Vulgate. Cette traduction l'occupa pendant toute sa captivité. Il l'acheva la veille même de son élargissement, le 1er novembre 1668.
« Que je suis heureux d'être ici, disait-il dans sa captivité. Dieu me montre qu'il désire que j'y sois. Les barrières qu'on a posées aux avenues de ma chambre sont pour empêcher de venir à moi le monde qui me dissiperait, plutôt que pour m'empêcher de le voir, moi qui ne le cherche point ». Il se regardait dans cette forteresse comme dans une haute tour de Sion, pour y être l'humble interprète des choses de Sion. « Toute sa vie est dans la prière et dans la lecture », écrivait son ami Fontaine, qui avait obtenu la faveur de partager sa chambre. Chose remarquable, Isaac de Sacy fit cette traduction de la Bible dans le donjon même où son père, martyr huguenot, avait lu la Bible tant de fois.
Pendant que de Sacy était à la Bastille, les Jansénistes firent imprimer leur Nouveau Testament à Amsterdam, car on leur en refusait l'autorisation en France. Il portait le nom d'un libraire de Mons, Migeot, et était revêtu des approbations de l'archevêque de Cambrai, de l'évêque de Namur, d'un privilège de Charles II, roi d'Espagne, et d'une approbation de l'Université de Louvain, propre à désarmer la Sorbonne, à cause de la considération où celle-ci tenait cette Université. Néanmoins la Sorbonne fit campagne contre la nouvelle traduction, mais Arnauld défendit triomphalement, dans ses Réponses magistrales, l'oeuvre de Port-Royal. Bossuet consentit même à prendre part à une révision de l'oeuvre, et il eut à cet effet des conférences à l'hôtel Longueville avec MM. de Port-Royal, qui acceptaient ses avis. Mais cette révision ne fut pas achevée.
Ce Nouveau Testament fut favorablement accueilli par tous. « Ce fut, dit Sainte-Beuve, non seulement chez les personnes de piété, mais dans le monde et auprès des dames un prodigieux succès ». Dès 1667, il s'en débita cinq mille exemplaires dans l'espace de quelques mois. Il y en eut cinq éditions cette même année, et quatre l'année suivante. En 1683, il s'en était vendu 40.000 exemplaires. Louis XIV, nous l'avons vu, en fit imprimer à lui seul 20.000 exemplaires.
Cette traduction a été imprimée en toutes manières, dit le Dr Mallet, éditeur des oeuvres d'Arnauld, en bons caractères pour les riches, en caractères très communs pour les pauvres ; avec des notes pour les savants, sans notes pour le simple peuple ; en petit papier pour être portée plus facilement, en plus grand pour être gardée dans les bibliothèques ; en français seulement pour ceux qui n'entendent que cette langue, et avec le grec et le latin, pour ceux qui sont capables de confronter les textes. Enfin je ne sais s'il y a aucune province du royaume où elle n'ait été imprimée pour être ainsi répandue partout.
Il y eut mieux encore. Dès que la traduction fut prête, les jansénistes, vraie Société biblique avant la lettre, envoyèrent de Paris un grand nombre de colporteurs chargés de la vendre au prix de revient, et même, dans certaines circonstances, à des prix réduits, et ils couvrirent la dépense par des dons volontaires.
Quant à l'Ancien Testament de de Sacy, les ennemis de la Parole de Dieu, effrayés du succès du Nouveau, firent ce qu'ils purent pour en empêcher la publication. De Sacy, selon la vieille tradition romaine, se vit imposer comme condition, pour publier soit Ancien Testament, d'y ajouter des explications. Ce fut un retard de plus de vingt années. Commencée en 1672, l'impression de la Bible annotée de de Sacy ne fut terminée qu'en 1696, c'est-à-dire douze ans après sa mort, survenue en 1684. De Sacy put cependant achever les explications de l'Ancien Testament. Cette obligation d'expliquer le texte, tout en retardant la publication de l'oeuvre, eut ce bon résultat d'obliger de Sacy à réviser minutieusement sa traduction, et ainsi, en définitive, l'ennemi servit la cause de la Parole de Dieu au lieu de lui nuire (*).
(*) L'édition de 1699 compte 32 volumes, de 8 à 90 pages chacun, dont le commentaire remplit les trois quarts.
L'édition de 1701 est revêtue des approbations de l'abbé Courtier, théologal de Paris, de quatre docteurs en théologie de la Faculté de Paris, et du Cardinal de Noailles, archevêque de Paris.
Après tout ce qui précède, on voit que M. Petavel n'a rien exagéré en disant que « la version de de Sacy fut pour la France un instrument d'évangélisation dont on calculerait difficilement la salutaire influence ». « Combien la refonte opérée par Port-Royal, dit le même auteur, a élargi le cercle des lecteurs du saint Livre en France ! Ce fut après s'être nourri de la traduction de de Sacy que Racine composa les deux chefs-d'oeuvres de notre langue, Esther, en 1689, et Athalie, en 1691».
Sainte-Beuve a fait remarquer « l'admirable convenance de toute cette vie de M. de Sacy avec sa mission singulière d'interprète des Écritures. Il était constamment occupé dans sa pensée à se rendre digne de cet emploi, à se purifier les mains et à se châtier le coeur, le plus chaste des coeurs. Toutefois, il continua jusqu'à la fin à s'en croire indigne ».
En racontant précédemment la vie d'autres traducteurs de l'Écriture, Olivétan, Martin, Ostervald, nous avons été frappés de l'humilité qui les caractérisait. Et maintenant voici que de Sacy, à son tour, nous frappe par son humilité. Ne serait-ce pas que Dieu n'élève que ceux qui s'abaissent, et ne confie les grandes tâches qu'aux humbles ? Ne serait-ce pas aussi que, plus que toute autre chose, le contact intime et prolongé avec la Parole de Dieu met l'homme dans le vrai, lui fait sentir la grandeur de Dieu et son propre néant ?
18.2 - Caractéristique
La valeur littéraire de cette version est très grande (*). Elle est bien plus française que nos anciennes versions protestantes. Nous ne citerons qu'un exemple : Ésaïe viii, 22, 23.
(*) M. Eugène LEDRAIN, dans la Préface de la Bible, traduction nouvelle, caractérise ainsi le style de de Sacy : Quelle bonne et ferme langue française ! Celle que l'on savait parler à Port-Royal et qui indique la bonne santé de l'esprit.
Martin et Ostervald | De Sacy |
(Différences insignifiantes) Il ne verra que détresse et ténèbres et une angoisse effrayante et il sera enfoncé dans l'obscurité, car il n'y a point eu d'obscurité épaisse pour celle qui a été affligée, au temps que le premier se déchargea légèrement vers le pays de Zabulon et que le dernier s'appesantit sur le chemin de la mer, au deçà du Jourdain, dans la Galilée des Gentils. | Et ils ne verront partout qu'affliction, ténèbres, abattement, serrement de coeur, et une nuit sombre qui les persécutera, sans qu'ils puissent s'échapper de cet abîme de maux. Le Seigneur a d'abord frappé légèrement la terre de Zabulon et la terre de Nephtali, et à la fin sa main s'est appesantie sur la Galilée des nations qui est le long de la mer, au delà du Jourdain |
Martin qui publia sa version en 1707, et Ostervald, qui publia la sienne en 1744, ne paraissent avoir beaucoup profité de celle de de Sacy, parue, pour le Nouveau Testament, en 1667, et pour la Bible entière en 1696!
De Sacy se demandait si sa traduction n'était pas trop littéraire. L'année de sa mort, il eut, avec son ami Fontaine, une conversation où il fit preuve de scrupules qu'on peut trouver excessifs, mais qui l'honorent singulièrement, et dont il y a à apprendre.
Que sais-je, lui dit-il, si je n'ai rien fait contre les desseins de Dieu ? J'ai tâché d'ôter de l'Écriture Sainte l'obscurité et la rudesse, et Dieu jusqu'ici a voulu que sa Parole fût enveloppée d'obscurités. N'ai-je donc pas sujet de craindre que ce ne soit résister aux desseins du Saint-Esprit que de donner, comme j'ai tâché de le faire, une version claire et peut-être assez exacte par rapport à la pureté du langage ? Je sais bien que je n'ai affecté ni les agréments ni les curiosités qu'on aime dans le monde, et qu'on pourrait rechercher dans l'Académie française. Dieu m'est témoin combien ces ajustements m'ont toujours été en horreur ; mais je ne puis me dissimuler à moi-même que j'ai tâché de rendre le langage de l'Écriture clair, pur et conforme aux règles de la grammaire, et qui peut m'assurer que ce ne soit pas là une méthode différente de celle qu'il a plu au Saint-Esprit de choisir ? Je vois dans l'Écriture que le feu qui ne venait pas du sanctuaire était profane et étranger, quoiqu'il pût être plus clair et plus beau que celui du sanctuaire. Il ne faut pas se tromper dans cette belle pensée d'édifier les âmes. Il y a grande différence entre contenter et édifier. Il est certain que l'on contente les hommes en leur parlant avec quelque élégance, mais on ne les édifie pas toujours en cette manière.
Il est vraiment remarquable de voir Bossuet, le grand maitre de la parole, faire à propos du Nouveau Testament de Mons des réflexions semblables. Il n'y trouvait qu'un défaut essentiel, un « tour trop recherché, trop d'industrie de paroles, une affectation de politesse et d'agrément que le Saint-Esprit a dédaignée dans l'original ».
Les auteurs sacrés ne se préoccupent que de la vérité, jamais de l'effet. Ils n'ont voulu que « le royaume de Dieu », et la beauté littéraire leur a été donnée « par-dessus ». Traducteurs, écrivains, prédicateurs, témoins de la vérité sous une forme quelconque, nous ferons bien de les imiter, de rechercher la démonstration de l'Esprit plus que la sagesse du langage.
Malheureusement cette version a été faite sur la Vulgate, et elle en reproduit certaines erreurs. De Sacy suivit la Vulgate parce qu'elle était, dit-il, « plus en usage dans l'Église », sans doute aussi parce que c'était la version ecclésiastique, et qu'il croyait à l'autorité de l'Église. Il ne faudrait pourtant pas, comme on l'a fait, parler de servilité vis-à-vis de la Vulgate. De Sacy et ses collaborateurs savaient fort bien que la décision du concile de Trente ne proscrivait pas le recours aux textes originaux (*), et ils ne se firent pas faute d'y recourir, au moins pour le Nouveau Testament. Tout ce qui est dans la Vulgate et non dans le grec, est mis entre crochets, avec un V (Vulgate). Tout ce qui est dans le grec et non dans la Vulgate est ajouté dans le texte entre crochets avec un G (grec). Là où la traduction de la Vulgate diffère du grec, la traduction du grec est généralement mise en marge, quelquefois dans le texte. Dans ces derniers cas le texte de la Vulgate est mis en marge. Le titre des premières éditions porte : Traduit en français selon l'édition Vulgate avec les différences du grec. Cette indépendance est remarquable. Néanmoins quelques erreurs de la Vulgate ont été conservées dans la traduction. Voici toutes celles qu'on a relevées, à tort ou à raison (nous les discuterons plus tard), soit dans l'Ancien, soit dans le Nouveau Testament.
(*) Voir, dans le fragment l'Église romaine et la Bible, le paragraphe IV : La Vulgate intangible ?
1. Genèse 3, 15. Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre sa race et la tienne. Elle te brisera la tête.
Elle, c'est la femme, tandis que le pronom, dans l'hébreu, se rapporte à la semence. Dans la femme, on peut voir la Vierge Marie.
2. Genèse 42, 6, etc. Ses frères l'ayant donc adoré.
3. Exode 20, 5. Vous ne leur rendrez point le souverain culte. Souverain est une addition qui semble légitimer la distinction entre le culte d'adoration (latrie) dû à Dieu, et le culte de respect (dulie ou hyperdulie) qu'on peut rendre à certaines créatures.
4. Psaume 98, 5. Adorez l'escabeau de ses pieds.
5. Job 5, 1. Adressez-vous à quelqu'un des saints.
6. Daniel 4, 27. Rachetez vos péchés par des aumônes, et vos iniquités par des oeuvres de miséricorde envers les pauvres.
7. Matthieu 1, 25. Et il ne l'avait point connue quand elle enfanta son fils premier-né.
Au lieu de : Il ne la connut point jusqu'à ce qu'elle enfantât.
8. Matthieu 3, 2; 4, 17, etc. Faites pénitence.
9. Luc 1, 28. Je vous salue, ô pleine de grâce.
10. Actes 11, 30; 15, 4; Timothée 4, 14, etc., prêtre, au lieu de ancien.
11. 1 Corinthiens 7, 37. Celui qui… juge… qu'il doit conserver sa fille vierge, fait une bonne oeuvre.
12. Éphésiens 5, 32 (À propos du mariage) Ce sacrement.
13. 2 Corinthiens 11, 10. Ce que vous accordez par indulgence.
14. Colossiens 2, 18. Culte superstitieux des anges.
Donc un culte non superstitieux des anges pourrait être permis.
15. 1 Timothée 3, 2. Il faut que l'évêque n'ait épousé qu'une seule femme. De même Tite 1, 6 : Choisissant celui qui n'aura épousé qu'une femme.
16. Philémon, 22. Par le mérite de vos prières.
17. Hébreux 11, 21. Il s'inclina profondément devant le bâton de commandement que portait son fils.
18. 1 Pierre 1, 9. Le salut de vos âmes, la fin et le prix de votre foi.
Prix introduit l'idée de mérite.
19. 1 Pierre 3, 19. Aux esprits qui étaient retenus en prison. Retenus favorise la doctrine du purgatoire.
20. Jude 3. La foi qui a été une fois laissée par tradition aux saints. Inutile d'ajouter que la version de de Sacy contient les Apocryphes (*).
(*) Disons un mot du commentaire (édition de 1699).
