Jésus, Dieu ou Messie et prophète
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Jésus, Dieu ou Messie et prophète
Une imposture de 2000 ans?
Jésus :
info ou intox?
" Le doute est le premier pas vers la science ou la vérité; celui qui ne discute rien ne s'assure de rien; celui qui ne doute de rien ne découvre rien ".
Diderot, phrases (censurées) de l'Encyclopédie.
Le 25 décembre 1999 s'est ouvert le Grand Jubilé catholique. Pendant un an, l'Église va célébrer avec faste la naissance du Christ. A cette occasion, le Cercle Zététique décide d'aborder un sujet brûlant. Attentif aux démonstrations fondées sur le concret, il décide de poser franchement la question à laquelle personne ne pense :
Jésus-Christ a-t-il existé?
Constatant avec regret que, malgré quelques tentatives de débat au début du XXe siècle, ce sujet reste délaissé par les spécialistes d'histoire ancienne, il lui semble qu'il est plus que temps de s'interroger en profondeur sur le principal mythe fondateur de notre civilisation et de faire participer le public à cette réflexion.
Sur l'existence de Jésus, les thèses se segmentent en cinq grandes tendances :
* La thèse traditionaliste : pour la frange conservatrice des catholiques et les intégristes, tout ce qui est consigné dans les Évangiles est absolument authentique. Ces récits sont de parfaits documents historiques, rédigés par des témoins directs, inspirés par le Saint Esprit. Les contradictions que l'on y découvre ne sont qu'apparentes. Cette thèse fait de nos jours un retour en force, avec les publications à prétention scientifique de chercheurs chrétiens tels que Thiede.
* La thèse séculariste : le Jésus dépeint dans les Évangiles ressemble de près au Jésus ayant existé au Ier siècle de notre ère, mais certains détails plus ou moins légendaires ont été ajoutés (naissance virginale, certaines paraboles, les miracles etc. - selon l'optique des auteurs, la Résurrection fait ou non partie de ces détails). C'est la thèse prédominante aujourd'hui (Stanton, Duquesne,...). Elle est consignée dans les manuels scolaires.
* La thèse cryptique : Jésus a existé, mais il n'a pas du tout été l'homme représenté par les évangélistes. Selon les interprétations, il a été un révolutionnaire, un Juif millénariste, un sicaire, un zélote etc. Un tel point de vue a été partagé par l'ex-abbé Turmel, Eisler, Rougier,...
* La thèse minimaliste : Jésus a existé, mais on ne peut avec certitude le dépeindre tel qu'il était, ni décrire ce qu'il a accompli, car le mythe a entièrement recouvert le personnage. C'est l'option choisie par Loisy et Guignebert.
* La thèse mythiste : Jésus n'a pas existé. Aucun document probant n'atteste son existence. Les diverses interprétations des historicistes, additionnant les conjectures, ne font que compliquer le problème. De nombreux indices portent à croire que Jésus n'est qu'un mythe au même titre que Mithra ou Apollon. Qu'il est le fruit d'une élaboration théologique tardive. Ce courant a été dominé par les travaux de Couchoud, Alfaric, Las Vergnas, Fau, Ory.
Les trois derniers courants partagent l'idée que les Évangiles ont été écrits tardivement et que leurs auteurs ont contrefait l'histoire. Leur divergence porte seulement sur le fait que les uns suggèrent que Jésus est un homme divinisé, tandis que les autres estiment qu'il s'agit d'un Dieu humanisé.
Rejetant sans ambages la thèse traditionaliste, outrancière et antiscientifique, le Cercle Zététique n'a pas la prétention de trancher ici de façon définitive entre les autres options ni d'ériger un nouveau dogme historique. Néanmoins, il lui paraît anormal, sur un strict plan argumentaire, que la thèse mythiste soit aujourd'hui ignorée, méprisée, par les " professionnels de la profession ". Il lui semble même scandaleux qu'une telle thèse soit systématiquement occultée - et demeure ainsi inconnue du grand public.
Le CZ revendique le droit du public à une histoire démythifiée des religions, établie selon les critères habituels en usage en histoire. Il estime qu'il est dommageable que l'étude des origines chrétiennes reste un domaine réservé, dans lequel textes et documents échappent à une méthode critique de routine. Il réclame le droit des historiens à poser publiquement des questions qui ne souffrent pas débat pour des raisons injustifiées.
Au premier abord, la thèse mythiste paraît folle, excessive, impossible. Comme l'inexistence de Noé paraissait folle aux Hébreux (et aux catholiques il y a à peine un siècle) , comme celle d'Osiris paraissait excessive aux anciens Égyptiens, comme celle de Guillaume Tell paraissait impossible aux nationalistes suisses...
Pour donner au lecteur de ces lignes un aperçu des contreforts sur lesquels s'appuie la thèse mythiste, Paul-Éric Blanrue en annexe ci-après un bref exposé " initiatique ". Pour faciliter la lecture, les références ont été supprimées intentionnellement. Cet exposé reprend une partie du n°7 des Cahiers Zététiques. Il constitue aussi une introduction au n°15 d'Enquêtes Z, consacré à Jésus, qui paraîtra au printemps 2000 (50 FF).
Quelques éléments incitant à douter
de l'existence physique de Jésus Christ
Depuis quelques décennies, évoquer le caractère légendaire d'Adam ou de Noé ne pose plus de problème à l'Église. En revanche, soulever la question de l'historicité de Jésus suscite un malaise qui confine à la panique. Il n'est pas difficile de cerner les causes de ce malaise : l'historicité de Jésus Christ ne peut être mise en doute, les principaux événements de sa vie, ses paraboles, son enseignement ne peuvent être soumis à discussion, sans que l'on relativise en retour le pouvoir d'une institution gouvernant un milliard d'âmes. Contrairement à l'Ancien Testament, qui traite de la première Alliance passée entre Dieu et les hommes, Alliance qui dans la vision chrétienne du monde a échoué, le Nouveau Testament a la prétention de rendre compte de l'Alliance en vigueur aujourd'hui, du Plan de Salut destiné à nos générations depuis 2000 ans. Si la tirade du Christ au premier pape supposé (" Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église ") était reconnue interpolée, que faudrait-il penser de celui qui s'en proclame le successeur?
Ajoutons à cela qu'il existe un certain nombre de blocages dans le mode de fonctionnement de l'Église, qui l'empêchent de nuancer des affirmations essentielles - celles présentées à l'adhésion des fidèles comme " vérités de foi " par le magistère extraordinaire de l'Église (les dogmes, du grec dogma, opinion). Le vulgum pecus catholique n'a pas le droit de s'interroger à leur propos, puisqu'elles sont une partie intégrante de la Révélation. Or certaines font directement référence aux Écritures : la virginité de Marie, le sacrifice expiatoire de Jésus sur la Croix, son procès placé sous Pilate (seul personnage historique apparaissant dans le Credo)...
Pauvreté des sources profanes
Pour se faire une idée du Jésus historique, il faudrait d'abord chercher nos renseignements dans la littérature profane contemporaine des faits allégués, puisqu'elle seule n'est pas a priori altérée par des considérations religieuses. Mais les textes qu'on nous propose sont problématiques.
1) Carence des témoignages païens
Eusèbe a fait justice des Procès-verbaux de Pilate, dont se targue Tertullien. Nous ne possédons aucun acte officiel des autorités romaines se rapportant à Jésus.
Les auteurs du Ier siècle ne sont guère plus loquaces :
- Pline l'Ancien (23-79) ne souffle mot de Jésus ni d'une communauté chrétienne de Jérusalem, alors qu'il visite la Palestine trente ans après les événements supposés et qu'il prend soin de noter la présence des esséniens;
- même silence chez Perse (34-62), chez Martial (40-104), chez Sénèque (-4-65) bien qu'on ait fabriqué de toutes pièces une correspondance entre ce philosophe et St Paul ;
Les témoignages du IIe siècle nous sont d'une très faible utilité :
- Tacite (55-120), dans un texte de ses Annales, composé vers 115, aurait raconté la persécution des chrétiens de Rome par l'empereur Néron. Celui-ci les aurait accusé d'avoir allumé l'incendie qui ravagea la Ville en l'an 64. Tacite est censé avoir précisé que le nom de ces chrétiens " leur venait de Christ qui sous Tibère, fut livré au supplice par le procureur Ponce Pilate ". Mais, comme l'ont prouvé les historiens critiques, ce pseudo-témoignage est une interpolation;
- Pline le Jeune (62-114), gouverneur de Bythinie, demande à son ami l'empereur Trajan en 112 " comment il convient de se conduire à l'égard des chrétiens ". Mais il ne nous apprend rien sur l'existence de Jésus. Tout juste signale-t-il l'existence d'une communauté chrétienne au début du IIe siècle, mais l'on ne prouve pas l'historicité d'un dieu par la croyance de ses fidèles, sinon il faudrait croire à celle d'Hercule, de Marduk, d'Apollon, d'Asclépios dont les anciens vénéraient les tombeaux, respectivement à Cadix, Babylone, Delphes, Épidaure...;
- Suétone (69-125), dans sa Vie de Claude, écrit que l'empereur " chassa de Rome les juifs qui s'agitaient sans répit à l'instigation de Chrestus ". L'opération se passe en 50 - or l'on fait mourir Jésus aux alentours de l'an 30. De plus, Christos et Chrestos sont deux mots différents, l'un signifiant " l'oint " (désignant une personne consacrée), l'autre se traduisant par " le bon " et faisant parfois office de nom propre (le préfet du prétoire Ulpien avait un adjoint qui portait ce nom, par exemple). On ne tire pas grand chose de tels passages.
- les autres auteurs païens, comme Plutarque (46-120) ou Juvénal (60-140), sont d'un silence imperturbable sur la personne de Jésus.
2) Carence des témoignages juifs
Carence d'autant plus surprenante que Jésus doit avoir vécu parmi ce peuple et qu'il est l'un des siens.
- Aucune allusion dans Philon d'Alexandrie (-13-54), qui a écrit plus de cinquante traités, dont une Ère de Pilate, et dont la philosophie du Logos ressemble à s'y méprendre à celle des anciens chrétiens;
-Rien dans l'Histoire des Juifs de Juste de Tibériade, au nom qui rappelle sa Galilée natale, où il a vécu et combattu les Romains;
- Peut-on faire mention du témoignage de Flavius Josèphe (38-94)? Dans ses Antiquités judaïques, on a cru trouver un passage significatif où l'historien évoque en Jésus " un homme sage, si toutefois il est permis de l'appeler un homme ", qui " était le Messie ". Il est aujourd'hui établi que ce passage est une forgerie chrétienne que ce juif pharisaïque n'aurait pu écrire sans aussitôt " courir au baptême ". Origène (185-354) assure que Josèphe " n'a pas montré que Jésus est le Christ " : l'ajout a donc été effectué par la suite;
- Le prétendu témoignage du Talmud est inconsistant. Le recueil a été composé trop tard pour qu'on lui accorde créance. La légende du soldat romain Panthera et de la " prostituée juive " Marie, reprise plus tard par le païen Celse, n'est visiblement qu'une caricature des Évangiles et un morceau de polémique antichrétienne.
Que conclure du silence abyssal des auteurs profanes? Il nous permet dans un premier temps d'apprécier à leur juste valeur les allégations des apologistes traditionalistes, dont certains ne craignent pas d'écrire qu' " il n'est guère de ses contemporains (à Jésus), même illustres, sur lesquels nous soyons aussi bien renseignés " (Raffard de Brienne)! Au mieux, nous pouvons accorder que ces textes, lorsqu'ils n'ont pas été remaniés, nous narrent les débuts des premières communautés chrétiennes, dans le premier quart du IIe siècle. Ce dont personne n'avait douté, puisqu'il faut un début à tout...
Quant à la vie de Jésus proprement dite, à son enseignement, à sa mort sur la croix et à sa Résurrection, il faut se résigner à ne les chercher que dans les documents chrétiens. Ces documents constituent notre seule et unique source. Pouvons-nous nous y fier ?
Les Évangiles et la question de leur datation
1) Position du problème
Les sources chrétiennes dont nous disposons se réduisent au Nouveau Testament. Dans ce recueil de vingt-sept livres, seuls les quatre Évangiles (du grec eu-aggelion, " bonne nouvelle ") décrivent les épisodes détaillés de la vie de Jésus et nous entretiennent des grands traits de sa prédication. Les Actes des apôtres ne retracent que l'histoire des premières missions chrétiennes, l'Apocalypse est un livre ésotérique et les Épîtres sont des écrits épistolaires relatant les difficultés rencontrées par les apôtres dans la propagation de leur foi.
On ne sait rien des prétendus rédacteurs des Évangiles, Matthieu, Marc, Luc et Jean, sinon ce qu'en rapportent d'improbables traditions qui ne s'accordent pas sur leurs origines. Les exégètes catholiques ont garanti la teneur des Évangiles par le fait que tous quatre avaient été témoins privilégiés (et certains oculaires) des événements. Rien n'est moins sûr.
A défaut de connaître l'auteur d'un texte (ce qui est gênant mais non rédhibitoire), il faut au moins, pour juger de la crédibilité qu'il convient de lui attribuer, évaluer la date de composition de ce texte afin de s'assurer qu'elle ne s'éloigne pas trop des faits qu'il rapporte. Plus elle s'en écarte, plus les faits risquent d'être dénaturés.
Dans le cas des Évangiles, le problème de datation ressort de l'absence des originaux des documents. Les plus anciennes copies complètes, le codex Vaticanus et le codex Sinaïticus, ne remontent qu'au IVe siècle, rendant vaines analyses d'encre et études paléographiques. Les exégètes se sont donc lancés dans une étude interne, afin d'observer si le contenu des textes nous informait sur l'époque de leur rédaction. Beaucoup s'y sont cassé les dents. La question suscite de vives querelles car de la réponse qu'on y apporte dépend la valeur testimoniale des Évangiles. Les conséquences doctrinales ne sont pas minces.
2) Les Évangiles ne sont pas des " premières mains "
Le texte des Évangiles que nous lisons aujourd'hui n'est pas une " première main " qui nous serait parvenue ne varietur. Ce texte est l'aboutissement d'un effort rédactionnel de longue haleine, le résultat de couches successives.
Les exégètes ont remarqué que les trois premiers Évangiles, ceux attribués à Matthieu, Marc et Luc, se ressemblaient suffisamment pour qu'on puisse établir entre eux des correspondances lorsqu'on les répartissait sur des colonnes parallèles - d'où leur nom d' Évangiles synoptiques. Des études ont montré qu'ils n'avaient pas été copiés l'un sur l'autre, compte tenu des contradictions qui s'y dévoilent.
On est un temps parvenu à la conclusion que Marc était le plus ancien de tous parce qu'il se retrouvait en entier dans les deux autres. Le " plus " que Matthieu et Luc ont en commun porte essentiellement sur des questions d'enseignement : il leur serait venu d'une seconde source, appelée Q (de l'allemand Quelle, " source "), qui aurait été constituée des Logia de Jésus, c'est-à-dire des paroles que celui-ci aurait prononcées durant sa prédication, sans la narration qui les accompagne d'habitude (cette source restant hypothétique dans la mesure où personne ne l'a retrouvée.) Le " plus " qu'ils auraient chacun pris isolément résulterait de traditions parallèles.
Mais les exégètes ont découvert, en scrutant les répétitions injustifiées de l'Évangile dit " de Marc ", qu'on croyait jusqu' alors tiré des souvenirs de l'apôtre Pierre, qu'il était lui aussi un document composite, compilation d'au moins deux traditions antérieures.
