La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»
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L'axe vertical de la croix est coupé de trois branches horizontales. La branche intermédiaire, la plus longue est reservée aux bras étendus du Crucifié. La branche supérieure représente l'inscription en grec, latin et hébreu que Pilate avait ordonné de clouer à la croix, selon la coutume romaine qui rendait ainsi public le motif de la peine.
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Les orthodoxes russes privilégient d'ordinaire la croix à huit branches, aussi appelée crucifixion.
L'axe vertical de la croix est coupé de trois branches horizontales. La branche intermédiaire, la plus longue est reservée aux bras étendus du Crucifié. La branche supérieure représente l'inscription en grec, latin et hébreu que Pilate avait ordonné de clouer à la croix, selon la coutume romaine qui rendait ainsi public le motif de la peine.
Contrairement à la tradition catholique qui représente les pieds du Christ cloué d'un seul clou, l'iconographie orthodoxe suit la tradition selon laquelle les pieds du Christ ont été cloués séparement, ce que sont venus confirmer les études réalisées sur le Suaire de Turin.
La branche horizontale inférieure de la croix sert ainsi d'appui aux pieds du Crucifié. L'une de ses extrémités est surélevée, montrant le ciel où est reçu le Bon Laron, l'autre extrémité indiquant l'enfer qui attend le mauvais laron, celui qui ne se repentit point.
Sous la croix est souvent figuré un crвne, la tête d'Adam, qui selon la tradition aurait été enterré à l'endroit même de la Crucifixion du Christ. Depuis la croix s'écoule le sang du Christ, rendant vie à Adam, à l'homme, à l'humanité.
Auprès de la croix, se tiennent la Mère de Dieu et l'apôtre Jean, le disciple bien-aimé. Sont également souvent représentés les instruments de la Passion, la lance, transpersant le côté du Christ, l'éponge vinaigrée donnée au Seigneur par le soldat romain.
On trouve parfois des représentations de la croix avec une demi-lune. Ce symbole, que l'on associe parfois à la victoire du Christianisme sur l'Islam était cependant connu bien avant les affrontements entre chrétiens et musulmans et signifie ici l'alliance de la croix et de l'ancre, symbole d'espérance. La demi-lune symbolise aussi la coupe de l'Eucharistie et le sang du Christ offert pour le rachat des péchés humains. On trouve aussi la croix et la demi-lune sur les coupoles des églises consacrées à la Mère de Dieu : la lune symbolise ici la Mère de Dieu, la Croix rappelle le Christ, soleil de vérité.
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Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»
... DE L'EUCHARISTIE
par Mgr STEPHANOS Métropolite de Tallinn et de toute l'Estonie
par Mgr STEPHANOS Métropolite de Tallinn et de toute l'Estonie
L'HOMME LIEU THEOLOGIQUE PAR EXCELLENCE
" Dans mon Royaume, dit le Christ dans le canon des matines orthodoxes du Jeudi saint, je serai Dieu et vous serez Dieu avec moi " (4e Ode du 3e Tropaire). Car l'homme est à l'image de Dieu ; il est appelé à une ressemblance qui est une participation réelle à la vie divine. L'homme n'est vraiment homme qu'en Dieu. L'homme n'est vraiment homme que déifié, puisque " Dieu est devenu homme pour que l'homme devienne Dieu en lui " (saint Athanase), puisque l'homme est un animal appelé à devenir Dieu. L'exigence de s'unir à la source de vie qui fait notre être même ne peut être qu'un événement à l'intérieur de l'Esprit, l'avènement de l'Esprit en l'homme est toujours théomorphique : Dieu l'a créé à son image. Tout vient de Dieu. L'expérience de Dieu vient aussi de Dieu, car Dieu est plus intime à l'homme que lui-même.
Dès lors, chercher Dieu par-dessus tout, c'est amorcer par l'acte de foi un dialogue liturgique générateur d'unité à l'image du Christ, dans lequel ont convergé une fois pour toutes l'expérience de l'homme par Dieu et celle de Dieu par l'homme. Par essence donc, l'homme est un être liturgique. S'il participe à la vie divine, sa communion se fait à travers une vaste célébration liturgique qui englobe tout le cosmos. Si cette ouverture sur tout ce qui est créé n'existait pas, il n'y aurait pas d'amour possible auquel l'homme prît part concrètement par l'acte liturgique principal, c'est-à-dire la prière, ce centre duquel toute autre action puise sa force et est rendue valide. C'est à cause de cela que le mystère de la personne humaine devient lieu théologique par excellence, en ce sens que créé à l'image de Dieu, il ne peut se comprendre qu'à la lumière du dogme trinitaire.
Le dogme de la Trinité, cœur de la théologie orthodoxe, devient, de ce fait, la clé de l'anthropologie où l'Ecriture, qui ne perd rien de sa dimension de l'histoire, reçoit un sens eucharistique. C'est parce que le fait divin, c'est-à-dire la Parole, fait irruption dans sa propre existence que l'homme devient " être liturgique ". Dès lors, l'Evangile ne se limite pas à définir les rapports qui régissent les liens entre le Sauveur et le monde ; il nous fait pénétrer au centre même d'une autre dimension, une relation de divino-humanité qui est aussi relation filiale entre le Père céleste et son Fils unique, l'Esprit Saint étant pour sa part le souffle qui porte les mots et qui ne se laisse saisir et sentir que conjointement avec le Christ.
La divino-humanité s'ouvre au cœur de l'histoire par l'Incarnation du Verbe. Alors, puisque Dieu est devenu, dans le Christ, visage, l'homme à son tour découvre son propre visage, sa propre vocation que l'on pourrait appeler " déiforme " ; vocation qui s'inscrit inséparablement dans le caractère irréductible de sa personne et dans le dynamisme de son être, de sa nature vraie. Et la nature vraie de l'homme, qu'il est tragiquement libre d'exprimer ou de réprimer, est précisément un dynamisme de célébration, un dynamisme de participation, une transparence à la lumière divine qui la fonde et qui l'aimante. Le Christ Sauveur ayant récapitulé la totalité de l'humanité et de l'univers par le sacrifice de la Croix, l'homme trouve sa dimension du " kath'olon " (catholique) puisque Jésus représente en archétype ce que nous sommes et cette dimension, l'homme la trouve dans l'Eglise, dont la profondeur n'est rien d'autre que cette puissance de résurrection.
L'Eglise en général, nous pouvons la définir comme " cette vie de Dieu dans les hommes " pour reprendre ici l'excellente définition de Khomiakov. Vie qui nous fait connaître Dieu comme communion des trois Personnes : et c'est la raison pour laquelle l'Eglise orthodoxe, Eglise absolue de la Sainte-Trinité, sera ressentie surtout comme communauté eucharistique, agapé - où la vie s'exprime dans une expérience réelle de service et de fraternité, où l'acte de foi et l'acte de glorification se trouvent indissolublement liés, où la spiritualité est normalement celle du martyr qui par son identification au Crucifié éprouve dans une indicible métamorphose la plénitude de la Résurrection.
Ainsi par l'extension de l'Incarnation, où le Christ Dieu-Homme passe au Christ Dieu-Humanité, l'Eglise est devenue un seul Corps, dans lequel les hommes sont membres les uns des autres, bien plus, consubstantiels.
Quant à l'Eucharistie, elle manifeste notre entrée dans cette divino-humanité puisqu'elle nous donne de communier au Christ ressuscité. Elle est donc une entrée dans la Jérusalem céleste. Tel est le " réalisme spirituel " qui découle de la Résurrection : notre être déifié dans le Christ, n'est pas une idéologie mais une réalité, animée par le Souffle de Dieu. " Faire eucharistie de toutes choses " c'est alors porter témoignage au Christ ressuscité, c'est rendre l'Eglise présente au cœur du monde. " L'homme, disait le patriarche Athénagoras, porte en lui un dramatique univers intérieur. Qu'il trouve donc dans l'Eglise son lieu véritable, près de Dieu. Qu'il apprenne à réaliser avec Dieu une synergie, une ascèse créatrice capable de susciter une authentique culture, de maîtriser la vie en la spiritualisant [...] L'homme a besoin, plus que n'importe qui d'autre, de l'Eglise et de la Liturgie [...] Il a besoin de faire l'expérience de la présence du Christ en lui, et de sortir du sanctuaire porteur du témoignage du Christ [...] il a besoin d'être possédé par un désir constant de transfiguration, en aspirant à un monde renouvelé... "
C'est pourquoi la théologie orthodoxe sera avant tout une théologie de célébration où l'homme devient le prêtre du monde, le grand célébrant de l'existence ; où la pensée s'éclaire dans le mystère puisque, par l'effusion du Saint-Esprit, nous devenons oints du même Esprit qui a ressuscité Jésus. C'est donc pour cette raison que l'ecclésiologie orthodoxe sera une ecclésiologie de communion qui aura pour cœur l'Eucharistie. L'orthodoxie en effet a une vision précise de la relation directe entre l'action sacramentelle et l'Eglise, entre Eucharistie et Eglise. Elle reprend, là la conception patristique qui voit dans l'Eucharistie le sacrement de l'unité de l'Eglise, c'est-à-dire la manière dont se réalise l'Eglise dans l'Eucharistie : à savoir que la communion au sacrement de l'Eucharistie signifie précisément la communion dans l'Eglise une. Cette unité n'est pas morale mais ontologique : l'unité ecclésiale et la plénitude de la foi sont des impératifs, des exigences que l'on n'est pas en droit de mettre entre parenthèses, même provisoirement.
Dès lors, chercher Dieu par-dessus tout, c'est amorcer par l'acte de foi un dialogue liturgique générateur d'unité à l'image du Christ, dans lequel ont convergé une fois pour toutes l'expérience de l'homme par Dieu et celle de Dieu par l'homme. Par essence donc, l'homme est un être liturgique. S'il participe à la vie divine, sa communion se fait à travers une vaste célébration liturgique qui englobe tout le cosmos. Si cette ouverture sur tout ce qui est créé n'existait pas, il n'y aurait pas d'amour possible auquel l'homme prît part concrètement par l'acte liturgique principal, c'est-à-dire la prière, ce centre duquel toute autre action puise sa force et est rendue valide. C'est à cause de cela que le mystère de la personne humaine devient lieu théologique par excellence, en ce sens que créé à l'image de Dieu, il ne peut se comprendre qu'à la lumière du dogme trinitaire.
Le dogme de la Trinité, cœur de la théologie orthodoxe, devient, de ce fait, la clé de l'anthropologie où l'Ecriture, qui ne perd rien de sa dimension de l'histoire, reçoit un sens eucharistique. C'est parce que le fait divin, c'est-à-dire la Parole, fait irruption dans sa propre existence que l'homme devient " être liturgique ". Dès lors, l'Evangile ne se limite pas à définir les rapports qui régissent les liens entre le Sauveur et le monde ; il nous fait pénétrer au centre même d'une autre dimension, une relation de divino-humanité qui est aussi relation filiale entre le Père céleste et son Fils unique, l'Esprit Saint étant pour sa part le souffle qui porte les mots et qui ne se laisse saisir et sentir que conjointement avec le Christ.
La divino-humanité s'ouvre au cœur de l'histoire par l'Incarnation du Verbe. Alors, puisque Dieu est devenu, dans le Christ, visage, l'homme à son tour découvre son propre visage, sa propre vocation que l'on pourrait appeler " déiforme " ; vocation qui s'inscrit inséparablement dans le caractère irréductible de sa personne et dans le dynamisme de son être, de sa nature vraie. Et la nature vraie de l'homme, qu'il est tragiquement libre d'exprimer ou de réprimer, est précisément un dynamisme de célébration, un dynamisme de participation, une transparence à la lumière divine qui la fonde et qui l'aimante. Le Christ Sauveur ayant récapitulé la totalité de l'humanité et de l'univers par le sacrifice de la Croix, l'homme trouve sa dimension du " kath'olon " (catholique) puisque Jésus représente en archétype ce que nous sommes et cette dimension, l'homme la trouve dans l'Eglise, dont la profondeur n'est rien d'autre que cette puissance de résurrection.
L'Eglise en général, nous pouvons la définir comme " cette vie de Dieu dans les hommes " pour reprendre ici l'excellente définition de Khomiakov. Vie qui nous fait connaître Dieu comme communion des trois Personnes : et c'est la raison pour laquelle l'Eglise orthodoxe, Eglise absolue de la Sainte-Trinité, sera ressentie surtout comme communauté eucharistique, agapé - où la vie s'exprime dans une expérience réelle de service et de fraternité, où l'acte de foi et l'acte de glorification se trouvent indissolublement liés, où la spiritualité est normalement celle du martyr qui par son identification au Crucifié éprouve dans une indicible métamorphose la plénitude de la Résurrection.
Ainsi par l'extension de l'Incarnation, où le Christ Dieu-Homme passe au Christ Dieu-Humanité, l'Eglise est devenue un seul Corps, dans lequel les hommes sont membres les uns des autres, bien plus, consubstantiels.
Quant à l'Eucharistie, elle manifeste notre entrée dans cette divino-humanité puisqu'elle nous donne de communier au Christ ressuscité. Elle est donc une entrée dans la Jérusalem céleste. Tel est le " réalisme spirituel " qui découle de la Résurrection : notre être déifié dans le Christ, n'est pas une idéologie mais une réalité, animée par le Souffle de Dieu. " Faire eucharistie de toutes choses " c'est alors porter témoignage au Christ ressuscité, c'est rendre l'Eglise présente au cœur du monde. " L'homme, disait le patriarche Athénagoras, porte en lui un dramatique univers intérieur. Qu'il trouve donc dans l'Eglise son lieu véritable, près de Dieu. Qu'il apprenne à réaliser avec Dieu une synergie, une ascèse créatrice capable de susciter une authentique culture, de maîtriser la vie en la spiritualisant [...] L'homme a besoin, plus que n'importe qui d'autre, de l'Eglise et de la Liturgie [...] Il a besoin de faire l'expérience de la présence du Christ en lui, et de sortir du sanctuaire porteur du témoignage du Christ [...] il a besoin d'être possédé par un désir constant de transfiguration, en aspirant à un monde renouvelé... "
C'est pourquoi la théologie orthodoxe sera avant tout une théologie de célébration où l'homme devient le prêtre du monde, le grand célébrant de l'existence ; où la pensée s'éclaire dans le mystère puisque, par l'effusion du Saint-Esprit, nous devenons oints du même Esprit qui a ressuscité Jésus. C'est donc pour cette raison que l'ecclésiologie orthodoxe sera une ecclésiologie de communion qui aura pour cœur l'Eucharistie. L'orthodoxie en effet a une vision précise de la relation directe entre l'action sacramentelle et l'Eglise, entre Eucharistie et Eglise. Elle reprend, là la conception patristique qui voit dans l'Eucharistie le sacrement de l'unité de l'Eglise, c'est-à-dire la manière dont se réalise l'Eglise dans l'Eucharistie : à savoir que la communion au sacrement de l'Eucharistie signifie précisément la communion dans l'Eglise une. Cette unité n'est pas morale mais ontologique : l'unité ecclésiale et la plénitude de la foi sont des impératifs, des exigences que l'on n'est pas en droit de mettre entre parenthèses, même provisoirement.
L'EUCHARISTIE, SACREMENT DES SACREMENTS
Le texte grec des Actes des Apôtres (2, 47) nous définit de façon très précise la première communauté chrétienne de Jérusalem en affirmant que le " Seigneur ajoutait chaque jour " epi to afto ", ceux qui étaient sauvés ". Or, le sceau de cette communauté était la fraction du Pain et la bénédiction du Vin dans un contexte essentiellement liturgique, charismatique, eucharistique. Aussi nous comprenons que " epi to afto " doit se traduire par " Eucharistie ". Si par ailleurs nous nous référons à l'apôtre Paul (1 Co 10, 17) : " puisqu'il n'y a qu'un pain, à nous tous nous ne formons qu'un Corps, car tous nous avons part à ce Pain unique), nous constatons avec certitude que ce terme de Corps, suggéré par l'expérience eucharistique, manifeste l'Eucharistie ainsi que nous l'avons déjà expliqué plus haut ; un acte avant tout de la communauté ecclésiale, fête de la plénitude et de l'unité de l'Eglise dans l'ordre du signe efficace à cause de la foi qu'elle porte : le Christ tout entier et nous tout entiers, chacun et tous ensemble, corps et âme.
L'Eucharistie est donc le sacrement des sacrements, celui par excellence de l'Assemblée, tout d'abord l'œuvre de l'Eglise et non de groupes isolés. Dès lors, on se posera toujours hors de l'Eglise en se posant hors de la communion eucharistique, puisque l'Eucharistie est la plénitude de vie en Jésus-Christ et dans l'Eglise, à la fois condition et expression de l'Eglise. L'Eucharistie se définit donc comme ce lieu par excellence privilégié où l'homme liturgique déchiffre l'existence tout entière dans la " Lumière de la vie ", là où il s'éveille à cette Présence qui transforme le monde " en buisson ardent ", là enfin " où ce monde à venir " devient l'intérieur de la Parole biblique.
Il est significatif que l'Eglise orthodoxe n'a pas été empêchée de vivre la collégialité et de dispenser la Parole de Vérité, malgré le fait que depuis neuf siècles, elle n'a plus réuni de concile ayant formellement le statut de concile œcuménique. Cela est compréhensible dès lors que l'on redécouvre l'Eucharistie non pas dans une conception individualiste, mais à la fois comme le sacrement où l'Eglise est l'Eglise, où elle se révèle comme sacrement et où toute sa réalité est englobée.
Forte de cette conviction, l'Eglise orthodoxe n'a pas été tentée de voir en un organisme particulier, " la plus haute autorité ", car elle sait que la plus haute autorité, c'est bien l'Eglise dans sa signification totale et dans sa plénitude, profondément unie dans le Christ ressuscité par la puissance et la force du Saint-Esprit, qui change universellement ce qu'il touche.
En accord avec cette doctrine, le prêtre orthodoxe, lorsqu'il célèbre la divine Liturgie, ne s'identifie pas au Christ, il ne prononce pas les paroles " Ceci est mon corps " in persona Christi, mais il s'identifie à l'Eglise et parle in persona ecclesiae et in nomine Christi, de sorte que les paroles du Christ, mémorisées par le prêtre, acquièrent l'efficacité divine par l'invocation du Saint-Esprit dans l'épiclèse. Après quoi, une fois les dons changés, l'Esprit-Saint opère le changement des communiants eux-mêmes : en consommant la chair du Fiancé et son Sang, ils entrent dans la " koinonia " nuptiale et deviennent à leur tour des hommes eucharistiques.
" Notre doctrine, explique saint Irénée de Lyon, est en accord avec l'eucharistie et l'eucharistie la confirme [...] on ne peut aller plus loin ni rien ajouter. " L'Eucharistie constitue donc le cœur de l'Eglise, l'orthodoxie ayant de ce fait une vision précise de la relation directe entre l'action sacramentelle et l'Eglise, entre Eucharistie et Eglise. La déclaration particulière des orthodoxes à l'Assemblée du Conseil oecuménique des Eglises, à Evanston en 1954, stipule que " seule l'unité et le lien des chrétiens dans une foi commune peut conduire, comme à une conséquence nécessaire, à leur communion sacramentelle et à leur unité indissoluble dans l'amour comme membres de l'unique et même Corps de l'unique Eglise du Christ ". L'Eglise devient de la sorte condition de l'Eucharistie et l'Unité dans l'Eglise, condition de la communion eucharistique.
Dans un certain sens, l'Eglise se contrôle en contrôlant son comportement vis-à-vis de l'Eucharistie, puisque l'Eucharistie n'est pas la praxis (l'acte) d'un chacun, mais de toute l'Eglise. Cette Eglise est fondée à la fois sur l'Eucharistie et la Pentecôte, en d'autres termes sur la réciprocité et le mutuel service du Fils et de l'Esprit ; de sorte que " l'effet et le résultat des actes du Christ, ce n'est rien d'autre que la descente du Saint-Esprit sur l'Eglise " (N. Cabasilas). Pour cette raison, dans l'Eglise orthodoxe, la grande initiation des fidèles (baptême-confirmation-eucharistie) et l'ordination des prêtres sont liées par une étroite parenté liturgique car tous sont consacrés par Dieu pour les choses de Dieu et selon Hippolyte de Rome, le baptisé reçoit le baiser de paix (analogue au baiser de l'ordination épiscopale) comme celui qui est digne de son nouvel état : " dignus effectus est. " Le sacrement de l'onction chrismale (confirmation) fait donc de tous les baptisés un peuple sacerdotal en Dieu, duquel quelques-uns sont élus, retirés et établis par l'acte divin : évêques (c'est-à-dire avant tout, témoins apostoliques de l'Eucharistie) et presbytres.
Plutôt que de se lancer dans des discussions sur le " Corps du Christ " ou le " Peuple de Dieu ", l'Eglise orthodoxe préfère insister sur l'homogénéité absolue existant entre les membres de la communauté ecclésiale, où la hiérarchie se trouve intégrée de l'intérieur sans se situer au-dessus de la communauté collégialement rassemblée autour du Christ par la Grâce du Saint-Esprit. A cause de cela, la spiritualité orthodoxe n'est jamais différenciée en " spiritualité des laïcs " d'une part et " spiritualité des évêques, des clercs en général ou des moines ", d'autre part. C'est un don du Saint-Esprit qui souffle où Il veut. Le Corps du Christ est ainsi maintenu sans séparation ; la Grâce de Dieu et la spiritualité de l'Eglise sont homogènes. Personne n'en dispose pour lui seul, d'une façon privilégiée, et personne n'a la faculté de devenir plus spirituel ou plus missionnaire. " Tous les membres de la société divine, qu'ils soient évêques ou catéchumènes, bénéficient de la double fonction d'être illuminés et d'illuminer, d'être purifiés et de purifier, de participer et de rendre les autres participants. Pour cette raison, la diaconie liturgique des évêques n'est possible qu'avec et dans la communauté eucharistique autour de la table du Seigneur, par la puissance du Saint-Esprit qui réside également en tous les membres qui constituent le " Peuple de Dieu ".
L'Eglise orthodoxe connaît ainsi la différence fonctionnelle des ministères (ce qui a pour conséquence de ne pas couper l'unique Corps en deux) et la participation sacerdotale de tous à l'unique prêtre divin, le Christ, au moyen des deux sacerdoces : le sacerdoce universel des fidèles et le sacerdoce d'ordre du clergé. Chacun est établi par Dieu et comporte son propre sacrement et ses propres charismes. Ainsi l'évêque participe au sacerdoce du Christ par sa fonction sacrée. Le Corps du Christ étant Un, en effet, il faut que cette unité soit dégagée. Telle sera la vocation de l'épiscopat : un ministère, un service de l'Unité de l'Ecclesia, puisque l'Eglise est avant tout mystère d'amour à l'image de l'amour conjugal entre le pasteur, image de Dieu le Père (Source de toute unité) et la congrégation.
C'est pourquoi l'évêque, lié de ce fait à la communauté ecclésiale qu'il préside, tiendra son pouvoir sacramentel, doctrinal et pastoral en raison de la place qu'il occupe dans l'assemblée eucharistique. Et de même aussi, tout laïc le fait par son être même car il participe à l'unique sacerdoce du Christ (le seul qui à la fois " offre et est offert ") par son être sanctifié, par sa nature sacerdotale. C'est en vue de cette dignité d'être prêtre dans sa nature même (son être liturgique) que tout baptisé est scellé des dons, oint de l'Esprit Saint dans son essence même et qu'il offre en sacrifice, en " hostie vivante " (Rm 12, 1) la totalité de son être, son témoignage pouvant aller jusqu'au sacrifice de sa vie (Mt 10, 17-42).
Armé ainsi pour le combat par l'Esprit-Saint, le laïc sera donc scellé des dons spirituels dans tout son être, avons-nous déjà dit, c'est-à-dire qu'il est un être entièrement charismatique au service de Dieu en tout acte et en toute parole. De même, par la confirmation, il est appelé à participer aux trois pouvoirs : le gouvernement (e. a. consensus ecclesiae ; " amen " ; épiclèse au pluriel : Nous T'offrons...), l'enseignement (e. a. missions; prédication, catéchèse...) et la sanctification (e. a. staretz...). Les laïcs ne peuvent pas accorder les moyens de grâce (sacrements) ; par contre leur sphère est la vie de grâce, de telle sorte que le sacerdoce universel détient le pouvoir du sacre cosmique, de la liturgie cosmique, puisque dans leur vie les laïcs continuent la liturgie de l'Eglise : par leur présence active, ils introduisent la Vérité des dogmes vécus dans le social et dans les rapports humains et ils délogent ainsi les éléments démoniaques et profanés du monde. C'est pourquoi saint Paul, dans l'épître aux Romains (12) nous exhorte tous sans distinction au culte raisonnable : faire de notre vie une liturgie, une doxologie, une eucharistie.
L'Eucharistie est donc le sacrement des sacrements, celui par excellence de l'Assemblée, tout d'abord l'œuvre de l'Eglise et non de groupes isolés. Dès lors, on se posera toujours hors de l'Eglise en se posant hors de la communion eucharistique, puisque l'Eucharistie est la plénitude de vie en Jésus-Christ et dans l'Eglise, à la fois condition et expression de l'Eglise. L'Eucharistie se définit donc comme ce lieu par excellence privilégié où l'homme liturgique déchiffre l'existence tout entière dans la " Lumière de la vie ", là où il s'éveille à cette Présence qui transforme le monde " en buisson ardent ", là enfin " où ce monde à venir " devient l'intérieur de la Parole biblique.
Il est significatif que l'Eglise orthodoxe n'a pas été empêchée de vivre la collégialité et de dispenser la Parole de Vérité, malgré le fait que depuis neuf siècles, elle n'a plus réuni de concile ayant formellement le statut de concile œcuménique. Cela est compréhensible dès lors que l'on redécouvre l'Eucharistie non pas dans une conception individualiste, mais à la fois comme le sacrement où l'Eglise est l'Eglise, où elle se révèle comme sacrement et où toute sa réalité est englobée.
Forte de cette conviction, l'Eglise orthodoxe n'a pas été tentée de voir en un organisme particulier, " la plus haute autorité ", car elle sait que la plus haute autorité, c'est bien l'Eglise dans sa signification totale et dans sa plénitude, profondément unie dans le Christ ressuscité par la puissance et la force du Saint-Esprit, qui change universellement ce qu'il touche.
En accord avec cette doctrine, le prêtre orthodoxe, lorsqu'il célèbre la divine Liturgie, ne s'identifie pas au Christ, il ne prononce pas les paroles " Ceci est mon corps " in persona Christi, mais il s'identifie à l'Eglise et parle in persona ecclesiae et in nomine Christi, de sorte que les paroles du Christ, mémorisées par le prêtre, acquièrent l'efficacité divine par l'invocation du Saint-Esprit dans l'épiclèse. Après quoi, une fois les dons changés, l'Esprit-Saint opère le changement des communiants eux-mêmes : en consommant la chair du Fiancé et son Sang, ils entrent dans la " koinonia " nuptiale et deviennent à leur tour des hommes eucharistiques.
" Notre doctrine, explique saint Irénée de Lyon, est en accord avec l'eucharistie et l'eucharistie la confirme [...] on ne peut aller plus loin ni rien ajouter. " L'Eucharistie constitue donc le cœur de l'Eglise, l'orthodoxie ayant de ce fait une vision précise de la relation directe entre l'action sacramentelle et l'Eglise, entre Eucharistie et Eglise. La déclaration particulière des orthodoxes à l'Assemblée du Conseil oecuménique des Eglises, à Evanston en 1954, stipule que " seule l'unité et le lien des chrétiens dans une foi commune peut conduire, comme à une conséquence nécessaire, à leur communion sacramentelle et à leur unité indissoluble dans l'amour comme membres de l'unique et même Corps de l'unique Eglise du Christ ". L'Eglise devient de la sorte condition de l'Eucharistie et l'Unité dans l'Eglise, condition de la communion eucharistique.
Dans un certain sens, l'Eglise se contrôle en contrôlant son comportement vis-à-vis de l'Eucharistie, puisque l'Eucharistie n'est pas la praxis (l'acte) d'un chacun, mais de toute l'Eglise. Cette Eglise est fondée à la fois sur l'Eucharistie et la Pentecôte, en d'autres termes sur la réciprocité et le mutuel service du Fils et de l'Esprit ; de sorte que " l'effet et le résultat des actes du Christ, ce n'est rien d'autre que la descente du Saint-Esprit sur l'Eglise " (N. Cabasilas). Pour cette raison, dans l'Eglise orthodoxe, la grande initiation des fidèles (baptême-confirmation-eucharistie) et l'ordination des prêtres sont liées par une étroite parenté liturgique car tous sont consacrés par Dieu pour les choses de Dieu et selon Hippolyte de Rome, le baptisé reçoit le baiser de paix (analogue au baiser de l'ordination épiscopale) comme celui qui est digne de son nouvel état : " dignus effectus est. " Le sacrement de l'onction chrismale (confirmation) fait donc de tous les baptisés un peuple sacerdotal en Dieu, duquel quelques-uns sont élus, retirés et établis par l'acte divin : évêques (c'est-à-dire avant tout, témoins apostoliques de l'Eucharistie) et presbytres.
Plutôt que de se lancer dans des discussions sur le " Corps du Christ " ou le " Peuple de Dieu ", l'Eglise orthodoxe préfère insister sur l'homogénéité absolue existant entre les membres de la communauté ecclésiale, où la hiérarchie se trouve intégrée de l'intérieur sans se situer au-dessus de la communauté collégialement rassemblée autour du Christ par la Grâce du Saint-Esprit. A cause de cela, la spiritualité orthodoxe n'est jamais différenciée en " spiritualité des laïcs " d'une part et " spiritualité des évêques, des clercs en général ou des moines ", d'autre part. C'est un don du Saint-Esprit qui souffle où Il veut. Le Corps du Christ est ainsi maintenu sans séparation ; la Grâce de Dieu et la spiritualité de l'Eglise sont homogènes. Personne n'en dispose pour lui seul, d'une façon privilégiée, et personne n'a la faculté de devenir plus spirituel ou plus missionnaire. " Tous les membres de la société divine, qu'ils soient évêques ou catéchumènes, bénéficient de la double fonction d'être illuminés et d'illuminer, d'être purifiés et de purifier, de participer et de rendre les autres participants. Pour cette raison, la diaconie liturgique des évêques n'est possible qu'avec et dans la communauté eucharistique autour de la table du Seigneur, par la puissance du Saint-Esprit qui réside également en tous les membres qui constituent le " Peuple de Dieu ".
L'Eglise orthodoxe connaît ainsi la différence fonctionnelle des ministères (ce qui a pour conséquence de ne pas couper l'unique Corps en deux) et la participation sacerdotale de tous à l'unique prêtre divin, le Christ, au moyen des deux sacerdoces : le sacerdoce universel des fidèles et le sacerdoce d'ordre du clergé. Chacun est établi par Dieu et comporte son propre sacrement et ses propres charismes. Ainsi l'évêque participe au sacerdoce du Christ par sa fonction sacrée. Le Corps du Christ étant Un, en effet, il faut que cette unité soit dégagée. Telle sera la vocation de l'épiscopat : un ministère, un service de l'Unité de l'Ecclesia, puisque l'Eglise est avant tout mystère d'amour à l'image de l'amour conjugal entre le pasteur, image de Dieu le Père (Source de toute unité) et la congrégation.
C'est pourquoi l'évêque, lié de ce fait à la communauté ecclésiale qu'il préside, tiendra son pouvoir sacramentel, doctrinal et pastoral en raison de la place qu'il occupe dans l'assemblée eucharistique. Et de même aussi, tout laïc le fait par son être même car il participe à l'unique sacerdoce du Christ (le seul qui à la fois " offre et est offert ") par son être sanctifié, par sa nature sacerdotale. C'est en vue de cette dignité d'être prêtre dans sa nature même (son être liturgique) que tout baptisé est scellé des dons, oint de l'Esprit Saint dans son essence même et qu'il offre en sacrifice, en " hostie vivante " (Rm 12, 1) la totalité de son être, son témoignage pouvant aller jusqu'au sacrifice de sa vie (Mt 10, 17-42).
Armé ainsi pour le combat par l'Esprit-Saint, le laïc sera donc scellé des dons spirituels dans tout son être, avons-nous déjà dit, c'est-à-dire qu'il est un être entièrement charismatique au service de Dieu en tout acte et en toute parole. De même, par la confirmation, il est appelé à participer aux trois pouvoirs : le gouvernement (e. a. consensus ecclesiae ; " amen " ; épiclèse au pluriel : Nous T'offrons...), l'enseignement (e. a. missions; prédication, catéchèse...) et la sanctification (e. a. staretz...). Les laïcs ne peuvent pas accorder les moyens de grâce (sacrements) ; par contre leur sphère est la vie de grâce, de telle sorte que le sacerdoce universel détient le pouvoir du sacre cosmique, de la liturgie cosmique, puisque dans leur vie les laïcs continuent la liturgie de l'Eglise : par leur présence active, ils introduisent la Vérité des dogmes vécus dans le social et dans les rapports humains et ils délogent ainsi les éléments démoniaques et profanés du monde. C'est pourquoi saint Paul, dans l'épître aux Romains (12) nous exhorte tous sans distinction au culte raisonnable : faire de notre vie une liturgie, une doxologie, une eucharistie.
L'EGLISE LITURGIQUE
Cette présence du mystère du Christ dans la communion du Saint-Esprit, les orthodoxes l'expérimentent dans leur liturgie eucharistique, qui reste pour eux une invitation permanente à la " création dans la fidélité " grâce à cette communion à l'Esprit Créateur qui nous permet de découvrir l'Image radieuse du Père, c'est-à-dire, dans son Eglise, le Fils incarné.
L'expérience eucharistique, le mystère redoutable, est une communion bien réelle, physique et spirituelle à la fois qui embrasse tout l'être mais n'a rien de magique, d'extérieur ou de mécanique. Au contraire, on peut dire que les deux éléments fondamentaux et essentiels de l'expérience de l'Eglise chrétienne (c'est-à-dire la commémoration de la Passion et la gloire débordante du Ressuscité) s'unissent dans l'Eucharistie. Le culte devient ainsi le lieu privilégié non seulement de la foi, mais de tout l'épanouissement de l'homme ; c'est parce que le culte reste eschatologique que l'homme se découvre d'autant plus libre qu'il connaît le contenu de la liberté qui est la Vérité.
Chez l'homme liturgique, l'option de la foi s'articule immédiatement à sa réalité propre. L'Eglise orthodoxe, forgeant l'homme de prière, a historiquement donné au monde le meilleur d'elle-même, car c'est là qu'elle s'est exprimée librement, dans le génie de l'Esprit-Saint.
L'Eglise orthodoxe est et restera toujours une Eglise par excellence liturgique; une doxologie qui traduit une vision eucharistique permanente du monde, l'univers tout entier étant compris , comme une liturgie. Dans cette doxologie, l'Ecriture constamment présente (et qui, redisons-le encore une fois, ne perd rien de sa dimension historique) reçoit un sens eucharistique. Le langage chrétien est donc essentiellement un langage biblique. . Il exprime une démarche authentique et totale de foi constante,,, éveillée, éclairée et nourrie.
A travers cette démarche exprimée dans ce langage, il y a un véritable transfert d'énergie déificatrice en l'homme, qui lui procure une conscience adulte et prophétique. Ainsi, c'est bien l'Ecriture sainte célébrée dans la liturgie de l'Eucharistie qui assure la continuité de l'Eglise.
(In " une saison en orthodoxie " Ed Cerf Paris 1992 p :235-244)
L'expérience eucharistique, le mystère redoutable, est une communion bien réelle, physique et spirituelle à la fois qui embrasse tout l'être mais n'a rien de magique, d'extérieur ou de mécanique. Au contraire, on peut dire que les deux éléments fondamentaux et essentiels de l'expérience de l'Eglise chrétienne (c'est-à-dire la commémoration de la Passion et la gloire débordante du Ressuscité) s'unissent dans l'Eucharistie. Le culte devient ainsi le lieu privilégié non seulement de la foi, mais de tout l'épanouissement de l'homme ; c'est parce que le culte reste eschatologique que l'homme se découvre d'autant plus libre qu'il connaît le contenu de la liberté qui est la Vérité.
Chez l'homme liturgique, l'option de la foi s'articule immédiatement à sa réalité propre. L'Eglise orthodoxe, forgeant l'homme de prière, a historiquement donné au monde le meilleur d'elle-même, car c'est là qu'elle s'est exprimée librement, dans le génie de l'Esprit-Saint.
L'Eglise orthodoxe est et restera toujours une Eglise par excellence liturgique; une doxologie qui traduit une vision eucharistique permanente du monde, l'univers tout entier étant compris , comme une liturgie. Dans cette doxologie, l'Ecriture constamment présente (et qui, redisons-le encore une fois, ne perd rien de sa dimension historique) reçoit un sens eucharistique. Le langage chrétien est donc essentiellement un langage biblique. . Il exprime une démarche authentique et totale de foi constante,,, éveillée, éclairée et nourrie.
A travers cette démarche exprimée dans ce langage, il y a un véritable transfert d'énergie déificatrice en l'homme, qui lui procure une conscience adulte et prophétique. Ainsi, c'est bien l'Ecriture sainte célébrée dans la liturgie de l'Eucharistie qui assure la continuité de l'Eglise.
(In " une saison en orthodoxie " Ed Cerf Paris 1992 p :235-244)
Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»
POINTS DE VUE ORTHODOXES SUR L'UNITE DES CHRETIENS
Le modèle patristique de l'unité
Le modèle patristique de l'unité
En 1949, alors que le Congrès d'Amsterdam venait de donner naissance au Conseil œcuménique des Eglises, le P. Georges Florovsky caractérisait ainsi la position du théologien orthodoxe parmi ses collègues professant une foi différente : " Le théologien orthodoxe peut et doit représenter moins l'" Orient " contemporain que l'antiquité œcuménique elle-même. L'antiquité est importante, il va de soi, plus par son caractère intégral, synthétique, que par son ancienneté. L'Orthodoxie exprime dans l'économie de l'œcuménisme le moment patristique " (Georges FLOROVSKY, " Une vue sur l'Assemblée d'Amsterdam ", dans Irénikon, 22 (1949), pp. 10- 11.).
Il faut assurément appliquer à des situations inédites et à des besoins nouveaux cette vision intégrale et synthétique que les premières générations chrétiennes avaient du mystère de l'Eglise, mais c'est néanmoins en se fondant sur elle et en s'efforçant de n'en rien altérer que l'Eglise trouvera aujourd'hui les voies d'une fidélité vivante.
Dans les perspectives de l'Eglise ancienne, le mystère du salut apparaît fondamentalement comme une œuvre de
réunification. Un texte d'inspiration basilienne dira : " En cela se résume toute l'économie du Sauveur : rassembler la nature humaine en elle-même et avec lui, et faire cesser sa division pernicieuse pour restaurer l'union primitive " (Pseudo Basile, Constitutions monastiques, 18 ; PG 31, 1385 A). Accomplie une fois pour toutes par la mort et la résurrection du Seigneur, cette œuvre du salut atteindra effectivement chaque personne humaine, à travers le temps et l'espace, par la célébration eucharistique. Puisque chaque chrétien, mort au péché et ressuscité avec le Christ pour une vie nouvelle dans le baptême, est mystiquement identifié au Corps glorieux du Christ par l'énergie de l'Esprit-Saint dont il est pénétré lorsqu'il a participé au Corps eucharistique, on doit en conclure que tous les chrétiens deviennent, par cette participation, " concorporels " [(ayant ou : formant) un même corps L'expression vient de Eph. 3, 6, et a été souvent reprise par les Pères depuis saint Athanase. La doctrine des Pères grecs sur l'Eglise-Corps du Christ semble correspondre assez exactement à celle de saint Paul, telle que l'interprète l'exégèse récente : c'est le corps réel personnel glorifié du Christ "qui est le centre et l'origine de l'unité du monde chrétien ; c'est parce que l'union mystique nous identifie tous à ce même corps que nous pouvons être un entre nous " (L. CERFAUX, La théologie de l'Eglise suivant saint Paul, Paris, 1965, p. 236)]. Le " charbon ardent " du Corps divin, lorsqu'il touche l'homme, l'arrache à ses limitations individuelles, et, paradoxalement, le fait accéder à la plénitude de la vie personnelle en l'amenant à renoncer à l'exaltation de son individualité, dans une communion fraternelle qui est à l'image de la Trinité sainte.
Ce fondement eucharistique de l'ecclésiologie a été admirablement exposé par saint Cyrille d'Alexandrie (+444) dans ce passage de son Commentaire sur l'Evangile de Jean : " Pour que nous tendions vers l'unité avec Dieu et entre nous, et que nous soyons mêlés ensemble, bien que nous formions tous des individus distincts quant aux âmes et aux corps, le Fils unique a disposé un moyen qu'il découvrit par sa propre sagesse et par le conseil du Père. En effet, en sanctifiant les croyants en soi dans un seul Corps, le sien, par la communion mystique, il les a rendus concorporels avec lui et entre eux. Qui en effet séparera et écartera de cette union physique ceux qui sont attachés au Christ jusqu'à être un avec lui par ce saint Corps unique? Car si tous, nous participons à un pain unique, nous formons un Corps unique. Le Christ en effet ne peut pas être divisé. C'est pourquoi l'Eglise est elle aussi appelée le Corps du Christ, et nous ses membres, selon la pensée de Paul (cf. 1Cor. 12, 27)... L'Esprit est un et indivisé, lui qui rassemble par lui-même les esprits de chacun, malgré leur distinction selon l'existence individuelle, et il les fait apparaître tous comme ne formant qu'un seul être en lui-même... Aussi Paul déclare-t-il : " Supportez-vous les uns les autres avec charité, appliquez-vous à conserver l'unité que donne l'Esprit par ce lien qu'est la paix. Il n'y a qu'un Corps et qu'un Esprit, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, agit par tous et est en tous (Ephès. 4, 2-6) " (Saint CYRILLE D'ALEXANDRIE. In Joan., 11, 11 : PG 74, 560 A - 561 B).
Dans cette perspective, l'Eglise, c'est d'abord l'Eglise locale, c'est-à-dire le groupe de chrétiens qui se rassemblent en un même lieu autour de leur évêque légitime pour célébrer l'Eucharistie. Chaque Eglise locale n'est pas une partie de l'Eglise universelle ; chacune réalise la totalité du mystère de l'Eglise et s'identifie avec l'Eglise universelle, qu'elle rend présente dans sa plénitude en un point donné de l'espace, dès lors qu'elle reste intégralement fidèle dans sa foi au dépôt transmis par les apôtres (Cette conception de l'Eglise a été remise en valeur en particulier par le P. N. Afanasieff ; mais selon celui-ci, toute Eglise locale qui célèbre l'Eucharistie est de ce fait identique à l'Eglise universelle et peut être en communion sacramentelle avec les autres Eglises locales, même si des divergences dogmatiques les séparent ; cf. N. AFANASIEFF, " Una Sancta ", dans Irénikon, 36 (1963), p. 473. Ceci ne semble pas conforme aux données de l'histoire, et d'autres théologiens orthodoxes ont rectifié la thèse d'Afanasieff en précisant qu'une Eglise locale n'est vraiment l'Eglise de Dieu et ne peut être en communion avec les autres Eglises que si elle professe une foi exactement conforme à la leur. Cf. Métropolite MAXIME DE SARDES, Le Patriarcat œcuménique dans l'Eglise Orthodoxe, Paris 1975, pp. 27-51).
Ceci explique que les notions d'" intercommunion " et d'" hospitalité eucharistique " aient été inconnues de l'Eglise ancienne, qui n'aurait pu leur donner aucun sens. Elle ne connaissait que la communion, ou son refus. Dans la pensée des chrétiens de cette époque, si un membre d'une Eglise locale participait à l'Eucharistie d'une autre Eglise locale, par exemple à l'occasion d'un voyage, il attestait par là qu'il reconnaissait cette Eglise comme identique à la sienne et à l'Eglise universelle.
Des divergences d'opinion, d'usages et de traditions pouvaient bien exister entre ces Eglises, sur des points où un accord général ne s'était pas manifesté et que l'on considérait comme secondaires : elles n'avaient plus aucune importance, et ne faisaient que " confirmer l'accord de la foi " selon l'expression de saint Irénée de Lyon (Saint IRÉNÉE DE LYON, dans EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. V, 24,13 ; SC 41, p. 70). Aucune déficience grave ne peut affecter objectivement une Eglise par ailleurs pleinement fidèle à la Tradition apostolique.
C'est en se référant à un point de ce genre - qu'il estimait personnellement important, mais étranger à la foi elle-même (la non-validité du baptême des hérétiques) - que saint Cyprien de Carthage (+ 258) déclarait : " Ne jugeons personne ou n'écartons personne du droit à la communion pour divergence de sentiment" (saint CYPRIEN DE CARTHAGE, Sent. Episcop. cité dans Saint AUGUSTIN, De Baptismo,VI, 7, 10 ; coll. Bibl. August., 29, pp. 416-418).
Certes, il a existé, à chaque époque de l'histoire de l'Eglise, des groupes rigoristes qui ont rompu la communion avec les autres Eglises pour des questions secondaires. Mais, comme le montre l'historien Socrate (+ vers 440), à propos du schisme novatien, de tels hommes se mettent ordinairement aussitôt à se diviser entre eux et à former sans fin de nouveaux conventicules, manifestant bien que l'esprit de parti l'a emporté chez eux sur l'amour de l'unité de l'Eglise (SOCRATE, Hist. Eccl, 5, 22 ; PG 67, 645).
On voit combien il importait, quand des divergences apparaissaient entre Eglises, d'en peser exactement la nature. S'agissait-il de questions de minime importance ou de traditions différentes, mais authentiques ? Le maintien ou le rétablissement de la communion s'imposait, sans qu'aucune des deux parties puisse prétendre contraindre l'autre à se singer à son sentiment sous menace de rupture de communion. S'agissait-il par contre de questions touchant à la substance de la foi et de la tradition apostolique ? Alors, tant que les divergences subsistaient, la séparation demeurait la plus douloureuse, mais aussi la plus impérieuse des exigences non seulement de la vérité, mais aussi de l'amour véritable de Dieu et du prochain. Et pour les Pères, le contenu de la foi était indivisible : il n'aurait pu être question d'y distinguer des " articles fondamentaux ", " kérygmatiques ", et des articles de moindre importance : " De même que, dans les monnaies royales, si vous en altérez quelque peu l'empreinte, vous faussez la pièce tout entière, de même, celui qui laisse entamer sa foi dans la plus petite partie l'ébranle tout entière, et il ira toujours en déclinant. Où sont ceux qui nous accusent d'aimer les querelles à cause de nos discussions avec les hérétiques ? Où sont ceux qui n'admettent aucune différence réelle entre eux et nous et prétendent que tout est une question d'ambition personnelle ? Qu'ils écoutent Paul proclamant que l'Evangile est bouleversé par une innovation, même petite (cf. Gal. 1, 7) " (Saint JEAN CHRYSOSTOME, Sur l'Epître aux Galates, 1, 6).
Selon cette conception, qui demeure celle de l'Eglise orthodoxe, l'Eglise universelle est donc constituée par l'ensemble des Eglises locales en communion entre elles. Elle est, nous disent les Pères, l'unique arche de salut donnée aux hommes par Dieu pour leur permettre d'échapper à la condamnation ; unique épouse du Christ, elle est la mère spirituelle qui seule peut les enfanter par le baptême à la vie nouvelle, en faire des fils adoptifs de Dieu ; Corps du Christ, elle est le seul lieu où les hommes soient véritablement unis à Dieu et entre eux par l'action sanctifiante de l'Esprit.
Est-ce à dire qu'aucun homme ne peut être sauvé et sanctifié en dehors d'une appartenance formelle à l'Eglise visible ? Certaines allusions montrent que les Pères reconnaissent que le Saint-Esprit est libre de ses dons et peut les communiquer sans passer par les voies normales du salut, là où il trouve des cœurs bien disposés : " Beaucoup de ceux qui nous sont extérieurs nous appartiennent, eux dont les mœurs devancent la foi et à qui ne manque que le nom, alors qu'ils possèdent la réalité elle-même ", déclare saint Grégoire le Théologien (+ 390)(Saint Grégoire le théologien, Or 18, 6 ; PG 35, 992 BC.), qui n'hésite pas à ranger parmi eux son propre père ; et de sa sœur, il dit : " Toute sa vie était purification et perfection... J'ose le dire, le baptême ne lui apporta pas la grâce, mais la consécration " (Id, Or. 8, 20 ; PG 35, 812 C). Mais de cette appartenance invisible à l'Eglise qui, elle, est visible, les Pères n'ont pas fait la théorie, faute d'indications explicites dans les sources de la Révélation.