Il y a dans ce commentaire des choses excellentes. Ainsi, à propos d' « oeil pour oeil, dent pour dent », de Sacy, citant saint Augustin, fait remarquer que cette disposition était destinée non à allumer la colère de l'homme, mais à l'éteindre, car l'homme à qui son adversaire crève un oeil se vengera, si on le laisse faire, en lui ôtant la vie (Combien, encore aujourd'hui, surtout aujourd'hui, qui veulent voir dans cette disposition juridique destinée à contenir la vengeance, une excitation à la vengeance !)
Ailleurs, par contre, l'interprétation de de Sacy (ou de ses continuateurs) est déconcertante. À propos de Genèse 12, 11-13, il rappelle que plusieurs ont blâmé Abraham d'avoir voulu sauver sa vie par un mensonge en faisant passer Sara pour sa soeur. Voici comment il justifie le patriarche.
« Ce saint docteur (saint Augustin), répond très solidement qu'on ne doit pas accuser un si grand homme d'avoir blessé la vérité en cette occasion, où il a parlé au contraire très sincèrement. Car il n'a pas nié que Sara fût sa femme à ceux qui lui auraient demandé si elle ne l'était pas, ce qui aurait été un mensonge. Mais des personnes qui ne connaissaient ni lui ni Sara lui demandant qui elle était, il leur répond qu'elle était sa sœur, ce qui était très vrai, comme Abraham le soutient dans la suite. Et ainsi, ajoute ce père, il n'a rien dit de faux, quoi qu'il n'ait pas dit une chose qui était vraie ».
Plus loin : « L'homme ne doit jamais tenter Dieu, et s'il se trouve en même temps exposé à deux périls dont il puisse éviter l'un par un moyen humain et dont l'autre lui soit entièrement inévitable, il doit se délivrer lui-même du premier, et remettre à Dieu le soin de le tirer du second. C'est ce qui est arrivé à Abraham en cette rencontre. Il devait craindre en même temps la perte et de sa vie et de l'honneur de sa femme. Il sauva sa vie, en disant ce qui était vrai, que Sara était sa soeur, c'est-à-dire sa nièce, selon l'expression ordinaire de la langue hébraïque, et il remet à Dieu le soin de tirer du péril l’honneur de sa femme.
Voici un passage curieux sur Genèse 2, 18
Il est donc certain que la femme est proprement aide à l'égard de l'homme afin qu'il devienne père et qu'il en puisse naître des enfants. C'est pourquoi comme cette raison qui a eu encore lieu dans la loi ancienne, où Dieu voulait multiplier la race d'un peuple qu'il avait choisi, et d'où le Messie devait naître, n'a plus aucun lieu en la loi nouvelle, il est bon au contraire selon saint Paul que l'homme soit seul et qu'il fuie la société des femmes, comme les femmes celle des hommes, afin que les uns et les autres embrassent une vie toute pure qui apprend aux hommes, selon l'Évangile, à imiter dans un corps mortel l'état de ces esprits si sublimes qui n'ont point de corps, et qui est comme une anticipation de la vie du ciel.
Il semble qu'on n'ait pas souvent réédité ce commentaire. Après la lecture de ces notes, on est tenté de dire : Heureusement ! Il faut se rappeler, pour être juste, que de Sacy (si toutefois ces notes sont de lui et non de ses continuateurs) n'a pas été le seul à essayer d'expurger la Bible. Ces tentatives, qu'on retrouve chez Martin, chez Ostervald, et chez d'autres, ont toujours été malheureuses.
Comment concilier ces erreurs avec la piété du traducteur, avec les prières ardentes des religieuses de Port-Royal, qui demandaient à Dieu de faire descendre son Esprit sur les traducteurs, pour les préserver d'erreur ?
Nous pourrions répondre à cette question par une autre question : Comment les anciens traducteurs protestants, dont la sincérité, l'amour ardent et même héroïque pour la vérité, est hors de doute, et qui ont certainement eux aussi, prié pour que leurs traductions fussent fidèles, ont-ils pu traduire inexactement certains passages ? On a signalé vingt-six de ces inexactitudes protestantes (*). Ou bien l'on pourrait demander : Comment Calvin, disciple de la Bible, a-t-il pu faire condamner Servet à mort pour hérésie ? Mais une question n'est pas une réponse. Voici comment nous répondrions.
(*) Voir le fragment : Inexactitudes protestantes dans la traduction du Nouveau Testament.
La marche de la vérité dans l'histoire est lente. Tout homme subit étrangement l'influence de son milieu. Les siècles passés pèsent sur nous lourdement. Et Dieu respecte la liberté de l'homme. Dieu tolère beaucoup d'erreurs, beaucoup d'abus, comme sous l'ancienne alliance, « à cause de la dureté » et aussi à cause de la paresse « des coeurs ». Il laisse l'homme faire des expériences, souvent humiliantes, douloureuses, parce qu'il veut que l'homme conquière la vérité par lui-même, seul moyen d'arriver à la majorité spirituelle. C'est toujours la vieille question : Pourquoi Dieu a-t-il permis le péché ?
Les jansénistes, obsédés par l'idée de l'autorité de l'Église (qui les maltraitait bien, pourtant), ont agi sous l'empire de cette obsession en se soumettant au texte des Livres saints choisi par l'Église. De même les traducteurs protestants, obsédés par l'idée de la prédestination, du salut gratuit, ont parfois fait fléchir ou forcé la traduction dans le sens de leur dogmatique, avec cette circonstance aggravante, dans leur cas, qu'ils traduisaient sur l'original, tandis que de Sacy, qui commettait l'erreur de traduire sur la Vulgate, ne commettait pas celle de faire fléchir le sens du texte qu'il traduisait.
18.3 - Pouvons-nous répandre cette version ?
On a contesté aux chrétiens évangéliques, et même très vivement, le droit de répandre la version de Sacy parmi les catholiques romains. Cette question nous laisse assez calmes, aujourd'hui, mais, dans la génération qui a précédé la nôtre, elle a passionné les esprits. D'ardentes controverses ont eu lieu à ce sujet, soit en France, soit en Angleterre. Répandre cette version, a-t-on dit, c'est répandre une Bible qui enseigne les erreurs romaines, une Bible qui n'est pas la parole de Dieu.
La Société biblique britannique n'a pas été de cet avis. En dépit des reproches amers qu'on lui adresse encore (hors de France), elle répand de Sacy, et nous croyons qu'elle a raison. Voici pourquoi :
1° D'abord, dans certains de ces passages, la traduction de Sacy peut se défendre.
Martin, qui n'était pas catholique, a rachète dans Daniel 4, 27. Segond, qu'on ne peut pas accuser non plus de tendance romaine, traduit ce passage comme de Sacy : Rachète tes péchés par des bienfaits, et tes iniquités par la compassion envers les malheureux. Si on traduit « rachète », il est évident qu'il faut entendre ce passage comme on entend cet autre passage : La justice des hommes droits les délivre (Prov. 11, 6).
Pierre 1, 9, Segond a, lui aussi : Pour prix de votre foi.
Le mot adorer employé Genèse 42, 6, et Psaume 98, 5 n'a ici que le sens de : se prosterner devant. C'est le quatrième sens indiqué pour adorer par Littré, qui cite un exemple de Montesquieu.
2° Plusieurs de ces erreurs n'enseignent pas ouvertement ou même n'enseignent pas du tout la doctrine romaine. Dans Elle te brisera la tête, le sens naturel, c'est que la femme brisera la tête du serpent par sa race. Pour voir là la Vierge, il faut l'y mettre.
Vous ne leur rendrez point le souverain culte. Le lecteur conclura-t-il forcément qu'on puisse leur en rendre un autre, alors qu'il lit dans ce qui précède immédiatement : Vous ne les adorerez point, et, dans le passage parallèle, Deutéronome 5, 9 : Vous ne les adorerez et ne les servirez point ?
Job 5, 1 . Adressez-vous à quelqu'un des saints peut être entendu dans un sens ironique.
Matthieu 1, 25, l'expression premier-né détruit tout l'effet de l'atténuation de la première partie du verset.
Le retenus de Pierre 3, 19, n'enseigne pas la doctrine du purgatoire. Ici aussi, pour voir le purgatoire, il faut l'y mettre.
Matthieu 3, 2, etc. La pénitence, d'après l'enseignement de l'Église romaine (*), c'est tout d'abord « la contrition ou la douleur des péchés qu'on a commis, avec la résolution de s'amender et de satisfaire à la justice divine ». Littré donne comme premier sens du mot : « retour du pécheur à Dieu, avec une ferme résolution de ne plus pécher à l'avenir ». Subsidiairement, la pénitence, selon l'enseignement de l'Église, c'est « l'acte de pénitence, la peine, volontaire ou infligée, pour l'expiation du péché, peine qui fait partie de la pénitence ». C'est le troisième sens qu'indique Littré : « Tout ce que le prêtre impose en expiation des péchés ». On peut regretter cette expression, qui prête à un double sens, mais on ne peut pas dire qu'elle soit une altération du texte et qu'elle restreigne la repentance à l'acte extérieur. Ce n'est pas ainsi que peuvent l'entendre ceux qui connaissent le véritable enseignement de l'Église. Ce qui le prouve, ce sont les lignes suivantes, écrites à propos de Matthieu 3, 2, par le P. Quesnel dans ses admirables Réflexions morales sur le Nouveau Testament (1687)
(*) Nous tenons les renseignements qui suivent d'un prêtre actuellement en exercice dans l'Église romaine. Ils nous ont été confirmés par un autre frère, naguère laïque pieux dans la même Église.
La pénitence est la vraie préparation au règne de Dieu. La pénitence doit commencer par ôter les empêchements du salut pour aller droit à Dieu. La pénitence n'est pas l'affaire d'un moment, puisque c'est une préparation pour être réconcilié avec Dieu ; ni cette pénitence n'est pas simplement des pensées ou des paroles, puisque c'est dans la volonté qu'est la voie de Dieu ; ni cette voie facile à préparer, puisqu'elle consiste à faire passer le coeur des ténèbres à la lumière… ; ni tout cela l'ouvrage de l'homme, puisque c'est au Seigneur de préparer la volonté.
Le terme bonne oeuvre, dans 1 Corinthiens 7, 37, n'implique pas l'idée d'œuvre méritoire.
Le terme culte superstitieux des anges (Colossiens 2, 18) n'implique pas que le culte non superstitieux soit permis.
À propos de la tradition par laquelle la foi a été laissée aux saints (Jude, 3), on peut se demander comment elle aurait pu leur être laissée autrement. Cette tradition est évidemment la tradition apostolique.
Il s'inclina devant le bâton de commandement (Hébreux 11, 21, traduction absurde, mais conforme au texte tel que l'ont lu les Septante) s'entend évidemment comme un hommage à l'autorité de Joseph, et non comme une légitimation du culte des images, très éloignée assurément de la pensée des Septante.
Restent, sur vingt soi-disant altérations relevées, six expressions (Pleine de grâce, Luc 1, 28. — Prêtre, Actes 11, 30, etc. — Sacrement, Éphésiens 5, 32. — Indulgence, 2 Corinthiens 2, 10. — Ait épousé, 1 Timothée 3, 2. — Mérite, Philémon, 22) sur lesquelles peut réellement s'appuyer la doctrine romaine. (D'autres, évidemment, comme pénitence, bonne oeuvre, ont une saveur romaine. Mais ce n'est pas la même chose). Les fortes convictions des controversistes protestants nous paraissent les avoir rendus injustes pour de Sacy.
3° La Bible n'est pas un code, où la portée de chaque article est indépendante du reste. La Bible est une histoire plusieurs fois séculaire, un organisme imposant, et ce ne sont pas six altérations qui peuvent la falsifier et étouffer son témoignage. On aura beau traduire faites pénitence, et prendre cette expression dans le sens de « tout ce que le prêtre impose », toute la Bible avec ses enseignements, les appels des prophètes, les confessions du psalmiste, l'histoire de David, la parabole de l'enfant prodigue, les larmes et la réhabilitation de Pierre, etc., etc., montre qu'on ne vient pas à Dieu par la pénitence, entendue comme peine ecclésiastique, mais par la repentance. La Bible corrige elle-même son traducteur.
De même, le rachetez vos péchés par des aumônes, de Daniel 4, 24 (à le supposer mal traduit, malgré de Sacy, Martin et Segond), fait l'effet d'un petit nuage qui disparait dans un rayon lumineux intense, le rayon lumineux de tout l'enseignement biblique sur le salut gratuit, le salut par la foi.
Les autres erreurs ne tiennent pas debout non plus devant l'enseignement biblique constant. C'est le caillou entrainé par le torrent. Une autre comparaison, inspirée par un souvenir personnel, se présente à notre esprit :
Un jour, un peu d'arsenic était tombé dans le puits d'une maison que nous habitions. La famille prit peur. N'allait-on pas être empoisonné par l'eau de ce puits ? On la fit analyser. Le résultat fut nul. Et pourtant l'arsenic était bien dans le puits ! Mais il y était en quantité infinitésimale. La masse d'eau pure neutralisait le poison. Comparaison n'est pas raison, mais, tout de même, c'est un peu cela avec de Sacy. La masse historique et organique de vérité que présente cette version neutralise, en fait, les six inexactitudes de mots qu'elle renferme.
Rome ne s'y trompe pas, et elle n'approuve pas plus la version de Sacy que les versions protestantes.
Combien d'âmes sont arrivées à la connaissance de la vérité et à la possession du salut par la lecture de la Vulgate, ou par celle de de Sacy ! C'est la lecture de la Vulgate, malgré ses quatre mille erreurs, qui a éclairé et affranchi Luther. Ce n'est pas le Maria gratiâ plena qui l'a empêché de trouver et de comprendre le passage
Le juste vivra par la foi. C'est aussi la lecture de de Sacy qui a amené le P. Chiniquy à rompre avec Rome, et cette version a été son principal instrument pour l'aider à affranchir des milliers d'âmes. Combien d'autres parvinrent, par l'usage de cette version même, à la connaissance de la vérité, qui, à vues humaines, n'y seraient pas parvenus autrement !
Dans les Bibles de Sacy que répand la Société biblique britannique et étrangère, non seulement les Apocryphes sont supprimés, mais encore toutes les inexactitudes qui trahissent l'idée romaine sont corrigées par une note marginale où le sens de l'hébreu ou du grec se trouve rétabli.