Les choses se sont encore compliquées dès qu'il est apparu qu'en certains endroits Matthieu et Luc étaient plus anciens que Marc! Il y aurait donc eu une rédaction de Marc avant Matthieu et Luc - et une autre après. A moins que Matthieu et Luc n'aient préféré se plonger directement dans les sources de Marc? A partir de là, les hypothèses sont allées bon train.
De plus en plus d'exégètes avancent que les Évangiles se sont constitués à partir " de sources lointaines, au moyen de petites unités rassemblées peu à peu, parfois sans lien (...) ". Des clercs auraient " rassemblés les prétendus "mémoires" glanés dans les églises, puis les collections ainsi faites se sont retrouvées dans les Évangiles sans qu'il y ait eu reproduction servile d'un recueil constitué ", comme l'écrit J.K Watson en reprenant l'idée du jésuite X.L.Dufour.
De quand datent les plus anciennes unités, les couches les plus proches des événements qu'elles sont censées relater?
Certains ont cru à une rédaction antérieure à l'année 70 puisque Marc prophétise la ruine de Jérusalem qui eut lieu précisément cette année-là. L'argument n'est valable qu'à condition que l'on dispose aujourd'hui du texte original, ce qu'il importe justement de prouver - et il se retourne vite contre lui-même puisqu'il suppose que le don prophétique de Marc est authentique et non construit après coup pour les besoins de la démonstration. Repousser au IIe siècle la totalité de la rédaction initiale n'est guère plus probant, sinon comment expliquer les passages manifestement anciens où le retour glorieux du Fils de l'Homme est annoncé avant que ne prenne fin la " génération des disciples "?
Il apparaît néanmoins qu'entre la rédaction initiale des plus vieilles unités, leur rassemblement et leur composition définitive, les étapes se multiplient - et le temps s'allonge. De nombreux passages ont un caractère trop théologique pour être d'origine : la formule trinitaire de Matthieu, par exemple, suppose une élaboration doctrinale invraisemblable dans les premières communautés; le Tu es Petrus, ignoré au IIe siècle par les docteurs et les apologistes comme Clément d'Alexandrie ou Irénée de Lyon, implique un certain développement de l'institution ecclésiale etc.
Les remaniements se comptent par centaine. S'ils varient parfois d'un exégète à l'autre, il est absurde d'en nier la réalité, eux seuls permettant d'expliquer les innombrables contradictions contenues dans les Évangiles, les multiples Jésus qu'on a pu y trouver. Ils suffisent à interdire d'attribuer à chaque Évangile une date fixe. " Chaque verset a son âge ", écrivait G. Las Vergnas, et il paraît vain de chercher à suivre leur évolution pas à pas.
3) Le témoignage des Pères de l'Église
Il y a mieux que l'étude interne, qui fait grande part à la subjectivité : c'est d'interroger les plus anciens auteurs chrétiens sur leur connaissance des Évangiles. Par leurs premiers lecteurs, nous saurons l'ordre d'apparition de ceux-ci et leur contenu primitif. La méthode n'est pas parfaite, mais elle a l'avantage de reposer sur du concret, quoique lacunaire.
En ce qui concerne l'ordre d'apparition des Évangiles dans l'histoire, une période butoir apparaît au premier coup d'oeil : les années 170. Les quatre Évangiles sont connus du Fragment de Muratori, écrit aux alentours de cette date, du Diatessaron de Tatien, qui en fait un amalgame autour de 172, et de St Irénée, vers 185. Quel que soit le texte que l'on privilégie, il n'y a pas à revenir sur la certitude (autant qu'on peut en avoir en histoire) qu'à partir de cette période l'Église primitive connaît les récits de Matthieu, Marc, Luc et Jean et leur porte assez de considération pour les préférer à la soixantaine " d'apocryphes " qui jusque là leur était concurrents et que l'Église citait régulièrement au cours du IIe siècle.
Il est permis de penser qu'alors ces quatre Évangiles n'ont pas une grande ancienneté, puisque St Justin les ignore, vers 160 (il ne possède que les Logia pour bâtir sa Vie du Christ). Ce qui ne signifie pas, naturellement, que tout ait été inventé après lui, mais que la construction de l'édifice évangélique n'était pas achevée lorsqu'il écrivait.
Peut-on tenter une date haute à la mise en circuit des différentes briques qui ont servi à bâtir cet édifice? A supposer qu'il faille croire Eusèbe qui écrivait au IVe siècle et qui nous offre plus d'une fois des preuves de sa non-fiabilité, la mention la plus ancienne que l'on possède des Évangiles serait celle de l'évêque d'Hiérapolis, en Phrygie, Papias, vers 150. Encore celui-ci ne connaît-il que Marc et Matthieu. L'Evangélion de Marcion, écrit vers 140, les ignore : on a même été jusqu'à penser que Luc l'aurait copié en se démarquant des options gnostiques de l'hérétique, ce qui est fort possible.
Mais est-on assuré du contenu des Évangiles de cette époque? Non. Si le nom de quelques évangélistes est attesté, nous ne savons rien ou presque du contenu des Évangiles qui leur sont attribués. Papias a lu deux Évangiles différents de ceux que nous connaissons, jugeant par exemple Marc " désordonné ", alors qu'il est reconnu que celui-ci pèche au contraire par excès d'organisation. Les polémistes païens comme Celse, Porphyre ou Tryphas, dans des controverses acerbes, n'ont-ils pas rejoint les craintes des chrétiens tels que Denys de Corinthe ou Irénée de Lyon, en condamnant le trafic des textes? Ils nous incitent à penser que pendant assez longtemps de " pieux auteurs " ont remanié les textes à leur convenance. St Jérôme, au IVe siècle, se plaindra encore de la falsification et du mélange des Écritures (le pape le chargera d'ailleurs de les " harmoniser " dans une version latine).
Il devient donc très vraisemblable qu'à la seconde moitié du IIe siècle si des bribes d'Évangiles existent certainement, si le nom de certains auteurs leur est déjà accolé, nos quatre Évangiles ne sont pas encore définitivement constitués. Cette étape ne sera franchie, au mieux, que vers 170. Ce n'est toutefois qu'au IIIe concile de Carthage, en 397, que le Nouveau Testament prendra sa forme actuelle (sans l'Apocalypse, qui pose d'autres problèmes). Soit au IVe siècle.
Nous sommes loin des dates habituellement avancées : Marc vers 65-70, Matthieu vers 75-90, Luc vers 65-80... - plus loin encore de l'optimisme démesuré de Tresmontant qui affirme que le récit de Matthieu date d'avant 36! Dans le meilleur des cas, de telles échelles ne peuvent jamais que situer la rédaction des quelques premières bribes évoquées plus haut, mais leur importance doit être tenue pour négligeable.
La rédaction définitive des Évangiles est donc à chercher beaucoup plus tard, plus de 100 ans après les événements qu'ils entendent relater. Elle a été précipitée pour supplanter les hérésies qui se répandaient, ce dont convient St Irénée. Il fallait faire coïncider les Écritures avec la foi des premières communautés. L.Rougier écrivait : " Les Évangiles sont rédigés pour l'endoctrinement des néophytes, la réfutation des hérétiques, la confusion des juifs endurcis, les besoins de la liturgie ".
Comme ils n'ont été formés qu'en vertu de critères théologiques, en reprenant à leur compte un ensemble de traditions écrites et orales, dont le genre veut que la dominante soit hagiographique, les Évangiles nous renseignent davantage sur la foi des premiers chrétiens (ils en sont l'expression) que sur Jésus lui-même - si toutefois il a existé, ce dont nous sommes en droit de douter sérieusement comme nous allons le voir. Se frayer un chemin à travers les amplifications catéchétiques opérées par les correcteurs au cours des deux premiers siècles et les erreurs des copistes (on écrivait alors sans séparer les mots) relève de la gageure. Le prudent Père Lagrange estimait que les Évangiles étaient " insuffisants comme documents historiques pour écrire une histoire de Jésus Christ " : selon lui, ils en étaient plutôt un " reflet ". Un reflet déformant jusqu'à quel degré?
Les récits de la Nativité
1) date de naissance ?
L'Évangile de Marc, considéré comme le plus ancien par la plupart des spécialistes, n'en dit mot. L'Evangélion de Marcion, certainement antérieur aux Évangiles, raconte comment un Jésus déjà adulte descendit sur Terre autour des années 30. Phénomène curieux, ses adversaires du IIe siècle ne le réfutent par aucun argument de nature historique, aucun témoignage, mais par une prophétie d'Isaïe...
C'est donc peu avant la moitié du IIe siècle, que les fidèles commencent à réfléchir et à tenter de situer chronologiquement un fait qui aurait eu lieu environ 150 ans auparavant... D'où les contradictions étonnantes que rencontre l'exégète dans les récits évangéliques dits " de la Nativité " - et la question posée dès le début de la valeur testimoniale à leur accorder. Ne devrait-on pas penser qu'une date de naissance est un fait brut et non une élaboration théologique ultérieure?
Ces contradictions, par quelque biais qu'on les prennent, sont insurmontables. Elles ne peuvent en aucun cas s'accorder.
A première vue, Matthieu et Luc sont sur la même fréquence. Pour le premier, le Christ est né " au temps du roi Hérode ". Pour le second, Marie conçoit six mois après sa cousine qui, elle, conçoit " aux jours Hérode, roi de Judée ". Les deux évangélistes situent donc la naissance du Christ au plus tard en -4, puisque les historiens admettent qu'Hérode le Grand est mort à cette date .
Mais le même Luc (est-ce vraiment le même Luc, d'ailleurs?) vient tout compliquer. Il précise que Jésus vient au monde pendant le premier " recensement de Quirinius ", gouverneur de Syrie. Ce premier recensement est connu : il fut ordonné par Rome pour fixer les taxes directes en Judée, en 6 de notre ère. Ce qui fait au moins 10 ans d'écart avec la datation précédente. L'incompatibilité est totale : Jésus est au seuil de l'adolescence chez Matthieu tandis qu'il vient de naître chez Luc.
Luc nous apprend plus loin que Jean Baptiste prêche en " l'an quinze du principat de Tibère ", soit en 28, et que Jésus commence peu après sa vie publique à " environ trente ans ". Une soustraction suffit à démontrer qu'il se trompe, puisque 28-6 =22 et non " environ trente "... Encore une erreur de prés de 10 ans.
Voilà des estimations bien approximatives. Il est absolument certain qu'au moins un des deux évangélistes se trompe, si ce ne sont les deux à la fois.
Des chercheurs ont tenter de sauver la datation biblique. G.Messadié, par exemple, s'inspirant des travaux de Hughes, croit que l'étoile des mages est la conjonction spectaculaire, dans la constellation des Poissons, de Jupiter, la planète des rois, et de Saturne, le protecteur d'Israël. Cette conjonction, qui a eu lieu en -7, serait assez rare (elle se produit tous les 139 ans et tous les 900 ans dans la constellation du Poisson) pour avoir fortement marqué les esprits. Mais à moins de croire aux prédictions astrologiques, il n'y a à tirer de cette hypothèse si ce n'est l'inverse de ce que postulent ses auteurs : une date de naissance fabriquée après coup en raison de son symbolisme.
L'étoile qui guide les mages venus d'Orient vers l'enfant Jésus répond plutôt à la prophétie de Balaam : " Un astre issue de Jacob devient chef, un sceptre se lève issu d'Israël ", tandis que leur offrande répond à Isaïe. A noter que, dans les Évangiles, les mages ne sont pas au nombre de trois, ni même qualifiés de " rois ". Ces enluminures sont le fait des apocryphes. Les noms qui les ont popularisés n'apparaîtront qu'au VIIIe siècle (leur arrivée à l'Épiphanie correspond à l'antique fête des Saturnales, où l'on tirait au sort un roi-bouffon grâce à une fève placée dans un gâteau).
La computation du moine scythe Denys le Petit au VIe siècle, qui fit naître Jésus en l'an 1 et fixa l'ère chrétienne, ne repose ainsi que sur d'astucieuses jongleries dont le but était de démontrer la cohérence interne de récits qu'il était jugé inadmissible de penser contradictoires. Et voilà tout notre calendrier à revoir.
Ajoutons que la date du 25 décembre ne nous est livrée par aucun des Évangiles. Elle apparaît pour la première fois au IVe siècle. À l'époque, pour des raisons stratégiques aisément compréhensibles, l'Église de Rome crut habile de faire correspondre la naissance du Christ avec la naissance du dieu Mithra qu'on célébrait au solstice d'hiver sur la colline du Vatican (moment propice où le soleil effectue sa remontée dans le ciel, d'où son nom de Sol Invictus, fête du " soleil invaincu "), avec un léger retard de deux jours qui se retrouve aujourd'hui. La fameuse bûche de Noël est un vivant souvenir de cette tradition solaire indo-européenne. Avant de s'être métamorphosée en pâtisserie, cette bûche s'enflammait réellement dans l'âtre et restituait par analogie un peu de la lumière attendue depuis des mois.
Pour expliquer la date de naissance de Jésus rapportée par les évangélistes, le mythologue Guy Fau a soulevé une hypothèse qui a le mérite de coller à la mentalité et aux usages juifs du Ier siècle :
Les juifs, écrit-il, ne se contentaient pas d'attendre vaguement la venue du Messie, ils savaient à quelle époque il devait paraître, car des prophéties permettaient de prévoir la date de cet événement (...) Flavius Josèphe, écrivant avec prudence à l'usage des Romains, signale discrètement qu'une prophétie est à l'origine de la révolte de 67 : " Ce qui excita les Juifs à la guerre, c'était un oracle équivoque des Écritures annonçant qu'un homme sorti du pays deviendrait ALORS le maître du pays"(Guerre des Juifs, VI-5). Les Romains aussi connaissaient cette prophétie, et Suétone nous apprend qu'ils tentèrent de la détourner au profit de Vespasien : cela ne pouvait convenir aux juifs! Or l'oracle n'était pas du tout équivoque, mais fort clair ; il s'agit de la parole de Jacob : "Le sceptre ne sera pas ôté de Juda, ni le bâton de commandement d'entre ses pieds, jusqu'à ce que vienne Shiloh (l'Envoyé?), à qui tous les peuples obéiront " (Genèse, XLIX-10). Sous réserve de la traduction exacte de "Shiloh", qui a donné lieu à bien des commentaires mais où tout le monde s'accordait à voir une désignation du Messie, la date prévue peut être fixée avec exactitude. Le sceptre est sorti de Juda en -40, lorsque l'usurpateur Hérode (le grand) s'est fait reconnaître roi, avec l'appui des Romains, à la place du descendant légitime. Mais sous le règne d'Hérode, la Palestine est encore restée indépendante, il y avait encore une apparence de "sceptre". Par contre, cette apparence même a été détruite en +6, lorsqu'un procurateur romain s'installa en Judée. En négligeant le règne d'Hérode, sous lequel il ne s'était rien produit, le Messie devait donc paraître, soit à la mort d'Hérode (-4), soit, au plus tard, en +6. Et telle est l'origine des dates attribuées à la naissance de Jésus : Matthieu le fait naître dans la dernière année d'Hérode (-4), Luc au temps du recensement (+7), car on ne pouvait hésiter qu'entre ces deux dates, séparées par un intervalle de 10 ans. Sur le choix de la date exacte, il faut croire qu'on ne s'était pas mis d'accord (...) La naissance de Jésus n'est donc pas rattachée à un fait historique, mais à une prophétie.
Cette démonstration est assez éclairante.
2) Lieu de naissance ?
