Tunisie : l’islam est-il une variable d’ajustement politique ?
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Tunisie : l’islam est-il une variable d’ajustement politique ?
Tunisie : l’islam est-il une variable d’ajustement politique ?
Plus de quarante ans après l’émergence de l’islamisme en Tunisie, Rached Ghannouchi, président et cofondateur du parti Ennahda déclarait dans un entretien accordé au Monde, mercredi 18 mai, qu’« il n’y a plus de justification à l’islam politique en Tunisie ». Une déclaration historique confirmée par le dixième congrès d’Ennahda qui s’est tenu du 20 au 22 mai, à Hammamet, et a officiellement consacré la séparation entre la prédication religieuse et l’action politique. Une orientation stratégique en débat à l’intérieur du parti islamiste depuis le dernier congrès de 2012. Mais qui remonte bien plus loin dans l’histoire.
Lire aussi : Rached Ghannouchi : « Il n’y a plus de justification à l’islam politique en Tunisie »
Fin des années 1950, la Tunisie à peine indépendante est tirée par le « combattant suprême », Habib Bourguiba, vers un modèle de société occidentalisée : mixité, abolition de la polygamie, appel à l’arrêt du jeûne durant le ramadan, Code du statut personnel (CSP, un arsenal législatif promouvant les droits des femmes)… La liste est longue. Les élites religieuses et arabisantes font les frais de cette politique. Les postes administratifs et gouvernementaux reviennent aux francophones bilingues. Ces orientations ont été interprétées par une frange de la société tunisienne comme une renonciation à l’identité musulmane et à une remise en cause des traditions.
Alliance de la Zitouna et des Frères musulmans
En réaction, un mouvement composé d’oulémas de l’ancienne université religieuse de la Zitouna et de jeunes militants inspirés par l’idéologie des Frères musulmans s’est structuré pour prôner un modèle de société musulmane et conservatrice. Une sorte d’alternative à ce projet de société considéré comme aliéné par la colonisation d’abord, puis par Habib Bourguiba.
Petit à petit, la prédication se déploie dans l’Association pour la sauvegarde du Coran et dans les mosquées. Ainsi la pierre fondatrice de la mouvance islamiste est la prédication et la défense de « l’identité musulmane ».
Lire aussi : En Tunisie, Ennahda « sort de l’islam politique »
Progressivement, le mouvement se politise et se rapproche de plus en plus de la mouvance des Frères musulmans, fondée en 1928 en Egypte. L’islam est désormais défini comme un système global où la prédication religieuse se conjugue à des actions politiques et sociales. Durant cette période, les stratèges du régime de Bourguiba perçoivent le groupe islamique comme un contrepoids à la montée de la gauche au sein de l’université.
Il faudra attendre la fin des années 1970, marquée par la révolution islamique en Iran, mais aussi par une vague de mouvements sociaux en Tunisie pour que la mouvance islamiste se place ouvertement dans l’opposition, politique cette fois. Ses dirigeants sont poursuivis et emprisonnés. Idéologiquement, le mouvement évolue et s’adapte aux évolutions politiques et sociales. Rached Ghannouchi défend désormais dans ses écrits certains droits des femmes – présentés comme un acquis islamique et non « bourguibien » –, la mixité et l’action syndicale. Des valeurs décriées quelques années plus tôt et considérées comme contraires à l’islam.
Ennahda face à la répression de Ben Ali
Ce n’est qu’en 1981 que le Mouvement de la tendance islamique (MTI, l’ancêtre d’Ennahda) se constitue en parti politique. Déclaré illégal, il engage un bras de fer avec le régime. C’est à ce moment-là qu’il multiplie les appels à la fondation d’un Etat islamique et à l’abrogation du Code du statut personnel, jugé contraire à la charia.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/05/24/tunisie-l-islam-est-il-une-variable-d-ajustement-politique_4925423_3212.html#AJP7ogAmI0SAjsVE.99
En novembre 1987, c’est le « coup d’Etat médical ». Le premier ministre Zine El-Abidine Ben Ali renverse le président Bourguiba au prétexte de sa santé déclinante. Le MTI devient le mouvement Ennahda, renonce à la référence à l’islam dans sa nomenclature et annonce son acceptation du CSP pour obtenir une reconnaissance officielle. Mais ce n’est pas suffisant. Dès 1989, Ben Ali amorce un tournant autoritaire et Ennahda subit la répression la plus violente de son histoire.