Dans le temps où on se passionnait pour ou contre la version de Sacy, quelqu'un s'écria, au cours d'une discussion assez vive : « Si seulement nous étions aussi chrétiens que cette traduction !
Re: HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE
19 - Chapitre 16 — Versions Israélites
Le PENTATEUQUE, par Samuel Cahen. Texte et traduction. 5 volumes, 1832.
La BIBLE, par Samuel Cahen. Texte, traduction et notes. 13 volumes, 1832 à 1852.
Traduction moyenne. L'auteur a beaucoup puisé dans les traductions allemandes. Les notes sont le fruit de la collaboration de divers auteurs et sont mentionnées avec éloge par Wünsche dans son ouvrage sur la littérature juive depuis la fermeture du canon (Berlin, 1897).
Le PENTATEUQUE, par Frédéric Lévy, professeur de langues. Texte, traduction, notes. 5 volumes. Metz, 1855.
Traduction sans valeur, de l'aveu de tous les hébraïsants israélites.
BIBLE POUR LA FAMILLE, publiée par la Société israélite pour la propagation des livres religieux et moraux. In-12. Paris, 1858 (Traduction empruntée à la Bible de Cahen).
Les PSAUMES, traduction nouvelle par Ben-Baruch Créange, M. Lévy, 1858.
Le PENTATEUQUE, par Lazard Wogue, grand rabbin. Texte, traduction, notes, avec les Haphtaroth (péricopes) des prophètes. 5 volumes. Paris, 1869.
Tout à fait supérieur comme traduction, mais les notes sont sans valeur scientifique.
Le PENTATELQUE, par Weil. 5 volumes. Paris, 1890.
TRADUCTION LITTÉRALE ET JUXTALINÉAIRE DES PSAUMES précédée d'une grammaire hébraïque et du dictionnaire des racines, par Benjamin Mossé. Avignon. 1884.
La BIBLE (*), traduite du texte original par les membres du Rabbinat français, sous la direction de M. Zadoc Kahn, grand rabbin de France.
Tome I. Pentateuque, premiers prophètes. 1900. Tome II, Hagiographes et derniers prophètes. 1905. Durlacher. Paris.
Nous apprécions plus loin cette traduction.
(*) On est surpris de voir ce terme, la Bible, pris dans un sens si nouveau. Le mot Bible, création de la langue chrétienne, désigne historiquement les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. Les éditeurs s'en sont rendu compte, puisque dans la préface ils appellent cette traduction de la Bible une traduction de la Bible hébraïque. Ce terme était à conserver dans le titre, qui reste dans les mémoires. La « Bible hébraïque » n'est pas « la Bible ».
La BIBLE DE LA JEUNESSE, traduction abrégée, par le Rabbinat français. 2 volumes. 1899. Durlacher, Paris.
Le LIVRE D'ESTHER, traduction par Zadoc Kahn. Avec quatre gravures. Même traduction que dans la Bible du Rabbinat français. Durlacher.
Le LIVRE DES PSAUMES. Traduction par Zadoc Kahn, grand rabbin. Même traduction que dans la Bible du Rabbinat français. Durlacher.
La BIBLE, pages choisies, par S. Karppe, professeur au Lycée Henri IV. Paris, Durlacher. Traduction prise de droite et de gauche.
À TRAVERS LES MOISSONS, (Extraits de l'Ancien Testament), par Mme Brandon-Salvador. 1903. Durlacher.
Plaquette de 40 pages, extraits de l'Ancien Testament, du Talmud, des poètes et moralistes du moyen âge.
Ces extraits sont empruntés aux diverses traductions israélites.
Nous nous arrêterons sur la Bible du Rabbinat français, la plus récente traduction originale de l'Ancien Testament.
Une traduction de l'Ancien Testament faite par des Israélites ne peut qu'avoir une grande valeur. Les savants auxquels nous devons cette traduction sentent l'hébreu non comme une langue apprise à coups de dictionnaire, mais comme une langue que l'on a apprise tout jeune et qui fait partie de vous-même. On le voit à l'énergie, la saveur, qui caractérise cette version et qui manque généralement dans les nôtres. Ici, l'envergure (on serait tenté de dire l'infini) de l'hébreu subsiste. Voici quelques exemples :
Une terre ruisselante de lait et de miel (Ex. 3, 8). Ruisseler remplace toujours notre couler, dérouler.
Puissions-nous nous délecter de la beauté de ta maison, de la sainteté de ton palais ! (Ps. 65, 5).
Que les justes se réjouissent, jubilent devant Dieu, et s'abandonnent à des transports de joie… Exaltez Celui qui chevauche dans les hauteurs célestes (Ps. 68, 4, 5).
Mettez votre confiance en Dieu, toujours et toujours, car en l'Éternel vous avez un roc immuable (Ésaïe 26, 4).
Cieux, là-haut, épanchez-vous, et vous, nuées, laissez ruisseler la justice ! Que la terre s'entr'ouvre pour faire tout ensemble fleurir le salut et germer la vertu ! (Ésaïe, 45, 8).
Ces citations montrent que cette traduction est vraiment française. Elle brille par le mot propre, précis, nerveux, comme par le style coulant. Voici le commencement des Proverbes :
Proverbes de Salomon… [Grâce à eux], on apprend à connaître la sagesse et la morale, à goûter le langage de la raison, à accueillir les leçons du bon sens, la vertu, la justice et la droiture. Ils donnent de la sagacité aux simples, au jeune homme de l'expérience et de la réflexion. En les entendant, le sage enrichira son savoir et l'homme avisé acquerra de l'habileté. On saisira mieux paraboles et sentences, les paroles des sages et leurs piquants aphorismes. La crainte de l'Éternel est le principe de la connaissance ; sagesse et morale excitent le dédain des sots.
On voit comment cette traduction renouvelle le texte, lui donne de la fraîcheur, nous fait sortir de l'ornière de nos traductions. Tout l'Ancien Testament est traduit ainsi.
Parfois la traduction est d'une familiarité qui étonne et détonne. Nous sommes habitués, en fait de versions bibliques, à un style plus soutenu, plus noble. Mais même dans les passages ainsi traduits, cette traduction est des plus utiles, car l'expression qui surprend est généralement (pas toujours) d'une exactitude qui ne laisse rien à désirer.
Adam produisit un être à son image (Gen. 5, 3).
Prenez dans le pays d'Égypte, des voitures, pour vos enfants et pour vos femmes (Gen. 45, 19). Ces voitures sont bien modernes !
Je suis l'être invariable (Ex. 3, 14).
Tu as pour refuge le Dieu primordial (Deut. 33, 27).
Ils disent : « Dieu l'a délaissé, courez-lui sus, empoignez-le… » (Ps. 71, 11).
À qui donc compareriez-vous Dieu, et quelle image lui donneriez-vous comme pendant ? (Ésaïe 40, 18).
Il redonne la vigueur au courbaturé (Ésaïe 40, 29).
C'est une triste besogne que Dieu a offerte aux fils d'Adam pour s'en tracasser (Ecclés. 1, 13).
Malheureux pays, si les grands font ripaille dès le matin (Ecclés. 10, 16).
Cette familiarité affaiblit certains passages. Ainsi :
Adieu peines et soupirs (Ésaie 35, 10).
Notre traduction : la douleur et les gémissements s'enfuiront, est bien plus belle en même temps que plus exacte. Elle aurait pour elle, comme style, l'autorité d'Alfred de Musset qui a dit (rapprochement d'autant plus remarquable que ce n'était probablement pas chez lui une citation) :
Tu verras, au bruit de nos chants,
S'enfuir le doute et le blasphème…
Voici un passage qui nous parait bien affaibli, bien délayé :
Hénoc se conduisait selon Dieu, lorsqu'il disparut, Dieu l'ayant retiré du monde.
Parfois la traduction prête à des critiques qui ne sont pas d'ordre littéraire.
Le fameux passage Ésaïe 7, 13, est, selon nous, traduit inexactement :
Voici la jeune femme est devenue enceinte (*).
(*) Même un de Wette, qui n'était pas retenu par le respect de la tradition, traduit la vierge (die Jungfrau).
Ésaïe 53, 8, nous lisons :
…Les coups qui le frappaient avaient pour cause les péchés des peuples.
Au lieu de : de mon peuple. Pour arriver à ce sens, le texte hébreu a dû être modifié.
Par contre, la traduction de Genèse 49, 10 est très belle :
Jusqu'à l'avènement du Pacifique (Schiloh), auquel obéiront les peuples.
On se demande pourquoi Jéhovah est traduit tantôt par Éternel, tantôt par Seigneur.
Un des mérites de cette traduction, ce sont ses notes. Plusieurs sont explicatives. Plusieurs indiquent les modifications apportées au mot hébreu (un changement insignifiant suffit pour donner un sens naturel, et aucun traducteur ne recule devant ces changements. Seulement, dans nos versions ils ne sont pas indiqués). Plusieurs, quand le texte est obscur, ou douteux, intraduisible d'une façon sûre et satisfaisante, en avertissent le lecteur. Ainsi averti, on n'usera de ce texte qu'avec circonspection. Plusieurs indiquent des variantes de sens.
Dans le livre d'Esther, nous retrouvons, au moins en une mesure, une particularité qui distingue tous les manuscrits et textes hébreux de ce livre. Le livre d'Esther est le livre de l'Ancien Testament qui a été reproduit le plus souvent sous forme de rouleau manuscrit. Il en existe des rouleaux de tout format, de toute ornementation, de tout prix (*). On a fait pour Esther ce qu'on ne fait pour aucun autre livre du canon hébreu. Pourquoi ? Évidemment parce que le sentiment national est flatté par ce livre. Ce sentiment national s'affirme par un des détails de la copie. Quand on en vient aux noms des dix fils d'Haman qui ont été pendus, on les copie en très gros caractères, et on en remplit une page entière. Dans nos Bibles hébraïques, ces noms sont imprimés en gros caractères, en deux colonnes (Comme ceci prouve que lorsqu'on lit la Bible, on y trouve ce qu'on y cherche !) Au culte de la Synagogue, le rabbin doit lire ces dix noms d'un seul trait, sans reprendre haleine.
(*) On peut voir au dépôt de la Société biblique britannique, à Paris, la reproduction de deux images relatives à l'histoire d'Esther (Assuérus tendant son sceptre à Esther, et Haman conduisant Mardochée), reproduites, en guise de dessin, par le texte même du livre d'Esther, qui tient tout entier dans ces deux images et dans l'encadrement.
Dans la Bible du Rabbinat français, ces dix noms sont imprimés avec le même caractère que le reste du livre, mais en un paragraphe spécial, bien espacé.
Nous recommandons à tous les amis de la Bible cette version de l'Ancien Testament. Elle l'éclairera pour eux d'un jour nouveau. Elle diminuera sensiblement la distance qui sépare de l'original ceux qui ne savent pas l'hébreu.
Voici, dans cette version, le Cantique de l'arc (2 Samuel 19-27).
Le PENTATEUQUE, par Samuel Cahen. Texte et traduction. 5 volumes, 1832.
La BIBLE, par Samuel Cahen. Texte, traduction et notes. 13 volumes, 1832 à 1852.
Traduction moyenne. L'auteur a beaucoup puisé dans les traductions allemandes. Les notes sont le fruit de la collaboration de divers auteurs et sont mentionnées avec éloge par Wünsche dans son ouvrage sur la littérature juive depuis la fermeture du canon (Berlin, 1897).
Le PENTATEUQUE, par Frédéric Lévy, professeur de langues. Texte, traduction, notes. 5 volumes. Metz, 1855.
Traduction sans valeur, de l'aveu de tous les hébraïsants israélites.
BIBLE POUR LA FAMILLE, publiée par la Société israélite pour la propagation des livres religieux et moraux. In-12. Paris, 1858 (Traduction empruntée à la Bible de Cahen).
Les PSAUMES, traduction nouvelle par Ben-Baruch Créange, M. Lévy, 1858.
Le PENTATEUQUE, par Lazard Wogue, grand rabbin. Texte, traduction, notes, avec les Haphtaroth (péricopes) des prophètes. 5 volumes. Paris, 1869.
Tout à fait supérieur comme traduction, mais les notes sont sans valeur scientifique.
Le PENTATELQUE, par Weil. 5 volumes. Paris, 1890.
TRADUCTION LITTÉRALE ET JUXTALINÉAIRE DES PSAUMES précédée d'une grammaire hébraïque et du dictionnaire des racines, par Benjamin Mossé. Avignon. 1884.
La BIBLE (*), traduite du texte original par les membres du Rabbinat français, sous la direction de M. Zadoc Kahn, grand rabbin de France.
Tome I. Pentateuque, premiers prophètes. 1900. Tome II, Hagiographes et derniers prophètes. 1905. Durlacher. Paris.
Nous apprécions plus loin cette traduction.
(*) On est surpris de voir ce terme, la Bible, pris dans un sens si nouveau. Le mot Bible, création de la langue chrétienne, désigne historiquement les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. Les éditeurs s'en sont rendu compte, puisque dans la préface ils appellent cette traduction de la Bible une traduction de la Bible hébraïque. Ce terme était à conserver dans le titre, qui reste dans les mémoires. La « Bible hébraïque » n'est pas « la Bible ».
La BIBLE DE LA JEUNESSE, traduction abrégée, par le Rabbinat français. 2 volumes. 1899. Durlacher, Paris.
Le LIVRE D'ESTHER, traduction par Zadoc Kahn. Avec quatre gravures. Même traduction que dans la Bible du Rabbinat français. Durlacher.
Le LIVRE DES PSAUMES. Traduction par Zadoc Kahn, grand rabbin. Même traduction que dans la Bible du Rabbinat français. Durlacher.
La BIBLE, pages choisies, par S. Karppe, professeur au Lycée Henri IV. Paris, Durlacher. Traduction prise de droite et de gauche.