L'évangéliste présumé le plus ancien, Marc, donne à penser que Jésus est né à Nazareth, en Galilée, tandis que Matthieu et Luc le font naître à Bethléem en Judée : nouvelle contradiction . Comment trancher?
Allons pour Nazareth, en Galilée. Jésus n'est-il pas appelé " le Nazaréen "? Mais l'adjectif nazaréen entendu comme " homme du village de Nazareth " résulte d'une erreur de traduction de compilateurs tardifs. " De Nazareth " ou " nazaréthain " se traduit en grec par Nazarethenos, Nazarethanos, ou Nazarethaios et non par Nazarenos, Nazôraios ni même Nazarénos comme on le trouve dans les Évangiles (= " nazaréen "). Si dérivation il y avait, elle serait telle qu'elle prendrait figure d'exception. Le " nazaréen " se rapproche plus certainement du nâzir hébreu qui désigne " le saint " ou " le consacré ".
Circonstance aggravante pour Nazareth, aucun auteur du Ier siècle, juifs y compris, ne mentionne le nom de la bourgade. Elle n'apparaît dans les textes qu'à la fin du IIe siècle .
Jésus serait-il né à Bethléem? Pas si simple. A nouveau, il est tentant de se demander si, conformément à leurs traditions, les rédacteurs n'auraient pas cherché directement la réponse à leur question dans les textes prophétiques. On trouve chez Michée l'information que le Sauveur naîtra à Bethléem : " Et toi (Bethléem) Ephrata, le moindre des clans de Juda, c'est de toi que me naîtra celui qui doit régner sur Israël ". La bourgade est, ne l'oublions pas, celle dans laquelle David aurait reçu l'onction royale - riche symbole.
On sait qu'aux environs de Bethléem, des païens célébraient la naissance du dieu des céréales Tammouz (Adonis). Comme Hermès, Dionysos, Mithra ou Zeus, le dieu phénicien naissait dans une grotte, autre symbole, celui de la Terre-mère, de la matrice universelle - c'est bien ainsi, d'ailleurs, que nous représentons encore la crèche de Noël, popularisée au XIIIe siècle par St François d'Assise, à laquelle la tradition a ajouté le " boeuf et l'âne ", pour confirmer une prophétie d'Isaïe délaissée par les évangélistes. Les premières communautés chrétiennes ont donc investi ce site avec le désir de s'approprier un lieu sacré.
Non seulement on ne peut trancher en faveur de l'une ou de l'autre hypothèse mais elles apparaissent aussi invraisemblables l'une que l'autre. Contresens, reprise d'un mythe folklorique inséré dans la vie du Christ, justification a posteriori d'anciennes prophéties : autant de signes qui appellent à la méfiance.
3) Les parents de Jésus?
Si Matthieu, Luc et Jean désignent Joseph comme père de Jésus, il n'en va pas de même pour Marc, qui n'en dit pas un mot.
A en croire Matthieu et Luc, Joseph descend du roi David, ce qui est tout à fait dans la ligne des croyances messianiques de l'époque, mais il en descend par Jacob pour Matthieu et par Héli pour Luc. En remontant la généalogie jusqu'à Abraham, l'un compte 40 degrés, l'autre 56; de David à Jésus ; 26 noms sont recensés par le premier, 42 pour le second. C'est ennuyeux, surtout pour les absents : quelque 16 générations! Mais l'essentiel n'était-il pas que Zacharie ait annoncé que le Messie serait de la " maison de Joseph "?
Pour Marie, les renseignements sont aussi parcimonieux. Remarquons que l'on comprend mal l'intérêt de généalogies davidiques, si Joseph n'est que le père adoptif de Jésus, comme on l'enseigne. Cette contradiction ne s'explique que si les informations portant sur la virginité de Marie sont venues dans un second temps s'intégrer dans les récits de la Nativité. Marc reste d'ailleurs muet sur cette exception anatomique, dont la mariologie s'est emparée. Et l'apôtre Paul n'écrit-il pas que le Christ est " né d'une femme " - et non d'une vierge?
La virginité est typique du milieu gréco-romain où sont rédigés les Évangiles et dans lequel on cherchait à répandre la " bonne nouvelle ". Dans la mythologie païenne, Persée naît de Danaé fécondée par une pluie d'or, Apis est le fruit d'une génisse fécondée par un rayon de soleil, Attis naît de Nana après qu'elle a mangé une grenade... Les naissances miraculeuses étaient aussi attribuées aux sages et aux grands philosophes, tels que Pythagore, né d'Apollon et de la vierge Pythais, ou Platon, fils de Périctone et du même Apollon. Par ce procédé narratif, les anciens exprimaient couramment le caractère divin ou exceptionnel de l'être vénéré. Les chrétiens l'employèrent avec d'autant plus d'empressement que, dans leurs pays de mission, il apportait une preuve supplémentaire de la divinité de Jésus (ils croyaient en trouver une justification dans la Bible des Septante, qui semblait faire référence à une vierge à venir - problème : la Septane avait incorrectement traduit halamah, terme hébreu qui ne désigne pas une vierge mais une " jeune femme ").
Plus généralement, l'incarnation (le fait qu'un dieu prenne une apparence humaine) est profondément étrangère au monothéisme juif du Ier siècle, alors qu'elle est habituelle chez les païens depuis des millénaires. Ne songeons qu'aux pharaons d'Egypte.
D'autres mythes païens ont influencé les premiers chrétiens dans leur représentation des parents de Jésus. La résignation de Joseph à son sort peu enviable est identique à celle d'Amphitryon dont la femme Alcmène partage sa couche avec Zeus - Alcmène, qui a droit comme Marie à son Annonciation en la personne du prophète Tiresias, dont les paroles (" Réjouis-toi, toi qui a mis au monde le plus vaillant des hommes... ") rappellent étrangement celles de l'ange Gabriel : " Réjouis-toi, comblée de grâces (...) Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils (...). Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut ".
L'imagerie de Marie s'est aussi largement inspirée de la statutaire antique, des déesses à l'enfant et notamment des statues d'Isis, déesse égyptienne de la Lune, au manteau bleu constellé d'étoiles, qui tient serré dans ses bras l'enfant Horus emmailloté. Le mois de mai, aujourd'hui consacré à Marie, l'était naguère à Cybèle. Anahita aussi était dite Immaculée, l'Ishtar d'Arbèle était célébrée le 15 août, fête reprise plus tard par la mariologie... etc.
La Passion du Christ
1) La Cène
La Cène (du latin cena, " dîner ") serait le dernier repas pascal du Christ. Elle ouvre le cycle de la Passion, période au cours de laquelle, selon l'interprétation chrétienne, le Fils de Dieu endure des souffrances ayant valeur rédemptrice pour le genre humain.
Durant la Cène, Jésus, voyant sa mort arriver, aurait accompli les gestes et prononcé les paroles qui survivent aujourd'hui dans l'Eucharistie et donnent lieu à la communion des fidèles.
Laissons de côté la date pour nous concentrer sur le coeur du repas, les mets sacrés, le pain et le vin pris pour le corps et le sang du Christ, dont la consommation est censée être le gage de l'Alliance Nouvelle conclue entre Dieu et les hommes (" Prenez, mangez ceci est mon corps (...) ; Buvez-en tous ; car ceci est mon sang, le sang de l'alliance nouvelle qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés. ").
Ni ces mets, ni leur consommation ne constituent la révolution rituelle souvent décrite aujourd'hui. De tels rites sont des pratiques courantes au Ier siècle - et depuis longtemps - dans les religions à mystères. Asiatiques ou égyptiennes à l'origine, celles-ci ont progressivement envahi le monde gréco-romain quand se forment les premiers embryons du mouvement qui donnera le christianisme.
Comme leur étymologie l'indique, ces " mystères " étaient des cultes secrets, dans lesquels les initiés, ou mystes, s'assuraient le salut éternel par leur participation à la passion d'une divinité. Durant le déroulement du drame sacré, les mystes mangeaient la chair du dieu afin de mieux s'identifier à ses vertus et accéder plus facilement à la félicité divine. Dans les mystères grecs de Dionysos, il s'agissait de manger la chair crue d'un taureau ou d'un chevreau . S'y ajoutait l'absorption du sang dans les mystères du dieu iranien Mithra. On buvait aussi le sang divin dans le culte du dieu phrygien Attis. Avec le temps et du fait de leur coût important, ces aliments furent souvent remplacés par... du pain et du vin, la chair et le sang symbolisés. Dans les repas de communion d'Osiris, les paroles rituelles qui étaient prononcées ressemblent à s'y méprendre à celle de la Cène évangélique : " Tu es vin et tu n'es pas du vin mais les entrailles d'Osiris " - l'incarnation à laquelle fait référence ce papyrus étant clairement l'annonce de la transsubstantiation.
Ce qui surprend, dans les Évangiles, ce n'est pas tant la présence de ce rite, qui existait depuis des siècles, que son intrusion supposée en plein coeur d'Israël. Car la loi juive est implacable : il est formellement interdit de donner son sang à boire. Entorse gravissime aux prescriptions de la Thora, cette cérémonie était inconcevable dans le milieu des juifs de Palestine, rétifs à ce symbolisme sanguinaire d'essence païenne, qui bouleversait de fond en comble leurs coutumes. Les repas de " fraternité sainte " que pratiquaient les esséniens, dont on a voulu voir l'ancêtre direct de l'institution eucharistique, n'allaient pas aussi loin : tout au mieux ont-ils été un support. Le substrat de la communion chrétienne est visiblement étranger : il faut le chercher dans les usages des pays où les prosélytes ont recruté leurs premiers adeptes.
2) Le Procès
L. Rougier écrit : " Le récit du procès, en particulier, est un tissu de contradictions, d'incohérences, d'invraisemblances de la part d'écrivains qui ignorent tout de la juridiction du Sanhédrin, de la justice romaine et qu'anime le seul souci de faire retomber tout l'opprobre sur les juifs ".
Les contradictions entre les évangélistes surabondent à nouveau. Pour les synoptiques , ce sont les troupes juives aidées par la foule qui procèdent à l'arrestation de Jésus au Mont des Oliviers. Pour Jean , et pour lui seul, ce sont les forces romaines.
Le déroulement même du procès les divise. Marc et Matthieu évoquent deux comparutions devant le Sanhédrin, Luc se limite à une, et Jean n'en connaît aucune.
Ajoutons qu'aux dates indiquées par les évangélistes (la nuit précédent la Pâque), il était interdit au Tribunal de siéger.
Tout dans l'attitude de Pilate (le procurateur de Judée devant lequel le Sanhédrin aurait déféré Jésus après l'avoir jugé selon ses lois) est aussi invraisemblable et contraire aux usages.
Pourquoi envoie-t-il l'accusé au tétrarque de Galilée Hérode-Antipas, qui n'a aucun droit de juridiction en Judée?
Comment croire à la scène où il choisit de libérer le meurtrier Barabbas au lieu de relâcher l'homme qu'il vient publiquement d'innocenter? Pilate était un préfet tyrannique, sans état d'âme, que Rome a destitué plus tard en raison de ses outrances à l'encontre des samaritains. De plus, la coutume d'accorder aux juifs la grâce d'un prisonnier chaque veille de Pâque n'est confirmée par aucun document. Enfin, Barabbas signifie en araméen " le fils du père " : il s'agit manifestement d'un doublet de Jésus, dans la tradition juive des deux boucs (à l'occasion du Yom Kippour, un " bouc-émissaire ", tiré au sort et chargé des fautes d'Israël était lâché dans le désert tandis qu'un autre, " innocent " celui-là, était immolé à sa place hors de la ville, pour expier les fautes commises par son peuple. L'analogie est flagrante).
Que cette scène ait été imaginée dans le but d'exonérer les Romains de la mort du Christ pour accabler du même coup les juifs est hautement probable.
3) La mort (et la Résurrection)
La mort nécessaire du Messie était annoncée (elle aussi) par les prophètes de l'Ancien Testament. Et même dans le détail :
- il était écrit qu'il serait frappé de verges,
- qu'on lui cracherait à la figure,
- qu'il resterait stoïque dans l'adversité,
- qu'il mourrait entre des malfrats,
- que ses pieds et ses mains seraient déchiquetés,
- qu'aucun os ne lui serait brisé,
- que pour toute boisson on lui tendrait du vinaigre et du fiel,
- que ses habits seraient partagés,
- que son âme ne serait pas livrée au shéol et que son corps ne verrait pas la
corruption,
- qu'il revivrait au bout de trois jours etc., etc.
Toutes ces prophéties étaient consignées dans des recueils qui circulaient dans le monde juif de Palestine, auxquels se référaient ceux d'entre les croyants qui attendaient l'arrivée prochaine de leur libérateur. Ces messianistes étaient des groupes sectaires juifs (certains de leurs documents ont été retrouvés à Qumran), qui avaient élaboré une théologie axée sur le " Messie souffrant " tel que le présente Isaïe. Depuis le IIe siècle avant notre ère, ils vivaient dans l'attente imminente du retour du " Maître de Justice ". Il n'est pas étonnant de retrouver la saveur de leurs croyances dans les Évangiles.
Selon un spécialiste de l'étude des manuscrits de la mer Morte, Dupont-Sommer :
Le Maître galiléen (Jésus), tel que nous le présentent les écrits du Nouveau Testament, apparaît à bien des égards comme une étonnante réincarnation du Maître de Justice (prêtre juif, chef de la secte essénienne, mort vers -65). Comme celui-ci, il prêcha la pénitence, l'humilité, l'amour du prochain, la chasteté. Comme lui, il prescrivit d'observer la Loi de Moïse, toute la Loi, mais la Loi achevée, parfaite grâce à ses propres révélations. Comme lui, il fut l'Elu et le Messie de Dieu, le Messie rédempteur du monde. Comme lui, il fut en butte à l'hostilité des prêtres du parti des Sadducéens. Comme lui, il fut condamné et supplicié. Comme lui, il monta au ciel près de Dieu. Comme lui, à la fin des temps, il sera le nouveau juge.
G. Fau pose une pertinente question : " Quel crédit peut-on accorder à des récits composés exclusivement de textes préexistants ? (...) où est la tradition vivante ? Où sont les témoignages ? Où sont les faits ? ".
En effet, si l'on retire les événements qui n'ont pas fait l'objet d'une référence scripturaire, que reste-t-il du récit de la mort du Christ rapporté par les évangélistes?
- La croix? On la trouve dans de nombreuses religions antérieures au christianisme, sans parler de la croix cosmique de Platon, formée par le croisement des deux axes du monde, dont le gnosticisme reprend les éléments pour y placer le Logos ;
- La rédemption par le sacrifice d'un dieu? On la trouve dans les religions à mystères, où il est question d'un dieu souffrant qui meurt et ressuscite pour ses fidèles à l'équinoxe de printemps, à l'heure où la vie de la nature reprend ses droits sur l'hiver. Chaque année Tammouz (Adonis), Osiris, Attis mouraient (Attis, pendu à un pin) et ressuscitaient après trois jours. Durant leur " mort terrestre ", Adonis, Attis, la déesse Ishtar, Orphée, descendaient comme Jésus aux Enfers...
La plupart de ces dieux étaient salués du titre de " Seigneur " (ce qui se traduit en grec par Kyrios) titre que la communauté chrétienne d'Antioche et plus tard l'Église de Rome accorderont à Jésus. On leur attribuait la qualité de " Sauveur " (Sôter en grec), comme on le fera également pour le Christ.