La communion entre les Eglises locales est manifestée, sur le plan sacramentel, par la consécration collégiale des évêques, et, lorsqu'il s'agit de résoudre des problèmes de foi et de discipline, par les conciles d'évêques. Ces conciles peuvent être régionaux ou universels. Un concile authentique est une assemblée où les évêques, fidèles à l'Esprit Saint, proclament avec autorité la vraie foi de l'Eglise, le seul signe de cette authenticité étant, du point de vue orthodoxe, la réception subséquente de ce concile par l'ensemble de l'Eglise (Sur la conception orthodoxe de l'autorité dans l'Eglise, cf. Mgr Kallistos WARE, " L'exercice de l'autorité dans l'Eglise Orthodoxe ", in Irénikon, 54 (1981),pp.451-471 et 55 (1982), pp.25-34).
À l'échelon régional ou au niveau de l'Eglise universelle également, certains sièges épiscopaux ont été investis d'une primauté, au cours de l'histoire de l'Eglise. Cette structuration de l'Eglise est une réalité trop universelle dans le temps et l'espace pour qu'elle puisse être considérée comme accidentelle et d'ordre purement humain. On doit y reconnaître un effet de la conduite du Saint Esprit sur l'Eglise, et donc un élément de la Tradition. Mais l'idée de primauté, telle qu'elle a été reçue dans l'ensemble de l'Eglise, n'a jamais impliqué qu'une primauté entre égaux, ses titulaires ne pouvant exercer d'autorité en dehors de leur propre diocèse que dans la mesure où elle leur a été accordée par les autres évêques, et toujours dans une inter dépendance réciproque. Assez tôt, les papes de Rome ont revendiqué une juridiction de droit divin d'une qualité ecclésiologique toute particulière sur l'Eglise universelle, mais celle-ci ne leur a été reconnue progressivement que dans la sphère assez limitée où s'exerçait leur autorité directe, - le patriarcat romain. Or, jusqu'à la rupture du 11ème siècle celui-ci avait en face de lui quatre autres patriarcats, où l'on avait une conception différente des choses.
Il faut assurément appliquer à des situations inédites et à des besoins nouveaux cette vision intégrale et synthétique que les premières générations chrétiennes avaient du mystère de l'Eglise, mais c'est néanmoins en se fondant sur elle et en s'efforçant de n'en rien altérer que l'Eglise trouvera aujourd'hui les voies d'une fidélité vivante.
Dans les perspectives de l'Eglise ancienne, le mystère du salut apparaît fondamentalement comme une œuvre de
réunification. Un texte d'inspiration basilienne dira : " En cela se résume toute l'économie du Sauveur : rassembler la nature humaine en elle-même et avec lui, et faire cesser sa division pernicieuse pour restaurer l'union primitive " (Pseudo Basile, Constitutions monastiques, 18 ; PG 31, 1385 A). Accomplie une fois pour toutes par la mort et la résurrection du Seigneur, cette œuvre du salut atteindra effectivement chaque personne humaine, à travers le temps et l'espace, par la célébration eucharistique. Puisque chaque chrétien, mort au péché et ressuscité avec le Christ pour une vie nouvelle dans le baptême, est mystiquement identifié au Corps glorieux du Christ par l'énergie de l'Esprit-Saint dont il est pénétré lorsqu'il a participé au Corps eucharistique, on doit en conclure que tous les chrétiens deviennent, par cette participation, " concorporels " [(ayant ou : formant) un même corps L'expression vient de Eph. 3, 6, et a été souvent reprise par les Pères depuis saint Athanase. La doctrine des Pères grecs sur l'Eglise-Corps du Christ semble correspondre assez exactement à celle de saint Paul, telle que l'interprète l'exégèse récente : c'est le corps réel personnel glorifié du Christ "qui est le centre et l'origine de l'unité du monde chrétien ; c'est parce que l'union mystique nous identifie tous à ce même corps que nous pouvons être un entre nous " (L. CERFAUX, La théologie de l'Eglise suivant saint Paul, Paris, 1965, p. 236)]. Le " charbon ardent " du Corps divin, lorsqu'il touche l'homme, l'arrache à ses limitations individuelles, et, paradoxalement, le fait accéder à la plénitude de la vie personnelle en l'amenant à renoncer à l'exaltation de son individualité, dans une communion fraternelle qui est à l'image de la Trinité sainte.
Ce fondement eucharistique de l'ecclésiologie a été admirablement exposé par saint Cyrille d'Alexandrie (+444) dans ce passage de son Commentaire sur l'Evangile de Jean : " Pour que nous tendions vers l'unité avec Dieu et entre nous, et que nous soyons mêlés ensemble, bien que nous formions tous des individus distincts quant aux âmes et aux corps, le Fils unique a disposé un moyen qu'il découvrit par sa propre sagesse et par le conseil du Père. En effet, en sanctifiant les croyants en soi dans un seul Corps, le sien, par la communion mystique, il les a rendus concorporels avec lui et entre eux. Qui en effet séparera et écartera de cette union physique ceux qui sont attachés au Christ jusqu'à être un avec lui par ce saint Corps unique? Car si tous, nous participons à un pain unique, nous formons un Corps unique. Le Christ en effet ne peut pas être divisé. C'est pourquoi l'Eglise est elle aussi appelée le Corps du Christ, et nous ses membres, selon la pensée de Paul (cf. 1Cor. 12, 27)... L'Esprit est un et indivisé, lui qui rassemble par lui-même les esprits de chacun, malgré leur distinction selon l'existence individuelle, et il les fait apparaître tous comme ne formant qu'un seul être en lui-même... Aussi Paul déclare-t-il : " Supportez-vous les uns les autres avec charité, appliquez-vous à conserver l'unité que donne l'Esprit par ce lien qu'est la paix. Il n'y a qu'un Corps et qu'un Esprit, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, agit par tous et est en tous (Ephès. 4, 2-6) " (Saint CYRILLE D'ALEXANDRIE. In Joan., 11, 11 : PG 74, 560 A - 561 B).
Dans cette perspective, l'Eglise, c'est d'abord l'Eglise locale, c'est-à-dire le groupe de chrétiens qui se rassemblent en un même lieu autour de leur évêque légitime pour célébrer l'Eucharistie. Chaque Eglise locale n'est pas une partie de l'Eglise universelle ; chacune réalise la totalité du mystère de l'Eglise et s'identifie avec l'Eglise universelle, qu'elle rend présente dans sa plénitude en un point donné de l'espace, dès lors qu'elle reste intégralement fidèle dans sa foi au dépôt transmis par les apôtres (Cette conception de l'Eglise a été remise en valeur en particulier par le P. N. Afanasieff ; mais selon celui-ci, toute Eglise locale qui célèbre l'Eucharistie est de ce fait identique à l'Eglise universelle et peut être en communion sacramentelle avec les autres Eglises locales, même si des divergences dogmatiques les séparent ; cf. N. AFANASIEFF, " Una Sancta ", dans Irénikon, 36 (1963), p. 473. Ceci ne semble pas conforme aux données de l'histoire, et d'autres théologiens orthodoxes ont rectifié la thèse d'Afanasieff en précisant qu'une Eglise locale n'est vraiment l'Eglise de Dieu et ne peut être en communion avec les autres Eglises que si elle professe une foi exactement conforme à la leur. Cf. Métropolite MAXIME DE SARDES, Le Patriarcat œcuménique dans l'Eglise Orthodoxe, Paris 1975, pp. 27-51).
Ceci explique que les notions d'" intercommunion " et d'" hospitalité eucharistique " aient été inconnues de l'Eglise ancienne, qui n'aurait pu leur donner aucun sens. Elle ne connaissait que la communion, ou son refus. Dans la pensée des chrétiens de cette époque, si un membre d'une Eglise locale participait à l'Eucharistie d'une autre Eglise locale, par exemple à l'occasion d'un voyage, il attestait par là qu'il reconnaissait cette Eglise comme identique à la sienne et à l'Eglise universelle.
Des divergences d'opinion, d'usages et de traditions pouvaient bien exister entre ces Eglises, sur des points où un accord général ne s'était pas manifesté et que l'on considérait comme secondaires : elles n'avaient plus aucune importance, et ne faisaient que " confirmer l'accord de la foi " selon l'expression de saint Irénée de Lyon (Saint IRÉNÉE DE LYON, dans EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. V, 24,13 ; SC 41, p. 70). Aucune déficience grave ne peut affecter objectivement une Eglise par ailleurs pleinement fidèle à la Tradition apostolique.
C'est en se référant à un point de ce genre - qu'il estimait personnellement important, mais étranger à la foi elle-même (la non-validité du baptême des hérétiques) - que saint Cyprien de Carthage (+ 258) déclarait : " Ne jugeons personne ou n'écartons personne du droit à la communion pour divergence de sentiment" (saint CYPRIEN DE CARTHAGE, Sent. Episcop. cité dans Saint AUGUSTIN, De Baptismo,VI, 7, 10 ; coll. Bibl. August., 29, pp. 416-418).
Certes, il a existé, à chaque époque de l'histoire de l'Eglise, des groupes rigoristes qui ont rompu la communion avec les autres Eglises pour des questions secondaires. Mais, comme le montre l'historien Socrate (+ vers 440), à propos du schisme novatien, de tels hommes se mettent ordinairement aussitôt à se diviser entre eux et à former sans fin de nouveaux conventicules, manifestant bien que l'esprit de parti l'a emporté chez eux sur l'amour de l'unité de l'Eglise (SOCRATE, Hist. Eccl, 5, 22 ; PG 67, 645).
On voit combien il importait, quand des divergences apparaissaient entre Eglises, d'en peser exactement la nature. S'agissait-il de questions de minime importance ou de traditions différentes, mais authentiques ? Le maintien ou le rétablissement de la communion s'imposait, sans qu'aucune des deux parties puisse prétendre contraindre l'autre à se singer à son sentiment sous menace de rupture de communion. S'agissait-il par contre de questions touchant à la substance de la foi et de la tradition apostolique ? Alors, tant que les divergences subsistaient, la séparation demeurait la plus douloureuse, mais aussi la plus impérieuse des exigences non seulement de la vérité, mais aussi de l'amour véritable de Dieu et du prochain. Et pour les Pères, le contenu de la foi était indivisible : il n'aurait pu être question d'y distinguer des " articles fondamentaux ", " kérygmatiques ", et des articles de moindre importance : " De même que, dans les monnaies royales, si vous en altérez quelque peu l'empreinte, vous faussez la pièce tout entière, de même, celui qui laisse entamer sa foi dans la plus petite partie l'ébranle tout entière, et il ira toujours en déclinant. Où sont ceux qui nous accusent d'aimer les querelles à cause de nos discussions avec les hérétiques ? Où sont ceux qui n'admettent aucune différence réelle entre eux et nous et prétendent que tout est une question d'ambition personnelle ? Qu'ils écoutent Paul proclamant que l'Evangile est bouleversé par une innovation, même petite (cf. Gal. 1, 7) " (Saint JEAN CHRYSOSTOME, Sur l'Epître aux Galates, 1, 6).
Selon cette conception, qui demeure celle de l'Eglise orthodoxe, l'Eglise universelle est donc constituée par l'ensemble des Eglises locales en communion entre elles. Elle est, nous disent les Pères, l'unique arche de salut donnée aux hommes par Dieu pour leur permettre d'échapper à la condamnation ; unique épouse du Christ, elle est la mère spirituelle qui seule peut les enfanter par le baptême à la vie nouvelle, en faire des fils adoptifs de Dieu ; Corps du Christ, elle est le seul lieu où les hommes soient véritablement unis à Dieu et entre eux par l'action sanctifiante de l'Esprit.
Est-ce à dire qu'aucun homme ne peut être sauvé et sanctifié en dehors d'une appartenance formelle à l'Eglise visible ? Certaines allusions montrent que les Pères reconnaissent que le Saint-Esprit est libre de ses dons et peut les communiquer sans passer par les voies normales du salut, là où il trouve des cœurs bien disposés : " Beaucoup de ceux qui nous sont extérieurs nous appartiennent, eux dont les mœurs devancent la foi et à qui ne manque que le nom, alors qu'ils possèdent la réalité elle-même ", déclare saint Grégoire le Théologien (+ 390)(Saint Grégoire le théologien, Or 18, 6 ; PG 35, 992 BC.), qui n'hésite pas à ranger parmi eux son propre père ; et de sa sœur, il dit : " Toute sa vie était purification et perfection... J'ose le dire, le baptême ne lui apporta pas la grâce, mais la consécration " (Id, Or. 8, 20 ; PG 35, 812 C). Mais de cette appartenance invisible à l'Eglise qui, elle, est visible, les Pères n'ont pas fait la théorie, faute d'indications explicites dans les sources de la Révélation.
La communion entre les Eglises locales est manifestée, sur le plan sacramentel, par la consécration collégiale des évêques, et, lorsqu'il s'agit de résoudre des problèmes de foi et de discipline, par les conciles d'évêques. Ces conciles peuvent être régionaux ou universels. Un concile authentique est une assemblée où les évêques, fidèles à l'Esprit Saint, proclament avec autorité la vraie foi de l'Eglise, le seul signe de cette authenticité étant, du point de vue orthodoxe, la réception subséquente de ce concile par l'ensemble de l'Eglise (Sur la conception orthodoxe de l'autorité dans l'Eglise, cf. Mgr Kallistos WARE, " L'exercice de l'autorité dans l'Eglise Orthodoxe ", in Irénikon, 54 (1981),pp.451-471 et 55 (1982), pp.25-34).
À l'échelon régional ou au niveau de l'Eglise universelle également, certains sièges épiscopaux ont été investis d'une primauté, au cours de l'histoire de l'Eglise. Cette structuration de l'Eglise est une réalité trop universelle dans le temps et l'espace pour qu'elle puisse être considérée comme accidentelle et d'ordre purement humain. On doit y reconnaître un effet de la conduite du Saint Esprit sur l'Eglise, et donc un élément de la Tradition. Mais l'idée de primauté, telle qu'elle a été reçue dans l'ensemble de l'Eglise, n'a jamais impliqué qu'une primauté entre égaux, ses titulaires ne pouvant exercer d'autorité en dehors de leur propre diocèse que dans la mesure où elle leur a été accordée par les autres évêques, et toujours dans une inter dépendance réciproque. Assez tôt, les papes de Rome ont revendiqué une juridiction de droit divin d'une qualité ecclésiologique toute particulière sur l'Eglise universelle, mais celle-ci ne leur a été reconnue progressivement que dans la sphère assez limitée où s'exerçait leur autorité directe, - le patriarcat romain. Or, jusqu'à la rupture du 11ème siècle celui-ci avait en face de lui quatre autres patriarcats, où l'on avait une conception différente des choses.
L'Eglise orthodoxe et le mouvement œcuménique
L'ecclésiologie orthodoxe est demeurée pour l'essentiel, malgré des distorsions dues aux circonstances historiques et aux péchés des hommes, celle de l'Eglise ancienne, avec laquelle l'Eglise orthodoxe d'aujourd'hui se sent en parfaite continuité, sans rupture aucune. Elle a conscience d'être purement et simplement, l'Eglise de Dieu. Elle ne peut considérer les autres confessions chrétiennes que comme des membres détachés de l'unité ecclésiale, pleinement conservée en elle. Sa tradition a pour contenu normatif ce que tous les chrétiens, avant l'époque des séparations, ont considéré ensemble comme faisant partie du dépôt apostolique, qu'il s'agisse de la foi elle-même ou de la vie ecclésiale. Du point de vue orthodoxe, l'unité entre tous les groupes chrétiens séparés ne peut se réaliser que par le retour à la Tradition commune et universelle de l'Eglise : ce qui a été reçu comme dogme de foi ou vécu comme institutions communes " partout, toujours et par tous " durant le millénaire qui précéda les séparations, sans rien y ajouter ni rien en retrancher (Cf. saint Vincent de Lérins, Commonitorium, 2 : " Dans l'Eglise catholique, il faut veiller avec le plus grand soin à tenir pour vrai ce qui a été cru partout, toujours et par tous. ". Adhérant à la plénitude de la Tradition, chacune de ces communautés se trouverait ipso facto dans l'unité de l'Eglise universelle.
Selon cette ecclésiologie patristique et orthodoxe, l'unité visible de l'Eglise est donc donnée par Dieu, et demeurera identique à elle-même jusqu'à la Parousie. Si l'on excepte les milieux œcuméniques catholiques, l'ecclésiologie d'origine protestante qui domine dans le mouvement œcuménique est d'une inspiration fort différente. Sa conviction fondamentale est que l'unité visible de l'Eglise n'est pas donnée, mais à espérer et à construire par la docilité de tous à l'action de l'Esprit Saint. Aucune Eglise empirique ne peut s'identifier à l'Eglise de Dieu. Celle-ci possède une unité réelle, mais invisible, à travers les divisions actuelles. Le but du mouvement œcuménique est de la manifester progressivement par une unité visible, qui comportera une foi commune dans les vérités jugées fondamentales, une intercommunion sacramentelle et une reconnaissance des ministères, les différences institutionnelles et dogmatiques pouvant demeurer considérables entre les diverses Eglises.
Il est évident qu'une telle conception ne peut apparaître, aux yeux des orthodoxes, que comme une pan-hérésie, et il ne saurait être question pour eux d'y faire de quelconques concessions. Le Conseil Œcuménique des Eglises ayant eu pour artisans des hommes qui, malgré leur bonne volonté, ne pouvaient faire abstraction des présupposés doctrinaux qui étaient les leurs, il était inévitable que les délégués orthodoxes s'y soient sentis le plus souvent en porte-à-faux. Leur situation s'était trouvée un peu clarifiée après la session du Comité central du C.O.E. à Toronto en 1950 ; il y avait été précisé en effet que " le fait d'appartenir au Conseil n'implique pas que chaque Eglise doive considérer les autres comme des Eglises dans le vrai et plein sens du terme ". Mais la structure du C.O.E. contraint inévitablement les Eglises orthodoxes à y figurer comme des " confessions " ou des " dénominations " parmi les autres. Ce n'est qu'en affirmant très nettement la conception qu'elles ont de leur identité et leurs convictions, qu'elles peuvent éviter de rester dans l'équivoque et d'induire leurs partenaires en erreur.
Dès la fondation du C.O.E., le théologien Georges Florovsky, dans un texte déjà cité plus haut, justifiait cependant la présence d'orthodoxes au C.O.E., en définissant la seule signification acceptable de leur participation : " Je considère pareille participation non seulement comme permise et possible pour les orthodoxes, mais encore comme un devoir direct découlant de l'essence même de la conscience orthodoxe et de l'obligation qui incombe à la véritable Eglise de témoigner sans relâche partout dans les synagogues, devant les rois et les princes. Comment croira-t-on, à moins d'avoir entendu ? Et comment entendra-t-on sans prédication? Cette sentence apostolique est bien à sa place ici. Je vois la participation orthodoxe au Mouvement œcuménique dans la ligne de l'action missionnaire. L'Eglise orthodoxe est spécialement appelée à une part dans l'échange œcuménique d'idées précisément parce qu'elle se sait la gardienne de la foi apostolique de la Tradition dans leur intégrité et leur plénitude, et être dans ce sens la véritable Eglise, parce qu'elle a conscience de posséder le trésor de la grâce divine par la continuité du ministère et la succession apostolique ; parce qu'enfin elle prétend ainsi à une place extraordinaire dans la chrétienté divisée. L'Orthodoxie est la vérité universelle, la vérité pour le monde entier, pour tous les temps et tous les peuples. Voilà les raisons pour lesquelles l'Eglise orthodoxe est appelée et obligée de témoigner de la vérité du Christ toujours et partout, devant le monde entier " (Georges FLOROVSKY, op. cit, pp. 9- 10).
En 1976, le Saint Synode de l'Eglise Orthodoxe en Amérique publiait une très remarquable lettre encyclique sur l'unité des chrétiens et l'œcuménisme (texte français dans " Le Messager Orthodoxe ", n° 78 (1978), pp. 36-55 ; un excellent commentaire en a été donné par Dom Emmanuel LANNE dans Irénikon, 46 (1973), pp. 319-335). Elle a pour objet de "formuler à nouveau la position qui a toujours été celle de l'Eglise Orthodoxe, position que malheureusement même quelques-uns de nos frères orthodoxes ont ignorée ou oubliée ". Le synode déclare : " Très chers et bien aimés frères et sœurs, il est de notre devoir comme évêques de l'Eglise et gardiens de la foi apostolique, de confesser que l'Eglise orthodoxe est l'unique Eglise du Christ... Cette conception fondamentale de l'Eglise orthodoxe... a toujours servi de base à la participation orthodoxe dans le mouvement œcuménique. " l'encyclique met ensuite en garde contre trois dangers qui menacent le mouvement œcuménique et sont générateurs de crise : le relativisme, qui rejette l'idée même de l'unicité de l'Eglise et de la valeur absolue de sa Tradition ; le sécularisme, selon lequel l'unité à réaliser consisterait dans la construction d'un monde meilleur par l'action politique, sociale et économique ; les faux procédés en matière d'union. Sur ce sujet, le texte dit : " Nous rejetons catégoriquement l'usage de la communion eucharistique et de l'intercommunion sacramentelle envisagée comme un moyen pour achever l'unité chrétienne. Selon la foi orthodoxe, les sacrements et la vie liturgique de l'Eglise, plus spécifiquement la sainte Eucharistie, ne peuvent être séparés de l'être même de l'Eglise, que leur existence a pour but de manifester. Les sacrements ne sont pas des symboles de dévotion psychologique. Ils sont des manifestations de l'essence de l'Eglise comme royaume de Dieu sur terre. En dehors de l'unité de foi dans l'Eglise unique du Christ qui est indivisible, il ne peut y avoir de communion sacramentelle ni de concélébration liturgique. " Et il ajoute : " Une célébration liturgique officielle qui implique la participation active de membres du clergé et de laïcs de différentes confessions est contraire aux canons de l'Eglise orthodoxe. De telles célébrations liturgiques sont seulement susceptibles d'être génératrices de confusion, sources de scandales, et d'aider à projeter une fausse impression de la foi chrétienne et de la nature de l'unité que Dieu a données aux hommes dans son Eglise. Suivant la foi orthodoxe, une telle célébration liturgique est aussi une fausse présentation des hommes devant l'autel céleste de Dieu. "
A l'occasion du 25ème anniversaire du C.O.E., le Patriarcat Œcuménique et le Patriarcat de Moscou adressaient au Comité central du Conseil des messages où ils le mettaient également en garde contre l'horizontalisme et le sécularisme qui le menacent (texte dans Doc. Cath., 55 (1973), pp. 819-825 ; commentaire dans Irénikon, 46 (1973), pp. 475-482).
Il est évidemment difficile d'apprécier l'influence que le témoignage orthodoxe a pu déjà exercer au sein du C.O.E. Un texte comme le document de Lima (1982) sur le Baptême, l'Eucharistie et le Ministère témoigne d'une prise de conscience nouvelle de données importantes de la tradition apostolique ; la participation orthodoxe n'y est probablement pas étrangère. Certains développements qui figurent dans ce texte sont d'un grand intérêt, et s'il venait à faire l'objet d'une réception assez générale parmi les confessions auxquelles il s'adresse, cela marquerait un immense progrès. Pourtant, il faut reconnaître que l'Eglise orthodoxe ne peut reconnaître dans un tel document qu'une expression partielle et limitée de la Tradition de l'Eglise telle qu'elle la vit elle-même, et il lui serait impossible d'accepter sans s'écarter de cette Tradition certaines recommandations qui accompagnent le texte.
D'autre part, la nécessité de témoigner de la Tradition de l'Eglise devrait inciter les orthodoxes à y être eux-mêmes plus intégralement fidèles. Même si l'essentiel reste sauf, la Tradition authentique est chez eux occultée ou déformée sur bien des points. Que l'on songe, pour ne citer qu'un exemple, aux dommages que les attitudes nationalistes ou l'esprit de chapelle ont causés dans la Diaspora. Mais ces distorsions sont souvent la conséquence de situations de fait et de circonstances historiques (par exemple la révolution russe, ou les siècles d'occupation turque en Grèce et dans les Balkans), et il faut beaucoup de prudence et de patience pour y porter remède. On doit avoir, avant toute autre chose, le souci de préserver l'unité orthodoxe, et ne pas renouveler des initiatives comme la malencontreuse réforme du calendrier : toute réforme, tout changement, même théoriquement justifié, qui ne pourrait pas être reçu d'une façon quasi unanime par le peuple orthodoxe, ne serait pas inspiré par l'Esprit de Dieu. Le Patriarcat Œcuménique est actuellement très sensible à cet aspect des choses.
L'ecclésiologie orthodoxe est demeurée pour l'essentiel, malgré des distorsions dues aux circonstances historiques et aux péchés des hommes, celle de l'Eglise ancienne, avec laquelle l'Eglise orthodoxe d'aujourd'hui se sent en parfaite continuité, sans rupture aucune. Elle a conscience d'être purement et simplement, l'Eglise de Dieu. Elle ne peut considérer les autres confessions chrétiennes que comme des membres détachés de l'unité ecclésiale, pleinement conservée en elle. Sa tradition a pour contenu normatif ce que tous les chrétiens, avant l'époque des séparations, ont considéré ensemble comme faisant partie du dépôt apostolique, qu'il s'agisse de la foi elle-même ou de la vie ecclésiale. Du point de vue orthodoxe, l'unité entre tous les groupes chrétiens séparés ne peut se réaliser que par le retour à la Tradition commune et universelle de l'Eglise : ce qui a été reçu comme dogme de foi ou vécu comme institutions communes " partout, toujours et par tous " durant le millénaire qui précéda les séparations, sans rien y ajouter ni rien en retrancher (Cf. saint Vincent de Lérins, Commonitorium, 2 : " Dans l'Eglise catholique, il faut veiller avec le plus grand soin à tenir pour vrai ce qui a été cru partout, toujours et par tous. ". Adhérant à la plénitude de la Tradition, chacune de ces communautés se trouverait ipso facto dans l'unité de l'Eglise universelle.
Selon cette ecclésiologie patristique et orthodoxe, l'unité visible de l'Eglise est donc donnée par Dieu, et demeurera identique à elle-même jusqu'à la Parousie. Si l'on excepte les milieux œcuméniques catholiques, l'ecclésiologie d'origine protestante qui domine dans le mouvement œcuménique est d'une inspiration fort différente. Sa conviction fondamentale est que l'unité visible de l'Eglise n'est pas donnée, mais à espérer et à construire par la docilité de tous à l'action de l'Esprit Saint. Aucune Eglise empirique ne peut s'identifier à l'Eglise de Dieu. Celle-ci possède une unité réelle, mais invisible, à travers les divisions actuelles. Le but du mouvement œcuménique est de la manifester progressivement par une unité visible, qui comportera une foi commune dans les vérités jugées fondamentales, une intercommunion sacramentelle et une reconnaissance des ministères, les différences institutionnelles et dogmatiques pouvant demeurer considérables entre les diverses Eglises.
Il est évident qu'une telle conception ne peut apparaître, aux yeux des orthodoxes, que comme une pan-hérésie, et il ne saurait être question pour eux d'y faire de quelconques concessions. Le Conseil Œcuménique des Eglises ayant eu pour artisans des hommes qui, malgré leur bonne volonté, ne pouvaient faire abstraction des présupposés doctrinaux qui étaient les leurs, il était inévitable que les délégués orthodoxes s'y soient sentis le plus souvent en porte-à-faux. Leur situation s'était trouvée un peu clarifiée après la session du Comité central du C.O.E. à Toronto en 1950 ; il y avait été précisé en effet que " le fait d'appartenir au Conseil n'implique pas que chaque Eglise doive considérer les autres comme des Eglises dans le vrai et plein sens du terme ". Mais la structure du C.O.E. contraint inévitablement les Eglises orthodoxes à y figurer comme des " confessions " ou des " dénominations " parmi les autres. Ce n'est qu'en affirmant très nettement la conception qu'elles ont de leur identité et leurs convictions, qu'elles peuvent éviter de rester dans l'équivoque et d'induire leurs partenaires en erreur.
Dès la fondation du C.O.E., le théologien Georges Florovsky, dans un texte déjà cité plus haut, justifiait cependant la présence d'orthodoxes au C.O.E., en définissant la seule signification acceptable de leur participation : " Je considère pareille participation non seulement comme permise et possible pour les orthodoxes, mais encore comme un devoir direct découlant de l'essence même de la conscience orthodoxe et de l'obligation qui incombe à la véritable Eglise de témoigner sans relâche partout dans les synagogues, devant les rois et les princes. Comment croira-t-on, à moins d'avoir entendu ? Et comment entendra-t-on sans prédication? Cette sentence apostolique est bien à sa place ici. Je vois la participation orthodoxe au Mouvement œcuménique dans la ligne de l'action missionnaire. L'Eglise orthodoxe est spécialement appelée à une part dans l'échange œcuménique d'idées précisément parce qu'elle se sait la gardienne de la foi apostolique de la Tradition dans leur intégrité et leur plénitude, et être dans ce sens la véritable Eglise, parce qu'elle a conscience de posséder le trésor de la grâce divine par la continuité du ministère et la succession apostolique ; parce qu'enfin elle prétend ainsi à une place extraordinaire dans la chrétienté divisée. L'Orthodoxie est la vérité universelle, la vérité pour le monde entier, pour tous les temps et tous les peuples. Voilà les raisons pour lesquelles l'Eglise orthodoxe est appelée et obligée de témoigner de la vérité du Christ toujours et partout, devant le monde entier " (Georges FLOROVSKY, op. cit, pp. 9- 10).
En 1976, le Saint Synode de l'Eglise Orthodoxe en Amérique publiait une très remarquable lettre encyclique sur l'unité des chrétiens et l'œcuménisme (texte français dans " Le Messager Orthodoxe ", n° 78 (1978), pp. 36-55 ; un excellent commentaire en a été donné par Dom Emmanuel LANNE dans Irénikon, 46 (1973), pp. 319-335). Elle a pour objet de "formuler à nouveau la position qui a toujours été celle de l'Eglise Orthodoxe, position que malheureusement même quelques-uns de nos frères orthodoxes ont ignorée ou oubliée ". Le synode déclare : " Très chers et bien aimés frères et sœurs, il est de notre devoir comme évêques de l'Eglise et gardiens de la foi apostolique, de confesser que l'Eglise orthodoxe est l'unique Eglise du Christ... Cette conception fondamentale de l'Eglise orthodoxe... a toujours servi de base à la participation orthodoxe dans le mouvement œcuménique. " l'encyclique met ensuite en garde contre trois dangers qui menacent le mouvement œcuménique et sont générateurs de crise : le relativisme, qui rejette l'idée même de l'unicité de l'Eglise et de la valeur absolue de sa Tradition ; le sécularisme, selon lequel l'unité à réaliser consisterait dans la construction d'un monde meilleur par l'action politique, sociale et économique ; les faux procédés en matière d'union. Sur ce sujet, le texte dit : " Nous rejetons catégoriquement l'usage de la communion eucharistique et de l'intercommunion sacramentelle envisagée comme un moyen pour achever l'unité chrétienne. Selon la foi orthodoxe, les sacrements et la vie liturgique de l'Eglise, plus spécifiquement la sainte Eucharistie, ne peuvent être séparés de l'être même de l'Eglise, que leur existence a pour but de manifester. Les sacrements ne sont pas des symboles de dévotion psychologique. Ils sont des manifestations de l'essence de l'Eglise comme royaume de Dieu sur terre. En dehors de l'unité de foi dans l'Eglise unique du Christ qui est indivisible, il ne peut y avoir de communion sacramentelle ni de concélébration liturgique. " Et il ajoute : " Une célébration liturgique officielle qui implique la participation active de membres du clergé et de laïcs de différentes confessions est contraire aux canons de l'Eglise orthodoxe. De telles célébrations liturgiques sont seulement susceptibles d'être génératrices de confusion, sources de scandales, et d'aider à projeter une fausse impression de la foi chrétienne et de la nature de l'unité que Dieu a données aux hommes dans son Eglise. Suivant la foi orthodoxe, une telle célébration liturgique est aussi une fausse présentation des hommes devant l'autel céleste de Dieu. "
A l'occasion du 25ème anniversaire du C.O.E., le Patriarcat Œcuménique et le Patriarcat de Moscou adressaient au Comité central du Conseil des messages où ils le mettaient également en garde contre l'horizontalisme et le sécularisme qui le menacent (texte dans Doc. Cath., 55 (1973), pp. 819-825 ; commentaire dans Irénikon, 46 (1973), pp. 475-482).
Il est évidemment difficile d'apprécier l'influence que le témoignage orthodoxe a pu déjà exercer au sein du C.O.E. Un texte comme le document de Lima (1982) sur le Baptême, l'Eucharistie et le Ministère témoigne d'une prise de conscience nouvelle de données importantes de la tradition apostolique ; la participation orthodoxe n'y est probablement pas étrangère. Certains développements qui figurent dans ce texte sont d'un grand intérêt, et s'il venait à faire l'objet d'une réception assez générale parmi les confessions auxquelles il s'adresse, cela marquerait un immense progrès. Pourtant, il faut reconnaître que l'Eglise orthodoxe ne peut reconnaître dans un tel document qu'une expression partielle et limitée de la Tradition de l'Eglise telle qu'elle la vit elle-même, et il lui serait impossible d'accepter sans s'écarter de cette Tradition certaines recommandations qui accompagnent le texte.
D'autre part, la nécessité de témoigner de la Tradition de l'Eglise devrait inciter les orthodoxes à y être eux-mêmes plus intégralement fidèles. Même si l'essentiel reste sauf, la Tradition authentique est chez eux occultée ou déformée sur bien des points. Que l'on songe, pour ne citer qu'un exemple, aux dommages que les attitudes nationalistes ou l'esprit de chapelle ont causés dans la Diaspora. Mais ces distorsions sont souvent la conséquence de situations de fait et de circonstances historiques (par exemple la révolution russe, ou les siècles d'occupation turque en Grèce et dans les Balkans), et il faut beaucoup de prudence et de patience pour y porter remède. On doit avoir, avant toute autre chose, le souci de préserver l'unité orthodoxe, et ne pas renouveler des initiatives comme la malencontreuse réforme du calendrier : toute réforme, tout changement, même théoriquement justifié, qui ne pourrait pas être reçu d'une façon quasi unanime par le peuple orthodoxe, ne serait pas inspiré par l'Esprit de Dieu. Le Patriarcat Œcuménique est actuellement très sensible à cet aspect des choses.
Le dialogue avec l'Eglise catholique romaine
Le dialogue que l'Eglise orthodoxe entretient avec l'Eglise catholique romaine a un caractère très différent de celui qu'elle peut avoir avec les confessions issues de la Réforme. En effet, elles professent l'une et l'autre que l'Eglise du Christ est unique, et que cette unité est visible et déjà réalisée. Sur la plus grande partie du dogme chrétien, leurs affirmations convergent, même si elles les présentent sous un éclairage différent, qui tient pour une part à l'influence diffuse, sur l'ensemble de la doctrine, des points sur lesquels elles divergent. Cet accord des deux Eglises, que le dialogue bilatéral qu'elles ont entrepris veut souligner d'abord, devrait avoir un poids immense au sein du mouvement œcuménique. Elles représentent actuellement, du point de vue numérique, la majorité des chrétiens dans le monde, et surtout, elles témoignent ainsi de ce que fut la foi unanime des chrétiens avant les séparations. Malheureusement, la force de ce témoignage est en grande partie occultée par une mauvaise répartition au sein du C.O.E. (dont l'Eglise catholique romaine n'est pas membre, pour des motifs très compréhensibles).
Mais ces deux Eglises ne sont plus en communion depuis plus de neuf cents ans, et chacune a, pour sa part, conscience d'être l'unique Eglise de Dieu.
Le rapprochement commencé avec les rencontres du Pape Paul VI et du Patriarche Athénagoras en 1967, et qui, depuis 1979, a pris la forme d'un dialogue théologique, a pour objet de surmonter cette contradiction et de permettre le rétablissement de la communion sacramentelle entre les deux Eglises, en les amenant progressivement à se reconnaître pleinement comme Eglises-sœurs, c'est-à-dire comme deux ensembles d'Eglises locales ayant leurs traditions propres, mais formant ensemble l'unique Eglise de Dieu.
Ce projet œcuménique a été ainsi formulé par le Cardinal Willebrands : " Nos Eglises, ayant reçu la même foi, ont développé par des voies et des manières différentes ce patrimoine chrétien, et " l'héritage transmis par les apôtres a été reçu par des manières diverses et, depuis les origines mêmes de l'Eglise, il a été expliqué de façon différente, selon la diversité du génie et les conditions d'existence " (cf. Décret Unitatis Redintegratio de Vatican Il). Ces évolutions différentes se rencontrent dans tous les domaines de la vie de l'Eglise, la tradition liturgique et spirituelle, la discipline, la manière d'exprimer, de présenter et d'organiser la réflexion sur les mystères de la foi... C'est dans ces perspectives que doit se situer notre travail en vue de la communion parfaite dans la foi, dans le respect de la pluralité et de la diversité nécessaires pour exprimer la richesse infinie de Dieu et de ses dons " (Cardinal WILLEBRANDS, " Allocution prononcée à Patmos le 29 mai 1980 ", dans Doc. Cath., 62 (1980), p. 705).
L'application de ce programme se heurte cependant à des difficultés concrètes qui ne sont pas négligeables. Le Patriarche Dimitrios n'a pas hésité à évoquer de " sérieux problèmes théologiques qui concernent des chapitres essentiels de la foi chrétienne " (Patriarche DIMITRIOS 1er "Allocution du 30 novembre 1979", dans S. 0. P. n° 43 (décembre 1979), Supplément Documentation : " La rencontre de Jean-Paul II et de Dimitrios 1er ", p. 23) et s'opposent encore au rétablissement de la pleine communion entre les deux Eglises. Quelles sont ces difficultés, et par quelles voies espère-t-on les surmonter ?
Les difficultés principales se situent au niveau de l'ecclésiologie et de la doctrine trinitaire. Sur ces deux points majeurs, l'Eglise latine a connu des développements doctrinaux que les autres Eglises n'ont jamais acceptés, et qu'elles considèrent comme des altérations de la Tradition apostolique.
L'ecclésiologie romaine considère la primauté du pape de Rome comme le principe dernier de l'unité visible de l'Eglise. S'exprimant librement devant un auditoire de cardinaux, Paul VI n'hésitait pas à dire, dans son discours au Consistoire du 24 mai 1976 : " Etre hors de la communion avec le successeur de Pierre, c'est se mettre hors de l'Eglise ". Cette conception est le fruit d'une évolution qui s'est dessinée à Rome au moins dès le 4ème siècle mais qui, on l'a dit plus haut, n'a jamais fait l'objet d'une réception véritable dans les Eglises non-latines. Cette évolution de l'ecclésiologie romaine a certainement contribué dans une large mesure à rendre étrangères les unes aux autres l'Eglise latine, d'une part, et les autres Eglises, d'autre part. Ainsi s'est créé le climat qui rendait inéluctable la rupture du 11ème siècle.
Au 19ème siècle, le Concile Vatican I a scellé ce développement doctrinal en définissant comme dogme de foi la primauté de juridiction de droit divin du pape sur l'Eglise universelle, et son infaillibilité personnelle en matière de définitions dogmatiques. L'Eglise orthodoxe reconnaîtrait sans difficulté au pape de Rome, l'union une fois rétablie, la fonction de " premier entre les égaux " (primus inter pares) qui était universellement admise dans l'Eglise ancienne. Mais elle rejette le dogme de Vatican I, qui a une tout autre signification. Le Patriarche Dimitrios, peu après son élection, devait déclarer : " En qualité de Patriarche œcuménique, nous désirons souligner qu'à l'avenir toutes les rencontres pancatholiques et panorthodoxes, tous les dialogues et toutes les consultations se tiendront sur les bases fondamentales suivantes
1) La plus haute autorité de l'Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique réside dans le Concile Œcuménique de l'Eglise tout entière.
2) Personne parmi nous, les évêques de l'Eglise catholique, n'a reçu d'autorité, de privilège ou de droit accordé canoniquement, sur quelque juridiction ecclésiastique que ce soit, sans l'intime volonté et le consentement canonique de l'autre " (texte dans Irénikon, 47 (1974), p. 70).
La doctrine catholique romaine sur la Sainte-Trinité est dans une large mesure tributaire de l'enseignement de saint Augustin (+ 430) qui, durant des siècles, devait être l'autorité patristique principale dans l'Eglise latine. Or Augustin, penseur de génie, s'était montré assez novateur en ce domaine, au point qu'on a pu écrire que " l'historien du dogme qui, venant des écrits des Pères du 4ème siècle, débouche sur l'œuvre d'Augustin " constate que " la ligne de rupture dans le développement synthétique de la doctrine trinitaire ne se trouve pas entre Augustin et nous, mais entre lui et ses prédécesseurs immédiats" (E. HENDRIKX, " Introduction à saint Augustin ", dans Œuvres de saint Augustin : La Trinité, 1, Paris, 1955, p. 22). Plus réticente que l'Eglise catholique romaine à l'égard de l'idée de développement dogmatique, l'Eglise orthodoxe n'en rejette cependant pas la possibilité. Mais le critère de l'authenticité d'un développement de ce genre ne peut être que sa réception par l'Eglise universelle ; jamais l'opinion d'un docteur particulier ou la tradition d'une Eglise particulière ne peut acquérir une telle autorité. Or, ici encore, nous sommes en présence d'une évolution propre à l'Occident latin qui aboutira, au 11ème siècle, à l'introduction à Rome du " Filioque " dans le symbole de Nicée-Constantinople, et, un peu plus tard, aux conciles médiévaux qui définiront que le Saint Esprit procède du Père et du Fils comme d'un seul principe, accompagnant cette définition de l'anathème suivant (qui n'a jamais été levé) : " La Sainte Eglise romaine condamne, réprouve et anathématise quiconque a un sentiment opposé ou contraire, et elle le déclare étranger au Corps du Christ, qui est l'Eglise" (Concile de Florence, Denz.-Schönm, 1331-1332).
Comme la primauté romaine, le " Filioque " est susceptible d'une interprétation orthodoxe, comme en témoigne saint Maxime le Confesseur (+ 666). C'est ce qui a permis - à la faveur d'une certaine équivoque - le maintien de la communion pendant plusieurs siècles, malgré la généralisation de cette doctrine dans l'Eglise latine. Mais ce n'est pas selon cette interprétation que le " Filioque " a été défini comme dogme de foi par l'Eglise romaine : au contraire, les conciles médiévaux le formulent sans équivoque dans un sens qui a toujours été jugé inacceptable par les représentants de l'Eglise orthodoxe. Comme le Patriarche Photius, les Patriarches de Constantinople, d'Antioche et de Jérusalem, dans leur Encyclique collective de 1848, qualifient cette doctrine d'" hérésie " ; et, très récemment, le Patriarche Dimitrios 1er dans son Encyclique du 12 mars 1981, déclarait que le " Filioque " est " tout à fait inacceptable et doit être rejeté " (Dans SOP, n° 59 (juin-juillet 1981), p. 15).
On mesure toute la difficulté : sur au moins deux points importants de doctrine, l'Eglise orthodoxe rejette purement et simplement, comme contraires à la Tradition, des doctrines que l'Eglise catholique romaine a définies solennellement comme appartenant au dépôt de la foi.
Est-il possible de sortir de la contradiction ? Une première tentative, faite par certains oecuménistes catholiques, consisterait à ne plus tenir les conciles occidentaux postérieurs à la séparation pour de vrais conciles œcuméniques, et à ne considérer leurs décisions, même dogmatiques, que comme des traditions propres à l'Eglise latine et n'ayant pas de caractère obligatoire pour les autres Eglises. La communion plénière pourrait ainsi être rétablie sans que les Orthodoxes soient obligés d'admettre le dogme de Vatican I, le " Filioque " et les autres traditions proprement latines. Assurément, dans une telle hypothèse, l'union serait grandement facilitée pour les Orthodoxes. Mais cette proposition
vient d'être vigoureusement repoussée par le cardinal Joseph Ratzinger, qui la juge inacceptable du point de vue catholique. Elle impliquerait en effet que l'Eglise romaine renonce à sa conviction d'avoir été, depuis le 11ème siècle, l'Eglise universelle, et reconnaisse pratiquement avoir erré en proclamant vérité de foi ce qui n'était en réalité qu'une tradition particulière : " Ce qui se présentait comme vérité devrait être qualifié de simple coutume. La noble prétention à la vérité serait disqualifiée comme un abus" (Cf. Irénikon, 56 (1983), p. 236).
Selon le P Congar, il ne serait pas nécessaire, en fait, que l'une des parties cesse de considérer comme dogme ce que sa tradition a considéré comme tel ; " dans le climat et sous la grâce d'aujourd'hui ", il semblerait qu'" il est possible de reconnaître l'équivalence réelle et l'homogénéité de visée, donc de sens et d'affirmation, bref, l'homonia, sous des démarches et expressions différentes " (Y CONGAR, "Autonomie et pouvoir central dans l'Eglise ", dans Irénikon, 53 (1980) p.311) - et, en réalité, contradictoires. Mais il est peu probable que ce pluralisme dogmatique, qui relativise dangereusement les affirmations de la foi et que l'on s'étonne un peu de trouver chez un théologien de formation thomiste, puisse être accepté par les deux Eglises.
Une autre voie est suggérée par un texte élaboré dans le cadre du dialogue entre catholiques et protestants, mais qui pourrait trouver une application privilégiée dans le dialogue entre catholiques et orthodoxes. Ce document se fonde sur la théorie du développement dogmatique particulièrement en faveur dans l'Eglise catholique : " Les Eglises pour lesquelles le contenu de la foi s'exprime dans une formulation plus ample n'ont pas à considérer a priori les autres Eglises, moins explicites dans leurs traditions doctrinales, comme trahissant de plein gré ou par quelque calcul pervers l'intégralité de l'héritage chrétien. Elles doivent faire confiance à l'implicite et au vécu qu'il permet. Et à leur tour, évidemment, les Eglises sobres dans leur énoncé doctrinal et leur vie sacramentelle ont à se garder de considérer a priori les autres Eglises, plus abondantes en formules de foi et en rites, comme polluant la pureté de la foi par des surajouts adventices ou parasitaires. Elles doivent non nier, mais laisser la question ouverte... Une fois réconciliées, elles croîtront ensemble vers la plénitude de la vérité " (" Vers une profession de foi commune ", Rapport du groupe mixte de travail catholiques-protestants. Texte rédigé par J.M.R. Tillard et présenté par Pierre Duprey et Lukas Vischer, dans Doc. Cath. 62 (1980), p. 657). On pourrait ainsi soutenir qu'en ne confessant ni le " Filioque ", ni la primauté de droit divin et l'infaillibilité du pape, l'Eglise orthodoxe ne contredit pas les dogmes romains, mais se situe seulement à un stade moins avancé de développement doctrinal. Le cardinal Ratzinger semble favorable à une solution de ce genre : " Pour l'intercommunion avec les Orthodoxes, l'Eglise catholique ne doit pas insister nécessairement sur l'acceptation des dogmes du second millénaire. On présumerait que les Eglises orientales sont demeurées dans la forme de la Tradition du premier millénaire qui, en elle-même, est légitime et, si elle est bien comprise, ne contient pas de contradiction avec les développements ultérieurs. Ces derniers n'ont fait qu'expliciter ce qui était déjà là en principe au temps de l'Eglise indivise. J'ai moi-même pris part à ces tentatives de réflexion " (Cardinal RATZINGER, dans Irénikon, 56 (1983), p. 235).
C'est sans doute du côté orthodoxe qu'un tel projet rencontrerait de fortes oppositions. En effet, entrer en communion sacramentelle avec une Eglise qui confesse tel ou tel dogme, n'est-ce pas, en fait, les accepter soi-même, bien qu'une profession explicite n'en soit pas exigée ? Et les Eglises orthodoxes accepteraient-elles d'être traitées en Eglises doctrinalement sous-développées ?