À TRAVERS LES MOISSONS, (Extraits de l'Ancien Testament), par Mme Brandon-Salvador. 1903. Durlacher.
Plaquette de 40 pages, extraits de l'Ancien Testament, du Talmud, des poètes et moralistes du moyen âge.
Ces extraits sont empruntés aux diverses traductions israélites.
Nous nous arrêterons sur la Bible du Rabbinat français, la plus récente traduction originale de l'Ancien Testament.
Une traduction de l'Ancien Testament faite par des Israélites ne peut qu'avoir une grande valeur. Les savants auxquels nous devons cette traduction sentent l'hébreu non comme une langue apprise à coups de dictionnaire, mais comme une langue que l'on a apprise tout jeune et qui fait partie de vous-même. On le voit à l'énergie, la saveur, qui caractérise cette version et qui manque généralement dans les nôtres. Ici, l'envergure (on serait tenté de dire l'infini) de l'hébreu subsiste. Voici quelques exemples :
Une terre ruisselante de lait et de miel (Ex. 3, 8). Ruisseler remplace toujours notre couler, dérouler.
Puissions-nous nous délecter de la beauté de ta maison, de la sainteté de ton palais ! (Ps. 65, 5).
Que les justes se réjouissent, jubilent devant Dieu, et s'abandonnent à des transports de joie… Exaltez Celui qui chevauche dans les hauteurs célestes (Ps. 68, 4, 5).
Mettez votre confiance en Dieu, toujours et toujours, car en l'Éternel vous avez un roc immuable (Ésaïe 26, 4).
Cieux, là-haut, épanchez-vous, et vous, nuées, laissez ruisseler la justice ! Que la terre s'entr'ouvre pour faire tout ensemble fleurir le salut et germer la vertu ! (Ésaïe, 45, 8).
Ces citations montrent que cette traduction est vraiment française. Elle brille par le mot propre, précis, nerveux, comme par le style coulant. Voici le commencement des Proverbes :
Proverbes de Salomon… [Grâce à eux], on apprend à connaître la sagesse et la morale, à goûter le langage de la raison, à accueillir les leçons du bon sens, la vertu, la justice et la droiture. Ils donnent de la sagacité aux simples, au jeune homme de l'expérience et de la réflexion. En les entendant, le sage enrichira son savoir et l'homme avisé acquerra de l'habileté. On saisira mieux paraboles et sentences, les paroles des sages et leurs piquants aphorismes. La crainte de l'Éternel est le principe de la connaissance ; sagesse et morale excitent le dédain des sots.
On voit comment cette traduction renouvelle le texte, lui donne de la fraîcheur, nous fait sortir de l'ornière de nos traductions. Tout l'Ancien Testament est traduit ainsi.
Parfois la traduction est d'une familiarité qui étonne et détonne. Nous sommes habitués, en fait de versions bibliques, à un style plus soutenu, plus noble. Mais même dans les passages ainsi traduits, cette traduction est des plus utiles, car l'expression qui surprend est généralement (pas toujours) d'une exactitude qui ne laisse rien à désirer.
Adam produisit un être à son image (Gen. 5, 3).
Prenez dans le pays d'Égypte, des voitures, pour vos enfants et pour vos femmes (Gen. 45, 19). Ces voitures sont bien modernes !
Je suis l'être invariable (Ex. 3, 14).
Tu as pour refuge le Dieu primordial (Deut. 33, 27).
Ils disent : « Dieu l'a délaissé, courez-lui sus, empoignez-le… » (Ps. 71, 11).
À qui donc compareriez-vous Dieu, et quelle image lui donneriez-vous comme pendant ? (Ésaïe 40, 18).
Il redonne la vigueur au courbaturé (Ésaïe 40, 29).
C'est une triste besogne que Dieu a offerte aux fils d'Adam pour s'en tracasser (Ecclés. 1, 13).
Malheureux pays, si les grands font ripaille dès le matin (Ecclés. 10, 16).
Cette familiarité affaiblit certains passages. Ainsi :
Adieu peines et soupirs (Ésaie 35, 10).
Notre traduction : la douleur et les gémissements s'enfuiront, est bien plus belle en même temps que plus exacte. Elle aurait pour elle, comme style, l'autorité d'Alfred de Musset qui a dit (rapprochement d'autant plus remarquable que ce n'était probablement pas chez lui une citation) :
Tu verras, au bruit de nos chants,
S'enfuir le doute et le blasphème…
Voici un passage qui nous parait bien affaibli, bien délayé :
Hénoc se conduisait selon Dieu, lorsqu'il disparut, Dieu l'ayant retiré du monde.
Parfois la traduction prête à des critiques qui ne sont pas d'ordre littéraire.
Le fameux passage Ésaïe 7, 13, est, selon nous, traduit inexactement :
Voici la jeune femme est devenue enceinte (*).
(*) Même un de Wette, qui n'était pas retenu par le respect de la tradition, traduit la vierge (die Jungfrau).
Ésaïe 53, 8, nous lisons :
…Les coups qui le frappaient avaient pour cause les péchés des peuples.
Au lieu de : de mon peuple. Pour arriver à ce sens, le texte hébreu a dû être modifié.
Par contre, la traduction de Genèse 49, 10 est très belle :
Jusqu'à l'avènement du Pacifique (Schiloh), auquel obéiront les peuples.
On se demande pourquoi Jéhovah est traduit tantôt par Éternel, tantôt par Seigneur.
Un des mérites de cette traduction, ce sont ses notes. Plusieurs sont explicatives. Plusieurs indiquent les modifications apportées au mot hébreu (un changement insignifiant suffit pour donner un sens naturel, et aucun traducteur ne recule devant ces changements. Seulement, dans nos versions ils ne sont pas indiqués). Plusieurs, quand le texte est obscur, ou douteux, intraduisible d'une façon sûre et satisfaisante, en avertissent le lecteur. Ainsi averti, on n'usera de ce texte qu'avec circonspection. Plusieurs indiquent des variantes de sens.
Dans le livre d'Esther, nous retrouvons, au moins en une mesure, une particularité qui distingue tous les manuscrits et textes hébreux de ce livre. Le livre d'Esther est le livre de l'Ancien Testament qui a été reproduit le plus souvent sous forme de rouleau manuscrit. Il en existe des rouleaux de tout format, de toute ornementation, de tout prix (*). On a fait pour Esther ce qu'on ne fait pour aucun autre livre du canon hébreu. Pourquoi ? Évidemment parce que le sentiment national est flatté par ce livre. Ce sentiment national s'affirme par un des détails de la copie. Quand on en vient aux noms des dix fils d'Haman qui ont été pendus, on les copie en très gros caractères, et on en remplit une page entière. Dans nos Bibles hébraïques, ces noms sont imprimés en gros caractères, en deux colonnes (Comme ceci prouve que lorsqu'on lit la Bible, on y trouve ce qu'on y cherche !) Au culte de la Synagogue, le rabbin doit lire ces dix noms d'un seul trait, sans reprendre haleine.
(*) On peut voir au dépôt de la Société biblique britannique, à Paris, la reproduction de deux images relatives à l'histoire d'Esther (Assuérus tendant son sceptre à Esther, et Haman conduisant Mardochée), reproduites, en guise de dessin, par le texte même du livre d'Esther, qui tient tout entier dans ces deux images et dans l'encadrement.
Dans la Bible du Rabbinat français, ces dix noms sont imprimés avec le même caractère que le reste du livre, mais en un paragraphe spécial, bien espacé.
Nous recommandons à tous les amis de la Bible cette version de l'Ancien Testament. Elle l'éclairera pour eux d'un jour nouveau. Elle diminuera sensiblement la distance qui sépare de l'original ceux qui ne savent pas l'hébreu.
Voici, dans cette version, le Cantique de l'arc (2 Samuel 19-27).
- « Oh ! l'orgueil d'Israël !
- Le voilà gisant sur les hauteurs !
- Comme ils sont tombés, les vaillants !
- Ne l'allez pas dire à Gath,
- Ne le publiez pas dans les rues d'Ascalon ;
- Elles pourraient s'en réjouir, les filles des Philistins.
- Elles en triompheraient, les filles des impurs !
- Montagnes de Ghelboé,
- Plus de rosée, plus de pluie sur vous,
- Plus de campagnes riches en offrandes !
- Car là fut déshonoré le bouclier des forts,
- Le bouclier de Saül, qui plus jamais ne sera oint d'huile !
- Devant le sang des blessés.
- Devant la graisse des guerriers,
- L'arc de Jonathan ne reculait point,
- Ni l'épée de Saül ne revenait à vide.
- Saül et Jonathan,
- Chéris et aimables durant leur vie,
- N'ont pas été séparés par la mort ;
- Plus prompts que les aigles,
- Plus courageux que les lions !
- Filles d'Israël, pleurez Saül,
- Qui vous habillait richement de pourpre,
- Qui ajoutait des joyaux d'or à votre parure !
- Comme ils sont tombés, les vaillants, en plein combat !
- Tombé mort, Jonathan, sur tes hauteurs !
- Jonathan, mon frère, ta perte m'accable,
- Tu m'étais si cher !
- Ton affection m'était précieuse
- Plus que l'amour des femmes…
- Comme ils sont tombés, ces vaillants,
- Et perdues, ces armes de guerre ! »
Re: HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE
20 - Chapitre 17 — Nombre des manuscrits Bibliques, des Traductions et des Éditions de la Bible en France
M. S. Berger donne à la fin de son livre La Bible française au moyen âge la liste et la description de 189 manuscrits de Bibles françaises copiés du douzième au quinzième siècles, dont 80 Bibles et 36 psautiers. 107 de ces manuscrits sont en France, 90 à Paris, 17 en province.
C'est au quatorzième siècle que la Bible a été le plus souvent copiée. Pour ce siècle seulement on compte 87 manuscrits, dont 53 Bibles.
Il ne s'agit ici que de manuscrits français, et ces chiffres ne comprennent pas les innombrables copies de l'Historia scholastica de Comestor, la Bible populaire du moyen âge.
On compte, aussi en manuscrits, 6 Bibles provençales ou vaudoises, et 3 Nouveaux Testaments de la même origine.
On compte 258 manuscrits de la Vulgate, dont 51 Bibles entières. Sur ce nombre, 71, dont 24 Bibles, sont en France.
Nous donnons dans le tableau (*) ci-après le nombre des éditions des Écritures dont nous avons pu trouver l'indication, — traductions, révisions ou rééditions, totales ou partielles, de la Bible en français ou en langues parlées en France, parues après l'invention de l'imprimerie, c'est-à-dire depuis le Nouveau Testament de Barthélemy Buyer, paru vers 1474.
(*) Nous avons établi ce tableau d'après l'Extrait du catalogue de la Société biblique protestante de Paris, le Historical catalogue of printed Bibles, British and Foreign Bible Society, la Bibliographie des Bibles et des Nouveaux Testaments en langue française des quinzième et seizième siècles, par W. I. van Eys, et l'Histoire du psautier des Églises réformées, par Félix Bovet. — Les totaux de la dernière colonne sont ceux des chiffres contenus dans les colonnes 1 à 13, et répartis sous deux rubriques spéciales dans les colonnes 14 à 18 et 19 à 21.
Tableau (incomplet) des éditions des Saintes Écritures parues en français depuis l'invention de l'imprimerie
Abréviations du tableau : TR = Traductions — REV = Révisions — RÉIMP = Réimpressions
Lorsqu'un traducteur a traduit d'abord le Nouveau Testament, puis l'Ancien, nous signalons simplement la traduction de la Bible.
Nous comprenons, parmi les réimpressions catholiques, les éditions de la Bible abrégée du moyen âge et les éditions de la Bible et du Nouveau Testament de Lefèvre d'Étaples.
Les huit traductions protestantes originales de la Bible sont celles d'Olivétan (1535), de Castalion (1555), de Diodati (1644), de Lecène (1741), de Lausanne (1839, 1861-1872), de Darby (1859, 1885), de Reuss (1874-1880), de Segond (1873-1880).
Les huit traductions protestantes du Nouveau Testament sont celles de Leclerc (1703), Beausobre et Lenfant (1718), Munier(1835), Arnaud (1858), Rilliet (1858), Oltramare (1872), Bonnet (1846-1855). Stapfer (1889).
Les deux traductions protestantes de l'Ancien Testament sont celles de Perret-Gentil (1847-1861) et de la Bible annotée (1878-1898).
Les quatorze traductions catholiques de la Bible sont celles de Lefèvre (1530), Corbin (1643), Sacy (1696), Legros, originale pour une partie seulement (1739-1753), Desoer (1819), Genoude (1820-1824), Glaire (1861, 1889-1893), Bourassé et Janvier (1865), Drioux, (1872), Arnaud (1881), Trochon, etc (1881 et années suivantes), Fillion (1888), Crampon (1884, 1894-1904), Ledrain (1899).
Les douze traductions catholiques du Nouveau Testament sont celles de Marolles (1649), Amelote (1666), Godeau (1668), Bouhours (1697-1703), Barneville (1719), R. Simon (1702), Huré (1702), Valart (1760), Mésenguy (1729), Anonyme (Machais, 1842), Gaume (1863), Baillargeon (1865).
La traduction catholique de l'Ancien Testament est celle de Giguet, faite sur les Septante (1872).
Dans les cent six traductions originales du psautier en vers, indépendantes du psautier de Marot et de Bèze, qu'indique M. Félix Bovet, nous n'en avons reconnu que cinq protestantes, ce qui, avec le psautier original de Marot et de Bèze, fait six. Les trois cent neuf réimpressions protestantes du psautier se décomposent en deux cent quatre-vingt-dix-neuf rééditions du psautier de Marot et de Bèze, et dix rééditions des autres psautiers.
Les Écritures publiées par les Russes se décomposent en un Nouveau Testament et une Bible de Sacy, publiés par la Société biblique russe, en 1815 et 1817, et une traduction en français, en 1896, de la traduction originale des Évangiles en russe, par Tolstoï.
Par « langues ou dialectes parlés en France en dehors du français » nous entendons le provençal, le breton, le basque et le flamand. Cette dernière langue est parlée dans certaines régions du nord de la France. On voit encore, dans ces régions, des gens qui ne connaissent pas le français (*).