Le plus ressemblant de ces dieux avec Jésus est sans conteste Mithra. Comme Jésus, il est considéré comme " Fils de la droite du Père brillant ". Comme Jésus, il a cette caractéristique rare d'être célibataire. Lui aussi meurt puis ressuscite. Lui aussi revient à la fin des temps pour juger " les vivants et les morts ", lesquels ressusciteront à leur tour dans la chair. Son culte comprend un repas commémoratif et un baptême d'initiation.
La parenté du christianisme naissant avec les mystères est à demi-avouée par l'apôtre Paul, premier diffuseur de la doctrine, évoquant la " révélation d'un mystère enveloppé d'un silence aux siècles éternels, aujourd'hui manifesté. "
Toute la substance des Évangiles serait-elle servilement recopiée?
Non. Pas plus que l'Ancien Testament, le Nouveau n'est un vulgaire plagiat. Il a son style, sa qualité littéraire, une faculté évidente d'adaptation (le syncrétisme est le propre des religions universalistes, mais le christianisme a eu le génie de parvenir à concilier des traditions qu'a priori tout opposait), il a développé un type d'universalisme peu restrictif (le culte de Mithra s'adressait aux seuls hommes) et mis l'accent sur " l'esprit d'amour " comme peu de religions auparavant. En bref, il est parvenu à naviguer sur son erre.
Ce qui est profondément gênant, toutefois, si l'on décide de lire le Nouveau Testament avec un oeil d'historien, c'est que lorsque sont enlevés les emprunts et les invraisemblances, il semble ne rester - rien.
Tout le débat repose sur l'acception et l'étendue du verbe " sembler ".
Paul-Éric Blanrue
Jésus :
info ou intox?
" Le doute est le premier pas vers la science ou la vérité; celui qui ne discute rien ne s'assure de rien; celui qui ne doute de rien ne découvre rien ".
Diderot, phrases (censurées) de l'Encyclopédie.
Le 25 décembre 1999 s'est ouvert le Grand Jubilé catholique. Pendant un an, l'Église va célébrer avec faste la naissance du Christ. A cette occasion, le Cercle Zététique décide d'aborder un sujet brûlant. Attentif aux démonstrations fondées sur le concret, il décide de poser franchement la question à laquelle personne ne pense :
Jésus-Christ a-t-il existé?
Constatant avec regret que, malgré quelques tentatives de débat au début du XXe siècle, ce sujet reste délaissé par les spécialistes d'histoire ancienne, il lui semble qu'il est plus que temps de s'interroger en profondeur sur le principal mythe fondateur de notre civilisation et de faire participer le public à cette réflexion.
Sur l'existence de Jésus, les thèses se segmentent en cinq grandes tendances :
* La thèse traditionaliste : pour la frange conservatrice des catholiques et les intégristes, tout ce qui est consigné dans les Évangiles est absolument authentique. Ces récits sont de parfaits documents historiques, rédigés par des témoins directs, inspirés par le Saint Esprit. Les contradictions que l'on y découvre ne sont qu'apparentes. Cette thèse fait de nos jours un retour en force, avec les publications à prétention scientifique de chercheurs chrétiens tels que Thiede.
* La thèse séculariste : le Jésus dépeint dans les Évangiles ressemble de près au Jésus ayant existé au Ier siècle de notre ère, mais certains détails plus ou moins légendaires ont été ajoutés (naissance virginale, certaines paraboles, les miracles etc. - selon l'optique des auteurs, la Résurrection fait ou non partie de ces détails). C'est la thèse prédominante aujourd'hui (Stanton, Duquesne,...). Elle est consignée dans les manuels scolaires.
* La thèse cryptique : Jésus a existé, mais il n'a pas du tout été l'homme représenté par les évangélistes. Selon les interprétations, il a été un révolutionnaire, un Juif millénariste, un sicaire, un zélote etc. Un tel point de vue a été partagé par l'ex-abbé Turmel, Eisler, Rougier,...
* La thèse minimaliste : Jésus a existé, mais on ne peut avec certitude le dépeindre tel qu'il était, ni décrire ce qu'il a accompli, car le mythe a entièrement recouvert le personnage. C'est l'option choisie par Loisy et Guignebert.
* La thèse mythiste : Jésus n'a pas existé. Aucun document probant n'atteste son existence. Les diverses interprétations des historicistes, additionnant les conjectures, ne font que compliquer le problème. De nombreux indices portent à croire que Jésus n'est qu'un mythe au même titre que Mithra ou Apollon. Qu'il est le fruit d'une élaboration théologique tardive. Ce courant a été dominé par les travaux de Couchoud, Alfaric, Las Vergnas, Fau, Ory.
Les trois derniers courants partagent l'idée que les Évangiles ont été écrits tardivement et que leurs auteurs ont contrefait l'histoire. Leur divergence porte seulement sur le fait que les uns suggèrent que Jésus est un homme divinisé, tandis que les autres estiment qu'il s'agit d'un Dieu humanisé.
Rejetant sans ambages la thèse traditionaliste, outrancière et antiscientifique, le Cercle Zététique n'a pas la prétention de trancher ici de façon définitive entre les autres options ni d'ériger un nouveau dogme historique. Néanmoins, il lui paraît anormal, sur un strict plan argumentaire, que la thèse mythiste soit aujourd'hui ignorée, méprisée, par les " professionnels de la profession ". Il lui semble même scandaleux qu'une telle thèse soit systématiquement occultée - et demeure ainsi inconnue du grand public.
Le CZ revendique le droit du public à une histoire démythifiée des religions, établie selon les critères habituels en usage en histoire. Il estime qu'il est dommageable que l'étude des origines chrétiennes reste un domaine réservé, dans lequel textes et documents échappent à une méthode critique de routine. Il réclame le droit des historiens à poser publiquement des questions qui ne souffrent pas débat pour des raisons injustifiées.
Au premier abord, la thèse mythiste paraît folle, excessive, impossible. Comme l'inexistence de Noé paraissait folle aux Hébreux (et aux catholiques il y a à peine un siècle) , comme celle d'Osiris paraissait excessive aux anciens Égyptiens, comme celle de Guillaume Tell paraissait impossible aux nationalistes suisses...
Pour donner au lecteur de ces lignes un aperçu des contreforts sur lesquels s'appuie la thèse mythiste, Paul-Éric Blanrue en annexe ci-après un bref exposé " initiatique ". Pour faciliter la lecture, les références ont été supprimées intentionnellement. Cet exposé reprend une partie du n°7 des Cahiers Zététiques. Il constitue aussi une introduction au n°15 d'Enquêtes Z, consacré à Jésus, qui paraîtra au printemps 2000 (50 FF).
Quelques éléments incitant à douter
de l'existence physique de Jésus Christ
Depuis quelques décennies, évoquer le caractère légendaire d'Adam ou de Noé ne pose plus de problème à l'Église. En revanche, soulever la question de l'historicité de Jésus suscite un malaise qui confine à la panique. Il n'est pas difficile de cerner les causes de ce malaise : l'historicité de Jésus Christ ne peut être mise en doute, les principaux événements de sa vie, ses paraboles, son enseignement ne peuvent être soumis à discussion, sans que l'on relativise en retour le pouvoir d'une institution gouvernant un milliard d'âmes. Contrairement à l'Ancien Testament, qui traite de la première Alliance passée entre Dieu et les hommes, Alliance qui dans la vision chrétienne du monde a échoué, le Nouveau Testament a la prétention de rendre compte de l'Alliance en vigueur aujourd'hui, du Plan de Salut destiné à nos générations depuis 2000 ans. Si la tirade du Christ au premier pape supposé (" Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église ") était reconnue interpolée, que faudrait-il penser de celui qui s'en proclame le successeur?
Ajoutons à cela qu'il existe un certain nombre de blocages dans le mode de fonctionnement de l'Église, qui l'empêchent de nuancer des affirmations essentielles - celles présentées à l'adhésion des fidèles comme " vérités de foi " par le magistère extraordinaire de l'Église (les dogmes, du grec dogma, opinion). Le vulgum pecus catholique n'a pas le droit de s'interroger à leur propos, puisqu'elles sont une partie intégrante de la Révélation. Or certaines font directement référence aux Écritures : la virginité de Marie, le sacrifice expiatoire de Jésus sur la Croix, son procès placé sous Pilate (seul personnage historique apparaissant dans le Credo)...
Pauvreté des sources profanes
Pour se faire une idée du Jésus historique, il faudrait d'abord chercher nos renseignements dans la littérature profane contemporaine des faits allégués, puisqu'elle seule n'est pas a priori altérée par des considérations religieuses. Mais les textes qu'on nous propose sont problématiques.
1) Carence des témoignages païens
Eusèbe a fait justice des Procès-verbaux de Pilate, dont se targue Tertullien. Nous ne possédons aucun acte officiel des autorités romaines se rapportant à Jésus.
Les auteurs du Ier siècle ne sont guère plus loquaces :
- Pline l'Ancien (23-79) ne souffle mot de Jésus ni d'une communauté chrétienne de Jérusalem, alors qu'il visite la Palestine trente ans après les événements supposés et qu'il prend soin de noter la présence des esséniens;
- même silence chez Perse (34-62), chez Martial (40-104), chez Sénèque (-4-65) bien qu'on ait fabriqué de toutes pièces une correspondance entre ce philosophe et St Paul ;
Les témoignages du IIe siècle nous sont d'une très faible utilité :
- Tacite (55-120), dans un texte de ses Annales, composé vers 115, aurait raconté la persécution des chrétiens de Rome par l'empereur Néron. Celui-ci les aurait accusé d'avoir allumé l'incendie qui ravagea la Ville en l'an 64. Tacite est censé avoir précisé que le nom de ces chrétiens " leur venait de Christ qui sous Tibère, fut livré au supplice par le procureur Ponce Pilate ". Mais, comme l'ont prouvé les historiens critiques, ce pseudo-témoignage est une interpolation;
- Pline le Jeune (62-114), gouverneur de Bythinie, demande à son ami l'empereur Trajan en 112 " comment il convient de se conduire à l'égard des chrétiens ". Mais il ne nous apprend rien sur l'existence de Jésus. Tout juste signale-t-il l'existence d'une communauté chrétienne au début du IIe siècle, mais l'on ne prouve pas l'historicité d'un dieu par la croyance de ses fidèles, sinon il faudrait croire à celle d'Hercule, de Marduk, d'Apollon, d'Asclépios dont les anciens vénéraient les tombeaux, respectivement à Cadix, Babylone, Delphes, Épidaure...;
- Suétone (69-125), dans sa Vie de Claude, écrit que l'empereur " chassa de Rome les juifs qui s'agitaient sans répit à l'instigation de Chrestus ". L'opération se passe en 50 - or l'on fait mourir Jésus aux alentours de l'an 30. De plus, Christos et Chrestos sont deux mots différents, l'un signifiant " l'oint " (désignant une personne consacrée), l'autre se traduisant par " le bon " et faisant parfois office de nom propre (le préfet du prétoire Ulpien avait un adjoint qui portait ce nom, par exemple). On ne tire pas grand chose de tels passages.
- les autres auteurs païens, comme Plutarque (46-120) ou Juvénal (60-140), sont d'un silence imperturbable sur la personne de Jésus.
2) Carence des témoignages juifs
Carence d'autant plus surprenante que Jésus doit avoir vécu parmi ce peuple et qu'il est l'un des siens.
- Aucune allusion dans Philon d'Alexandrie (-13-54), qui a écrit plus de cinquante traités, dont une Ère de Pilate, et dont la philosophie du Logos ressemble à s'y méprendre à celle des anciens chrétiens;
-Rien dans l'Histoire des Juifs de Juste de Tibériade, au nom qui rappelle sa Galilée natale, où il a vécu et combattu les Romains;
- Peut-on faire mention du témoignage de Flavius Josèphe (38-94)? Dans ses Antiquités judaïques, on a cru trouver un passage significatif où l'historien évoque en Jésus " un homme sage, si toutefois il est permis de l'appeler un homme ", qui " était le Messie ". Il est aujourd'hui établi que ce passage est une forgerie chrétienne que ce juif pharisaïque n'aurait pu écrire sans aussitôt " courir au baptême ". Origène (185-354) assure que Josèphe " n'a pas montré que Jésus est le Christ " : l'ajout a donc été effectué par la suite;
- Le prétendu témoignage du Talmud est inconsistant. Le recueil a été composé trop tard pour qu'on lui accorde créance. La légende du soldat romain Panthera et de la " prostituée juive " Marie, reprise plus tard par le païen Celse, n'est visiblement qu'une caricature des Évangiles et un morceau de polémique antichrétienne.
Que conclure du silence abyssal des auteurs profanes? Il nous permet dans un premier temps d'apprécier à leur juste valeur les allégations des apologistes traditionalistes, dont certains ne craignent pas d'écrire qu' " il n'est guère de ses contemporains (à Jésus), même illustres, sur lesquels nous soyons aussi bien renseignés " (Raffard de Brienne)! Au mieux, nous pouvons accorder que ces textes, lorsqu'ils n'ont pas été remaniés, nous narrent les débuts des premières communautés chrétiennes, dans le premier quart du IIe siècle. Ce dont personne n'avait douté, puisqu'il faut un début à tout...
Quant à la vie de Jésus proprement dite, à son enseignement, à sa mort sur la croix et à sa Résurrection, il faut se résigner à ne les chercher que dans les documents chrétiens. Ces documents constituent notre seule et unique source. Pouvons-nous nous y fier ?
Les Évangiles et la question de leur datation
1) Position du problème
Les sources chrétiennes dont nous disposons se réduisent au Nouveau Testament. Dans ce recueil de vingt-sept livres, seuls les quatre Évangiles (du grec eu-aggelion, " bonne nouvelle ") décrivent les épisodes détaillés de la vie de Jésus et nous entretiennent des grands traits de sa prédication. Les Actes des apôtres ne retracent que l'histoire des premières missions chrétiennes, l'Apocalypse est un livre ésotérique et les Épîtres sont des écrits épistolaires relatant les difficultés rencontrées par les apôtres dans la propagation de leur foi.
On ne sait rien des prétendus rédacteurs des Évangiles, Matthieu, Marc, Luc et Jean, sinon ce qu'en rapportent d'improbables traditions qui ne s'accordent pas sur leurs origines. Les exégètes catholiques ont garanti la teneur des Évangiles par le fait que tous quatre avaient été témoins privilégiés (et certains oculaires) des événements. Rien n'est moins sûr.
A défaut de connaître l'auteur d'un texte (ce qui est gênant mais non rédhibitoire), il faut au moins, pour juger de la crédibilité qu'il convient de lui attribuer, évaluer la date de composition de ce texte afin de s'assurer qu'elle ne s'éloigne pas trop des faits qu'il rapporte. Plus elle s'en écarte, plus les faits risquent d'être dénaturés.
Dans le cas des Évangiles, le problème de datation ressort de l'absence des originaux des documents. Les plus anciennes copies complètes, le codex Vaticanus et le codex Sinaïticus, ne remontent qu'au IVe siècle, rendant vaines analyses d'encre et études paléographiques. Les exégètes se sont donc lancés dans une étude interne, afin d'observer si le contenu des textes nous informait sur l'époque de leur rédaction. Beaucoup s'y sont cassé les dents. La question suscite de vives querelles car de la réponse qu'on y apporte dépend la valeur testimoniale des Évangiles. Les conséquences doctrinales ne sont pas minces.
2) Les Évangiles ne sont pas des " premières mains "
Le texte des Évangiles que nous lisons aujourd'hui n'est pas une " première main " qui nous serait parvenue ne varietur. Ce texte est l'aboutissement d'un effort rédactionnel de longue haleine, le résultat de couches successives.