Bornons-nous à ces exemples. L'œuvre du rapprochement devra surmonter, on le devine, de redoutables difficultés qui n'apparaissaient peut-être pas à première vue. Mais il est utile de clarifier les situations et de percevoir nettement les problèmes, pourvu qu'on le fasse dans un esprit de charité, sans passion et en dehors de toute polémique, animé seulement de l'amour de la vérité et de l'unité. Devant les difficultés de la tâche, le danger serait de s'évader vers des rêves séduisants ou des solutions de facilité qui les escamotent ; plus dangereuse encore est la tentation de s'y dérober en relativisant la valeur des formules de la foi et l'institution ecclésiale elle-même. Ce sont des biens infiniment précieux : nous ne pouvons connaître Dieu qu'à travers les mots transfigurés, portés par la Tradition, qui nous communiquent ce que le Fils de Dieu a bien voulu nous révéler des secrets du Père, et, de par sa volonté, nous ne pouvons rejoindre le Christ que par l'Eglise et dans l'Eglise qui est son Corps.
Enfin, pour citer une dernière fois le cardinal Willebrands, " ce ne sont en premier lieu ni les conférences au sommet, ni les commissions, qui font progresser la cause œcuménique, mais le développement de ce que le décret sur l'œcuménisme a appelé l'âme de tout œcuménisme, c'est-à-dire la conversion du cœur, la sainteté de vie, unies aux prières publiques et privées pour l'unité des chrétiens " (Cardinal WILLEBRANDS, Allocution du 20 janvier 1975, dans Doc. Cath,, 57 (1975), p. 268). Aucun "pessimisme" n'est de mise en ce qui concerne cette unité, mais il faut être bien conscient de ce qu'elle ne pourra être, avant tout, que l'œuvre de la grâce divine, à qui rien n'est impossible.
Le dialogue que l'Eglise orthodoxe entretient avec l'Eglise catholique romaine a un caractère très différent de celui qu'elle peut avoir avec les confessions issues de la Réforme. En effet, elles professent l'une et l'autre que l'Eglise du Christ est unique, et que cette unité est visible et déjà réalisée. Sur la plus grande partie du dogme chrétien, leurs affirmations convergent, même si elles les présentent sous un éclairage différent, qui tient pour une part à l'influence diffuse, sur l'ensemble de la doctrine, des points sur lesquels elles divergent. Cet accord des deux Eglises, que le dialogue bilatéral qu'elles ont entrepris veut souligner d'abord, devrait avoir un poids immense au sein du mouvement œcuménique. Elles représentent actuellement, du point de vue numérique, la majorité des chrétiens dans le monde, et surtout, elles témoignent ainsi de ce que fut la foi unanime des chrétiens avant les séparations. Malheureusement, la force de ce témoignage est en grande partie occultée par une mauvaise répartition au sein du C.O.E. (dont l'Eglise catholique romaine n'est pas membre, pour des motifs très compréhensibles).
Mais ces deux Eglises ne sont plus en communion depuis plus de neuf cents ans, et chacune a, pour sa part, conscience d'être l'unique Eglise de Dieu.
Le rapprochement commencé avec les rencontres du Pape Paul VI et du Patriarche Athénagoras en 1967, et qui, depuis 1979, a pris la forme d'un dialogue théologique, a pour objet de surmonter cette contradiction et de permettre le rétablissement de la communion sacramentelle entre les deux Eglises, en les amenant progressivement à se reconnaître pleinement comme Eglises-sœurs, c'est-à-dire comme deux ensembles d'Eglises locales ayant leurs traditions propres, mais formant ensemble l'unique Eglise de Dieu.
Ce projet œcuménique a été ainsi formulé par le Cardinal Willebrands : " Nos Eglises, ayant reçu la même foi, ont développé par des voies et des manières différentes ce patrimoine chrétien, et " l'héritage transmis par les apôtres a été reçu par des manières diverses et, depuis les origines mêmes de l'Eglise, il a été expliqué de façon différente, selon la diversité du génie et les conditions d'existence " (cf. Décret Unitatis Redintegratio de Vatican Il). Ces évolutions différentes se rencontrent dans tous les domaines de la vie de l'Eglise, la tradition liturgique et spirituelle, la discipline, la manière d'exprimer, de présenter et d'organiser la réflexion sur les mystères de la foi... C'est dans ces perspectives que doit se situer notre travail en vue de la communion parfaite dans la foi, dans le respect de la pluralité et de la diversité nécessaires pour exprimer la richesse infinie de Dieu et de ses dons " (Cardinal WILLEBRANDS, " Allocution prononcée à Patmos le 29 mai 1980 ", dans Doc. Cath., 62 (1980), p. 705).
L'application de ce programme se heurte cependant à des difficultés concrètes qui ne sont pas négligeables. Le Patriarche Dimitrios n'a pas hésité à évoquer de " sérieux problèmes théologiques qui concernent des chapitres essentiels de la foi chrétienne " (Patriarche DIMITRIOS 1er "Allocution du 30 novembre 1979", dans S. 0. P. n° 43 (décembre 1979), Supplément Documentation : " La rencontre de Jean-Paul II et de Dimitrios 1er ", p. 23) et s'opposent encore au rétablissement de la pleine communion entre les deux Eglises. Quelles sont ces difficultés, et par quelles voies espère-t-on les surmonter ?
Les difficultés principales se situent au niveau de l'ecclésiologie et de la doctrine trinitaire. Sur ces deux points majeurs, l'Eglise latine a connu des développements doctrinaux que les autres Eglises n'ont jamais acceptés, et qu'elles considèrent comme des altérations de la Tradition apostolique.
L'ecclésiologie romaine considère la primauté du pape de Rome comme le principe dernier de l'unité visible de l'Eglise. S'exprimant librement devant un auditoire de cardinaux, Paul VI n'hésitait pas à dire, dans son discours au Consistoire du 24 mai 1976 : " Etre hors de la communion avec le successeur de Pierre, c'est se mettre hors de l'Eglise ". Cette conception est le fruit d'une évolution qui s'est dessinée à Rome au moins dès le 4ème siècle mais qui, on l'a dit plus haut, n'a jamais fait l'objet d'une réception véritable dans les Eglises non-latines. Cette évolution de l'ecclésiologie romaine a certainement contribué dans une large mesure à rendre étrangères les unes aux autres l'Eglise latine, d'une part, et les autres Eglises, d'autre part. Ainsi s'est créé le climat qui rendait inéluctable la rupture du 11ème siècle.
Au 19ème siècle, le Concile Vatican I a scellé ce développement doctrinal en définissant comme dogme de foi la primauté de juridiction de droit divin du pape sur l'Eglise universelle, et son infaillibilité personnelle en matière de définitions dogmatiques. L'Eglise orthodoxe reconnaîtrait sans difficulté au pape de Rome, l'union une fois rétablie, la fonction de " premier entre les égaux " (primus inter pares) qui était universellement admise dans l'Eglise ancienne. Mais elle rejette le dogme de Vatican I, qui a une tout autre signification. Le Patriarche Dimitrios, peu après son élection, devait déclarer : " En qualité de Patriarche œcuménique, nous désirons souligner qu'à l'avenir toutes les rencontres pancatholiques et panorthodoxes, tous les dialogues et toutes les consultations se tiendront sur les bases fondamentales suivantes
1) La plus haute autorité de l'Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique réside dans le Concile Œcuménique de l'Eglise tout entière.
2) Personne parmi nous, les évêques de l'Eglise catholique, n'a reçu d'autorité, de privilège ou de droit accordé canoniquement, sur quelque juridiction ecclésiastique que ce soit, sans l'intime volonté et le consentement canonique de l'autre " (texte dans Irénikon, 47 (1974), p. 70).
La doctrine catholique romaine sur la Sainte-Trinité est dans une large mesure tributaire de l'enseignement de saint Augustin (+ 430) qui, durant des siècles, devait être l'autorité patristique principale dans l'Eglise latine. Or Augustin, penseur de génie, s'était montré assez novateur en ce domaine, au point qu'on a pu écrire que " l'historien du dogme qui, venant des écrits des Pères du 4ème siècle, débouche sur l'œuvre d'Augustin " constate que " la ligne de rupture dans le développement synthétique de la doctrine trinitaire ne se trouve pas entre Augustin et nous, mais entre lui et ses prédécesseurs immédiats" (E. HENDRIKX, " Introduction à saint Augustin ", dans Œuvres de saint Augustin : La Trinité, 1, Paris, 1955, p. 22). Plus réticente que l'Eglise catholique romaine à l'égard de l'idée de développement dogmatique, l'Eglise orthodoxe n'en rejette cependant pas la possibilité. Mais le critère de l'authenticité d'un développement de ce genre ne peut être que sa réception par l'Eglise universelle ; jamais l'opinion d'un docteur particulier ou la tradition d'une Eglise particulière ne peut acquérir une telle autorité. Or, ici encore, nous sommes en présence d'une évolution propre à l'Occident latin qui aboutira, au 11ème siècle, à l'introduction à Rome du " Filioque " dans le symbole de Nicée-Constantinople, et, un peu plus tard, aux conciles médiévaux qui définiront que le Saint Esprit procède du Père et du Fils comme d'un seul principe, accompagnant cette définition de l'anathème suivant (qui n'a jamais été levé) : " La Sainte Eglise romaine condamne, réprouve et anathématise quiconque a un sentiment opposé ou contraire, et elle le déclare étranger au Corps du Christ, qui est l'Eglise" (Concile de Florence, Denz.-Schönm, 1331-1332).
Comme la primauté romaine, le " Filioque " est susceptible d'une interprétation orthodoxe, comme en témoigne saint Maxime le Confesseur (+ 666). C'est ce qui a permis - à la faveur d'une certaine équivoque - le maintien de la communion pendant plusieurs siècles, malgré la généralisation de cette doctrine dans l'Eglise latine. Mais ce n'est pas selon cette interprétation que le " Filioque " a été défini comme dogme de foi par l'Eglise romaine : au contraire, les conciles médiévaux le formulent sans équivoque dans un sens qui a toujours été jugé inacceptable par les représentants de l'Eglise orthodoxe. Comme le Patriarche Photius, les Patriarches de Constantinople, d'Antioche et de Jérusalem, dans leur Encyclique collective de 1848, qualifient cette doctrine d'" hérésie " ; et, très récemment, le Patriarche Dimitrios 1er dans son Encyclique du 12 mars 1981, déclarait que le " Filioque " est " tout à fait inacceptable et doit être rejeté " (Dans SOP, n° 59 (juin-juillet 1981), p. 15).
On mesure toute la difficulté : sur au moins deux points importants de doctrine, l'Eglise orthodoxe rejette purement et simplement, comme contraires à la Tradition, des doctrines que l'Eglise catholique romaine a définies solennellement comme appartenant au dépôt de la foi.
Est-il possible de sortir de la contradiction ? Une première tentative, faite par certains oecuménistes catholiques, consisterait à ne plus tenir les conciles occidentaux postérieurs à la séparation pour de vrais conciles œcuméniques, et à ne considérer leurs décisions, même dogmatiques, que comme des traditions propres à l'Eglise latine et n'ayant pas de caractère obligatoire pour les autres Eglises. La communion plénière pourrait ainsi être rétablie sans que les Orthodoxes soient obligés d'admettre le dogme de Vatican I, le " Filioque " et les autres traditions proprement latines. Assurément, dans une telle hypothèse, l'union serait grandement facilitée pour les Orthodoxes. Mais cette proposition
vient d'être vigoureusement repoussée par le cardinal Joseph Ratzinger, qui la juge inacceptable du point de vue catholique. Elle impliquerait en effet que l'Eglise romaine renonce à sa conviction d'avoir été, depuis le 11ème siècle, l'Eglise universelle, et reconnaisse pratiquement avoir erré en proclamant vérité de foi ce qui n'était en réalité qu'une tradition particulière : " Ce qui se présentait comme vérité devrait être qualifié de simple coutume. La noble prétention à la vérité serait disqualifiée comme un abus" (Cf. Irénikon, 56 (1983), p. 236).
Selon le P Congar, il ne serait pas nécessaire, en fait, que l'une des parties cesse de considérer comme dogme ce que sa tradition a considéré comme tel ; " dans le climat et sous la grâce d'aujourd'hui ", il semblerait qu'" il est possible de reconnaître l'équivalence réelle et l'homogénéité de visée, donc de sens et d'affirmation, bref, l'homonia, sous des démarches et expressions différentes " (Y CONGAR, "Autonomie et pouvoir central dans l'Eglise ", dans Irénikon, 53 (1980) p.311) - et, en réalité, contradictoires. Mais il est peu probable que ce pluralisme dogmatique, qui relativise dangereusement les affirmations de la foi et que l'on s'étonne un peu de trouver chez un théologien de formation thomiste, puisse être accepté par les deux Eglises.
Une autre voie est suggérée par un texte élaboré dans le cadre du dialogue entre catholiques et protestants, mais qui pourrait trouver une application privilégiée dans le dialogue entre catholiques et orthodoxes. Ce document se fonde sur la théorie du développement dogmatique particulièrement en faveur dans l'Eglise catholique : " Les Eglises pour lesquelles le contenu de la foi s'exprime dans une formulation plus ample n'ont pas à considérer a priori les autres Eglises, moins explicites dans leurs traditions doctrinales, comme trahissant de plein gré ou par quelque calcul pervers l'intégralité de l'héritage chrétien. Elles doivent faire confiance à l'implicite et au vécu qu'il permet. Et à leur tour, évidemment, les Eglises sobres dans leur énoncé doctrinal et leur vie sacramentelle ont à se garder de considérer a priori les autres Eglises, plus abondantes en formules de foi et en rites, comme polluant la pureté de la foi par des surajouts adventices ou parasitaires. Elles doivent non nier, mais laisser la question ouverte... Une fois réconciliées, elles croîtront ensemble vers la plénitude de la vérité " (" Vers une profession de foi commune ", Rapport du groupe mixte de travail catholiques-protestants. Texte rédigé par J.M.R. Tillard et présenté par Pierre Duprey et Lukas Vischer, dans Doc. Cath. 62 (1980), p. 657). On pourrait ainsi soutenir qu'en ne confessant ni le " Filioque ", ni la primauté de droit divin et l'infaillibilité du pape, l'Eglise orthodoxe ne contredit pas les dogmes romains, mais se situe seulement à un stade moins avancé de développement doctrinal. Le cardinal Ratzinger semble favorable à une solution de ce genre : " Pour l'intercommunion avec les Orthodoxes, l'Eglise catholique ne doit pas insister nécessairement sur l'acceptation des dogmes du second millénaire. On présumerait que les Eglises orientales sont demeurées dans la forme de la Tradition du premier millénaire qui, en elle-même, est légitime et, si elle est bien comprise, ne contient pas de contradiction avec les développements ultérieurs. Ces derniers n'ont fait qu'expliciter ce qui était déjà là en principe au temps de l'Eglise indivise. J'ai moi-même pris part à ces tentatives de réflexion " (Cardinal RATZINGER, dans Irénikon, 56 (1983), p. 235).
C'est sans doute du côté orthodoxe qu'un tel projet rencontrerait de fortes oppositions. En effet, entrer en communion sacramentelle avec une Eglise qui confesse tel ou tel dogme, n'est-ce pas, en fait, les accepter soi-même, bien qu'une profession explicite n'en soit pas exigée ? Et les Eglises orthodoxes accepteraient-elles d'être traitées en Eglises doctrinalement sous-développées ?
Bornons-nous à ces exemples. L'œuvre du rapprochement devra surmonter, on le devine, de redoutables difficultés qui n'apparaissaient peut-être pas à première vue. Mais il est utile de clarifier les situations et de percevoir nettement les problèmes, pourvu qu'on le fasse dans un esprit de charité, sans passion et en dehors de toute polémique, animé seulement de l'amour de la vérité et de l'unité. Devant les difficultés de la tâche, le danger serait de s'évader vers des rêves séduisants ou des solutions de facilité qui les escamotent ; plus dangereuse encore est la tentation de s'y dérober en relativisant la valeur des formules de la foi et l'institution ecclésiale elle-même. Ce sont des biens infiniment précieux : nous ne pouvons connaître Dieu qu'à travers les mots transfigurés, portés par la Tradition, qui nous communiquent ce que le Fils de Dieu a bien voulu nous révéler des secrets du Père, et, de par sa volonté, nous ne pouvons rejoindre le Christ que par l'Eglise et dans l'Eglise qui est son Corps.
Enfin, pour citer une dernière fois le cardinal Willebrands, " ce ne sont en premier lieu ni les conférences au sommet, ni les commissions, qui font progresser la cause œcuménique, mais le développement de ce que le décret sur l'œcuménisme a appelé l'âme de tout œcuménisme, c'est-à-dire la conversion du cœur, la sainteté de vie, unies aux prières publiques et privées pour l'unité des chrétiens " (Cardinal WILLEBRANDS, Allocution du 20 janvier 1975, dans Doc. Cath,, 57 (1975), p. 268). Aucun "pessimisme" n'est de mise en ce qui concerne cette unité, mais il faut être bien conscient de ce qu'elle ne pourra être, avant tout, que l'œuvre de la grâce divine, à qui rien n'est impossible.
Archimandrite Placide Deseille
Publication du Monastère St Antoine-le-Grand, métochion de Simonos-Petra
Publication du Monastère St Antoine-le-Grand, métochion de Simonos-Petra
On peut commander les autres publications du P. Placide et d'autres auteurs en s'adressant au monastère St Antoine le Grand, Font-de-Laval, 26190 Saint-Laurent-en-Royans (France) Tel : +33-475-47-72-02
Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»
LE BAPTEME : SENS ET RITES
1.-Le baptême transforme radicalement le mode d'existence de l'homme
1.1.- Le baptême dans le Fils unique-engendré.
Dans l'Orthodoxie, la fête du 6 janvier, la fête de la Théophanie, du baptême de Jésus par Jean dans le Jourdain, est le fondement de la célébration du baptême des catéchumènes. La consécration de l'eau baptismale s'effectue par la proclamation d'un poème de saint Sophrone, patriarche de Jérusalem de 634 à 638, le même qu'au moment de la bénédiction des eaux le 6 janvier. Et ce que le Père céleste prononce au sujet de son Fils Unique-engendré au moment du baptême par Jean dans les eaux du Jourdain, la sainte Eglise le prononce au moment du baptême au sujet du nouveau baptisé. Au moment où Jésus remonta des eaux du Jourdain " du ciel une voix se fit entendre : Tu es mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis ma complaisance ". A la suite de Wellhausen, le P.Lagrange fait remarquer que, dans l'Ancien Testament, il n'y a pas grande différence entre fils bien-aimé et fils unique. Par le baptême, l'homme devient un être unique au monde, irreproductible, irremplaçable. En tant que personne recréée dans les eaux du baptême à l'image du Dieu trinitaire et pour lui ressembler, l'homme, comme Dieu, relève d'une approche non point cataphatique mais apophatique. En grec " kataphasis " signifie affirmation, et " apophasis " négation. Parce qu'il est une personne créée à l'image du Fils pour ressembler à la divine Trinité, l'homme participe au sans-fond des trois Personnes divines, il est une réalité mystérieuse, c'est-à-dire inépuisable par sa richesse, insondable par sa profondeur, dont on peut dire plus sûrement ce qu'elle n'est pas que ce qu'elle est. Et le baptême chrétien a pour signification fondamentale de transformer radicalement le mode d'existence de cet homme rendu, par la présence en lui du Dieu tri-unique, inexprimable adéquatement par le langage conceptuel, incompréhensible par la seule raison raisonnante, irréductible, irreproductible, irremplaçable.
Plus précisément, par le baptême, l'homme passe d'un mode d'existence biologique à un mode d'existence ecclésial. C'est ce que l'Orthodoxie appelle la déification en laquelle elle voit la quintessence du salut en Christ. Pour l'Orthodoxie, le salut consiste essentiellement en ce que l'homme ne participe pas, certes, à la substance de Dieu, mais à son existence personnelle. Le salut, c'est la réalisation, au sein de l'existence humaine, de la vie trinitaire, c'est l'extension ad extra du mode d'existence des trois Personnes divines. Pour l'Orthodoxie, la fête du 6 janvier est indissociablement la fête du baptême du Christ et celle de la divine Trinité. C'est pourquoi nous parlons de Théophanie plutôt que d'épiphanie. Toute théophanie est une épiphanie, mais toute épiphanie n'est pas nécessairement celle du Dieu tri-unique. Le tropaire que l'Eglise se plaît à répéter tout au long de la journée du 6 janvier souligne le caractère trinitaire de l'événement qu'elle médite : " Dans le Jourdain lorsque, Seigneur, tu fus baptisé, à l'univers fut révélée la sainte Trinité ; en ta faveur se fit entendre la voir du Père te désignant comme son Fils bien-aimé ; et l'Esprit sous forme de colombe confirma la vérité du témoignage. Christ notre Dieu qui t'es manifesté, illuminateur du monde, gloire à toi ! ". Or, à l'office du baptême, nous lisons la finale de l'Evangile selon saint Matthieu qui nous dit que c'est au Nom du Père, et du Fils et du saint Esprit que les disciples envoyés par le Christ ressuscité en mission dans le monde devront baptiser toutes les nations païennes ( Mt. 28, 19 ). Et c'est par trois immersions / émersions que le célébrant baptise le catéchumène : au Nom du Père, au Nom du Fils et au Nom du saint Esprit. Etre baptisé, c'est être introduit dans l'acte générateur éternel par lequel le Père communique à son Fils unique la plénitude de sa Vie paternelle, c'est-à-dire son saint Esprit. Et cette introduction divinisatrice signifie pour l'homme la transformation de l'individu en personne. C'est à cette transformation que songe l'Eglise lorsqu'elle fait dire au célébrant, au sujet du futur baptisé, dans la dernière prière de l'office du catéchuménat : " Dépouille-le du vieil homme et revêts-le de l'homme nouveau pour la vie éternelle... afin qu'il ne soit plus un enfant de la chair, mais un fils ( une fille ) de ton Royaume ". " Un enfant de la chair " ou bien " le vieil homme ", c'est l'individu vivant une vie naturelle, biologique, soumis à la nécessité naturelle. C'est l'existence humaine en sa condition déchue, animalisée par le péché : faible, fragile, déb..., périssable, corruptible, terrestre.
Dans l'Orthodoxie, la fête du 6 janvier, la fête de la Théophanie, du baptême de Jésus par Jean dans le Jourdain, est le fondement de la célébration du baptême des catéchumènes. La consécration de l'eau baptismale s'effectue par la proclamation d'un poème de saint Sophrone, patriarche de Jérusalem de 634 à 638, le même qu'au moment de la bénédiction des eaux le 6 janvier. Et ce que le Père céleste prononce au sujet de son Fils Unique-engendré au moment du baptême par Jean dans les eaux du Jourdain, la sainte Eglise le prononce au moment du baptême au sujet du nouveau baptisé. Au moment où Jésus remonta des eaux du Jourdain " du ciel une voix se fit entendre : Tu es mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis ma complaisance ". A la suite de Wellhausen, le P.Lagrange fait remarquer que, dans l'Ancien Testament, il n'y a pas grande différence entre fils bien-aimé et fils unique. Par le baptême, l'homme devient un être unique au monde, irreproductible, irremplaçable. En tant que personne recréée dans les eaux du baptême à l'image du Dieu trinitaire et pour lui ressembler, l'homme, comme Dieu, relève d'une approche non point cataphatique mais apophatique. En grec " kataphasis " signifie affirmation, et " apophasis " négation. Parce qu'il est une personne créée à l'image du Fils pour ressembler à la divine Trinité, l'homme participe au sans-fond des trois Personnes divines, il est une réalité mystérieuse, c'est-à-dire inépuisable par sa richesse, insondable par sa profondeur, dont on peut dire plus sûrement ce qu'elle n'est pas que ce qu'elle est. Et le baptême chrétien a pour signification fondamentale de transformer radicalement le mode d'existence de cet homme rendu, par la présence en lui du Dieu tri-unique, inexprimable adéquatement par le langage conceptuel, incompréhensible par la seule raison raisonnante, irréductible, irreproductible, irremplaçable.
Plus précisément, par le baptême, l'homme passe d'un mode d'existence biologique à un mode d'existence ecclésial. C'est ce que l'Orthodoxie appelle la déification en laquelle elle voit la quintessence du salut en Christ. Pour l'Orthodoxie, le salut consiste essentiellement en ce que l'homme ne participe pas, certes, à la substance de Dieu, mais à son existence personnelle. Le salut, c'est la réalisation, au sein de l'existence humaine, de la vie trinitaire, c'est l'extension ad extra du mode d'existence des trois Personnes divines. Pour l'Orthodoxie, la fête du 6 janvier est indissociablement la fête du baptême du Christ et celle de la divine Trinité. C'est pourquoi nous parlons de Théophanie plutôt que d'épiphanie. Toute théophanie est une épiphanie, mais toute épiphanie n'est pas nécessairement celle du Dieu tri-unique. Le tropaire que l'Eglise se plaît à répéter tout au long de la journée du 6 janvier souligne le caractère trinitaire de l'événement qu'elle médite : " Dans le Jourdain lorsque, Seigneur, tu fus baptisé, à l'univers fut révélée la sainte Trinité ; en ta faveur se fit entendre la voir du Père te désignant comme son Fils bien-aimé ; et l'Esprit sous forme de colombe confirma la vérité du témoignage. Christ notre Dieu qui t'es manifesté, illuminateur du monde, gloire à toi ! ". Or, à l'office du baptême, nous lisons la finale de l'Evangile selon saint Matthieu qui nous dit que c'est au Nom du Père, et du Fils et du saint Esprit que les disciples envoyés par le Christ ressuscité en mission dans le monde devront baptiser toutes les nations païennes ( Mt. 28, 19 ). Et c'est par trois immersions / émersions que le célébrant baptise le catéchumène : au Nom du Père, au Nom du Fils et au Nom du saint Esprit. Etre baptisé, c'est être introduit dans l'acte générateur éternel par lequel le Père communique à son Fils unique la plénitude de sa Vie paternelle, c'est-à-dire son saint Esprit. Et cette introduction divinisatrice signifie pour l'homme la transformation de l'individu en personne. C'est à cette transformation que songe l'Eglise lorsqu'elle fait dire au célébrant, au sujet du futur baptisé, dans la dernière prière de l'office du catéchuménat : " Dépouille-le du vieil homme et revêts-le de l'homme nouveau pour la vie éternelle... afin qu'il ne soit plus un enfant de la chair, mais un fils ( une fille ) de ton Royaume ". " Un enfant de la chair " ou bien " le vieil homme ", c'est l'individu vivant une vie naturelle, biologique, soumis à la nécessité naturelle. C'est l'existence humaine en sa condition déchue, animalisée par le péché : faible, fragile, déb..., périssable, corruptible, terrestre.
1.2.- L'individu et la personne.
L'existence de l'individu, c'est l'existence biologique, génétique. A la différence de l'existence personnelle, l'individu existe non comme liberté, mais comme nécessité. Je nais au monde sans que l'on m'ait demandé mon avis. Et cette existence biologique est promise inéluctablement et désespérément à la mort. Le mode d'existence biologique de l'homme est tragique en ce qu'il manifeste l'échec de l'homme à devenir une personne au niveau biologique, naturel. Le salut en Christ, c'est la réalisation en l'homme de la ressemblance divine. C'est le fait que l'homme existe non plus comme un individu, mais comme une personne.
Le baptême chrétien signifie que l'homme en tant que personne cesse de manquer le but recherché par ce que Maurice Blondel appelait sa " volonté voulante ", c'est-à-dire sa volonté profonde, ce que l'homme veut sans savoir qu'il le veut et qu'il ne peut s'empêcher de vouloir. Le baptême signifie que les deux constituants fondamentaux de l'existence biologique, à savoir l'éros et le corps humains, cessent d'être les véhicules de la mort. Le baptême a pour signification essentielle de changer le mode constitutif de l'existence humaine. Il ne s'agit pas d'une amélioration morale mais d'une " anangénésis " d'une re-naissance, d'une ré-génération, d'une naissance nouvelle de l'homme en tant que personne, d'une refonte totale du plasma humain. Cette notion anangénésis de renaissance organique est exprimée dans la première Epître de Pierre : " Béni est Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui, selon sa grande miséricorde, nous a régénérés, pour une espérance vivante, par la résurrection de Jésus-Christ, d'entre les morts... vous avez été régénérés, non par une semence corruptible, mais par une semence incorruptible, par la Parole vivante et permanente de Dieu ( 1Pi. 1, 3 et 23 ). L'éros et le corps animalisés par le péché sont baptisés, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas niés mais conviés à changer leur mode d'existence en devenant semence du corps spirituel et incorruptible. L'ascèse chrétienne bien comprise est fondamentalement une transfiguration et une pneumatisation du corps et de tout l'être humain sensible, qui doit laisser transparaître la lumière incréée et divine, tel un vase de cristal les rayons du soleil. Le baptême communique à l'homme la certitude que l'existence personnelle à l'image et à la ressemblance de Dieu est une réalité historique mise à sa portée par le Christ Sauveur. Celui-ci est le Sauveur en ce sens très précis qu'il a révélé aux hommes la réalité même de la personne. Tous autant que nous sommes, nous fragmentons la nature humaine : nous sommes plus ou moins des hommes, plus ou moins intelligents, plus ou moins doués de mémoire, plus ou moins vertueux. En Jésus de Nazareth, vrai Dieu et vrai homme, a été manifestée la plénitude de l'humanité : Ecce Homo. Pilate ne croyait pas si bien dire ! Voilà enfin l'Homme véritable, l'Homme pleinement homme parce que pleinement Dieu. En Jésus-Christ nous a été révélé que Dieu seul est pleinement humain et que nous ne pouvons devenir véritablement des hommes qu'en Jésus-Christ. Dire que Dieu nous divinise ou qu'il nous humanise pleinement, ou encore qu'il nous sauve ou nous déifie, c'est dire la même chose.
Le baptême signifie fondamentalement le rejet de l'hérésie de Nestorius. Le Christ ne peut nous sauver que parce que son hypostase n'est pas que biologique. En Jésus-Christ, il n'y a pas de cloisonnement entre l'humain et le divin. Cet homme-là fut pleinement divin en son humanité et pleinement humain en sa divinité. Vrai Dieu et vrai homme, Jésus de Nazareth est venu témoigner de la possibilité pour la personne humaine d'échapper à l'état tragique de la nature humaine déchue, à l'aliénation fondamentale que représente la mort pour la liberté humaine. Le baptême vient faire de tout homme un homme parfait, c'est-à-dire une personne véritable, une authentique hypostase préconstruite pour la liberté et pour l'amour. Le baptême confère à l'homme un mode d'existence constitué exactement selon le même mode selon lequel existent les trois Hypostases de la divine Trinité. Le baptême signifie pour tout homme que la christologie n'est pas une réalité qui ne concernerait que Jésus Christ. Par le baptême, la christologie est mise à la portée existentielle de l'homme lui-même : la nature de l'homme peut être hypostasiée, c'est-à-dire assumée indépendamment de la nécessité tragique du mode d'existence biologique qui mène désespérément à la mort. Le baptême signifie la possibilité gratuitement offerte à l'homme d'exister lui aussi de la même manière que Jésus de Nazareth a existé : en affirmant son existence en tant que personne, en s'appuyant non point sur les lois de sa nature biologique déchue, mais sur une relation à la divine Trinité qui est fondamentalement une relation de liberté et d'amour. Si le Notre Père -- si mal traduit, hélas, en français ! -- est la prière fondamentale des chrétiens, c'est parce qu'il livre l'essence même du baptême. En effet, par le baptême l'homme pénètre dans l'acte générateur éternel par lequel le Père communique à son Fils Unique la plénitude de sa Vie paternelle, c'est-à-dire le saint Esprit. Par le baptême l'homme devient fils de Dieu en identifiant son hypostase à celle du Fils.
L'existence de l'individu, c'est l'existence biologique, génétique. A la différence de l'existence personnelle, l'individu existe non comme liberté, mais comme nécessité. Je nais au monde sans que l'on m'ait demandé mon avis. Et cette existence biologique est promise inéluctablement et désespérément à la mort. Le mode d'existence biologique de l'homme est tragique en ce qu'il manifeste l'échec de l'homme à devenir une personne au niveau biologique, naturel. Le salut en Christ, c'est la réalisation en l'homme de la ressemblance divine. C'est le fait que l'homme existe non plus comme un individu, mais comme une personne.
Le baptême chrétien signifie que l'homme en tant que personne cesse de manquer le but recherché par ce que Maurice Blondel appelait sa " volonté voulante ", c'est-à-dire sa volonté profonde, ce que l'homme veut sans savoir qu'il le veut et qu'il ne peut s'empêcher de vouloir. Le baptême signifie que les deux constituants fondamentaux de l'existence biologique, à savoir l'éros et le corps humains, cessent d'être les véhicules de la mort. Le baptême a pour signification essentielle de changer le mode constitutif de l'existence humaine. Il ne s'agit pas d'une amélioration morale mais d'une " anangénésis " d'une re-naissance, d'une ré-génération, d'une naissance nouvelle de l'homme en tant que personne, d'une refonte totale du plasma humain. Cette notion anangénésis de renaissance organique est exprimée dans la première Epître de Pierre : " Béni est Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui, selon sa grande miséricorde, nous a régénérés, pour une espérance vivante, par la résurrection de Jésus-Christ, d'entre les morts... vous avez été régénérés, non par une semence corruptible, mais par une semence incorruptible, par la Parole vivante et permanente de Dieu ( 1Pi. 1, 3 et 23 ). L'éros et le corps animalisés par le péché sont baptisés, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas niés mais conviés à changer leur mode d'existence en devenant semence du corps spirituel et incorruptible. L'ascèse chrétienne bien comprise est fondamentalement une transfiguration et une pneumatisation du corps et de tout l'être humain sensible, qui doit laisser transparaître la lumière incréée et divine, tel un vase de cristal les rayons du soleil. Le baptême communique à l'homme la certitude que l'existence personnelle à l'image et à la ressemblance de Dieu est une réalité historique mise à sa portée par le Christ Sauveur. Celui-ci est le Sauveur en ce sens très précis qu'il a révélé aux hommes la réalité même de la personne. Tous autant que nous sommes, nous fragmentons la nature humaine : nous sommes plus ou moins des hommes, plus ou moins intelligents, plus ou moins doués de mémoire, plus ou moins vertueux. En Jésus de Nazareth, vrai Dieu et vrai homme, a été manifestée la plénitude de l'humanité : Ecce Homo. Pilate ne croyait pas si bien dire ! Voilà enfin l'Homme véritable, l'Homme pleinement homme parce que pleinement Dieu. En Jésus-Christ nous a été révélé que Dieu seul est pleinement humain et que nous ne pouvons devenir véritablement des hommes qu'en Jésus-Christ. Dire que Dieu nous divinise ou qu'il nous humanise pleinement, ou encore qu'il nous sauve ou nous déifie, c'est dire la même chose.
Le baptême signifie fondamentalement le rejet de l'hérésie de Nestorius. Le Christ ne peut nous sauver que parce que son hypostase n'est pas que biologique. En Jésus-Christ, il n'y a pas de cloisonnement entre l'humain et le divin. Cet homme-là fut pleinement divin en son humanité et pleinement humain en sa divinité. Vrai Dieu et vrai homme, Jésus de Nazareth est venu témoigner de la possibilité pour la personne humaine d'échapper à l'état tragique de la nature humaine déchue, à l'aliénation fondamentale que représente la mort pour la liberté humaine. Le baptême vient faire de tout homme un homme parfait, c'est-à-dire une personne véritable, une authentique hypostase préconstruite pour la liberté et pour l'amour. Le baptême confère à l'homme un mode d'existence constitué exactement selon le même mode selon lequel existent les trois Hypostases de la divine Trinité. Le baptême signifie pour tout homme que la christologie n'est pas une réalité qui ne concernerait que Jésus Christ. Par le baptême, la christologie est mise à la portée existentielle de l'homme lui-même : la nature de l'homme peut être hypostasiée, c'est-à-dire assumée indépendamment de la nécessité tragique du mode d'existence biologique qui mène désespérément à la mort. Le baptême signifie la possibilité gratuitement offerte à l'homme d'exister lui aussi de la même manière que Jésus de Nazareth a existé : en affirmant son existence en tant que personne, en s'appuyant non point sur les lois de sa nature biologique déchue, mais sur une relation à la divine Trinité qui est fondamentalement une relation de liberté et d'amour. Si le Notre Père -- si mal traduit, hélas, en français ! -- est la prière fondamentale des chrétiens, c'est parce qu'il livre l'essence même du baptême. En effet, par le baptême l'homme pénètre dans l'acte générateur éternel par lequel le Père communique à son Fils Unique la plénitude de sa Vie paternelle, c'est-à-dire le saint Esprit. Par le baptême l'homme devient fils de Dieu en identifiant son hypostase à celle du Fils.
1.3.- L'existence ecclésiale.
Le baptême confère à l'homme un mode d'existence fondamentalement ecclésial. Le mode d'existence ecclésial, c'est l'existence humaine en tant que baptisée et définie comme être-en-communion. Quand Jésus dit à Nicodème : " Vous devez être engendrés d'en haut " ( Jn. 3, 7 ), il lui parle de la possibilité, pour les hommes, d'obtenir, comme un don inexigible de Dieu, que le mode d'existence de l' homme soit constitué en une réalité non affectée par l'état de créature, par les lois de la nature biologique et instinctivo-affective, déchue, désembrayée de Dieu, animalisée par le péché.
L'Eglise est essentiellement le lieu où, dans l'histoire des hommes, se réalise le mode non-biologique d'existence humaine. L'Eglise est la matrice divino-humaine au sein de laquelle l'homme est engendré à la vie divine trinitaire, non point seulement une heure durant, le jour de son baptême et de sa chrismation, mais tout au long de son existence terrestre, le jour de son mariage ou de son ordination au ministère, lorsqu'il communie au corps et au sang du Ressuscité, quand il reçoit l'onction de l'huile sainte des malades ou le pardon divin après l'aveu de ses fautes. La célébration du baptême se prolonge tout au long de l'existence chrétienne, dans la célébration de chacun des autres sacrements. Ces derniers, en effet, ne sont rien d'autre que les actes divino-humains par lesquels le saint Esprit agissant dans l'Eglise continue l'œuvre de divinisation de l'homme commencée au baptême. Il s'agit encore et encore de réaliser en l'homme un mode d'existence non déterminé par la nécessité de l'existence biologique. Vivre authentiquement la réalité de mon baptême signifie que mon père véritable n'est pas celui qui m'a engendré biologiquement mais mon Père qui est dans les cieux, que mes frères véritables ne sont pas mes frères biologiques, mais les membres de l'Eglise, que ma famille véritable n'est pas ma famille biologique, mais l'Eglise. Dans le troisième Evangile, Jésus ne craint pas d'affirmer : " Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère, et sa femme et ses enfants et ses frères et ,ces sœurs, et même encore sa vie, il ne peut être mon disciple " ( Lc. 14, 26 ). Saint Matthieu exprime la même exigence sous une forme adoucie en parlant de celui qui aime ses proches plus que le Christ. De même, lorsqu'on vient dire à Jésus que sa mère et ses frères sont dehors et veulent le voir, Jésus réplique : " Ma mère et mes frères, ce sont ceux gui écoulent la parole de Dieu et qui la pratiquent " ( Lc. 8, 21 ). Notons au passage que ce texte est lu, dans l'Office byzantin, aux fêtes de la Mère de Dieu. Baptiser un homme, ce n'est pas mettre en parallèle son existence ecclésiale et son existence biologique, c'est lui offrir le dépassement de la seconde par la première.
Le baptême confère à l'homme un mode d'existence fondamentalement ecclésial. Le mode d'existence ecclésial, c'est l'existence humaine en tant que baptisée et définie comme être-en-communion. Quand Jésus dit à Nicodème : " Vous devez être engendrés d'en haut " ( Jn. 3, 7 ), il lui parle de la possibilité, pour les hommes, d'obtenir, comme un don inexigible de Dieu, que le mode d'existence de l' homme soit constitué en une réalité non affectée par l'état de créature, par les lois de la nature biologique et instinctivo-affective, déchue, désembrayée de Dieu, animalisée par le péché.
L'Eglise est essentiellement le lieu où, dans l'histoire des hommes, se réalise le mode non-biologique d'existence humaine. L'Eglise est la matrice divino-humaine au sein de laquelle l'homme est engendré à la vie divine trinitaire, non point seulement une heure durant, le jour de son baptême et de sa chrismation, mais tout au long de son existence terrestre, le jour de son mariage ou de son ordination au ministère, lorsqu'il communie au corps et au sang du Ressuscité, quand il reçoit l'onction de l'huile sainte des malades ou le pardon divin après l'aveu de ses fautes. La célébration du baptême se prolonge tout au long de l'existence chrétienne, dans la célébration de chacun des autres sacrements. Ces derniers, en effet, ne sont rien d'autre que les actes divino-humains par lesquels le saint Esprit agissant dans l'Eglise continue l'œuvre de divinisation de l'homme commencée au baptême. Il s'agit encore et encore de réaliser en l'homme un mode d'existence non déterminé par la nécessité de l'existence biologique. Vivre authentiquement la réalité de mon baptême signifie que mon père véritable n'est pas celui qui m'a engendré biologiquement mais mon Père qui est dans les cieux, que mes frères véritables ne sont pas mes frères biologiques, mais les membres de l'Eglise, que ma famille véritable n'est pas ma famille biologique, mais l'Eglise. Dans le troisième Evangile, Jésus ne craint pas d'affirmer : " Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère, et sa femme et ses enfants et ses frères et ,ces sœurs, et même encore sa vie, il ne peut être mon disciple " ( Lc. 14, 26 ). Saint Matthieu exprime la même exigence sous une forme adoucie en parlant de celui qui aime ses proches plus que le Christ. De même, lorsqu'on vient dire à Jésus que sa mère et ses frères sont dehors et veulent le voir, Jésus réplique : " Ma mère et mes frères, ce sont ceux gui écoulent la parole de Dieu et qui la pratiquent " ( Lc. 8, 21 ). Notons au passage que ce texte est lu, dans l'Office byzantin, aux fêtes de la Mère de Dieu. Baptiser un homme, ce n'est pas mettre en parallèle son existence ecclésiale et son existence biologique, c'est lui offrir le dépassement de la seconde par la première.
1.4.- Il faut célébrer le baptême au cours de la liturgie dominicale.
C'est pourquoi, il est si important de célébrer le baptême au sein de la divine liturgie dominicale, c'est-à-dire au sein de la communauté paroissiale. Trop de prêtres orthodoxes cèdent à la pression des familles qui font de la célébration du baptême une célébration familiale, le samedi après-midi, ou le dimanche après-midi, quand ce n'est pas au domicile des parents de l'enfant ! Dans la grande tradition de l'Eglise, on baptisait au cours des liturgies de Pâques, de Pentecôte, de Noël et de la Théophanie. C'est pour cela qu'aujourd'hui encore, ces jours-là, on ne chante pas le Dieu saint, saint fort, saint immortel, mais le : " Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ ". Heureusement, nous sommes un certain nombre de prêtres orthodoxes à inviter les familles, chaque fois que celles-ci sont capables de comprendre, à célébrer le baptême le dimanche matin, lorsque toute la communauté paroissiale est réunie pour l'unique synaxe eucharistique. Car, dans l'Orthodoxie, on ne célèbre qu'une fois l'eucharistie dans la même journée et dans la même église, afin d'obliger tout le monde -- bourgeois et prolétaires, enfants et adultes -- à transcender ensemble dans leur existence ecclésiale commune les déterminations de leurs existences biologiques et sociales respectives. Le baptême opère le dépassement en communion ecclésiale du réseau relationnel constitutif de l'existence biologique. Il libère l'homme de toute détermination naturelle, de toute relation déterminée par son identité biologique. Aimer ceux qui nous sont proches par le sang, c'est obéir à des lois biologiques. Aimer les autres hommes -- qu'ils soient de droite ou de gauche, noirs ou blancs, riches ou pauvres -- dans la communion eucharistique de l'Eglise, c'est identifier la liberté à l'être même de l'homme, c'est témoigner que la nature ne définit pas la personne mais que c'est au contraire la personne qui confère à la nature la possibilité d'exister librement.
Le baptême signifie la liberté de la personne vis-à-vis de la nature, c'est-à-dire la capacité à aimer sans exclure quelqu'un d'autre. La vocation du baptisé est de transcender l'exclusivisme inhérent à l'existence biologique. Devenir fils de l'Eglise par le baptême, c'est essentiellement acquérir la capacité d'aimer sans exclure. La nouvelle naissance baptismale dans la matrice de " l'Ecclesia mater " fait de la personne le membre d'un réseau relationnel qui transcende tout exclusivisme. Dans les eaux baptismales s'opère la différenciation radicale entre l'hypostase personnelle et la vie biologique individuelle dont l'horizon est la mort.
C'est pourquoi, il est si important de célébrer le baptême au sein de la divine liturgie dominicale, c'est-à-dire au sein de la communauté paroissiale. Trop de prêtres orthodoxes cèdent à la pression des familles qui font de la célébration du baptême une célébration familiale, le samedi après-midi, ou le dimanche après-midi, quand ce n'est pas au domicile des parents de l'enfant ! Dans la grande tradition de l'Eglise, on baptisait au cours des liturgies de Pâques, de Pentecôte, de Noël et de la Théophanie. C'est pour cela qu'aujourd'hui encore, ces jours-là, on ne chante pas le Dieu saint, saint fort, saint immortel, mais le : " Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ ". Heureusement, nous sommes un certain nombre de prêtres orthodoxes à inviter les familles, chaque fois que celles-ci sont capables de comprendre, à célébrer le baptême le dimanche matin, lorsque toute la communauté paroissiale est réunie pour l'unique synaxe eucharistique. Car, dans l'Orthodoxie, on ne célèbre qu'une fois l'eucharistie dans la même journée et dans la même église, afin d'obliger tout le monde -- bourgeois et prolétaires, enfants et adultes -- à transcender ensemble dans leur existence ecclésiale commune les déterminations de leurs existences biologiques et sociales respectives. Le baptême opère le dépassement en communion ecclésiale du réseau relationnel constitutif de l'existence biologique. Il libère l'homme de toute détermination naturelle, de toute relation déterminée par son identité biologique. Aimer ceux qui nous sont proches par le sang, c'est obéir à des lois biologiques. Aimer les autres hommes -- qu'ils soient de droite ou de gauche, noirs ou blancs, riches ou pauvres -- dans la communion eucharistique de l'Eglise, c'est identifier la liberté à l'être même de l'homme, c'est témoigner que la nature ne définit pas la personne mais que c'est au contraire la personne qui confère à la nature la possibilité d'exister librement.
Le baptême signifie la liberté de la personne vis-à-vis de la nature, c'est-à-dire la capacité à aimer sans exclure quelqu'un d'autre. La vocation du baptisé est de transcender l'exclusivisme inhérent à l'existence biologique. Devenir fils de l'Eglise par le baptême, c'est essentiellement acquérir la capacité d'aimer sans exclure. La nouvelle naissance baptismale dans la matrice de " l'Ecclesia mater " fait de la personne le membre d'un réseau relationnel qui transcende tout exclusivisme. Dans les eaux baptismales s'opère la différenciation radicale entre l'hypostase personnelle et la vie biologique individuelle dont l'horizon est la mort.
2.- Les rites du baptême
2.1.- Les exorcismes et la renonciation à Satan.
Le dépassement de l'existence biologique et individuelle en existence personnelle et ecclésiale est exprimée de plusieurs manières dans la célébration du baptême. Il y a tout d'abord les exorcismes et la renonciation à Satan. L'Eglise orthodoxe ne comprend pas l'ultime demande du Notre Père -- délivre-nous du mal --. comme s'il s'agissait d'être délivrés du mal métaphysique, d'une abstraction. Le sens du texte est plutôt : Soustrais-nous au Mauvais, au Malin, au Méchant, c'est-à-dire au Démon. Résumant sa première épître, saint Jean affirme : " Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche pas ; l'Engendré de Dieu [c'est-à-dire Jésus] le garde, et le Mauvais [o Ponèros : c'est le même mot qui, dans le Notre Père, est si regrettablement traduit par mal] n'a pas prise sur lui " ( 1Jn. 5, 18 ). Il s'agit de quelqu'un de bien concret, de bien réel, de bien défini. Dans l'établissement de son Royaume, Jésus est en butte avec quelqu'un qu'il appelle l'Ennemi, le Prince de ce monde, le Satan. Il ne s'agit pas, d'ailleurs, d'être délivrés du Démon : par l'incarnation rédemptrice nous en sommes d'ores et déjà délivrés. Par contre, nous avons à redouter un retour en force de l'Adversaire, de l'Antéchrist. La victoire sur le monde, c'est-à-dire sur le péché et sur la mort, de l'Agneau égorgé mais ressuscité, est déjà réalisée pour l'essentiel. Mort au péché, le baptisé est ressuscité avec le Christ et, par cette résurrection, il devient un citoyen du ciel et le temple du saint Esprit. Le Dragon de l'Apocalypse a été précipité sur la terre ( Ap. 12, 13 ), mais il possède un pouvoir d'épreuve sur les hommes.