Lire aussi : La Tunisie s’interroge sur la mue du parti islamiste Ennahda
Le rapport entre le politique et le religieux dans le parti va à nouveau être discuté au sein de la plate-forme de la coalition du 18 octobre 2005 entre Ennahda et des partis d’opposition démocrate et d’extrême gauche. Les différentes forces politiques d’opposition ont pu se retrouver et échanger leurs positions, ouvrant ainsi la voie à la recherche d’une base commune par le compromis. Les islamistes signent par écrit leur engagement à respecter le CSP et renoncent à l’application de la charia. Encore une fois, ils ont recours aux arguments religieux pour justifier leur revirement. Néanmoins il n’y a pas eu de débats au sein du parti Ennahda, ses membres vivant dans la clandestinité ou sous haute surveillance étant dans l’impossibilité de se réunir.
L’expérience du pouvoir
Advient la révolution en 2011 et la chute de Ben Ali, contraint à l’exil. Ennahda, fort de son capital militant, arrive premier aux élections de l’Assemblée constituante. Jusque-là parti d’opposition, il va faire l’expérience du pouvoir. C’est à ce moment que les différentes tendances d’Ennahda se réunissent et se découvrent. Sadok Chourou, un élu de la Constituante, propose d’inscrire la charia comme « source principale de la loi » en février 2012.
La charia est-elle un texte divin sacré ou le résultat d’une interprétation humaine, donc discutable ? Le débat divise le pays. Les manifestations pour et contre la charia se multiplient. Mathématiquement, Ennahda aurait pu faire voter cet article avec l’appui d’autres élus, mais Rached Ghannouchi, président du parti, coupe court à la polémique. Dans une stratégie d’apaisement, Ennahda renonce à l’inscription de la charia dans la Constitution.
Lire aussi : La Tunisie nouvelle est un concert de mots
En tant que parti désormais au pouvoir, il doit composer avec ses alliés dans le gouvernement, mais aussi avec les autres formations politiques et sociales dans le pays. Pourtant, Ghannouchi rassure sa base en affirmant que l’islam continuera à jouer un rôle dans la législation en se référant à l’article premier de la Constitution : « La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, l’islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime. Le présent article ne peut faire l’objet de révision. » Ce qui implique que ce sont les rapports de forces dans le pays qui vont définir la place de la religion en politique.
Le neuvième congrès d’Ennahda, en 2012, abordait la question de la relation entre le religieux et le politique sans la trancher. Il aura fallu deux ans de discussions au sein du parti pour qu’Ennahda se déleste d’une partie de son identité et du rôle de prédication religieuse qu’il s’était donné à ses débuts.
Les questions de choix gouvernementaux, des modalités de l’alliance avec l’ancien régime et la construction interne du parti ont donc fini par prendre le dessus au sein d’Ennahda. Mais, comme se plaît à le répéter Rached Ghannouchi : « La Constitution n’interdit pas aux imams de s’exprimer sur la politique. »
Plus de quarante ans après l’émergence de l’islamisme en Tunisie, Rached Ghannouchi, président et cofondateur du parti Ennahda déclarait dans un entretien accordé au Monde, mercredi 18 mai, qu’« il n’y a plus de justification à l’islam politique en Tunisie ». Une déclaration historique confirmée par le dixième congrès d’Ennahda qui s’est tenu du 20 au 22 mai, à Hammamet, et a officiellement consacré la séparation entre la prédication religieuse et l’action politique. Une orientation stratégique en débat à l’intérieur du parti islamiste depuis le dernier congrès de 2012. Mais qui remonte bien plus loin dans l’histoire.
Lire aussi : Rached Ghannouchi : « Il n’y a plus de justification à l’islam politique en Tunisie »
Fin des années 1950, la Tunisie à peine indépendante est tirée par le « combattant suprême », Habib Bourguiba, vers un modèle de société occidentalisée : mixité, abolition de la polygamie, appel à l’arrêt du jeûne durant le ramadan, Code du statut personnel (CSP, un arsenal législatif promouvant les droits des femmes)… La liste est longue. Les élites religieuses et arabisantes font les frais de cette politique. Les postes administratifs et gouvernementaux reviennent aux francophones bilingues. Ces orientations ont été interprétées par une frange de la société tunisienne comme une renonciation à l’identité musulmane et à une remise en cause des traditions.