Les exégètes ont remarqué que les trois premiers Évangiles, ceux attribués à Matthieu, Marc et Luc, se ressemblaient suffisamment pour qu'on puisse établir entre eux des correspondances lorsqu'on les répartissait sur des colonnes parallèles - d'où leur nom d' Évangiles synoptiques. Des études ont montré qu'ils n'avaient pas été copiés l'un sur l'autre, compte tenu des contradictions qui s'y dévoilent.
On est un temps parvenu à la conclusion que Marc était le plus ancien de tous parce qu'il se retrouvait en entier dans les deux autres. Le " plus " que Matthieu et Luc ont en commun porte essentiellement sur des questions d'enseignement : il leur serait venu d'une seconde source, appelée Q (de l'allemand Quelle, " source "), qui aurait été constituée des Logia de Jésus, c'est-à-dire des paroles que celui-ci aurait prononcées durant sa prédication, sans la narration qui les accompagne d'habitude (cette source restant hypothétique dans la mesure où personne ne l'a retrouvée.) Le " plus " qu'ils auraient chacun pris isolément résulterait de traditions parallèles.
Mais les exégètes ont découvert, en scrutant les répétitions injustifiées de l'Évangile dit " de Marc ", qu'on croyait jusqu' alors tiré des souvenirs de l'apôtre Pierre, qu'il était lui aussi un document composite, compilation d'au moins deux traditions antérieures.
Les choses se sont encore compliquées dès qu'il est apparu qu'en certains endroits Matthieu et Luc étaient plus anciens que Marc! Il y aurait donc eu une rédaction de Marc avant Matthieu et Luc - et une autre après. A moins que Matthieu et Luc n'aient préféré se plonger directement dans les sources de Marc? A partir de là, les hypothèses sont allées bon train.
De plus en plus d'exégètes avancent que les Évangiles se sont constitués à partir " de sources lointaines, au moyen de petites unités rassemblées peu à peu, parfois sans lien (...) ". Des clercs auraient " rassemblés les prétendus "mémoires" glanés dans les églises, puis les collections ainsi faites se sont retrouvées dans les Évangiles sans qu'il y ait eu reproduction servile d'un recueil constitué ", comme l'écrit J.K Watson en reprenant l'idée du jésuite X.L.Dufour.
De quand datent les plus anciennes unités, les couches les plus proches des événements qu'elles sont censées relater?
Certains ont cru à une rédaction antérieure à l'année 70 puisque Marc prophétise la ruine de Jérusalem qui eut lieu précisément cette année-là. L'argument n'est valable qu'à condition que l'on dispose aujourd'hui du texte original, ce qu'il importe justement de prouver - et il se retourne vite contre lui-même puisqu'il suppose que le don prophétique de Marc est authentique et non construit après coup pour les besoins de la démonstration. Repousser au IIe siècle la totalité de la rédaction initiale n'est guère plus probant, sinon comment expliquer les passages manifestement anciens où le retour glorieux du Fils de l'Homme est annoncé avant que ne prenne fin la " génération des disciples "?
Il apparaît néanmoins qu'entre la rédaction initiale des plus vieilles unités, leur rassemblement et leur composition définitive, les étapes se multiplient - et le temps s'allonge. De nombreux passages ont un caractère trop théologique pour être d'origine : la formule trinitaire de Matthieu, par exemple, suppose une élaboration doctrinale invraisemblable dans les premières communautés; le Tu es Petrus, ignoré au IIe siècle par les docteurs et les apologistes comme Clément d'Alexandrie ou Irénée de Lyon, implique un certain développement de l'institution ecclésiale etc.
Les remaniements se comptent par centaine. S'ils varient parfois d'un exégète à l'autre, il est absurde d'en nier la réalité, eux seuls permettant d'expliquer les innombrables contradictions contenues dans les Évangiles, les multiples Jésus qu'on a pu y trouver. Ils suffisent à interdire d'attribuer à chaque Évangile une date fixe. " Chaque verset a son âge ", écrivait G. Las Vergnas, et il paraît vain de chercher à suivre leur évolution pas à pas.
3) Le témoignage des Pères de l'Église
Il y a mieux que l'étude interne, qui fait grande part à la subjectivité : c'est d'interroger les plus anciens auteurs chrétiens sur leur connaissance des Évangiles. Par leurs premiers lecteurs, nous saurons l'ordre d'apparition de ceux-ci et leur contenu primitif. La méthode n'est pas parfaite, mais elle a l'avantage de reposer sur du concret, quoique lacunaire.
En ce qui concerne l'ordre d'apparition des Évangiles dans l'histoire, une période butoir apparaît au premier coup d'oeil : les années 170. Les quatre Évangiles sont connus du Fragment de Muratori, écrit aux alentours de cette date, du Diatessaron de Tatien, qui en fait un amalgame autour de 172, et de St Irénée, vers 185. Quel que soit le texte que l'on privilégie, il n'y a pas à revenir sur la certitude (autant qu'on peut en avoir en histoire) qu'à partir de cette période l'Église primitive connaît les récits de Matthieu, Marc, Luc et Jean et leur porte assez de considération pour les préférer à la soixantaine " d'apocryphes " qui jusque là leur était concurrents et que l'Église citait régulièrement au cours du IIe siècle.
Il est permis de penser qu'alors ces quatre Évangiles n'ont pas une grande ancienneté, puisque St Justin les ignore, vers 160 (il ne possède que les Logia pour bâtir sa Vie du Christ). Ce qui ne signifie pas, naturellement, que tout ait été inventé après lui, mais que la construction de l'édifice évangélique n'était pas achevée lorsqu'il écrivait.
Peut-on tenter une date haute à la mise en circuit des différentes briques qui ont servi à bâtir cet édifice? A supposer qu'il faille croire Eusèbe qui écrivait au IVe siècle et qui nous offre plus d'une fois des preuves de sa non-fiabilité, la mention la plus ancienne que l'on possède des Évangiles serait celle de l'évêque d'Hiérapolis, en Phrygie, Papias, vers 150. Encore celui-ci ne connaît-il que Marc et Matthieu. L'Evangélion de Marcion, écrit vers 140, les ignore : on a même été jusqu'à penser que Luc l'aurait copié en se démarquant des options gnostiques de l'hérétique, ce qui est fort possible.
Mais est-on assuré du contenu des Évangiles de cette époque? Non. Si le nom de quelques évangélistes est attesté, nous ne savons rien ou presque du contenu des Évangiles qui leur sont attribués. Papias a lu deux Évangiles différents de ceux que nous connaissons, jugeant par exemple Marc " désordonné ", alors qu'il est reconnu que celui-ci pèche au contraire par excès d'organisation. Les polémistes païens comme Celse, Porphyre ou Tryphas, dans des controverses acerbes, n'ont-ils pas rejoint les craintes des chrétiens tels que Denys de Corinthe ou Irénée de Lyon, en condamnant le trafic des textes? Ils nous incitent à penser que pendant assez longtemps de " pieux auteurs " ont remanié les textes à leur convenance. St Jérôme, au IVe siècle, se plaindra encore de la falsification et du mélange des Écritures (le pape le chargera d'ailleurs de les " harmoniser " dans une version latine).
Il devient donc très vraisemblable qu'à la seconde moitié du IIe siècle si des bribes d'Évangiles existent certainement, si le nom de certains auteurs leur est déjà accolé, nos quatre Évangiles ne sont pas encore définitivement constitués. Cette étape ne sera franchie, au mieux, que vers 170. Ce n'est toutefois qu'au IIIe concile de Carthage, en 397, que le Nouveau Testament prendra sa forme actuelle (sans l'Apocalypse, qui pose d'autres problèmes). Soit au IVe siècle.
Nous sommes loin des dates habituellement avancées : Marc vers 65-70, Matthieu vers 75-90, Luc vers 65-80... - plus loin encore de l'optimisme démesuré de Tresmontant qui affirme que le récit de Matthieu date d'avant 36! Dans le meilleur des cas, de telles échelles ne peuvent jamais que situer la rédaction des quelques premières bribes évoquées plus haut, mais leur importance doit être tenue pour négligeable.
La rédaction définitive des Évangiles est donc à chercher beaucoup plus tard, plus de 100 ans après les événements qu'ils entendent relater. Elle a été précipitée pour supplanter les hérésies qui se répandaient, ce dont convient St Irénée. Il fallait faire coïncider les Écritures avec la foi des premières communautés. L.Rougier écrivait : " Les Évangiles sont rédigés pour l'endoctrinement des néophytes, la réfutation des hérétiques, la confusion des juifs endurcis, les besoins de la liturgie ".
Comme ils n'ont été formés qu'en vertu de critères théologiques, en reprenant à leur compte un ensemble de traditions écrites et orales, dont le genre veut que la dominante soit hagiographique, les Évangiles nous renseignent davantage sur la foi des premiers chrétiens (ils en sont l'expression) que sur Jésus lui-même - si toutefois il a existé, ce dont nous sommes en droit de douter sérieusement comme nous allons le voir. Se frayer un chemin à travers les amplifications catéchétiques opérées par les correcteurs au cours des deux premiers siècles et les erreurs des copistes (on écrivait alors sans séparer les mots) relève de la gageure. Le prudent Père Lagrange estimait que les Évangiles étaient " insuffisants comme documents historiques pour écrire une histoire de Jésus Christ " : selon lui, ils en étaient plutôt un " reflet ". Un reflet déformant jusqu'à quel degré?
Les récits de la Nativité
1) date de naissance ?
L'Évangile de Marc, considéré comme le plus ancien par la plupart des spécialistes, n'en dit mot. L'Evangélion de Marcion, certainement antérieur aux Évangiles, raconte comment un Jésus déjà adulte descendit sur Terre autour des années 30. Phénomène curieux, ses adversaires du IIe siècle ne le réfutent par aucun argument de nature historique, aucun témoignage, mais par une prophétie d'Isaïe...
C'est donc peu avant la moitié du IIe siècle, que les fidèles commencent à réfléchir et à tenter de situer chronologiquement un fait qui aurait eu lieu environ 150 ans auparavant... D'où les contradictions étonnantes que rencontre l'exégète dans les récits évangéliques dits " de la Nativité " - et la question posée dès le début de la valeur testimoniale à leur accorder. Ne devrait-on pas penser qu'une date de naissance est un fait brut et non une élaboration théologique ultérieure?
Ces contradictions, par quelque biais qu'on les prennent, sont insurmontables. Elles ne peuvent en aucun cas s'accorder.
A première vue, Matthieu et Luc sont sur la même fréquence. Pour le premier, le Christ est né " au temps du roi Hérode ". Pour le second, Marie conçoit six mois après sa cousine qui, elle, conçoit " aux jours Hérode, roi de Judée ". Les deux évangélistes situent donc la naissance du Christ au plus tard en -4, puisque les historiens admettent qu'Hérode le Grand est mort à cette date .
Mais le même Luc (est-ce vraiment le même Luc, d'ailleurs?) vient tout compliquer. Il précise que Jésus vient au monde pendant le premier " recensement de Quirinius ", gouverneur de Syrie. Ce premier recensement est connu : il fut ordonné par Rome pour fixer les taxes directes en Judée, en 6 de notre ère. Ce qui fait au moins 10 ans d'écart avec la datation précédente. L'incompatibilité est totale : Jésus est au seuil de l'adolescence chez Matthieu tandis qu'il vient de naître chez Luc.
Luc nous apprend plus loin que Jean Baptiste prêche en " l'an quinze du principat de Tibère ", soit en 28, et que Jésus commence peu après sa vie publique à " environ trente ans ". Une soustraction suffit à démontrer qu'il se trompe, puisque 28-6 =22 et non " environ trente "... Encore une erreur de prés de 10 ans.
Voilà des estimations bien approximatives. Il est absolument certain qu'au moins un des deux évangélistes se trompe, si ce ne sont les deux à la fois.
Des chercheurs ont tenter de sauver la datation biblique. G.Messadié, par exemple, s'inspirant des travaux de Hughes, croit que l'étoile des mages est la conjonction spectaculaire, dans la constellation des Poissons, de Jupiter, la planète des rois, et de Saturne, le protecteur d'Israël. Cette conjonction, qui a eu lieu en -7, serait assez rare (elle se produit tous les 139 ans et tous les 900 ans dans la constellation du Poisson) pour avoir fortement marqué les esprits. Mais à moins de croire aux prédictions astrologiques, il n'y a à tirer de cette hypothèse si ce n'est l'inverse de ce que postulent ses auteurs : une date de naissance fabriquée après coup en raison de son symbolisme.
L'étoile qui guide les mages venus d'Orient vers l'enfant Jésus répond plutôt à la prophétie de Balaam : " Un astre issue de Jacob devient chef, un sceptre se lève issu d'Israël ", tandis que leur offrande répond à Isaïe. A noter que, dans les Évangiles, les mages ne sont pas au nombre de trois, ni même qualifiés de " rois ". Ces enluminures sont le fait des apocryphes. Les noms qui les ont popularisés n'apparaîtront qu'au VIIIe siècle (leur arrivée à l'Épiphanie correspond à l'antique fête des Saturnales, où l'on tirait au sort un roi-bouffon grâce à une fève placée dans un gâteau).
La computation du moine scythe Denys le Petit au VIe siècle, qui fit naître Jésus en l'an 1 et fixa l'ère chrétienne, ne repose ainsi que sur d'astucieuses jongleries dont le but était de démontrer la cohérence interne de récits qu'il était jugé inadmissible de penser contradictoires. Et voilà tout notre calendrier à revoir.
Ajoutons que la date du 25 décembre ne nous est livrée par aucun des Évangiles. Elle apparaît pour la première fois au IVe siècle. À l'époque, pour des raisons stratégiques aisément compréhensibles, l'Église de Rome crut habile de faire correspondre la naissance du Christ avec la naissance du dieu Mithra qu'on célébrait au solstice d'hiver sur la colline du Vatican (moment propice où le soleil effectue sa remontée dans le ciel, d'où son nom de Sol Invictus, fête du " soleil invaincu "), avec un léger retard de deux jours qui se retrouve aujourd'hui. La fameuse bûche de Noël est un vivant souvenir de cette tradition solaire indo-européenne. Avant de s'être métamorphosée en pâtisserie, cette bûche s'enflammait réellement dans l'âtre et restituait par analogie un peu de la lumière attendue depuis des mois.