Trois exorcismes s'adressent donc à Satan directement : " Va-t-en, retire-toi du soldat nouvellement choisi, enrôlé par le Christ notre Dieu... esprit impur et pervers, néfaste et répugnant ". Et le célébrant de demander instamment au Seigneur Sabaoth, au Dieu d'Israël : " Menace les esprits impurs et chasse-les, purifie l'ouvrage de tes mains [c'est-à-dire le catéchumène] et, dans l'efficacité de ton pouvoir, hâte-toi d'écraser Satan sous ses pieds "... Puis, demandant au catéchumène de se tourner vers l'occident, vers le lieu où le soleil est sensé se coucher et qui nous parle donc symboliquement de ténèbres, le célébrant invite le catéchumène à " renoncer à Satan, à toutes ses œuvres, à tous ses anges, à tout son culte et à toutes ses pompes ".
Le dépassement de l'existence biologique et individuelle en existence personnelle et ecclésiale est exprimée de plusieurs manières dans la célébration du baptême. Il y a tout d'abord les exorcismes et la renonciation à Satan. L'Eglise orthodoxe ne comprend pas l'ultime demande du Notre Père -- délivre-nous du mal --. comme s'il s'agissait d'être délivrés du mal métaphysique, d'une abstraction. Le sens du texte est plutôt : Soustrais-nous au Mauvais, au Malin, au Méchant, c'est-à-dire au Démon. Résumant sa première épître, saint Jean affirme : " Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche pas ; l'Engendré de Dieu [c'est-à-dire Jésus] le garde, et le Mauvais [o Ponèros : c'est le même mot qui, dans le Notre Père, est si regrettablement traduit par mal] n'a pas prise sur lui " ( 1Jn. 5, 18 ). Il s'agit de quelqu'un de bien concret, de bien réel, de bien défini. Dans l'établissement de son Royaume, Jésus est en butte avec quelqu'un qu'il appelle l'Ennemi, le Prince de ce monde, le Satan. Il ne s'agit pas, d'ailleurs, d'être délivrés du Démon : par l'incarnation rédemptrice nous en sommes d'ores et déjà délivrés. Par contre, nous avons à redouter un retour en force de l'Adversaire, de l'Antéchrist. La victoire sur le monde, c'est-à-dire sur le péché et sur la mort, de l'Agneau égorgé mais ressuscité, est déjà réalisée pour l'essentiel. Mort au péché, le baptisé est ressuscité avec le Christ et, par cette résurrection, il devient un citoyen du ciel et le temple du saint Esprit. Le Dragon de l'Apocalypse a été précipité sur la terre ( Ap. 12, 13 ), mais il possède un pouvoir d'épreuve sur les hommes.
Trois exorcismes s'adressent donc à Satan directement : " Va-t-en, retire-toi du soldat nouvellement choisi, enrôlé par le Christ notre Dieu... esprit impur et pervers, néfaste et répugnant ". Et le célébrant de demander instamment au Seigneur Sabaoth, au Dieu d'Israël : " Menace les esprits impurs et chasse-les, purifie l'ouvrage de tes mains [c'est-à-dire le catéchumène] et, dans l'efficacité de ton pouvoir, hâte-toi d'écraser Satan sous ses pieds "... Puis, demandant au catéchumène de se tourner vers l'occident, vers le lieu où le soleil est sensé se coucher et qui nous parle donc symboliquement de ténèbres, le célébrant invite le catéchumène à " renoncer à Satan, à toutes ses œuvres, à tous ses anges, à tout son culte et à toutes ses pompes ".
2.2.- Le dépouillement des vêtements.
Le catéchumène est ensuite introduit dans le baptistère et il est dépouillé de tous ses vêtements. " Aussitôt entrés, dit saint Cyrille de Jérusalem, vous avez été dépouillés de votre tunique ". A l'époque des Pères de l'Eglise, il s'agissait d'une nudité complète. Le dépouillement des vêtements est le symbole du dépouillement du vieil homme et de son existence biologique. Le Pseudo-Denys voit dans ce dépouillement celui de toute la vie antérieure du catéchumène. En ôtant ainsi ses vêtements, le futur chrétien témoigne de la fermeté de son intention de s'arracher à l'existence biologique, c'est-à-dire promise à la mort, de l'individu, pour s'engager dans une tout autre forme d'existence : l'existence ecclésiale de la personne. En se débarrassant de tous ses vêtements, le candidat au baptême manifeste clairement qu'il entend renoncer aux passions et aux convoitises de la chair, et qu'il aspire à retrouver la nudité originelle totale, candide et lumineuse, de l'Adam, c'est-à-dire de l'humanité, d'avant la chute. Le catéchumène se situe encore en dehors du paradis, il partage encore l'exil d'Adam " à l'est d'Eden ". Son introduction dans le baptistère signifie que cet exil prend fin. Il s'agit, pour le catéchumène, de dépouiller le vieil homme comme un vêtement souillé. Après son baptême, il va recevoir un autre vêtement : la tunique d'incorruptibilité que lui offrira le Christ ressuscité, le nouvel Adam, le vêtement de lumière, le manteau royal qui permet de paraître dans le nouvel Eden, dans l'Eglise, afin de prendre part aux noces de l'Agneau, à la divine liturgie eucharistique, à la divine communion. Par le péché, le premier Adam perdit l'innocence et la candeur de la nudité. Il se mit à avoir honte et il se couvrit de vêtements. Le catéchumène qui s'achemine vers le baptême parcourt un itinéraire inverse. Il se dépouille du vêtement rendu nécessaire par le péché de l'homme déchu, et il se met nu afin de recevoir le vêtement lumineux et résurrectionnel du nouvel Adam.
Notons aussi que, sur la croix, le nouvel Adam, le Christ, s'est trouvé dépouillé de la totalité de ses vêtements, humilié devant les saintes femmes, et notamment devant sa mère. Le catéchumène n'est pas plus grand que Celui que, désormais, il considère comme son unique Maître. Comme lui, il doit donc s'humilier par la nudité afin de transcender celle-ci dans le vêtement résurrectionnel. Le vêtement antérieur au baptême figure l'homme corruptible. Théodore de Mopsueste dit au catéchumène : " Il faut que soit enlevé ton vêtement, indice de la mortalité, et que, par le baptême, tu revêtes la tunique d'immortalité ". En se dévêtant, le catéchumène signifie symboliquement qu'il dépouille le vieux vêtement de corruption et de péché, celui dont Adam fut revêtu après le péché. Le dépouillement baptismal symbolise la rupture avec le passé. Il s'agit, pour le futur baptisé, de troquer la livrée misérable de l'humanité pécheresse et déchue de l'individu dont le mode d'existence est biologique, c'est-à-dire promis à la corruption du tombeau, contre la robe lumineuse du nouvel Adam, du Ressuscité qui révèle à l'humanité un autre mode d'existence : l'existence de la personne, l'être-en-communion, l'existence ecclésiale. Ce troc est le contraire de celui qu'avait effectué le premier Adam : celui-ci avait troqué sa nudité innocente et candide contre la livrée misérable. Le dépouillement du catéchumène signifie pour lui une libération : il se dépouille du vêtement du vieil homme afin de retrouver la gloire du premier Adam, c'est-à-dire de l'humanité telle que Dieu l'avait primitivement voulue. Le nouveau baptisé va retrouver la glorieuse nudité de l'humanité antérieure à la chute. Et si, à l'heure actuelle, il est peu pensable d'imposer à nos catéchumènes l'épreuve d'une nudité complète par laquelle, pourtant, est passé le Seigneur Jésus, le jour du Vendredi saint, c'est bien parce que, tous autant que nous sommes, nos catéchumènes, mais aussi nous tous les baptisés, nos communautés ecclésiales, nous n'avons plus, hélas, la ferveur des communautés des premiers siècles. Orthodoxes, nous ne vivons pas à la hauteur de notre théologie. Nous continuons de mettre, avec la pratique de l'Eglise indivise, la barre très haut, mais nous ne parvenons plus à la sauter ! Et, en raison de cette tiédeur, nos communautés ne portent plus les catéchumènes comme les portaient les communautés de l'époque où la sève de l'Eglise primitive circulait pleinement dans le corps ecclésial. Dans ce contexte de décadence, la nudité est vécue comme purement humiliante, c'est-à-dire comme la seule nudité de l'homme pécheur dépouillé de son vêtement de gloire. Il convient au moins de la ressentir comme une participation à ce que fut l'humiliante nudité du nouvel Adam sur la croix, le jour du Vendredi saint. En dépouillant ses vêtements, le catéchumène peut et doit prendre conscience de son état de pécheur, " malheureux, pitoyable, pauvre, aveugle et nu ", pour reprendre les termes du message adressé, dans l'Apocalypse, à l'Eglise de Laodicée ( Ap. 3, 17 ). Mais, si le catéchumène se débarrasse ainsi de ses vêtements, c'est afin d'avoir les coudées franches dans l'effort pour donner l'assaut au démon et afin de revêtir l'homme nouveau, pour être conformé au Ressuscité, au nouvel Adam. Se dévêtir ainsi, c'est se dépouiller des ténèbres et se revêtir de lumière. De nos jours, hélas, saint Cyrille de Jérusalem ne pourrait plus dire à nos catéchumènes adultes ce qu'il osait dire à ceux de son époque : " O merveille ! Vous étiez mis sous les yeux de tous et vous n'aviez pas honte. C'est qu'en vérité vous offriez l'image de notre premier père, Adam, qui était nu au paradis terrestre et ne rougissait pas ".
La nudité, le jour du baptême, signifie donc simultanément le dépouillement de la corruptibilité et de la honte du péché, et le retour à l'innocence primitive et à la familiarité de l'état paradisiaque. Dans une homélie sur la fête de Pâques, saint Grégoire de Nysse écrit : " Désormais, Adam, quand tu l'appelleras, n'aura plus honte, ni sous les reproches de sa conduite ne se dissimulera plus sous les arbres du paradis. A retrouver l'assurance, il apparaît au grand jour ". Une fois qu'il a dépouillé les vêtements anciens, figure symbolique du vieil homme, le catéchumène, bientôt nouveau baptisé, ne doit plus jamais les reprendre : le baptême est irréversible. Et si, dans les premiers siècles de l'Eglise, on avait tendance à reculer le baptême des hommes jusqu'à la trentaine, voire plus tard encore, et cela même dans des familles chrétiennes, c'est parce qu'on avait la plus vive conscience qu'après le baptême l'homme ne doit plus pécher. C'est sur ce thème que s'achève la première lettre de saint Jean que j'ai déjà citée : "
Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche pas ; l'Engendré de Dieu [c'est-à-dire le Christ] le garde et le Mauvais n'a pas prise sur lui " ( 1Jn. 5, 18 ). C'est pour signifier cette foi de l'Eglise qu'au sortir de la piscine baptismale le nouveau baptisé est revêtu non des vêtements anciens, de couleur sombre, mais de vêtements blancs, de vêtements de lumière, qui nous parlent de la résurrection du nouvel Adam et du nouvel Eden qu'en ressuscitant il a re-créé et qui est l'Eglise. Ensuite vient la triple immersion/émersion.
Le catéchumène est ensuite introduit dans le baptistère et il est dépouillé de tous ses vêtements. " Aussitôt entrés, dit saint Cyrille de Jérusalem, vous avez été dépouillés de votre tunique ". A l'époque des Pères de l'Eglise, il s'agissait d'une nudité complète. Le dépouillement des vêtements est le symbole du dépouillement du vieil homme et de son existence biologique. Le Pseudo-Denys voit dans ce dépouillement celui de toute la vie antérieure du catéchumène. En ôtant ainsi ses vêtements, le futur chrétien témoigne de la fermeté de son intention de s'arracher à l'existence biologique, c'est-à-dire promise à la mort, de l'individu, pour s'engager dans une tout autre forme d'existence : l'existence ecclésiale de la personne. En se débarrassant de tous ses vêtements, le candidat au baptême manifeste clairement qu'il entend renoncer aux passions et aux convoitises de la chair, et qu'il aspire à retrouver la nudité originelle totale, candide et lumineuse, de l'Adam, c'est-à-dire de l'humanité, d'avant la chute. Le catéchumène se situe encore en dehors du paradis, il partage encore l'exil d'Adam " à l'est d'Eden ". Son introduction dans le baptistère signifie que cet exil prend fin. Il s'agit, pour le catéchumène, de dépouiller le vieil homme comme un vêtement souillé. Après son baptême, il va recevoir un autre vêtement : la tunique d'incorruptibilité que lui offrira le Christ ressuscité, le nouvel Adam, le vêtement de lumière, le manteau royal qui permet de paraître dans le nouvel Eden, dans l'Eglise, afin de prendre part aux noces de l'Agneau, à la divine liturgie eucharistique, à la divine communion. Par le péché, le premier Adam perdit l'innocence et la candeur de la nudité. Il se mit à avoir honte et il se couvrit de vêtements. Le catéchumène qui s'achemine vers le baptême parcourt un itinéraire inverse. Il se dépouille du vêtement rendu nécessaire par le péché de l'homme déchu, et il se met nu afin de recevoir le vêtement lumineux et résurrectionnel du nouvel Adam.
Notons aussi que, sur la croix, le nouvel Adam, le Christ, s'est trouvé dépouillé de la totalité de ses vêtements, humilié devant les saintes femmes, et notamment devant sa mère. Le catéchumène n'est pas plus grand que Celui que, désormais, il considère comme son unique Maître. Comme lui, il doit donc s'humilier par la nudité afin de transcender celle-ci dans le vêtement résurrectionnel. Le vêtement antérieur au baptême figure l'homme corruptible. Théodore de Mopsueste dit au catéchumène : " Il faut que soit enlevé ton vêtement, indice de la mortalité, et que, par le baptême, tu revêtes la tunique d'immortalité ". En se dévêtant, le catéchumène signifie symboliquement qu'il dépouille le vieux vêtement de corruption et de péché, celui dont Adam fut revêtu après le péché. Le dépouillement baptismal symbolise la rupture avec le passé. Il s'agit, pour le futur baptisé, de troquer la livrée misérable de l'humanité pécheresse et déchue de l'individu dont le mode d'existence est biologique, c'est-à-dire promis à la corruption du tombeau, contre la robe lumineuse du nouvel Adam, du Ressuscité qui révèle à l'humanité un autre mode d'existence : l'existence de la personne, l'être-en-communion, l'existence ecclésiale. Ce troc est le contraire de celui qu'avait effectué le premier Adam : celui-ci avait troqué sa nudité innocente et candide contre la livrée misérable. Le dépouillement du catéchumène signifie pour lui une libération : il se dépouille du vêtement du vieil homme afin de retrouver la gloire du premier Adam, c'est-à-dire de l'humanité telle que Dieu l'avait primitivement voulue. Le nouveau baptisé va retrouver la glorieuse nudité de l'humanité antérieure à la chute. Et si, à l'heure actuelle, il est peu pensable d'imposer à nos catéchumènes l'épreuve d'une nudité complète par laquelle, pourtant, est passé le Seigneur Jésus, le jour du Vendredi saint, c'est bien parce que, tous autant que nous sommes, nos catéchumènes, mais aussi nous tous les baptisés, nos communautés ecclésiales, nous n'avons plus, hélas, la ferveur des communautés des premiers siècles. Orthodoxes, nous ne vivons pas à la hauteur de notre théologie. Nous continuons de mettre, avec la pratique de l'Eglise indivise, la barre très haut, mais nous ne parvenons plus à la sauter ! Et, en raison de cette tiédeur, nos communautés ne portent plus les catéchumènes comme les portaient les communautés de l'époque où la sève de l'Eglise primitive circulait pleinement dans le corps ecclésial. Dans ce contexte de décadence, la nudité est vécue comme purement humiliante, c'est-à-dire comme la seule nudité de l'homme pécheur dépouillé de son vêtement de gloire. Il convient au moins de la ressentir comme une participation à ce que fut l'humiliante nudité du nouvel Adam sur la croix, le jour du Vendredi saint. En dépouillant ses vêtements, le catéchumène peut et doit prendre conscience de son état de pécheur, " malheureux, pitoyable, pauvre, aveugle et nu ", pour reprendre les termes du message adressé, dans l'Apocalypse, à l'Eglise de Laodicée ( Ap. 3, 17 ). Mais, si le catéchumène se débarrasse ainsi de ses vêtements, c'est afin d'avoir les coudées franches dans l'effort pour donner l'assaut au démon et afin de revêtir l'homme nouveau, pour être conformé au Ressuscité, au nouvel Adam. Se dévêtir ainsi, c'est se dépouiller des ténèbres et se revêtir de lumière. De nos jours, hélas, saint Cyrille de Jérusalem ne pourrait plus dire à nos catéchumènes adultes ce qu'il osait dire à ceux de son époque : " O merveille ! Vous étiez mis sous les yeux de tous et vous n'aviez pas honte. C'est qu'en vérité vous offriez l'image de notre premier père, Adam, qui était nu au paradis terrestre et ne rougissait pas ".
La nudité, le jour du baptême, signifie donc simultanément le dépouillement de la corruptibilité et de la honte du péché, et le retour à l'innocence primitive et à la familiarité de l'état paradisiaque. Dans une homélie sur la fête de Pâques, saint Grégoire de Nysse écrit : " Désormais, Adam, quand tu l'appelleras, n'aura plus honte, ni sous les reproches de sa conduite ne se dissimulera plus sous les arbres du paradis. A retrouver l'assurance, il apparaît au grand jour ". Une fois qu'il a dépouillé les vêtements anciens, figure symbolique du vieil homme, le catéchumène, bientôt nouveau baptisé, ne doit plus jamais les reprendre : le baptême est irréversible. Et si, dans les premiers siècles de l'Eglise, on avait tendance à reculer le baptême des hommes jusqu'à la trentaine, voire plus tard encore, et cela même dans des familles chrétiennes, c'est parce qu'on avait la plus vive conscience qu'après le baptême l'homme ne doit plus pécher. C'est sur ce thème que s'achève la première lettre de saint Jean que j'ai déjà citée : "
Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche pas ; l'Engendré de Dieu [c'est-à-dire le Christ] le garde et le Mauvais n'a pas prise sur lui " ( 1Jn. 5, 18 ). C'est pour signifier cette foi de l'Eglise qu'au sortir de la piscine baptismale le nouveau baptisé est revêtu non des vêtements anciens, de couleur sombre, mais de vêtements blancs, de vêtements de lumière, qui nous parlent de la résurrection du nouvel Adam et du nouvel Eden qu'en ressuscitant il a re-créé et qui est l'Eglise. Ensuite vient la triple immersion/émersion.
2.3.- La triple immersion / émersion.
L'épiclèse baptismale est invocation de l'action vivifiante du saint Esprit afin que ses énergies transforment l'ensevelissement dans les eaux, la noyade du catéchumène, du vieil homme, en événement résurrectionnel. Par sa présence surabondante et chaotique, l'eau parle à l'homme -- à Noé et à Jonas -- de noyade et d'asphyxie, d'ensevelissement et de mort, de déluge et d'engloutissement. Mais simultanément elle est pour lui source de fertilité et de vie, tels le Nil et le Jourdain, condition de possibilité de l'hygiène et apaisement de la soif. L'eau qui jaillit miraculeusement du rocher au désert annonce et figure l'eau qui coulera en abondance aux jours du Messie, symbole d'une effusion de vie nouvelle et d'une intarissable fécondité spirituelle. Or, la célébration du baptême signifie et présuppose que les jours du Messie sont arrivés puisque le Christ est ressuscité. L'émersion signifie la joie de respirer à nouveau en respirant l'Esprit. L'eau incorpore la puissance résurrectionnelle de l`Esprit. L'eau se referme sur le catéchumène comme une tombe, mais l'Esprit transforme la tombe en matrice. Dans sa Hiérarchie ecclésiastique, le Pseudo-Denys appelle admirablement le baptistère " la matrice de toute filiation ". De mortelle qu'elle était, l'eau devient vivifiante et maternelle. Le baptisé émerge des eaux du baptistère, et ce dernier devient une tombe vide, à l'instar du tombeau de Joseph que les femmes myrophores trouvèrent vide au matin de Pâques. Un baptisé pleinement conscient de son baptême doit considérer que sa véritable mort est derrière lui puisqu'elle a pris fin avec son baptême, et qu'il n'a plus à redouter la mort biologique, celle de l'individu soumis à la nécessité naturelle. Durant les premiers siècles de l'histoire de l'Eglise, on appelait les chrétiens ceux qui ne craignent pas la mort.
Le mot baptême vient du verbe grec " baptein ", qui signifie plonger, immerger. De ce verbe " baptein " dérive un autre verbe, " baptizein ", qui, lui aussi, signifie plonger, immerger, ou submerger et, en langage chrétien, baptiser par immersion.. La triple immersion/émersion s'effectue par une plongée complète du baptisé dans le sépulcre de l'onde baptismale, afin que soient ainsi symbolisées la sépulture avec le Christ et la résurrection de celui qui a reçu le baptême. L'immersion totale nous parle d'une mise au tombeau. Dans son commentaire de l'épître aux Romains, le P. Lagrange parle de ces pélerins russes et grecs, donc orthodoxes, qui, à l'époque où le P. Lagrange vivait en Palestine, c'est-à-dire entre 1890 et 1935 , se baignaient dans le Jourdain le jour de la Théophanie, le 6 janvier, enveloppés dans des peignoirs en toile qu'ils remportaient pour qu'ils leur servissent de suaires après leur mort. C'est pourquoi, l'épître qui est lue au cours d'un baptême est le chapitre 6, versets 3 à 11 de l'épître aux Romains, c'est-à-dire le texte le plus important de ceux où saint Paul a parlé du baptême chrétien : " ... nous tous qui avons été baptisés dans le Christ, c'est dans sa mort que nous avons été baptisés. Par le baptême, nous avons donc été ensevelis avec lui dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions, nous aussi, dans une vie nouvelle. Si par une mort semblable à la sienne nous sommes devenus un même être avec lui, nous le serons aussi par la résurrection. Comprenons-le, notre vieil homme a été crucifié avec lui pour que fût détruit ce corps de péché, afin que nous cessions d'être asservis au péché. Et si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui, sachant que le Christ, une fois ressuscité des morts, ne meurt plus, la mort n'a plus d'emprise sur lui. Car sa mort fut une mort au péché, une fois pour toutes ; mais sa vie est une vie pour Dieu. Vous donc aussi, considérez-vous comme morts au péché et comme vivants pour Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur ". Se plonger dans les eaux du baptême, c'est se plonger dans la mort du Christ.
Cette triple immersion/émersion du corps du baptisé dans l'eau est accompagnée de l'épiclèse, c'est-à-dire de l'invocation du Nom des trois personnes divines de la sainte Trinité. La triple action rappelle simultanément l'ensevelissement du Christ durant trois jours dans le tombeau de Joseph d'Arimathie, et les trois Hypostases de la divine Trinité au nom desquelles a lieu la triple immersion/émersion. Dans son Explication de la divine liturgie ( ch.4 ), Nicolas Cabasilas écrit : " Nous donnons notre vie en échange d'une autre. Or, rendre notre vie, c'est bien mourir. Le Seigneur, en nous faisant participants de sa résurrection, exige que nous apportions quelque chose à ce grand don. Mais quoi ? L'imitation de sa mort : et cela en disparaissant par trois fois dans l'eau baptismale comme en un sépulcre ". Le baptême par aspersion ou par infusion n'est permis que par nécessité et de façon exceptionnelle, notamment pour les malades. Il ne peut être érigé en règle. La complète immersion du baptisé dans l'eau s'impose du fait qu'elle signifie l'imitation de l'ensevelissement du Christ. " Comme en un tombeau, remarque saint Jean Chrysostome, lorsque nous plongeons la tête dans l'eau, le vieil homme est enseveli et submergé au fond, il est caché tout entier en une fois ; puis, lorsque nous nous relevons, c'est le nouvel homme qui se relève ". Dans son traité Adversus Praxean, Tertullien écrit : " Comme, en effet, notre Sauveur fut trois jours et trois nuits dans le creux de la terre, ainsi les baptisés imitent par la triple immersion cette sépulture de trois jours et le baptême par les trois immersions signifie les trois jours de la sépulture du Seigneur ". De même, saint Basile affirme : " Le grand sacrement de baptême est célébré dans trois immersions et dans un nombre égal d'épiclèses, afin que le symbole de la mort soit figuré et que les baptisés aient l'âme illuminée par la transmission de la connaissance divine ". Même en Occident, la façon habituelle d'administrer le baptême fut, jusqu'au XIVème siècle, l'immersion, comme en témoignent les nombreux baptistères conservés partout, notamment en Italie. Le douzième canon du concile de Néo-Césarée écarte du sacerdoce ceux qui, pour raison de santé, avaient reçu le baptême par simple infusion. Thomas d'Aquin considère le baptême par immersion " communior, laudabilior, tutior " ( Somme théologique. IlIa 66, 7 ). Pour lui, " l'immersion représente d'une façon plus expressive l'ensevelissement du Christ ; aussi cette manière de baptiser est-elle commune et plus recommandable ( Ibid. art. 7, 2 ). C'est le théologien anglais Alexandre de Halès ( vers 1180-1245 ) qui le premier affirma la validité d'un baptême administré sans nécessité médicale par infusion. L'opinion d'Alexandre de Halès fut partagée par son disciple Bonaventure. Les rites milanais ( ou ambrosien ) et mozarabe sont demeurés fidèles à l'immersion. Celle-ci fut pratiquée en Espagne jusqu'au milieu du 18ème siècle. A la veille de la Réforme, l'usage anglais ne comportait encore que la seule rubrique de l'immersion. En 1614 encore, le rituel du pape Paul V présentait le baptême par immersion d'un enfant comme une alternative à l'infusion devenue la pratique générale peu avant la Réforme du 16ème siècle.
L'eau ne lave pas, ne purifie pas seulement. Elle tue aussi en noyant, en asphyxiant, et celui qui échappe à la noyade expérimente une certaine résurrection ! L'eau qui donne la vie est aussi l'eau asphyxiante de la mort. Nicolas Cabasilas écrit : " L'eau détruit une forme de vie mais découvre l'autre ; elle engloutit le vieil homme et élève l'homme nouveau " ( La vie en Christ. II, 9 ). Dans un article paru en 1952 dans La Maison-Dieu, et intitulé : Le symbolisme des rites baptismaux ( N°32, p. 6 ), le Père Louis Bouyer a effectué une auto-çritique catholique-romaine tout à fait remarquable. II écrit : ... " il n y a à peu près plus de symboles du tout dans nos rites tels que nous les célébrons. Nous avons remplacé insensiblement le symbole par une espèce de signe abstrait du symbole qui est au symbole ce que l'absorption d'une pilule peut être à un repas. Le vrai symbole, lui, est plus parlant que toutes les paroles, et c'est pourquoi Notre-Seigneur a voulu joindre dans l'économie des moyens de grâce le symbole à la parole, pour qu'il dise ce qu'aucune parole ne peut dire. Car il est, le vrai symbole, un acte vivant qui prend l'homme tout entier, corps et âme, et lui fait découvrir dans une action où il est entraîné, avec sa chair, son cœur et son esprit, la vérité qui, dans des paroles, resterait une abstraction, alors qu'elle est appréhendée comme réalité dans un acte concret. Au contraire, nous en sommes venus, nous, à tenter vainement, par un flot de paroles impuissantes, de rendre quelque sens à des gestes décharnés, privés de toute vie réelle. L'espèce de dessiccation, de ratatinement subi par les anciens rites baptismaux fait qu'ils ne sont plus des symboles à proprement parler, parce qu'ils ont rétrogradé en deçà du minimum sensible où ils pouvaient encore émouvoir l'imagination vivante... Quel rapport y a-t-il entre l'expérience d'un homme qui reçoit sur le front quelques gouttes d'eau vite essuyées et l'expérience d'un homme qui a pris un vrai bain ? Si seulement nous célébrions encore les baptêmes comme on le fait en Orient, où l'on met l'enfant tout nu, où on le plonge trois fois jusque par dessus la tête dans l'eau d'une vraie baignoire, peut-être que les gens les plus réfractaires à la poésie primitive y comprendraient tout de même quelque chose. L'ouvrier qui sort d'un travail salissant et accablant et qui va prendre une bonne douche ou piquer une tête dans une piscine avant de passer la soirée en famille ou avec des camarades sait parfaitement ce que cela veut dire qu'avoir fait peau neuve, que se sentir un autre homme après s'être plongé dans l'eau. Mais qu'est-ce qu'il peut retrouver de commun avec cette expérience pour la transposer spirituellement quand il voit le curé effleurer à peine de trois gouttes d'eau vite épongées le front de son enfant ? ( pp: 6-7 ) Il est incontestable que l'abandon de l'immersion au profit de l'infusion a affaibli, anémié le symbolisme propre au baptême chrétien, qu'il a provoqué une occultation de la référence symbolique à la mort et à la résurrection du Christ. On peut encore remarquer que le baptême par infusion supprime le symbolisme de la dénudation. Heureusement, depuis Vatican II, et dans le nouveau Catéchisme de l'Eglise catholique, l'Occident chrétien est en train de redécouvrir l'importance de l'immersion baptismale. Le souhait des Orthodoxes est que le baptême par immersion devienne de plus en plus fréquent dans l'Occident chrétien. Dans le monde orthodoxe on a pu parfois constater la tentation de procéder au baptême par infusion. Ce fut le cas, par exemple, dans la Russie septentrionale, en raison du climat. Au XIIème siècle, l'évêque Elie (1165-1186 ) avertit les habitants de Novgorod de ne pas se contenter de verser de l'eau sur la tête de l'enfant au lieu de le plonger dans l'eau baptismale. On retrouve cet avertissement en 1274 ( synode de Vladimir ), et aux 14ème et 15ème siècles, dans les lettres aux habitants de Novgorod et de Pskov des métropolites Cyprien (1390-1405 ) et Photius ( 1408-1431 ). Mais cette pratique constitue un phénomène marginal.
L'épiclèse baptismale est invocation de l'action vivifiante du saint Esprit afin que ses énergies transforment l'ensevelissement dans les eaux, la noyade du catéchumène, du vieil homme, en événement résurrectionnel. Par sa présence surabondante et chaotique, l'eau parle à l'homme -- à Noé et à Jonas -- de noyade et d'asphyxie, d'ensevelissement et de mort, de déluge et d'engloutissement. Mais simultanément elle est pour lui source de fertilité et de vie, tels le Nil et le Jourdain, condition de possibilité de l'hygiène et apaisement de la soif. L'eau qui jaillit miraculeusement du rocher au désert annonce et figure l'eau qui coulera en abondance aux jours du Messie, symbole d'une effusion de vie nouvelle et d'une intarissable fécondité spirituelle. Or, la célébration du baptême signifie et présuppose que les jours du Messie sont arrivés puisque le Christ est ressuscité. L'émersion signifie la joie de respirer à nouveau en respirant l'Esprit. L'eau incorpore la puissance résurrectionnelle de l`Esprit. L'eau se referme sur le catéchumène comme une tombe, mais l'Esprit transforme la tombe en matrice. Dans sa Hiérarchie ecclésiastique, le Pseudo-Denys appelle admirablement le baptistère " la matrice de toute filiation ". De mortelle qu'elle était, l'eau devient vivifiante et maternelle. Le baptisé émerge des eaux du baptistère, et ce dernier devient une tombe vide, à l'instar du tombeau de Joseph que les femmes myrophores trouvèrent vide au matin de Pâques. Un baptisé pleinement conscient de son baptême doit considérer que sa véritable mort est derrière lui puisqu'elle a pris fin avec son baptême, et qu'il n'a plus à redouter la mort biologique, celle de l'individu soumis à la nécessité naturelle. Durant les premiers siècles de l'histoire de l'Eglise, on appelait les chrétiens ceux qui ne craignent pas la mort.
Le mot baptême vient du verbe grec " baptein ", qui signifie plonger, immerger. De ce verbe " baptein " dérive un autre verbe, " baptizein ", qui, lui aussi, signifie plonger, immerger, ou submerger et, en langage chrétien, baptiser par immersion.. La triple immersion/émersion s'effectue par une plongée complète du baptisé dans le sépulcre de l'onde baptismale, afin que soient ainsi symbolisées la sépulture avec le Christ et la résurrection de celui qui a reçu le baptême. L'immersion totale nous parle d'une mise au tombeau. Dans son commentaire de l'épître aux Romains, le P. Lagrange parle de ces pélerins russes et grecs, donc orthodoxes, qui, à l'époque où le P. Lagrange vivait en Palestine, c'est-à-dire entre 1890 et 1935 , se baignaient dans le Jourdain le jour de la Théophanie, le 6 janvier, enveloppés dans des peignoirs en toile qu'ils remportaient pour qu'ils leur servissent de suaires après leur mort. C'est pourquoi, l'épître qui est lue au cours d'un baptême est le chapitre 6, versets 3 à 11 de l'épître aux Romains, c'est-à-dire le texte le plus important de ceux où saint Paul a parlé du baptême chrétien : " ... nous tous qui avons été baptisés dans le Christ, c'est dans sa mort que nous avons été baptisés. Par le baptême, nous avons donc été ensevelis avec lui dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions, nous aussi, dans une vie nouvelle. Si par une mort semblable à la sienne nous sommes devenus un même être avec lui, nous le serons aussi par la résurrection. Comprenons-le, notre vieil homme a été crucifié avec lui pour que fût détruit ce corps de péché, afin que nous cessions d'être asservis au péché. Et si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui, sachant que le Christ, une fois ressuscité des morts, ne meurt plus, la mort n'a plus d'emprise sur lui. Car sa mort fut une mort au péché, une fois pour toutes ; mais sa vie est une vie pour Dieu. Vous donc aussi, considérez-vous comme morts au péché et comme vivants pour Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur ". Se plonger dans les eaux du baptême, c'est se plonger dans la mort du Christ.
Cette triple immersion/émersion du corps du baptisé dans l'eau est accompagnée de l'épiclèse, c'est-à-dire de l'invocation du Nom des trois personnes divines de la sainte Trinité. La triple action rappelle simultanément l'ensevelissement du Christ durant trois jours dans le tombeau de Joseph d'Arimathie, et les trois Hypostases de la divine Trinité au nom desquelles a lieu la triple immersion/émersion. Dans son Explication de la divine liturgie ( ch.4 ), Nicolas Cabasilas écrit : " Nous donnons notre vie en échange d'une autre. Or, rendre notre vie, c'est bien mourir. Le Seigneur, en nous faisant participants de sa résurrection, exige que nous apportions quelque chose à ce grand don. Mais quoi ? L'imitation de sa mort : et cela en disparaissant par trois fois dans l'eau baptismale comme en un sépulcre ". Le baptême par aspersion ou par infusion n'est permis que par nécessité et de façon exceptionnelle, notamment pour les malades. Il ne peut être érigé en règle. La complète immersion du baptisé dans l'eau s'impose du fait qu'elle signifie l'imitation de l'ensevelissement du Christ. " Comme en un tombeau, remarque saint Jean Chrysostome, lorsque nous plongeons la tête dans l'eau, le vieil homme est enseveli et submergé au fond, il est caché tout entier en une fois ; puis, lorsque nous nous relevons, c'est le nouvel homme qui se relève ". Dans son traité Adversus Praxean, Tertullien écrit : " Comme, en effet, notre Sauveur fut trois jours et trois nuits dans le creux de la terre, ainsi les baptisés imitent par la triple immersion cette sépulture de trois jours et le baptême par les trois immersions signifie les trois jours de la sépulture du Seigneur ". De même, saint Basile affirme : " Le grand sacrement de baptême est célébré dans trois immersions et dans un nombre égal d'épiclèses, afin que le symbole de la mort soit figuré et que les baptisés aient l'âme illuminée par la transmission de la connaissance divine ". Même en Occident, la façon habituelle d'administrer le baptême fut, jusqu'au XIVème siècle, l'immersion, comme en témoignent les nombreux baptistères conservés partout, notamment en Italie. Le douzième canon du concile de Néo-Césarée écarte du sacerdoce ceux qui, pour raison de santé, avaient reçu le baptême par simple infusion. Thomas d'Aquin considère le baptême par immersion " communior, laudabilior, tutior " ( Somme théologique. IlIa 66, 7 ). Pour lui, " l'immersion représente d'une façon plus expressive l'ensevelissement du Christ ; aussi cette manière de baptiser est-elle commune et plus recommandable ( Ibid. art. 7, 2 ). C'est le théologien anglais Alexandre de Halès ( vers 1180-1245 ) qui le premier affirma la validité d'un baptême administré sans nécessité médicale par infusion. L'opinion d'Alexandre de Halès fut partagée par son disciple Bonaventure. Les rites milanais ( ou ambrosien ) et mozarabe sont demeurés fidèles à l'immersion. Celle-ci fut pratiquée en Espagne jusqu'au milieu du 18ème siècle. A la veille de la Réforme, l'usage anglais ne comportait encore que la seule rubrique de l'immersion. En 1614 encore, le rituel du pape Paul V présentait le baptême par immersion d'un enfant comme une alternative à l'infusion devenue la pratique générale peu avant la Réforme du 16ème siècle.
L'eau ne lave pas, ne purifie pas seulement. Elle tue aussi en noyant, en asphyxiant, et celui qui échappe à la noyade expérimente une certaine résurrection ! L'eau qui donne la vie est aussi l'eau asphyxiante de la mort. Nicolas Cabasilas écrit : " L'eau détruit une forme de vie mais découvre l'autre ; elle engloutit le vieil homme et élève l'homme nouveau " ( La vie en Christ. II, 9 ). Dans un article paru en 1952 dans La Maison-Dieu, et intitulé : Le symbolisme des rites baptismaux ( N°32, p. 6 ), le Père Louis Bouyer a effectué une auto-çritique catholique-romaine tout à fait remarquable. II écrit : ... " il n y a à peu près plus de symboles du tout dans nos rites tels que nous les célébrons. Nous avons remplacé insensiblement le symbole par une espèce de signe abstrait du symbole qui est au symbole ce que l'absorption d'une pilule peut être à un repas. Le vrai symbole, lui, est plus parlant que toutes les paroles, et c'est pourquoi Notre-Seigneur a voulu joindre dans l'économie des moyens de grâce le symbole à la parole, pour qu'il dise ce qu'aucune parole ne peut dire. Car il est, le vrai symbole, un acte vivant qui prend l'homme tout entier, corps et âme, et lui fait découvrir dans une action où il est entraîné, avec sa chair, son cœur et son esprit, la vérité qui, dans des paroles, resterait une abstraction, alors qu'elle est appréhendée comme réalité dans un acte concret. Au contraire, nous en sommes venus, nous, à tenter vainement, par un flot de paroles impuissantes, de rendre quelque sens à des gestes décharnés, privés de toute vie réelle. L'espèce de dessiccation, de ratatinement subi par les anciens rites baptismaux fait qu'ils ne sont plus des symboles à proprement parler, parce qu'ils ont rétrogradé en deçà du minimum sensible où ils pouvaient encore émouvoir l'imagination vivante... Quel rapport y a-t-il entre l'expérience d'un homme qui reçoit sur le front quelques gouttes d'eau vite essuyées et l'expérience d'un homme qui a pris un vrai bain ? Si seulement nous célébrions encore les baptêmes comme on le fait en Orient, où l'on met l'enfant tout nu, où on le plonge trois fois jusque par dessus la tête dans l'eau d'une vraie baignoire, peut-être que les gens les plus réfractaires à la poésie primitive y comprendraient tout de même quelque chose. L'ouvrier qui sort d'un travail salissant et accablant et qui va prendre une bonne douche ou piquer une tête dans une piscine avant de passer la soirée en famille ou avec des camarades sait parfaitement ce que cela veut dire qu'avoir fait peau neuve, que se sentir un autre homme après s'être plongé dans l'eau. Mais qu'est-ce qu'il peut retrouver de commun avec cette expérience pour la transposer spirituellement quand il voit le curé effleurer à peine de trois gouttes d'eau vite épongées le front de son enfant ? ( pp: 6-7 ) Il est incontestable que l'abandon de l'immersion au profit de l'infusion a affaibli, anémié le symbolisme propre au baptême chrétien, qu'il a provoqué une occultation de la référence symbolique à la mort et à la résurrection du Christ. On peut encore remarquer que le baptême par infusion supprime le symbolisme de la dénudation. Heureusement, depuis Vatican II, et dans le nouveau Catéchisme de l'Eglise catholique, l'Occident chrétien est en train de redécouvrir l'importance de l'immersion baptismale. Le souhait des Orthodoxes est que le baptême par immersion devienne de plus en plus fréquent dans l'Occident chrétien. Dans le monde orthodoxe on a pu parfois constater la tentation de procéder au baptême par infusion. Ce fut le cas, par exemple, dans la Russie septentrionale, en raison du climat. Au XIIème siècle, l'évêque Elie (1165-1186 ) avertit les habitants de Novgorod de ne pas se contenter de verser de l'eau sur la tête de l'enfant au lieu de le plonger dans l'eau baptismale. On retrouve cet avertissement en 1274 ( synode de Vladimir ), et aux 14ème et 15ème siècles, dans les lettres aux habitants de Novgorod et de Pskov des métropolites Cyprien (1390-1405 ) et Photius ( 1408-1431 ). Mais cette pratique constitue un phénomène marginal.
Père André Borrély, recteur de la paroisse St Irénée de Marseille, France
Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»
LES SEPT CONCILES OECUMENIQUES
L'aube du 4ème siècle a été le témoin du plus grand tournant qu'a connu l'Histoire.
Ce siècle n'avait que trois ans lorsque l'Empire romain tenta, une dernière fois (en 303 ) et avec une violence jusque là jamais atteinte, d'anéantir la religion chrétienne.
Il est vrai que la persécution de Dioclétien (1), après une paix relative de l'Eglise, mais combien significative pour la préparation de la christianisation de tout l'Empire, a profondément affecté la vie de l'Eglise, surtout dans les provinces situées à l'est de la Rome latine et jusqu'à l'Orient hellénisé ; mais il est vrai, aussi, que pour l'Eglise de la Gaule, de l'Ibérie et de la Bretagne cette persécution n'a pas été trop sévère ; en effet elle ne fut que peu ressentie dans ces provinces relativement éloignées de la capitale.
Pour des raisons de stratégie politique et surtout pour ce qui était de l'intérêt personnel de Dioclétien, ce dernier abdiqua en 305.
Aussi durant le règne de son successeur Galère (2) et du nouveau César qui l'assista, Maximin, la persécution des chrétiens prit-elle un caractère plus systématique. Maximin, plus fanatique encore que l'empereur lui-même, recourut à de nouvelles méthodes de propagande anti-chrétienne et de dissuasion ; mais, finalement, il dut revenir (en 312) à une tolérance, incomplète certes, mais tellement nécessaire aux chrétiens, après dix années d'une sanglante persécution ; elle avait en fait coûté la vie à des milliers de chrétiens.
Presque tous les historiens affirment aujourd'hui que Maximin décida de rétablir la paix religieuse à cause des menaces venant de l'intérieur (la situation politique à Rome étant très préoccupante) puis, et surtout, sous les coups que lui portaient ses deux collègues et rivaux d'Occident : Constantin et Licinius.
Ce n'est pas le lieu de raconter par le détail tous les événements qui marquèrent les premières années du 4ème siècle ; ils sont d'ailleurs très complexes. Toujours est-il que le nom de Constantin resta intimement lié au triomphe du christianisme, que son règne a vu s'accomplir la mutation peut-être la plus importante qu'ait connu l'histoire de l'Eglise chrétienne.
Constantin est considéré, à juste titre, comme "isapostolos" (égal aux apôtres). En effet, c'est lui qui pensa le premier que, puisque l'empire romain devait, tôt ou tard, devenir un empire chrétien, il fallait au moins l'établir fermement sur la véritable foi. Aussi, soucieux de préserver l'unité de foi de ses sujets, convoqua-t-il un premier concile œcuménique, en 325, à Nicée, une ville toute proche de la future et nouvelle capitale de l'empire romain, Constantinople.
Mais qu'est-ce donc qu'un concile de l'Eglise ? Et pourquoi certains des conciles sont-ils appelés " œcuméniques "?
Disons tout de suite que " un concile est l'organe par lequel Dieu a choisi de guider les évêques ; il est une incarnation de la nature essentielle de l'Eglise ". (3) Cette définition est juste et belle ; je la crois accessible à tous car elle est facile à comprendre.
Pour les Grecs anciens, un " organon " était le " moyen " par excellence et ici le " moyen d'action " (organon=ergon). Le mot " concile " se dit d'ailleurs en grec " synodos ". Ce mot signifie " aller ensemble " ou " marcher sur la même voie ".
Les évêques, donc, c'est-à-dire ceux qui " veillent " (episkopos) sur la bonne marche de l'Eglise, se réunissent en assemblée, et travaillant dans un même esprit de paix et d'amour, précisent définitivement et d'une manière normative le message christologique de l'Eglise (4).
Un concile se réunissait sur l'ordre de l'empereur ; ce dernier renforçait les décrets du concile mais il n'en dictait jamais les termes ; c'était aux évêques d'enseigner la vraie foi ; l'empereur en était le protecteur. Les laïcs (du mot grec " laos " qui veut dire " le peuple ") avaient le droit d'assister aux conciles et parfois même de prendre une part active (comme l'empereur Constantin 1er et d'autres empereurs de Byzance). Mais lorsqu'arrivait le moment des proclamations formelles, c'étaient les évêques seuls qui, en vertu de leur charisme d'enseignement, prenaient les décisions finales.
Un concile peut être " local " ou " œcuménique ". Il est " local " quand il réunit des membres d'une ou de plusieurs Eglises mais sans prétendre représenté la totalité de l'Eglise chrétienne ; aussi ses décisions peuvent-elles être susceptibles d'erreur.
Par contre, les décisions doctrinales d'un concile " œcuménique " ne peuvent être ni revues ni corrigées ; elles sont infaillibles et leur autorité est universelle car elle s'étend sur " toute la terre habitée " (OEkoumène).
Il y eut plusieurs conciles mais l'Eglise orthodoxe n'en reconnaît que sept comme " œcuméniques "; ils furent tous convoqués par des empereurs de Byzance et réunis dans des villes de l'orient méditerranéen.
LE PREMIER CONCILE OECUMENIQUE de l'Eglise chrétienne a été convoqué en 325, à Nicée (5), par l'empereur Constantin qui y assista personnellement ainsi que trois cents évêques environ.
C'est justement ce concile qui condamna Arius, proclama que le Fils de Dieu, c'est-à-dire le Christ, est " consubstantiel " au Père (" homoousios " en grec, de la même essence) ; le Christ est vrai Dieu de vrai Dieu, et non pas inférieur au Père comme le prétendait Arius. Ce concile proclama en outre que le Christ fut engendré et non pas créé ; ceci est dit expressément dans le " Credo ", c'est-à-dire dans la profession de la vraie foi d'un chrétien orthodoxe.
Le concile de Nicée s'occupa par ailleurs de l'organisation matérielle de l'Eglise mais la condamnation d'Arius (6) marqua une date mémorable dans l'histoire doctrinale du christianisme. Ce fut un travail gigantesque et souvent passionné ; mais tout avait été conduit avec amour, compréhension et sagesse. Toutefois, les hésitations et la réticence de certains évêques créèrent un climat de malaise au sein même de l'Eglise.
C'est pourquoi, durant la période troublée qui s'étend de 325 à 381, il fut décidé de reprendre le travail de Nicée et de développer en particulier le Credo. Aussi, un nouveau concile œcuménique, le DEUXIEME, fut-il convoqué à Constantinople en 381. C'est durant ses travaux qu'un accent tout particulier fut mis sur l'Esprit Saint, également Dieu au même titre que le Père et le Fils ; l'Esprit Saint " qui procède du Père, qui avec le Père et le Fils est adoré et glorifié ". Mais il a aussi été proclamé qu'en Dieu l'unité absolue (ousia) est inséparable d'une divinité non moins diverse. Ainsi le Père, le Fils et l'Esprit Saint sont trois personnes divines (hypostaseis) " en une seule personne ". Ceci sera d'ailleurs merveilleusement développé par les trois géants de la théologie orthodoxe : les saints Grégoire de Nazianze, Basile le Grand et Grégoire de Nysse.
Un nouveau concile œcuménique, le TROISIEME de ce nom, fut convoqué, cinquante ans à peine après celui de Constantinople, à Ephèse cette fois-là, en 431.
Ce concile affirma l'unité hypostatique du Christ, c'est à dire qu'en lui (le Christ) il n'y a aucune distinction entre sa divinité et son humanité, mais une parfaite union du divin et de l'humain ; le Christ seul peut exister en deux natures (ousies) différentes : être Dieu et homme à la fois.
C'est durant ce concile qu'il a été proclamé, de façon solennelle, que Marie est la Mère de Dieu : Théotokos. Marie a donné naissance au Verbe (le Logos) de Dieu fait chair ; l'enfant que Marie porta était une personne unique (7) à la fois Dieu et homme (Saint Jean 1,14).
Cependant vingt années étaient à peine écoulées depuis le concile d'Ephèse qu'un QUATRIEME concile fut convoqué à Chalcédoine, une ville toute proche de Constantinople sur l'autre rive du Bosphore, en 451.
Ce quatrième concile œcuménique constitue avec le précédent le sommet de la christologie orthodoxe.
C'est durant les travaux de ce concile qu'a été proclamé que " le Christ est vrai Dieu et vrai homme ; qu'il se fait connaître sans mélange, sans changement, individuellement et inséparablement de telle sorte que les propriétés de chaque nature (la divine et l'humaine) ne demeurent que plus fermes lorsqu'elles se trouvent unies dans une seule personne " (ou hypostase). (Cf. O. Clément : L'Eglise Orthodoxe).
On voit ici clairement que les Pères conciliaires de Chalcédoine ont voulu porter un coup décisif aux partisans de Nestorius (8) (qui durant ce concile, et même avant celui-ci, insistaient fermement sur la distinction entre l'humanité et la divinité du Christ) et aux partisans d'une " seule nature du Christ " (les monophysites).
Cependant, loin d'apporter une conclusion aux problèmes alors débattus, le concile de Chalcédoine s'est trouvé ouvrir une longue crise; elle remplit la fin du 5ème siècle, le 6ème tout entier et se prolonge bien au-delà ; c'est pourquoi un nouveau concile, le CINQUIEME, fut convoqué, à Constantinople, en 553, pour surmonter les séquelles du nestorianisme et du monophysisme et encore pour tenter d'expliquer de façon plus positive comment les deux natures du Christ ne forment qu'une même personne. C'est qu'une fraction notable des Eglises, en Syrie surtout et en Egypte, refusait toujours de reconnaître les décisions du concile de Chalcédoine.
Mais la paix de l'Eglise ne dura que cent trente ans à peine. En 681 les évêques furent appelés à se réunir de nouveau, à Constantinople, pour examiner une nouvelle forme du monophysisme et se prononcer sur elle : l'hérésie des monothélites (du grec: " monothélinis ", une seule volonté) ; ces derniers prétendaient en effet que : " puisqu'en Christ il y a deux natures, en une seule personne, il n'y aurait alors, en lui, qu'une seule volonté " (la divine) ; les monothélites attaquaient ainsi la plénitude de l'humanité du Christ ; ce fut là l'objet principal du SIXIEME concile œcuménique.
Il est de l'avis de l'ensemble des théologiens que le sixième concile œcuménique n'apporta qu'une paix tout à fait relative à l'Eglise Chrétienne. Les disputes autour de la personne du Christ durèrent encore longtemps sous une forme ou sous une autre. De nouveaux problèmes ne cessèrent de surgir, tel, par exemple, celui de la vénération des saintes icônes du Christ de la Mère de Dieu et des Saints. Mais avant d'aborder ce problème disons deux mots sur l'icône et ce qu'elle représente pour un chrétien orthodoxe.
L'icône est donc, selon la tradition orthodoxe, " un témoignage sacré de la présence divine ". L'icône n'est pas un tableau de peinture, ou une œuvre d'artiste appartenant à une Ecole bien définie dans l'espace et dans le temps et comme telle ne doit être ni " datée " ni " signée ". Elle n'appartient pas à notre monde éphémère et mortel mais à celui de la Jérusalem céleste. C'est la raison pour laquelle une icône orthodoxe est parfois appelée " acheiropdïète " c'est-à-dire " non faite de la main d'un homme ".
Mais les iconoclastes, accusant les orthodoxes d'idolâtrie, cherchaient à interdire, à tout prix, la vénération des icônes, à les briser et à les faire disparaître des églises (iconoclastes : " briseurs des icônes ").
La controverse iconoclaste s'est étendue sur une période de 20 ans souvent marquée par de violentes persécutions. Mais l'orthodoxie triompha, les icônes furent définitivement réintégrées par la pieuse impératrice Théodora (9) en 843, (Fête du Dimanche de l'Orthodoxie). Le SEPTIEME concile œcuménique, convoqué à Nicée en 787, avait d'ailleurs proclamé haut et ferme que les icônes devaient rester dans les églises pour y être vénérées comme les autres symboles matériels de notre foi.
Voilà donc, en bref, l'histoire des SEPT CONCILES OECUMENIQUES ; les seuls conciles infaillibles et d'autorité universelle que reconnaît notre Eglise. Celle-ci n'a jamais trahi leur précieux enseignement. Elle ne s'est jamais éloignée d'eux. Rappelons à cet effet que l'Eglise Orthodoxe n'a connu ni la Scolastique médiévale de l'Occident ni la Réforme et la Contre-Réforme. Rappelons aussi que l'Orthodoxie ne cherche pas à convaincre. Elle possède la vérité et la grâce de la séduction.
Ce siècle n'avait que trois ans lorsque l'Empire romain tenta, une dernière fois (en 303 ) et avec une violence jusque là jamais atteinte, d'anéantir la religion chrétienne.
Il est vrai que la persécution de Dioclétien (1), après une paix relative de l'Eglise, mais combien significative pour la préparation de la christianisation de tout l'Empire, a profondément affecté la vie de l'Eglise, surtout dans les provinces situées à l'est de la Rome latine et jusqu'à l'Orient hellénisé ; mais il est vrai, aussi, que pour l'Eglise de la Gaule, de l'Ibérie et de la Bretagne cette persécution n'a pas été trop sévère ; en effet elle ne fut que peu ressentie dans ces provinces relativement éloignées de la capitale.
Pour des raisons de stratégie politique et surtout pour ce qui était de l'intérêt personnel de Dioclétien, ce dernier abdiqua en 305.
Aussi durant le règne de son successeur Galère (2) et du nouveau César qui l'assista, Maximin, la persécution des chrétiens prit-elle un caractère plus systématique. Maximin, plus fanatique encore que l'empereur lui-même, recourut à de nouvelles méthodes de propagande anti-chrétienne et de dissuasion ; mais, finalement, il dut revenir (en 312) à une tolérance, incomplète certes, mais tellement nécessaire aux chrétiens, après dix années d'une sanglante persécution ; elle avait en fait coûté la vie à des milliers de chrétiens.
Presque tous les historiens affirment aujourd'hui que Maximin décida de rétablir la paix religieuse à cause des menaces venant de l'intérieur (la situation politique à Rome étant très préoccupante) puis, et surtout, sous les coups que lui portaient ses deux collègues et rivaux d'Occident : Constantin et Licinius.
Ce n'est pas le lieu de raconter par le détail tous les événements qui marquèrent les premières années du 4ème siècle ; ils sont d'ailleurs très complexes. Toujours est-il que le nom de Constantin resta intimement lié au triomphe du christianisme, que son règne a vu s'accomplir la mutation peut-être la plus importante qu'ait connu l'histoire de l'Eglise chrétienne.
Constantin est considéré, à juste titre, comme "isapostolos" (égal aux apôtres). En effet, c'est lui qui pensa le premier que, puisque l'empire romain devait, tôt ou tard, devenir un empire chrétien, il fallait au moins l'établir fermement sur la véritable foi. Aussi, soucieux de préserver l'unité de foi de ses sujets, convoqua-t-il un premier concile œcuménique, en 325, à Nicée, une ville toute proche de la future et nouvelle capitale de l'empire romain, Constantinople.
Mais qu'est-ce donc qu'un concile de l'Eglise ? Et pourquoi certains des conciles sont-ils appelés " œcuméniques "?
Disons tout de suite que " un concile est l'organe par lequel Dieu a choisi de guider les évêques ; il est une incarnation de la nature essentielle de l'Eglise ". (3) Cette définition est juste et belle ; je la crois accessible à tous car elle est facile à comprendre.
Pour les Grecs anciens, un " organon " était le " moyen " par excellence et ici le " moyen d'action " (organon=ergon). Le mot " concile " se dit d'ailleurs en grec " synodos ". Ce mot signifie " aller ensemble " ou " marcher sur la même voie ".
Les évêques, donc, c'est-à-dire ceux qui " veillent " (episkopos) sur la bonne marche de l'Eglise, se réunissent en assemblée, et travaillant dans un même esprit de paix et d'amour, précisent définitivement et d'une manière normative le message christologique de l'Eglise (4).
Un concile se réunissait sur l'ordre de l'empereur ; ce dernier renforçait les décrets du concile mais il n'en dictait jamais les termes ; c'était aux évêques d'enseigner la vraie foi ; l'empereur en était le protecteur. Les laïcs (du mot grec " laos " qui veut dire " le peuple ") avaient le droit d'assister aux conciles et parfois même de prendre une part active (comme l'empereur Constantin 1er et d'autres empereurs de Byzance). Mais lorsqu'arrivait le moment des proclamations formelles, c'étaient les évêques seuls qui, en vertu de leur charisme d'enseignement, prenaient les décisions finales.
Un concile peut être " local " ou " œcuménique ". Il est " local " quand il réunit des membres d'une ou de plusieurs Eglises mais sans prétendre représenté la totalité de l'Eglise chrétienne ; aussi ses décisions peuvent-elles être susceptibles d'erreur.
Par contre, les décisions doctrinales d'un concile " œcuménique " ne peuvent être ni revues ni corrigées ; elles sont infaillibles et leur autorité est universelle car elle s'étend sur " toute la terre habitée " (OEkoumène).
Il y eut plusieurs conciles mais l'Eglise orthodoxe n'en reconnaît que sept comme " œcuméniques "; ils furent tous convoqués par des empereurs de Byzance et réunis dans des villes de l'orient méditerranéen.
LE PREMIER CONCILE OECUMENIQUE de l'Eglise chrétienne a été convoqué en 325, à Nicée (5), par l'empereur Constantin qui y assista personnellement ainsi que trois cents évêques environ.
C'est justement ce concile qui condamna Arius, proclama que le Fils de Dieu, c'est-à-dire le Christ, est " consubstantiel " au Père (" homoousios " en grec, de la même essence) ; le Christ est vrai Dieu de vrai Dieu, et non pas inférieur au Père comme le prétendait Arius. Ce concile proclama en outre que le Christ fut engendré et non pas créé ; ceci est dit expressément dans le " Credo ", c'est-à-dire dans la profession de la vraie foi d'un chrétien orthodoxe.
Le concile de Nicée s'occupa par ailleurs de l'organisation matérielle de l'Eglise mais la condamnation d'Arius (6) marqua une date mémorable dans l'histoire doctrinale du christianisme. Ce fut un travail gigantesque et souvent passionné ; mais tout avait été conduit avec amour, compréhension et sagesse. Toutefois, les hésitations et la réticence de certains évêques créèrent un climat de malaise au sein même de l'Eglise.
C'est pourquoi, durant la période troublée qui s'étend de 325 à 381, il fut décidé de reprendre le travail de Nicée et de développer en particulier le Credo. Aussi, un nouveau concile œcuménique, le DEUXIEME, fut-il convoqué à Constantinople en 381. C'est durant ses travaux qu'un accent tout particulier fut mis sur l'Esprit Saint, également Dieu au même titre que le Père et le Fils ; l'Esprit Saint " qui procède du Père, qui avec le Père et le Fils est adoré et glorifié ". Mais il a aussi été proclamé qu'en Dieu l'unité absolue (ousia) est inséparable d'une divinité non moins diverse. Ainsi le Père, le Fils et l'Esprit Saint sont trois personnes divines (hypostaseis) " en une seule personne ". Ceci sera d'ailleurs merveilleusement développé par les trois géants de la théologie orthodoxe : les saints Grégoire de Nazianze, Basile le Grand et Grégoire de Nysse.
Un nouveau concile œcuménique, le TROISIEME de ce nom, fut convoqué, cinquante ans à peine après celui de Constantinople, à Ephèse cette fois-là, en 431.
Ce concile affirma l'unité hypostatique du Christ, c'est à dire qu'en lui (le Christ) il n'y a aucune distinction entre sa divinité et son humanité, mais une parfaite union du divin et de l'humain ; le Christ seul peut exister en deux natures (ousies) différentes : être Dieu et homme à la fois.
C'est durant ce concile qu'il a été proclamé, de façon solennelle, que Marie est la Mère de Dieu : Théotokos. Marie a donné naissance au Verbe (le Logos) de Dieu fait chair ; l'enfant que Marie porta était une personne unique (7) à la fois Dieu et homme (Saint Jean 1,14).
Cependant vingt années étaient à peine écoulées depuis le concile d'Ephèse qu'un QUATRIEME concile fut convoqué à Chalcédoine, une ville toute proche de Constantinople sur l'autre rive du Bosphore, en 451.
Ce quatrième concile œcuménique constitue avec le précédent le sommet de la christologie orthodoxe.
C'est durant les travaux de ce concile qu'a été proclamé que " le Christ est vrai Dieu et vrai homme ; qu'il se fait connaître sans mélange, sans changement, individuellement et inséparablement de telle sorte que les propriétés de chaque nature (la divine et l'humaine) ne demeurent que plus fermes lorsqu'elles se trouvent unies dans une seule personne " (ou hypostase). (Cf. O. Clément : L'Eglise Orthodoxe).
On voit ici clairement que les Pères conciliaires de Chalcédoine ont voulu porter un coup décisif aux partisans de Nestorius (8) (qui durant ce concile, et même avant celui-ci, insistaient fermement sur la distinction entre l'humanité et la divinité du Christ) et aux partisans d'une " seule nature du Christ " (les monophysites).
Cependant, loin d'apporter une conclusion aux problèmes alors débattus, le concile de Chalcédoine s'est trouvé ouvrir une longue crise; elle remplit la fin du 5ème siècle, le 6ème tout entier et se prolonge bien au-delà ; c'est pourquoi un nouveau concile, le CINQUIEME, fut convoqué, à Constantinople, en 553, pour surmonter les séquelles du nestorianisme et du monophysisme et encore pour tenter d'expliquer de façon plus positive comment les deux natures du Christ ne forment qu'une même personne. C'est qu'une fraction notable des Eglises, en Syrie surtout et en Egypte, refusait toujours de reconnaître les décisions du concile de Chalcédoine.
Mais la paix de l'Eglise ne dura que cent trente ans à peine. En 681 les évêques furent appelés à se réunir de nouveau, à Constantinople, pour examiner une nouvelle forme du monophysisme et se prononcer sur elle : l'hérésie des monothélites (du grec: " monothélinis ", une seule volonté) ; ces derniers prétendaient en effet que : " puisqu'en Christ il y a deux natures, en une seule personne, il n'y aurait alors, en lui, qu'une seule volonté " (la divine) ; les monothélites attaquaient ainsi la plénitude de l'humanité du Christ ; ce fut là l'objet principal du SIXIEME concile œcuménique.
Il est de l'avis de l'ensemble des théologiens que le sixième concile œcuménique n'apporta qu'une paix tout à fait relative à l'Eglise Chrétienne. Les disputes autour de la personne du Christ durèrent encore longtemps sous une forme ou sous une autre. De nouveaux problèmes ne cessèrent de surgir, tel, par exemple, celui de la vénération des saintes icônes du Christ de la Mère de Dieu et des Saints. Mais avant d'aborder ce problème disons deux mots sur l'icône et ce qu'elle représente pour un chrétien orthodoxe.
L'icône est donc, selon la tradition orthodoxe, " un témoignage sacré de la présence divine ". L'icône n'est pas un tableau de peinture, ou une œuvre d'artiste appartenant à une Ecole bien définie dans l'espace et dans le temps et comme telle ne doit être ni " datée " ni " signée ". Elle n'appartient pas à notre monde éphémère et mortel mais à celui de la Jérusalem céleste. C'est la raison pour laquelle une icône orthodoxe est parfois appelée " acheiropdïète " c'est-à-dire " non faite de la main d'un homme ".
Mais les iconoclastes, accusant les orthodoxes d'idolâtrie, cherchaient à interdire, à tout prix, la vénération des icônes, à les briser et à les faire disparaître des églises (iconoclastes : " briseurs des icônes ").
La controverse iconoclaste s'est étendue sur une période de 20 ans souvent marquée par de violentes persécutions. Mais l'orthodoxie triompha, les icônes furent définitivement réintégrées par la pieuse impératrice Théodora (9) en 843, (Fête du Dimanche de l'Orthodoxie). Le SEPTIEME concile œcuménique, convoqué à Nicée en 787, avait d'ailleurs proclamé haut et ferme que les icônes devaient rester dans les églises pour y être vénérées comme les autres symboles matériels de notre foi.
Voilà donc, en bref, l'histoire des SEPT CONCILES OECUMENIQUES ; les seuls conciles infaillibles et d'autorité universelle que reconnaît notre Eglise. Celle-ci n'a jamais trahi leur précieux enseignement. Elle ne s'est jamais éloignée d'eux. Rappelons à cet effet que l'Eglise Orthodoxe n'a connu ni la Scolastique médiévale de l'Occident ni la Réforme et la Contre-Réforme. Rappelons aussi que l'Orthodoxie ne cherche pas à convaincre. Elle possède la vérité et la grâce de la séduction.
+Nicolas SARAFOGLOU, in SYNAXE N°23, janv-fév-mars 1993
Notes
(1) Empereur romain de 284 à 305.
(2) Empereur romain de 306 à 311.
(3) in: l'Orthodoxie, Timothy Ware ; Desclée de Brouwer. 1948.
(4) in: L'Eglise Orthodoxe. O. Clément ; Que sais-je ? 1965.
(5) Ville d'Asie Mineure proche de Constantinople.
(6) Arius: Prêtre d'Alexandrie (280-336 ).
(7) en grec: " Monogénis " (Fils unique).
(8) Nestorius : hérésiarque, Patriarche de Constantinople déposé par le concile d'Ephèse en 453
(9) Epouse de l'empereur byzantin Théophilos.
(1) Empereur romain de 284 à 305.
(2) Empereur romain de 306 à 311.
(3) in: l'Orthodoxie, Timothy Ware ; Desclée de Brouwer. 1948.
(4) in: L'Eglise Orthodoxe. O. Clément ; Que sais-je ? 1965.
(5) Ville d'Asie Mineure proche de Constantinople.
(6) Arius: Prêtre d'Alexandrie (280-336 ).
(7) en grec: " Monogénis " (Fils unique).
(8) Nestorius : hérésiarque, Patriarche de Constantinople déposé par le concile d'Ephèse en 453
(9) Epouse de l'empereur byzantin Théophilos.
Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»
LA PENTECOTE : Création de l'Eglise
1.- PENTECOTE JUIVE ET PENTECOTE CHRETIENNE
Le jour de la Pentecôte était une grande fête en Israël : sept semaines, c'est-à-dire 49 jours (7 x 7 = 49), en Hébreu " Chavouth " = les semaines - séparaient la Pâque juive - jour où les Juifs immolaient l'agneau pascal en souvenir de leur sortie d'Egypte sous la conduite de Moïse - de la Pentecôte juive (en grec " Pentècostè " = 50ème jour), ce 50ème jour après la Pâque où les Juifs célébraient le moment où Dieu, sur le Sinaï, remit à Moïse les Tables de la Loi, ces plaques de pierre où Il avait gravé Ses 10 commandements.
- Le jour même (selon la chronologie de l'Evangile de St Jean) où les Juifs immolaient l'agneau pascal en préparation de la Pâque (préparation : en grec Paraskevê = vendredi), l'Agneau de Dieu, Jésus-Christ, était immolé sur la Croix pour ressusciter le surlendemain.
- Le jour même où les Juifs fêtaient la réception de la Loi (ou Torah), les Chrétiens fêtent la réception de la Grâce, le don du Saint Esprit.
C'est ainsi que l'Ancienne Alliance préfigure et prépare la Nouvelle, que la Pâque et la Pentecôte Juive annoncent la Pâque et la Pentecôte Chrétienne.
C'est ce que résume Saint Jean l'Evangéliste lorsqu'il nous dit : "Si la Loi fut donnée par Moïse, la Grâce et la Vérité sont venues par Jésus Christ (Jean 1, 17).
- Le jour même (selon la chronologie de l'Evangile de St Jean) où les Juifs immolaient l'agneau pascal en préparation de la Pâque (préparation : en grec Paraskevê = vendredi), l'Agneau de Dieu, Jésus-Christ, était immolé sur la Croix pour ressusciter le surlendemain.
- Le jour même où les Juifs fêtaient la réception de la Loi (ou Torah), les Chrétiens fêtent la réception de la Grâce, le don du Saint Esprit.
C'est ainsi que l'Ancienne Alliance préfigure et prépare la Nouvelle, que la Pâque et la Pentecôte Juive annoncent la Pâque et la Pentecôte Chrétienne.
C'est ce que résume Saint Jean l'Evangéliste lorsqu'il nous dit : "Si la Loi fut donnée par Moïse, la Grâce et la Vérité sont venues par Jésus Christ (Jean 1, 17).
2.- CREATION DE L'EGLISE
Le jour donc de la Pentecôte Juive, les Apôtres et disciples de Jésus Christ et la Vierge Marie sont réunis d'un seul cœur - par cette foi en Jésus Christ sur laquelle Celui-ci avait promis à Pierre qu'il bâtirait son Eglise - en assemblée (en grec : ecclésia). C'est alors que " Jésus exalté à la droite de Dieu a reçu du Père l'Esprit Saint promis et l'a répandu " (Actes 2, 31-32). L'Esprit Saint, le Consolateur, l'Esprit de Vérité "qui procède du Père" (Jean 15, 26) et qui " repose dans le Fils " (Jean 1, 38), le Fils l'envoie "d'auprès du Père" (Jean 15, 26) et le donne " à ceux qui croient en son Nom " (Jean 1, 12). Il l'envoya "sous forme de langues de feu" (Actes 2, 3). Avec la langue, on parle. Avec une langue de feu, on parle la Parole de Dieu : l'Assemblée des croyants devient alors le lieu de la présence de la Parole de Dieu, du Verbe Divin, du Fils Unique. Il s'incarne en elle, elle devient Corps du Christ, Eglise : c'est la création de l'Eglise.
3.- L'EGLISE, PENTECOTE ACTUALISEE
L'Eglise n'est donc pas essentiellement une institution, c'est-à-dire une organisation avec des statuts et des règles de fonctionnement, même s'il a bien fallu qu'elle les acquiert, mais la présence mystérieuse du Fils de Dieu prenant chair par l'opération du Saint Esprit dans une assemblée de pécheurs qui croient en la Résurrection de leur Maître et la proclame au monde. Prenant chair : la chair du Verbe, la chair du Fils, la chair de Dieu, le corps du Christ, c'est nous : " Il est la tête du corps qui est l'Eglise " (Col. 1, 18 - Epit. 1,22). " Le temple de Dieu est saint et ce temple, c'est vous " (1Co. 3, 17), " vous êtes le corps du Christ car vous êtes ses membres, chacun pour sa part " (1Cor.13, 27).
Nous devenons ce corps lorsque, rassemblés " d'un seul cœur " pour manger " le Pain venu du ciel " (Jean 6, 51) et boire le " Sang de la Nouvelle Alliance " (1Co. 11, 25), nous disons à Dieu le Père " Nous te demandons et te supplions, envoie sur nous et sur ces dons ton Saint Esprit " (Lit. de St Jean Chrysostome) " Et fais de ce pain le corps même de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ et de ce qui est dans ce calice le sang même de Notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ afin que nous tous qui communions à cet unique pain et à cet unique calice nous soyons unis par l'unique Saint Esprit " (Lit. de St Basile)
C'est là, au cours de l'Assemblée Eucharistique, que le Saint Esprit unit en un seul corps, le Corps du Christ, ceux qui communient à ce Pain que, confirmant la Parole du Fils, Il a changé en Corps du Christ, et à ce vin qu'Il a changé en Sang du Christ, pour nous changer en membres de ce même Corps. L'Assemblée Eucharistique, ou plutôt le Saint Esprit par le mystère eucharistique, fait l'Eglise : c'est là que l'Eglise s'édifie, s'identifie avec le Corps du Ressuscité ; c'est là que la Pentecôte se perpétue et s'actualise, c'est-à-dire devient réalité actuelle.
C'est parce que nous croyons que l'Eglise - tout pécheurs que soient ses membres - devient vraiment par l'opération du Saint Esprit le Corps du Ressuscité que nous croyons " en " l'Eglise " Une Sainte Catholique et Apostolique " tout comme nous croyons au Père, au Fils et au Saint Esprit.
L'objet de notre foi, ce ne sont pas ses patriarches, ses évêques, ses prêtres, ses " marguilliers " ou " épitropes ", ses sacristains... mais l'action du Saint Esprit rendant le Christ présent dans une assemblée de pécheurs croyants et L'unissant à cette assemblée, pour faire "d'elle, progressivement, à travers les siècles cette " Epouse sans ride ni tache, ni rien de tel " (Ep. 5, 26-27), cette Jérusalem céleste qui descendra à la fin des temps " prête comme une épouse qui s'est parée pour son Epoux " (Apot. 21, 2) pour s'unir éternellement à Lui.
L'Eglise est une création continue, " purifiée par l'eau (du baptême) et la Parole " que Dieu a commencée le jour de la Pentecôte et qu'il poursuit au cours de chaque Divine Liturgie avec la collaboration et à travers la vie de ses Apôtres, de ses martyrs, de ses saints et de tous ses serviteurs, et ce en dépit de la trahison de tous les Judas de son histoire qui peuvent retarder l'achèvement de l'œuvre Divine mais non empêcher la réalisation progressive du Dessein Divin qui donne son sens à l'histoire des hommes et amenant l'avènement du Royaume " préparé pour eux avant la création du monde " (Mt 25, 34).
Nous devenons ce corps lorsque, rassemblés " d'un seul cœur " pour manger " le Pain venu du ciel " (Jean 6, 51) et boire le " Sang de la Nouvelle Alliance " (1Co. 11, 25), nous disons à Dieu le Père " Nous te demandons et te supplions, envoie sur nous et sur ces dons ton Saint Esprit " (Lit. de St Jean Chrysostome) " Et fais de ce pain le corps même de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ et de ce qui est dans ce calice le sang même de Notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ afin que nous tous qui communions à cet unique pain et à cet unique calice nous soyons unis par l'unique Saint Esprit " (Lit. de St Basile)
C'est là, au cours de l'Assemblée Eucharistique, que le Saint Esprit unit en un seul corps, le Corps du Christ, ceux qui communient à ce Pain que, confirmant la Parole du Fils, Il a changé en Corps du Christ, et à ce vin qu'Il a changé en Sang du Christ, pour nous changer en membres de ce même Corps. L'Assemblée Eucharistique, ou plutôt le Saint Esprit par le mystère eucharistique, fait l'Eglise : c'est là que l'Eglise s'édifie, s'identifie avec le Corps du Ressuscité ; c'est là que la Pentecôte se perpétue et s'actualise, c'est-à-dire devient réalité actuelle.
C'est parce que nous croyons que l'Eglise - tout pécheurs que soient ses membres - devient vraiment par l'opération du Saint Esprit le Corps du Ressuscité que nous croyons " en " l'Eglise " Une Sainte Catholique et Apostolique " tout comme nous croyons au Père, au Fils et au Saint Esprit.
L'objet de notre foi, ce ne sont pas ses patriarches, ses évêques, ses prêtres, ses " marguilliers " ou " épitropes ", ses sacristains... mais l'action du Saint Esprit rendant le Christ présent dans une assemblée de pécheurs croyants et L'unissant à cette assemblée, pour faire "d'elle, progressivement, à travers les siècles cette " Epouse sans ride ni tache, ni rien de tel " (Ep. 5, 26-27), cette Jérusalem céleste qui descendra à la fin des temps " prête comme une épouse qui s'est parée pour son Epoux " (Apot. 21, 2) pour s'unir éternellement à Lui.
L'Eglise est une création continue, " purifiée par l'eau (du baptême) et la Parole " que Dieu a commencée le jour de la Pentecôte et qu'il poursuit au cours de chaque Divine Liturgie avec la collaboration et à travers la vie de ses Apôtres, de ses martyrs, de ses saints et de tous ses serviteurs, et ce en dépit de la trahison de tous les Judas de son histoire qui peuvent retarder l'achèvement de l'œuvre Divine mais non empêcher la réalisation progressive du Dessein Divin qui donne son sens à l'histoire des hommes et amenant l'avènement du Royaume " préparé pour eux avant la création du monde " (Mt 25, 34).
Père Cyrille Argenti (in "Orthodoxes à Marseille" N°29 mai/juin 1991)
Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»
DE L’EGLISE
St Nectaire d’Egine
St Nectaire d’Egine
1. DE L'EGLISE, UNE, SAINTE, CATHOLIQUE ET APOSTOLIQUE
D’après la pensée orthodoxe, l'Eglise a une double signification. L'une exprime son caractère dogmatique et religieux, autrement dit intérieur et spirituel ; l'autre, son caractère extérieur, selon le sens même du terme. D'après l'esprit et la confession orthodoxes, l'Eglise se définit comme une institution religieuse et comme une société religieuse.
La définition de l'Eglise comme institution religieuse peut être formulée ainsi : l'Eglise est une institution religieuse de la Nouvelle Alliance. Notre Sauveur Jésus Christ l'a fondée par l'économie de son Incarnation ; elle repose sur la foi en lui, sur la confession juste. Elle a été inaugurée le jour de la Pentecôte, lors de la descente de l'Esprit Saint sur les saints disciples et apôtres du Christ Sauveur. Il en a fait les instruments de la grâce divine afin de perpétuer l'œuvre rédemptrice du Sauveur. En cette institution a été déposée la totalité des vérités révélées ; en elle agit la grâce divine, par les Mystères ; en elle renaissent par la foi en Christ Sauveur, ceux qui y viennent ; en elle est conservée la doctrine apostolique et la tradition tant écrite qu'orale.
La définition de l'Eglise comme société religieuse est la suivante : l'Eglise est une société de personnes unies dans l'unité de l'Esprit et dans le lien de la paix (voir Ep 4,3)
Son œuvre apostolique peut être formulée ainsi : l'Eglise est l'instrument de la grâce divine qui réalise la communion de Dieu et des hommes par la foi dans le Sauveur Jésus Christ.
Monté aux cieux, notre Seigneur a envoyé son très Saint Esprit, sous forme de langues de feu, sur ses saints disciples et apôtres. Sur ses apôtres Il a fondé l'Eglise une sainte, catholique et apostolique, société de Dieu et des hommes. Il lui a donné la grâce de la rédemption pour sauver le genre humain, en le ramenant de l'égarement, en le régénérant par les sacrements, et après l'avoir nourri du pain céleste, le faire digne de la vie future.
Dans la sainte Ecriture, le mot Eglise a deux sens. Le plus fréquent, c'est celui d’une société d'hommes unis par le lien religieux ou encore celui de temple de Dieu où se rassemblent les fidèles pour le culte en commun. Cyrille de Jérusalem dit que l'Eglise est ainsi appelée parce que elle invite tous les hommes et qu'elle les rassemble.
Le mot Eglise (appeler) vient du grec ancien. Il signifie assemblée d'hommes appelés en vue d'un certain but et aussi le lieu où ils se réunissent. Elle est le contenant et le contenu.
Le mot Eglise (appeler) vient du grec ancien. Il signifie assemblée d'hommes appelés en vue d'un certain but et aussi le lieu où ils se réunissent. Elle est le contenant et le contenu.
Dans le sens large et chrétien, l'Eglise est la société de tous les êtres libres et raisonnables, de tous ceux qui croient dans le Sauveur, les anges y compris. Cette société, l'apôtre Paul l'appelle "Corps du Christ, la plénitude de celui qui remplit tout en tous." (cf. Ep 1,10 et 2-23). Ainsi, elle rassemble tous ceux qui ont cru en Christ avant sa venue, qui ont formé l'Eglise de l'Ancien Alliance que régissaient, au temps des patriarches, les promesses et la foi donnée par révélation, c'est-à-dire oralement.
Puis, au temps de Moïse et des prophètes, elle fut régie par la Loi et les oracles, autrement dit par écrit.
Dans le sens ordinaire et restreinte, l'Eglise du Christ, c'est celle de la Nouvelle Alliance, l'Eglise de la grâce du Christ. Elle comprend tous ceux qui croient en lui dans la vraie foi. Elle est aussi appelée Maison de Dieu, parce que Dieu y demeure particulièrement et que là il est adoré.
Les fondements de l'Eglise sont les prophètes et les apôtres. La pierre angulaire c'est le Sauveur. Les colonnes sont les pères qui ont gardé l'unité de la foi. Les pierres sont les fidèles. "Vous n'êtes plus des étrangers, ni des gens du dehors ; mais vous êtes concitoyens des saints, "édifiés sur le fondement des apôtres, Christ étant la pierre angulaire" (Ep 2,19 et 22)
Enfin, l'Eglise est appelée par l'Ecriture divine et inspirée, Epouse du Christ : "Je vous ai fiancée à un seul époux, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure" (2 Cor 11,2). Et aussi Maison du Dieu vivant, colonne et appui de la vérité, de même que Corps du Christ : "Vous êtes le Corps du Christ, et vous êtes ses membres, chacun pour sa part" (1 Cor 12,27).
Méthode, l'évêque de Lycie, vers la fin du troisième siècle, dans la Symposium des dix vierges, appelle l'Eglise "réceptacle des forces divines, épouse du Verbe éternellement jeune. Elle est une créature divine supérieure à tout ce qui est humain". Il la présente à la fin, comme "assemblée, multitude, de tous ceux qui croient" où les anciens enseignent les jeunes et les parfaits les faibles.
Hippolyte, le célèbre père de l'Eglise de Rome, disciple d'Irénée, au début du troisième siècle, dans son œuvre Le Christ et l'antéchrist parle longuement de l'Eglise et la présente comme un navire sur la mer agitée. En lui se trouve le capitaine, se trouvent les marins, les voiles, les ancres et tout l'armement, symboles du Christ, des anges et des fidèles.
Hippolyte, le célèbre père de l'Eglise de Rome, disciple d'Irénée, au début du troisième siècle, dans son œuvre Le Christ et l'antéchrist parle longuement de l'Eglise et la présente comme un navire sur la mer agitée. En lui se trouve le capitaine, se trouvent les marins, les voiles, les ancres et tout l'armement, symboles du Christ, des anges et des fidèles.
En croyant en l'Esprit Saint qui a inspiré ces figures de l'Eglise, nous croyons nécessairement en l'Eglise sainte, objet de ces appellations données par l'Esprit très saint.
2. SUR LA FONDATION SUR TERRE DU ROYAUME DE DIEU,
C’EST-À-DIRE L'EGLISE, PAR NOTRE SAUVEUR JESUS CHRIST
C’EST-À-DIRE L'EGLISE, PAR NOTRE SAUVEUR JESUS CHRIST
En tant que Roi, notre Seigneur Jésus Christ a fondé sur la terre, un royaume céleste, sitôt après son Ascension, quand Il s'assit à la droite de Dieu le Père et qu'Il reçut de son Père éternel tout pouvoir dans le ciel et sur la terre.
Son royaume sur la terre, c'est son Eglise. En tant que Roi, Jésus en prend soin, Il donne des règles, Il scelle vision et prophétie et fait cesser l'oblation et le sacrifice (voir Dn 9). Il le dirige, le gouverne, le guide éternellement par ses ministères sacrés. Sans arrêt et avec abondance, Il distribue les charismes de son saint Esprit, afin de l'affermir, le faire croître, l'étendre. Le Sauveur-Roi sanctifie, console, garde, relève et glorifie son peuple (cf. Jn 15,26 et Ac 2,33-36) .
En tant que Roi, le Seigneur fait régner dans son royaume l'ordre, en donnant à l'Eglise des ministères. Jésus, en tant que Roi a donné des lois à son peuple. En tant que Roi, Il a invité les nations à croire en lui. En tant que Roi, Il a demandé à ses adeptes le sacrifice même de leur vie pour lui et son royaume. En tant que Roi, Il a déclaré la guerre au mal et a dispensé la paix par la vertu. Jésus en tant que Roi, règne dans les cœurs des fidèles, unis à lui par sa sainte Eglise
Ceux qui ne sont pas unis à l'Eglise se trouvent hors du royaume du Christ et sont privés de l'honneur d'être des fils du royaume du Christ.
La sainte Eglise du Christ est l'institution divine religieuse fondée par notre Sauveur Jésus Christ, pour le salut du genre humain. L'Eglise a été donnée par le Sauveur, comme instrument de son Amour divin et de sa Bienveillance envers l'homme. Elle est l'éternel porteur de la grâce divine et le consommateur du salut des hommes. En tant que Chef et Accomplissement du salut des hommes, en tant que Dieu, notre Seigneur Jésus Christ, toujours identique à lui-même, sauve tous ceux qui croient en lui, dans tous les siècles.
Pour cette fin il a fondé son Eglise éternelle. Elle englobe les fidèles, depuis les premiers jusqu'aux derniers. Il en est la tête et la garde vivante et agissante et il l'affermit pour l'éternité. Tête de l'Eglise en Eden, Jésus Christ, était le centre de l'Eglise des patriarches, l'objet de la loi mosaïque qui a préfiguré l'Eglise par des images et des symboles. Jésus Christ est et sera la Tête de la Nouvelle Alliance.
L'Eglise du Christ, c'est l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique, prédestinée dès la fondation du monde au salut des hommes, fondée pour demeurer éternellement.
L'Eglise du Christ, c'est l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique, prédestinée dès la fondation du monde au salut des hommes, fondée pour demeurer éternellement.
Saint Epiphane, dans sa lettre à Panarios, parle de l'Eglise et dit à la fin : "L'Eglise a été créée avec Adam ; elle été prêchée aux patriarches avant Abraham ; elle a été crue après Abraham ; révélée par Moïse ; prophétisée par Isaïe ; donnée en Christ et existant avec lui et maintenant célébrée par nous." Dans son Exposé sur la Foi catholique, au § 78, il dit ceci : "Le caractère de l'Eglise est forme par la Loi, les prophètes, les apôtres et les évangélistes."
Saint Cyrille de Jérusalem dit que l'Eglise comprend tous ceux qui ont cru au Christ avant sa venue ; ils ont formé l'Eglise de l'Ancien Alliance, et que l'Eglise était guidée, au temps des patriarches, par les promesses et la foi venant de la révélation, c'est-à-dire non écrite - orale. Depuis Moïse et les prophètes, l'Eglise a été guidée par la loi et les prophéties, c'est à dire par la tradition écrite.
L'Eglise est donc le royaume du Christ fondé sur la terre et saint Jean Chrysostome dit qu'elle est "le lieu des anges, le lieu des archanges, le royaume de Dieu, le ciel lui-même." (Hom 6 in Cor. ) L'Esprit Saint qui est descendu en elle y demeure à jamais, comme le Sauveur l'a dit à ses disciples : "Et moi je prierai le Père et il vous donnera un autre Consolateur que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas. Vous, vous le connaissez, car il demeure avec vous et sera en vous" (Jn 14,16).
L'Esprit Saint qui est descendu donne avec abondance tous les charismes divins à l'Eglise. Elle a reçu le droit de lier et de délier les péchés ; de prêcher l'Evangile ; d'appeler les nations au salut. Elle a reçu la force de recréer les hommes moralement déchus, d'en faire des images de Dieu, en leur donnant l'image et la ressemblance. Elle a reçu la force de les réconcilier avec le divin et d'en faire des participants de la grâce divine, de les unir au Sauveur, de donner le Saint Esprit à tous ceux qui viennent à elle, et d'en faire des fils de Dieu. Elle a reçu la force pour vaincre tous ses adversaires, de demeurer à jamais invincible, de réduire ses ennemis, de demeurer invulnérable.
Selon saint Jean Chrysostome, "combattue, elle est victorieuse ; outragée, elle n'est que plus lumineuse. Elle reçoit des blessures sans pour cela être abattue ; elle est ballottée mais pas submergée ; elle est assaillie mais ne fait pas naufrage. Elle n'est pas passive, mais elle lutte sans être vaincue."
L'Eglise du Sauveur c'est vraiment le royaume du ciel sur la terre. En elle règnent l'amour, la joie, la paix. En elle se trouve la foi en Dieu ; par le sentiment religieux, l'information intérieure du cœur, on parvient à la connaissance de Dieu, à la connaissance des mystères cachés, à la connaissance de la vérité révélée. En elle l'espérance s'avère certaine et sûre ; en elle se réalise le salut ; en elle l'Esprit Saint se répand et déverse avec abondance les fruits de sa grâce toute divine. En elle s'épanouit l'amour divin pour Dieu, l'amour parfait et la consécration à lui, de même que le désir incessant de l'union sans fin avec Dieu.
Dans l'Eglise de Dieu, les vertus morales parviennent au sommet de la perfection accessible à l'homme. L'esprit purifié, le cœur réformé par le mystère du baptême divin, l'homme autrefois enténébré d'esprit et endurci de cœur, développe des vertus totalement nouvelles et court avec zèle et ardeur dans le stade de la vertu. L'Eglise a vraiment renouvelé, recréé l'homme, elle en a fait une image de Dieu. Le saint autel de l'église est une table véritable qui nourrit les croyants pour la vie éternelle ; elle dispense aux fidèles le pain céleste, le corps céleste, et ceux qui le mangent ne meurent point. Le saint autel dressé au milieu de l'Eglise du Christ, c'est la table céleste ; elle reçoit les choses de la terre et les fait monter au ciel. Le saint autel de l'Eglise touche la terre et en même temps le trône d'en-haut. L'autel est redoutable pour les anges eux-mêmes qui volent sous les voûtes des cieux.
L'Eglise, c'est espérance, le refuge, la consolation de tous ceux qui croient en Christ. Le divin Chrysostome dit : "Comme un port dans l'océan, telle est l'Eglise plantée par Dieu dans les cités. En fuyant les tracas de la vie, en elle nous trouvons un refuge et jouissons de la paix." Et plus loin : "Ne t'éloigne pas de l'Eglise ; rien n'est plus fort que l'Eglise ; elle est plus solide que le roc, plus haute que le ciel, plus vaste que la terre. Jamais elle ne vieillit, mais elle s'épanouit sans cesse. Pourquoi l'Ecriture l'appelle-t-elle montagne ? - c'est à cause de sa stabilité. Pourquoi l'appelle-t-elle aussi roc ? - à cause de son incorruptibilité. Par elle, toutes les bêtes sauvages ont été apprivoisées, par la divine incantation qu'est l'audition de l'Ecriture sainte, elle frappe l'oreille de chacun, pénètre dans l'âme et y endort les passions déréglées."`
Selon saint Ignace d'Antioche, l'Eglise véritable est une : "Un seul Jésus Christ et rien n'est plus précieux que lui. Venez à l'Eglise qui est le seul temple de Dieu, le seul autel du seul Seigneur Jésus Christ né du Père seul" (Ep. ad Magn § 37).
Selon saint Ignace d'Antioche, l'Eglise véritable est une : "Un seul Jésus Christ et rien n'est plus précieux que lui. Venez à l'Eglise qui est le seul temple de Dieu, le seul autel du seul Seigneur Jésus Christ né du Père seul" (Ep. ad Magn § 37).
L'Eglise est incorruptible : "La Tête du Seigneur est ointe du parfum afin que l'Eglise respire l'incorruptibilité" (Ep. ad Eph. § 17). L'Eglise est catholique : "Là où est le Christ, là est l'Eglise catholique" (Ep. ad Smyr. § 8).
Saint Irénée de Lyon, disciple de saint Polycarpe de Smyrne, l'auditeur de l'évangéliste Jean, dans son livre Contre les hérésies, dit ceci de l'Eglise : "On ne peut énumérer les charismes que l'Eglise a reçus de Dieu à travers le monde, au Nom du Seigneur Jésus Christ, crucifié sous Ponce Pilate, pour le bien de nations. Sans les tromper, sans les égarer, - gratuitement elle donne ce que gratuitement elle a reçu de Dieu."
Sous la mission de l'Eglise du Christ, saint Théophile l'évêque d'Antioche au deuxième siècle, dans son second livre au § 14, compare l'Eglise aux « îles de la mer » certaines d'entre elles sont habitées, ont de l'eau, produisent des fruits, possèdent des rades et des ports pour abriter ceux que ballotte la mer. De même, Dieu a donné au monde, agité et tourmenté par les péchés, des temples appelés églises saintes, dans lesquelles comme en des ports sûrs des îles se trouvent les doctrines de l'Eglise. Ceux qui veulent être sauvés y ont recours ; ils deviennent des amants de la vérité et échappent ainsi à la colère et au jugement de Dieu.
"D'autres îles sont rocailleuses, sans eau, sans fruits, sauvages et inhabitées. Elles sont un danger pour les navigateurs comme pour les naufragés. Contre elles les navires se brisent et les passagers sont perdus. Telles sont les doctrines perverses, je veux dire les hérésies. N'étant pas guidées par le Verbe de vérité, elles égarent ceux qui s'attachent à elles. Elles ressemblent à des pirates qui après avoir rempli leurs navires, errent ça et là, vont les briser contre ces îles et les perdre à jamais. De même en est-il de ceux qui s'égarent loin de la vérité, ils sont perdus par l'erreur."
Le divin Grégoire de Nazianze, dans son Premier discours contre Julien, dit ceci de l'Eglise : "Tu es contre le grand héritage du Christ, le grand qui ne cessera jamais… qu'il a créé en tant que Dieu et en a hérité en tant qu'homme. La loi l'a figuré, la grâce l'a rempli, le Christ l'a renouvelé, les prophètes l'ont planté, les apôtres l'ont lié, les évangélistes l'ont cultivés…" Saint Epiphane de Chypre, dans son Discours sur la foi catholique dit : "L'Eglise est notre mère. Elle est l'épouse venue du Liban, la toute belle et pure ; le paradis du grand artiste ; la cité du Roi saint ; l'épouse du Christ immaculé ; la vierge innocente, fiancée à un seul époux, diaphane comme l'aurore, belle comme la lune, élue comme le soleil. Proclamée bienheureuse par les Rois, elle se tient à la droite du Roi."
L'Eglise, c'est la révélation permanente dans le monde. En elle Dieu se révèle de différentes et multiples manières et confirme sa Présence par ses divines énergies. Ecrivant aux Corinthiens, Paul dit de l'Eglise fondée par le Christ : Dieu a établi dans l'Eglise premièrement des apôtres, secondement des prophètes, troisièmement des docteurs, ensuite ceux qui ont le don des miracles, puis ceux qui ont les dons de guérir, de secourir, de gouverner, de parler diverses langues (1 Co 12,28).
3. L'ŒUVRE DE L'EGLISE
L'œuvre de l'Eglise, l'apôtre Paul la définit quand il écrit : Il a donné les uns comme apôtres, les autres comme prophètes, les autres comme évangélistes, les autres comme pasteurs et docteurs, pour le perfectionnement des saints en vue de l'œuvre du ministère et de l'édification du Corps de Christ, jusqu'à ce que nous soyons tous parvenus à l'unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu (Ep 4,11-13).
L'Eglise fondée par le Christ Sauveur possède donc une organisation parfaite ; elle est un corps organique. Le Christ en est la tête et l'Esprit Saint la guide, qui l'instruit et lui donne en abondance les dons divins.
L'Eglise est un corps organique ; elle est visible ; elle rassemble en un tout, tous ses membres, les faibles comme les saints. Les membres malades de l'Eglise ne cessent jamais d'être des parties de son corps. Régénérés par les saints Mystères et devenus enfants de son Corps, ils ne peuvent plus êtres séparés d'elle, même s'ils sont sous le coup de sentences ecclésiastiques ; car une fois délivrés du péché originel, il n'y a plus pour eux d'autre lieu que l'Eglise. Dans le monde, il n'y a qu'un seul lieu de séjour pour l'homme : le paradis ; là se trouve l'Eglise et en elle le salut de l'homme. Après la chute des premiers parents et la genèse du péché, un autre lieu fut créé par ceux qui s'étaient séparés de Dieu, le lieu du péché. L'Eglise de Dieu, qui est éternelle, contenait en elle que ceux là seuls qui s'étaient tournés vers Dieu et attendaient la venue du Sauveur. L'Eglise portait en elle la foi et l'espérance du salut dans le Sauveur de l'humanité qui avait été promis. Ceux qui possédaient cette foi et cette espérance se trouvaient dans l'Eglise de Dieu, attendant la rédemption de l'humanité par le Sauveur et ils l'ont obtenue. Ceux qui n'avaient pas cette foi et cette espérance se trouvaient hors de l'Eglise. En ce monde donc, et cela depuis la chute d'Adam, il y a deux lieux : celui de l'Eglise et celui qui est hors de l'Eglise.
Ceux qui viennent du lieu du péché et entrent par la foi et les sacrements dans le lieu de l'Eglise du Christ, ceux-là demeurent ses membres pour l'éternité ; il est impossible et il leur est impossible de revenir au lieu du péché, ayant été régénérés par le baptême et lavés du péché originel. Puisque donc il n'existe pas d'autre lieu, ceux qui entrent dans l'Eglise demeurent en elle, même pécheurs. L'Eglise les sépare, comme le berger sépare les brebis malades des bien-portantes, mais les brebis malades ne sont pas moins les brebis de la bergerie. Quand les malades reviennent à la santé, elles sont à nouveau réunies aux saines. Mais si elles s'avèrent incurables, elles meurent alors dans leur péché, et elles seront jugées par leurs péchés. Tant qu'elles sont en cette vie, elles sont considérées comme brebis de la bergerie, autrement dit enfants de l'Eglise du Christ.
Selon la pensée orthodoxe, il n'y a qu'une Eglise, l'Eglise visible du Christ. En elle, l'homme qui vient du lieu du péché est régénéré, en elle il demeure, qu'il soit saint ou pécheur. Le pécheur, comme membre de l'Eglise, ne communique pas la corruption au reste du corps de celle-ci, parce que les membres de l'Eglise sont des êtres moraux, libres et non privés de liberté, comme le sont les membres du corps animal où la maladie d'un seul influe sur tous les autres.
Ceux qui croient en une Eglise invisible, composée d'élus connus de Dieu seul, se trompent. Une Eglise invisible ne peut exister. Puisque les hommes ne sont pas immaculés et que nul n'est sans péché, où sont donc les élus ? Une Eglise invisible d'élus, souffrirait d'une perpétuelle mutation, d'une permanente substitution de ses membres, de par la faculté même de l'homme à glisser et à chuter d'une part, et de l'autre, par la Compassion de Dieu et son Amour pour l'homme, qui accueille tous ceux qui reviennent à lui.
La juste conception de l'Eglise, c'est que l'Eglise se partage en militante et en triomphante. Elle est militante quand elle lutte contre le mal et pour le règne du bien ; elle est triomphante dans les cieux, dans le chœur des justes qui ont lutté et se sont parfaits dans la foi en Dieu et les vertus.
Ceux qui croient en l'Eglise invisible des élus sont en contradiction avec le véritable esprit de l'Eglise qui ne sépare pas ceux qui sont en voie de perfection de ceux qui sont déjà parfaits. Cette distinction est l'affaire de Dieu ; lui seul séparera après la mort les justes des pécheurs. Christ ne se détourne pas de ceux qu'Il a délivrés par son Sang, comme il ne s'est pas détourné des pécheurs durant son économie terrestre. Jésus les considère comme membres de son Eglise et attend, jusqu'au dernier moment, leur conversion.
Ceux qui divisent l'Eglise militante en visible et invisible,1) divisent l'indivisible et, 2) pèchent contre le sens même du nom Eglise. Premièrement, ils divisent l'Eglise. L'Eglise du Christ est l'Eglise des saints ou elle n'est pas du tout l'Eglise du Christ. Une Eglise de pécheurs ne peut être l'Eglise des saints. Ainsi donc, l'Eglise du Christ est l'Eglise des saints.
Si l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique est l'Eglise des saints, à quoi sert alors l'Eglise invisible des élus ? Qui sont-ils ces élus ? Qui peut appeler saints ceux qui ne sont pas encore sortis victorieux et couronnés du stade ? Qui peut être appelé bienheureux avant la fin ?
Deuxièmement, ils pèchent contre le sens même du nom Eglise, en la séparant en deux, en visible et invisible, alors que le concept d'Eglise signifie le visible seul. S'ils croient que l'Eglise reste indivisible, parce que les membres de l'Eglise invisible sont en même temps membres de la visible, que la visible se trouve incluse dans l'invisible, on se demande alors comment l'Eglise des imparfaits, c'est à dire des pécheurs, peut porter des son sein l'Eglise des parfaits ? Si l'Eglise visible des imparfaits, de ceux qui ne sont pas saints, engendre des enfants saints, comment est-elle privée des sainteté ? Si les membres de la Congregatio Sanctorum, ne sont pas issus des enfants de l'Eglise visible, à quoi sert alors l'Eglise visible ? Pour éviter de se contredire et être conséquents avec eux-mêmes, ceux qui croient en la Congregatio Sanctorum devraient cesser de croire en l'Eglise visible, cesser d'utiliser le terme Eglise. Ainsi ils ne pécheraient pas contre le concept d'Eglise et ne diraient plus des choses paradoxales, croyant ici en l'Eglise et là la niant.
Car, si les membres de l'Eglise invisible ne sont pas issus de l'Eglise invisible, mais s'unissent mystérieusement en Dieu par la seule foi en Christ, en qui le Sauveur agit et sur qui descend le saint Esprit, qui deviennent saints et parfaits, à quoi sert alors, on se le demande, l'Eglise visible, puisqu'elle ne contribue en rien à l'union et là la perfection isolés et inconnus les uns des autres, s'ils ne forment pas un ensemble organique, une union indissoluble, selon le sens même de ce nom ?
La vérité, c'est que ceux qui admettent une Eglise invisible rejettent au fond, l'Eglise visible. Et pour éviter de se décomposer définitivement, ils admettent une forme d'Eglise, un genre d'assemblée où se réunissent les adeptes pour glorifier Dieu et entendre la prédication. Mais tout cela n'est pas l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique, que nous confessons dans le Symbole sacré de la foi. Ils forment une assemblée d'adeptes du Seigneur, qui croient en lui, sans avoir été vraiment régénérés par le bain de la renaissance, sans être véritablement saints et parfaits. A moins que leur Eglise visible soit celle des imparfaits, tandis que l'autre, l'invisible, serait celles des parfaits et n'aurait d'existence que dans leur imagination.
Appeler assemblée des saints, Eglise invisible, l'ensemble des élus, qui ne se connaissent pas les uns les autres, qui ne sont pas organiquement liés en un tout, il y a contradiction. Car 1) Comment ceux qui ne sont jamais réunis ensemble peuvent-ils être une assemblé ? 2) Comment l'Eglise composée d'individus peut-elle être invisible ? Eglise et invisible sont deux concepts contradictoires ou plutôt opposés.
Dans le premier cas, ils considèrent comme assemblée, Eglise, donc quelque chose de visible, ce qui n'a pas encore été réuni et, dans le second, ils se contredisent en l'appelant invisible.
Dans le premier cas, ils considèrent comme assemblée, Eglise, donc quelque chose de visible, ce qui n'a pas encore été réuni et, dans le second, ils se contredisent en l'appelant invisible.
La Congregatio Sanctorum n'existe pas et ne peut exister. Elle n'existe pas, parce que Une est l'Eglise sainte, catholique et apostolique, indivisible et visible, formée par tous ceux qui sont régénérés en elle. Quelque chose qui soit à la fois visible et invisible n'existe pas.
Ceux qui n'ont pas été régénérés par la grâce divine qui opère dans l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique, ne forment aucune Eglise, ni visible ni invisible.
L'Eglise dite protestante n'est qu'une notion abstraite. Elle est privée du principe divin, de l'autorité divine et historique. Elle est tout entière tributaire des pensées et des actes humains, sans caractère stable et inaltérable. Si les protestants considèrent comme Congregatio Sanctorum, l'Eglise visible qu'ils forment, à quoi sert alors l'Eglise invisible ? Et à nouveau on se demande, comment ceux qui la composent sont-ils saints, puisque selon leurs propres principes, l'homme s'est définitivement corrompu après le péché ?
Qui leur a confirmé leur renaissance, leur sainteté, leur réconciliation et leur communion avec Dieu ? Qui leur a prouvé que la grâce du Christ opérait en eux ? Qui a témoigné de l'effusion de l'Esprit Saint en eux, de l'abondance des dons divins, des charismes divins ?
Tout n'est donné avec certitude et autorité que dans l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique seulement. Celui qui a été régénéré en elle, reçoit la parfaite assurance de sa communion avec Dieu.
4. AUTHENTICITE ET AUTORITE DE L'EGLISE
L'Eglise en tant qu'institution divine est dirigée par le saint Esprit ; Il demeure en elle et en fait la règle infaillible des dogmes, "la colonne et le fondement de la vérité." C'est l'Eglise qui garde pure et inaltérée la doctrine apostolique. Elle seule peut conduire à la vérité, être le seul juge infaillible, en mesure de se prononcer sur les vérités salutaires de la doctrine révélée. L'Eglise, une, sainte, catholique et apostolique, représentée par tous ses ministres en Conciles œcuméniques, est le seul juge authentique, le seul gardien naturel proposé à la garde de la doctrine inspirée. L'Eglise seule décide de l'authenticité et de l'autorité des Saintes Ecritures. C'est elle qui garantit et conserve rigoureusement dans son sein la tradition et la doctrine apostolique pures et inaltérées. Elle seule peut confirmer, expliquer et formuler les vérités, assistée par le Saint Esprit.
Seule l'Eglise conduit au Christ ceux qui croient en lui et leur donne la droite intelligence des Saintes Ecritures. Elle seule garde ses enfants sur la voie du salut. Elle seule les guide avec certitude vers le salut. En elle seule les fidèles possèdent la ferme assurance des vérités auxquelles ils croient et le salut de leur âme. Hors de l'Eglise, cette arche de Noé, il n'y a aucun salut. "Nous croyons que le saint Esprit enseigne l'Eglise, dit la Confession de Dosithée. Il est le vrai Consolateur que le Christ envoie de la part du Père pour enseigner la vérité et chasser les ténèbres loin de l'esprit des croyants."
Sans l'autorité de l'Eglise, il n'y a rien de stable, rien de rigoureux, rien de sûr pour le salut. Seule l'autorité de l'Eglise conserve pur et sans tâche le dépôt apostolique ; par elle seule sont transmises pures et sans tâche les vérités de la prédication apostolique. Sans l'autorité de l'Eglise, le contenu de la foi peut être altéré, la prédication apostolique n'être plus qu'un vain mot. Sans l'Eglise visible fondée par Dieu, aucune union peut exister entre les membres d'une quelconque communauté qui ne serait pas le Corps du Christ, car, le Corps du Christ, c'est son Eglise, dont il est la tête. Sans l'Eglise, personne ne peut être uni au Corps du Christ ; nul, s'il n'a pas été régénéré, s'il n'est pas devenu participant de la grâce qui est dans l'Eglise, ne peut devenir membre du Christ.
Ceux qui définissent l'Eglise comme une société invisible, une assemblée d'élus, de saints, le Congregatio Sanctorum, société de foi et d'Esprit Saint, dans laquelle agirait le Sauveur, s'excluent eux-mêmes de la grâce divine dispensée par l'Eglise, à laquelle ils n'appartiennent pas.
Ceux qui nient l'Eglise visible du Christ, nient également la nature de l'Eglise, c'est-à-dire son caractère concret, qui en fait une institution divine sur la terre où est perpétuée l'œuvre rédemptrice du Sauveur.
Ceux qui aiment à se croire de la société invisible des saints, faite des saints de toute la terre connus de Dieu seul, ceux qui pensent que par une foi toute théorique dans le Sauveur deviennent participants du Saint Esprit, qui croient que le Sauveur opère leur salut sans la méditation de l'Eglise qu'Il a fondée, ceux-là s'égarent, car extra ecclésiam nulla salus. Hors de l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique, il n'y a aucun salut. Cette Eglise est visible, elle n'est pas une simple association d'hommes qui croient en Christ. Elle est une institution divine. En elle s'opère la rédemption de l'homme. En elle l'homme communie avec Dieu et devient fils de Dieu.
Les protestants qui ont abandonné l'Eglise visible du Christ pour fonder leurs propres communautés de saints pèchent contre le caractère essentiel de l'Eglise. Ils interprètent l'œuvre de la rédemption comme une théorie théologique capable de sauver celui qui l'étudie ou l'accepte. Mais l'œuvre de la rédemption n'est pas une simple théorie théologique. Elle est un acte mystique accompli dans l'Eglise visible du Christ. C'est cette œuvre qui donne le salut, qui fait des fidèles des participants du saint Esprit. Hors de l'Eglise, il n'y a aucune théorie de la foi, aucune société qui mène à la communion avec Dieu. Le Seigneur a dit: "Celui qui croira et se fera baptiser sera sauvé." C'est le Seigneur qui a dressé l'autel visible de l'Eglise. C'est pourquoi il existe avec la théorie l'acte, l'acte selon la vérité qu'il a transmise à sa sainte Eglise, unique accès à la vie, et dont le Christ en est la tête. C'est à elle que nous devons nous remettre. C'est d'elle que nous devons apprendre la vérité et recevoir notre salut. Elle seule est la colonne et le fondement de la vérité, parce que l'Esprit, le Consolateur, demeure à jamais en elle. Le vénérable Dosithée dit à propos de l'Eglise ceci: "Nous devons, sans aucune hésitation, croire en l'Ecriture, mais pas autrement que ne l'enseigne l'Eglise catholique. Les hérétiques reçoivent certes la sainte Ecriture, mais ils la déforment par des métaphores, des homonymies, des sophismes de la sagesse humaine qui confond l'inconfondable et se joue de ce qui ne peut l'être. Si chaque jour on devait adopter les opinions des uns et des autres, l'Eglise catholique ne serait pas ce qu'elle a été jusqu'à ce jour, par la grâce du Christ, ayant une seule opinion sur la foi, croyant inébranlablement la même choses. Elle serait déchirée par une multitude d'hérésies, elle ne serait plus l'Eglise sainte, la colonne et le fondement de la vérité, sans tâche, sans rides. Elle serait celle des malicieux, celles des hérétiques, qui après avoir été instruits par elle l'ont, sans scrupules, rejetée. Aussi nous croyons que le témoignage de l'Eglise catholique n'est pas inférieur à l'autorité de l'Ecriture divine. Les deux sont l'œuvre du même et seul Esprit. Un homme qui parle de lui-même peut pécher, égarer et s'égarer. L'Eglise catholique ne parle jamais d'elle-même, mais par l'Esprit de Dieu, le Maître qui l'enrichit perpétuellement. Il lui est impossible de pécher, de s'égarer et d'égarer. Elle est égale à la divine Ecriture et possède l'autorité infaillible et perpétuelle."
Les protestants qui ont abandonné l'Eglise visible du Christ pour fonder leurs propres communautés de saints pèchent contre le caractère essentiel de l'Eglise. Ils interprètent l'œuvre de la rédemption comme une théorie théologique capable de sauver celui qui l'étudie ou l'accepte. Mais l'œuvre de la rédemption n'est pas une simple théorie théologique. Elle est un acte mystique accompli dans l'Eglise visible du Christ. C'est cette œuvre qui donne le salut, qui fait des fidèles des participants du saint Esprit. Hors de l'Eglise, il n'y a aucune théorie de la foi, aucune société qui mène à la communion avec Dieu. Le Seigneur a dit: "Celui qui croira et se fera baptiser sera sauvé." C'est le Seigneur qui a dressé l'autel visible de l'Eglise. C'est pourquoi il existe avec la théorie l'acte, l'acte selon la vérité qu'il a transmise à sa sainte Eglise, unique accès à la vie, et dont le Christ en est la tête. C'est à elle que nous devons nous remettre. C'est d'elle que nous devons apprendre la vérité et recevoir notre salut. Elle seule est la colonne et le fondement de la vérité, parce que l'Esprit, le Consolateur, demeure à jamais en elle. Le vénérable Dosithée dit à propos de l'Eglise ceci: "Nous devons, sans aucune hésitation, croire en l'Ecriture, mais pas autrement que ne l'enseigne l'Eglise catholique. Les hérétiques reçoivent certes la sainte Ecriture, mais ils la déforment par des métaphores, des homonymies, des sophismes de la sagesse humaine qui confond l'inconfondable et se joue de ce qui ne peut l'être. Si chaque jour on devait adopter les opinions des uns et des autres, l'Eglise catholique ne serait pas ce qu'elle a été jusqu'à ce jour, par la grâce du Christ, ayant une seule opinion sur la foi, croyant inébranlablement la même choses. Elle serait déchirée par une multitude d'hérésies, elle ne serait plus l'Eglise sainte, la colonne et le fondement de la vérité, sans tâche, sans rides. Elle serait celle des malicieux, celles des hérétiques, qui après avoir été instruits par elle l'ont, sans scrupules, rejetée. Aussi nous croyons que le témoignage de l'Eglise catholique n'est pas inférieur à l'autorité de l'Ecriture divine. Les deux sont l'œuvre du même et seul Esprit. Un homme qui parle de lui-même peut pécher, égarer et s'égarer. L'Eglise catholique ne parle jamais d'elle-même, mais par l'Esprit de Dieu, le Maître qui l'enrichit perpétuellement. Il lui est impossible de pécher, de s'égarer et d'égarer. Elle est égale à la divine Ecriture et possède l'autorité infaillible et perpétuelle."
Saint Cyrille de Jérusalem dit : "Aime à t'instruire et apprends de l'Eglise quel sont les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament acceptés par tous. Pourquoi perdre son temps avec ceux qui sont douteux ? Lis donc les vingt-deux livres de l'Ancien Testament, traduits par les soixante-dix docteurs."
Derrière les paroles de Cyrille apparaît l'autorité de l'Eglise. Le patriarche Denys, lors du Concile de Constantinople de 1672, a dit à propos de l'infaillibilité de l'Eglise : " Quant à l'Eglise catholique orthodoxe, nous disons qu'elle est infaillible, guidée qu'elle est par sa propre tête, le Christ, et enseignée par l'Esprit de vérité. Il lui est donc impossible de se tromper ; c'est pourquoi elle est appelée par l'Apôtre colonne et fondement de la vérité. Elle est visible et ne fera jamais défaut aux orthodoxes jusqu'à la fin du monde."
Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»
L’HOMME, PRETRE DE LA CREATION
1. L’ homme, gloire de Dieu dans le monde.
L’Eglise a toujours compris la création du monde comme une manifestation ad extra de l’amour divin, la réalité matérielle du monde étant un produit qui se réalise comme une réponse à l’amour créateur de Dieu. L’Evangile, ne l’oublions pas, atteste l’événement de la communion réalisé entre Dieu et les hommes dans l’Eglise, laquelle est le monde déjà transfiguré et cela est possible par Jésus-Christ dans l’Esprit Saint. Pour sa part, la grande Tradition patristique présente l’homme comme microcosme en ce sens qu’il récapitule dans son corps humain la création toute entière ; en ce sens qu’il peut réaliser dans son propre corps la réponse positive ou négative de la création entière en sa qualité de sanctuaire du Saint Esprit, selon l’expression bien connue de Saint Paul ( 1Cor. 3/16-17 ). Par conséquent, le spirituel peut se révéler dans la matière du fait même qu’elle peut être porteuse du divin.
Mais tout dépend de la liberté humaine, puisque l’homme est le seul être dans la création qui incarne précisément la possibilité de personnaliser la vie ; de faire de l’être créé, matériel, corruptible et mortel, un être de communion, un être éternel. Le Christ, par son Incarnation, a pris corps pour qu’en lui habite la plénitude de la réalité divine ( Col 2/9 ) : parce que Dieu nous a aimés jusqu’à livrer pour nous son Fils unique - afin que ne périsse pas quiconque croit en lui mais qu’il ait la vie éternelle écrit Saint Jean Chrysostome dans sa divine Liturgie - nous pouvons exister pour toujours et participer à la vie éternelle dès lors que nous accueillons l’amour divin dans la liberté de notre propre amour.
Pour Dieu, toute chose reçoit un sens nouveau à cause de l’Incarnation ; toute chose est appelée à la sanctification et la matière aussi devient un canal pour la transmission de la grâce de l’Esprit Saint[ltr]http://www.orthodoxa.org/FR/orthodoxie/theologie/hoepretrecreation.htm#1[/ltr][ltr](1)[/ltr].
Pour l’Eglise Orthodoxe, ni les Pères grecs ( spécialement les Cappadociens) ni ses grands maîtres de spiritualité n’ont jamais fait de distinction entre vie naturelle et dons surnaturels de l’Esprit Saint ou n’ont considéré la vie spirituelle comme une qualité surajoutée à toute existence naturelle. Tout ce qui touche au salut est compris comme une réponse concrète à la soif existentielle de l’homme et invite à une conversion radicale, qui conduit à la transformation de toute vie mortelle en vie éternelle. Le salut par la Croix revêt bien une dimension universelle qui englobe mêmement et la vie de l’homme et la vie du monde et la glorification de la matière et l’illumination de l’histoire [ltr](2)[/ltr].
Une inscription de la chapelle d’Adam dans le Saint-Sépulcre à Jérusalem proclame que le lieu du crâne, c’est-à-dire le Golgotha où fut plantée la Croix, est devenu paradis. A la limite, dans le champ des relations personnelles qu’ont les hommes entre eux et avec Dieu, l’univers est destiné à devenir fête nuptiale, eucharistie. Tel est, ce me semble, le sens de la véritable ascèse : non pas une démarche individualiste visant à soumettre le corps aux exigences de l’esprit mais un véritable fait de communion, un véritable fait ecclésial par lequel chaque travail et chaque relation professionnelle, économique, sociale ou politique tendent à se transformer en authentique communion eucharistique de la même manière que toute prise de nourriture devient dans l’Eucharistie fait de communion. C’est pourquoi la vocation de l’homme c’est essentiellement de transcender l’univers non pas pour l’abandonner mais pour le contenir, lui dire son sens, lui permettre de correspondre à sa secrète sacramentalité, le cultiver, lui parfaire sa beauté, bref le transfigurer et non pas le défigurer. La Bible, ne l’oublions pas, présente le monde comme un matériau qui doit aider l’homme à prendre historiquement conscience de sa liberté offerte à Dieu. C’est dans le monde que l’homme exprime sa liberté et qu’il se présente comme une existence personnelle devant Dieu [ltr](3)[/ltr].
Considéré par les Pères grecs comme la gloire, autrement dit comme la manifestation de l’image de Dieu dans le monde, l’homme ne peut de cette manière faire transparaître Dieu en soi-même sans faire transparaître Dieu dans le monde ou sans se faire transparent comme image de Dieu dans le monde. Il est vrai, écrit Dumitru Staniloae, que le monde a été créé avant l’homme ; mais c’est par l’homme seulement qu’il a reçu sa pleine réalité et qu’il réalise sa destination. L’homme est le collaborateur de Dieu envers le monde. L’être visible est formé par l’homme et par le monde ; il est le monde reflété par l’homme ou l’homme en relation avec le monde [ltr](4)[/ltr]. On peut donc dire que l’homme est un miroir dans lequel on voit le monde et le monde un miroir dans lequel se voit l’homme.
2. L’ homme, création à l’image de Dieu.
Ainsi l’homme représente pour l’univers l’espoir de recevoir la grâce et de s’unir à Dieu ; il est aussi un risque : le risque de la déchéance et de l’échec lorsque, chaque fois qu’il se détourne de Dieu, il ne voit plus des choses que l’apparence, la figure qui passe ( 1 Cor 7/31 ) , ce qui a pour conséquence de leur donner un faux nom. C’est ce qui fait la grandeur de l’homme : une grandeur qui réside dans sa dimension irréductiblement personnelle, méta-cosmique, laquelle lui permet non pas de dissoudre le cosmos mais de le transformer en temple de la Sagesse divine.
Déchéance, rédemption ! Deux textes fondamentaux de Saint Paul dans son Epître aux Romains devraient ici retenir notre attention.
Le premier est celui de Romains 1/20 : … depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu, éternelle puissance et divinité, sont visibles dans ses œuvres pour l’intelligence… : la Parole créatrice de Dieu est donc bien la source de toute réalité non seulement existentielle et historique mais aussi cosmique.
Le second est tiré de Romains 8/ 19-21 : Car la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu : livrée au pouvoir du néant – non de son propre gré, mais par l’autorité de celui qui l’y a livrée – elle garde l’espérance car elle sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la gloire et à la liberté de Dieu. Tout ce qui est en l’homme revêt une signification universelle et s’imprime sur l’univers, ce qui fait dire à Olivier Clément : la révélation biblique nous place devant un anthropocentrisme résolu, non pas physique mais spirituel puisque le destin de la personne humaine détermine le destin du cosmos [ltr](5)[/ltr]. Cela devient possible dès lors que l’homme se présente comme l’axe spirituel de tout le créé, de tous ses plans, de tous ses modes puisqu’il est à la fois microcosme et microthéos, autrement dit le résumé de l’univers et l’image de Dieu et parce qu’enfin Dieu s’est fait homme pour s’unir au cosmos.
Le fait essentiel demeure donc ici le mystère de l’Incarnation ; il place l’homme au centre de la création. Le Christ, en récapitulant l’histoire humaine, donne du même coup aux cycles cosmiques la plénitude de leur sens. Le mystère de l’Incarnation du Verbe contient en soi… toute la signification des créatures sensibles et intelligibles, affirme Saint Maxime le Confesseur [ltr](6)[/ltr]. Celui qui connaît le mystère de la Croix et du Tombeau connaît aussi le sens des choses ; celui qui est initié à la signification cachée de la Résurrection connaît aussi le but pour lequel dès le commencement, Dieu créa le tout. Avec la création et la chute commence une ligne horizontale qui avance directement de la Croix et de la Résurrection jusqu’ à la Pentecôte et dans laquelle l’homme est impliqué comme créateur, parce qu’il est l’image par excellence du Verbe de Dieu ; comme souverain car le Christ, à l’image duquel il a été créé, est le Seigneur-Roi qui domine l’univers ; enfin, par-dessus tout comme prêtre de tout l’univers qu’il récapitule en lui puisqu’il a pour modèle le Christ lui-même, Grand Prêtre [ltr](7)[/ltr].
La Bible utilise le verbe hébreu bara pour dire que Dieu créa le ciel et la terre ( Gen.1/1 ). Le mot hébreu se réfère toujours à une action de Dieu ( voir aussi Es.43/1,7,15 ), ce qui s’oppose à tout ce qui est fabriqué ou construit. Ainsi, l’univers jaillit neuf des mains du Dieu biblique. Lorsque donc Grégoire de Nysse décrit cette création comme une ordonnance musicale [ltr](8)[/ltr], nul doute qu’il ne fait là que rejoindre la tradition hébraïque elle-même pour laquelle le premier Adam – Qadmon, l’homme antérieur - était un corps de lumière qui récapitulait les six jours de la création et devait rendre au divin Créateur la libre réponse de l’amour en se laissant aspirer par la lumière incréée de Dieu dans un mouvement d’ascension à même le septième jour. L’homme devait y enfanter le huitième jour, transfiguration du premier [ltr](9)[/ltr]. Dans la vision chrétienne, l’univers est une réalité neuve, véritable, dynamique, animée par une force lumineuse, spermatique que Dieu a introduite en lui comme tension vers la transcendance [ltr](10)[/ltr].
3. L’homme, jointure entre le divin et le terrestre.
Mais si l’univers se tient devant l’homme comme une révélation de Dieu, c’est à l’homme qu’il appartient de la déchiffrer d’une manière créatrice et de rendre consciente la louange ontologique des choses. Parce que tout simplement il n’y a pas de discontinuité entre la chair du monde et celle de l’homme. D’une part, l’univers est - théologiquement parlant - englobé dans la nature humaine ; il est le corps de l’humanité. D’autre part l’homme, en sa qualité de microcosme, condense et résume en lui les degrés de l’être créé, ce qui lui donne la possibilité de connaître l’univers de l’intérieur.
Ainsi, entre l’homme-microcosme et l’univers-macranthrope, la connaissance est endosmose et exosmose, échange de sens et de force [ltr](11)[/ltr]. Plus encore, l’homme est beaucoup plus qu’un microcosme du fait que sa création à l’image et à la ressemblance de Dieu ne provient pas d’un ordre donné à la terre, comme c’est le cas pour les autres vivants. Dieu, en créant l’homme, n’ordonne pas mais se dit dans son conseil éternel : faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance (Gen. 1/26). Pour cette raison, nous pouvons affirmer que l’homme, parce qu’il constitue l’hypostase du monde comme image de Dieu et microcosme, est donc bien la jointure entre le divin et le terrestre et de lui se diffuse la grâce sur toute la création.
C’est pourquoi, sans lui les plantes ne peuvent pas croître car c’est en lui qu’elles s’enracinent et c’est encore lui qui nomme les animaux, déchiffrant pour Dieu leurs paroles de création et de providence ( les λόγοι selon Maxime le Confesseur), que l’on trouve dans la Genèse et dans les Psaumes [ltr](12)[/ltr]. C’est dire que la situation du cosmos, sa transparence ou son opacité, sa libération en Dieu ou son asservissement à la corruption et à la mort, dépendent de l’attitude fondamentale de l’homme, de sa transparence ou de son opacité à la lumière divine et à la présence du prochain. C’est la capacité de communion de l’homme qui conditionne l’état de l’univers. Du moins initialement et maintenant en Christ, au sein de son Eglise.
Dans un texte admirable, Saint Syméon le Théologien traduit cela avec une remarquable clarté. Voici ce qu’il écrit :
Toutes les créatures, lorsqu’elles virent qu’Adam était chassé du Paradis, ne consentirent plus à lui rester soumises ; ni le soleil, ni la lune, ni les étoiles ne voulurent le reconnaître ; les sources refusèrent de faire jaillir l’eau et les rivières de continuer leur cours ; l’air ne voulut plus palpiter pour ne pas donner à respirer à Adam pécheur ; les bêtes féroces et tous les animaux de la terre, lorsqu’ils le virent déchu de sa gloire première, se mirent à le mépriser et tous étaient prêts à l’assaillir ; le ciel s’efforçait de s’effondrer sur sa tête et la terre ne voulut plus le porter. Mais Dieu qui avait créé toutes choses et l’homme, que fit-il ? Il contint toutes ces créatures par sa propre force et, par son ordre et sa clémence sacrée, ne les laissa pas se déchaîner contre l’homme, mais ordonna que la création restât sous sa dépendance et, devenant périssable, servît l’homme périssable pour lequel elle était créé et cela jusqu’à ce que l’homme renouvelé redevienne spirituel, incorruptible et éternel et que toutes les créatures, soumises par Dieu à l’homme dans son labeur, se libèrent aussi, se renouvellent avec lui et, comme lui, redeviennent incorruptibles et spirituelles [ltr](13)[/ltr].
A partir de cette lecture nous pouvons mieux saisir les données de notre thème présent car les moments essentiels de l’histoire du salut ne sont pas seulement porteurs d’une importance historique ; ils ont aussi une importance méta-historique. C’est bien dans cette perspective qu’il nous faut, ce me semble, éclairer notre réflexion d’aujourd’hui sans quoi l’on court le risque de ne pas pouvoir concevoir et expérimenter les modalités diverses de l’être créé faute de réalisme mystique.
L’histoire de l’homme et sa psychologie demeurent incompréhensibles sans la mémoire du Paradis, ainsi que se plaisent à nous le rappeler nos Pères dans la Foi : la Croix rend donc accessible aux hommes, soutient Henri de Lubac [ltr](14)[/ltr] la modalité synthétique de la création du fait même que le sang du meurtre de Dieu devient sacrifice, au sens le plus originel et qu’il sacre la terre en tant que ferme soutien de toutes choses … et entrelacement cosmique. A tous les schémas d’une évolution unilatérale que proposent aujourd’hui les sciences de la nature et de l’homme, la Croix et la Résurrection du Christ répondent par un tout autre, celui de l’entrecroisement de deux processus : de chute et de rédemption, de régression et de progrès. C’est ce dernier seul qui fait de l’homme le véritable prêtre de la création.
La chute comme catastrophe cosmique réside dans le fait que l’homme a détruit l’unité qu’il était appelé à réaliser entre Dieu et le monde : parce que l’homme s’est mis hors de Dieu et contre Dieu, le monde lui est désormais devenu étrange et hostile ; mais cette étrangeté et cette hostilité, c’est en fait l’homme lui-même jeté hors de lui-même, littéralement pulvérisé hors de la création. Tel est le sens que l’on trouve dans le livre de la Genèse ( 3/19 ) : poussière, tu retourneras à la poussière ! L’homme, écrit Nicolas Berdiaev, ayant réduit par sa propre servitude la nature à l’état de mécanisme, rencontre en face de lui cette mécanicité dont il est la cause et tombe en son pouvoir … La force de la nature nécrosée suscite la souffrance de l’homme, son roi détrôné. A son tour elle lui verse le poison qui le changera en cadavre, le forcera à partager le destin de la pierre, de la poussière et de la boue [ltr](15)[/ltr].
Mais le Christ, Nouvel Adam, fait éclater et embraser divinement l’écorce de la mort [ltr](16)[/ltr]. Le Fils de Dieu devenu Homme enfouit volontairement sa corporéité lumineuse dans notre corporéité souffrante et laborieuse afin que, sur la Croix et dans l’aube soudaine de Pâques, tout s’illumine. Non pas seulement l’univers mais aussi tout l’effort humain qui vise à le transformer. En Christ la matière déchue redevient moyen de communion, temple et fête de la rencontre. En Lui le monde, gelé par notre déchéance, fond au feu de l’Esprit et retrouve son dynamisme originel.
Mais si l’histoire en Christ est terminée ( Hébreux 9/12-14 ), l’histoire, elle, continue car la plénitude ne nous est pas imposée ; elle est offerte. L’ascension introduit notre nature au sein même de la Trinité ; avec la Pentecôte commence, dans la grâce du Saint-Esprit, la libre appropriation par chaque personne humaine de la force divine que rayonne le corps glorifié du Christ . L’histoire désormais est celle du feu que le Christ est venu jeter sur terre et qui ne cesse d’embraser les âmes ; c’est l’histoire de la lumière, l’économie du Saint-Esprit par laquelle la plénitude des temps ouvre les temps de la plénitude [ltr](17)[/ltr].
4. Faire eucharistie en tout.
Pour Saint Maxime le Confesseur, le monde se révèle alors comme une église : la nef est l’univers sensible, les anges constituent le chœur et l’esprit de l’homme en prière le saint des saints. Ainsi l’âme se réfugie comme dans une église et un lieu de paix dans la contemplation spirituelle de la nature ; elle y entre avec le Verbe et, avec Lui notre Grand Prêtre et sous sa conduite, elle offre l’univers à Dieu dans son esprit comme sur un autel [ltr](17)[/ltr]. Saint Silouane de l’Athos ne se lassait pas de répéter : pour l’homme qui prie dans son cœur, le monde entier est une église.
La bénédiction, le respect de la terre, la soumission à toute vie dans sa féconde beauté, le partage avec les pauvres, tout cela et tout le reste, l’homme a pour devoir de les faire converger dans le but de préparer la transformation de la terre en eucharistie. C’est de cette évidence que découle sa vocation sacerdotale au sein de toute la création.
En toutes choses faites eucharistie (1Th 5/18 ) : à l’Eucharistie comme sacrement répond l’Eucharistie comme spiritualité, laquelle entraîne la métamorphose de tout l’être de l’homme et de tout l’être par l’homme [ltr](18)[/ltr]. Dans la vision paulienne l’Eglise, Corps du Christ – du Christ non pas mort sur la Croix mais ressuscité des morts - est bien perçue comme mystère eucharistique qui reflète le futur, l’état final des choses et non pas un événement historique du passé puisque le Royaume est venu. Elle est de même perçue comme ce mystère eucharistique qui nous procure la véritable gnose d’un univers créé pour devenir Eucharistie.
L’Eucharistie se définit donc comme ce lieu par excellence privilégié où l’homme liturgique déchiffre l’existence toute entière dans la Lumière de la vie, là même où s’éveille cette Présence qui transforme le monde en buisson ardent ; là enfin où ce monde à venir devient l’intérieur de la Parole biblique. Par Elle en effet nous comprenons que nous ne sommes pas qu’une communauté d’être humains sans relations avec le cosmos non personnel : le salut est destiné à la création toute entière et jusqu’à ce que la mort soit éliminée du cosmos tout entier, il ne peut y avoir de salut pour les êtres humains.
C’est cela, écrit Jean Zizioulas qui rend la célébration des sacrements et spécialement de l’eucharistie si cruciale pour l’Eglise…Car les sacrements impliquent toute la création dans l’être de l’Eglise et non seulement les hommes[ltr](19)[/ltr] …Le centre cosmique, c’est-à-dire universel, de la création est l’Eglise, icône de la fin eschatologique de l’histoire, du nouveau ciel et de la nouvelle terre, de la cité de Dieu, de la nouvelle Jérusalem. Autrement dit, l’Eglise est réellement la gloire du Verbe, son apparition et sa manifestation sous l’action du Saint Esprit : le fait de la transfiguration est donc le présent continuel de l’Eglise et par conséquent de la divinisation du monde. Pour cette raison, la gloire du Verbe comme commencement et fin de l’histoire reste le mystère de la foi et la possibilité de la vie [ltr](20)[/ltr]. Nous cheminons dans la foi, écrit Saint Paul, non dans la claire vision( 2 Co 5/7 ).
La grâce naturelle du Saint Esprit, laquelle constitue le fondement même de l’être de créature, se manifeste dans la chair même du monde ; elle est à l’origine de toute sanctification. C’est pourquoi l’Eglise du Christ connaît diverses sanctifications de la matière comme par exemple celle de la bénédiction des eaux du Jourdain, de laquelle découlent toutes les bénédictions des eaux ( baptismales ou non ) ; comme par exemple celle du saint chrême et de l’huile, du pain et du vin ; de la consécration des églises et des objets de culte ; des fruits de la terre, de toute nourriture et en général de tous objets [ltr](21)[/ltr]. L’Esprit Saint descend en personne au cœur du monde et Le voici conscience de notre conscience, vie de notre vie, souffle de notre souffle [ltr](22)[/ltr]. Les épiclèses de toutes les actions sacramentelles constituent comme une continuation de la Pentecôte, comme la reprise, dans un dynamisme renouvelé, de la Pentecôte cosmique des origines. Tout culmine alors à la métabolè ( μεταβολή ) eucharistique. Aussi, si les cieux, la création de Dieu racontent sa gloire ( Ps 19/18, 2 ), les œuvres de l’homme qui continuent, elles, la création de Dieu, ont pour but suprême, à travers cette même création, la glorification de Dieu.
C’est justement ici qu’apparaît l’importance capitale du repentir et de l’ascèse et dans l’homme et dans toute l’histoire de la civilisation.Le repentir et l’ascèse sont le combat pour lequel l’homme en Christ fait mourir au plus profond de lui-même et dans toutes ses œuvres sa mauvaise autonomie, le seul élément qui doive être rejeté ( 1 Tm 4/4 ). Le repentir et l’ascèse rétablissent l’homme et ses œuvres dans la beauté originelle ; ils tournent le miroir vers le Soleil réel. Et les créations de l’homme reçoivent ainsi la lumière et la vie [ltr](23)[/ltr].
5. L’homme, prêtre de la création.
Pour Saint Irénée de Lyon, c’est toute la nature visible que nous offrons dans les saints dons afin qu’elle soit eucharistiée, puisque dans l’eucharistie l’un des deux facteurs est terrestre [ltr](24)[/ltr]. Dans l’anaphore, rappelle Saint Cyrille d’Alexandrie, on fait mémoire du ciel et de la terre, de la mer, du soleil, de toute la création visible et invisible [ltr](25)[/ltr]. C’est parce qu’il y a l’Eglise et sa liturgie que le monde reste ancré dans l’être, c’est-à-dire dans le Corps du Christ, car l’Eglise demeure ce lieu spirituel où l’homme fait l’apprentissage d’une existence eucharistique et devient authentiquement prêtre et roi.
Par la liturgie l’homme découvre le monde transfiguré en Christ et désormais il collabore à sa métamorphose définitive, ce qui signifie en clair à sa transfiguration. Tout fidèle qui prend part à la liturgie porte en lui le monde de la façon la plus réaliste, la plus positive qui soit. Il ne porte pas seulement sa chair d’homme, son être concret avec ses faiblesses et ses passions. Il porte toute sa relation avec le monde naturel, avec toute la création. Le monde qui entre dans l’espace liturgique est certes le monde déchu mais il n’y entre pas pour rester tel qu’il est. La liturgie est un remède d’immortalité parce que dans son acceptation et son affirmation du monde, elle refuse précisément la corruption de celui-ci afin de pouvoir l’offrir à Dieu, au Créateur. Dans la liturgie eucharistique, le monde ne cesse jamais d’être le cosmos de Dieu. Une telle vision du monde ne laisse pas de place à la dissociation entre le naturel et le surnaturel.
Dans l’anaphore de la divine liturgie de Saint Jean Chrysostome nous prononçons ces phrases : nous souvenant donc de ce commandement salutaire et de tout ce qui a été fait pour nous : de la Croix, du Tombeau, de la Résurrection au troisième jour, de l’Ascension au ciel, de la session à la droite ( du Père ), du second et glorieux Avènement, tes dons que nous prenons parmi tes dons nous te les offrons en tout et pour tout : l’Eucharistie, en répondant de façon fondamentale à nos attentes contemporaines, peut sauver l’homme de notre temps de l’opposition et de la dissociation entre éternité et temps, qui le poussent à refuser Dieu. Ce Dieu que la théologie à trop souvent placé, reconnaissons-le tout simplement, dans une sphère désormais incompréhensible pour les hommes d’aujourd’hui [ltr](26)[/ltr].
Si les chrétiens venaient à vivre pleinement le sacrifice de la messe, non seulement ils seraient capables de garder le monde que Dieu leur a confié, mais ils le développeraient sans aucun doute à l’infini et ils le transfigureraient vraiment en sacrifice logique ( λογική λατρεία ), raisonnable, à savoir conforme au Logos, à la parole toujours créatrice de Dieu puisque la liturgie est notre action de grâce la plus authentique pour le monde créé, rendue au nom de ce monde. Elle est aussi la restauration du monde déchu et la pleine participation des fidèles au salut ( amené par l’Incarnation du Logos divin ), à travers lesquels ce même Logos est donné au cosmos tout entier. La liturgie eucharistique est enfin l’image du Royaume, qui est le Cosmos devenu ecclésial [ltr](27)[/ltr].
L’homme sanctifié est un homme qui sanctifie et sa conscience eucharistique cherche, au cœur des êtres et des choses, le point de transparence où faire rayonner la lumière du Thabor. Cette participation à toute la création, à la doxologie qui revient au Créateur, cette atmosphère de réconciliation de la nature et du religieux dans le culte, nous les retrouvons pleinement exprimées dans l’iconographie byzantine : l’ascèse et la mystique, loin de concerner uniquement l’âme, apparaissent de cette façon comme l’art et la science du sôma pneumatikon et ce corps spirituel communique la Lumière véritable à l’ambiance cosmique dont il est inséparable.
Au terme de cette réflexion, nous comprenons que la grande Tradition chrétienne rappelle en tous temps et en chaque circonstance que le cosmos revêt pour l’homme une signification profonde car il est une icône sacrée, laquelle révèle constamment le mystère de la création. A cause de cela il porte en lui un message qu’il convient de toujours déchiffrer dans sa totale intensité. Ce dialogue entre l’homme et le reste de la création est fondamental sur plusieurs points puisque c’est la main dans la main qu’ils passent ensemble de l’esclavage de la corruption à la liberté glorieuse de Dieu.
Mais encore ! Dieu ne s’est pas contenté de créer le monde comme une seule parole multiple, Il a aussi créé un sujet qui peut saisir cette parole. Si donc l’apparition de l’homme (comme sujet à qui Dieu s’adresse par ses raisons incarnées dans le monde) est impliquée dans le plan de la création, c’est que nécessairement est impliquée dans la prononciation de la parole un interlocuteur qui doit répondre. Le monde a été pensé et créé en fonction de l’homme. L’apparition de l’homme est liée à la création du monde comme une part avec l’autre part, sans toutefois que l’une résulte de l’autre, toutes deux étant cependant le produit cohérent d’une pensée et d’un acte unitaires. La différence entre l’homme comme parole et le monde comme parole est que l’homme est parole parlante ou raison pensante selon l’image même du Fils comme sujet.
Seulement comme image du Fils ! Car il n’appartient pas à l’homme de penser, de prononcer et de réaliser des raisons et des paroles qui lui soient totalement propres mais il lui revient d’énoncer, de combiner et de développer les images des raisons ou des paroles du Logos divin, suivant en cela ce même Logos en sa qualité de premier parlant, pensant et créateur.
Si vous ne priez plus, ce n’est tout de même pas la faute des machines [ltr](28)[/ltr], écrit Denis de Rougemont. Traduisez : si vous ne priez plus, ce ne sont tout de même pas les machines qui vous donneront et se donneront un sens ! Selon Dumitru Staniloae [ltr](29)[/ltr], l’homme en dialogue avec le Logos donne à la divinisation du monde un certain caractère humain. Car la divinisation du monde par la contribution de l’homme est une divinisation riche de toutes les pensées et de tous les sentiments humains. Par là, l’homme découvre le vrai sens du monde, sa destination d’être le contenu de l’esprit humain et de l’esprit divin, contenu imprimé par le sceau humain plein de l’esprit divin. Voilà pourquoi le Logos est devenu homme : pour accomplir cette tâche de l’homme de diviniser le monde par l’humain, tâche dont l’homme était déchu par le péché …
Garder donc le monde, c’est pour l’homme garder son orientation et sa tendance vers le dépassement continuel jusqu’à l’incréé ; c’est garder sa finalité extrême qui est Dieu et la communion avec Dieu. Mais aussi, garder notre monde, encore en même temps en création et en corruption, c’est garder le dynamisme créateur que Dieu a donné ; c’est sauvegarder les créations de Dieu de la corruption. Cette sauvegarde, qui s’appelle également le salut, ne peut être accomplie que par l’intégration des réalités du monde dans l’Eglise par leur transformation en corps de l’Eglise. Telle est la mission de l’homme comme prêtre de la création.
Le problème ultime qui nous concerne ici n’est ni le problème social en tant que problème de la richesse et de la pauvreté, ni celui de l’enrichissement universel ou encore de la santé, de l’alimentation et de la justice planétaire (toutes choses certes indispensables) ; le problème qui nous concerne ici c’est essentiellement celui de la vie et de la mort et du retour universel à la vie, en d’autres mots celui de la sanctification universelle [ltr](30)[/ltr]. D’où la nécessité pour nous chrétiens de célébrer l’Eucharistie, de célébrer Pâques non pas uniquement à l’intérieur de nos temples mais dans toutes les expressions de notre existence. Dans nos œuvres journalières, dans la technique et dans la science.
Et cette célébration de la liturgie ne peut avoir de véritable sens que si elle embrasse la totalité de la vie ; non seulement dans la vie de l’esprit, qui est vie intérieure mais pareillement dans la vie extérieure, mondiale et ce en vue de la transformer en œuvre de résurrection.
Dans la science, la technique, l’art, la politique, les chrétiens sont appelés à faire acte de présence afin de modifier le rapport de l’homme avec l’homme en rapport de communion et le rapport des hommes avec toute la création en rapport de transfiguration. Ainsi devrait se définir et se déterminer notre participation à toute œuvre de civilisation. Le monde passe et ses convoitises aussi ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement (1Jn 2/17). L’univers ne se déploie en réalité que dans la vision de l’homme ; c’est pourquoi la prière et l’amour d’un saint le métamorphosent. Quant à nous, si nous ne voyons pas la vraie Lumière gagner sous l’écorce, n’accusons que notre propre cécité.
Une dernière question.
A la vision résurrectionnelle du monde qui nous est demandée, sommes-nous finalement capables de proposer un vrai service désintéressé qui soit avant tout un authentique service pascal de vie ? Car il n’y a pour la création qu’une seule réponse possible : la certitude, pour toute existence, de la Résurrection.
Monastère de Nouveau Valamo ( Finlande ),
le 15 juillet 2004
XXXIè Rencontre Internationale et Interconfessionnelle des Religieuses
Thème : La Vie religieuse et la sauvegarde de la Création ( 12-19 juillet 2004 ).
le 15 juillet 2004
XXXIè Rencontre Internationale et Interconfessionnelle des Religieuses
Thème : La Vie religieuse et la sauvegarde de la Création ( 12-19 juillet 2004 ).
+ STEPHANOS,
Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie.
Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie.
Bibliographie
(1) Christos YANNARAS : « 8e Assemblée Générale de la KEK » in SOP, Paris, décembre 1989, pp.13-17. [ltr](retour)[/ltr]
(2) Christos YANNARAS, loc.cit. [ltr](retour)[/ltr]
(3 )Constantin GREGORIADIS : « Le Monde en tant que création et la révolte de l’Humanisme autome », Contacts n°57, Paris, 1967, pp.75-78. [ltr](retour)[/ltr]
(4) Dumitru STANILOAE : « L’Homme, Image de Dieu dans le monde » in Contacts n°84, Paris, 1973, pp.287-289.
GREGOIRE le GRAND : Dial.II,35, PL 66/198-200.
MAXIME le CONFESSEUR : Cent.Car. 1,95 , SC 9, pp.90-91. [ltr](retour)[/ltr]
(5) Olivier CLEMENT : « Questions sur l’homme », Stock, Paris, 1972 et « La résurrection chez Berdiaev », Contacts N°78-79, Paris 1972, p.213. [ltr](retour)[/ltr]
(6) MAXIME le CONFESSEUR : Chapitres théologiques, 1,66, PG 90/1108. [ltr](retour)[/ltr]
(7) Panayotis NELLAS : « Théologie de l’image. Essai d’anthropologie Orthodoxe », Contacts n°84, Paris 1973, pp.261-268.
Vladimir LOSSKY : « Théologie mystique de l’Eglise d’Orient », Aubier, Paris 1944, pp.109-129.
ATHANASE le GRAND, Incarnation du Verbe, 3, PG 25/101B et 4, PG 25/ 104CD. Nicolas CABASILAS : « La Vie en Christ », 3, PG 150/572B. [ltr](retour)[/ltr]
(8) Jean DAMASCèNE : De fid.orth., 11,2.
GREGOIRE de NYSSE : In Psalmorum inscript., PG 44,441B. [ltr](retour)[/ltr]
(9) Jacques TOURAILLE : « La Beauté du monde, icône du Royaume », Contacts n°105, Paris 1979, p.7 et « La Beauté sauvera le monde », Contacts n°109, Paris 1980, p.21. [ltr](retour)[/ltr]
(10) GREGOIRE de NYSSE, In Hexam. 1, 77D, PG 44/72-73.
Paul FLORENSKI : “La Colonne et le Fondement de la Vérité”, Moscou, 1913, p.288. [ltr](retour)[/ltr]
(11) Nicolas BERDIAEV : « De l’esclavage et de la liberté de l’homme », Aubier, Paris, 1963, p. 21. [ltr](retour)[/ltr]
(12) GREGOIRE de NYSSE, Catéch., 6, PG 46/25C, 28/A. Hom.12, PG 44/164.
Basile ZENKOVSKI : « Histoire de la Philosophie russe », Payot, Paris 1955, II, p.399. [ltr](retour)[/ltr]
(13) SYMEON le NOUVEAU THEOLOGIEN, Traité éthique , SC 122, pp.188-190, chap.2, 69-90. [ltr](retour)[/ltr]
(14) Henri de LUBAC : « Catholicisme », Cerf, Paris 1952, pp.407-409 ( Nouvelle édition, Cerf, coll.Traditions chrétiennes, Paris 1983 ). [ltr](retour)[/ltr]
(15) Nicolas BERDIAEV : Le Sens de la création, DDB, Paris 1955, p.99 [ltr](retour)[/ltr]
(16) GREGOIRE de NYSSE, PG 45/708B [ltr](retour)[/ltr]
(17) Olivier CLEMENT : Transfigurer le Temps, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, pp.116-119. [ltr](retour)[/ltr]
(18) « De la prière » in Contacts n°30, Paris, pp.127-128.
Serge BOULGAKOV : L’Orthodoxie, Alcan, Paris 1932, p.240 ( nouvelle traduction de Constantin Andronikov, éd. l’Age d’Homme, Lausanne 1980 ) .
GREGOIRE de NYSSE in Hexam., PG 44/104BC. [ltr](retour)[/ltr]
(19) in [ltr]Le Mystère de l’Eglise dans la tradition orthodoxe[/ltr] (sur notre site) [ltr](retour)[/ltr]
(20) Christos YANNARAS : « La Théôsis comme commencement et fin du monde. Le Christ comme le point Alpha et le point Oméga de l’Histoire » in Rencontre de Salonique, 28-30 août 1966 – Grèce, pp.82-83. [ltr](retour)[/ltr]
(21) Serge BOULGAKOV : Le Paraclet, Aubier, Paris 1944. [ltr](retour)[/ltr]
(22) Olivier CLEMENT : « L’Eglise, espace de l’Esprit Saint », conférence prononcée à Notre-Dame de Paris le 24 octobre 1976.
Georges FEDOTOV : De l’Esprit Saint dans la Nature et dans la Culture, traduction française de Constantin Andronikov in Contacts n°95, Paris 1976, pp. 212-228 et en russe in Pout n°35, Paris, sept.1932.[ltr](retour)[/ltr]
(23) Panayotis NELLAS : Théologie de l’image, op.cit., pp. 274, 279-280. [ltr](retour)[/ltr]
(24) Adv.Haer. IV, 18, 5. [ltr](retour)[/ltr]
(25) Cat.myst. 5, 6. [ltr](retour)[/ltr]
(26) Jean ZIZIOULAS : La vision eucharistique du monde en l’homme contemporain in Rencontre de Salonique déjà citée en la note (20). [ltr](retour)[/ltr]
(27) Documents du Conseil Œcuménique des Eglises : la contribution orthodoxe en vue de la rencontre de Nairobi avait pour titre : « Confesser le Christ aujourd’hui », Bucarest-Cernika, juin 1974, chap.III ). [ltr](retour)[/ltr]
(28) in l’Aventure occidentale de l’homme, Paris 1957, chap. 7 et 8. Texte cité par Olivier CLEMENT in « Cosmologie orthodoxe », Contacts n°59-60, Paris 1967, p.253 . Du même auteur aussi : « Le Christ, Terre des vivants », Spiritualité orientale n°17, Abbaye de Bellefontaine, 1976, pp. 83-107. [ltr](retour)[/ltr]
(29) Dumitru STANILOAE, op.cit., pp.297-304. [ltr](retour)[/ltr]
(30) FEDOROV : Questions pascales, t.I : « Philosophie de l’œuvre commune, p.402 ss., cité par Olivier Clément dans Cosmologie orthodoxe, op.cit., p.319. [ltr](retour)[/ltr]
Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»
EN TEMPS ET HORS DE TEMPS :
Constantinople, Nouvelle Rome et Patriarcat Œcuménique
Constantinople, Nouvelle Rome et Patriarcat Œcuménique
« Il y a, écrit Olivier Clément dans son livre "Dialogues avec le Patriarche Athénagoras" (p.527), un mystère de Constantinople. Constantin a voulu fonder non pas une autre Rome mais l’autre Rome … Il voulut une nouvelle Rome qui fût le réceptacle du christianisme et mît au service de celui-ci l’humanisme gréco-latin … Afin que, plus proche des sources grecques, elle fût, mieux que la première, la synthèse de l’Occident ». Et pour cette raison, elle a été une féconde mère d’ Eglises.
Et son autorité a été fondée et confirmée par celle des canons des Conciles Œcuméniques ( 3e canon du 2nd concile œcuménique, 28e canon du 4ème concile œcuménique, 36e canon du Concile in Trullo ).
« Et d’une manière générale c’est elle qui exprime, et c’est dans la communion avec elle que se manifeste l’unité des Eglises locales dans le corps de l’Eglise orthodoxe, une, sainte, catholique et apostolique dont la tête n’est autre que Jésus-Christ, son unique chef en qui se consomme la foi… ( Encyclique du Patriarche Athénagoras, dimanche de l’Orthodoxie en 1950) ».
Et cette Nouvelle Rome a été au premier rang des combats contre les grandes hérésies. Et elle a maintenu et a préservé de tous temps la vraie Foi et elle est jusqu’à nos jours, au sein du monde de l’Orthodoxie, la gardienne de la Vérité et de l’ordre ( τάξις ) ecclésiastique.
Une nouvelle Rome et non pas une deuxième Rome ! Le temps de l’Eglise du Christ n’est pas à l’image de celui du temps de ce monde, où chaque siècle qui passe est frappé de relativité et de temporalité parce que défiguré par la dure réalité de la chute et du péché des hommes.
Des propos tels que, par exemple, ceux de l’avènement possible d’une troisième Rome, - qui dans cette logique pourrait être relayée par une quatrième ou une cinquième Rome, etc… - sont des propos uniquement destinés à satisfaire des ambitions qui n’ont rien de l’Eglise du Christ ; ils sont totalement étrangers à la révélation chrétienne, laquelle par essence est la révélation de la fin de ce monde et de la venue du Royaume de Dieu.
C’est parce que l’Ancienne Rome, malgré le sang abondamment répandu de ses martyrs et sa contribution remarquable pour la consolidation et le maintien du Christianisme, s’est un jour retrouvée de par son propre fait hors de l’espace de la Confession de Foi des Orthodoxes, que le Seigneur a permis que soit pour eux la Nouvelle Rome.
Cela dit bien ce que cela veut dire.
Ni l’argument de la modernité, ni celui du plus grand nombre, ni celui de l’héritage culturel, ni celui de l’ethnophylétisme, ni aucun autre d’ailleurs, généré par les tentations que suscite ce monde, ne peuvent entrer en ligne de compte dans la vie de l’Eglise et les affaires ecclésiastiques.
Parce que l’Eglise est le Corps du Christ, parce que Jésus-Christ est le même, hier et aujourd’hui et pour tous les siècles (Hébreux 13/8), parce qu’à l’intérieur de ce Corps c’est le même Dieu qui fait tout en tous et le même et unique Esprit qui répartit les dons propres à chacun (1 Cor.12/ 4, 11), rien ne sépare ni distingue l’Eglise des premiers siècles de celle de nos temps présents : Christ, qui en est la tête, est toujours le même, ainsi que vient de nous le rappeler sans équivoque aucune l’Apôtre Paul.
Aussi les saints canons, qui fixent et définissent le rôle et la place de Constantinople au sein de l’Orthodoxie, sont précisément là non pas pour être modifiés au gré des époques ou des opportunités du moment mais pour refléter la continuité de la Tradition ecclésiale ininterrompue selon le modèle même du mystère trinitaire et afin que s’accomplisse, dans l’unique Vérité, la plénitude de notre vie en Christ.
Pour cette raison, à moins que l’Eglise de Constantinople vienne à ne plus dispenser fidèlement cette parole de Vérité, aucun argument ne permet à une autre Eglise orthodoxe locale de revendiquer sa place primatiale et de faire fi des devoirs, des droits et des honneurs qui lui sont dévolus. Chaque fois qu’il en va autrement, le Patriarche de Constantinople se doit de préserver son rang et son rôle au sein de l’Orthodoxie, qu’il préside dans la communion en sa qualité de Patriarche Œcuménique.
J’ajoute encore que la tradition canonique n’offre pas d’autre alternative que celle de la rigueur ( acribie ) en matière d’ecclésiologie, même si de nos jours elle est sans cesse bafouée et il incombe au Patriarche de Constantinople, en sa qualité de gardien de cette acribie, de la protéger et de veiller à sa juste application.
« Le Patriarche Œcuménique est le premier parmi les égaux uniquement de tout l’Episcopat qui relève de l’Eglise Orthodoxe ; il ne jouit pas d’un pouvoir administratif comme c’est le cas du Chef de l’Eglise d’Occident. Son action consiste avant tout à coordonner et à manifester l’unité des Eglises orthodoxes locales ; il lui revient aussi certains privilèges spirituels ou de suppléance chaque fois que les autres Eglises locales orthodoxes n’ont pas la capacité de choisir ou de mettre en place leur propres organes ecclésiastiques pour cause de persécutions, de manque de personnes adéquates ou encore pour d’autres raisons » ( Patriarche Bartholomée in revue PLEROPHORIA, Athènes – Mai/Août 1999 ).
Deux exemples récents et concrets illustrent bien ce dernier commentaire : l’Albanie et, n’en déplaise à certains, l’ Estonie.
Maintenant que les prestigieuses reliques de nos Saints Pères Jean Chrysostome et Grégoire le Théologien reposent de nouveau dans le lieu même qui fut leur siège patriarcal, il est bon de nous souvenir que seul le Christ est parfait et que la seule Vérité pour l’Eglise c’est le Christ. Toutes les tensions et tous les affrontements qui naissent au sein de l’Eglise ne relèvent pas de sa nature ; ils expriment ni plus ni moins les faiblesses des hommes. Même nos saints les plus grands ont commis des erreurs. Non pas parce qu’ils sont saints mais parce qu’ils sont des êtres humains. L’acte de sanctifier ne leur appartient pas ; il leur est donné par la grâce porteuse de Vie et agissante de Dieu malgré les fautes et les égarements de toutes sortes. Il en est de même pour la vie de l’Eglise sur cette terre.
Il y a, écrit Olivier Clément, un mystère de Constantinople. Pour ce qui me concerne, je l’accueille avec respect et confiance, en faisant miennes à son sujet ces paroles de l’ange de l’Apocalypse : je connais tes œuvres, ta charité, ta foi, tes services et ta persévérance (Apoc. 2/19).
+STEPHANOS,
Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie.
Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»
POUR UN ESSAI DE THEOLOGIE DE LA BEAUTE
Cet essai a été présenté comme conférence au festival de « Trialogos » de Tallinn le 1er octobre 2005. Il est la synthèse d’une compilation à partir d'extraits de livres. Voir la bibliographie en fin de texte.
Existe-t-il encore pour l’homme de notre temps une forme objective, définissable de la beauté ; a-t-elle encore un sens dans le monde actuel ? Tant il est vrai que cette notion a tellement été étirée dans tous les sens, qu’on peut se demander si elle a encore une signification précise.
Il semblerait en effet que surtout deux causes ont gravement mis en question le monde moderne : l’esprit pratique d’une part ; l’esprit critique de l’autre. Je m’explique.
L’esprit pratique d’abord !
Notre temps s’oriente principalement vers l’action, d’où l’expression esprit pratique. Notre société est fondamentalement une société de rendement. Et le rendement ne s’obtient que par l’étude du fonctionnement de la nature ou par la création de fonctionnements rationnels.Cela exige par conséquent une analyse des éléments pour savoir comment s’agencent les choses.
Le regard analytique s’oppose nécessairement au regard esthétique. Il sépare alors que pour sa part la contemplation, qu’elle soit d’ordre esthétique ou mystique, est à l’opposé un regard de synthèse. La conséquence : nous savons décomposer mais nous ne savons plus embrasser ni visuellement ni affectivement. L’utile tue le beau ; se servir d’une chose, c’est cesser de la contempler. Pour pouvoir admirer, pénétrer dans la profondeur esthétique de l’objet, il faut ne plus avoir prise sur lui. Or la beauté, en profondeur, ne peut être qu’un mouvement d’amour né de la gratuité alors que l’esprit utilitaire est au contraire le ressort de la puissance du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.
Déjà Rimbaud, dans sa « Saison en enfer » appelait son siècle « un siècle de mains ». Nous vivons nous aussi dans un siècle de mains, nous maîtrisons de plus en plus. Nous agissons de plus en plus. Où trouverions-nous du temps pour la contemplation ?
L’esprit critique ensuite.
Par définition, il exige une froide lucidité pour percer au-delà des apparences et tenter de prendre totalement conscience de la vérité. Le projet est en soi admirable mais est-ce que la recherche du vrai ne tue pas finalement le sentiment du beau en ce sens que la beauté, aux yeux d’un homme qui se veut lucide, risque de passer pour un mensonge, une tromperie ? La beauté apparaît alors comme une sorte d’insolence. Car pour accepter la beauté, il faudrait d’abord accepter la vie. Or la situation est telle aujourd’hui que nous ne pouvons plus consentir à la vie. Parce que nous avons perdu l’innocence, nous avons plutôt tendance à déprécier le point-de-vue esthétique. Un artiste qui, maintenant, mettrait dans son œuvre de la beauté au sens traditionnel, serait vite mal vu ou dérisoire.
Si tel est le cas, alors c’est toute la condition humaine qui entre en jeu puisque le sentiment du beau est intimement lié au sentiment d’un ordre profond de l’univers. Le vrai n’a de splendeur que s’il rencontre et révèle cet ordre fondamental. L’art antique complétait la joie d’une philosophie heureuse qui ressentait la plénitude de l’être, l’équilibre merveilleux de la raison cosmique. L’art médiéval complétait la contemplation heureuse des mystiques. L’art classique complétait un rationalisme triomphant ou confiant dans ses destinées. L’art actuel témoigne au contraire de la vérité d’un désordre et, en présence de ce désordre essentiel, toute tentative d’harmonie semble devenir fausseté.
Pourtant le sentiment et le besoin du beau subsistent en nous toujours aussi vifs et ce qui paraît négatif peut un jour déboucher sur des thèses positives, qui seront autant d’appels à rétablir le lien profond entre les êtres et les choses. Cela est possible parce qu’il existera toujours des artistes capables de découvrir la potentialité de beauté cachée dans les choses qui auparavant paraissaient laides ou vulgaires.
Et c’est ainsi que nous nous approchons étrangement des frontières mêmes du sacré, du transcendant.
C’est « par sa nature que l’homme désire le beau » enseigne saint Basile, car il porte en lui un « logos ( une parole ) poétique cachée » qui le rend contemplatif et saint Maxime le Confesseur ajoute : qui le rend sensible « à l’éclat fulgurant de la Beauté divine au-dedans de toutes choses ».
Cette soif du beau n’est nullement un privilège des artistes ; elle est ontologique, inhérente à tous au point que « dans sa ressemblance, l’homme manifeste la Beauté divine », dit saint Grégoire de Nysse. Nous savons qu’il existe dans l’Eglise Orthodoxe un célèbre recueil ascétique qui s’appelle la Philocalie, nom qui signifie « l’amour du Beau », car tout être enseigné par Dieu n’est pas seulement bon, ce qui va de soi, mais il est essentiellement beau en tant qu’icône vivante de Dieu. « Les martyrs, dit Nicolas Cabasilas, consumés par le charbon ardent du Saint Esprit, surent aimer par-dessus tout la Souveraine Beauté ». Et saint Syméon le Nouveau Théologien, « blessé par le Seigneur d’amour et de désir, cherchait par l’espérance la Beauté spirituelle ». Ce que les icônes cherchent à nous faire voir, ce sont les ineffables éclairs de la Beauté divine. Et Karl Barth, dans sa Dogmatique énonce une affirmation très orthodoxe : « Si on nie la Trinité, on a un Dieu sans beauté ».
Et quand le Seigneur dit : « Voyez les oiseaux, observez les lis des champs » dont la beauté naturelle dépasse toute la splendeur décorative d’un « Salomon », il veut dire que la beauté d’une simple fleur est le surgissement de l’intériorité qu’on ne peut ni peser ni chiffrer et qui est justement vie et lumière.
Mais pour saisir la profondeur mystérieuse d’une simple fleur, il faut y saisir la poésie créatrice de Dieu et y croire. Parce que la contemplation n’est pas esthétique mais théologale. Elle requiert la perception selon les Pères grecs de « l’œil de la foi », qui n’a rien à voir ni avec l’œil tout court, curieux des choses utilitaires ni avec une foi abstraite et aveugle, étrangère au monde réel des hommes. Lors de la Transfiguration du Seigneur, enseigne Palamas, les disciples « passèrent de la chair à l’Esprit ». En fait, « c’était, écrit Paul Evdokimov, la transfiguration non pas du Seigneur mais de l’œil des apôtres parce que celui qui participe à la lumière devient lui-même lumière ». « L’homme tout entier doit devenir œil » affirme saint Macaire. La lumière est l’objet de la vision, elle est aussi l’organe de la vision. Et c’est pourquoi il est écrit dans l’ Evangile : « Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est Esprit ». Le jour de la Pentecôte, les Apôtres, parlant de la magnificence de Dieu, donnaient à penser aux gens qui les écoutaient qu’ils étaient ivres. Ivres, certes ils l’étaient. Non pas de vin … mais de Beauté !
Je me plais ici à reprendre les Pères lorsqu’ils disent que « Dieu a voulu manifester sa Beauté et il a créé la matière ». Le texte grec de la Genèse, à la fin de chaque mouvement de la création en six jours ( Hexaméron ), répète chaque fois que Dieu « vit que c’était beau » ( καλόν – beau ) et non αγαθόν ( bon ). Selon ce même récit biblique, au commencement : « Il y eut un soir et il y eut un matin, ce fut le jour ». L’Hexaméron ne connaît pas la nuit. Ce sont le matin et le soir qui marquent la succession des évènements et ne forment que le jour, dimension de la lumière pure. La nuit, si l’on se réfère au sens que lui donne l’évangéliste Jean, n’apparaît qu’au moment de la chute : Adam et Eve vont fuir la lumière et le regard de Dieu et vont chercher l’obscurité et l’ombre pour se cacher. Et Judas, qui ne peut plus demeurer dans la chambre haute inondée de lumière, « sort précipitamment et il faisait nuit », précise Jean l’Evangéliste.
Plus encore. Le premier jour de la création, notent les Pères, n’est pas protön (premier ) mais mia ( un ). ,,,, « και εγένετο εσπέρα και εγένετο πρωί, ημέρα μία », dit le texte grec de la Genèse 1,5, c’ est-à-dire « et il fut le soir et il fut le matin, jour un ». En d’autres termes ce jour n’est pas le premier, comme ont tendance à le définir les diverses traductions, mais un, unique, hors série. Il est l’alpha, le germe qui porte en lui et appelle son oméga, le huitième jour de l’accord final, le Royaume. C’est pourquoi, saint Maxime le Confesseur précisera que « le nom du Royaume signifie la parfaite Beauté ». Ainsi, à la première parole de la Bible « Que la Lumière soit ! » répond la dernière : « Que la Beauté soit ! ».
Explicitons cela un peu plus. Le monde voulu par Dieu a été tissé comme un vêtement lumineux de l’homme. Tous les « jours » de la création entourent Adam comme autant de beautés. Dernier-né de la création, Adam est l’avenir du monde. Le monde sera ce qu’enfantera l’homme. Ainsi, l’homme est vraiment à l’image de Dieu. Pour la tradition la plus ancienne – la tradition hébraïque relayée par la tradition orthodoxe – le premier Adam, l’Adam « qadmon », l’homme antérieur, était un corps de lumière qui récapitulait les « six jours » de la création et devait rendre au Créateur la libre réponse de l’amour en se laissant aspirer par la lumière incréée de Dieu, dans un mouvement d’ascension à même le septième jour. L’homme devait y enfanter le huitième jour : la transfiguration du premier.
Mais il y eut la chute d’Adam et d’Eve et la souillure de l’image dans le monde rend la beauté ambiguë. Si la Vérité est toujours belle, toute beauté n’est pas toujours vraie. Le récit biblique de la première tentation se réfère à la chute des anges. Isaïe et Ezéchiel disent à propos de Lucifer : « comment es-tu tombé du ciel, toi qui te levais au matin plein de beauté ? » (Is.14/12) « tu t’es enorgueilli de ta beauté, tu as laissé ta splendeur corrompre ta sagesse » (Ez.28/17).
Mais il y eut la chute d’Adam et d’Eve et la souillure de l’image dans le monde rend la beauté ambiguë. Si la Vérité est toujours belle, toute beauté n’est pas toujours vraie. Le récit biblique de la première tentation se réfère à la chute des anges. Isaïe et Ezéchiel disent à propos de Lucifer : « comment es-tu tombé du ciel, toi qui te levais au matin plein de beauté ? » (Is.14/12) « tu t’es enorgueilli de ta beauté, tu as laissé ta splendeur corrompre ta sagesse » (Ez.28/17).
La beauté est devenue pierre d’achoppement : au moment de l’épreuve la femme vit que le fruit était « bon à manger, séduisant à voir, désirable » (Ge.3/6 ) ; sa convoitise place l’esprit humain au-dessus du Bien et du Mal. Autrement dit : le vrai, le beau et le bon se séparent, la beauté n’est plus, comme disaient les Anciens, l’éclat du vrai. L’art humain, dans le mépris de l’être et de la personne peut déchaîner les images les plus cannibales.
Le beau devient alors une valeur autonome, dans une culture morcelée, cloisonnée, une valeur extérieure à la relation personnelle qui unissait à Dieu le premier couple et unissait entre eux l’homme et la femme. L’attrait esthétique exerce finalement ses chances et convertit à un culte idolâtre. Dédoublée, la beauté vue sous cet angle fait périr et fascine ; ambiguë et se séduisant elle-même d’une manière narcissique, elle a besoin d’être sauvée et protégée. La beauté désormais est une énigme, car observe Dostoïevski, elle peut être en même temps celle de la Madone et celle de Sodome.
Apparaît dès lors dans le monde une force d’opposition, de négation, de destruction – c’est justement le sens du mot diabolos en grec -, la création est comme vampirisée par un réseau de pensées idolâtriques : c’est ce monde pour employer le langage du Nouveau Testament qui nous permet de distinguer ce monde réseau d’illusions et d’hypnoses du monde comme création de Dieu : ce monde dont nous sommes à la fois des auteurs et les victimes.
Mais l’amour divin qui a créé le monde vient jusqu’au plus profond de l’enfer pour vaincre. En Christ, Nouvel Adam, l’homme retrouve une vie plus forte que la mort et la possibilité de la communiquer au cosmos ou plutôt de la déceler et de la libérer en lui. L’incarnation du Christ remet en mouvement l’immense circulation de la gloire ; le Christ s’est transfiguré sur le Mont Thabor et il a fait resplendir la beauté originelle et déjà ultime. Il a ainsi revivifié « le visage commun de l’humanité » dit saint Cyrille d’Alexandrie ( sur Jean 1,14 ). Mais cette lumière, pour être vraiment la lumière ultime, pour assumer vraiment toute la souffrance et tout le désespoir des hommes, devait jaillir non seulement au sommet de la montagne, dans l’évidence de la splendeur mais aussi dans l’abîme de la mort, de l’enfer, du néant substantialisé par notre liberté pervertie.
Après le Thabor viennent donc Gethsémani et le Golgotha. Le Serviteur souffrant « n’a plus ni éclat ni beauté pour attirer nos regards, ni apparence pour séduire », dit Isaïe ( 53/2 ). Le visage du Dieu incarné n’est plus qu’un visage d’esclave, aprosopos, c’est-à-dire « celui qu’on ne voit pas ». Alors apparaît à travers la mort du Christ sur la Croix une beauté qui n’est plus esthétique au sens culturel, qui n’est plus ambiguë mais qui s’identifie à l’amour. Désormais à travers le visage le plus dégradé, on peut pressentir la possibilité d’une autre beauté, inaliénable, « celle de l’homme caché au fond du cœur », dit l’apôtre Pierre ( 1 P 3/4 ). Dostoïevski, dans une de ses lettres, écrit : « Il n’y a pas et il ne peut y avoir rien de plus beau que le Christ ». Cette beauté libère notre liberté. Et l’écrivain d’ajouter encore : « l’homme désormais n’a plus pour se guider que cet idéal éternel de beauté » puisque le Verbe de Dieu, qui est désormais le Christ ressuscité, … « ayant rétabli l’image souillée dans son antique dignité, l’unit à la Beauté divine
( Kondakion du dimanche de l’Orthodoxie ) ».
( Kondakion du dimanche de l’Orthodoxie ) ».
On comprend maintenant la parole de saint Basile : « Les saints priaient pour que la contemplation de la Beauté divine s’étende sur l’éternité ». Ils ressentaient la soif que chante le psaume 27/4 : « La chose qu’à Yahvé je demande, la chose que je cherche, c’est d’habiter le Royaume de Yahvé, de contempler la Beauté de Yahvé tous les jours de ma vie »…
Denis l’Aréopagite chante la grandeur de la création divine où Dieu met quelque chose de Lui-même, rend l’homme conforme, « ressemblant à Lui » et en fait un être contemplatif : « l’homme, dit-il, est créé selon l’Archétype divin qui nous accorde de participer à sa propre Beauté ».
Les Pères d’Orient cultivent cette vision et amorcent leur théologie de la Beauté. Saint Gregoire Palamas fait la synthèse : « La parfaite Beauté vient d’en-haut et se pose en unique origine d’une théologie sûre ». Définition, écrit Paul Evdokimov, bien surprenante avant tout pour les théologiens eux-mêmes. Elle se réfère à la parole de saint Cyrille d’Alexandrie : « L’Esprit Saint est le Docteur de l’Eglise…Il est la Forme des formes ». Autrement dit, l’Esprit Saint est la saisie immédiate de la Beauté. Aussi, l’apôtre Paul n’hésite pas d’écrire : « Vous avez été scellés du Saint Esprit…et Dieu s’est acquis ces êtres scellés pour la louange de sa gloire ( Eph.1/14 ) ». Sur le cœur pacifié de l’homme scellé du Saint-Esprit s’imprime la vérité des êtres et des choses dans leur ultime beauté.
Un être humain a déjà traversé définitivement la porte de la beauté pour passer tout entier, âme et corps, dans la lumière de la vie, c’est la Mère de Dieu. Denis l’Aréopagite dit d’elle qu’elle est la Beauté salvatrice : « Je désire, lui dit-il en s’adressant à elle, que ton icône se réfléchisse sans cesse dans le miroir des âmes et les conserve pures jusqu’à la fin des siècles ; qu’elle relève ceux qui sont courbés vers la terre et qu’elle donne l’espoir à ceux qui admirent et imitent cet éternel modèle de Beauté ». C’est qu’en Marie, non seulement se résout la tragédie de la liberté humaine mais s’exprime pleinement la transparence des choses que masque le péché. Saint Grégoire Palamas disait qu’elle synthétise toutes les beautés de la création ( in Dormitionem ).
C’est cette beauté comme révélation qui s’inscrit dans l’icône au sujet de laquelle les Pères du VIIe Concile Œcuménique (787 ) disent : « Ce que la Parole dit, l’icône nous le montre silencieusement … ce que nous avons entendu dire, nous l’avons vu ».
En tant que valeur propre, l’icône dépasse l’art. Dans l’icône, ce qui prime c’est le symbole dans le sens des Pères et de la tradition liturgique, à savoir que le symbole contient en lui la présence de ce qu’il symbolise. C’est cette présence qui distingue une icône d’un tableau. L’icône se tient donc un peu à part, comme la Bible se place au-dessus de la littérature et de la poésie universelle. L’art tout court sera toujours formellement plus parfait que l’art des iconographes car ce dernier, justement, ne cherche pas cette perfection. Son excès même nuirait à l’icône, risquerait de décentrer le regard de la vision du mystère, comme une poésie excessive et recherchée nuirait à la puissance de la parole biblique. Le contenu de l’icône prime sur sa forme et la subordonne à son symbolisme. L’icône est avant tout une « image épiphanique », autrement dit une image qui manifeste, qui révèle une réalité : à travers le visible contemplé, l’Invisible Beauté vient vers nous et nous accueille dans sa Présence. J’ajoute encore : si la Parole se fait entendre, elle se fait voir aussi. A un certain niveau, la parole humaine s’arrête, impuissante : seule l’image, seule l’icône peut la prolonger et faire voir l’ineffable. Déjà, dans l’Ancien Testament, dès qu’il s’agit de textes messianiques, l’ « Ecoute Israël » laisse place au « Lève tes yeux et vois ». Moïse et Elie entourent le Christ transfiguré sur le Mont Thabor en tant que « grands voyants ». Rappelons ici encore une fois ce que l’Evangile nous dit si bien : « ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’Esprit est Esprit ».
En tant que valeur propre, l’icône dépasse l’art. Dans l’icône, ce qui prime c’est le symbole dans le sens des Pères et de la tradition liturgique, à savoir que le symbole contient en lui la présence de ce qu’il symbolise. C’est cette présence qui distingue une icône d’un tableau. L’icône se tient donc un peu à part, comme la Bible se place au-dessus de la littérature et de la poésie universelle. L’art tout court sera toujours formellement plus parfait que l’art des iconographes car ce dernier, justement, ne cherche pas cette perfection. Son excès même nuirait à l’icône, risquerait de décentrer le regard de la vision du mystère, comme une poésie excessive et recherchée nuirait à la puissance de la parole biblique. Le contenu de l’icône prime sur sa forme et la subordonne à son symbolisme. L’icône est avant tout une « image épiphanique », autrement dit une image qui manifeste, qui révèle une réalité : à travers le visible contemplé, l’Invisible Beauté vient vers nous et nous accueille dans sa Présence. J’ajoute encore : si la Parole se fait entendre, elle se fait voir aussi. A un certain niveau, la parole humaine s’arrête, impuissante : seule l’image, seule l’icône peut la prolonger et faire voir l’ineffable. Déjà, dans l’Ancien Testament, dès qu’il s’agit de textes messianiques, l’ « Ecoute Israël » laisse place au « Lève tes yeux et vois ». Moïse et Elie entourent le Christ transfiguré sur le Mont Thabor en tant que « grands voyants ». Rappelons ici encore une fois ce que l’Evangile nous dit si bien : « ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’Esprit est Esprit ».
Ainsi, la Parole écoutée est contenue dans la Bible ; construite, elle parle à travers les formes symboliques du temple ; chantée et représentée sur la scène sacrée du culte, elle célèbre la liturgie ; dessinée, elle s’offre en contemplation, « en théologie visuelle » sous la forme de l’icône. En fait, « ce que le Livre nous dit, l’icône nous le rend présent »(Concile de 680 ). Cette présence n’est pas localisée mais rayonne énergétiquement en partant de l’icône. Le lieu de la présence n’est pas la planche de bois mais la mystérieuse ressemblance hypostatique qu’offre toute icône.
Avant l’Incarnation du Christ, par la crainte de l’idolâtrie, toute représentation du céleste était limitée au monde des anges. Après son Incarnation, le Christ délivre les hommes de l’idolâtrie non pas négativement, en supprimant toute image, mais positivement, en révélant la vraie figure de Dieu : « l’humanité du Christ est l’icône de sa divinité » ; l’humain reçoit sa fonction iconographique : image visible de l’invisible et lieu de sa présence.
« Nous contemplons, disent les Pères du VIIe Concile Œcuménique, à la fois l’invisible et le représenté » , non pas l’un ou l’autre mais l’un dans l’autre. Le miracle de l’icône est hors de tout art portraitiste ; il se situe dans la ressemblance hypostatique. Saint Athanase le Sinaïte précise : ce n’est pas la nature qui voit la nature, mais la personne qui contemple la Personne. Les Pères avertissent : adorer une icône, c’est la détruire, rendre sa présence absente. Le VIIe Concile déclare : « Malheur à qui adorerait les images » ! On peut ainsi mieux comprendre que ce n’est pas en tant qu’œuvre d’art qu’une icône est belle. Sa beauté est dans la ressemblance avec la Vérité qu’Elle rend présente. « Image conductrice », l’icône guide le regard au-delà d’elle-même. Ainsi par exemple, l’icône bien connue de la Trinité de Roublov traduit l’éclat trisolaire qui inonde de clarté et illumine le monde.
Un dernier mot. La contemplation de la Transfiguration du Seigneur apprend à tout iconographe qu’il peint avant tout avec la lumière thaborique et non avec les seules couleurs de ce monde, tant il est vrai que l’icône fait voir l’ homo cordis absconditus, la beauté de « l’homme caché du cœur » dont parle saint Pierre ( 1P 3/4 ). Tant il est vrai que ce sont les choses invisibles qui révèlent à leur profondeur les choses visibles, dans une pensée spirituelle, une pensée animée par l’Esprit Saint.
Comment conclure ?
Pour la théologie orthodoxe, la beauté est une personne, le Christ. La beauté est donc un nom divin. Mais elle a une histoire, liée à celle de l’homme. La première beauté est paradisiaque, que chaque chose en cette création reflète, remontée de gloire vers le Créateur. Mais l’homme a rompu le circuit de cette gloire et la lumière ne semble plus venir de l’intérieur des choses et de nous-mêmes ; elle nous apparaît trouée de nuit, et quelquefois trouant la nuit… Alors, la beauté créée par l’homme devient souvent déviation de la vie de Dieu, seconde beauté. Il est une troisième beauté, celle de la Croix, Croix de sang et de lumière. Une telle beauté pacifie et libère de la mort. L’art qui cherche cette beauté est un art philocalique. « La vision philocalique, écrit un grand théologien et penseur orthodoxe contemporain, brise l’esthétique charnelle et psychologique, séparée et séparatrice puisqu’elle met à part un domaine de la beauté. L’œil du cœur pacifié, purifié, découvre que tout est beau en Christ, que la croix nous ouvre l’ultime beauté, que la beauté du monde refleurit, telle une rose sur la croix, à partir de la mort sacrificielle, vivifiante du Dieu fait homme. Par la beauté, nous entrons dans notre véritable demeure. Certes, la porte ne fait que s’ouvrir par instants, et nous ne pouvons demeurer. Mais comme la beauté est une personne, comme le Christ est la beauté en personne, nous savons que Lui demeure plus profond que notre aveuglement, notre laideur, notre manque à la génialité de l’Esprit » ( Olivier Clément, in les Visionnaires, p.260 ).
C’est sans doute là un des leviers les plus puissants du christianisme aujourd’hui : l’affirmation que l’être du monde est beauté. Le christianisme a pour mission de révéler et de donner à révéler cela, à savoir que le Dieu de la Bible n’est pas un Dieu utile, consommable mais un Dieu gratuit et par là source de salut ; un Dieu qui nous restitue le sens de l’existence comme célébration, comme fête puisque dans l’enfer, en Christ, l’amour divin est descendu, rendant ensuite possibles toutes les synthèses, tous les dépassements par la puissance de la résurrection.
Nous avons trop tendance en Occident de représenter Dieu comme un vieil homme, isolé, visage abstrait et idolâtre de notre imaginaire. Nous avons par trop souvent mis à mal sa transcendance par l’invasion de l’immanence, immanence athée ou gnostique, immanence de l’histoire ou du soi intérieur cultivé dans lesdites nouvelles spiritualités. Mais si Dieu est le Tout-Autre, il n’est pas opposé ni indifférent : il y a altérité et non pas contradiction.
L’Occident a glissé sur l’image de Dieu : il a cherché à le représenter tel qu’il s’est rendu accessible, en Christ, mais un Christ trop réduit au Verbe, à la Parole. L’Occident a transformé Dieu en visage abstrait, en concept, au lieu de le garder comme nom, comme le Nom. Il faut qu’ il se figure à nouveau Dieu, Lui redonne son visage. Particulièrement en Europe occidentale, l’engouement fulgurant des deux dernières décennies pour les icônes témoigne de ce besoin ; ces icônes qui rappellent que Dieu s’est donné à voir dans le visage de Jésus. A voir et pas seulement à entendre.
Par le Christ, Dieu s’est fait visage aux hommes ; le visage du Christ est connaissance de Dieu. Et cela d’une façon réelle : le Christ a un visage individuel, particulier, inscrit dans le temps et l’espace, inscription qui est gage de son humanité et, en même temps, « visage commun de l’humanité, visage des visages, non qu’il abolisse les autres pour se substituer à eux, mais parce que son rayonnement les pénètre, les rend transparents à sa propre lumière, à son incandescence secrète, qui est celle de l’Esprit », précise encore Olivier Clément ( in Le Visage intérieur , p.31 ). L’art de l’icône montre qu’en Christ, « c’est la matière qui est devenue spirituelle », dans ce réalisme mystique qui nous échappe tant, folie pour nos logiques occidentales.
« Etre chrétien, finalement, c’est découvrir au fond même de son enfer le visage de Dieu, dévasté et ressuscité, défiguré et transfiguré, qui nous accueille, nous libère, nous rend la chance de l’icône, la possibilité du visage », écrit Olivier Clément . Un visage capable de devenir à son tour beauté de la seule et unique Beauté qui est Dieu.
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Cet essai a été présenté comme conférence au festival de « Trialogos » de Tallinn le 1er octobre 2005. Il est la synthèse d’une compilation à partir des extraits bibliographiques suivants :
- Revue CONTACTS :
a) N° 64 / 4ème Trim. 1968 : Jean ONIMUS : Métamorphose de la Beauté, pp.254-272. : Paul Evdokimov : Vision de la Beauté, pp. 300-322.
a) N° 64 / 4ème Trim. 1968 : Jean ONIMUS : Métamorphose de la Beauté, pp.254-272. : Paul Evdokimov : Vision de la Beauté, pp. 300-322.
b)N° 105 / 1er Trim.1979 : Jacques Touraille : La Beauté, Icône du Royaume, pp.1-24.
- Olivier CLEMENT :
a) L’œil de Feu, Ed. Fata Morgana 1994, pp.89-101.
b) Sillons de Lumière, Ed. Fates, Troyes 2002, pp.103-120.
a) L’œil de Feu, Ed. Fata Morgana 1994, pp.89-101.
b) Sillons de Lumière, Ed. Fates, Troyes 2002, pp.103-120.
- Franck DAMOUR : Olivier Clément, un Passeur, Ed.Anne Sigier,Canada, 1er trim.2003,pp.139-158.
Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»
Eglise orthodoxe et sécularisation
Prof. Hdr. Archim. Grigorios D. PAPATHOMAS
Doyen du Séminaire de Théologie Orthodoxe « St Platon » de Tallinn
Les définitions de la sécularisation formulées aujourd’hui dans le monde théologique et ecclésiastique, sont davantage liées à ses conséquences plutôt qu’à son origine. Pour illustrer le phénomène de la sécularisation par rapport à l’Eglise, nous employons des termes comme : altération, aliénation, éloignement, déviation, esprit de ce monde, etc., parce que justement le point de départ de ces définitions n’est pas d’ordre théologique mais moral. Notre attention est donc toujours attirée sur les conséquences du phénomène pour l’Eglise et non pas sur ses causes.+
Pour aborder le phénomène, le problème de la sécularisation dans sa cause principale, il faudrait considérer celle-ci comme une sorte de tentation permanente de l’Eglise, qui est au fond la troisième tentation du Christ : la tentation à laquelle le Seigneur est soumis par l’esprit du monde au début de son parcours sur terre (Mt 4, 8-11). Mais pourquoi donc le Christ refuse de succomber à la tentation ? Est-ce seulement par fidélité à la mission reçue de son Père, ou bien par quelque chose de plus profond ? Il paraît que, lorsque ce refus de succomber à la tentation manque, lorsqu’on n’y oppose pas de résistance, cela donne lieu à la sécularisation.
L’Eglise, telle que le Christ l’a voulue ne constitue pas un organisme purement historique qui pourrait à chaque fois se transformer selon les courants idéologiques du temps en s’y adaptant ; une telle adaptation l’introduirait dans la sécularisation justement. L’Eglise n’est pas non plus un abri d’existences individuelles, dans le but d’exaucer leurs besoins individuels. L’Eglise existe comme relation et communion. En vérité, c’est la relation du monde avec Dieu — en Christ — qui est appelée Eglise. Et ce “en Christ”, lieu de la rencontre du monde avec Dieu, nous montre que le caractère de l’Eglise est profondément “théanthropique”. La chute constitue déjà une aversion de l’homme envers Dieu et un enfermement dans le monde et la création séparés de Dieu. Elle ramène l’homme et le monde à une autosuffisance, à un enfermement dans son propre ego, c’est-à-dire à l’égocentrisme.
Dans le jardin d’Eden, il arrive avec Adam (Gén. 3, 17) l’événement premier et unique : une créature, le diable, s’adresse à une autre créature, l’homme, pour discuter, de la correction — sinon du refus — de l’acte créateur de Dieu. Il ne s’agit pas là d’une proposition de refus total de Dieu, mais d’une amélioration de son œuvre. Dans ce cas, la créature, devient le critère, de ce qui doit être. Elle devient elle-même l’archétype de l’image selon laquelle l’homme est créé. Mais celle-ci est pourtant l’image “de Dieu” et non pas de la créature elle-même. Et par ce renversement de perspective, l’image (de Dieu) est donc enfermée dans une conception et une espace intra-séculières. Tout est mis au service d’un objectif séculier. Même “Dieu” est utilisé, identifié au service d’une finalité historique.
Le deuxième événement arrive à la personne du Christ « sur une très haute montagne » (Mt 4, 8), où le diable lui-même tente de l’accrocher aux choses de ce monde, lui proposant de se fixer aux royaumes du monde et de refuser la dimension du ciel et de l’éternité : « je te donnerai tout cela » (Mt 4, 9). Le diable tente donc de séculariser, pourrait-on dire, l’existence du Christ Lui-même, Son incarnation et Sa perspective eschatologique.
Cependant, le Christ est venu récapituler en Lui-même le monde entier, visible et invisible ; il constitue, dans Son Corps — qui est l’Eglise — la création dans sa nouveauté, la création entière, sensible et intelligible, en unifiant ce qui était décomposé. L’Eglise ne peut pas être conçue sans le monde, et le monde ne pourrait véritablement pas exister sans l’Eglise, en dehors de sa relation avec le Christ. L’œuvre de l’Eglise consiste à la réception et l’incorporation de l’ensemble de la création au projet de l’Economie divine, en route vers la “ressemblance”. Quand l’Eglise perd ce chemin et cette orientation de “ressemblance”, elle se conforme purement et simplement à l’histoire. Perdant la perspective du Royaume (de la ressemblance), elle s’identifie unilatéralement au monde et se consacre à des fins séculières. Par conséquent, elle se sécularise et ouvre le chemin à sa propre désorientation ultérieure. Alors le monde absorbe l’Eglise au lieu d’être transfiguré par elle. L’Eglise succombe à la tentation à laquelle le Christ a su résister. Elle gagne peut-être les royaumes de ce monde, si futiles et incertains, mais elle perd le Royaume de Dieu à venir.
La question est alors posée : dans quelle mesure l’Eglise, en Europe et dans le monde entier, est aujourd’hui concernée par la sécularisation et quelle devrait être son attitude face à ce phénomène ?
a) La sécularisation pourrait avoir une influence néfaste directe sur la structure et l’identité même de l’Eglise. Sous son emprise, l’événement eucharistique, le fondement de l’Eglise, est altéré : le rassemblement de la Communauté ecclésiale et l’événement de communion dérapent ainsi à un événement d’amélioration morale individuelle. Les fonctions essentielles de l’Eglise revêtent un caractère de fonctionnariat, le système synodal — à l’origine une réunion pour la confirmation de la foi — devient un mécanisme de contrôle sur la base des critères de démocratie séculière, du principe de majorité dans le meilleur des cas. La structure hiérarchique et charismatique de l’Eglise se trouve ainsi renversée. Les sacrements — “mystères” dans le langage orthodoxe — deviennent des actes de démonstration privée et mondaine ; ils ne sont plus les événements de la communion eschatologique. L’unité entre la théologie et la vie ecclésiale est brisée. La connaissance se détache de l’amour. L’Eglise devient un mécanisme idéologique qui se défend contre celui qui ne l’accepte pas. Et alors tous les moyens peuvent être justifiés…
b) La sécularisation est un long processus, mis en marche par l’addition et la soustraction diverses sur l’identité et la tradition de l’Eglise, par des “corrections” donc sur l’œuvre créatrice et sotériologique de Dieu dans l’Eglise. C’est pour cette raison que les Pères de l’Eglise se sont montrés si sévères, lorsqu’il s’agissait de transformer la structure et le dogme de l’Eglise, même si cela concernait un iota. Et c’est bien pour cette même raison que nous observons actuellement avec respect et compréhension l’attachement des Eglises et des fidèles à ce qui nous a été transmis et est vécu dans chaque tradition ecclésiale.
c) L’Eglise orthodoxe porte une sensibilité particulière à ce sujet, comme en témoigne le texte final de l’Assemblée de la Hiérarchie du Patriarcat œcuménique, convoquée au Phanarion en septembre 1998 : « Nous [Orthodoxes] sommes aussi soumis aux tentations de la “sécularisation” ; c’est là, pour le monde et tout ce qui est relatif, la conception, le vécu sans Dieu et l’assimilation au monde. […] Dieu ne nous a pas donné un “esprit de crainte mais un esprit de puissance et de sagesse” (2 Tim. 1, 7). Nous tenant nous-mêmes dans cet esprit en ce monde sécularisé qui ramène tout à lui-même, nous sommes appelés à manifester en notre vie la vie de qui nous a créés, offrant dans nos paroles comme dans nos actes le signe et le témoignage d’enfants de Dieu dans la lumière de Sa puissance »
d) Lorsque la sécularisation survient, l’Eglise agit de deux manières différentes : soit elle devient une partie de l’appareil de l’Etat, soit elle tente de se substituer à l’Etat. Dans l’espace des pays orthodoxes, la sécularisation en tant que faiblesse personnelle des membres n’est pas quelque chose d’inconnu, tout comme la tendance à institutionnaliser, dans l’histoire récente comme dans l’ancienne. Le rappel suivant de Saint Jean Damascène dans son “Contre les ennemis des icônes” n’est certainement pas du au hasard : « Il n’appartient pas aux souverains de légiférer dans l’Eglise. […] Les souverains doivent avoir un comportement politique juste ». Mais la tendance de sécularisation a pris des dimensions institutionnelles après les Lumières et la Révolution française ; de là, elle est arrivée dans les pays de tradition et à majorité orthodoxes sous la forme d’un effort de modernisation et de conformité à l’esprit européen.
De la question précédente, avec l’esquisse des influences que l’Eglise reçoit de la sécularisation institutionnalisée, naît la question suivante : l’Eglise — le Christianisme — est-elle en mesure de faire face et de renverser la tendance de l’homme actuel qui marche vers une coupure totale de la communion de Dieu ?
Notre réponse est positive, pour des raisons suivantes :
a) Parce que le Chrétien croit en la Vérité révélée. Grâce à cette foi, il est convaincu de la vie eschatologique et prie pour que le projet de Dieu soit accompli en sa personne. Il espère, et cet espoir ne faiblit pas, selon l’apôtre Paul (Rom. 5, 5).
b) Parce que le croyant chrétien apprend de plus en plus d’accepter et de respecter la liberté personnelle de tout homme, qui a sa propre façon et sa propre foi pour s’unir au Dieu Créateur, qui comme Père « illumine et sanctifie tout homme qui vient au monde » (Jn 1, 9).
c) Parce qu’il y a une prise progressive de conscience que pour accomplir le projet et la volonté de Dieu, nous sommes invités dans notre vie de faire nôtres les valeurs — qui sont en même temps des vertus — du respect mutuel, de la fraternité, de la solidarité, du soutien mutuel et enfin de l’amour, qui s’élève au-dessus de toute autre principe et vertu.
d) Parce que les Eglises chrétiennes que nous représentons en Europe prouvent de manières diverses la disposition et la volonté de redonner vie au message de l’Evangile dans un monde qui semble nouveau mais ne s’est pas détaché de ses racines et d’utiliser tous les moyens humains pour qu’une coexistence pacifique et juste des peuples de l’Europe soit établie.
e) Parce que, confiante, l’Eglise entreprend le fameux Dialogue dans toute direction et à toute circonstance, pour une connaissance plus ample des idées des hommes.
f) Parce que, tout simplement, le Christ est ressuscité des morts !…
Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»
Nostalgie eschatologique
« …Cette nostalgie de Lumière me donne raison.
Elle me parle d’un autre monde, ma vraie Patrie.
A-t-elle du sens encore pour quelques hommes aujourd’hui ? ».
Elle me parle d’un autre monde, ma vraie Patrie.
A-t-elle du sens encore pour quelques hommes aujourd’hui ? ».
(Albert CAMUS, L’Eté).
« Sortons donc d’ici vers Lui en dehors du champ ;
car nous n’avons pas ici de cité permanente, mais nous attendons la cité à venir ».
car nous n’avons pas ici de cité permanente, mais nous attendons la cité à venir ».
(Hb 13, 13-14).
« Car notre cité, à nous, est au sein des cieux,
d’où nous attendons, comme sauveur, le Seigneur Jésus Christ ».
d’où nous attendons, comme sauveur, le Seigneur Jésus Christ ».
(Ph 3, 20).
« La nostalgie », a dit un philosophe de l’Antiquité, « offre à l’homme d’agréables moments, des expériences désirées et des souvenirs positifs, qui (pro)viennent du passé, et que ni la réalité ni le présent ne peuvent lui offrir ». C’est donc l’Antiquité qui nous montre le sens et le contenu de la notion de nostalgie. Mais d’où ce terme nous vient-il ?
La notion de nostalgie
Le terme “nostalgie” (nostalgiva), comme l’on sait, est un mot hellénique ; nous le trouvons pour la première fois dans les écrits d’Homère (dans l’Odyssée : « nostimon émar ), puis dans les poèmes lyriques de la poétesse Sappho. Nous le trouvons également chez d’autres poètes et dans le théâtre ancien (Eschyle, Euripide, Sophocle, Callimaque, etc.), dans le drame et, finalement, dans les essais philosophiques de l’Antiquité (Platon, Plutarque, Athénée, etc.).
Tout comme la philologie, la philosophie développe le sens exact du mot « nostalgie » : d’abord, c’est « l’état de dépérissement et de la langueur causée par le regret obsédant du pays natal, du lieu où l’on a longtemps vécu : mal du pays ; [ensuite], le regret mélancolique d’une chose révolue ou de ce qu’on n’a pas connu ; [enfin], désir insatisfait » (LE PETIT ROBERT-Dictionnaire de la langue française, Paris 1989, p. 1281.)
.
De plus, « nostalgie » signifie : avoir ou éprouver de la nostalgie pour quelqu’un ou quelque chose, ou avoir un sentiment nostalgique pour quelqu’un ou quelque chose. C’est pourquoi nous utilisons aujourd’hui ce mot, spécialement sous l’influence du romantisme, dans le même sens qu’il avait dans l’Antiquité. « Cette nostalgie produite par une habitude brisée », nous dit Balzac. Ainsi, la nostalgie est un sentiment plutôt triste et affectif que l’on éprouve « pour le passé », spécialement pour un moment particulier que nous avons vécu avec une ou plusieurs personnes. Par exemple, nous avons de la nostalgie pour les beaux jours anciens ; plusieurs personnes « regardent vers l’arrière » avec nostalgie pour des temps propices et prospères du passé ; quelqu’un me rend nostalgique, etc..
Le français, comme plusieurs autres langues du monde, emploie l’adjectif « nostalgique » avec un sens évocateur [du passé] : « quelque chose de nostalgique est la cause d’un sentiment de nostalgie », les pensées ou les regrets nostalgiques, mais aussi avec un sens sentimental : « quelqu’un qui est ou qui a un sentiment nostalgique pense de manière affective à un temps de bonheur du passé ». En d’autres termes, la nostalgie tourne notre esprit « vers le passé », nous fait « regarder en arrière » ; c’est le concept du verbe « retourner ou revenir » — (cf. « nostimon émar », qui concerne le retour, le jour du retour) —, qui conditionne en fait la vision globale de la vie. Or c’est le contenu primitif philologique ou philosophique de la notion de « nostalgie », qui domine aujourd’hui la mentalité de notre vie.
La notion théologique de la nostalgie
Mais une analyse étymologique qui donne le contenu exact de cette notion est en fait quelque peu différente de la définition philosophique. Le mot vient du verbe hellénique « nost-algw` » (« nost-algô ») : novsto" (= « nost-os ») et a[lgo" (= « algo-s »). « Nosto-s », verbe ou substantif, signifie « revenir, retourner, de même que désir, anxiété ou souhait, comme d’ailleurs retour, réinstallation, etc. ». (Cf. OiJ Novstoi, les Retours, c’est le titre de poèmes épiques sur le retour des héros hellènes après la prise de Troie). « Algo-s », verbe ou substantif également, signifie « souffrir, éprouver du mal, souffrance, douleur, de la peine ». « Nostalg-ô » comme nom verbal composé signifie : « j’ai un désir avec une peine affective pour quelqu’un ou quelque chose ».
Les langues ayant emprunté ce terme de la langue hellène ont simplement adopté le nom et l’adjectif, mais n’ont pas adopté le verbe nostalgw` (« nostalgô ») qui exprime la première et véritable notion du mot. Par exemple : « nostalgô » de revenir un jour à la maison de ma famille ou dans mon pays natal — une action dans le futur — conditionnée par le passé —, qui présuppose une connaissance et une expérience (Peut-être serait-il possible de dire en français : « nostalgier » : « de désirer ou d’espérer quelqu’un ou quelque chose, d’éprouver la nostalgie de quelque chose » !.)
À partir de cette analyse, nous pouvons voir que la nostalgie concerne peut-être quelque chose dans le futur, ou que cela est éventuellement un terme plus neutre : nous pouvons l’utiliser pour le futur tout comme pour le passé. Mais en réalité la philosophie antique a mis l’accent sur le « passé » de la vie, ce que toute philosophie connaît aujourd’hui en Europe et dans le monde entier. L’histoire et le romantisme contemporains sont allés dans la même direction. C’est ainsi qu’avec la nostalgie, nos pensées sont tournées « vers le passé » ou « en arrière », alors que le chemin de notre vie se dirige vers le futur, regardant vers l’avant…
L’histoire contribue parfois à cultiver la nostalgie, une nostalgie historique, mais « la rivière ne coule pas vers l’arrière » (proverbe populaire hellénique) : cette nostalgie est éonistique (séculier), un élément principal de l’éonisme Du mot éon (aijwvn), l’ère, le siècle, le temps. Ce terme désigne la mentalité des hommes (aijwnismo;") qui, certes, croient en Dieu, mais qui ne peuvent, cependant, pas (Éph 2, 2) faire de ce Dieu [“pantocrator” (Credo)] le “centre de leur vie” (abba Dorothée), fait (Mt 13, 22 ; Mc 4, 19) qui a pour conséquence réelle une “perspective hétérocentrique” éloignant (2 Co 4, 4) de ce Dieu “par amour pour l’éon présent” (2 Ti 4, 10) et rangeant l’homme (Lc 20, 34) dans la dimension “de ce monde” (Jn 18, 36-37) [civitas terrena]. Il s’agit d’une catégorie intracréationnelle, c’est-à-dire ce qui est façonné — tout en oubliant sa perspective eschatologique (Éph 1, 21 ; Hb 6, 5 ; Tt 2, 12) — sur le modèle (Rm 12, 2) “de ce monde” (ejgkovsmia ejscatologiva-eschatologique cosmique, éonistique), ou encore qui donne le pas à l’aijw;n ou|to" (ce siècle-ci) sur l’aijw;n oJ mevllwn (le siècle à venir). Enfin, l’éonisme ecclésiastique ne laisse pas de place à l’imminence eschatologique. Il ne veut trouver sa justification que dans le temps présent.
(À titre d’exemple, un regard sur la mentalité qui domine au sein des diasporas ethniques orthodoxes dans le monde occidental est capable de montrer combien ce “« nostimon émar » éonistique” conditionne la vie ecclésiale des Orthodoxes dans le monde entier, notamment leur communion inter-orthodoxe mais aussi leurs relations inter-chrétiennes). Que s’est-il passé ?
Il est vrai que ce concept philosophique est ontologiquement très problématique, car il dépend du concept du temps. Dans l’Antiquité, la conception cyclique du temps était fondamentale pour la philosophie. C’est pourquoi les philosophes ont mis cet élément « cyclique » dans la nostalgie. En fait, ils lui ont attribué un contenu négatif pour la vie.
Le renversement patristique de la nostalgie éonistique
Mais la conception du temps a connu une mutation radicale au cours des 4e et 5e siècles, à l’époque de la théologie patristique, avec notamment les Pères Cappadociens et par la suite avec saint Maxime le Confesseur. Les Pères ont en effet renversé la perspective en y introduisant un nouveau contenu, celui d’accomplissement d’une attente dorénavant dans le futur. Depuis ces siècles jusqu’à aujourd’hui, la nostalgie patristique concerne exclusivement le futur, la croissance de chaque jour… de chaque siècle… de chaque millénaire… Dans cette nouvelle perspective, la nostalgie envisage le futur et concerne quelque chose qui (pro)vient du futur... En d’autres mots, la nostalgie envisage des réalités du futur ‘déjà visibles’ et ‘pas encore’ accomplies, et, en fait, concerne Quelqu’un qui vient du futur... C’est pourquoi, dans la perspective patristique, « nost-algô » signifie « désirer [nostos] avec peine [algos] voir/rencontrer quelqu’un » qui vient — qui est déjà en train de venir — vers moi/vers nous. (En fait et en réalité, nous allons et il vient). Comme nous pouvons le voir, la nostalgie patristique n’est pas similaire ni différente, elle est surtout orientée dans un sens opposé, puisqu’elle est eschatologique…, elle puise son point focal dans les eschata… La nostalgie donc n’est pas dorénavant une action de ramener et un retour en arrière. Par conséquent, cette nostalgie eschatologique acquiert un sens important pour la vie et un contenu dynamique. Il est étrange que les philosophes contemporains n’ont pas pu saisir et peut-être changer le contenu — de même que le mode de vie (modus vivendi) — de l’ancienne nostalgie et la notion de cette évolution.
Maintenant, nous avons deux “nostalgies”, la première caractérisée par une fuite du présent, et la seconde, par un dynamisme du présent pour le futur, envisageant l’action, la décision, l’attente et le suspense pour quelqu’un ou quelque chose. La première est liée à la mémoire déchue, le désir plutôt triste et non-réalisé, l’idéalisation. La nouvelle (“kainh;”) nostalgie — avec un nouveau contenu ontologique — n’aime pas la fuite « vers le passé » et elle déteste la mémoire (aux termes d’une parole poétique : « mhvte hJ mnhvmh de;n ei\nai gia; th;n ajgavph ajnagkaiva » [« l’amour n’a pas besoin même de la mémoire »]) pour « retourner vers l’arrière »… Or la divine Liturgie demeure nostalgique, non du passé, mais de la Personne qui (pro)vient du futur… La nostalgie donc regarde fixement la vie et a un contenu et une perspective eschatologiques. Finalement, la seconde a le même contenu positif que le sens étymologique : elle a une relation directe et synonyme avec « l’espérance » (prosdokiva) et « l’attente » (prosmonhv). Cette nostalgie est pour toute personne et pour tous les peuples et tout particulièrement pour les jeunes gens…
Un rendez-vous eschatologique
Il sera propice de citer ici en guise de conclusion un bref récit du Gérontikon qui montre d’une façon très claire ce que l’Abba Dosithée présente dans ses Écrits ascétiques que les vraies relations humaines ne sont pas directes, mais qu’elles passent à travers Dieu. Autrement dit, l’amour pour autrui passe à travers l’Amour qui est la vie à venir… Le Gérontikon raconte le récit de la mère d’un moine, ayant senti la fin de ses jours et par “nostalgie” de la personne de son fils qu’elle n’avait pas vu depuis très longtemps, se mit en route pour la Thébaïde d’Égypte le voir pour “une dernière fois”. Accompagnée d’un de ses proches, elle traversa le désert avec difficulté à la recherche de son fils. Au bout d’un certain temps, quelques ascètes informèrent le moine que sa mère le cherchait. Il refusa d’abord de la rencontrer, mais comme elle insistait, le moine alla vers elle et, à distance, lui dit : « Mère, je te prie de partir ». « Non », dit-elle, « je suis venu jusque-là pour te voir ». « Non, mère », insista le moine, « je te prie de partir ». Et il ajouta : « On se rencontrera au Royaume »… Et il se retira en direction du désert.
Cet événement de mentalité et de modus vivendi eschatologiques rappelle entre autres, celui du martyrium des 40 martyrs — dont nous célébrons la mémoire le 9 mars —, lorsque la mère du quarantième martyr insista auprès de son fils, non au sens de le garder “auprès d’elle” — caractéristique d’un niveau naturel que les femmes portent par définition — mais au sens de la vision de le voir avec les autres 39 martyrs “auprès de Dieu”. Et au Royaume… Ces deux événements reflètent la nostalgie eschatologique qui envisage toujours nostalgiquement les autres et qui leur propose un “rendez-vous eschatologique” au Royaume… C’est justement ce Royaume qui crée une forme différente de relations humaines, des relations qui sont conditionnées non pas par des paramètres éonistiques mais par l’attente nostalgique (nostalgikh; prosmonh;) si chère aux Pères de l’Église et aux amoureux du Royaume de l’Amour…
La “ nouvelle réalité” nostalgique
Saint-Exupéry dit de « la nostalgie [que] c’est le désir d’on ne sait quoi » (Cité par LE PETIT ROBERT…, op. cit., p. 1281).… Mais “oui”, l’on sait explicitement, et il s’agit d’un désir bien ciblé… Après ce petit essai, il est clair que la nostalgie concerne la perspective de la vie elle-même, l’homme et spécialement les jeunes, car elle leur donne une orientation et une direction — et non plus une directive… — dans l’espace et dans le temps, plusieurs perspectives et possibilités d’actions, une attente pour le futur... et une raison d’être dans le futur… Finalement, cette nostalgie peut rendre vie à la personne humaine et elle peut réussir à raviver des visions plates et archétypiques de toute personne humaine et de l’humanité. Or dans ce cas-là, le “regard nostalgique”, le “« nostimon émar » eschatologique” qui présente manifestement un “mal du Royaume”, n’est absolument pas mélancolique ; il est tout simplement eschatologique…
En d’autres mots, la nostalgie eschatologique est propre à une perspective existentiale (uJparktikh;) de l’humanité… « Ta; ajrcai`a parh`lqe: ijdou; gevgone kaina; ta; pavnta » (« La réalité ancienne s’enfuit ; voici qu’une réalité nouvelle est là » 2 Co 5, 17.). C’est justement cette “réalité nouvelle” qui nous rend amoureux, eJterofwvtou", épris et nostalgiques…
Archim. Grigorios D. PAPATHOMAS,
Doyen du Séminaire Orthodoxe Saint Platon de Tallinn
Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»
La centralité de la Transfiguration dans la spiritualité orthodoxe
conférence prononcée par le Métropolite Stephanos de Tallinn
lors de la XXXIe Rencontre Internationale et interconfessionnelle des Religieuses et des Religieux à Neuendettelsau – Allemagne du Sud le 16 juillet 2006
Quel est le sens de la Transfiguration, l’une des douze grandes fêtes de l’année liturgique et quelles en sont les conséquences pour la vie du monde, c’est à cela que je vais m’efforcer de vous répondre tout en espérant par avance votre indulgence.
Mon propos en effet ne sera jamais qu’un pâle reflet de la profondeur qui se dégage de cet immense mystère. Bien plus, pour pouvoir s’approcher de la lumière de la Transfiguration, il faut d’abord prendre la résolution de gravir son propre Thabor qui est le lieu du cœur libéré de toutes ses passions. Si en effet c’est l’Esprit Saint qui nous transfigure, qui fait naître, grandir et vivre le Christ en nous, alors il faut lui faire de la place en nous purifiant de tout ce qui peut faire obstacle au rayonnement de l’Amour divin. Rappelons-nous de ce que disait déjà le moine Pacôme au 4e siècle : « Dans la pureté de son cœur, l’homme voit le Dieu invisible comme dans un miroir ». La transfiguration intérieure, soulignait le Patriarche Bartholomée tout récemment, « exige un changement radical ou, pour utiliser le vocabulaire théologique, la metanoïa …Nous ne pouvons pas être transformés, si nous n’avons pas d’abord été purifiés de tout ce qui s’oppose à la transfiguration, si nous n’avons pas compris ce qui défigure le cœur humain ». (1) Sinon à quoi bon raisonner sur la nature de la grâce, si l’on ne ressent pas en soi son action ?
Avant d’aller plus loin, commençons par voir ce qu’il en est du temps, du moment où se passe l’événement de la Transfiguration.
Saint Nicodème l’Hagiorite, tout comme Eusèbe de Césarée et bien d’autres dans l’Eglise, est convaincu que la Transfiguration eut lieu quarante jours avant la Passion, autrement dit au mois de février et non pas en août comme c’est le cas maintenant et il reprend vertement Meletios d’Athènes, qui prétend que la Transfiguration eut lieu le 6 août, par ces termes : « il aurait dû appuyer ces dires par quelque témoin et non pas avancer des paroles non contrôlées et non soutenues par des témoignages » et il s’étonne de voir comment « il est possible de croire de telles allégations, qui sont dépourvues de témoignages et de vraies certitudes » ! (2)
Alors, pourquoi le 6 août et non pas au mois de février ? Certainement pour des raisons de pédagogie. Au mois de février en effet, nous tombons en pleine période de Carême, ce qui risque à cause du jeûne propre à ce temps liturgique d’atténuer l’éclat festif de cette solennité, laquelle met en évidence la joie des chrétiens pour la gloire future dont ils seront un jour revêtus. La fête est donc déplacée en août et non pas de façon fortuite : du 6 août au 14 septembre, jour de l’invention de la Sainte Croix, il y a quarante jours, tout comme il y a quarante jours entre la Transfiguration et la Passion du Christ. Il y a donc bien un lien réel entre le Thabor et le Golgotha.
« Ce syndrome du Thabor-Golgotha, écrit Kallistos Ware, se retrouve dans les textes liturgiques du 6 août. Ainsi les deux premiers stichères des grandes vêpres, qui décrivent le moment de la Transfiguration, commencent d’une manière signifiante par ces mots : avant ta Crucifixion,ô Seigneur !…Dans le même esprit, aux matines, le premier stichère des laudes débute par ces mots : avant ta précieuse Croix et ta Passion… Le lien entre la Transfiguration et la Crucifixion est souligné de la même manière dans le kondakion de la fête : Tu t’es transfiguré sur la montagne, Christ notre Dieu, laissant tes disciples contempler ta gloire autant qu’ils le pouvaient, de sorte que, te voyant crucifié, ils puisssent comprendre que ta souffrance était volontaire… Il convient donc que les disciples du Christ, au moment de la Crucifixion, se souviennent de la théophanie du Thabor et qu’ils comprennent que le Golgotha est également une théophanie. La Transfiguration et la Passion doivent être comprises dans les termes l’une de l’autre, et également bien sûr, dans les termes de la Résurrection » (3).
Thabor-Golgotha : tout est susceptible d’être transfiguré mais cela n’est possible qu’a travers la Croix, par laquelle la joie est donnée dans le monde entier. Gloire et souffrance, autrement dit kénose et sacrifice de la Croix d’une part et grande joie de la Transfiguration et de la Résurrection d’autre part, vont donc de pair : dans notre vie comme dans celle du Christ lui-même, Thabor et Golgotha – ces deux collines - constituent bien un seul et même mystère. Pour nous chrétiens, la leçon est claire : nous sommes présents avec le Christ dans la gloire du sommet de la montagne, nous sommes aussi présents avec lui à Gethsémani et au Golgotha. Et c’est bien de cela qu’il s’agit : toute notre espérance découle de cette grande certitude, que la Transfiguration conduit à la Croix et la Croix mène à la Résurrection.
Quand nous lisons l’Evangile, nous voyons que de cet événement il se dégage trois moments pour notre édification spirituelle : d’abord la montée, c’est-à-dire l’ascèse, la purification du coeur , la lutte contre les passions ; ensuite le repos, la joie, la contemplation de la présence de Dieu, la communion à Dieu ; et enfin, la redescente dans la plaine, dans le quotidien, dans la banalité de l’instant. Cette succession constitue la trame de notre existence selon que notre vie dans l’Eglise suit ce rythme comme une sorte de respiration liturgique et plus particulièrement lorsque nous nous préparons à la Divine Eucharistie. La Transfiguration a, en ce sens, un caractère eschatologique ; elle est, selon les mots de saint Basile, l’inauguration de la glorieuse parousie, du second Avènement du Christ.
Venez, gravissons la montagne du Seigneur jusque dans la maison de notre Dieu et contemplons la gloire de la Transfiguration, gloire que tient du Père le Fils unique de Dieu ; à sa lumière prenons la lumière ; puis, élevés par l’Esprit, nous chanterons dans tous les siècles la consubstantielle Trinité ( doxastikon de la litie ). Ainsi, d’ « abord nous montons, nous escaladons, nous gravissons le chemin ardu pour arriver aux pieds du Seigneur. Puis nous communions dans la vision de Dieu, dans la certitude de sa présence dans nos cœurs. Enfin, nous redescendons au bas de la montagne, pour y retrouver nos frères et sœurs et le monde entier qui ignore Dieu. Notre monde, en proie aux forces sataniques, livré au péché et aux ténèbres. Tout est lié. Si vraiment nous parvenons à entrer dans la plénitude de la Transfiguration, ce n’est pas pour la garder jalousement pour nous, pour notre propre rassasiement, pour notre propre satisfaction ni notre propre béatitude. C’est pour nous remplir de Dieu, nous remplir tellement de sa présence, de sa grâce, de son Esprit, de cet Esprit qui nous brûle comme un feu car l’Esprit Saint est feu ;… le feu qui ne se consume pas ou plutôt qui consume seulement nos impuretés et qui illumine et qui console et qui réjouit et qui fortifie les cœurs … Pour être les témoins de la grâce de Dieu dans le monde » (4).
Reste le plus important à commenter : le thème de la lumière du Thabor. Qu’est-ce que cette lumière qui irradie du Christ sur la montagne et les apôtres ? C’est, répondent les Pères de l’Eglise, la manifestation de la gloire de Dieu. « La lumière inaccessible et sans déclin qui a brillé sur le mont Thabor…est l’énergie divine. Comme telle, elle est la lumière une de la Sainte Trinité », écrit le Père Sophrony, un grand spirituel du XXe siècle.
Mais encore ? En ce jour sur le Thabor, le Christ, lumière qui a précédé le soleil, révèle mystiquement l’image de la Trinité, chantons-nous au cours des vêpres de la fête. Tout en étant trinitaire, la gloire de la Transfiguration est de même plus spécifiquement christique. La lumière incréée qui rayonne du Seigneur Jésus le révèle comme « vrai Dieu de vrai Dieu…, consubstantiel au Père », selon la formule du Credo :Lumière immuable, ô Verbe, proclame l’exapostilaire de la fête, Lumière du Père inengendré, dans ta lumière en ce jour au Thabor nous avons vu la lumière du Père, la lumière de l’Esprit qui éclaire le monde et ailleurs, dans laudes, …la voix du Père clairement te proclama son Fils bien-aimé partageant même trône et consubstantiel…Ce qui fera dire à Saint Jean Damascène : « le Christ a été transfiguré non pas en assumant ce qu’il n’était pas, mais en manifestant à ses disciples ce qu’il était, ouvrant leurs yeux ». Et saint André de Crète d’ajouter : « A cet instant, le Christ n’est pas devenu plus radieux ou plus exalté. Loin de là : il est resté ce qu’il était avant ». Aussi, selon Paul Evdokimov, « le récit évangélique ne parle pas de la transfiguration du Seigneur, mais de celle des apôtres ». La Transfiguration au Thabor ne fut pas celle du Christ, disent les Pères de l’Eglise, mais celle des apôtres par l’Esprit Saint.
Avant d’aller plus loin dans notre propos, il convient de préciser « qu’il n’y a pas de juxtaposition de l’humain et du divin en Christ, mais il y a irradiation de la divinité dans l’humanité du Christ, et cette humanité du Christ, qui nous englobe tous, nous communions plus directement avec elle dans les sacrements, c’est-à-dire, précise Olivier Clément, essentiellement dans le baptême et l’eucharistie (5). C’est une humanité déifiée et donc déifiante, la déification ne signifiant pas une évacuation de l’humain qui serait remplacé par le divin, mais justement une transfiguration, un accomplissement, une plénitude du divin : l’humanité du Christ est pénétrée, transfigurée, par la gloire dont l’imprègne l’Esprit Saint ; c’est un sôma pneumatikon, un «corps spirituel comme dit Paul, c’est-à-dire un corps pénétré par l’Esprit, par la vie divine, par le feu divin ; non pas un corps dématérialisé mais au contraire un corps pleinement vivifié. De la même manière, par le mystère de l’Eglise, la chair de la terre, assimilée par l’Esprit au corps glorieux du Christ, devient – selon Grégoire Palamas – pour les chrétiens une source intarissable de sanctification ».
La Transfiguration n’a pas été un phénomène circonscrit dans le temps et l’espace. Le Christ n’a pas changé à ce moment-là : ce sont les apôtres qui ont reçu pour un moment la faculté de voir le Christ tel qu’il était dans sa réalité la plus profonde, afin qu’ils comprennent la signification véritable de la Croix, disent les textes liturgiques et le texte de l’Evangile : Jésus s’entretenait avec Moïse et Elie de sa Passion. La gloire vient par la Croix et la Croix sera alors l’engloutissement de la mort dans la lumière.
C’est donc parce que les Apôtres ont changé qu’ils ont pu voir le changement, la transfiguration dans la forme divine du Christ ; non pas son essence divine, qui est inatteignable et que par conséquent ils n’auraient pas pu supporter mais ses énergies - en quelque sorte les rayons du soleil - par lesquelles, dans son amour infini, il sort éternellement de lui-même pour se rendre connaissable et visible. Par la lumière de Dieu les apôtres se sont trouvés pénétrés, illuminés ; ils ont pu se voir, voir Dieu et resplendir à leur tour puisque Dieu, selon Grégoire Palamas, s’est rendu visible non seulement à leur intellect (nous ) mais aussi à leurs sens corporels qui ont été « changés par la puissance de l’Esprit divin ». Accessible aux sens et à l’intellect, la lumière divine « transcende en même temps toutes les dimensions de notre condition de créatures, nos sens et notre intellect … L’homme peut donc contempler, avec ses yeux de chair transformés, la lumière du Christ, comme les disciples ont pu, de leurs yeux transfigurés, contempler la gloire du Christ sur le Mont Thabor » (6). Tout comme les apôtres il nous est possible à nous aussi de voir Dieu avec les sens du corps, non pas les sens ordinaires mais, redisons-le à nouveau, changés par la puissance de l’Esprit divin. Changement contenu, toujours selon Grégoire Palamas, dans « l’assomption même de notre nature par l’union avec le Verbe de Dieu ». C’est dans la mesure où nous sommes en Christ que l’humanité du Christ pénétrée par la lumière de l’Esprit se communique à notre humanité.
Ainsi, pour Grégoire Palamas, la lumière divine est une donnée pour l’expérience mystique ; c’est le caractère visible de la Divinité, des énergies dans lesquelles Dieu se communique et se révèle à ceux qui ont purifié leurs cœurs.
Palamas en effet s’est trouvé face au problème suivant : comment l’homme peut connaître Dieu tout en reconnaissant en même temps que Dieu est par nature inconnaissable ? Pour en rendre raison, il explique que Dieu est tout entier essence et tout entier énergie, imparticipable dans son essence mais en même temps participable dans ses énergies. L’énergie divine c’est donc le mode existentiel de Dieu dans lequel celui-ci se manifeste et se communique. L’énergie divine, c’est Dieu en tant qu’il sort de lui-même.
Pour Olivier Clément, il y a ici antinomie (7): « Dieu tout entier se manifeste et Dieu tout entier ne se manifeste pas ; tout entier il est conçu et tout entier il est inconcevable pour l’intelligence ; tout entier il est participé et tout entier il est imparticipable. Il y a participation à la vie divine et en même temps il y a transcendance totale et inaccessible de Dieu. Voilà ce que va tenter de cerner cette distinction de la suressence inaccessible et des énergies participables. Ce n’est pas une séparation. Cela ne veut pas dire … qu’en Dieu il y a une frontière infranchissable : d’un côté l’essence, de l’autre les énergies. Cela désignerait plutôt deux modes d’existence de Dieu : d’une part, Dieu dans son altérité inobjectivable, dans la profondeur inaccessible de son existence personnelle, qui est amour inépuisable, unitrinité, et d’autre part Dieu dans le don total qu’il fait de lui-même, dans la toute présence qu’il nous donne. Cette distinction ne met pas en cause l’unité de Dieu…Il ne faut pas dire que tout cela – l’essence et les énergies – est une seule chose, mais que tout cela appartient à un seul Dieu vivant… »
« L’homme a été créé en vue de la déification. Mais l’homme en tant que créature possède aussi sa consistance propre, il n’est pas de nature divine. Pour décrire le mystère de cette union de la personne humaine avec son Créateur, Palamas a écarté l’idée d’une union selon l’essence (kat’ousian ) qui s’applique seulement aux personnes trinitaires entre elles, tout comme celle d’une union selon l’hypostase ou la personne ((kath’ypostasin ) qui ne s’applique qu’à l’union des natures divine et humaine dans la personne du Christ. Le seul mode d’union avec Dieu possible pour la nature humaine est celui qui s’exerce selon la grâce (kata harin ), c’est-à-dire selon l’énergie, cette énergie divine étant répandue à travers l’Eglise par l’Esprit Saint. On voit en quoi l’Esprit joue un rôle éminent dans cette doctrine inséparablement théologique et spirituelle… » C’est seulement ainsi que l’homme deviendra alors de plus en plus homme à mesure qu’il passera de l’ auto-nomie de la déchéance à la théo-nomie libératrice, restaurant la communion perdue avec Dieu (8).
« Celui qui participe à l’énergie divine…devient lui-même, en quelque sorte, lumière ; il est uni à la lumière et avec la lumière il voit en pleine conscience tout ce qui reste caché à ceux qui n’ont pas cette grâce ; il surpasse ainsi non seulement les sens corporels, mais aussi tout ce qui peut être connu ( par l’intelligence ) car les cœurs purs voient Dieu (…) qui, étant la lumière habite en eux et se révèle à ceux qui l’aiment, à ses bien-aimés » (9). L’union à Dieu, la vision lumineuse est pour l’homme à la fois pleinement objective, pleinement consciente, pleinement personnelle parce que tout être humain porte en lui l’image du Créateur, de sa participation libre à la vie divine. « L’homme, écrit Cyrille d’Alexandrie, reçut dès l’origine le contrôle de ses désirs et pouvait suivre librement les inclinations de son choix parce que la Déité, dont il est l’image, est libre ». Ainsi, cette union ne se résout jamais en une intégration de la personne humaine dans l’Infini divin ; elle est au contraire l’accomplissement de sa destinée libre et personnelle. De là également l’insistance des spirituels byzantins sur la nécessité d’une rencontre personnelle avec le Christ, lieu où, par excellence, ont convergé une fois pour toutes l’expérience de l’homme par Dieu et celle de Dieu par l’homme. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » proclame saint Paul.
La théologie de la lumière est donc inhérente à la spiritualité orthodoxe : l’une est impossible sans l’autre. Derrière cette doctrine, on trouve l’idée fondamentale de l’homme fait à l’image et à la ressemblance de Dieu, la Sainte Trinité. Le thème constant de saint Jean l’Evangéliste est l’union personnelle et organique entre Dieu et l’homme ; pour Saint Paul, nous venons de le voir, la vie chrétienne est avant tout vie en Christ. Le mystère de la Rédemption signifie donc la récapitulation de notre nature par le Christ, Nouvel Adam et dans le Christ. Le mystère de la Pentecôte nous rappelle que l’œuvre de notre déification s’accomplit en nous par le Saint Esprit, Donateur de la grâce, celle-ci n’étant pas considérée par les Pères grecs comme un effet créé ; elle est l’énergie même de la Divinité se communiquant dans l’Esprit Saint. « Tu es devenue belle, mon âme, en t’approchant de ma lumière ; ton approche a attiré sur toi la participation de Ma beauté. S’étant approchée de la lumière, écrit Grégoire de Nysse, l’âme devient lumière ». La double économie du Verbe et du Paraclet a pour but l’union des êtres créés avec Dieu. Ici cependant, Créateur et créature ne fusionnent pas en un seul être ; dans la théologie mystique orthodoxe, l’homme ne perd jamais sa propre intégrité. Même déifié il reste distinct mais non séparé de Dieu : l’homme déifié ne perd pas son libre arbitre mais c’est tout aussi librement, par amour, qu’il se conforme à la volonté de Dieu. L’homme ne devient pas Dieu par nature, mais il est seulement créé dieu, un dieu par grâce. L’Eglise Orthodoxe écarte de cette façon toute forme de panthéisme.
Pour saint Syméon le Nouveau Théologien (10) l’expérience de la lumière, qui est la vie spirituelle consciente ( gnosis ), révèle la présence de la grâce acquise par la personne. « Nous ne parlons pas des choses que nous ignorons, dit-il, mais de ce qui nous est connu nous rendons témoignage. Car la lumière brille déjà dans les ténèbres, dans la nuit et dans le jour, dans nos cœurs et dans nos esprits. Elle nous illumine, cette lumière sans déclin, sans changement, inaltérable, jamais éclipsée ; elle parle, elle agit, elle vit et elle vivifie, elle transforme en lumière ceux qu’elle illumine. Dieu est lumière et ceux qu’il rend dignes de le voir le voient comme lumière ; ceux qui l’ont reçu, l’ont reçu comme lumière. Car la lumière de sa gloire précède sa Face et il est impossible qu’Il apparaisse autrement que dans la lumière. Ceux qui n’ont pas vu cette lumière n’ont pas vu Dieu car Dieu est lumière. Ceux qui n’ont pas reçu cette lumière n’ont pas encore reçu la grâce car en recevant la grâce, on reçoit la lumière divine et Dieu… »
La fête de la Transfiguration nous rappelle ainsi que le mystère de la déification de l’homme ne peut se réaliser qu’à travers l’illumination de tout l’être, par laquelle Dieu se révèle. Ce n’est pas un état passager qui ravit, qui arrache pour un moment l’être humain à son expérience habituelle. C’est une vie pleinement consciente dans la lumière divine, dans la communion incessante avec Dieu.
Dieu en s’incarnant n’a pas seulement sanctifié l’humanité mais aussi le monde entier. Et le monde est inexorablement lié à l’homme comme « le lieu de Dieu » où se découvre la gloire de la Trinité à la racine même des choses. Pour cette raison, la vocation de l’homme consiste, dans sa liberté personnelle, à transcender l’univers non pas pour l’abandonner mais pour le contenir, lui dire son sens, lui permettre de correspondre à sa secrète sacramentalité, le « cultiver », lui parfaire sa beauté, bref le transfigurer et non pas le défigurer. La Bible, ne l’oublions pas, présente le monde comme un matériau qui doit aider l’homme à prendre historiquement conscience de sa liberté offerte par Dieu. C’est dans le monde que l’homme exprime sa liberté et qu’il se présente comme une existence personnelle devant Dieu (11). La conséquence en est que l’homme ne peut faire transparaître Dieu en soi-même sans faire transparaître Dieu dans le monde ou sans se faire transparent comme image de Dieu dans le monde.
Ainsi l’homme représente pour l’univers l’espoir de recevoir la grâce et de s’unir à Dieu car il n ’y a pas de discontinuité entre la chair du monde et celle de l’homme, l’univers est englobé dans la nature humaine. C’est aussi le risque de la déchéance et de l’échec dès lors que, détourné de Dieu, l’homme ne verra des choses que l’apparence, « la figure qui passe » ( 1 Cor 7,31 ) et leur donnera en conséquence un « faux nom ». Tout ce qui se passe en l’homme a bien une signification universelle et s’imprime sur l’univers. La révélation biblique nous place devant un anthropocentrisme résolu, « non pas physique mais spirituel puisque le destin de la personne humaine détermine le destin du cosmos » (12). L’univers ne connaît pas l’homme, mais l’homme connaît l’univers. L’homme a besoin de l’univers, mais l’univers a surtout besoin de l’homme. Autrement dit : l’homme se présente comme l’axe spirituel de tout le créé, de tous ses plans, de tous ses modes parce qu’il est le résumé de l’univers ( microcosme ) et l’image de Dieu ( microtheos ) et parce qu’enfin Dieu s’est fait homme pour s’unir au cosmos tout entier.
Les textes patristiques soutiennent très fréquemment l’idée que l’homme est un être de raison (logikos ) à cause précisément de sa création à l’image même de Dieu. C’est ce qu’affirme entre autres avec netteté saint Athanase le Grand lorsqu’il traite de ce sujet. De même nous pouvons comprendre que l’homme est créateur car il est à l’image par excellence de son Créateur. Il est aussi souverain car le Christ, à l’image duquel il a été créé, est le Seigneur et le Roi qui domine l’univers. Il est libre, car il est à l’image de la liberté absolue. Il est enfin responsable pour toute la création comme il en est et la conscience et par-dessus tout le prêtre puisqu’il a pour modèle le Christ, Grand Prêtre. Mais il ne suffit pas de dire que l’homme est microcosme parce qu’il récapitule en lui tout l’univers. Sa vraie grandeur réside dans le fait qu’il est « appelé à être Dieu », à devenir « Eglise mystique » puisqu’il est la jointure entre le divin et le terrestre et que de lui diffuse la grâce sur toute la création (13). C’est dire que la situation du cosmos, sa transparence ou son opacité, sa libération en Dieu ou son asservissement à la corruption et à la mort dépendent de l’attitude fondamentale de l’homme, de sa transparence ou de son opacité à la lumière divine et à la présence du prochain. C’est la capacité de communion de l’homme qui conditionne l’état de l’univers. Du moins initialement et maintenant en Christ, dans son Eglise.
« La Transfiguration est quelque chose qui concerne la cosmologie, qui concerne notre sentiment même de l’être des choses. L’être des choses est potentiellement sacramentel. Il y a une potentialité sacramentelle dans la matière, qui s’exprime dans la Transfiguration : le monde a été créé pour être transfiguré. Cette transfiguration, c’est l’homme qui doit l’accomplir ; en Christ qui est l’homme parfait, elle est accomplie mais elle est secrète, elle est enfouie, cachée dans la détresse de l’histoire, et le monde reste figé dans son opacité, par le péché et le refus des hommes. C’est pourquoi la création tout entière gémit dans les douleurs de l’enfantement du nouveau ciel et de la nouvelle terre. Il s’agit de faire monter à la surface du monde l’incandescence secrète. L’image employée ici par saint Maxime le Confesseur est justement l’image du buisson ardent. Le monde en Christ est secrètement, liturgiquement, sacramentellement, buisson ardent, et il s’agit – c’est cela la sanctification – de faire transparaître, à travers les visages et les regards, cette incandescence secrète » (14).
La Transfiguration devient ainsi la clef de l’histoire véritable, qui est l’histoire de la lumière, qui est l’histoire du feu, ce feu toujours présent mais qui a besoin pour tout embraser que des hommes se laissent consumer puisque le cœur de l’homme, quand il est touché par la lumière divine, devient le cœur du monde et communique la lumière, découvre les choses et les êtres dans leur vérité christique, c’est-à-dire dans la lumière de la Transfiguration : Selon Grégoire Palamas, « l’homme authentique, quand il prend comme chemin la lumière, s’élève ou plutôt est élevé sur les cimes éternelles ; il commence à contempler les réalités qui sont au-delà du monde, mais sans être séparé de la matière qui l’accompagne dès le début, car il ne s’élève pas sur les ailes imaginaires de son raisonnement, mais réellement, par la puissance indicible de l’Esprit » (15).
En fait, ce qu’il nous faut témoigner, c’est que le christianisme est la religion de la personne, de la communion, de la liberté, de la transfiguration non seulement de chaque être mais aussi de tout le cosmos. Nous ne sommes pas orphelins dans la prison indéfinie du monde : Dieu est la source d’une vie plus forte que la mort, la source de la joie qui vient à nous dans un immense mouvement d’incarnation : l’humain et le divin enfin s’unissent sans se confondre, le Christ est ressuscité. Toute notre existence est désormais déchiffrée à partir de la lumière qui jaillit du tombeau vide. Le néant n’existe pas : notre vérité d’homme, dès ici-bas, c’est bien la résurrection.
Aussi, pour celui qui acquiert l’amour, « les ténèbres se dissipent et la lumière véritable paraît déjà » ( Jn 1,8 ). La lumière divine apparaît ici-bas dans le monde, dans le temps. Elle se révèle dans l’histoire mais elle n’est pas de ce monde, c’est le commencement de la parousie dans les âmes saintes et sanctifiés, prémices de la manifestation finale lorsque Dieu apparaîtra dans sa lumière inaccessible à tous ceux qui demeurent dans les ténèbres des passions, à ceux qui vivent attachés aux biens périssables. A ceux-là, ce jour apparaîtra soudain, inattendu, comme le feu que l’on ne peut supporter. Ceux par contre qui marchent dans la lumière ne connaîtront pas le Jour du Seigneur, car ils sont toujours avec Dieu, en Dieu.
+Stephanos, Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie.
BIBLIOGRAPHIE :
( 1) : Patriarche Œcuménique BARTHOLOMEE: « La Transfiguration exige la metanoïa », in SOP n° 306, Paris – mars 2006, pp.23 -25.
( 2) : P.B.PASCHOS : « La Théologie de la Transfiguration « in EROS ORTHODOXIAS ( en grec ), Ed. Apostoliki Diaconia de l’Eglise de Grèce, Athènes 1978, pp. 51 – 57.
( 3) : Ev.Kallistos WARE : « La Transfiguration du Christ et la souffrance du monde », in SOP n° 294, Paris – janvier 2005, pp. 20-26.
( 4) : Boris BOBRINSKOY : « La Transfiguration » , Homélie. Bussy-en-Othe, 19 août 1995.
( 5) : Olivier CLEMENT : « Saint Grégoire Palamas et la Théologie de la Transfiguration », supplément au SOP n° 131, Paris septembre-octobre 1988, pp. 1 - 17.
( 6) : Michel STAVROU : « La transfiguration du corps et du cosmos dans la théologie byzantine », in SOP n° 247, Paris – avril 2000, pp. 24 – 28.
( 7) : Olivier Clément, loc.cit.
( 8) : Michel Stavrou, loc.cit.
( 9): Grégoire PALAMAS : « Sermon pour la fête de la Présentation de la Mère de Dieu », éd. Sophocles, 176-177.
(10) : Syméon le Nouveau Théologien : Homélie LXXIX.
(11) :Constantin GREGORIADIS : « Le Monde en tant que création et la révolte de l’Humanisme autonome » in CONTACTS n° 57, Paris 1967, pp. 75 – 78.
(12) : Olivier CLEMENT : a) « Questions sur l’Homme », STOCK, Paris 1972 ;
b) « La Résurrection chez Berdiaev », CONTACTS n° 78-79, p.213
(13) : a) Panayotis NELLAS : « Théologie de l’image. Essai d’anthropologie orthodoxe » in CONTACTS n° 84, Paris 1973, pp.261-268.
b) Athanase le Grand : « Incarnation du Verbe »,3, PG 25,101 B ; 4, PG 25, 104 CD
c) R.BERNARD : « L’Image de Dieu d’après saint Athanase », Aubier, Paris 1952, pp. 2 et 91 – 126.
d) Vladimir LOSSKY : « Théologie mystique de l’Eglise d’Orient », Aubier, Paris, 1990, pp. 109 – 129.
e) Nicolas CABASILAS : « La Vie en Christ », 3,PG 150, 572 B.
(14) : Olivier Clément, loc.cit.
(15) : Olivier Clément, loc.cit.
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( 4) : Boris BOBRINSKOY : « La Transfiguration » , Homélie. Bussy-en-Othe, 19 août 1995.
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( 6) : Michel STAVROU : « La transfiguration du corps et du cosmos dans la théologie byzantine », in SOP n° 247, Paris – avril 2000, pp. 24 – 28.
( 7) : Olivier Clément, loc.cit.
( 8) : Michel Stavrou, loc.cit.
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(10) : Syméon le Nouveau Théologien : Homélie LXXIX.
(11) :Constantin GREGORIADIS : « Le Monde en tant que création et la révolte de l’Humanisme autonome » in CONTACTS n° 57, Paris 1967, pp. 75 – 78.
(12) : Olivier CLEMENT : a) « Questions sur l’Homme », STOCK, Paris 1972 ;
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(13) : a) Panayotis NELLAS : « Théologie de l’image. Essai d’anthropologie orthodoxe » in CONTACTS n° 84, Paris 1973, pp.261-268.
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c) R.BERNARD : « L’Image de Dieu d’après saint Athanase », Aubier, Paris 1952, pp. 2 et 91 – 126.
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e) Nicolas CABASILAS : « La Vie en Christ », 3,PG 150, 572 B.
(14) : Olivier Clément, loc.cit.
(15) : Olivier Clément, loc.cit.
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