Alliance de la Zitouna et des Frères musulmans
En réaction, un mouvement composé d’oulémas de l’ancienne université religieuse de la Zitouna et de jeunes militants inspirés par l’idéologie des Frères musulmans s’est structuré pour prôner un modèle de société musulmane et conservatrice. Une sorte d’alternative à ce projet de société considéré comme aliéné par la colonisation d’abord, puis par Habib Bourguiba.
Petit à petit, la prédication se déploie dans l’Association pour la sauvegarde du Coran et dans les mosquées. Ainsi la pierre fondatrice de la mouvance islamiste est la prédication et la défense de « l’identité musulmane ».
Lire aussi : En Tunisie, Ennahda « sort de l’islam politique »
Progressivement, le mouvement se politise et se rapproche de plus en plus de la mouvance des Frères musulmans, fondée en 1928 en Egypte. L’islam est désormais défini comme un système global où la prédication religieuse se conjugue à des actions politiques et sociales. Durant cette période, les stratèges du régime de Bourguiba perçoivent le groupe islamique comme un contrepoids à la montée de la gauche au sein de l’université.
Il faudra attendre la fin des années 1970, marquée par la révolution islamique en Iran, mais aussi par une vague de mouvements sociaux en Tunisie pour que la mouvance islamiste se place ouvertement dans l’opposition, politique cette fois. Ses dirigeants sont poursuivis et emprisonnés. Idéologiquement, le mouvement évolue et s’adapte aux évolutions politiques et sociales. Rached Ghannouchi défend désormais dans ses écrits certains droits des femmes – présentés comme un acquis islamique et non « bourguibien » –, la mixité et l’action syndicale. Des valeurs décriées quelques années plus tôt et considérées comme contraires à l’islam.
Ennahda face à la répression de Ben Ali
Ce n’est qu’en 1981 que le Mouvement de la tendance islamique (MTI, l’ancêtre d’Ennahda) se constitue en parti politique. Déclaré illégal, il engage un bras de fer avec le régime. C’est à ce moment-là qu’il multiplie les appels à la fondation d’un Etat islamique et à l’abrogation du Code du statut personnel, jugé contraire à la charia.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/05/24/tunisie-l-islam-est-il-une-variable-d-ajustement-politique_4925423_3212.html#AJP7ogAmI0SAjsVE.99
En novembre 1987, c’est le « coup d’Etat médical ». Le premier ministre Zine El-Abidine Ben Ali renverse le président Bourguiba au prétexte de sa santé déclinante. Le MTI devient le mouvement Ennahda, renonce à la référence à l’islam dans sa nomenclature et annonce son acceptation du CSP pour obtenir une reconnaissance officielle. Mais ce n’est pas suffisant. Dès 1989, Ben Ali amorce un tournant autoritaire et Ennahda subit la répression la plus violente de son histoire.
Lire aussi : La Tunisie s’interroge sur la mue du parti islamiste Ennahda
Le rapport entre le politique et le religieux dans le parti va à nouveau être discuté au sein de la plate-forme de la coalition du 18 octobre 2005 entre Ennahda et des partis d’opposition démocrate et d’extrême gauche. Les différentes forces politiques d’opposition ont pu se retrouver et échanger leurs positions, ouvrant ainsi la voie à la recherche d’une base commune par le compromis. Les islamistes signent par écrit leur engagement à respecter le CSP et renoncent à l’application de la charia. Encore une fois, ils ont recours aux arguments religieux pour justifier leur revirement. Néanmoins il n’y a pas eu de débats au sein du parti Ennahda, ses membres vivant dans la clandestinité ou sous haute surveillance étant dans l’impossibilité de se réunir.
L’expérience du pouvoir
Advient la révolution en 2011 et la chute de Ben Ali, contraint à l’exil. Ennahda, fort de son capital militant, arrive premier aux élections de l’Assemblée constituante. Jusque-là parti d’opposition, il va faire l’expérience du pouvoir. C’est à ce moment que les différentes tendances d’Ennahda se réunissent et se découvrent. Sadok Chourou, un élu de la Constituante, propose d’inscrire la charia comme « source principale de la loi » en février 2012.