Pour expliquer la date de naissance de Jésus rapportée par les évangélistes, le mythologue Guy Fau a soulevé une hypothèse qui a le mérite de coller à la mentalité et aux usages juifs du Ier siècle :
Les juifs, écrit-il, ne se contentaient pas d'attendre vaguement la venue du Messie, ils savaient à quelle époque il devait paraître, car des prophéties permettaient de prévoir la date de cet événement (...) Flavius Josèphe, écrivant avec prudence à l'usage des Romains, signale discrètement qu'une prophétie est à l'origine de la révolte de 67 : " Ce qui excita les Juifs à la guerre, c'était un oracle équivoque des Écritures annonçant qu'un homme sorti du pays deviendrait ALORS le maître du pays"(Guerre des Juifs, VI-5). Les Romains aussi connaissaient cette prophétie, et Suétone nous apprend qu'ils tentèrent de la détourner au profit de Vespasien : cela ne pouvait convenir aux juifs! Or l'oracle n'était pas du tout équivoque, mais fort clair ; il s'agit de la parole de Jacob : "Le sceptre ne sera pas ôté de Juda, ni le bâton de commandement d'entre ses pieds, jusqu'à ce que vienne Shiloh (l'Envoyé?), à qui tous les peuples obéiront " (Genèse, XLIX-10). Sous réserve de la traduction exacte de "Shiloh", qui a donné lieu à bien des commentaires mais où tout le monde s'accordait à voir une désignation du Messie, la date prévue peut être fixée avec exactitude. Le sceptre est sorti de Juda en -40, lorsque l'usurpateur Hérode (le grand) s'est fait reconnaître roi, avec l'appui des Romains, à la place du descendant légitime. Mais sous le règne d'Hérode, la Palestine est encore restée indépendante, il y avait encore une apparence de "sceptre". Par contre, cette apparence même a été détruite en +6, lorsqu'un procurateur romain s'installa en Judée. En négligeant le règne d'Hérode, sous lequel il ne s'était rien produit, le Messie devait donc paraître, soit à la mort d'Hérode (-4), soit, au plus tard, en +6. Et telle est l'origine des dates attribuées à la naissance de Jésus : Matthieu le fait naître dans la dernière année d'Hérode (-4), Luc au temps du recensement (+7), car on ne pouvait hésiter qu'entre ces deux dates, séparées par un intervalle de 10 ans. Sur le choix de la date exacte, il faut croire qu'on ne s'était pas mis d'accord (...) La naissance de Jésus n'est donc pas rattachée à un fait historique, mais à une prophétie.
Cette démonstration est assez éclairante.
2) Lieu de naissance ?
L'évangéliste présumé le plus ancien, Marc, donne à penser que Jésus est né à Nazareth, en Galilée, tandis que Matthieu et Luc le font naître à Bethléem en Judée : nouvelle contradiction . Comment trancher?
Allons pour Nazareth, en Galilée. Jésus n'est-il pas appelé " le Nazaréen "? Mais l'adjectif nazaréen entendu comme " homme du village de Nazareth " résulte d'une erreur de traduction de compilateurs tardifs. " De Nazareth " ou " nazaréthain " se traduit en grec par Nazarethenos, Nazarethanos, ou Nazarethaios et non par Nazarenos, Nazôraios ni même Nazarénos comme on le trouve dans les Évangiles (= " nazaréen "). Si dérivation il y avait, elle serait telle qu'elle prendrait figure d'exception. Le " nazaréen " se rapproche plus certainement du nâzir hébreu qui désigne " le saint " ou " le consacré ".
Circonstance aggravante pour Nazareth, aucun auteur du Ier siècle, juifs y compris, ne mentionne le nom de la bourgade. Elle n'apparaît dans les textes qu'à la fin du IIe siècle .
Jésus serait-il né à Bethléem? Pas si simple. A nouveau, il est tentant de se demander si, conformément à leurs traditions, les rédacteurs n'auraient pas cherché directement la réponse à leur question dans les textes prophétiques. On trouve chez Michée l'information que le Sauveur naîtra à Bethléem : " Et toi (Bethléem) Ephrata, le moindre des clans de Juda, c'est de toi que me naîtra celui qui doit régner sur Israël ". La bourgade est, ne l'oublions pas, celle dans laquelle David aurait reçu l'onction royale - riche symbole.
On sait qu'aux environs de Bethléem, des païens célébraient la naissance du dieu des céréales Tammouz (Adonis). Comme Hermès, Dionysos, Mithra ou Zeus, le dieu phénicien naissait dans une grotte, autre symbole, celui de la Terre-mère, de la matrice universelle - c'est bien ainsi, d'ailleurs, que nous représentons encore la crèche de Noël, popularisée au XIIIe siècle par St François d'Assise, à laquelle la tradition a ajouté le " boeuf et l'âne ", pour confirmer une prophétie d'Isaïe délaissée par les évangélistes. Les premières communautés chrétiennes ont donc investi ce site avec le désir de s'approprier un lieu sacré.
Non seulement on ne peut trancher en faveur de l'une ou de l'autre hypothèse mais elles apparaissent aussi invraisemblables l'une que l'autre. Contresens, reprise d'un mythe folklorique inséré dans la vie du Christ, justification a posteriori d'anciennes prophéties : autant de signes qui appellent à la méfiance.
3) Les parents de Jésus?
Si Matthieu, Luc et Jean désignent Joseph comme père de Jésus, il n'en va pas de même pour Marc, qui n'en dit pas un mot.
A en croire Matthieu et Luc, Joseph descend du roi David, ce qui est tout à fait dans la ligne des croyances messianiques de l'époque, mais il en descend par Jacob pour Matthieu et par Héli pour Luc. En remontant la généalogie jusqu'à Abraham, l'un compte 40 degrés, l'autre 56; de David à Jésus ; 26 noms sont recensés par le premier, 42 pour le second. C'est ennuyeux, surtout pour les absents : quelque 16 générations! Mais l'essentiel n'était-il pas que Zacharie ait annoncé que le Messie serait de la " maison de Joseph "?
Pour Marie, les renseignements sont aussi parcimonieux. Remarquons que l'on comprend mal l'intérêt de généalogies davidiques, si Joseph n'est que le père adoptif de Jésus, comme on l'enseigne. Cette contradiction ne s'explique que si les informations portant sur la virginité de Marie sont venues dans un second temps s'intégrer dans les récits de la Nativité. Marc reste d'ailleurs muet sur cette exception anatomique, dont la mariologie s'est emparée. Et l'apôtre Paul n'écrit-il pas que le Christ est " né d'une femme " - et non d'une vierge?
La virginité est typique du milieu gréco-romain où sont rédigés les Évangiles et dans lequel on cherchait à répandre la " bonne nouvelle ". Dans la mythologie païenne, Persée naît de Danaé fécondée par une pluie d'or, Apis est le fruit d'une génisse fécondée par un rayon de soleil, Attis naît de Nana après qu'elle a mangé une grenade... Les naissances miraculeuses étaient aussi attribuées aux sages et aux grands philosophes, tels que Pythagore, né d'Apollon et de la vierge Pythais, ou Platon, fils de Périctone et du même Apollon. Par ce procédé narratif, les anciens exprimaient couramment le caractère divin ou exceptionnel de l'être vénéré. Les chrétiens l'employèrent avec d'autant plus d'empressement que, dans leurs pays de mission, il apportait une preuve supplémentaire de la divinité de Jésus (ils croyaient en trouver une justification dans la Bible des Septante, qui semblait faire référence à une vierge à venir - problème : la Septane avait incorrectement traduit halamah, terme hébreu qui ne désigne pas une vierge mais une " jeune femme ").
Plus généralement, l'incarnation (le fait qu'un dieu prenne une apparence humaine) est profondément étrangère au monothéisme juif du Ier siècle, alors qu'elle est habituelle chez les païens depuis des millénaires. Ne songeons qu'aux pharaons d'Egypte.
D'autres mythes païens ont influencé les premiers chrétiens dans leur représentation des parents de Jésus. La résignation de Joseph à son sort peu enviable est identique à celle d'Amphitryon dont la femme Alcmène partage sa couche avec Zeus - Alcmène, qui a droit comme Marie à son Annonciation en la personne du prophète Tiresias, dont les paroles (" Réjouis-toi, toi qui a mis au monde le plus vaillant des hommes... ") rappellent étrangement celles de l'ange Gabriel : " Réjouis-toi, comblée de grâces (...) Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils (...). Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut ".
L'imagerie de Marie s'est aussi largement inspirée de la statutaire antique, des déesses à l'enfant et notamment des statues d'Isis, déesse égyptienne de la Lune, au manteau bleu constellé d'étoiles, qui tient serré dans ses bras l'enfant Horus emmailloté. Le mois de mai, aujourd'hui consacré à Marie, l'était naguère à Cybèle. Anahita aussi était dite Immaculée, l'Ishtar d'Arbèle était célébrée le 15 août, fête reprise plus tard par la mariologie... etc.
La Passion du Christ
1) La Cène
La Cène (du latin cena, " dîner ") serait le dernier repas pascal du Christ. Elle ouvre le cycle de la Passion, période au cours de laquelle, selon l'interprétation chrétienne, le Fils de Dieu endure des souffrances ayant valeur rédemptrice pour le genre humain.
Durant la Cène, Jésus, voyant sa mort arriver, aurait accompli les gestes et prononcé les paroles qui survivent aujourd'hui dans l'Eucharistie et donnent lieu à la communion des fidèles.
Laissons de côté la date pour nous concentrer sur le coeur du repas, les mets sacrés, le pain et le vin pris pour le corps et le sang du Christ, dont la consommation est censée être le gage de l'Alliance Nouvelle conclue entre Dieu et les hommes (" Prenez, mangez ceci est mon corps (...) ; Buvez-en tous ; car ceci est mon sang, le sang de l'alliance nouvelle qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés. ").
Ni ces mets, ni leur consommation ne constituent la révolution rituelle souvent décrite aujourd'hui. De tels rites sont des pratiques courantes au Ier siècle - et depuis longtemps - dans les religions à mystères. Asiatiques ou égyptiennes à l'origine, celles-ci ont progressivement envahi le monde gréco-romain quand se forment les premiers embryons du mouvement qui donnera le christianisme.
Comme leur étymologie l'indique, ces " mystères " étaient des cultes secrets, dans lesquels les initiés, ou mystes, s'assuraient le salut éternel par leur participation à la passion d'une divinité. Durant le déroulement du drame sacré, les mystes mangeaient la chair du dieu afin de mieux s'identifier à ses vertus et accéder plus facilement à la félicité divine. Dans les mystères grecs de Dionysos, il s'agissait de manger la chair crue d'un taureau ou d'un chevreau . S'y ajoutait l'absorption du sang dans les mystères du dieu iranien Mithra. On buvait aussi le sang divin dans le culte du dieu phrygien Attis. Avec le temps et du fait de leur coût important, ces aliments furent souvent remplacés par... du pain et du vin, la chair et le sang symbolisés. Dans les repas de communion d'Osiris, les paroles rituelles qui étaient prononcées ressemblent à s'y méprendre à celle de la Cène évangélique : " Tu es vin et tu n'es pas du vin mais les entrailles d'Osiris " - l'incarnation à laquelle fait référence ce papyrus étant clairement l'annonce de la transsubstantiation.
Ce qui surprend, dans les Évangiles, ce n'est pas tant la présence de ce rite, qui existait depuis des siècles, que son intrusion supposée en plein coeur d'Israël. Car la loi juive est implacable : il est formellement interdit de donner son sang à boire. Entorse gravissime aux prescriptions de la Thora, cette cérémonie était inconcevable dans le milieu des juifs de Palestine, rétifs à ce symbolisme sanguinaire d'essence païenne, qui bouleversait de fond en comble leurs coutumes. Les repas de " fraternité sainte " que pratiquaient les esséniens, dont on a voulu voir l'ancêtre direct de l'institution eucharistique, n'allaient pas aussi loin : tout au mieux ont-ils été un support. Le substrat de la communion chrétienne est visiblement étranger : il faut le chercher dans les usages des pays où les prosélytes ont recruté leurs premiers adeptes.
2) Le Procès
L. Rougier écrit : " Le récit du procès, en particulier, est un tissu de contradictions, d'incohérences, d'invraisemblances de la part d'écrivains qui ignorent tout de la juridiction du Sanhédrin, de la justice romaine et qu'anime le seul souci de faire retomber tout l'opprobre sur les juifs ".
Les contradictions entre les évangélistes surabondent à nouveau. Pour les synoptiques , ce sont les troupes juives aidées par la foule qui procèdent à l'arrestation de Jésus au Mont des Oliviers. Pour Jean , et pour lui seul, ce sont les forces romaines.
Le déroulement même du procès les divise. Marc et Matthieu évoquent deux comparutions devant le Sanhédrin, Luc se limite à une, et Jean n'en connaît aucune.
Ajoutons qu'aux dates indiquées par les évangélistes (la nuit précédent la Pâque), il était interdit au Tribunal de siéger.
Tout dans l'attitude de Pilate (le procurateur de Judée devant lequel le Sanhédrin aurait déféré Jésus après l'avoir jugé selon ses lois) est aussi invraisemblable et contraire aux usages.
Pourquoi envoie-t-il l'accusé au tétrarque de Galilée Hérode-Antipas, qui n'a aucun droit de juridiction en Judée?
Comment croire à la scène où il choisit de libérer le meurtrier Barabbas au lieu de relâcher l'homme qu'il vient publiquement d'innocenter? Pilate était un préfet tyrannique, sans état d'âme, que Rome a destitué plus tard en raison de ses outrances à l'encontre des samaritains. De plus, la coutume d'accorder aux juifs la grâce d'un prisonnier chaque veille de Pâque n'est confirmée par aucun document. Enfin, Barabbas signifie en araméen " le fils du père " : il s'agit manifestement d'un doublet de Jésus, dans la tradition juive des deux boucs (à l'occasion du Yom Kippour, un " bouc-émissaire ", tiré au sort et chargé des fautes d'Israël était lâché dans le désert tandis qu'un autre, " innocent " celui-là, était immolé à sa place hors de la ville, pour expier les fautes commises par son peuple. L'analogie est flagrante).
Que cette scène ait été imaginée dans le but d'exonérer les Romains de la mort du Christ pour accabler du même coup les juifs est hautement probable.
3) La mort (et la Résurrection)
La mort nécessaire du Messie était annoncée (elle aussi) par les prophètes de l'Ancien Testament. Et même dans le détail :
- il était écrit qu'il serait frappé de verges,
- qu'on lui cracherait à la figure,
- qu'il resterait stoïque dans l'adversité,
- qu'il mourrait entre des malfrats,
- que ses pieds et ses mains seraient déchiquetés,
- qu'aucun os ne lui serait brisé,
- que pour toute boisson on lui tendrait du vinaigre et du fiel,
- que ses habits seraient partagés,
- que son âme ne serait pas livrée au shéol et que son corps ne verrait pas la
corruption,
- qu'il revivrait au bout de trois jours etc., etc.
Toutes ces prophéties étaient consignées dans des recueils qui circulaient dans le monde juif de Palestine, auxquels se référaient ceux d'entre les croyants qui attendaient l'arrivée prochaine de leur libérateur. Ces messianistes étaient des groupes sectaires juifs (certains de leurs documents ont été retrouvés à Qumran), qui avaient élaboré une théologie axée sur le " Messie souffrant " tel que le présente Isaïe. Depuis le IIe siècle avant notre ère, ils vivaient dans l'attente imminente du retour du " Maître de Justice ". Il n'est pas étonnant de retrouver la saveur de leurs croyances dans les Évangiles.
Selon un spécialiste de l'étude des manuscrits de la mer Morte, Dupont-Sommer :
Le Maître galiléen (Jésus), tel que nous le présentent les écrits du Nouveau Testament, apparaît à bien des égards comme une étonnante réincarnation du Maître de Justice (prêtre juif, chef de la secte essénienne, mort vers -65). Comme celui-ci, il prêcha la pénitence, l'humilité, l'amour du prochain, la chasteté. Comme lui, il prescrivit d'observer la Loi de Moïse, toute la Loi, mais la Loi achevée, parfaite grâce à ses propres révélations. Comme lui, il fut l'Elu et le Messie de Dieu, le Messie rédempteur du monde. Comme lui, il fut en butte à l'hostilité des prêtres du parti des Sadducéens. Comme lui, il fut condamné et supplicié. Comme lui, il monta au ciel près de Dieu. Comme lui, à la fin des temps, il sera le nouveau juge.
G. Fau pose une pertinente question : " Quel crédit peut-on accorder à des récits composés exclusivement de textes préexistants ? (...) où est la tradition vivante ? Où sont les témoignages ? Où sont les faits ? ".