(*) Écrit en 1910
Sous ce chef, « langues et dialectes », sont indiquées La Bible, traduite en breton par M. le pasteur Lecoat ;
Quatre Nouveaux Testaments, un en breton, un en basque (qui n'existe plus), deux en flamand ;
Dix-neuf fragments, qui sont les Évangiles et Actes, les Évangiles séparés, les épîtres de Pierre, la Genèse, les psaumes, dans l'une ou l'autre ou plusieurs de ces quatre langues, et Ruth, le cantique des cantiques, Jonas, traduits en basque par les soins du prince L. Bonaparte (ces trois derniers épuisés).
Des six fragments en patois coloniaux, cinq (Évangiles, Actes) sont en patois de Saint-Maurice, et un (saint Marc) en patois de Saint-Domingue.
Nous appelons éditions savantes celles qui ont été faites dans un but avant tout documentaire et qui ont surtout un intérêt rétrospectif, ainsi :
La Bible de Calvin, publiée par M. Ed. Reuss en 1897, au moyen des commentaires du réformateur, et de citations bibliques extraites de ses oeuvres (manquent les livres historiques après Josué, les prophètes excepté Ésaïe et Osée, les livres dits de Salomon, l'Apocalypse) ;
Les Évangiles de Bossuet, publiés par le même procédé par M. Vallon en 1855;
Le Nouveau Testament cathare (*)
(*) Voir point 5 (chapitre 2) du texte global = point 5 (chapitre 2) de la Partie 1 « Jusqu’au 16° siècle »
L'Évangile selon saint Jean, en provençal et en vaudois, d'après de vieux manuscrits ;
Des fragments traduits en divers dialectes ou patois (bourguignon, normand, picard, toulousain, saintongeois, franc-comtois, languedocien, provençal, etc.), avant tout pour en conserver un spécimen.
Nous avons donc 359 éditions originales (230 traductions, 129 révisions), et 1.257 réimpressions, ce qui donne 1.616 éditions différentes des Écritures.
Ces chiffres sont loin d'être complets. La Bible de Louvain n'a pas eu moins de 200 éditions, et dans le relevé ci-dessus il n'en figure que 42 (12 Bibles, 30 Nouveaux Testaments). Plusieurs éditions, soit de la Bible de Sacy, soit d'autres Bibles, nous ont forcément échappé. Si donc nous ajoutons le chiffre de 200 pour les éditions catholiques, nous ne sommes certainement pas au-dessus de la réalité. Quant aux éditions protestantes, sans parler de celles qui ont été omises, retrouver la trace de toutes les réimpressions est une impossibilité. Tous les trois, quatre ou cinq ans environ, la Société biblique britannique procède à un nouveau tirage de la Bible, du Nouveau Testament, des Évangiles et Actes, des Évangiles séparés et d'autres fragments. Si on fait le total des années d'existence des quatre Sociétés bibliques protestantes qui ont travaillé en France depuis 1804, on arrive au chiffre de 274 années, et ces Sociétés n'ont pas été seules à publier les Écritures. On peut donc sans hésiter augmenter de 200 le chiffre des rééditions protestantes (*).
(*) Voici les chiffres d'une partie des réimpressions françaises de la Société britannique, de 1898 à 1909.
Bibles in-16 : En 1898, 25.000; en 1902, 15.000; en 1904, 25.000.
Bibles in-8 : En 1903, 5.000; en 1904, 5.000; en 1908, 5.000.
Nouveau Testament : En 1902, 25.000; en 1903, 30.000; en 1904, 50.000; en 1906, 50.000 et 10.000; en 1907, 50.000.
Évangiles et Actes : En 1903, 50.000; en 1904, 50.000; en 1905, 50.000; en 1907, 50.000; en 1909, 52.500.
Évangiles : En 1900, 250.000; en 1901, 200.000; en 1904, 250.000; en 1907, 200.000; en 1909, 200.000.
Psaumes : En 1903, 10.000; en 1909, 10.000.
Ainsi 24 tirages en onze ans, et ce chiffre est incomplet. On peut voir par là que l'estimation ci-dessus n'a rien d'exagéré. Tous ces tirages sont en dehors de notre tableau. Relever tous les tirages successifs, d'après les livres de Londres ou de Paris eût été une impossibilité, les vieux comptes ayant été ou détruits ou enfouis dans quelque cave. À chaque instant, dès qu'on ouvre les yeux, on découvre de nouvelles éditions, soit catholiques, soit protestantes. Nous en avons découvert jusque pendant l'impression de notre tableau.
Ainsi, nous arrivons à un chiffre approximatif de 2.000 éditions ou réimpressions des Écritures saintes de 1474 à 1910, c'est-à-dire en quatre cent trente-cinq ans. Il y aurait donc eu, en moyenne, pendant quatre cent trente-cinq ans, plus de quatre éditions françaises des Livres saints chaque année (environ neuf tous les deux ans). Quant au nombre des volumes imprimés, il est incalculable. Ici, on entre positivement dans l'infini. Certaines éditions ont été colossales. L'édition (catholique) de luxe de 1834 de la Bible de Sacy a été tirée à 100.000 exemplaires. Les Évangiles de Lasserre se sont vendus à 100.000 exemplaires. On pourrait presque dire : ab uno disce omnes.
Si l'on tenait compte des Écritures imprimées en France en d'autres langues que le français, en latin, en grec, en hébreu, on arriverait, pour le nombre d'éditions, à des chiffres plus étonnants encore. Ainsi les Estienne, de 1528 à 1567, ont fait paraître, outre 3 Bibles françaises et 4 Nouveaux Testaments français, 11 Bibles latines, 1 latine (Ancien Testament) et grecque (Nouveau Testament), 4 Nouveaux Testaments latins, 17 Nouveaux Testaments grecs, et de nombreuses portions détachées, la Genèse, Ésaïe, Osée, Joël, Habacuc, Jonas, Malachie, Ruth, les Évangiles synoptiques, et trois harmonies. De 1507 à 1628 on compte 92 éditions des Écritures publiées par les Estienne (Ils éditèrent en outre 2 concordances, et 135 ouvrages théologiques, dont 19 commentaires ou sermons). Et combien d'autres éditions des Écritures latines, hébraïques et grecques n'y a-t-il pas eu (*) ! En disant que la Bible a été réimprimée plus de 2.500 fois en France pendant ces quatre cent trente-cinq ans, on serait sans doute au-dessous de la réalité.
(*) Le Catalogue des Elzévirs de 1774 mentionne 44 éditions de la Bible en latin, en hébreu et en grec, et 8 concordances. Ces chiffres concernant des Bibles non françaises publiées hors de France, nous n'en tenons pas compte dans les calculs ci-dessus.
Si on prend les 359 traductions ou révisions, on voit que pendant ce même laps de temps, il y a eu en France, ou en français, près d'une édition originale des Livres saints chaque année (cinq en six ans).
Nous relevons, outre les 42 éditions de la Bible de Louvain (30 Bibles, 12 Nouveaux Testaments) :
100 éditions de la Bible de Sacy (39 Bibles, 49 Nouveaux Testaments, 12 fragments) ;
251 de la Bible de Genève, révision d'Olivétan (123 Bibles, 128 Nouveaux Testaments) (*) ;
(*) La Bible de 1588, version d'Olivétan, par BERTRAM et Théod. DE BÈZE, publiée en trois formats, in-folio, in-4, in-8, porte au verso du titre l'intéressante note qui suit. Elle montre que la préoccupation de répandre la Parole de Dieu n'a jamais été absente de l'Église : « Les frais de cet ouvrage imprimé en trois diverses formes, en mesme temps pour la commodité et contentement de toutes sortes de personnes, ont été libéralement fournis par quelques gens de bien, qui n'ont cherché de gagner pour leur particulier, mais seulement à servir Dieu et à son Église ».
46 de la Bible de Martin (26 Bibles, 20 Nouveaux Testaments) ;
116 de la Bible d'Ostervald (61 Bibles, 55 Nouveaux Testaments) ;
Tous ces chiffres doivent être considérés comme un minimum.
Voici les 72 villes dans lesquelles a été imprimée la Bible française, en tout ou en partie :
En France : Paris, Lyon, Rouen, Caen, Saint-Brieuc, Charenton, Niort, Orléans, Versailles, Saumur, Blois, Sedan. Rennes, Tours, La Rochelle, Bordeaux, Limoges, Montauban, Toulouse, Dijon, Montbéliard, Valence, Avignon, Nancy, Strasbourg, Trévoux ;
En Suisse : Berne, Genève, Neuchâtel, Lausanne, le Locle, Porrentruy, Bâle, Bienne, Vevey, Yverdon, Zurich :
En Belgique : Bruxelles, Louvain, Anvers, Liège, Mons, Tournai ;
En Hollande : Amsterdam, Rotterdam, La Haye, Dordrecht, Utrecht, Leyde ;
En Angleterre : Londres, Southampton, Oxford, Cambridge, Norwich, Glasgow Chelsea ;
En Allemagne : Berlin, Hambourg ; Hanovre, Cologne, Francfort, Flensbourg, Ulm, Leipzig, Altona, Hanau ;
En Italie : Florence, Turin, Milan ;
En Russie : Saint-Pétersbourg ;
En Amérique : New-York, Québec.
Le nombre des imprimeurs ou éditeurs qui se sont occupés de la publication de la Bible est au moins de 437, dont :
132 à Paris, 48 à Lyon, 15 à Rouen, 5 à La Rochelle, 5 à Toulouse, 4 à Charenton, 4 à Caen, 3 à Nancy, 3 à Avignon, 3 à Bordeaux, 2 à Niort, 2 à Limoges ;
45 à Genève, 7 à Bâle, 7 à Lausanne, 6 à Neuchâtel, 2 à Vevey ; 22 à Anvers, 6 à Bruxelles, 4 à Liège ;
26 à Amsterdam, 6 à La Haye, 3 à Leyde, 2 à Utrecht ;
19 à Londres ;
4 à Berlin, 3 à Cologne ;
2 à Turin :
3 à New-York ;
2 à Québec ;
Dans les 42 autres villes nommées, une maison dans chaque ville.
Ce qui donne : 240 maisons en France, 73 en Suisse, 35 en Belgique, 39 en Hollande, 25 en Angleterre, 15 en Allemagne, 4 en Italie, 1 en Russie, 5 en Amérique.
En présence de cette statistique, le mot de Voltaire : « Dans cinquante ans, la Bible sera un livre oublié », fait un singulier effet.
Si la Bible n'apportait pas à l'homme plus que ce que l'homme peut se donner à lui-même, verrait-on la Bible se frayer ici-bas son chemin comme un fleuve qui déborde ? Les paroles que le prophète prononça jadis sur le roi d'Assyrie, envoyé par Dieu contre Israël, semblent s'appliquer d'elles-mêmes aux destinées du Livre qui apporte aux hommes le message de la Rédemption :
Il s'élèvera partout au-dessus de son lit,
Il se répandra sur toutes ses rives.
Le déploiement de ses ailes
Remplira l'étendue de ton pays, ô Emmanuel !
(Ésaïe 8, 7).
Si telle est la gloire du Livre, que sera la gloire de Celui que Luther a appelé le Roi du Livre ?
(*) Nous avons établi ce tableau d'après l'Extrait du catalogue de la Société biblique protestante de Paris, le Historical catalogue of printed Bibles, British and Foreign Bible Society, la Bibliographie des Bibles et des Nouveaux Testaments en langue française des quinzième et seizième siècles, par W. I. van Eys, et l'Histoire du psautier des Églises réformées, par Félix Bovet. — Les totaux de la dernière colonne sont ceux des chiffres contenus dans les colonnes 1 à 13, et répartis sous deux rubriques spéciales dans les colonnes 14 à 18 et 19 à 21.
M. S. Berger donne à la fin de son livre La Bible française au moyen âge la liste et la description de 189 manuscrits de Bibles françaises copiés du douzième au quinzième siècles, dont 80 Bibles et 36 psautiers. 107 de ces manuscrits sont en France, 90 à Paris, 17 en province.
C'est au quatorzième siècle que la Bible a été le plus souvent copiée. Pour ce siècle seulement on compte 87 manuscrits, dont 53 Bibles.
Il ne s'agit ici que de manuscrits français, et ces chiffres ne comprennent pas les innombrables copies de l'Historia scholastica de Comestor, la Bible populaire du moyen âge.
On compte, aussi en manuscrits, 6 Bibles provençales ou vaudoises, et 3 Nouveaux Testaments de la même origine.
On compte 258 manuscrits de la Vulgate, dont 51 Bibles entières. Sur ce nombre, 71, dont 24 Bibles, sont en France.
Nous donnons dans le tableau (*) ci-après le nombre des éditions des Écritures dont nous avons pu trouver l'indication, — traductions, révisions ou rééditions, totales ou partielles, de la Bible en français ou en langues parlées en France, parues après l'invention de l'imprimerie, c'est-à-dire depuis le Nouveau Testament de Barthélemy Buyer, paru vers 1474.
(*) Nous avons établi ce tableau d'après l'Extrait du catalogue de la Société biblique protestante de Paris, le Historical catalogue of printed Bibles, British and Foreign Bible Society, la Bibliographie des Bibles et des Nouveaux Testaments en langue française des quinzième et seizième siècles, par W. I. van Eys, et l'Histoire du psautier des Églises réformées, par Félix Bovet. — Les totaux de la dernière colonne sont ceux des chiffres contenus dans les colonnes 1 à 13, et répartis sous deux rubriques spéciales dans les colonnes 14 à 18 et 19 à 21.
Tableau (incomplet) des éditions des Saintes Écritures parues en français depuis l'invention de l'imprimerie
Abréviations du tableau : TR = Traductions — REV = Révisions — RÉIMP = Réimpressions
Lorsqu'un traducteur a traduit d'abord le Nouveau Testament, puis l'Ancien, nous signalons simplement la traduction de la Bible.