La charia est-elle un texte divin sacré ou le résultat d’une interprétation humaine, donc discutable ? Le débat divise le pays. Les manifestations pour et contre la charia se multiplient. Mathématiquement, Ennahda aurait pu faire voter cet article avec l’appui d’autres élus, mais Rached Ghannouchi, président du parti, coupe court à la polémique. Dans une stratégie d’apaisement, Ennahda renonce à l’inscription de la charia dans la Constitution.
Lire aussi : La Tunisie nouvelle est un concert de mots
En tant que parti désormais au pouvoir, il doit composer avec ses alliés dans le gouvernement, mais aussi avec les autres formations politiques et sociales dans le pays. Pourtant, Ghannouchi rassure sa base en affirmant que l’islam continuera à jouer un rôle dans la législation en se référant à l’article premier de la Constitution : « La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, l’islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime. Le présent article ne peut faire l’objet de révision. » Ce qui implique que ce sont les rapports de forces dans le pays qui vont définir la place de la religion en politique.
Le neuvième congrès d’Ennahda, en 2012, abordait la question de la relation entre le religieux et le politique sans la trancher. Il aura fallu deux ans de discussions au sein du parti pour qu’Ennahda se déleste d’une partie de son identité et du rôle de prédication religieuse qu’il s’était donné à ses débuts.
Les questions de choix gouvernementaux, des modalités de l’alliance avec l’ancien régime et la construction interne du parti ont donc fini par prendre le dessus au sein d’Ennahda. Mais, comme se plaît à le répéter Rached Ghannouchi : « La Constitution n’interdit pas aux imams de s’exprimer sur la politique. »
Manouche- Messages : 734
Re: Tunisie : l’islam est-il une variable d’ajustement politique ?
Pour moi, l'état doit être laïque, un état de religion islamique va, tôt ou tard, appliquer la charia même si c'est de façon modérée. Les droits des femmes seront bafoués et on reviendra à la polygynie. La Tunisie est le pays le plus laïque du monde arabe, avec des Ghanouchi, il risque de devenir l'Afghanistan.
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Re: Tunisie : l’islam est-il une variable d’ajustement politique ?
Comment la Tunisie peut construire un islam d'aujourd'hui
Osons défendre de l'intérieur de l'islam, l'impensable, l'indéfendable: la laïcité et les valeurs universelles de liberté et d'égalité.
28/02/2017 17:09 CET | Actualisé il y a 16 heures
Faouzia Farida Charfi
Physicienne, professeur à l’Université de Tunis
Zoubeir Souissi / Reuters
Comment la Tunisie peut construire un islam d'aujourd'hui. REUTERS/Zoubeir Souissi
Peut-on accepter d'être indéfiniment pris au piège d'un "sacré" qui interdit à la raison de s'interroger sur le passé, de recourir à la critique historique et d'éclaircir notre regard sur l'islam, sur ce que les hommes en ont fait, donnant à la charia –loi islamique- et aux hadiths –actes et dires du Prophète-, plus d'importance que le texte coranique? Nous ne pouvons pas remettre à plus tard la levée des obstacles au respect des libertés individuelles. Nous ne devons pas céder à ceux qui refusent l'adoption des valeurs universelles et les associent à un monde qui serait étranger à notre culture. La réponse que j'adresse à ces derniers est simple: j'ai choisi d'appartenir au monde des libertés et de me donner la légitimité de penser en mon nom ces "sacrées questions": le statut des femmes, le voile et l'inégalité successorale entre les filles et les garçons; le calendrier islamique encore en souffrance et les limites de l'acception des théories scientifiques; enfin, l'interdiction de la représentation imagée que les terroristes salafistes lèvent pour mettre en scène leur violence à l'égard de leurs victimes.