En effet, si l'on retire les événements qui n'ont pas fait l'objet d'une référence scripturaire, que reste-t-il du récit de la mort du Christ rapporté par les évangélistes?
- La croix? On la trouve dans de nombreuses religions antérieures au christianisme, sans parler de la croix cosmique de Platon, formée par le croisement des deux axes du monde, dont le gnosticisme reprend les éléments pour y placer le Logos ;
- La rédemption par le sacrifice d'un dieu? On la trouve dans les religions à mystères, où il est question d'un dieu souffrant qui meurt et ressuscite pour ses fidèles à l'équinoxe de printemps, à l'heure où la vie de la nature reprend ses droits sur l'hiver. Chaque année Tammouz (Adonis), Osiris, Attis mouraient (Attis, pendu à un pin) et ressuscitaient après trois jours. Durant leur " mort terrestre ", Adonis, Attis, la déesse Ishtar, Orphée, descendaient comme Jésus aux Enfers...
La plupart de ces dieux étaient salués du titre de " Seigneur " (ce qui se traduit en grec par Kyrios) titre que la communauté chrétienne d'Antioche et plus tard l'Église de Rome accorderont à Jésus. On leur attribuait la qualité de " Sauveur " (Sôter en grec), comme on le fera également pour le Christ.
Le plus ressemblant de ces dieux avec Jésus est sans conteste Mithra. Comme Jésus, il est considéré comme " Fils de la droite du Père brillant ". Comme Jésus, il a cette caractéristique rare d'être célibataire. Lui aussi meurt puis ressuscite. Lui aussi revient à la fin des temps pour juger " les vivants et les morts ", lesquels ressusciteront à leur tour dans la chair. Son culte comprend un repas commémoratif et un baptême d'initiation.
La parenté du christianisme naissant avec les mystères est à demi-avouée par l'apôtre Paul, premier diffuseur de la doctrine, évoquant la " révélation d'un mystère enveloppé d'un silence aux siècles éternels, aujourd'hui manifesté. "
Toute la substance des Évangiles serait-elle servilement recopiée?
Non. Pas plus que l'Ancien Testament, le Nouveau n'est un vulgaire plagiat. Il a son style, sa qualité littéraire, une faculté évidente d'adaptation (le syncrétisme est le propre des religions universalistes, mais le christianisme a eu le génie de parvenir à concilier des traditions qu'a priori tout opposait), il a développé un type d'universalisme peu restrictif (le culte de Mithra s'adressait aux seuls hommes) et mis l'accent sur " l'esprit d'amour " comme peu de religions auparavant. En bref, il est parvenu à naviguer sur son erre.
Ce qui est profondément gênant, toutefois, si l'on décide de lire le Nouveau Testament avec un oeil d'historien, c'est que lorsque sont enlevés les emprunts et les invraisemblances, il semble ne rester - rien.
Tout le débat repose sur l'acception et l'étendue du verbe " sembler ".
Paul-Éric Blanrue
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Re: Jésus, Dieu ou Messie et prophète
Arlitto a écrit:Même selon le Coran, Jésus n'a pas de père biologique.
« Et fait mention de Marie, dans le Livre, quand elle alla s’isoler, loin de sa famille, dans un lieu situé à l’est. Elle étendit un voile entre elle et le monde. Nous lui envoyâmes Notre esprit, qui avait revêtu pour elle une forme humaine accomplie. Elle dit : « Je me réfugie contre toi auprès du Miséricordieux! Si tu crains Allah, [ne m’approche point]! » Il dit : « Je ne suis qu’un messager de ton Seigneur, venu t’annoncer la naissance d’un fils pur. » Elle dit : « Comment pourrais-je avoir un fils alors qu’aucun homme ne m’a (jamais) touchée et que je ne suis point une femme de mœurs légères? » Il dit : « Ainsi sera-t-il. Cela M’est facile, a dit ton Seigneur. Et Nous ferons de lui un signe pour les gens et une miséricorde émanant de Nous. C’est une affaire déjà décrétée. » (Coran 19:16-21)
Jésus est donc né de Marie et d'Allah lui même mais il n'est pas considéré comme fils d'Allah, il est considéré comme un grand prophète comme Noé, Abraham, Moïse et PBSL, que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur eux tous. Jésus est également considéré comme le Messie.
« Certes, pour Dieu, Jésus est comme Adam, qu’Il créa de poussière (de la terre), puis lui dit : « Sois! » et il fut. » (Coran 3:59)
Je rappelle que PBSL a rencontré au ciel Jésus qu'il a fait pleurer lors de son ascension au ciel où il a vu tous les prophètes depuis Adam en passant par Noé et Abraham jusqu'à Moïse avant de voir Allah en personne.
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Jésus n'est pas divin ou alors tous les hommes sont divins même PBSL et Hitler. Jésus n'a reçu aucun évangile comme le prétend PBSL. Jésus n'a jamais été chrétien. Le christianisme est né après sa mort avec les apôtres Jacques et Paul. Jacques tenait à garder les traditions juives comme la circoncision et les interdits alimentaires de la cacherout. Paul ne le voulait pas
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Re: Jésus, Dieu ou Messie et prophète
Ce sujet n'a rien à faire dans la section enseignement, sa place est dans la section : Forum Athéisme - Athées & Agnostiques
Je le déplace !
Je le déplace !
Re: Jésus, Dieu ou Messie et prophète
Ce n'est pas le Prophète de l'islam qui dit que Jésus n'a pas été crucifié, c'est le Saint Coran, la Parole d'Allah.
Allah dit clairement que Jésus n'a pas été crucifié mais qu'Il l'a élevé au ciel.
Jésus n'a pas été crucifié, dit le Coran.
Pourtant l’Évangile dit le contraire !
Question :
Le Coran dit que Jésus n'a pas été crucifié ni tué d'une autre manière (Coran 4-157). Avec le nombre incroyable de textes évangéliques qui parlent de la mort de Jésus sur la croix avant sa résurrection, je doute fort que tous ces textes aient été rajoutés dans le seul but de contredire ce que votre Coran avance ! C'est plutôt le Coran qui a été écrit dans le but de prétendre allègrement tout le contraire de ce que disent les textes évangéliques !
-
Réponse :
Aucun musulman doté d'un minimum de connaissances n'a dit que tel ou tel passage des textes évangéliques avait été rajouté après la venue du Coran. Tout au contraire, chacun sait que le Coran a été communiqué au VIIème siècle de l'ère chrétienne, quand le canon des textes évangéliques avait été déjà établi (puisqu'il l'a été au IVème siècle, soit 3 siècles plus tôt). Ce n'est donc pas la peine d'en rajouter, s'il vous plaît.
Par contre il est vrai que le Coran affirme autre chose que ce que les quatre textes évangéliques reconnus comme canoniques par l’Église relatent à propos de ce qui arriva à Jésus à la fin de sa mission :
– les quatre textes évangéliques affirment que Jésus est mort sur la croix (Matthieu, chapitre 27, Marc, chapitre 15, Luc, chapitre 23, et Jean, chapitre 19) ;
– le Coran, lui, affirme que Jésus n'a été ni tué ni crucifié mais que Dieu l'a protégé de ses assaillants et qu'Il l'a élevé à Lui (Coran 4/157-158).
Nous musulmans avons une autre démarche que la vôtre.
– Vous prenez le texte des quatre Évangiles comme référence et lisez le texte coranique dans le cadre de ce que ces textes évangéliques disent.
– Pour notre part, nous avons la démarche exactement inverse : nous prenons les textes du Coran et de la Sunna comme références et appréhendons dans leur cadre ce que les textes évangéliques disent.
-
Ceux qui ont relaté la crucifixion de Jésus n'ont pas forgé un mensonge :
Ce qu'il faut savoir c'est que nous musulmans disons que les textes évangéliques canoniques constituent des tentatives humaines de relater la vie, les propos et les actions de Jésus : il y a dans ces textes des éléments authentiques ainsi que des erreurs de relation. Exactement comme dans les textes de la Sîra et dans les recueils de Hadîths il y a des éléments authentiques et des erreurs de relation.
Cependant, non seulement nous ne pensons pas que les passages des Evangiles relatant la crucifixion de Jésus auraient été écrits pour contredire le Coran, mais de plus nous ne pensons même pas que ceux qui ont relaté cette crucifixion auraient menti, c'est-à-dire auraient délibérément écrit chose qu'il savaient ne pas être véridique au sujet de la fin de la mission de Jésus.
Il faut savoir que les textes évangéliques ont été écrits non par les disciples directs de Jésus mais par des personnages postérieurs, qui ont rédigé leur écrit sur la base de ce qu'ils tenaient – avec quelques maillons intermédiaires dans la chaîne de narration – des disciples directs de Jésus.
Or ces derniers n'ont pas menti mais ont relaté à son sujet ce qu'ils ont entendu des gens leur relater (puisque eux-mêmes étaient absents au moment du procès de Jésus). Et ce que ces gens leur ont relaté, ils ne l'ont pas non plus forgé mais ont été mis dans une illusion à son sujet.
Les proches disciples de Jésus n'ont pas pu être les témoins directs d'une crucifixion de Jésus, puisque tous s'enfuirent lors de l'arrestation du Messie : "Alors les disciples l'abandonnèrent tous et prirent la fuite" (Matthieu 26/56). "Et tous l'abandonnèrent et prirent la fuite" (Marc 14/50).
Certes, il y eut "Pierre et un autre disciple" qui suivirent Jésus. Cet autre disciple, étant connu du Grand Prêtre, entra dans le palais de celui-ci avec Jésus (Jean 18/15-16). Puis il parla à la dame qui gardait la porte de la cour du palais et Pierre put entrer lui aussi (Jean 18/16). Pierre resta donc assis dans la cour.
Mais questionné par la servante, il nia être le disciple de Jésus (Jean 18/17). Et, se rappelant alors que Jésus lui avait dit qu'il le renierait, il sortit en pleurant (Mathieu 26/69-75, Marc 14/66/72, Luc 22/56/62). De plus, Jésus fut ensuite conduit, de chez le Grand Prêtre, à Pilate, puis à Hérode Antipas, avant d'être renvoyé devant Pilate (Luc 23). Aucun de ses disciples n'était alors présent lorsqu'il fut condamné.
– Certes, l'Evangile de Jean relate que des femmes se tenaient debout près de Jésus lorsqu'il fut sur la croix, et que celui-ci parla même à un de ses disciples, lui enjoignant de prendre soin de sa mère (Jean 19/25).
– Mais les Evangiles synoptiques relatent, eux, que ces femmes se tenaient à distance du lieu de crucifixion (Matthieu 27/55, Marc 15/40, Luc 23/49). Nous pensons donc qu'ici il y a eu erreur de relation : de loin elles ont cru qu'il s'agissait de Jésus. Or ce n'était pas lui.
Ibn Taymiyya écrit :
"On dit que ces livres ont été écrits par Marc, Luc, Jean et Matthieu. Or aucun de ces quatre personnages n'a vu la crucifixion de Jésus, ni aucun des Apôtres, ni aucun des élèves de ceux-ci. Seul un petit groupe de personnes a assisté à ce qu'ils ont cru être la crucifixion de Jésus.
– Certains ulémas mutazilites, ainsi que Ibn Hazm et d'autres, sont d'avis que ce groupe savait que le crucifié n'était pas Jésus, mais ont délibérément menti en répandant la nouvelle que c'est lui qui a été crucifié. – Cependant, la plupart des ulémas sont d'avis que même ceux qui ont assisté à la crucifixion ont été dans l'illusion. – Les tenants du premier avis commentent le verset coranique "وَمَا قَتَلُوهُ وَمَا صَلَبُوهُ وَلَكِن شُبِّهَ َهُمْ" [Coran 4/157] ainsi : "شُبِّهَ للناس الذين أَخبَرَهم أولئك بصلبه" ["Les hommes auxquels ce groupe de gens affirmèrent que Jésus avait été crucifié, ces hommes-là furent induits en erreur"].
– Alors que la plupart des ulémas le commentent ainsi : "شُبِّهَ للذين يقولون: صلبوه" ["Furent dans l'illusion ceux-là mêmes qui dirent : "Ils l'ont crucifié""]" (Al-Jawâb us-sahîh 1/275).
"L'épisode de la crucifixion est chose à propos de quoi il y eut illusion. La preuve a été établie [sur la base de l'affirmation coranique] que le crucifié fut quelqu'un d'autre que le Messie et que les gens furent dans l'illusion et crurent qu'il s'agissait du Messie. Aucun des Apôtres n'a vu le Messie crucifié. Par contre certains des gens qui étaient présents ont relaté aux Apôtres qu'ils l'ont vu avoir été crucifié. Certains ulémas disent que ces gens-là ont menti. Mais la plupart des ulémas disent que ces gens furent eux-mêmes dans l'illusion" (Ibid. 2/12).
Quelle fut cette illusion, le texte coranique ne le dit pas. Nous avons relaté, dans un autre article, une des hypothèses à ce sujet : ce serait l'homme à qui il avait été dit de porter le patibulum lors du chemin de croix qui a été crucifié en lieu et place de Jésus :
Selon trois versions des Evangiles (Matthieu 27/32, voir aussi Marc et Luc), un homme, Simon le Cyrénéen, est réquisitionné pour porter cette barre.
Abu-l-Hassan Alî an-Nadwî émet alors l'hypothèse que c'est cet homme portant la barre qui a été crucifié par erreur en place et lieu de Jésus. An-Nadwî écrit en substance : "Le lieu de l'exécution était éloigné du palais et des grands bâtiments. Or le Messie avait été rudement éprouvé par les derniers événements et il était épuisé. Les gardes du tribunal, des romains, ordonnèrent donc à un autre homme de porter la barre, pour que l'on puisse presser le pas. Ces gardes devaient, une fois arrivés près du lieu du supplice, confier le condamné à d'autres gardes romains, ceux du lieu d'exécution, qui devaient s'occuper de la suite de l'affaire. Les gardes du lieu d'exécution virent donc quelques hommes avancer sous l'escorte d'autres gardes, et virent l'un d'entre eux, un israélite, porter la barre. Ils prirent la relève des gardes du tribunal en prenant l'affaire en main. Ils continuèrent leur marche et gravirent la colline où étaient érigés les poteaux. Et là ils furent dans l'illusion : ils saisirent celui qui portait la barre, lui clouèrent les poignets sur celle-ci et la fixèrent sur le poteau. Celui qui portait la barre cria, hurla qu'il était innocent et que ce n'était pas lui qu'il fallait exécuter. Mais pourquoi les gardes chargés de l'exécution en tiendraient-ils compte ? Tout condamné à mort crie qu'il est innocent et que c'est un autre le coupable. Les autres gardes, ainsi que ceux qui avaient voulu la condamnation à mort, restés à distance, ne se rendirent pas compte qu'un autre avait été crucifié à la place de Jésus" (d'après Qassas un-nabiyyîn, 4/56-60). Il ne faut pas oublier que tous les proches disciples de Jésus s'étaient enfuis (Marc 14/50) et que ses familiers se tenaient à distance du lieu où avait lieu la crucifixion (Matthieu 27/55-56, Marc 15/40, Luc 23/49 ; ce qu'écrit ici Jean, qui contredit ce que disent les trois synoptiques, est donc ici erroné : Jean 19/25). C'est là une hypothèse que an-Nadwî a émise pour expliquer le verset coranique que nous avons vu plus haut. D'autres explications existent chez d'autres commentateurs.
Il se peut donc tout à fait que ces gens ayant relaté aux Apôtres (lesquels s'étaient enfuis) qu'ils avaient vu un homme être crucifié et leur ayant affirmé qu'ils avaient reconnu en cet homme leur maître, les Apôtres les crurent, n'ayant pas les moyens de vérifier si c'était bien le Messie ou quelqu'un d'autre. Ils relatèrent à leur tour ce qu'ils avaient entendu dire, et ainsi de suite jusqu'aux auteurs des textes évangéliques.
Les musulmans pensent que, n'ayant aucun moyen de connaître de la part de Dieu que ce n'avait pas été le cas, ces Apôtres ne seront pas responsables devant Dieu de cette façon de considérer les choses quant à la fin de Jésus.
Ibn Taymiyya a écrit le principe communiqué par les sources de l'islam en la matière :
"Celui à qui la totalité des textes n'était pas parvenue, la preuve ne sera pas avérée à son égard par rapport à ce qui ne lui était pas parvenu ("lam taqum 'alayh il-hujjatu bi mâ lam yab'lugh'hu"), parmi les choses dont le sens était de compréhension ardue. S'il a fait des efforts pour connaître la vérité (quant à ces choses) et qu'il a atteint celle-ci, il aura deux récompenses, et s'il s'est trompé il aura une récompense et son erreur lui sera pardonnée" (Al-Jawâb us-sahîh 1/271).
Il écrit également :
"Quant à ceux qui ont vécu à une époque éloignée de celle du Messie et à qui, de ses enseignements authentiques, seule une partie et non la totalité est parvenue, la preuve sera avérée quant à eux (devant Dieu) par rapport à ce qui leur était parvenu, mais non pas par rapport à ce qui ne leur était pas parvenu ("qâmat 'alayhim ul-hujjatu bi mâ balaghahum min akhbârihî, dûna mâ lam yab'lugh'hum min akhbârih"). C'est la même chose pour ceux qui suivent Moïse. (…)
Dès lors, si on dit que les Apôtres, ou certains Apôtres, ou de nombreux Gens du Livre, ou la plupart des Gens du Livre, croyaient [, avant la révélation du Coran ou avant que la révélation du Coran parvienne jusqu'à eux,] que Jésus avait été crucifié, il s'agira certes d'une croyance en soi erronée, mais cette erreur n'entachera en rien leur foi et n'entraînera pas de punition dans l'au-delà, puisque les livres évangéliques dont ils disposaient relataient la crucifixion de Jésus" (Al-Jawâb us-sahîh 1/274-275).
Il faut de plus souligner que même s'ils pensaient que Jésus avait été crucifié, les Apôtres, qui furent des compagnons de Jésus, n'ont élaboré aucune croyance particulière à partir de cette crucifixion qu'ils croyaient s'être produite. Lire notre article sur le sujet.
Wallâhu A'lam (Allah sait mieux).
Allah dit clairement que Jésus n'a pas été crucifié mais qu'Il l'a élevé au ciel.
Jésus n'a pas été crucifié, dit le Coran.
Pourtant l’Évangile dit le contraire !
Question :
Le Coran dit que Jésus n'a pas été crucifié ni tué d'une autre manière (Coran 4-157). Avec le nombre incroyable de textes évangéliques qui parlent de la mort de Jésus sur la croix avant sa résurrection, je doute fort que tous ces textes aient été rajoutés dans le seul but de contredire ce que votre Coran avance ! C'est plutôt le Coran qui a été écrit dans le but de prétendre allègrement tout le contraire de ce que disent les textes évangéliques !
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Réponse :
Aucun musulman doté d'un minimum de connaissances n'a dit que tel ou tel passage des textes évangéliques avait été rajouté après la venue du Coran. Tout au contraire, chacun sait que le Coran a été communiqué au VIIème siècle de l'ère chrétienne, quand le canon des textes évangéliques avait été déjà établi (puisqu'il l'a été au IVème siècle, soit 3 siècles plus tôt). Ce n'est donc pas la peine d'en rajouter, s'il vous plaît.
Par contre il est vrai que le Coran affirme autre chose que ce que les quatre textes évangéliques reconnus comme canoniques par l’Église relatent à propos de ce qui arriva à Jésus à la fin de sa mission :
– les quatre textes évangéliques affirment que Jésus est mort sur la croix (Matthieu, chapitre 27, Marc, chapitre 15, Luc, chapitre 23, et Jean, chapitre 19) ;
– le Coran, lui, affirme que Jésus n'a été ni tué ni crucifié mais que Dieu l'a protégé de ses assaillants et qu'Il l'a élevé à Lui (Coran 4/157-158).
Nous musulmans avons une autre démarche que la vôtre.
– Vous prenez le texte des quatre Évangiles comme référence et lisez le texte coranique dans le cadre de ce que ces textes évangéliques disent.
– Pour notre part, nous avons la démarche exactement inverse : nous prenons les textes du Coran et de la Sunna comme références et appréhendons dans leur cadre ce que les textes évangéliques disent.
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Ceux qui ont relaté la crucifixion de Jésus n'ont pas forgé un mensonge :
Ce qu'il faut savoir c'est que nous musulmans disons que les textes évangéliques canoniques constituent des tentatives humaines de relater la vie, les propos et les actions de Jésus : il y a dans ces textes des éléments authentiques ainsi que des erreurs de relation. Exactement comme dans les textes de la Sîra et dans les recueils de Hadîths il y a des éléments authentiques et des erreurs de relation.
Cependant, non seulement nous ne pensons pas que les passages des Evangiles relatant la crucifixion de Jésus auraient été écrits pour contredire le Coran, mais de plus nous ne pensons même pas que ceux qui ont relaté cette crucifixion auraient menti, c'est-à-dire auraient délibérément écrit chose qu'il savaient ne pas être véridique au sujet de la fin de la mission de Jésus.
Il faut savoir que les textes évangéliques ont été écrits non par les disciples directs de Jésus mais par des personnages postérieurs, qui ont rédigé leur écrit sur la base de ce qu'ils tenaient – avec quelques maillons intermédiaires dans la chaîne de narration – des disciples directs de Jésus.
Or ces derniers n'ont pas menti mais ont relaté à son sujet ce qu'ils ont entendu des gens leur relater (puisque eux-mêmes étaient absents au moment du procès de Jésus). Et ce que ces gens leur ont relaté, ils ne l'ont pas non plus forgé mais ont été mis dans une illusion à son sujet.
Les proches disciples de Jésus n'ont pas pu être les témoins directs d'une crucifixion de Jésus, puisque tous s'enfuirent lors de l'arrestation du Messie : "Alors les disciples l'abandonnèrent tous et prirent la fuite" (Matthieu 26/56). "Et tous l'abandonnèrent et prirent la fuite" (Marc 14/50).
Certes, il y eut "Pierre et un autre disciple" qui suivirent Jésus. Cet autre disciple, étant connu du Grand Prêtre, entra dans le palais de celui-ci avec Jésus (Jean 18/15-16). Puis il parla à la dame qui gardait la porte de la cour du palais et Pierre put entrer lui aussi (Jean 18/16). Pierre resta donc assis dans la cour.
Mais questionné par la servante, il nia être le disciple de Jésus (Jean 18/17). Et, se rappelant alors que Jésus lui avait dit qu'il le renierait, il sortit en pleurant (Mathieu 26/69-75, Marc 14/66/72, Luc 22/56/62). De plus, Jésus fut ensuite conduit, de chez le Grand Prêtre, à Pilate, puis à Hérode Antipas, avant d'être renvoyé devant Pilate (Luc 23). Aucun de ses disciples n'était alors présent lorsqu'il fut condamné.
– Certes, l'Evangile de Jean relate que des femmes se tenaient debout près de Jésus lorsqu'il fut sur la croix, et que celui-ci parla même à un de ses disciples, lui enjoignant de prendre soin de sa mère (Jean 19/25).
– Mais les Evangiles synoptiques relatent, eux, que ces femmes se tenaient à distance du lieu de crucifixion (Matthieu 27/55, Marc 15/40, Luc 23/49). Nous pensons donc qu'ici il y a eu erreur de relation : de loin elles ont cru qu'il s'agissait de Jésus. Or ce n'était pas lui.
Ibn Taymiyya écrit :
"On dit que ces livres ont été écrits par Marc, Luc, Jean et Matthieu. Or aucun de ces quatre personnages n'a vu la crucifixion de Jésus, ni aucun des Apôtres, ni aucun des élèves de ceux-ci. Seul un petit groupe de personnes a assisté à ce qu'ils ont cru être la crucifixion de Jésus.
– Certains ulémas mutazilites, ainsi que Ibn Hazm et d'autres, sont d'avis que ce groupe savait que le crucifié n'était pas Jésus, mais ont délibérément menti en répandant la nouvelle que c'est lui qui a été crucifié. – Cependant, la plupart des ulémas sont d'avis que même ceux qui ont assisté à la crucifixion ont été dans l'illusion. – Les tenants du premier avis commentent le verset coranique "وَمَا قَتَلُوهُ وَمَا صَلَبُوهُ وَلَكِن شُبِّهَ َهُمْ" [Coran 4/157] ainsi : "شُبِّهَ للناس الذين أَخبَرَهم أولئك بصلبه" ["Les hommes auxquels ce groupe de gens affirmèrent que Jésus avait été crucifié, ces hommes-là furent induits en erreur"].
– Alors que la plupart des ulémas le commentent ainsi : "شُبِّهَ للذين يقولون: صلبوه" ["Furent dans l'illusion ceux-là mêmes qui dirent : "Ils l'ont crucifié""]" (Al-Jawâb us-sahîh 1/275).
"L'épisode de la crucifixion est chose à propos de quoi il y eut illusion. La preuve a été établie [sur la base de l'affirmation coranique] que le crucifié fut quelqu'un d'autre que le Messie et que les gens furent dans l'illusion et crurent qu'il s'agissait du Messie. Aucun des Apôtres n'a vu le Messie crucifié. Par contre certains des gens qui étaient présents ont relaté aux Apôtres qu'ils l'ont vu avoir été crucifié. Certains ulémas disent que ces gens-là ont menti. Mais la plupart des ulémas disent que ces gens furent eux-mêmes dans l'illusion" (Ibid. 2/12).
Quelle fut cette illusion, le texte coranique ne le dit pas. Nous avons relaté, dans un autre article, une des hypothèses à ce sujet : ce serait l'homme à qui il avait été dit de porter le patibulum lors du chemin de croix qui a été crucifié en lieu et place de Jésus :
Selon trois versions des Evangiles (Matthieu 27/32, voir aussi Marc et Luc), un homme, Simon le Cyrénéen, est réquisitionné pour porter cette barre.
Abu-l-Hassan Alî an-Nadwî émet alors l'hypothèse que c'est cet homme portant la barre qui a été crucifié par erreur en place et lieu de Jésus. An-Nadwî écrit en substance : "Le lieu de l'exécution était éloigné du palais et des grands bâtiments. Or le Messie avait été rudement éprouvé par les derniers événements et il était épuisé. Les gardes du tribunal, des romains, ordonnèrent donc à un autre homme de porter la barre, pour que l'on puisse presser le pas. Ces gardes devaient, une fois arrivés près du lieu du supplice, confier le condamné à d'autres gardes romains, ceux du lieu d'exécution, qui devaient s'occuper de la suite de l'affaire. Les gardes du lieu d'exécution virent donc quelques hommes avancer sous l'escorte d'autres gardes, et virent l'un d'entre eux, un israélite, porter la barre. Ils prirent la relève des gardes du tribunal en prenant l'affaire en main. Ils continuèrent leur marche et gravirent la colline où étaient érigés les poteaux. Et là ils furent dans l'illusion : ils saisirent celui qui portait la barre, lui clouèrent les poignets sur celle-ci et la fixèrent sur le poteau. Celui qui portait la barre cria, hurla qu'il était innocent et que ce n'était pas lui qu'il fallait exécuter. Mais pourquoi les gardes chargés de l'exécution en tiendraient-ils compte ? Tout condamné à mort crie qu'il est innocent et que c'est un autre le coupable. Les autres gardes, ainsi que ceux qui avaient voulu la condamnation à mort, restés à distance, ne se rendirent pas compte qu'un autre avait été crucifié à la place de Jésus" (d'après Qassas un-nabiyyîn, 4/56-60). Il ne faut pas oublier que tous les proches disciples de Jésus s'étaient enfuis (Marc 14/50) et que ses familiers se tenaient à distance du lieu où avait lieu la crucifixion (Matthieu 27/55-56, Marc 15/40, Luc 23/49 ; ce qu'écrit ici Jean, qui contredit ce que disent les trois synoptiques, est donc ici erroné : Jean 19/25). C'est là une hypothèse que an-Nadwî a émise pour expliquer le verset coranique que nous avons vu plus haut. D'autres explications existent chez d'autres commentateurs.
Il se peut donc tout à fait que ces gens ayant relaté aux Apôtres (lesquels s'étaient enfuis) qu'ils avaient vu un homme être crucifié et leur ayant affirmé qu'ils avaient reconnu en cet homme leur maître, les Apôtres les crurent, n'ayant pas les moyens de vérifier si c'était bien le Messie ou quelqu'un d'autre. Ils relatèrent à leur tour ce qu'ils avaient entendu dire, et ainsi de suite jusqu'aux auteurs des textes évangéliques.
Les musulmans pensent que, n'ayant aucun moyen de connaître de la part de Dieu que ce n'avait pas été le cas, ces Apôtres ne seront pas responsables devant Dieu de cette façon de considérer les choses quant à la fin de Jésus.
Ibn Taymiyya a écrit le principe communiqué par les sources de l'islam en la matière :
"Celui à qui la totalité des textes n'était pas parvenue, la preuve ne sera pas avérée à son égard par rapport à ce qui ne lui était pas parvenu ("lam taqum 'alayh il-hujjatu bi mâ lam yab'lugh'hu"), parmi les choses dont le sens était de compréhension ardue. S'il a fait des efforts pour connaître la vérité (quant à ces choses) et qu'il a atteint celle-ci, il aura deux récompenses, et s'il s'est trompé il aura une récompense et son erreur lui sera pardonnée" (Al-Jawâb us-sahîh 1/271).
Il écrit également :
"Quant à ceux qui ont vécu à une époque éloignée de celle du Messie et à qui, de ses enseignements authentiques, seule une partie et non la totalité est parvenue, la preuve sera avérée quant à eux (devant Dieu) par rapport à ce qui leur était parvenu, mais non pas par rapport à ce qui ne leur était pas parvenu ("qâmat 'alayhim ul-hujjatu bi mâ balaghahum min akhbârihî, dûna mâ lam yab'lugh'hum min akhbârih"). C'est la même chose pour ceux qui suivent Moïse. (…)
Dès lors, si on dit que les Apôtres, ou certains Apôtres, ou de nombreux Gens du Livre, ou la plupart des Gens du Livre, croyaient [, avant la révélation du Coran ou avant que la révélation du Coran parvienne jusqu'à eux,] que Jésus avait été crucifié, il s'agira certes d'une croyance en soi erronée, mais cette erreur n'entachera en rien leur foi et n'entraînera pas de punition dans l'au-delà, puisque les livres évangéliques dont ils disposaient relataient la crucifixion de Jésus" (Al-Jawâb us-sahîh 1/274-275).
Il faut de plus souligner que même s'ils pensaient que Jésus avait été crucifié, les Apôtres, qui furent des compagnons de Jésus, n'ont élaboré aucune croyance particulière à partir de cette crucifixion qu'ils croyaient s'être produite. Lire notre article sur le sujet.
Wallâhu A'lam (Allah sait mieux).
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