Nous comprenons, parmi les réimpressions catholiques, les éditions de la Bible abrégée du moyen âge et les éditions de la Bible et du Nouveau Testament de Lefèvre d'Étaples.
Les huit traductions protestantes originales de la Bible sont celles d'Olivétan (1535), de Castalion (1555), de Diodati (1644), de Lecène (1741), de Lausanne (1839, 1861-1872), de Darby (1859, 1885), de Reuss (1874-1880), de Segond (1873-1880).
Les huit traductions protestantes du Nouveau Testament sont celles de Leclerc (1703), Beausobre et Lenfant (1718), Munier(1835), Arnaud (1858), Rilliet (1858), Oltramare (1872), Bonnet (1846-1855). Stapfer (1889).
Les deux traductions protestantes de l'Ancien Testament sont celles de Perret-Gentil (1847-1861) et de la Bible annotée (1878-1898).
Les quatorze traductions catholiques de la Bible sont celles de Lefèvre (1530), Corbin (1643), Sacy (1696), Legros, originale pour une partie seulement (1739-1753), Desoer (1819), Genoude (1820-1824), Glaire (1861, 1889-1893), Bourassé et Janvier (1865), Drioux, (1872), Arnaud (1881), Trochon, etc (1881 et années suivantes), Fillion (1888), Crampon (1884, 1894-1904), Ledrain (1899).
Les douze traductions catholiques du Nouveau Testament sont celles de Marolles (1649), Amelote (1666), Godeau (1668), Bouhours (1697-1703), Barneville (1719), R. Simon (1702), Huré (1702), Valart (1760), Mésenguy (1729), Anonyme (Machais, 1842), Gaume (1863), Baillargeon (1865).
La traduction catholique de l'Ancien Testament est celle de Giguet, faite sur les Septante (1872).
Dans les cent six traductions originales du psautier en vers, indépendantes du psautier de Marot et de Bèze, qu'indique M. Félix Bovet, nous n'en avons reconnu que cinq protestantes, ce qui, avec le psautier original de Marot et de Bèze, fait six. Les trois cent neuf réimpressions protestantes du psautier se décomposent en deux cent quatre-vingt-dix-neuf rééditions du psautier de Marot et de Bèze, et dix rééditions des autres psautiers.
Les Écritures publiées par les Russes se décomposent en un Nouveau Testament et une Bible de Sacy, publiés par la Société biblique russe, en 1815 et 1817, et une traduction en français, en 1896, de la traduction originale des Évangiles en russe, par Tolstoï.
Par « langues ou dialectes parlés en France en dehors du français » nous entendons le provençal, le breton, le basque et le flamand. Cette dernière langue est parlée dans certaines régions du nord de la France. On voit encore, dans ces régions, des gens qui ne connaissent pas le français (*).
(*) Écrit en 1910
Sous ce chef, « langues et dialectes », sont indiquées La Bible, traduite en breton par M. le pasteur Lecoat ;
Quatre Nouveaux Testaments, un en breton, un en basque (qui n'existe plus), deux en flamand ;
Dix-neuf fragments, qui sont les Évangiles et Actes, les Évangiles séparés, les épîtres de Pierre, la Genèse, les psaumes, dans l'une ou l'autre ou plusieurs de ces quatre langues, et Ruth, le cantique des cantiques, Jonas, traduits en basque par les soins du prince L. Bonaparte (ces trois derniers épuisés).
Des six fragments en patois coloniaux, cinq (Évangiles, Actes) sont en patois de Saint-Maurice, et un (saint Marc) en patois de Saint-Domingue.
Nous appelons éditions savantes celles qui ont été faites dans un but avant tout documentaire et qui ont surtout un intérêt rétrospectif, ainsi :
La Bible de Calvin, publiée par M. Ed. Reuss en 1897, au moyen des commentaires du réformateur, et de citations bibliques extraites de ses oeuvres (manquent les livres historiques après Josué, les prophètes excepté Ésaïe et Osée, les livres dits de Salomon, l'Apocalypse) ;
Les Évangiles de Bossuet, publiés par le même procédé par M. Vallon en 1855;
Le Nouveau Testament cathare (*)
(*) Voir point 5 (chapitre 2) du texte global = point 5 (chapitre 2) de la Partie 1 « Jusqu’au 16° siècle »
L'Évangile selon saint Jean, en provençal et en vaudois, d'après de vieux manuscrits ;
Des fragments traduits en divers dialectes ou patois (bourguignon, normand, picard, toulousain, saintongeois, franc-comtois, languedocien, provençal, etc.), avant tout pour en conserver un spécimen.
Nous avons donc 359 éditions originales (230 traductions, 129 révisions), et 1.257 réimpressions, ce qui donne 1.616 éditions différentes des Écritures.
Ces chiffres sont loin d'être complets. La Bible de Louvain n'a pas eu moins de 200 éditions, et dans le relevé ci-dessus il n'en figure que 42 (12 Bibles, 30 Nouveaux Testaments). Plusieurs éditions, soit de la Bible de Sacy, soit d'autres Bibles, nous ont forcément échappé. Si donc nous ajoutons le chiffre de 200 pour les éditions catholiques, nous ne sommes certainement pas au-dessus de la réalité. Quant aux éditions protestantes, sans parler de celles qui ont été omises, retrouver la trace de toutes les réimpressions est une impossibilité. Tous les trois, quatre ou cinq ans environ, la Société biblique britannique procède à un nouveau tirage de la Bible, du Nouveau Testament, des Évangiles et Actes, des Évangiles séparés et d'autres fragments. Si on fait le total des années d'existence des quatre Sociétés bibliques protestantes qui ont travaillé en France depuis 1804, on arrive au chiffre de 274 années, et ces Sociétés n'ont pas été seules à publier les Écritures. On peut donc sans hésiter augmenter de 200 le chiffre des rééditions protestantes (*).
(*) Voici les chiffres d'une partie des réimpressions françaises de la Société britannique, de 1898 à 1909.
Bibles in-16 : En 1898, 25.000; en 1902, 15.000; en 1904, 25.000.
Bibles in-8 : En 1903, 5.000; en 1904, 5.000; en 1908, 5.000.
Nouveau Testament : En 1902, 25.000; en 1903, 30.000; en 1904, 50.000; en 1906, 50.000 et 10.000; en 1907, 50.000.
Évangiles et Actes : En 1903, 50.000; en 1904, 50.000; en 1905, 50.000; en 1907, 50.000; en 1909, 52.500.
Évangiles : En 1900, 250.000; en 1901, 200.000; en 1904, 250.000; en 1907, 200.000; en 1909, 200.000.
Psaumes : En 1903, 10.000; en 1909, 10.000.
Ainsi 24 tirages en onze ans, et ce chiffre est incomplet. On peut voir par là que l'estimation ci-dessus n'a rien d'exagéré. Tous ces tirages sont en dehors de notre tableau. Relever tous les tirages successifs, d'après les livres de Londres ou de Paris eût été une impossibilité, les vieux comptes ayant été ou détruits ou enfouis dans quelque cave. À chaque instant, dès qu'on ouvre les yeux, on découvre de nouvelles éditions, soit catholiques, soit protestantes. Nous en avons découvert jusque pendant l'impression de notre tableau.
Ainsi, nous arrivons à un chiffre approximatif de 2.000 éditions ou réimpressions des Écritures saintes de 1474 à 1910, c'est-à-dire en quatre cent trente-cinq ans. Il y aurait donc eu, en moyenne, pendant quatre cent trente-cinq ans, plus de quatre éditions françaises des Livres saints chaque année (environ neuf tous les deux ans). Quant au nombre des volumes imprimés, il est incalculable. Ici, on entre positivement dans l'infini. Certaines éditions ont été colossales. L'édition (catholique) de luxe de 1834 de la Bible de Sacy a été tirée à 100.000 exemplaires. Les Évangiles de Lasserre se sont vendus à 100.000 exemplaires. On pourrait presque dire : ab uno disce omnes.
Si l'on tenait compte des Écritures imprimées en France en d'autres langues que le français, en latin, en grec, en hébreu, on arriverait, pour le nombre d'éditions, à des chiffres plus étonnants encore. Ainsi les Estienne, de 1528 à 1567, ont fait paraître, outre 3 Bibles françaises et 4 Nouveaux Testaments français, 11 Bibles latines, 1 latine (Ancien Testament) et grecque (Nouveau Testament), 4 Nouveaux Testaments latins, 17 Nouveaux Testaments grecs, et de nombreuses portions détachées, la Genèse, Ésaïe, Osée, Joël, Habacuc, Jonas, Malachie, Ruth, les Évangiles synoptiques, et trois harmonies. De 1507 à 1628 on compte 92 éditions des Écritures publiées par les Estienne (Ils éditèrent en outre 2 concordances, et 135 ouvrages théologiques, dont 19 commentaires ou sermons). Et combien d'autres éditions des Écritures latines, hébraïques et grecques n'y a-t-il pas eu (*) ! En disant que la Bible a été réimprimée plus de 2.500 fois en France pendant ces quatre cent trente-cinq ans, on serait sans doute au-dessous de la réalité.
(*) Le Catalogue des Elzévirs de 1774 mentionne 44 éditions de la Bible en latin, en hébreu et en grec, et 8 concordances. Ces chiffres concernant des Bibles non françaises publiées hors de France, nous n'en tenons pas compte dans les calculs ci-dessus.
Si on prend les 359 traductions ou révisions, on voit que pendant ce même laps de temps, il y a eu en France, ou en français, près d'une édition originale des Livres saints chaque année (cinq en six ans).
Nous relevons, outre les 42 éditions de la Bible de Louvain (30 Bibles, 12 Nouveaux Testaments) :
100 éditions de la Bible de Sacy (39 Bibles, 49 Nouveaux Testaments, 12 fragments) ;
251 de la Bible de Genève, révision d'Olivétan (123 Bibles, 128 Nouveaux Testaments) (*) ;
(*) La Bible de 1588, version d'Olivétan, par BERTRAM et Théod. DE BÈZE, publiée en trois formats, in-folio, in-4, in-8, porte au verso du titre l'intéressante note qui suit. Elle montre que la préoccupation de répandre la Parole de Dieu n'a jamais été absente de l'Église : « Les frais de cet ouvrage imprimé en trois diverses formes, en mesme temps pour la commodité et contentement de toutes sortes de personnes, ont été libéralement fournis par quelques gens de bien, qui n'ont cherché de gagner pour leur particulier, mais seulement à servir Dieu et à son Église ».
46 de la Bible de Martin (26 Bibles, 20 Nouveaux Testaments) ;
116 de la Bible d'Ostervald (61 Bibles, 55 Nouveaux Testaments) ;
Tous ces chiffres doivent être considérés comme un minimum.
Voici les 72 villes dans lesquelles a été imprimée la Bible française, en tout ou en partie :
En France : Paris, Lyon, Rouen, Caen, Saint-Brieuc, Charenton, Niort, Orléans, Versailles, Saumur, Blois, Sedan. Rennes, Tours, La Rochelle, Bordeaux, Limoges, Montauban, Toulouse, Dijon, Montbéliard, Valence, Avignon, Nancy, Strasbourg, Trévoux ;
En Suisse : Berne, Genève, Neuchâtel, Lausanne, le Locle, Porrentruy, Bâle, Bienne, Vevey, Yverdon, Zurich :
En Belgique : Bruxelles, Louvain, Anvers, Liège, Mons, Tournai ;
En Hollande : Amsterdam, Rotterdam, La Haye, Dordrecht, Utrecht, Leyde ;
En Angleterre : Londres, Southampton, Oxford, Cambridge, Norwich, Glasgow Chelsea ;
En Allemagne : Berlin, Hambourg ; Hanovre, Cologne, Francfort, Flensbourg, Ulm, Leipzig, Altona, Hanau ;
En Italie : Florence, Turin, Milan ;
En Russie : Saint-Pétersbourg ;
En Amérique : New-York, Québec.
Le nombre des imprimeurs ou éditeurs qui se sont occupés de la publication de la Bible est au moins de 437, dont :
132 à Paris, 48 à Lyon, 15 à Rouen, 5 à La Rochelle, 5 à Toulouse, 4 à Charenton, 4 à Caen, 3 à Nancy, 3 à Avignon, 3 à Bordeaux, 2 à Niort, 2 à Limoges ;
45 à Genève, 7 à Bâle, 7 à Lausanne, 6 à Neuchâtel, 2 à Vevey ; 22 à Anvers, 6 à Bruxelles, 4 à Liège ;
26 à Amsterdam, 6 à La Haye, 3 à Leyde, 2 à Utrecht ;
19 à Londres ;
4 à Berlin, 3 à Cologne ;
2 à Turin :
3 à New-York ;
2 à Québec ;
Dans les 42 autres villes nommées, une maison dans chaque ville.
Ce qui donne : 240 maisons en France, 73 en Suisse, 35 en Belgique, 39 en Hollande, 25 en Angleterre, 15 en Allemagne, 4 en Italie, 1 en Russie, 5 en Amérique.
En présence de cette statistique, le mot de Voltaire : « Dans cinquante ans, la Bible sera un livre oublié », fait un singulier effet.
Si la Bible n'apportait pas à l'homme plus que ce que l'homme peut se donner à lui-même, verrait-on la Bible se frayer ici-bas son chemin comme un fleuve qui déborde ? Les paroles que le prophète prononça jadis sur le roi d'Assyrie, envoyé par Dieu contre Israël, semblent s'appliquer d'elles-mêmes aux destinées du Livre qui apporte aux hommes le message de la Rédemption :
Il s'élèvera partout au-dessus de son lit,
Il se répandra sur toutes ses rives.
Le déploiement de ses ailes
Remplira l'étendue de ton pays, ô Emmanuel !
(Ésaïe 8, 7).
Si telle est la gloire du Livre, que sera la gloire de Celui que Luther a appelé le Roi du Livre ?