Je traite par là même, de l'enjeu fondamental dans les pays d'islam, celui de la sécularisation. C'est une rupture nécessaire par rapport au système traditionnel qui ne peut concevoir les systèmes politique et juridique et l'ensemble de l'ordre social en dehors des règles islamiques. Une telle rupture n'est évidemment pas acceptable pour les wahhabites et les salafistes, gardiens d'un islam ultra rigoriste, voulant avec une violence dévastatrice nous ramener des siècles en arrière, enfermant nos enfants dans le monde clos et implacable des jardins d'enfants coraniques. Une telle rupture n'est pas plus admise par les promoteurs de l'islam politique, représentés en Tunisie par le parti Ennahdha. Leur acceptation des mécanismes de la vie politique actuelle, - élections et participation au gouvernement et à l'assemblée des représentants du peuple-, ne les empêchent pas de poursuivre leur tentative de déconstruction de l’État moderne, régi par la loi et le droit et non par la norme religieuse, un État qui commence à se mettre en place dès le 19ème siècle, comme l'illustre magnifiquement l'exposition "L'éveil d'une nation" abritée à Tunis dans le palais Ksar Saïd récemment rénové.
Plus précisément, comment agissent-ils? En tentant un retour aux archaïsmes qui remet en cause l'unité juridique que Bourguiba avait mise en place par la suppression des tribunaux charaïques. En portant atteinte à la liberté de croyance garantie par la Constitution de janvier 2014 pour satisfaire une morale conformiste et nourrir une religiosité alliée à l'exclusion de tous ceux qui ne s'y conforment pas. En menaçant le système éducatif d'une islamisation qui mettrait fin à la transmission du savoir universel et à la formation d'esprits libres et critiques, aptes à bousculer les tabous et à revendiquer l'autonomie de la pensée. En réussissant à "revoiler" les femmes tunisiennes, libérées peu de temps après l'indépendance du pays en 1956, de l'usage du voile qui "fait penser à l'usage de la muselière que l'on impose au chien afin qu'il ne morde pas les passants", expression que je reprends du tunisien Tahar Haddad. Ce grand juriste, formé à l'université traditionnelle de la Zitouna à Tunis, au cours des années 1920, propose ardemment l'émancipation des femmes et considère qu'elle s'inscrit dans le cadre de l'évolution des sociétés musulmanes, se démarquant clairement des conceptions traditionnalistes attachées à des règles normatives immuables et permanentes, ces fameuses constantes fondamentales islamiques hors du temps et de l'espace.
Comme Tahar Haddad, l'égyptien Ali Abderraziq, formé à l'université traditionnelle d'Al-Azhar au Caire, prend position avec impertinence et intelligence sur la question qui agite le monde musulman après l'abolition du califat par Attatürk, celle du pouvoir en islam. Le prophète était-il un roi? Islam et politique seraient-ils liés à jamais? Une question brûlante aujourd'hui, que j'invite à analyser dans mon livre, avec les arguments d'Abderraziq. Sa méthodologie d'ordre scientifique et ses arguments tirés du texte coranique et des travaux de théologiens, historiens et réformateurs musulmans l'amènent à considérer que cette institution, que les musulmans ont convenu d'appeler califat, est entièrement étrangère à leur religion et à les convaincre que "rien ne leur interdit de détruire ce système désuet qui les a avilis et les a endormis sous sa poigne". Poursuivons alors dans la filiation de Tahar Haddad et d'Ali Abderraziq, le déblocage de la situation en pays d'islam et osons défendre de l'intérieur de l'islam, l'impensable, l'indéfendable: la laïcité et les valeurs universelles de liberté et d'égalité.
Faouzia Farida Charfi Sacrées questions... Pour un islam d'aujourd'hui, aux éditions Odile Jacob
Osons défendre de l'intérieur de l'islam, l'impensable, l'indéfendable: la laïcité et les valeurs universelles de liberté et d'égalité.
28/02/2017 17:09 CET | Actualisé il y a 16 heures
Faouzia Farida Charfi
Physicienne, professeur à l’Université de Tunis
Zoubeir Souissi / Reuters
Comment la Tunisie peut construire un islam d'aujourd'hui. REUTERS/Zoubeir Souissi
Peut-on accepter d'être indéfiniment pris au piège d'un "sacré" qui interdit à la raison de s'interroger sur le passé, de recourir à la critique historique et d'éclaircir notre regard sur l'islam, sur ce que les hommes en ont fait, donnant à la charia –loi islamique- et aux hadiths –actes et dires du Prophète-, plus d'importance que le texte coranique? Nous ne pouvons pas remettre à plus tard la levée des obstacles au respect des libertés individuelles. Nous ne devons pas céder à ceux qui refusent l'adoption des valeurs universelles et les associent à un monde qui serait étranger à notre culture. La réponse que j'adresse à ces derniers est simple: j'ai choisi d'appartenir au monde des libertés et de me donner la légitimité de penser en mon nom ces "sacrées questions": le statut des femmes, le voile et l'inégalité successorale entre les filles et les garçons; le calendrier islamique encore en souffrance et les limites de l'acception des théories scientifiques; enfin, l'interdiction de la représentation imagée que les terroristes salafistes lèvent pour mettre en scène leur violence à l'égard de leurs victimes.
Je traite par là même, de l'enjeu fondamental dans les pays d'islam, celui de la sécularisation. C'est une rupture nécessaire par rapport au système traditionnel qui ne peut concevoir les systèmes politique et juridique et l'ensemble de l'ordre social en dehors des règles islamiques. Une telle rupture n'est évidemment pas acceptable pour les wahhabites et les salafistes, gardiens d'un islam ultra rigoriste, voulant avec une violence dévastatrice nous ramener des siècles en arrière, enfermant nos enfants dans le monde clos et implacable des jardins d'enfants coraniques. Une telle rupture n'est pas plus admise par les promoteurs de l'islam politique, représentés en Tunisie par le parti Ennahdha. Leur acceptation des mécanismes de la vie politique actuelle, - élections et participation au gouvernement et à l'assemblée des représentants du peuple-, ne les empêchent pas de poursuivre leur tentative de déconstruction de l’État moderne, régi par la loi et le droit et non par la norme religieuse, un État qui commence à se mettre en place dès le 19ème siècle, comme l'illustre magnifiquement l'exposition "L'éveil d'une nation" abritée à Tunis dans le palais Ksar Saïd récemment rénové.
Plus précisément, comment agissent-ils? En tentant un retour aux archaïsmes qui remet en cause l'unité juridique que Bourguiba avait mise en place par la suppression des tribunaux charaïques. En portant atteinte à la liberté de croyance garantie par la Constitution de janvier 2014 pour satisfaire une morale conformiste et nourrir une religiosité alliée à l'exclusion de tous ceux qui ne s'y conforment pas. En menaçant le système éducatif d'une islamisation qui mettrait fin à la transmission du savoir universel et à la formation d'esprits libres et critiques, aptes à bousculer les tabous et à revendiquer l'autonomie de la pensée. En réussissant à "revoiler" les femmes tunisiennes, libérées peu de temps après l'indépendance du pays en 1956, de l'usage du voile qui "fait penser à l'usage de la muselière que l'on impose au chien afin qu'il ne morde pas les passants", expression que je reprends du tunisien Tahar Haddad. Ce grand juriste, formé à l'université traditionnelle de la Zitouna à Tunis, au cours des années 1920, propose ardemment l'émancipation des femmes et considère qu'elle s'inscrit dans le cadre de l'évolution des sociétés musulmanes, se démarquant clairement des conceptions traditionnalistes attachées à des règles normatives immuables et permanentes, ces fameuses constantes fondamentales islamiques hors du temps et de l'espace.
Comme Tahar Haddad, l'égyptien Ali Abderraziq, formé à l'université traditionnelle d'Al-Azhar au Caire, prend position avec impertinence et intelligence sur la question qui agite le monde musulman après l'abolition du califat par Attatürk, celle du pouvoir en islam. Le prophète était-il un roi? Islam et politique seraient-ils liés à jamais? Une question brûlante aujourd'hui, que j'invite à analyser dans mon livre, avec les arguments d'Abderraziq. Sa méthodologie d'ordre scientifique et ses arguments tirés du texte coranique et des travaux de théologiens, historiens et réformateurs musulmans l'amènent à considérer que cette institution, que les musulmans ont convenu d'appeler califat, est entièrement étrangère à leur religion et à les convaincre que "rien ne leur interdit de détruire ce système désuet qui les a avilis et les a endormis sous sa poigne". Poursuivons alors dans la filiation de Tahar Haddad et d'Ali Abderraziq, le déblocage de la situation en pays d'islam et osons défendre de l'intérieur de l'islam, l'impensable, l'indéfendable: la laïcité et les valeurs universelles de liberté et d'égalité.
Faouzia Farida Charfi Sacrées questions... Pour un islam d'aujourd'hui, aux éditions Odile Jacob
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