(*) Nous avons établi ce tableau d'après l'Extrait du catalogue de la Société biblique protestante de Paris, le Historical catalogue of printed Bibles, British and Foreign Bible Society, la Bibliographie des Bibles et des Nouveaux Testaments en langue française des quinzième et seizième siècles, par W. I. van Eys, et l'Histoire du psautier des Églises réformées, par Félix Bovet. — Les totaux de la dernière colonne sont ceux des chiffres contenus dans les colonnes 1 à 13, et répartis sous deux rubriques spéciales dans les colonnes 14 à 18 et 19 à 21.
Re: HISTOIRE DE LA BIBLE EN FRANCE
21 - Chapitre 18 — Le prix de la Bible autrefois
Aujourd'hui la Bible est accessible à toutes les bourses. Mais, jadis, pour avoir une Bible, il fallait être riche. C'est surtout dans les inventaires des anciennes bibliothèques et dans les obituaires des couvents qu'on trouve les renseignements qui permettent d'évaluer le prix des anciennes Bibles (*).
(*) La plupart des renseignements contenus dans ce chapitre sont empruntés à la Bible au seizième siècle, de S. Berger.
Note Bibliquest : Nous n’avons pas cherché à convertir les francs de 1910 en monnaies du 21° siècle
21.1 - Ce qu'elles coûtaient
Voici pour les Bibles latines. Au couvent de Saint-Victor, à Paris, nous trouvons la Bible estimée, vers 1173, 20 livres (environ 400 fr.) ; vers 1203, 14 livres (environ 230 fr.) ; en 1218, 17 ou 18 livres (315 et 345 fr.). À la fin du treizième siècle, à la Sorbonne, son prix d'estimation est de 16 livres (environ 290 fr.), et en 1311, de 12 livres (environ 180 fr.). En 1389, à Saint-Victor, une bonne Bible est estimée 32 francs, c'est-à-dire environ 256 francs d'aujourd'hui.
Les prix s'élevaient naturellement selon la beauté de l'exemplaire. Les grandes Bibles, bien ornées, étaient appelées Bibliothèques. À la fin du treizième siècle, à Notre-Dame, « une Bibliothèque bonne et très belle » était appréciée 30 livres parisis, soit 480 francs.
Nous avons vu plus haut, que dans le midi de la France, au commencement du quatorzième siècle, une Bible entière se vendait 20 livres.
En 1415, nous voyons évaluer à 86 livres parisis, soit 860 francs, une charmante Bible latine ornée de miniatures, et un volume des concordances de la Bible.
Quant aux Bibles françaises, leur prix était beaucoup plus considérable. En 1336, Pierre de Villenay et Marie sa femme, donnèrent à Saint-Victor « une très bonne Bible en français » du prix de six-vingt francs, c'est-à-dire peut-être 1.725 francs, valeur actuelle.
Ces prix, marqués dans les registres des couvents et des écoles, devaient être, si élevés soient-ils, inférieurs à la réalité, comme le sont d'ordinaire les prix d'inventaires. Ce qui le prouverait, c'est que, quand il y a vente, le prix monte plus haut.
En 1284, en Normandie, on voit une Bible évaluée à 50 livres tournois (environ 800 fr.). En Alsace, à la même époque, on voit une Bible en cinq volumes vendue 35 livres (environ 600 fr.), aux chanoines d'Ittenwiller, par les frères Augustins de Strasbourg. En 1417, le couvent d'Engelthal, dans la Hesse, engage une Bible à un autre couvent pour 63 florins d'or (environ 756 fr.). En 1450, le couvent d'Obersteigen, dans la Hesse, vend 60 florins (environ 420 fr.), au vicaire du grand choeur de la cathédrale de Strasbourg quatre volumes en parchemin contenant l'Ancien et le Nouveau Testament.
Les Bibles glosées atteignaient aussi des prix très élevés. Nicolas Lombard, « marchand de livres à Paris », vend 40 livres parisis (640 fr.) à Gui de la Tour, évêque de Clermont de 1250 à 1286, une Bible glosée copiée « d'une seule main ».
Mais il ne suffit pas, pour se rendre compte de la valeur d'une Bible au moyen âge, d'indiquer son prix évalué en francs. Il faut encore se rappeler que la valeur de l'argent était bien plus considérable alors qu'aujourd'hui. « De bons auteurs estiment, en effet, dit M. Samuel Berger, que l'argent du quatorzième et du quinzième siècle, avait six fois plus de valeur relative, ou, comme on dit, de pouvoir, que le nôtre, relativement à la plus générale et à la plus nécessaire de toutes les dépenses, au prix du blé ».
D'après cela, pour comparer le prix d'une Bible au moyen âge avec le prix d'une Bible d'aujourd'hui, il faudrait multiplier par six les chiffres ci-dessus.
21.2 - Comment faire pour les lire
Combien peu pouvaient posséder des Bibles si chères ! Si un prêtre voulait lire la Bible, il fallait qu'il en empruntât un exemplaire à la bibliothèque d'un couvent, et pour l'emprunter, il devait fournir une caution, parfois fort élevée. Ainsi, en 1284, le recteur d'un village du diocèse d'Évreux met « tous ses biens meubles et immeubles, présents et futurs, ecclésiastiques et mondains », en gage d'une Bible estimée 50 livres tournois (800 fr. actuels), qu'il a empruntée à des religieux Augustins. Et en revanche, on voit la Bible servir de gage. En 1457, l'Université de Caen emprunte une somme de 90 francs (valeur actuelle, 423 fr.) à la Faculté des Arts, sur une Bible, quatre volumes de Saint-Augustin, et le Catholicon, qu'elle abandonne comme hypothèque.
Ceux qui avaient le plus facilement accès à la Bible, c'étaient les étudiants de Paris.
L'Université de Paris avait arrêté, en 1303, le tarif auquel les libraires devaient louer des livres aux étudiants. La location du texte de la Bible était limité à 5 sous (4f50). On faisait mieux encore. Le concile de Paris, en 1212, avait rappelé aux religieux que le prêt gratuit est une oeuvre de miséricorde et que les moines doivent prêter les livres cum indemnitate domus (avec indemnité de logement) aux pauvres écoliers. Aussi le prêt gratuit de la Bible était largement pratiqué dans les couvents. La règle des Augustins contenait des dispositions particulièrement libérales en vue de ces prêts de Bibles aux étudiants. Un couvent d’Augustins, à Paris, celui de Saint-Victor, possédait plusieurs Bibles que lui avaient données ou léguées divers personnages à l'intention « des pauvres clercs, étudiants en théologie ». L'une de ces Bibles portait sur la garde ces mots : Nota pauperibus (destinée aux pauvres). À la Sorbonne et à l'Église Notre-Dame, il y avait également des Bibles données ou léguées à l'usage des étudiants. La règle des Dominicains (au chapitre : des étudiants) obligeait chaque province de l'ordre à pourvoir les frères envoyés à l'Université « de trois livres au moins, savoir, la Bible, les histoires écolâtres, et les sentences ».
Il y eut mieux encore. En 1409, des livres saints étaient prêtés aux prisonniers détenus dans les prisons du chapitre de Notre Dame.
On voit que la pensée qui a présidé à la création des Sociétés bibliques est très ancienne, et que déjà au moyen âge elle recevait une application restreinte, mais touchante.
21.3 - Depuis l'invention de l'imprimerie
L'invention de l'imprimerie diminua sensiblement, tout en le laissant fort élevé encore, le prix de la Bible.
Voici un fait curieux qui montre quelle influence cette invention eut immédiatement sur le prix des Bibles.
Fust (précédemment associé de Gutenberg) apporta à Paris quelques exemplaires de la Bible, et les vendit soixante couronnes, au lieu de quatre ou cinq cents que coûtaient autrefois les Bibles manuscrites sur parchemin.
Les premiers acheteurs furent d'abord dans l'admiration en voyant l'exacte ressemblance de tous ces volumes qui ne différaient pas d'un iota et avaient partout le même nombre de lignes et de lettres, ce dont on ne pouvait se rendre compte alors ; mais ensuite ayant appris que Fust, pour se défaire plus vite de sa marchandise, avait cédé ses Bibles à cinquante, quarante couronnes et même à un prix beaucoup inférieur, ils y regardèrent de plus près et se convainquirent que ces volumes avaient été exécutés par un procédé mécanique moins coûteux que la calligraphie. Alors, se considérant comme lésés, ils vinrent réclamer au vendeur les trois quarts et même quelques-uns les quatre cinquièmes du prix payé par eux (*).
(*) De l'origine de l'iniprirnerie en Europe, par Aug. BERNARD, II, 285-286.
On possède l'acte de vente, daté de 1471, par lequel « Hermann de Stathoen, colporteur d'honnête et discrète personne Jean Guymier, libraire juré de l'Université de Paris », vend à l'illustre et savant maître Guillaume de Tourneville, archiprêtre et chanoine d'Angers, un exemplaire sur parchemin de l'admirable Bible de Mayence (la première Bible imprimée (en latin) en 1456) pour le prix et somme de 40 écus (450 fr.).
Les Bibles sur papier étaient moins chères.
En 1465, la maison de Saint-Jean de Schelestadt acquiert une Bible pour 4 florins, 3 livres, 1l sols (81 fr.). En 1466, Hector Mulich paie environ 84 francs un exemplaire non relié de la Bible allemande de Mentel. En 1469, une Bible appartenant au cardinal Balue est saisie et évaluée à 12 livres (environ 72 fr.).
Le Nouveau Testament de Luther de 1522 se vendait un florin et demi, environ 10 francs.
Les catalogues de Robert Estienne, notamment celui de 1546, sont intéressants à étudier. Chose à remarquer, le livre qui figure en tête de ces catalogues, c'est toujours la Bible hébraïque ; et tous les livres de la Bible hébraïque se vendent séparément, même, d'après tel catalogue, chacun des petits prophètes. La très belle Bible hébraïque in-4 de Robert Estienne de 1539-1542 se vendait 100 francs (La Genèse 6 francs, le Psautier 7 francs, Osée 3 francs, Amos 20 deniers, Abdias 4 deniers, etc.) La petite Bible hébraïque in-16 de Robert Estienne, en 17 volumes, de 1545, probablement ce qui a jamais été imprimé de mieux en fait de Bible hébraïque, un vrai bijou, se vendit d'abord 80 francs, puis 75 francs (Le Pentateuque 25 francs, la Genèse 4 francs 6 deniers, le Psautier 5 francs, les petits Prophètes 4 francs, etc.)
Le Nouveau Testament grec se vendait, l'in-16 de 1546, 10 francs, l'in-8 de 1550, 35 francs. Quant aux Bibles latines, une Bible infolio se vendait 100 francs, une autre 60 francs, une Bible petit format, 45 francs, une autre 30 francs. L'Ancien Testament, 24 francs, le Nouveau, 6 francs. Un autre Nouveau Testament, 7 francs 6 deniers. Le Décalogue se vendait 3 deniers, une Harmonie évangélique, 3 francs 6 deniers (*).
(*) Le marc d'argent valut de 1515 à 1530 un peu plus de 12 francs, et de 1531 à 1545 environ 14 francs. Il y avait 20 sous (ou sols) dans le marc, et 12 deniers dans le sou. Le sou valait donc 70 centimes de 1531 à 1545. Les francs du catalogue de Robert Estienne sont des sols, mais ces francs avaient au moins trois fois la valeur des nôtres.
Vers 1534, le prix du blé fut de 50 sols le setier (156 litres). On payait 2 deniers 8 onces de pain, ou une livre de pain bis.
Et ces livres si chers se vendaient fort bien, preuve en soit la rapidité avec laquelle s'écoulaient les éditions.
La Polyglotte de Complute (1522) coûtait 6 ducats et demi. La Polyglotte de Plantin (Anvers, 1573) coûtait 72 florins.
21.4 - Chez les protestants
La première édition de la Bible d'Ostervald (1744) coûtait 2 écus neufs et demi (*). En 1756, le proposant Simon Lombard, qui se préparait au désert à devenir pasteur, écrivait à son père qu'il venait d'acheter la petite Bible Martin, et qu'elle lui avait coûté 14 livres. Il ajoutait : « Elle me suivra dans toutes mes retraites, et je vais la dévorer ». 14 livres, en 1756, en vaudraient bien le double aujourd'hui, si ce n'est plus.
(*) On lit dans le journal d'un citoyen de Neuchâtel, Abraham Sandol :
1743, 19 décembre : « Je me suis souscrit pour une Bible qui coûte 2 écus et demi neufs, dont je n'ai délivré qu'un et demi comptant ».
1744, 30 novembre : « Théodore Ducommun a apporté la Bible de M. Ostervald pour laquelle j'avais souscrit, j'ai payé un écu neuf pour le reste de la souscription, 10 batz pour l'avoir mise en carton et 7 creuzer pour le port de Neuchâtel ».
1752, 20 novembre : « J'ai porté la Bible de M. Ostervald à Théodore Ducommun pour la relier en peau de mouton, 42 batz » (R. GHETILLAT. J.-F. Ostervald.
L'écu neuf était de 6 francs. La Bible d'Ostervald de 1744 coûtait donc 15 francs en souscription. — Un batz valait 14 centimes. La mise en carton valait donc 1f 40. la reliure, 5f 88. — Le creuzer valait 3 centimes et demi. — Prix total : plus de 22 francs, qui valaient bien plus que 20 francs actuels.
En 1797, une Bible Ostervald neuve, éditée par la librairie de Bienne en 1771, valait 9 livres reliée. La Bible in-folio de 1805, de la Compagnie des pasteurs de Genève, se vendait 18 francs. À Genève, en 1821, une Bible Martin de 1820, in-18, brochée, se vendait 4f 50, et en 1823 une Bible Martin de 1802, in-8, brochée, était cotée 12 francs.
Le rapport de 1837 de la Société Biblique britannique et étrangère raconte que les habitants d'un village belge (Dour) s'étaient cotisés (sans doute au commencement du siècle dernier) pour l'achat d'une Bible, et qu'ils avaient envoyé l'un d'eux se la procurer en Hollande. La Bible, un Ostervald in-folio, coûta 42 francs. Une Bible par village, c'est tout ce qu'on pouvait se permettre.
Aujourd'hui la Bible est accessible à toutes les bourses. Mais, jadis, pour avoir une Bible, il fallait être riche. C'est surtout dans les inventaires des anciennes bibliothèques et dans les obituaires des couvents qu'on trouve les renseignements qui permettent d'évaluer le prix des anciennes Bibles (*).
(*) La plupart des renseignements contenus dans ce chapitre sont empruntés à la Bible au seizième siècle, de S. Berger.
Note Bibliquest : Nous n’avons pas cherché à convertir les francs de 1910 en monnaies du 21° siècle
21.1 - Ce qu'elles coûtaient
Voici pour les Bibles latines. Au couvent de Saint-Victor, à Paris, nous trouvons la Bible estimée, vers 1173, 20 livres (environ 400 fr.) ; vers 1203, 14 livres (environ 230 fr.) ; en 1218, 17 ou 18 livres (315 et 345 fr.). À la fin du treizième siècle, à la Sorbonne, son prix d'estimation est de 16 livres (environ 290 fr.), et en 1311, de 12 livres (environ 180 fr.). En 1389, à Saint-Victor, une bonne Bible est estimée 32 francs, c'est-à-dire environ 256 francs d'aujourd'hui.
Les prix s'élevaient naturellement selon la beauté de l'exemplaire. Les grandes Bibles, bien ornées, étaient appelées Bibliothèques. À la fin du treizième siècle, à Notre-Dame, « une Bibliothèque bonne et très belle » était appréciée 30 livres parisis, soit 480 francs.
Nous avons vu plus haut, que dans le midi de la France, au commencement du quatorzième siècle, une Bible entière se vendait 20 livres.
En 1415, nous voyons évaluer à 86 livres parisis, soit 860 francs, une charmante Bible latine ornée de miniatures, et un volume des concordances de la Bible.
Quant aux Bibles françaises, leur prix était beaucoup plus considérable. En 1336, Pierre de Villenay et Marie sa femme, donnèrent à Saint-Victor « une très bonne Bible en français » du prix de six-vingt francs, c'est-à-dire peut-être 1.725 francs, valeur actuelle.
Ces prix, marqués dans les registres des couvents et des écoles, devaient être, si élevés soient-ils, inférieurs à la réalité, comme le sont d'ordinaire les prix d'inventaires. Ce qui le prouverait, c'est que, quand il y a vente, le prix monte plus haut.
En 1284, en Normandie, on voit une Bible évaluée à 50 livres tournois (environ 800 fr.). En Alsace, à la même époque, on voit une Bible en cinq volumes vendue 35 livres (environ 600 fr.), aux chanoines d'Ittenwiller, par les frères Augustins de Strasbourg. En 1417, le couvent d'Engelthal, dans la Hesse, engage une Bible à un autre couvent pour 63 florins d'or (environ 756 fr.). En 1450, le couvent d'Obersteigen, dans la Hesse, vend 60 florins (environ 420 fr.), au vicaire du grand choeur de la cathédrale de Strasbourg quatre volumes en parchemin contenant l'Ancien et le Nouveau Testament.
Les Bibles glosées atteignaient aussi des prix très élevés. Nicolas Lombard, « marchand de livres à Paris », vend 40 livres parisis (640 fr.) à Gui de la Tour, évêque de Clermont de 1250 à 1286, une Bible glosée copiée « d'une seule main ».
Mais il ne suffit pas, pour se rendre compte de la valeur d'une Bible au moyen âge, d'indiquer son prix évalué en francs. Il faut encore se rappeler que la valeur de l'argent était bien plus considérable alors qu'aujourd'hui. « De bons auteurs estiment, en effet, dit M. Samuel Berger, que l'argent du quatorzième et du quinzième siècle, avait six fois plus de valeur relative, ou, comme on dit, de pouvoir, que le nôtre, relativement à la plus générale et à la plus nécessaire de toutes les dépenses, au prix du blé ».
D'après cela, pour comparer le prix d'une Bible au moyen âge avec le prix d'une Bible d'aujourd'hui, il faudrait multiplier par six les chiffres ci-dessus.
21.2 - Comment faire pour les lire
Combien peu pouvaient posséder des Bibles si chères ! Si un prêtre voulait lire la Bible, il fallait qu'il en empruntât un exemplaire à la bibliothèque d'un couvent, et pour l'emprunter, il devait fournir une caution, parfois fort élevée. Ainsi, en 1284, le recteur d'un village du diocèse d'Évreux met « tous ses biens meubles et immeubles, présents et futurs, ecclésiastiques et mondains », en gage d'une Bible estimée 50 livres tournois (800 fr. actuels), qu'il a empruntée à des religieux Augustins. Et en revanche, on voit la Bible servir de gage. En 1457, l'Université de Caen emprunte une somme de 90 francs (valeur actuelle, 423 fr.) à la Faculté des Arts, sur une Bible, quatre volumes de Saint-Augustin, et le Catholicon, qu'elle abandonne comme hypothèque.
Ceux qui avaient le plus facilement accès à la Bible, c'étaient les étudiants de Paris.
L'Université de Paris avait arrêté, en 1303, le tarif auquel les libraires devaient louer des livres aux étudiants. La location du texte de la Bible était limité à 5 sous (4f50). On faisait mieux encore. Le concile de Paris, en 1212, avait rappelé aux religieux que le prêt gratuit est une oeuvre de miséricorde et que les moines doivent prêter les livres cum indemnitate domus (avec indemnité de logement) aux pauvres écoliers. Aussi le prêt gratuit de la Bible était largement pratiqué dans les couvents. La règle des Augustins contenait des dispositions particulièrement libérales en vue de ces prêts de Bibles aux étudiants. Un couvent d’Augustins, à Paris, celui de Saint-Victor, possédait plusieurs Bibles que lui avaient données ou léguées divers personnages à l'intention « des pauvres clercs, étudiants en théologie ». L'une de ces Bibles portait sur la garde ces mots : Nota pauperibus (destinée aux pauvres). À la Sorbonne et à l'Église Notre-Dame, il y avait également des Bibles données ou léguées à l'usage des étudiants. La règle des Dominicains (au chapitre : des étudiants) obligeait chaque province de l'ordre à pourvoir les frères envoyés à l'Université « de trois livres au moins, savoir, la Bible, les histoires écolâtres, et les sentences ».
Il y eut mieux encore. En 1409, des livres saints étaient prêtés aux prisonniers détenus dans les prisons du chapitre de Notre Dame.
On voit que la pensée qui a présidé à la création des Sociétés bibliques est très ancienne, et que déjà au moyen âge elle recevait une application restreinte, mais touchante.
21.3 - Depuis l'invention de l'imprimerie
L'invention de l'imprimerie diminua sensiblement, tout en le laissant fort élevé encore, le prix de la Bible.
Voici un fait curieux qui montre quelle influence cette invention eut immédiatement sur le prix des Bibles.
Fust (précédemment associé de Gutenberg) apporta à Paris quelques exemplaires de la Bible, et les vendit soixante couronnes, au lieu de quatre ou cinq cents que coûtaient autrefois les Bibles manuscrites sur parchemin.
Les premiers acheteurs furent d'abord dans l'admiration en voyant l'exacte ressemblance de tous ces volumes qui ne différaient pas d'un iota et avaient partout le même nombre de lignes et de lettres, ce dont on ne pouvait se rendre compte alors ; mais ensuite ayant appris que Fust, pour se défaire plus vite de sa marchandise, avait cédé ses Bibles à cinquante, quarante couronnes et même à un prix beaucoup inférieur, ils y regardèrent de plus près et se convainquirent que ces volumes avaient été exécutés par un procédé mécanique moins coûteux que la calligraphie. Alors, se considérant comme lésés, ils vinrent réclamer au vendeur les trois quarts et même quelques-uns les quatre cinquièmes du prix payé par eux (*).
(*) De l'origine de l'iniprirnerie en Europe, par Aug. BERNARD, II, 285-286.
On possède l'acte de vente, daté de 1471, par lequel « Hermann de Stathoen, colporteur d'honnête et discrète personne Jean Guymier, libraire juré de l'Université de Paris », vend à l'illustre et savant maître Guillaume de Tourneville, archiprêtre et chanoine d'Angers, un exemplaire sur parchemin de l'admirable Bible de Mayence (la première Bible imprimée (en latin) en 1456) pour le prix et somme de 40 écus (450 fr.).
Les Bibles sur papier étaient moins chères.
En 1465, la maison de Saint-Jean de Schelestadt acquiert une Bible pour 4 florins, 3 livres, 1l sols (81 fr.). En 1466, Hector Mulich paie environ 84 francs un exemplaire non relié de la Bible allemande de Mentel. En 1469, une Bible appartenant au cardinal Balue est saisie et évaluée à 12 livres (environ 72 fr.).
Le Nouveau Testament de Luther de 1522 se vendait un florin et demi, environ 10 francs.
Les catalogues de Robert Estienne, notamment celui de 1546, sont intéressants à étudier. Chose à remarquer, le livre qui figure en tête de ces catalogues, c'est toujours la Bible hébraïque ; et tous les livres de la Bible hébraïque se vendent séparément, même, d'après tel catalogue, chacun des petits prophètes. La très belle Bible hébraïque in-4 de Robert Estienne de 1539-1542 se vendait 100 francs (La Genèse 6 francs, le Psautier 7 francs, Osée 3 francs, Amos 20 deniers, Abdias 4 deniers, etc.) La petite Bible hébraïque in-16 de Robert Estienne, en 17 volumes, de 1545, probablement ce qui a jamais été imprimé de mieux en fait de Bible hébraïque, un vrai bijou, se vendit d'abord 80 francs, puis 75 francs (Le Pentateuque 25 francs, la Genèse 4 francs 6 deniers, le Psautier 5 francs, les petits Prophètes 4 francs, etc.)
Le Nouveau Testament grec se vendait, l'in-16 de 1546, 10 francs, l'in-8 de 1550, 35 francs. Quant aux Bibles latines, une Bible infolio se vendait 100 francs, une autre 60 francs, une Bible petit format, 45 francs, une autre 30 francs. L'Ancien Testament, 24 francs, le Nouveau, 6 francs. Un autre Nouveau Testament, 7 francs 6 deniers. Le Décalogue se vendait 3 deniers, une Harmonie évangélique, 3 francs 6 deniers (*).
(*) Le marc d'argent valut de 1515 à 1530 un peu plus de 12 francs, et de 1531 à 1545 environ 14 francs. Il y avait 20 sous (ou sols) dans le marc, et 12 deniers dans le sou. Le sou valait donc 70 centimes de 1531 à 1545. Les francs du catalogue de Robert Estienne sont des sols, mais ces francs avaient au moins trois fois la valeur des nôtres.
Vers 1534, le prix du blé fut de 50 sols le setier (156 litres). On payait 2 deniers 8 onces de pain, ou une livre de pain bis.
Et ces livres si chers se vendaient fort bien, preuve en soit la rapidité avec laquelle s'écoulaient les éditions.
La Polyglotte de Complute (1522) coûtait 6 ducats et demi. La Polyglotte de Plantin (Anvers, 1573) coûtait 72 florins.
21.4 - Chez les protestants
La première édition de la Bible d'Ostervald (1744) coûtait 2 écus neufs et demi (*). En 1756, le proposant Simon Lombard, qui se préparait au désert à devenir pasteur, écrivait à son père qu'il venait d'acheter la petite Bible Martin, et qu'elle lui avait coûté 14 livres. Il ajoutait : « Elle me suivra dans toutes mes retraites, et je vais la dévorer ». 14 livres, en 1756, en vaudraient bien le double aujourd'hui, si ce n'est plus.
(*) On lit dans le journal d'un citoyen de Neuchâtel, Abraham Sandol :
1743, 19 décembre : « Je me suis souscrit pour une Bible qui coûte 2 écus et demi neufs, dont je n'ai délivré qu'un et demi comptant ».
1744, 30 novembre : « Théodore Ducommun a apporté la Bible de M. Ostervald pour laquelle j'avais souscrit, j'ai payé un écu neuf pour le reste de la souscription, 10 batz pour l'avoir mise en carton et 7 creuzer pour le port de Neuchâtel ».
1752, 20 novembre : « J'ai porté la Bible de M. Ostervald à Théodore Ducommun pour la relier en peau de mouton, 42 batz » (R. GHETILLAT. J.-F. Ostervald.
L'écu neuf était de 6 francs. La Bible d'Ostervald de 1744 coûtait donc 15 francs en souscription. — Un batz valait 14 centimes. La mise en carton valait donc 1f 40. la reliure, 5f 88. — Le creuzer valait 3 centimes et demi. — Prix total : plus de 22 francs, qui valaient bien plus que 20 francs actuels.
En 1797, une Bible Ostervald neuve, éditée par la librairie de Bienne en 1771, valait 9 livres reliée. La Bible in-folio de 1805, de la Compagnie des pasteurs de Genève, se vendait 18 francs. À Genève, en 1821, une Bible Martin de 1820, in-18, brochée, se vendait 4f 50, et en 1823 une Bible Martin de 1802, in-8, brochée, était cotée 12 francs.
Le rapport de 1837 de la Société Biblique britannique et étrangère raconte que les habitants d'un village belge (Dour) s'étaient cotisés (sans doute au commencement du siècle dernier) pour l'achat d'une Bible, et qu'ils avaient envoyé l'un d'eux se la procurer en Hollande. La Bible, un Ostervald in-folio, coûta 42 francs. Une Bible par village, c'est tout ce qu'on pouvait se permettre.
Page 2 sur 4 • 1, 2, 3, 4
Sujets similaires
» L'histoire de la Bible 1 La copie de la Bible chez les Hébreux
» L'histoire de la Bible
» L'histoire de la Bible
» La Bible et l'histoire de l'Égypte
» L'archéologie, la Bible et l'histoire
» L'histoire de la Bible
» L'histoire de la Bible
» La Bible et l'histoire de l'Égypte
» L'archéologie, la Bible et l'histoire
Forum Religion : Le Forum des Religions Pluriel :: ○ Religions & Cie :: Focus/Questions :: Focus/Bible
Page 2 sur 4
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum