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Qu'est-ce que la métaphysique?

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Qu'est-ce que la métaphysique? Empty Qu'est-ce que la métaphysique?

Message  Arlitto Sam 03 Sep 2016, 09:12

Qu'est-ce que la métaphysique?


Qu'est-ce que la métaphysique?

Larousse :

1) Science de l'être en tant qu'être, recherche et étude des premiers principes et des causes premières, connaissance rationnelle des réalités transcendantes et des choses en elles-mêmes.

2) Ensemble des connaissances tirées de la raison seule, indépendamment de l'expérience, chez Kant.

3) Interrogation sur la conduite humaine en général, dans l'existentialisme.

4) Spéculations intellectuelles sur des choses abstraites qui n'aboutissent pas à une solution des problèmes réels : Faire de la métaphysique au lieu d'agir.

... le métaphysicien part d'une idée générale et abstraite, puis il affirme que ce à quoi se réfère cette idée existe (il pose une affirmation ontologique) sans en apporter de garantie. Ensuite, il disserte sur ce référent supposé (sur sa nature, ses vertus), de manière plus ou moins rationnelle et argumentée selon le cas.

La métaphysique est un ensemble de discours fictifs, mais ne l'admet pas et tout au contraire prétend à dire le réel ; à ce titre présente le grave inconvénient de nous tromper. Le discours métaphysique, quoique sans objet, a la prétention d'en avoir un, de dire des Vérités et souvent veut les imposer par la persuasion ou par la force. Il embrouille le jugement, suscite des croyances sans fondement et des conduites inadaptées. Du fait de sa généralité, de sa prétention à l'absolue et de sa déconnexion de la réalité, rien ne vient freiner ce type de pensée pour laquelle les dérives dogmatiques et absolutistes sont faciles. Le sens moral et l'empathie sont inopérants face à l'absolue vérité de la métaphysique et à la violence qu'elle engendre.


Patrick JUIGNET
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Message  Arlitto Sam 03 Sep 2016, 09:13

MÉTAPHYSIQUE subst. fém.


A. − PHILOSOPHIE

1. Partie fondamentale de la réflexion philosophique qui porte sur la recherche des causes, des premiers principes. Cours, leçon, livre, problème, revue de métaphysique; critique, dogmatisme, négation, renaissance de la métaphysique. Il n'y a pas d'autre étude philosophique que la métaphysique (Weil, Leçons de philos., Paris, Plon, 1959, p. 253).Tout ce qui ne peut être perçu par le sens externe ou par le sens interne ne peut faire l'objet d'une connaissance au sens propre. Or, c'est le cas des objets traditionnels de la métaphysique: Dieu, le monde, le moi, la liberté et l'immortalité (Thinès-Lemp.1975):

1. On sait que les objections sans cesse renaissantes qui se sont élevées contre la légitimité de ce qu'on a coutume d'appeler la métaphysique et qui se justifient par l'incontestable échec des «systèmes» n'ont jamais empêché les philosophes de reprendre l'éternel débat sur «l'être» explicitement inauguré et signalé par Aristote. G. Vallin, La Perspective métaphys., Paris, P.U.F., 1959, p. 31.


2.
a) [Éventuellement suivi d'un adj. ou d'un compl. déterminatif] Conception particulière de la métaphysique ou système métaphysique particulier. Métaphysique biblique, néoplatonicienne, occidentale, orientale. Les métaphysiques n'étant pas en réalité ce pour quoi elles se donnent, il fallait, pour les réfuter de manière définitive, les ramener à ce qu'elles sont en effet (E. Boutroux, La Philos. de Kant, Paris, Vrin, 1926 [1880], p. 138).La métaphysique boehméenne éclaire singulièrement la place donnée au XIIesiècle à la Vierge-mère (M.-M. Davy, Initiation médiév., Paris, Albin Michel, 1980, p.110).

− [Chez Platon et ses héritiers] Pour ces esprits [platoniciens], (...) la philosop`ie (...) est vraiment une métaphysique, un mouvement au-dela, un effort, non pour saisir des réalités qui expliquent, bien qu'analogues, celles de la nature, mais pour comprendre d'un point de vue supérieur, la loi même (...) en vertu de laquelle l'esprit pose spontanément les unes et les autres (J. Lagneau, Célèbres leçons et fragments, Paris, P.U.F., 1964, p.92).
− [Chez Aristote] La métaphysique d'Aristote tient (...) la place laissée vacante par suite du rejet de la dialectique platonicienne (...). Elle pose le problème très concret: Qu'est-ce qui fait qu'un être est ce qu'il est? (E. Bréhier, Hist. de la philos., t. 1, Paris, P.U.F., 1967, [1938], p. 166).


− [Chez Descartes] La métaphysique cartésienne innove (...) en ce que, loin d'être connaissance théorique et purement intellectuelle, elle est méditation et réflexion vécue (AlquiédsEncyclop. univ.t. 10 1971, p. 986).
− [Chez Kant] La science existe, et le rôle de la philosophie est de découvrir comment elle est possible. La philosophie kantienne fondera donc la science (...) elle constituera une nouvelle métaphysique, que l'on pourrait appeler métaphysique critique (Alquiéds Encyclop. univ.t. 10 1971, p. 987).


− [Chez Marx et ses héritiers; p. oppos. à dialectiqueLa métaphysique est une conception fausse des choses en tant qu'elle considère les choses comme indépendantes les unes desautres et comme statique (L. M. Morfaux, Vocab. de la philos. et des sc. hum., Paris, A. Colin, 1980, p. 215).


− [Chez les existentialistes] Recherche du sens, des fins de l'existence. Nous appelons métaphysique, en effet, l'étude des processus individuels qui ont donné naissance à ce monde-ci comme totalité concrète et singulière. En ce sens, la métaphysique est à l'ontologie comme l'histoire à la sociologie. (...) Pourquoi est-ce qu'il y a de l'être? (...) L'être est, sans raison, sans cause et sans nécessité; la définition même de l'être nous livre sa contingence originelle (Sartre, Être et Néant, Paris, Gallimard, 1981 [1943], p. 683).


b) P. méton. Ouvrage, traité qui étudie la métaphysique. La Métaphysique d'Aristote se trouve être (...) pour sa plus grande partie, un traité de la définition (E. Bréhier, Hist. de la philos., t. 1, Paris, P.U.F., 1967, [1938], p. 166).
B. − P. ext.

1. ,,Toute réflexion méthodique ordonnée à une connaissance approfondie de la nature des choses`` (Foulq. 1962).


2. Conception d'ensemble qu'une personne se fait du monde et de la vie. Se faire sa métaphysiqueIl y a un univers de la jalousie, de l'ambition, de l'égoïsme ou de la générosité. Un univers, c'est-à-dire une métaphysique et une attitude d'esprit (Camus, Sisyphe, 1942, p. 24):

2. Tout le monde a une métaphysique. Patente, latente (...). Lamétaphysique de nos maîtres c'était la métaphysique scolaire, d'abord. Mais c'était ensuite, (...) c'était surtout lamétaphysique de la science... Péguy, Argent, 1913, p. 1119.


C. − Péj. Abus de considérations abstraites, qui, au lieu d'éclairer la pensée, ne font que l'obscurcir. Les chimères de la métaphysique. Voilà une métaphysique abominablement obscure(Stendhal, Racine et Shakspeare, t. 1, 1823, p. 20).

− Expr. fam. Ne pas s'embarrasser de métaphysique. Ne pas s'embarrasser de complications exagérées, rester pratique et concret. (Ds Rob., Lar. Lang. fr.).


Prononc. et Orth.: [metafizik]. Ac. 1694, 1718: metaphysique, dep. 1740: mé-Étymol. et Hist. 1. Ca 1282 philos. metaphisique (Gouvernement des rois, 201, 5 ds T.-L.); 2. 1689 péj. (Bossuet, Avertissements aux protestants, 6econtre M. Jurieu, p. 664); 1751 «abus de la réflexion abstraite» (D'Alembert, Discours préliminaire, Encyclop. t.1, XXXj); 3. 1639 «théorie générale» (Descartes, Lettre au Père Mersenne, 9 janv. ds Œuvres philos., éd. F. Alquié, t. 2, p. 123: métaphysique de la géométrie). Empr. au lat. scolast. metaphysica terme de philos. (1079-1142 ds Nov. Gloss.), formation sav. sur la loc. prép. gr. μ ε τ α τ α φ υ σ ι κ α ́ «après les choses de la nature», placé en tête du traité de métaphysique d'Aristote, qui fait suite à son traité de phys. prép. μ ε τ α ́ «après» et τ α ́ φ υ σ ι κ α ́ «traité de physique» neutre plur. substantivé de l'adj. φ υ σ ι κ ο ́ ς «qui concerne la nature ou l'étude de la nature», v.physique.

DÉR.
Métaphysiquer, verbe intrans.,fam. Faire de la métaphysique. Au soir d'un bel après-midi de juillet où en nous promenant, nous avions interminablement métaphysiqué (Du Bos, Journal, 1926, p. 72).Péj. Tomber dans l'excès de l'abstraction. Le défaut de ce siècle trop littéraire, est de tout Métaphysiquer; c'est à qui raffinera, c'est-à-dire, obscurcira (MercierNéol.1801, p. 124).Emploi trans., rare. Transformer en une abstraction métaphysique. Je me dis: Quand seras-tu auprès de cette amie? (...) Je ne sais pas métaphysiquer ceux que j'aime; je leur vois tout de suite coeur et visage, afin de les mieux posséder (E. de Guérin, Lettres, 1838, p. 227). [metafizike]. Att. ds Ac. 1798-1878.  1resattest. 1737 trans. (Mém. de Trévoux, juin, p. 1043), 1765 intrans. (Diderot, Salon, éd. Assézat, t. 10, p. 307); de métaphysique, dés. -er.
BBG. − Darm. 1877, p. 119 (s.v. métaphysiquer).
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Message  Arlitto Sam 03 Sep 2016, 09:15

Critique de la métaphysique

 
Nous présentons ici une critique de la métaphysique. Cet article vient en complément de l'article sur Les errements de la philosophie, dans lequel il a été fait une brève allusion à la métaphysique. Il est certain que notre propos ne fera pas plaisir à de nombreux philosophes qui considèrent la métaphysique comme leur domaine.
Pour citer cet article :
 

  • JUIGNET Patrick. Critique de la métaphysique. Philosophie, science et société. 2016. 




PLAN
1. Une définition de la métaphysique
2. Les critiques de la métaphysique
3. Métaphysique et idéologie
4. Une philosophie dévoyée


 
1. Une définition de la métaphysique
Nous prendrons comme exemples pour définir la métaphysique, les discours traditionnellement qualifiés comme tels. Selon les thèmes abordés, il est possible de distinguer trois types de métaphysiques, qui, d'ailleurs, se mélangent et se superposent souvent, la métaphysique "fantastique", la "généraliste" et la "métaphysique subjectiviste". Il s’agit là d'une classification empirique très approximative et sans prétention. Voyons ce qui y correspond.


La métaphysique fantastique
C’est la forme traditionnelle la plus répandue, car elle fait partie des mythes et des dogmes religieux qui connaissent depuis les origines de l’humanité un succès jamais démenti. Ses thèmes sont le surnaturel, le divin, l’âme, les esprits, la vie après la mort (le paradis, l'enfer, le purgatoire), les prophètes, etc. Ces idées sont connues par révélation ou croyance en un texte qui fait autorité. Elles forment un récit sur le monde, Dieu, les hommes, le surnaturel, etc.

N'importe quel livre religieux nous en donne des exemples. Ainsi, le Coran indique que son propre contenu (le texte coranique) est "descendu" en une nuit du mois béni de ramadan, Laylat Al-Qadr (la Nuit du Destin et de l’Honneur) sur le "fidèle Prophète" ou bien qu'il est descendu sur le Prophète pendant les vingt-trois années allant du début de la mission prophétique jusqu’à la fin de sa vie. C'est ce que disent les Sourates 97, 44, 17, 85. Diverses discussions ont eu lieu à ce sujet. On entend par la "descente" du Coran pendant Laylat Al-Qadr, le début de sa révélation par Dieu.

La Bible au premier chapitre nous indique qu'au commencement, 
"Dieu créa les cieux et la terre. La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres. Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le premier jour".

L'alchimie est aussi pleine de cette métaphysique fantastique. Pour l'illustrer, nous nous référerons à un auteur du XVIIe siècle, Boëhme.  
"Le désir saturnien enferme cet enfant doré en lui, non en sa forme grise, mais en un éclat obscur […] il le couvre de son manteau noir […] il constitue l’essence du libre désir (le corps d’or) parvenu au plus haut degré de corporéité dans la mort fixe ; il n’est cependant pas la mort mais une fermeture représentative de la divine essence céleste". (Boëhme J., (1621), De la Signature des choses et de l'Entendement et de la définition de tous les êtres, réédition Arché, 1975).
La métaphysique généraliste
C’est une forme tout aussi ancienne qui concerne des thèmes comme l’indéterminé, la forme, l’absolu, la matière, l’inconditionné, l’être en tant qu’être, l’infini, ou encore des thèmes nés de la juxtaposition des précédents comme l'ontologie de l'altérité, la dialectique du même et de l'autre. Il s’agit d'idées générales et abstraites qui sont attribuées au monde et connues a priori, et ne se réfèrent pas à une situation empiriquement identifiable.

A titre d'exemple de discours métaphysique, nous citerons Plotin. Rappelons que, pour Plotin, l'intellect et l'âme sont engendrés à partir de l'Un, principe absolu et inépuisable, qui est le bien ou le simple et l'indifférencié.

« Puis donc qu’il ne faut pas qu’il y ait seulement l’Un - car tout resterait caché sans avoir de forme dans cet Un, et aucun être n'existerait si cet Un restait en lui-même, et il n'y aurait pas cette multitude d'êtres qui a été engendrée à partir de l'Un, pas plus que ceux qui ont procédé à leur suite, et qui ont reçu le rang d’âmes - de la même façon il ne fallait pas qu’il y eût seulement les âmes, sans qu'apparaissent les êtres qui sont nés grâce à elles, puisqu'il est dans la nature de chacun de produire ce qui vient après lui et de se dérouler comme d'une semence à partir d'un principe indivisible qui va jusqu'à son terme sensible ; l'antérieur reste toujours en son propre siège, mais ce qui vient après lui est comme engendré par une puissance indicible, aussi grande que celle qui est dans les êtres antérieurs, et qu'il ne fallait pas arrêter comme pour la circonscrire jalousement, mais toujours faire circuler, jusqu'à ce que tout, au bout de ses possibilités, soit parvenu au point extrême grâce à la puissance infinie qui envoie ses dons à toutes choses, et qui ne peut pas voir avec indifférence que quelque chose est privé de toute part d’elle-même. Car certes rien ne pouvait empêcher que quoi que ce soit eût sa part de la nature du bien, dans la mesure où il était possible à chacun d'y participer » Traité 6 (ch. 6, 1-10).

La forme générale-abstraite de la métaphysique porte aussi sur des catégories telles que le temps, l'espace, la substance, etc.

La métaphysique subjectiviste
Cette forme consiste à se servir de notions ordinaires, puis à les remanier par une méditation personnelle (donc peu partageable) et à en faire un discours abstrait. Elle concerne soi, l’autre, le sujet, la liberté, la mort. Ces idées sont connues par une intuition intellectuelle qui les pose d’évidence pour être justes et effectives, même si elles paraissent parfois très obscures. Cette métaphysique produit un enfermement dans une phraséologie hermétique qui la rend inaccessible aux non-initiés. Nous la qualifions pour cela de subjectiviste ou solipsiste, d'autant plus que son côté hermétique rend les pièges du langage fatals pour la raison.

On trouve ce genre chez Martin Heidegger. Citons comme exemple ce passage sur la mort de Être et temps (§ 47).


"L’expérimentabilité de la mort des autres et la possibilité de saisie d’un Dasein en son tout. Atteindre sa totalité dans la mort, pour le Dasein, c’est en même temps perdre l’être du Là. Le passage au ne-plus-être-Là ôte justement au Dasein la possibilité d’expérimenter ce passage et de le comprendre en tant qu’il l’expérimente. Cependant, quand bien même cela peut demeurer interdit à chaque Dasein par rapport à lui-même, la mort des autres ne s’en impose que plus fortement à lui. Un achèvement du Dasein devient alors « objectivement » accessible. Le Dasein peut, et cela d’autant plus qu’il est essentiellement être-avec d’autres, obtenir une expérience de la mort. Cette donation « objective » de la mort doit alors nécessairement rendre également possible une délimitation ontologique de la totalité du Dasein. Nous demandons : est-ce que cette solution obvie, puisée dans le mode d’être du Dasein comme être-l’un-avec-l’autre, qui consiste à choisir l’achèvement du Dasein d’autrui comme thème de remplacement pour l’analyse de la totalité du Dasein, peut conduire au but qu’on s’est proposé ? Le Dasein des autres, avec la totalité qu’il atteint dans la mort, est lui aussi un ne-plus-être-Là au sens d’un ne-plus-être-au-monde. Mourir, cela ne signifie-t-il pas quitter le monde, perdre l’être-au-monde ? Néanmoins, le ne-plus-être-au-monde du mort, si on le comprend de manière extrême, est un être au sens de l’être sans plus sous-la-main d’une chose corporelle qui fait encontre. Dans le mourir des autres peut être expérimenté le remarquable phénomène d’être qui se laisse déterminer comme virage d’un étant du mode d’être du Dasein (ou de la vie) au ne-plus-être-Là. La fin de l’étant comme Dasein est le commencement de cet étant comme sous-la-main".


Une définition partielle
Nous avons commencé par des exemples pour ne pas être embarrassés par une définition générale peu parlante. En effet, dire que la métaphysique étudie l'être en tant qu'être n'apporte aucune lumière, car "être" a des significations si multiples et "étudier" se fait de si diverses façons, que l'équivocité est massive. Il fallait donc tout d'abord désigner les formes de pensées qui se proposent comme métaphysiques. Tentons maintenant une définition.

Le terme de "métaphysique", remonte à l'édition des œuvres d'Aristote faite par Andronicus de Rhodes (premier siècle après Jésus-Christ) dans laquelle une partie des écrits à caractère général a été jugée comme devant venir "après" (ta metà) ce qui était dédié à la physique (ta physikà). Cette postériorité n'est pas chronologique mais logique, elle indique une généralité qui déborde la réflexion sur la nature, la physique. En ce sens, la métaphysique est, à nos yeux, légitime. Ce serait une réflexion qui vient après la physique, une réflexion a posteriori, au sens de "après" et "appuyée sur" des connaissances empiriques. Mais, comme le montrent les exemples ci-dessus, les manières de faire de la métaphysique diffèrent massivement de ce sage procédé.

Nous désignerons par métaphysique, les discours débordant les données de l'expérience de façon imprudente. Selon la tradition aritotélicienne, reprise par divers auteurs dont Emmanuel Kant, la métaphysique se veut une connaissance a priori des objets comme tels, quels qu'ils soient, y compris les plus généraux et les moins perceptibles. C'est une connaissance qui se veut directe, sans passer par l'expérience. Elle utilise indifféremment une pensée rationnelle ou imaginative. Les thèmes varient énormément : Dieu, l'être, l'un, l'infini, la pureté, le mal, etc.

Clarifier le langage
L'un des grands problèmes de la philosophie vient de ce qu'on ne désigne pas la même chose sous le même nom. Lorsque Frédéric Nef, défenseur de la métaphysique écrit "on détruit non seulement la métaphysique, mais les normes intellectuelles censées lui être associées (clarté, vérité, utilité)", (Nef F., Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, 2004, p. 24.), il est évident que nous ne parlons pas de la même chose que lui, car ces trois caractéristiques sont celles d'une philosophie s'efforçant à la connaissance et ne concernant pas les textes que nous avons cités en exemple. Dès lors, la discussion est bien difficile.

Claudine Tiercelin dans Le ciment des choses - Petit traité de métaphysique scientifique réaliste (Paris, Ithaques, 2015) traite de questions qu'il est dommage de qualifier de métaphysiques. En effet, une pensée "scientifique rationaliste et réaliste" n'est pas de la métaphysique, ou alors on nomme du même nom des contraires, ce qui n'est pas souhaitable. La manière métaphysicienne se prononce, par une intuition directe, qui n'est ni scientifique, ni rationnelle.

Contrairement à ce que Claudine Tiercelin a pu dire lors de sa leçon inaugurale du Collège de France (Métaphysique et philosophie de la connaissance - 5 mai 2011), la métaphysique n'est pas « coextensive de l'ontologie ». La métaphysique déborde de toute part de l'ontologie qui en est la partie rationnelle et acceptable, partie que l'on doit distinguer. Faire des hypothèses sur la structure du réel ou affirmer que Dieu créa le monde en six jours, ce n'est pas le même type de pensée et il est important de ne pas les assimiler sous le même terme de métaphysique.

Le terme de "métaphysique scientifique" utilisé par divers auteurs tels que David Papineau, Michael Esfeld (Philosophie des sciences, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009) est inapproprié car la métaphysique se définit de n'être pas scientifique. Il est préférable d'utiliser le terme "d'ontologie" pour désigner les hypothèses sur le réel issues des sciences.

2. Les critiques de la métaphysique
Une question de goût ?
L'attrait ou la répugnance pour la généralité indémontrable remonte probablement aux origines de la philosophie. Citons Xénophon qui, dans les Mémorables, opposait Socrate, s'abstenant de discuter de la nature de toutes choses, aux sophistes examinant comment le cosmos a pu naître, et selon quelles nécessités se produisent les phénomènes célestes. (Xénophon, Mémorables, I, 1, 10-12). Il s'agit là, d'une sorte de prudence par rapport à ce qui semble hors de portée de la connaissance, telle qu'elle est à un moment donné.  Dans l’œuvre d'Aristote, la métaphysique restait prudente et s'apparentait plutôt à ce que nous qualifierions d'ontologie (voir après) en ayant pour objet les principes et causes premières.

La critique de Kant
C'est à Emmanuel Kant que l'on doit la critique moderne (et décisive) de la métaphysique. Kant ne s'est préoccupé que de la métaphysique rationnelle, laissant de côté la métaphysique fantastique. Il a montré que la métaphysique soutient des propos contradictoires de manière parfaitement rationnelle. L'usage de la raison produit des paralogismes lorsqu'elle s'applique à des thèmes métaphysiques comme l'âme, Dieu ou l'infini.

Le second reproche fait par Kant à la métaphysique c'est qu'elle prétend connaître le monde en-soi, ce qui contrevient au fait que, par définition, nous n'accédons jamais à la chose en-soi, mais seulement à la réalité via notre expérience. Prétendre discourir directement sur le suprasensible, comme le fait la métaphysique est vain puisque nous n'y avons pas accès. Si nous le faisons, nous commettons une erreur, car nos catégories s'appliquent aux données de l'expérience et non au suprasensible. Un concept (transcendant) ne peut avoir qu'un usage immanent par rapport aux objets de l'expérience car la connaissance vient de la régulation qu'apporte la réalité à notre pensée. Seule l'expérience garantit la valeur de nos connaissances et au-delà de l'expérience ce n'est plus le cas.

Pour Kant, l'homme est irrésistiblement poussé à utiliser sa raison au-delà de son usage légitime et ainsi naît la métaphysique. Autrement dit, elle naît lorsque des propositions transgressent les conditions de possibilité de la connaissance. Au-delà de la connaissance, on entre dans la croyance.

"Tous ceux de nos raisonnements qui veulent nous conduire au-delà du champ de l'expérience possible sont trompeurs et sans fondement ; [....] la raison humaine a un penchant naturel à sortir de ces limites, les idées transcendantales lui sont tout aussi naturelles que le sont les catégories de l'entendement, avec toutefois cette différence que, tandis que ces dernières conduisent à la vérité c'est-à-dire à l'adéquation de nos concepts avec l'objet , les premières ne produisent qu'une simple mais inévitable apparence, dont c’est à peine si l'on peut écarter l'illusion au moyen de la plus pénétrante critique". (Kant E., Critique de la raison pure ; Appendice à la dialectique transcendantale, Paris, PUF, 1967, p. 452.)

Pour résumer le propos de Kant nous dirons que l'entendement ne peut être utilisé pour penser au-delà de l'expérience. Nous ne pouvons rien démontrer rationnellement sur l'âme, Dieu ou le monde en soi, et en parler c'est laisser place à la "croyance" (Kant E., Critique de la raison pure, Paris, PUF, 1967, p.24).

Reprise de sa critique
La métaphysique prétend penser l'être, c’est-à-dire penser directement ce qui existe en soi. Ce n'est pas une ambition impossible et totalement illégitime mais, chez les métaphysiciens, cette volonté a pris une tournure particulière qui implique la possibilité d'un rapport direct entre l'individu connaissant et l'être. Or, tout humain fait partie du monde et accède au monde par son expérience. Cette expérience met en évidence la réalité empirique et non pas l'être en soi. L'accès à l'être ne peut être direct, il doit passer par une connaissance de la réalité empirique. Si nous appelons réel cet être en soi, il faut admettre que nous ne pouvons rien connaître directement du réel en lui-même (et encore moins sur des êtres supposés au-delà du réel, des êtres transcendants), ce qui récuse la légitimité des métaphysiques traditionnelles.

Kant montre que la métaphysique aboutit à des apories. C'est ce que constatera un peu plus d'un siècle plus tard le physicien Pierre Duhem.

"En effet, aucun philosophe, si confiant qu’il soit dans la valeur des méthodes qui servent à traiter des problèmes métaphysiques, ne saurait contester cette vérité de fait : Qu’on passe en revue tous les domaines où s’exerce l’activité intellectuelle de l’homme ; en aucun de ces domaines, les systèmes éclos à des époques différentes, ni les systèmes contemporains issus d’Écoles différentes, n’apparaîtront plus profondément distincts, plus durement séparés, plus violemment opposés, que dans le champ de la Métaphysique". (Pierre Duhem, La Théorie physique, son objet, sa structure, Paris, Vrin, 1981, p. 8-9.).


3. Métaphysique et idéologie
Métaphysique et sens
Le Cercle de Vienne dénonçait la métaphysique comme une connaissance dépourvue de sens, car ce mouvement néopositiviste désignait par le terme de "sens" le lien à un référent concret dans le monde. C'est une manière de dénoncer les discours ne se rapportant à aucune réalité. Cette manière de dire présente toutefois un inconvénient important, celui de présupposer que le sens des énoncés consiste dans leur référent concret, c'est-à-dire dans la partie de la réalité qu'ils décrivent. Le sens des énoncés a une dimension conceptuelle-représentationnelle indépendante de sa référence concrète, et il est faux de dire que la métaphysique soit dépourvue de sens. Tout au contraire, la métaphysique fabrique du sens et c’est même ce qui motive son succès. Ce sens sert à enchanter le monde, à lutter contre l’angoisse devant l’absurdité et l’immensité du monde (Blaise Pascal en donne un exemple), à se consoler des difficultés de la condition humaine (l’impuissance et l’ignorance, la souffrance et la mort).

Métaphysique et idéologie
En général, elles ont partie liée. La métaphysique sert de fondement et de caution à l'idéologie. Par idéologie, nous entendons un ensemble d'opinions partagées par un groupe social, opinions qui exercent des effets collectifs au-delà de la sphère privée. C'est une pensée asservie par les nécessités inhérentes à l’action collective. Elle est véhiculée et fréquemment réitérée par les membres du groupe, ce qui influence son contenu, qui se simplifie, et sa forme rhétorique, qui se rôde au fil du temps. Il faut bien constater qu'une partie de la philosophie consiste à reprendre et à donner une forme cohérente à l'idéologie. L'idéologie véhicule un ensemble de croyances adossé à des intérêts particuliers ou généraux.

La métaphysique fantastique, depuis toujours, apporte des justifications à l'idéologie politique. C'est appuyé sur Dieu que le pharaon, le roi, ou le Calife justifient leur position dominante et leur pouvoir. L'utilisation de la métaphysique favorise la croyance en l'idéologie, car elle fait référence à un ailleurs, un au-delà, connu par révélation des seuls initiés (d'abord le prophète puis ses représentants), en même temps qu'elle détourne l'attention de la réalité du pouvoir. De nos jours, il est évident que l'islam sert d'idéologie pour mobiliser les masses à des fins politiques.

La métaphysique généralisante procède de la même manière. Par exemple, l'ontologisation abusive d'aspects purement empiriques comme le travail, la population, le pouvoir politique, a permis à Heidegger de transformer le travail en mode d'être du peuple Allemand, au même titre que le souci. La substance de l'homme devient l'existence qui est celle de la communauté organique du peuple en lien vivant avec son Führer. Le Dasein devient le "destin historico-métaphysique du peuple allemand". (voir le livre d'Emmanuel Faye : Heidegger, L'introduction du nazisme dans la philosophie, Paris, Albin Michel, 2005). Métaphysique et idéologie s'interpénètrent.

La religion est, en général, un mixte de métaphysique et d’idéologie. Elle a un fondement métaphysique, mais, en même temps, poursuit toujours un but social : elle rassemble, elle crée une identité collective, elle est utilisée par les États.


Métaphysique et ontologie
Nous finirons par une remarque positive sur l'ontologie. Une réflexion a posteriori, au sens de "après" et "appuyée sur" les connaissances empiriques est possible. Cette manière sage de procéder, nous la nommons ontologie. C'est une pensée rationnelle qui porte sur le réel, soit par l’examen de la structure de nos connaissances empiriques, soit par une généralisation prudente de celles-ci. Il est possible de faire des hypothèses sur la structure du réel (ce que nous nommons "réel" pour éviter les équivocités de l'être.)

Le monde en soi (le réel tel qu’il est en dehors de nous) ne nous est pas totalement inaccessible, car les faits (les phénomènes) sont en rapport avec lui. Il est donc légitime de proposer une ontologie qui donne une idée du réel à partir du connu (la réalité), c'est-à-dire en s'appuyant sur les connaissances empiriques existantes. C'est ce que nous appelons une ontologie "prudente" pour la distinguer de la métaphysique (imprudente). Cette ontologie prudente fournit un cadre à la connaissance, comme, par exemple, l'idée du monde comme totalité ou l'idée d'une organisation du réel. Ces idées sont utiles et ont un rôle régulateur sur la pensée.


4. Une philosophie dévoyée
Pour résumer notre propos, nous dirons que le métaphysicien part d'une idée générale et abstraite, puis il affirme que ce à quoi se réfère cette idée existe (il pose une affirmation ontologique) sans en apporter de garantie. Ensuite, il disserte sur ce référent supposé (sur sa nature, ses vertus), de manière plus ou moins rationnelle et argumentée selon le cas. C'est une pensée qui fait passer des entités fictives pour des êtres réels. En ce sens, la métaphysique ne participe pas à l'effort de vérité de la philosophie.

La métaphysique est une fiction, mais elle ne l'admet pas et tout au contraire prétend dire le réel ; à ce titre présente le grave inconvénient de nous tromper. Le discours métaphysique, quoique sans objet, a la prétention d'en avoir un, de dire des Vérités et souvent veut les imposer par la persuasion ou par la force. Il embrouille le jugement, suscite des croyances sans fondement et des conduites inadaptées. Du fait de sa généralité, de sa prétention à l'absolu et de sa déconnexion de la réalité, rien ne vient freiner ce type de pensée pour laquelle les dérives dogmatiques et absolutistes sont faciles.

La métaphysique généraliste et la métaphysique subjectiviste donnent des discours ésotériques, difficiles à suivre, qui semblent futiles et sans objet pertinent. Quant à la métaphysique fantastique, certes, elle donne du sens au monde et à la vie, mais comme il est illusoire et c'est un facteur d’ignorance et d’obscurcissement de la pensée. Le sens moral et l'empathie sont inopérants face à l'absolu de la métaphysique religieuse et à la violence qu'elle engendre pour s'imposer.

Proposer une éthique et un récit du monde cohérents, assouvirait le besoin qu'a la plupart des hommes de donner un sens à leur vie. Une éthique humaniste serait un meilleur guide que les diverses métaphysiques qui servent d'appui aux idéologies et aux pouvoirs politiques. Du XVIIIe au XXe siècle la philosophie a progressivement tenté de se séparer de la métaphysique, mais, évidemment, rien n'y fait et elle revient sans cesse, car selon le mot d'Émile Meyerson, l'homme fait de la métaphysique comme il respire.

 
Bibliographie
Boëhme J., De la Signature des choses et de l'Entendement et de la définition de tous les êtres, Arché, 1975.
Duhem P., La Théorie physique, son objet, sa structure, Paris, Vrin, 1981.
Esfeld M., Philosophie des sciences, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009.
Heidegger M., Être et temps, Paris, Gallimard, 1986.
Kant E., Critique de la raison pure ; Appendice à la dialectique transcendantale, Paris, PUF, 1967
Nef F., Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, 2004.
Tiercelin C.,  Le ciment des choses - Petit traité de métaphysique scientifique réaliste, Paris, Ithaques, 2015.


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Message  Arlitto Sam 03 Sep 2016, 09:16

Métaphysique

Métaphysique (nom commun)Discipline qui traite de l'être et des premiers principes.Science de l'être en tant qu'être. Syn. ontologie.Recherche des premières causes et des premiers principes. Syn. philosophie première.Métaphysique (adjectif)Relatif à la métaphysique aux sens précédents.Considéré indépendamment de la connaissance qu'on en a.(Courant) Trop abstrait, qui n'a pas d'impact sur le réel.


Science, philosophie et métaphysique

La métaphysique est intimement liée à la science et à la philosophie. Quelle que soit l’époque, la métaphysique se positionne par rapport à ces deux domaines. Certains ont opposé science et métaphysique : d’autres les ont réunit. Certains ont vu une rupture entre philo et métaphysique : d’autres une continuité. Quelles que soient les options choisies, les trois concepts vont ensemble. Les prises de positions sur la métaphysique sont donc rarement disjointes de celles sur la philosophie et la science.

Concernant la philo
La métaphysique est selon les cas :

  • identifiée à la philosophie

  • considérée comme une branche de la philosophie

  • séparée de la philosophie


Ces options ont eu un succès différent selon les époques et les courants de pensées. En Grèce antique, la séparation philosophie / métaphysique / science est faible, voire absente. Avec l’essor des théologies monothéistes, la métaphysique commence à s’écarter de certains champs philosophiques. Le lien entre les disciplines reste pourtant très fort. Ce n’est qu’à partir du XVIIIe que la philosophie et la métaphysique commencent à être dissociées, voire opposées.

Beaucoup de penseurs entre le XVIIIe et le XXe ont rejeté la métaphysique hors de la philosophie. La métaphysique est alors vue comme une dérive illégitime de la philosophie. Elle serait une philosophie pervertie, un débordement de la pensée. La métaphysique devient alors une sorte de double maléfique de la philosophie. Elle représente un risque : le philosophe peut s’égarer dans des considérations métaphysiques dénuées de sens et détachées de l’expérience.

Pourtant, nombre des opposants à la métaphysiques sont en fait eux-mêmes des métaphysiciens. Ils ne s’opposent pas à « la » métaphysique, mais à une certaine conception de la métaphysique. Ils proposent, sans forcément l’admettre, une métaphysique alternative à celle qu’ils critiquent. Kant, Nietzsche, Wittgenstein : tous ces gens là font de la métaphysique ! Ce n’est pas parce qu’ils décrient le domaine qu’ils ne le pratiquent pas de facto.

La seconde moitié du XXe voit toutefois un retour de la métaphysique. Outillée par la logique mathématique, la philosophie américaine va « relancer » la réflexion métaphysique. Et c’est délicieux. C’est tellement délicieux. C’est le meilleur de la philosophie. Achetez vous un bouquin sur l’identité pour voir à quoi ça ressemble. Le Corpus GF par Stéphane Ferret fera l’affaire. Ou un truc sur les modalités, genre le Qu’est ce que la nécessité chez Vrin. C’est tellement bon tout ça.

Concernant la science
Ses rapports avec la métaphysiques ressemblent globalement à ceux entre métaphysique et philosophie. La méta peut être :

  • identifiée à la science

  • en continuité avec, voire être une partie de la science

  • séparée totalement de la science


On peut alors d’avoir des positions variées concernant les rapports philosophie / science / métaphysique :

  • philo = science = métaphysique

  • (philo = science) ≠ métaphysique

  • philo ≠ science ≠ métaphysique

  • etc…


On note que si la métaphysique conserve un lien profond et étroit à la philosophie, celui à la science est aujourd’hui plus faible. La métaphysique est alimentée par la science, mais l’impact de la métaphysique contemporaine sur la science est moins visible.

Bibliographie

  • Métaphysique, Dictionnaire de philosophie, Noëlla Baraquin, Armand-Colin, 2007

  • Métaphysique, Dictionnaire de philosophie, Christian Godin, Fayard, 2004

  • Métaphysique, Dictionnaire des concepts philosophiques, Michel Blay, Larousse-CNRS, 2007

  • Métaphysique, Nouveau vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, Louis-Marie Morfaux, Jean Lefranc, Armand-Colin, 2005

  • Métaphysique, Philosophie de A à Z, Collectif, Hatier, 2000

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Message  Arlitto Sam 03 Sep 2016, 09:17

Qu’est-ce que la métaphysique ?

En bref : La métaphysique est la tentative de dire la vérité ultime sur le Monde : en quoi le Monde consiste-t-il ? Pourquoi existe-t-il ? Quelle place y avons-nous ?
  
 La métaphysique

Historiquement, cette branche de la philosophie qu’on appelle la « métaphysique » est apparue dans l’Antiquité, chez les deux premiers grands philosophes grecs : Platon et Aristote (bien que le terme « métaphysique » ne se trouve pas chez Platon, et qu’il n’ait été introduit que postérieurement dans l’œuvre d’Aristote : ce qui importe, c’est que la réalité de la recherche métaphysique se trouve aussi bien chez l’un que chez l’autre).

Qu'est-ce que la métaphysique? Aristote-3-41f0dAristote (384-322 av. J.-C.), fondateur de la métaphysique

Néanmoins, pour une définition initiale de la métaphysique, nous ne recourrons ni à Platon ni à Aristote, mais plutôt à un métaphysicien contemporain. Pour la raison suivante : la métaphysique contemporaine est foncièrement la même recherche et la même discipline que celle inaugurée par Platon et Aristote, mais elle présente l’avantage d’avoir progressé au fil des siècles, et notamment de façon significative au 20e siècle. Pour comprendre ce qu’est la métaphysique, il vaut donc mieux s’adresser à un métaphysicien contemporain, qui a une compréhension à la fois plus exacte et plus claire de ce qu’est la métaphysique.

Qu'est-ce que la métaphysique? Armstrong_4-ce296D. M. Armstrong (1926-2014), un métaphysicien contemporain

Dans ce qui suit, nous nous attacherons principalement à la théorie métaphysique de D. M. Armstrong (philosophe australien, 1926-2014). Armstrong (bien qu’il fasse sans nul doute de la métaphysique et ne s’en cache pas !) ne donne jamais aucune définition générale de ce qu’est la métaphysique : cela lui semble sans doute inutile, parce qu’évident à ses yeux, ou parce qu’une telle caractérisation est aisément disponible ailleurs. Nous irons donc chercher cette caractérisation générale chez un autre métaphysicien contemporain d’envergure : Peter van Inwagen (1942-).

P. van Inwagen a publié un manuel de métaphysique destiné à des étudiants en philosophie de 1er cycle, au début duquel il donne une définition très claire de ce qu’est la métaphysique. Voici en substance ce qu’il dit.

Qu'est-ce que la métaphysique? 9780813343563-05782Un manuel de métaphysique contemporaine

La meilleure définition initiale qu’on puisse donner de la métaphysique est la suivante : la métaphysique est l’étude de la réalité ultime. Que veut dire « réalité ultime » ? Pour le comprendre, il faut faire attention à l’opposition apparence/réalité. Il y a ce qui seulement semble vrai, mais ne l’est pas (l’apparence), par opposition à ce qui est effectivement vrai (la réalité) : par ex., pendant des siècles, il a certainement semblé aux hommes que le soleil tournait autour de la terre, mais nous savons aujourd’hui qu’il n’en va pas ainsi. Mais que veut dire « réalité ultime » ? On peut dépasser une certaine apparence, mais cela ne signifie pas qu’on a nécessairement atteint une réalité elle-même indépassable : peut-être le fait que la terre tourne autour du soleil (et non l’inverse) est-il lui-même une simple apparence par rapport à une réalité encore plus profonde... Donc, en recherchant la réalité ultime, la métaphysique cherche à atteindre la vérité absolument finale sur les choses : celle qui n’est l’apparence d’aucune vérité plus profonde encore. Peut-être cette vérité n’existe-t-elle pas : peut-être le réel n’est-il constitué que d’une série infinie d’apparences toutes plus profondes les unes que les autres... Mais même dans ce cas, paradoxalement, la métaphysique a quand même un objet : la réalité ultime des choses serait précisément qu’elle ne consiste qu’en une série infinie d’apparences !

Une définition donc encore meilleure de la métaphysique serait la suivante : la métaphysique est la tentative de dire la vérité ultime sur le Monde. Cette définition est foncièrement la même que la précédente, mais elle laisse ouverte la possibilité que la vérité ultime ne consiste pas en l’affirmation de l’existence d’une réalité ultime. Le « Monde », ici, signifie « toute chose » (everything) - y compris Dieu (s’il existe).
Enfin, P. van Inwagen propose une troisième définition de la métaphysique, qui développe et précise le contenu de la deuxième définition. La métaphysique est l’étude qui cherche à répondre à trois grands types de questions :


  • En quoi le Monde consiste-t-il ? Quelles sont ses grandes caractéristiques, et quels types de choses contient-il ? Est-il purement matériel, purement physique, ou contient-il aussi des réalités spirituelles, voire quelque chose de tel que Dieu ? etc.

  • Pourquoi ce Monde existe-t-il ? S’agit-il d’un « fait brut » ? Ou bien s’explique-t-il par l’existence de Dieu, qui serait elle-même inexplicable ? etc.

  • Quelle place avons-nous, nous autres hommes, dans ce Monde ? Sommes-nous une simple partie physique d’un Univers lui-même purement physique ? Ou bien avons-nous une nature et une destinée autre, « spirituelle » ? etc.


Comme le dit P. van Inwagen :

La métaphysique est l’étude qui propose des réponses à ces trois questions et s’efforce de choisir entre les différents ensembles de réponses qui peuvent leur être apportées.
 
Pour aller plus loin

Après la définition très générale de la métaphysique donnée par van Inwagen, on peut aller plus loin :


Notes

[1] Peter van Inwagen, Metaphysics, 3rd edition, Westview Press, 2009, ch. 1 : « Introduction », p. 1-22.
[2] Op. cit., p. 6.

La métaphysique est définie par Gérard Dorn dans le tome 2 de l’Artificium Chymisticum de 1559, p. 3 et suiv., où il commente la Table d’Émeraude d’Hermès.
Je résume : La Nature (physis), et donc la physique, est vraie et fausse. La métaphysique sépare ces deux spagyriquement pour obtenir le vrai, le certain et le très véritable ...
Si cela intéresse quelqu’un, les éditions belges « Beya Éditions » (Grez-Doiceau) ont publié plusieurs livres dont l’intérêt historique, philosophique, et universitaire semble évident. Il s’agit notamment de l’oeuvre, des commentaires, et des polémiques suscités par Paracelse, auteur très connu dans le monde germanophone mais, curieusement, très peu édité en français. Son grand diffuseur en latin fut Gérard Dorn (16ième s.), auteur belge travaillant pour le frère du roi de France. Les ouvrages proposés par Beya sont traduits du latin en français pour la première fois.
En voici la liste :
N° 13 : Paracelse, Dorn, Trithème, 2002. I.S.B.N. 978-2-9600575-7-7
N° 14 : Défenseurs du Paracelsisme Dorn, Duclo, Duval, 2013. I.S.B.N. 978-2-9600575-9-1
N° 16 : La Clef de toute la philosophie chimistique, et Commentaires sur trois traités de Paracelse, 2014. I.S.B.N. 978-2-939729-01-5
N° 5 : Les Arcanes très secrets de Michael Maier, 2005. I.S.B.N. 2-9600364-5-X
N° 15 : Jean Reuchlin, Le Verbe qui fait des merveilles, 2014. I.S.B.N. 978-2-930729-00-8
Très cordialement.
Pr Stéphane Feye
Schola Nova (non soumise au décret inscriptions) - Humanités Gréco-Latines et Artistiques
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Message  Arlitto Sam 03 Sep 2016, 09:17

Qu’est-ce que la métaphysique ? (1/4) : Aristote, la science de l’être en tant qu’être   



Quel est l'objet de ce qu'Aristote appelle "la science recherchée" ou la "philosophie première"? L'être en tant qu'être en son sens le plus universel, ou bien un premier principe immobile, éternel et divin? En somme que veut dire "premier" chez Aristote?
Réponses fondamentales au "pourquoi?" de toute chose, avec David Lefebvre.

EXTRAITS :
- Mise en scène du Banquet de Platon, émission Théâtre et compagnie sur FC en décembre 2010. Socrate est joué par Thierry Hancise. 
- Emission Marguerite et la métaphysique, sur FC en février 1997. Réalisée par Jacques Taroni
- Mise en scène d’un conte pour enfant de Blaise Cendrars, « Pourquoi pourquoi » en 1952.

LECTURE :
- Aristote, Métaphysique, livre Gamma, chapitre 1 et 2, traduction de J. Tricot, (Vrin)
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Message  Arlitto Sam 03 Sep 2016, 09:18

La métaphysique et les sciences

Les nouveaux enjeux
Claudine Tiercelin
Qu'est-ce que la métaphysique? 3684-225x270

Texte intégral


  • 1 E. Meyerson, « Philosophie de la nature et philosophie de l’intellect », Revue de Métaphysique, t.  (...)

  • 2 E.J. Lowe, The Possibility of Metaphysics : Substance, Identity and Time, Oxford UP, 1998, p. 3.


1À bien des égards, l’époque semble révolue de la métaphysique comme « reine des sciences ». Même si « l’homme fait de la métaphysique comme il respire1 », il est devenu presque naturel, surtout depuis le virage kantien, de considérer que c’est aux sciences de nous dire de quoi le monde est fait et partant (du moins le croit-on) ce qu’il est. La métaphysique, quant à elle, ne pourrait rien nous apprendre de la réalité objective : au mieux peut-elle nous informer sur certains traits nécessaires de ce que nous pensons à son sujet. Aussi, réfléchir aux relations entre la métaphysique et les sciences, est-ce assurément évoquer leurs liens tendus tout au long de l’histoire et donc le bien fondé, pour l’une comme pour l’autre, de certains rappels à l’ordre. C’est suggérer ensuite, pour éviter scientisme et apriorisme, quelques règles simples de bonne conduite. C’est parier enfin, du moins si l’on veut écarter un idéalisme qui menace pareillement savants et métaphysiciens, sur la double possibilité du réalisme scientifique comme tel et d’une métaphysique scientifique capable de nous dire, sans rien avoir à envier aux sciences, ce qui est vrai, certes, de ce que nous pensons de la réalité, mais aussi et surtout de la réalité en soi2. Tels sont, me semble-t-il, les enjeux majeurs qui se posent aujourd’hui non seulement au philosophe et à l’historien des sciences et au métaphysicien (au sens traditionnel que l’on est habitué à donner à ces termes en France) mais au philosophe tout court, auquel incidemment certains problèmes cruciaux touchant au langage, à la connaissance ou encore à l’éthique ne devraient jamais apparaître, à plus ou moins long terme, comme absolument étrangers.

1. Métaphysique et science : une histoire mouvementée

  • 3 Aristote, Met. , 3, 1005a 33-34.

  • 4 Aristote, Met. A, 3, 983a 25 ; Met. E, 1, 1026a 10 ; Met. , 11, 1019a 5 ; Met. A, 8, 989a 19. Voir (...)


2Je commencerai donc par quelques brefs rappels sur cette histoire mouvementée, qui ne date pas d’hier, des relations entre la métaphysique et les sciences. One ne le sait que trop en effet : science et métaphysique ne font pas bon ménage. Plutôt que de se demander de quoi le monde est fait (d’eau, d’air, de feu ?), à l’inverse des physiciens (Empédocle, Thalès ou Anaximène) uniquement soucieux des causes matérielles, Aristote préféra s’interroger sur « un savoir encore plus élevé que celui du physicien3 », sur les causes premières, sur ce qui est connu avant toute autre science, partant, sur ce qui est en tant seulement qu’il est. Ainsi est venue au jour la métaphysique, terme dont on sait par ailleurs (j’avais eu l’occasion il y a une vingtaine d’années de le rappeler en détail) qu’il n’est pas celui d’Aristote, mais le produit d’un accident de l’histoire, dû à la classification de certains textes du Stagirite censés se trouver « après la physique4 ».

3À l’époque moderne, la science a, dit-on souvent, pris sa revanche sur cette science des premiers principes, sur cette philosophie première ; et elle a pris son envol grâce à un désossage de la réalité et une répartition des rôles. Au métaphysicien et/ou théologien, les causes, essences et autres qualités occultes, la réalité inaccessible, inconnaissable et donc aussi inintelligible. Mais peu importe au fond : qui aurait envie désormais de lui voler « la question du sens de l’être » ? Au savant, la découverte ou plutôt la construction enthousiasmante de la réalité objective par idéalisations diverses : réduction du réel physique à son écriture mathématique, de la qualité à la quantité et à la mesure ; rejet de la finalité en faveur du mécanisme ; domestication des intuitions communes dans un maillage serré de concepts, de lois expérimentales mais aussi de techniques. Au diable les causes ! L’apparence phénoménale est subsumée sous des lois et des fonctions. Calculer, prédire, mais aussi bricoler, tels sont les maîtres mots. Pourquoi cette substance brûle-t-elle en dégageant une flamme jaune? Parce que tous les corps de cette espèce (sel de sodium) le font, explique le modèle déductif nomologique (D-N) de Hempel : une loi de couverture intervient dans l'explanans et, moyennant telles ou telles circonstances, on déduit l'explanandum de l'explanans.


  • 5 F. Nef, Traité d’Ontologie, Gallimard 2009, p. 139.


4On se souvient du « compromis » proposé par Osiander à Copernic, des conseils de prudence de Bellarmin à Galilée : ne donnez pas un sens réaliste à vos théories, elles ne sont ni vraies ni fausses (la Bible reste ainsi seule détentrice du vrai, et vous n’aurez pas à craindre le bûcher…) ; ce sont des instruments intellectuellement économes (déduits de quelques principes mathématiques) destinés à mesurer des faits empiriques et à représenter aussi simplement, complètement et exactement que possible un ensemble de lois expérimentales, mais sans donner d'explication profonde de la réalité. « Sauver les phénomènes », cela veut dire aussi : préférez les mythes ou les démonstrations des « mathématiciens » (Platon) aux syllogismes des logiciens et aux expérimentations des « physiciens » et autres dissections de naturalistes (Aristote). Berkeley, Mach, puis Duhem (aujourd’hui, Van Fraassen) reprendront en chœur l’injonction. L’anti-réalisme, sous les divers atours qu’il a su revêtir – phénoménisme, conventionnalisme, instrumentalisme, pragmatisme et, pour finir, empirisme constructif – est évidemment plus ancien (et souvent plus pervers) que le positivisme, qu’il soit comtien ou logique. Mais, dira-t-on, n’est-ce pas le prix à payer pour l’autonomie de la « philosophie naturelle », pour cette « extraterritorialité », cette « immunité diplomatique de la physique à l’égard de la métaphysique » qu’évoquait Frédéric Nef en 2009 dans son Traité d’ontologie5 ?. Désormais la science, et la physique en premier lieu, sera donc notre principale (voire seule) source d’information sur la réalité.


  • 6 J. Bouveresse, Essais VI, Les Lumières des positivistes, Agone, 2012.

  • 7 M. Schlick, « Le vécu, la connaissance la métaphysique », in A. Soulez & I. Sebestik (dir.), Manife (...)

  • 8 Voir P. Duhem, La théorie physique, Paris, Alcan, 1906, surtout p. 21, 27, 249-255, 269-270.

  • 9 M. Schlick, op.cit., p. 183 ; cf. Tiercelin, 1995, op.cit., p. 468-473.

  • 10 R. Carnap, « Le dépassement de la métaphysique par l’analyse logique du langage », in Soulez & Sebe (...)

  • 11 M. Schlick, op.cit., p. 193-195. Sur tout ceci, cf. Tiercelin, 1995, op.cit., p. 460sq.


5Comment contester les succès ainsi obtenus ? Comment oublier (ce qui est plus fréquent, tant ils sont décriés) que les positivistes, ainsi que le rappelait récemment encore Jacques Bouveresse, sont bien aussi les fils des Lumières6 ? La science, c’est d’abord le public, le communicable7, martelait Schlick, la connaissance et la maîtrise de la nature rendues possibles par le biais d’instruments de mesure et de symboles abstraits qui assurent la désignation et la coordination rationnelle entre lois et théories8. La métaphysique a bien, elle aussi, un contenu, mais il n’est pas théorique et ne renvoie pas à des états de choses (Darstellungen von Sachverhalten). C’est prendre à tort « ce qui ne peut être que le contenu d'une appréhension (kennen) pour le contenu possible d'une connaissance (Erkenntnis)9 ». Il faut donc une démarcation stricte entre les deux domaines (scientifique et métaphysique) d’investigation du réel. Et mieux vaut, pour finir, rejeter la métaphysique comme science et la reléguer, avec ses « simili-énoncés », au domaine de la poésie, du sentiment de la vie (Lebensgefühl10) ou de l’expérience immédiate vécue11.


  • 12 R. Carnap, op.cit., p. 176.

  • 13 R. Carnap, op.cit., p. 177.

  • 14 M. Schlick, op.cit., p. 193.

  • 15 H. Reichenbach, The Philosophy of Space and Time, New York, Dover, 1957, p. 305.


6Ne relèveront dès lors de la science et ne seront susceptibles d’être vrais que les énoncés empiriques dont les conséquences logiques seront déduites et, directement ou indirectement, justifiées par l’observation. Le principe ontologiquement neutre de l’unité des sciences pose une double condition, mais purement épistémologique : il y a un seul et unique ensemble de phénomènes (puisque la base observationnelle est la même) ; tous les énoncés scientifiques s’expriment ou sont en principe traduisibles en un langage unique. L’hétérogénéité des phénomènes et des sciences n’est donc qu’apparente ou, au mieux, pragmatique : est par là laissée en suspens (plutôt du reste que niée) la question (métaphysique) de savoir si oui ou non la réalité comporte des degrés ou niveaux hiérarchiques de complexité parfaitement réductibles. Quant aux systèmes métaphysiques, ils sont un « substitut de la théologie au niveau de la pensée conceptuelle et systématique », des « poèmes conceptuels » qui « contribuent à enrichir la vie, mais pas la connaissance », dira Carnap. Il faut leur donner la valeur « d’œuvres d'art, non de vérités », et encore : car, contrairement à l’art, ils constituent un moyen inadéquat de « rendre le sentiment de la vie12 ». Wittgenstein ira plus loin : ce qui relève de la connaissance doit pouvoir se dire ; le reste ne peut qu'être montré. Les énoncés de la métaphysique ne sont pas seulement anti-scientifiques ; ils sont dénués de sens. De simples « savants ratés », les métaphysiciens ? Des « musiciens sans talent musical13 » ? Des charlatans confinés au royaume de l'incertain, des hypothèses les plus générales14 ? Il semblerait que oui : ce dont a besoin une « philosophie scientifique, écrit en 1957 Hans Reichenbach, c’est d’une réorientation des désirs philosophiques15 ». 
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Qu'est-ce que la métaphysique? Empty Re: Qu'est-ce que la métaphysique?

Message  Arlitto Sam 03 Sep 2016, 09:18

2. Le vertige scientiste





  • 16 Voir S. Haack, Defending Science – Within Reason : Between Scientism and Cynicism, Amherst, Prometh (...)


7Essayons alors, en un deuxième temps de caractériser ce vertige scientiste. On peut sans trop de peine repérer le scientiste. Il va mettre à toutes les sauces les mots « science », « scientifique », « scientifiquement » ; adopter des tics de la terminologie « technique », sans tenir compte aucun de son utilité réelle ; être obsédé par la démarcation, par l’étanchéité à assurer entre la « vraie » science, the real thing et les imposteurs « pseudo-scientifiques » ; s’employer à identifier « la » méthode « scientifique », censée expliquer les succès des sciences ; chercher dans celles-ci des réponses à des questions qui ne sont pas de leur ressort ; dénigrer enfin ou nier la légitimité ou valeur d’autres types de recherche ou d’activités humaines, telles que la poésie ou l’art16.

  • 17 J. Ladyman, D. Ross, avec D. Spurrett & J. Collier, Every Thing Must Go : Metaphysics Naturalized(...)

  • 18 Ibid., p. 1, et tout le chapitre 1.

  • 19 C’est le titre de l’ouvrage de T. Maudlin, Metaphysics Within Physics, Oxford UP, 2007.


8Mais prenons y garde : il serait aussi erroné de réduire le positivisme à du pur scientisme que de voir dans le scientisme la chasse gardée des positivistes. Ce serait exonérer à bon compte les métaphysiciens eux-mêmes. Or c’est précisément ce dont témoigne l’histoire la plus récente de la métaphysique : pour certains métaphysiciens, toute chose pourrait désormais « passer à la trappe ». Every Thing Must Go, pour reprendre le titre d’un ouvrage récent17. La motivation de la métaphysique résiderait exclusivement dans les tentatives d’unification des hypothèses et des théories « prises au sérieux par la science contemporaine18 ». La seule métaphysique qui vaille serait celle qui s’effectue « au sein de la physique19», ainsi que le suggère aussi Tim Maudlin, visant donc, in fine, sa propre disparition.

  • 20 Voir, par exemple, l’introduction à J. Benoist & S. Laugier (éd.), Langage ordinaire et métaphysiqu (...)

  • 21 P. Strawson, Individuals, London, Methuen, 1959 (tr. fr. : Les Individus, Seuil, 1973).


9Il est vrai que l’on est assez vite, en métaphysique, suspecté de « scientisme » : ainsi, furent d’emblée accusées de « scientistes » ces « ontologies » formalistes et réductionnistes à la Quine, auxquelles on reprochait non pas tant, du reste, leur respect de la science, de l’épistémologie ou de la logique, qu’une fermeture à des traits jugés inéliminables de la philosophie de l’esprit et de la philosophie du langage ordinaire20. Cela reste le cas aux yeux de philosophes plus friands de Wittgenstein, d’Austin ou, plus récemment, de Putnam, Même pour ceux qui, à l’instar de Peter Strawson, cherchent encore à développer une métaphysique d’inspiration kantienne mais passée au filtre – tournant linguistique oblige – de la philosophie du langage21, l’aspiration à une métaphysique autre que « descriptive », à prétention révisionniste ou explicative, n’est pas loin de frôler la démesure, la naïveté et le ridicule.


  • 22 B. Stroud, Engagement and Metaphysical Dissatisfaction : Modality and Value, Oxford UP, 2011.


10Est-il vain d’espérer, loin de ces attitudes, un peu plus de raison ou même d’optimisme, contrairement donc au pessimisme, récemment affiché encore, du sceptique humien Barry Stroud22.
11Repartons encore de l’histoire : lorsque voient le jour, vers les années 1970, des métaphysiques allant jusqu’à admettre des essences, des espèces naturelles ou des désignateurs rigides, point n’est certes question pour leurs défenseurs (David Lewis, Saul Kripke) de rejeter la science au nom de la métaphysique. Il s’agit même plutôt, par la métaphysique, de réagir à ce qui apparaît bientôt comme une dérive relativiste et sociologique de la science elle-même, suscitée par les problèmes aigus d’interprétation sur la continuité ou non de la signification, que soulèvent Quine ou Putnam, mais aussi en histoire des sciences des auteurs comme Kuhn ou Feyerabend. Personne, en revanche, ne songe à contester le principe explicatif de clôture causale et nomologique de la physique (dont les lois sont universelles et fondamentales), auquel se soumettent, du reste, les sciences spéciales, ni davantage celui d’un physicalisme ontologique et même épistémologique minimal, si l’on entend par là l’idée, somme toute banale (ne la contesteraient plus guère que les créationnistes), selon laquelle toutes les choses qui existent en ce monde sont des morceaux de matière ou des structures issues de leurs agrégats, qui se comportent tous conformément aux lois de la physique. Assez souvent aussi, même si cela va moins de soi ou s’opère dans la nuance (comme c’est le cas chez Putnam), on estime que les objets des théories scientifiques victorieuses ont une réalité indépendante de l’esprit (dût-elle rester conceptuellement relative), que les théories scientifiques majeures sont littéralement vraies et pas seulement utiles ou conformes à la description que permet l’expérience ; bref, on adopte plutôt le réalisme scientifique.
12Dans le même temps, qualifier ces ontologies de « scientistes » serait aller vite en besogne, et oublier l’objectif de ces élèves puis détracteurs du positivisme logique que seront en particulier Quine ou le Putnam des années 1970 : ce dont il s’agit pour eux, c’est de commencer par dédramatiser les relations entre la métaphysique et les sciences, mettre l’option « réaliste » sous l’égide d’un « principe d’indispensabilité » pragmatique, et rendre l’ontologie « inoffensive » en l’enrégimentant dans la notation quantificationnelle adéquate. Rejeter aussi les dualismes inopérants (analytique et synthétique), envisager qu’il puisse y avoir du nécessaire a posteriori et du contingent a priori ; opérer bientôt une révision de nos modèles de l’explication (le modèle D-N) ; remettre en cause les clivages entre explication et compréhension, sciences de l’esprit et sciences de la nature. Si l’on affirme que la philosophie n’est que la continuation de la science par d’autres moyens, et que les seuls doutes théoriques sont les doutes scientifiques (pour reprendre le mot de Quine), c’est aussi pour rappeler, simultanément, les limites du scientisme, lequel est contraire, précisément, à l’esprit comme à la réalité de la science et de l’attitude scientifique proprement dites.


  • 23 C. Tiercelin, La pensée-signe. Études sur C.S. Peirce, Nîmes, éditions J. Chambon, 1993, « Conclusi (...)

  • 24 C. Tiercelin, Le Doute en question. Parades pragmatistes au défi sceptique, éditions de l’Éclat, 20 (...)

  • 25  C. Tiercelin, « The Fixation of Knowledge and the Question-Answer Process of Inquiry », in F. Liho (...)


13Car le concept de « science » lui-même, on l’oublie trop souvent, a changé ; et celui de « connaissance », du reste, aussi. On est loin du concept « impérial » (encore présent chez Kant) de système achevé, apodictique, universel et nécessaire, loin encore de l’absoluité de certains concepts (espace, temps, être), Depuis un certain temps déjà, l’accent est plutôt mis sur la nature probabiliste des lois, de la matière, de la causalité. Connaissance rime moins avec certitude ou vérification qu’avec approximation, méthode par essais et erreurs, conjectures, falsification et faillibilisme, rendant d’ailleurs constante la menace sceptique et faisant peser sur l’ontologie, celle de la relativité. Ce qui est définitionnel de la « science » – ne cessait de rappeler l’immense Charles Sanders Peirce dont on célèbre cette année le centenaire de la mort –, c’est d’être, bien plus qu’un corps de connaissance ou une doctrine, une activité de découverte, une poursuite de savoir plutôt qu’un savoir, en un mot une enquête (inquiry) qui, au demeurant, exige du chercheur un certain nombre de vertus bien particulières23. Aussi évoquais-je d’emblée les liens entre science, connaissance et éthique. Qu’est-ce qui interdirait, en effet, de concevoir sur le modèle de l’enquête, et non plus tant sur celui de la croyance vraie justifiée ou de l’épistémologie des vertus, la connaissance en général, jusques et y compris donc, comme je l’ai suggéré, la connaissance métaphysique24 ? Or le but d’une enquête, système socratique de questions et de réponses, de doutes et de croyances, est de fixer ces dernières, non de fournir une vérité absolue et définitive25.

  • 26 J.F. Herbart, Hauspunkte der Metaphysik [1806-1808], Sämtliche Werke (19 vol.), Langensalza, 1887-1 (...)


14De même, en métaphysique, dogmes et systèmes ne sont guère plus de mise. Quel métaphysicien contemporain serait encore obnubilé par la recherche de vérités éternelles, universelles et de surplomb ? On cherche moins à proposer un système qu’à mettre en évidence, pour parler comme Johann Friedrich Herbart, les « points principaux26 » de ce en quoi devrait pouvoir consister une métaphysique digne de ce nom, et, de plus en plus, à comprendre la relation qui est la nôtre avec le réel – ce que l’on ne peut faire qu’en partant de l’endroit où l’on est, et non pas de « nulle part » (Thomas Nagel, Hilary Putnam).

  • 27 Pour plus de détails, voir C. Tiercelin, La connaissance métaphysiqueop. cit.


15Voilà qui devrait déjà nous permettre de dégager certains enjeux. De telles évolutions conceptuelles bien réelles donnent en effet au scientifique comme au métaphysicien de nouvelles obligations : au métaphysicien, tout d’abord, celle de mieux définir les relations entre la connaissance dont il peut se prévaloir et celle qui caractérise les autres domaines du savoir. Quiconque cherche à déterminer en quoi peut consister une connaissance métaphysique ou une métaphysique scientifique (ce que je tiendrai désormais pour deux appellations interchangeables, je vais m’en expliquer) devra donc s’interroger, par exemple sur le type de croyances, de « vérités », de justifications auquel nous avons éventuellement affaire en métaphysique. S’agit-il de croyances dont la vérité dériverait du sens commun ? De vérités scientifiquement établies, partant, nécessairement contraires à « l’image manifeste » que nous renvoie le monde ? Ou bien de croyances d’un tout autre ordre ? Dans un cas comme dans l’autre, quelles raisons, quelles justifications avons-nous d’entretenir ces croyances, de privilégier telle ou telle conception de la vérité, de juger la connaissance des choses qu’elle nous livre concevable seulement, ou possible, voire nécessaire27 ?


  • 28 C. Tiercelin, Hilary Putnam, l’héritage pragmatiste, P.U.F, 2002, p. 82 sq ; réédition : Publicatio (...)


16C’est bien, en tout cas, l’ancien élève de Reichenbach, Hilary Putnam, qui nous aura ici montré le chemin, en soulignant successivement que la frontière est ténue entre sciences empiriques et sciences censées ne pas l’être (entendons, la logique et les mathématiques) ; qu’il nous faut rejeter la dichotomie positiviste entre termes observationnels et termes théoriques ; nuancer, voire refuser la distinction entre fait et valeur ; revoir, en particulier, notre modèle scientiste de l’esprit mis en place par les jeunes sciences cognitives (des théories de l’identité du mental et du physique aux modèles fonctionnalistes dont il fut pourtant l’un des promoteurs), et cesser de réduire la rationalité à celle en vigueur dans les sciences, au premier rang desquelles la physique ; revenir enfin sur l’image que nous nous faisons de « la » science, sur les supposées démarcation (science/non science) et suprématie de la science par rapport à d’autres formes de savoir, en revendiquant des formes de connaissance non scientifiques (par exemple philosophique)28.


  • 29 Pour le détail des analyses, voir C. Tiercelin, Le Ciment des choses, Ithaque, 2011, chap. 2.2.4, p (...)


17Autour des années 1980 semble d’ailleurs régner un véritable consensus antiréductionniste (pour reprendre le terme de Ned Block) dont on ne prend pas toujours la mesure. Les métaphysiciens physicalistes eux-mêmes (tel Frank Jackson) sont les premiers à s’inquiéter des problèmes que pose, par exemple, la multi-réalisabilité (la possibilité pour des propriété mentales – désirs, croyances, douleurs – d’avoir des réalisations physiques [neuronales] multiples), ou de la résolution du « dilemme du physicaliste », conséquence de l’impossible surdétermination causale : comment penser simultanément la nécessaire clôture causale du physique (et donc manquer la singularité qualitative du mental) et la tout aussi nécessaire exclusion causale du mental (mais en faisant perdre alors à celui-ci sa puissance causale)29 ?
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Message  Arlitto Sam 03 Sep 2016, 09:19

3. Du bien-fondé de l’étape aprioriste


  • 30 Voir les accusations, à mon sens mal fondées, qui sont avancées dans le chapitre 1 du livre de J. L (...)


18Sont donc exagérées les accusations que portent certains à l’endroit des métaphysiciens « en redingote » qui auraient, selon eux, perdu tout esprit empiriste et s’imagineraient pouvoir décrire, voire expliquer, sur la base d’intuitions « en fauteuil », les concepts de substance, d’universaux, de temps, d’identité, de propriétés, sans se soucier des découvertes scientifiques30. Tenir compte de la science, qui n’en serait aujourd’hui convaincu ? Mais cela implique-t-il de se laisser mener par elle? Que la théorie de la relativité restreinte dicte la métaphysique du temps ? La physique quantique, celle de la substance ? La chimie ou la biologie évolutionniste, celle des espèces naturelles ?

3.1. Les scientifiques font des postulats métaphysiques

  • 31 Aristote, Met. A, 9, 992 b18.

  • 32 Pour le détail de cette étape, je me permets de renvoyer au Ciment des Chosesop.cit., chap. 1, «  (...)


19Ce serait oublier, tout d’abord, qu’en proposant et en testant leurs théories, les scientifiques font tous, volens nolens, des postulats métaphysiques qui vont bien au delà de ce à quoi les autorise la science. Pas plus que d’autres, ils ne peuvent donc s’exempter de cette étape critique et thérapeutique qui constitue la première phase d’une entreprise métaphysique digne de ce nom. À cet égard, des auteurs comme Peirce, Wittgenstein et les positivistes logiques ne font que reprendre les mises en garde aristotéliciennes, répétées par les médiévaux et les classiques (en particulier Locke, Berkeley et Leibniz). S’il n’y avait pas d’autre substance que celles qui sont constituées par la nature, la Physique serait science première, soulignait Aristote. Mais voilà. Contrairement à ce que pensera Averroès, on ne saurait réduire la métaphysique à la seule physique. La recherche physique des éléments ne doit pas faire oublier que la recherche sur l’être est d’abord une recherche sur les significations de l’être31. Ce pourquoi toute enquête métaphysique exige de partir du cadre formel aprioriste de l’analyse, qui seul permet de dégager les conditions de possibilité, en termes de conditions de vérité et de signification, des concepts (et non des seuls mots) que nous utilisons, et d’effectuer les distinctions modales cruciales qui s’imposent, comme j’ai eu l’occasion de le souligner à maintes reprises32.
20Si connaissance métaphysique il doit y avoir, en tout cas, elle sera publique et devra donc passer par le biais du langage (et sans doute même plutôt par celui du langage formel, si du moins elle veut pouvoir porter sur des choses et des propriétés et pas seulement sur des prédicats), s’entendre comme une construction rationnelle, et rester en contact avec les sciences empiriques (comme le dira Carnap, qui cherchera lui-même dans l’Aufbau à réaliser, grâce à ces « outils » ou « auxiliaires » indispensables pour les sciences du réel que sont les énoncés de la logique, la synthèse de l’ancien empirisme et de l’ancien rationalisme).

3.2. La métaphysique traite du possible

  • 33 Voir, par exemple, l’exposé de Kerry McKenzie, lors du 18ème colloque annuel de Philosophie de la p (...)


21Ce serait oublier en deuxième lieu, ce qui a permis l’autonomie de la métaphysique : traiter non pas tant de ce qui est que de ce qui pourrait être, en un mot du possible. À cet égard il est piquant de constater que certains métaphysiciens contemporains, favorables à une métaphysique « naturalisée », et très critiques à l’égard des métaphysiciens qui, tel David Lewis, ont la naïveté de se soucier du « possible », aient l’air de considérer que l’histoire du concept lui-même et de l’intérêt que les philosophes ont pu lui porter ne remonterait pas au-delà de David Lewis33.

  • 34 Duns Scot Ordinatio, I, 3, § 81 ; traduction française par O. Boulnois, Sur la connaissance de Dieu (...)

  • 35 F.X. Putallaz, Introduction à Duns Scot, Tractatus de Primo Principio, traduction française de J.D. (...)

  • 36 Duns Scot, Traité,§ 26.

  • 37 Voir par ex. Traité,§ 25, p. 107.

  • 38 Ordinatio, 1, d.2, p. 2, q.4, n262 [éd. vat. II., p. 282, in Traité, p. 43-44].

  • 39 E.J. Lowe, The Possibility of Metaphysicsop.cit., p. 5. Avec des arguments différents, on retrouv (...)


22Dieu merci, avant David Lewis, l’histoire a comporté de brillants métaphysiciens, à commencer par celui qui a assuré l’autonomie, le Docteur Subtil, Jean Duns Scot. Or Scot précisément l’a bien vu : si la métaphysique peut devenir autonome par rapport aux autres sciences (logique, physique, mais aussi théologie34), c’est parce qu’elle a un objet propre, l’ens commune, l'être pris dans son indétermination totale, un être qui n’est donc réductible ni à la quiddité de la chose sensible (dans laquelle il doit néanmoins se contracter) ni à la seule prédicabilité logique (laquelle est toutefois seule à même de conférer à cette Nature commune l’universalité). Elle peut ainsi, au-delà de l’opposition de l’être et du possible, s’assurer du « réel-possible », i.e. de la réalité même de l’être possible des choses qui existent, et, dès lors, de la condition de possibilité des sciences en tant que sciences35. Aussi la rigueur scientifique exigera-t-elle qu’on parte du possible, seul à même de couvrir simultanément les domaines de l’existant contingent et du nécessaire ou de la quiddité métaphysique36. Or pour ce faire il n’y a qu’une méthode : raisonner par le possible, ce qui ne veut pas dire, contrairement à ce dont l’accusera souvent la postérité, déduire le principe premier par analyse au terme d’une conception développée sur des essences, mais tenter de dégager la structure interne du possible-réel, car celui-ci s’enracine dans le réel concret et l’on peut donc induire le premier du second37. En se concentrant sur l’être quidditatif, Duns Scot ne songeait pas en effet à une « essentialisation de la métaphysique », puisque l’essence n’est pas à ses yeux l’ultime pointe de ce qui est. L’existence (comme c’est aussi le cas chez Kant) dépasse en un sens le possible par sa richesse. « Je dis que le possible logique est un mode de composition produite par l’intellect, dont les termes n’incluent aucune contradiction ; ainsi sont dites possibles les propositions suivantes : “Dieu est” […]. Mais le réel-possible est ce qui est reçu par une puissance réelle38. » En d’autres termes, c’est la réalité existante qui est à la racine de la possibilité, et non l’inverse. Comme le rappelait encore, il y a peu, le regretté Jonathan Lowe : « Les sciences empiriques disent au mieux ce qui est le cas, non pas ce qui doit ou peut être (mais se trouve ne pas être) le cas. La métaphysique traite de possibilités. Or ce n’est que si nous pouvons définir la portée du possible que nous pouvons déterminer empiriquement ce qui est réel. C’est pourquoi les sciences empiriques dépendent de la métaphysique et ne peuvent usurper le rôle qui revient à celle-ci39. »

23S’il convient bien de confronter l’analyse des propriétés à ce que nous enseignent les sciences de la nature, il ne peut donc y avoir d’analyse épistémologique de la science sans une analyse métaphysique des questions abordées en son sein. Ce n’est pas parce que l’enquête métaphysique comporte une importante dimension a posteriori et empirique qu’elle doit devenir une « philosophie silencieuse » ( comme le disait jadis Jean-Toussaint Desanti), où les questions proprement métaphysiques devraient s’effacer derrière les questions scientifiques et leur histoire : si la physique, par exemple, comme on le dit parfois, a renoncé aux causes, cela ne signifie pas qu’elle ait forcément clarifié la nature des concepts de loi, de capacité, d’objet physique, de substance, de propriété, de disposition, d’événement, d’espace et de temps, ou encore de causalité mentale, d’émergence, de survenance ou d’intentionnalité.

24Par exemple, le changement est un trait omniprésent et incontournable de la réalité ; et si on veut l’expliquer, expliquer notamment pourquoi certains changements sont des changements de phase alors que d’autres sont des changements de substance, on doit s’aventurer à dire, dans n’importe quel cas donné de changement, qu’est-ce que c’est qui change et à quels égards. Mais dire cela exige qu’on prenne position sur ce que sont ces catégories d’objets impliquées et sur ce que sont leur conditions d’identité. Bref, ce n’est ni la structure macroscopique des choses ni leur classement en espèces naturelles qui nous permettront, par exemple, de dire pourquoi le fait que l’eau se change en glace ou un têtard en grenouille correspond à un changement de phase, alors que le fait qu’un bout de papier brûle et se transforme en cendres ou qu’un cochon soit avalé par un boa correspondent à un changement de substance. Rejeter le discours de structure catégorielle et les conditions d’identité comme du bavardage métaphysique ridicule, c’est se priver des matériaux conceptuels mêmes par lesquels le changement lui même peut être décrit de façon cohérente. La métaphysique a en ce sens un rôle décisif pour étayer la possibilité même de la connaissance empirique.

  • 40 E.J. Lowe, A Survey of Metaphysics, Oxford UP, 2002, p. 174sq.


25La science est certes, elle aussi, une entreprise de catégorisation. Mais ni les phénomènes observables à l’échelle macroscopique ni l’information scientifique concernant la constitution interne des choses ne peuvent mener cette catégorisation à bien sans une délimitation proprement métaphysique des choses, sans nous dire, par exemple, si ce sont des relations et des dispositions plutôt que des substances qui constituent le socle de notre ontologie40.

  • 41 P. Suppes, Probabilistic Metaphysics, Blackwell, 1984.


26C’est la raison pour laquelle, du reste, on ne saurait (s’arrêter contrairement à la mode qui sévit de nouveau en faveur de toutes les « archéologies du savoir ») à une attitude comme celle que préconisait par exemple Collingwood dans son Essai sur la Métaphysique de 1940, lorsqu’il définissait l’objectif de la métaphysique comme n’étant rien de plus rien de moins que la prise en charge de l’ensemble des présupposés absolus de la réflexion scientifique à une époque donnée. Une telle définition a certes le mérite de souligner (comme le rappelait Patrick Suppes au début de son ouvrage Probabilistic Metaphysics41) les liens étroits que doit entretenir la métaphysique avec la science à quelque moment que ce soit, et, du même coup, d’insister aussi sur la dimension historique de la métaphysique et sur le fait que les présupposés métaphysiques changent le plus souvent au gré des changements de la science. De ce point de vue, une métaphysique adéquate ne peut se développer une fois pour toutes sur la base de l’analyse de l’expérience ordinaire et de nos manières habituelles de parler de l’expérience. De plus, cette définition a le mérite de souligner le caractère systématique que doit revêtir une telle investigation.

  • 42 Cela n’avait pas échappé à la sagacité de Patrick Suppes, ibid., p. 9.


27Mais elle a plusieurs défauts: dont le premier est de considérer que la métaphysique est la science de présupposés absolus qui, de ce fait même ne peuvent être considérés comme vrais ou comme faux. Si cela signifie qu’en un sens il est vain de chercher à justifier ses fondements, on ne peut qu’y souscrire ; mais si cela veut dire que sa seule tâche devient dès lors de procéder à la recherche historique et à la description des présupposés de tel ou tel durant telle ou telle période, sans doute a-t-on lieu de douter de la fécondité de la méthode, comme en témoignent d’ailleurs les analyses conceptuellement très courtes auxquelles se livre Collingwood sur le temps ou la causalité42.


  • 43 C. Tiercelin, Le Ciment des chosesop. cit., chap. 1, p. 68sq.


28Répétons-le : l’analyse conceptuelle (et pas seulement grammaticale) est donc – et voici encore un nouvel enjeu – incontournable. Par elle, on peut identifier ce dont on parle, savoir si la façon d’être des choses donnée dans tel vocabulaire rend vraie une explication donnée dans tel autre. Ce n’est pas rien, tant il importe en métaphysique d’avoir les idées claires et de ne pas prendre à tort une simple différence dans nos mots ou dans nos idées pour une différence dans les choses ; par elle encore, en élargissant la fonction habituelle de nos concepts, grâce aux modèles possibilistes commodes de la logique modale, on peut parvenir à des résultats a priori43.

29Ainsi, la « connaissance modale » nous apprend, par exemple, que l’extension d’un terme n’est pas la même dans un monde actuel et dans un monde contrefactuel, et, ensuite, que pour connaître l’extension-Contrefactuelle ou C d’un terme, il nous faut connaître quelque chose du monde actuel. Lorsque l’extension-Actuelle ou A et l’extension-C d’un terme diffèrent pour certains mondes, il y donc entre elles une différence cruciale de statut épistémique. Même, si par exemple, nous comprenions le terme « eau » avant 1750 (et la chimie de Dalton), nous ne connaissions pas son extension-C à un monde pour quelque monde autre que le monde actuel. Par quoi nous ne voulons pas forcément dire que nous ignorions son essence, mais que, pour repérer l’eau dans un monde contrefactuel, il nous faut connaître quelque chose sur les relations qu’il y a entre le monde contrefactuel et le monde actuel, ce qui n’était possible qu’après avoir découvert que dans le monde actuel, H2O est le liquide aquatique. En revanche, nous connaissions l’extension-A de « eau » pour n’importe quel monde, car celle-ci ne dépend pas de la nature du monde actuel. Notre ignorance du monde actuel n’importe donc pas pour la connaissance des extensions-A des mots, puisque nous ignorions l’extension-A de « eau » dans le monde actuel, avant 1750, et étions néanmoins capables d’identifier l’extension-A de « eau » dans ce monde, et en fait, dans tous les mondes. Or ce que l’on peut connaître indépendamment de ce que l’on peut connaître par ailleurs du monde peut être dit a priori. Ainsi les réponses aux questions relatives à l’extension-C dépendent généralement de la nature du monde actuel et sont a posteriori ; mais la partie de l’entreprise qui consiste à se demander quelles choses sont des K à un monde, dans l’hypothèse où ce monde est le monde actuel, peut être considérée comme la partie a priori de l’analyse conceptuelle. Elle ne dépend en rien de la question de savoir quel monde est en fait le monde actuel (tout comme la question de savoir ce qu’il faut faire s’il fait beau ne dépend pas de la question de savoir s’il fait beau ou non.) Procéder par le possible logique, Duns Scot l’avait bien vu, n’est donc pas pure précaution méthodologique : toute inintelligibilité, toute impossibilité logique trahit en fait, le plus souvent, n’en déplaise à Descartes, une impossibilité réelle.
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Qu'est-ce que la métaphysique? Empty Re: Qu'est-ce que la métaphysique?

Message  Arlitto Sam 03 Sep 2016, 09:19

4. La tentation aprioriste


  • 44 Duns Scot, Ordinatio, I, d. 2, p.2, q.1-4.

  • 45 Cf. Putallaz, op.cit., p. 42.


30Certes, on mesure alors la force de la tentation aprioriste. Or on ne saurait confondre possible logique et possible réel. Comment ignorer le reproche fait au Docteur Subtil d’avoir proposé une métaphysique où la non-contradiction suffirait à dire les propriétés de l’être, et mené ainsi à cette voie essentialiste (qui va de Suarez à Wolff) en prétendant déduire analytiquement le réel d’essences conçues comme possibles, là où le langage ordinaire (ou la logique modale) n’offrent aucune garantie, par exemple, de la réalité de classes dans la nature, ou en prétendant encore justifier les procédures logiques sous couvert d’un essentialisme plus ou moins avoué et (aux dires en tout cas de certains) irrécupérable44 ? Même quand elles existent en acte, les choses restent possibles; mieux : puisqu’elles existent en acte, elles sont forcément possibles, et ne perdent jamais ce caractère essentiel. La nature reste donc à la fois possible, i.e. apte à exister, et réelle, car elle n’est pas une production de l’esprit à la manière d’une possibilité logique45.

31Exagérer l’absence de rapport entre l’aspect a priori de l’analyse et son aspect a posteriori serait naturellement dévastateur. Et pas seulement en raison du risque de métaphysique en apesanteur que cela induirait, mais parce que la logique et la sémantique elles-mêmes sont toujours, à un degré ou à un autre, liées à nos « raisons empiriques » et donc aussi à nos découvertes scientifiques.

32S’agissant précisément des difficultés qui entourent des concepts comme l’essence ou l’essentialisme, comment ne pas voir, par exemple, que la manière même dont réfléchissent aujourd’hui certains philosophes de la chimie ou de la biologie, en particulier, oblige à repenser à nouveaux frais la manière dont, par exemple, on peut ou doit revoir la conception aristotélicienne ou encore lockéenne de l’essence (élargir le concept d’essence à celui d’essence relationnelle, par exemple), mais également à se demander si l’on peut (aussi aisément qu’on a pu le croire, dans les années 1970, sur la base de certaines analyse logico-sémantiques kripkéennes ou putnamiennes) faire de la question de ce en quoi consiste l’identité d’une essence, à une simple analyse logico-sémantique de conditions nécessaires et suffisantes.

  • 46 Voir S. Haack, Defending Scienceop.cit., p. 18sq.

  • 47 D. Armstrong, A World of States of Affairs, Cambridge UP, 1997, p. 25, 155, 174.

  • 48 J. Kim, Physicalism or Something near Enough. Princeton, Princeton U.P., 2005, p. 149.


33S’il faut donc éviter le « Vieux Déférentialisme » à l’égard de la science, il faut aussi se garder d’une suspicion exagérée ou d’un « Nouveau Cynisme » à son endroit46. Car « c’est la science, après tout, qui nous informe le mieux sur la nature des propriétés, quantités et relations fondamentales47 ». Nous voulons tous en savoir plus sur ce que nous sommes et sur la manière de nous adapter à ce monde où nous vivons, comprendre le genre d’endroit dont il s’agit et y trouver notre place. Et, pour bien prendre connaissance de tout cela, n’est-ce pas à la science que nous nous fions spontanément ? Il n’y a qu’elle qui puisse nous apprendre ce qu’il en est de l’origine de la vie sur terre, des causes et remèdes du cancer, ou de la destruction de la couche d’ozone48. Et nos averroïstes contemporainsne se privent pas de le répéter : les sciences sont les mieux placées et les plus légitimes pour nous dire en quoi consiste la réalité des choses.

  • 49 C. Tiercelin, Le Ciment des Chosesop.cit., chap. 2, « Les pièges du scientisme », p. 97-186.


34Le métaphysicien peut bien refuser d’admettre, si cela lui chante, que c’est à la cosmologie et à la physique quantique, et non à la métaphysique spéculative, de répondre aux questions fondamentales sur l’existence et la nature de l’espace et du temps. Mais qui serait-il, au fond, s’il ne souhaitait pas, à un moment de son enquête, voir si, et en quel sens, les catégories de la pensée et du langage sont, non pas de simples « fonctions du jugement », comme le pensait Kant, mais bel et bien le miroir des catégories de la réalité ? L’enquête métaphysique suppose donc bien une investigation a posteriori et une confrontation avec les sciences empiriques49.

  • 50 W. Sellars, Empirisme et philosophie de l’esprit [« Empiricism and Philosophy of Mind »,1956/1963] (...)


35Comment alors éviter aussi bien le vertige scientiste que la tentation aprioriste ? Comment cesser de craindre que la prise en compte de l’expérience et des raisons empiriques, telles qu’elles s’illustrent le mieux dans le cadre des sciences, réduise, voire élimine, purement et simplement, toute ambition métaphysique ? Mais comment pareillement éviter de se retrouver dans la situation que déplore à juste titre Wilfrid Sellars : « Maintenant que la philosophie des sciences a acquis une existence tant nominale que réelle, la tentation est grande de la confier aux spécialistes, et de confondre l’idée juste que la philosophie n’est pas la science avec l’idée erronée que la philosophie est indépendante de la science50 ». Tel est, on s’en doute, l’enjeu parfaitement identifié qui se trouve devant nous. Aussi voudrais-je faire, de manière à l’affronter, quelques rapides suggestions.
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Message  Arlitto Sam 03 Sep 2016, 09:20

5. De la métaphysique aux sciences donc, et retour.


36Contre la tentation aprioriste, il est plusieurs remèdes dont on sous-estime l’efficacité, et, premièrement, au niveau même de l’analyse conceptuelle.

  • 51 Pour une illustration magistrale de cette manière de procéder, voir F. Jackson, From Metaphysics to (...)


37D’abord, contrairement à une idée répandue, la logique et l’épistémologie modales ne sont pas si abstraites. C’est bien plutôt sur elles qu’il faut nous appuyer pour dissiper les illusions modales dont nous sommes victimes, et qui nous font dériver sans précaution le réel du possible, ou le possible du concevable ; et il nous faut nous appuyer également sur les modèles ou expériences de pensée qu’elles proposent, par application de nos intuitions non pas intellectuelles mais communes à des cas possibles. D’ailleurs, cela ne dispense pas et s’accompagne même de la méthode de tests ou des « massages énergiques » auxquels nous soumettons nos intuitions, souvent incompatibles, que nous testons ensuite pour déterminer celles qu’il vaut mieux garder ou rejeter. Sur ce plan, le métaphysicien a peu à envier au psychologue du développement, à l’économiste ou au biologiste. N’en déplaise aux métaphysiciens scientistes, à condition de la délivrer de certaines illusions fondationnalistes, l’intuition peut avoir une valeur épistémique, fonctionner comme une justification prima facie ou une autorisation épistémique (entitlement) qui permettra ensuite les « ajustements raisonnables » et les révisions nécessaires51. Qui a dit que la métaphysique ne devait pas, comme les sciences, admettre le principe du faillibilisme ou que l’analyse philosophique reprise aujourd’hui sur l’a priori n’ait rien à apprendre de la philosophie de l’esprit, de la psychologie du développement ou des sciences cognitives ? N’est-ce pas Kant, après tout, qui, pressentant peut-être une harmonie entre les facultés cognitives de l'homme et la réalité, entre ce qui est en nous naturel et ce qui est normatif, allait jusqu’à envisager cette troisième voie de déduction des catégories, ce « système de préformation de la raison pure »?


  • 52 J. Bickle, Philosophy and Neuroscience: a Ruthlessly Reductive Account, Dordrecht, Kluwer, 2003, p. (...)

  • 53 Voir en particulier, C.F. Craver, Explaining the Brain: Mechanisms and the Mosaic Unity of Neurosci (...)

  • 54 J. Bickle, Philosophy and Neuroscience, op.cit., p. 114-115 et 131.

  • 55 Pour le détail, voir Tiercelin, Le Ciment des chosesop.cit., p. 160 sq.


38Résister à la tentation aprioriste, c’est ensuite ne pas céder trop vite au « consensus non réductionniste ». Car expliquer, si du moins cela reste un objectif, c’est viser un contenu communicable, mais c’est aussi réduire. Pourquoi faudrait-il redouter le réductionnisme ? On sait mieux aujourd’hui que la réduction ne s’entend pas uniquement en termes de lois-ponts, d’identification et encore moins d’élimination ; on sait aussi faire le départ entre plusieurs types de réduction : autonomie des objets et des propriétés d’une théorie, identité trans-théorique, révision conceptuelle et élimination52. Ce qui importe surtout, c’est de déterminer le bon niveau d’explication et de se concentrer sur la recherche de nouvelles procédures de réduction capables de mettre en évidence des mécanismes inter-niveaux plutôt qu’intra-niveaux (ou simplement fonctionnalistes) entre les différentes sciences53. Et c’est évidemment considérer que nos concepts et nos explications sont foncièrement heuristiques et provisoires54. On doit aussi fixer le cadre et les limites de l’analyse a priori : noter, par exemple, que le concept de relations causales descendantes n’est pas conceptuellement incohérent ; qu’il ne contredit aucun principe métaphysique fondé sur l’interprétation de la science dans son ensemble (comme les principes de complétude et d’exclusion). Contrairement à ce que soutiennent certains physicalistes, on peut à bon droit envisager la possibilité que le domaine des événements physiques ne soit pas toujours clos ; ou encore, qu’en l’absence d’une explication complète et exclusivement physique d’un événement physique donné, le principe d’exclusion explicative ne s’applique pas nécessairement. Sur le plan épistémologique ou méthodologique, pour tenter de résoudre le « dilemme du physicaliste », on peut songer à une « division du travail » entre scientifiques et métaphysiciens, et faire ici appel, plus encore peut-être que ne le jugent utile certains éliminativistes, aux « expériences de pensée » et intuitions modales dont sont friands les métaphysiciens en redingote. On peut (et doit) aussi chercher à mieux fixer le cadre des tentatives de « naturalisation » de la métaphysique et de l’épistémologie, se méfier de ceux qui voient de la nature ou des normes partout, et chercher à mieux identifier, par exemple, au niveau même de la nature, des formes précognitives ou métacognitives de normativité55.


  • 56 K. Hawley, « Science as a Guide to Metaphysics », Synthese, 149, 2006, p. 451-470 ; C. Tiercelin, (...)


39Contre le vertige scientiste, il est aussi des moyens de se prémunir. S’il convient de ne pas tracer de ligne de démarcation stricte entre énoncés scientifiques et énoncés métaphysiques, il vaut mieux aussi préciser certaines règles de bonne conduite56 : cesser de dire que la métaphysique n’a, envers la science, que des devoirs d’information et que la métaphysique commence là où finit la science ; admettre que la science n’est pas la seule source possible de raisons ; reconnaître aussi le bien fondé d’autres méthodes que celles qui prévalent dans les sciences (telles que l’analyse conceptuelle, l’abduction, les justifications prima facie), et que les énoncés métaphysiques peuvent avoir du sens, quand bien même ils ne sont pas susceptibles de confirmation ou d’infirmation empirique ; inversement, arrêter de clamer que la métaphysique est nécessairement en conflit avec le domaine de l’empirique, et admettre de même que, s’il peut y avoir des raisons sinon non scientifiques, du moins a-scientifiques de croire (pour reprendre l’expression de Putnam), cela n’implique pas non plus que ces raisons doivent nécessairement l’emporter sur les raisons que nous donne la science.

40Ces prémisses minimales étant admises, comment envisager dès lors des liens féconds entre les sciences et la métaphysique, voire envisager de construire une métaphysique qui soit, elle-même, scientifique ? Quelques suggestions rapides encore et pour finir, qui devraient aussi, à mon sens, permettre de fixer les enjeux auxquels doit répondre non pas une « métaphysique des sciences » (appellation dont je continue de penser qu’elle est ambigüe et donc fourvoyante, parce qu’elle joue trop sur l’ambivalence ‘objectif/subjectif’ du génitif) mais ce que ce que je préfère pour ma part appeler « une métaphysique scientifique » bien comprise.
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Message  Arlitto Sam 03 Sep 2016, 09:21

6. Les conditions d’une métaphysique scientifique : du choix en faveur du réalisme scientifique à l’engagement métaphysique en faveur du réalisme

41Sans doute peut-on partir du principe que, si l’on ne tient aucun compte de ce qui se passe dans les sciences (ce qui ne fut jamais le cas, on s’en doute, des grandes métaphysiques), les chances sont minces que la métaphysique elle-même progresse ou simplement ne signe pas bien vite son acte de décès. Reconnaissons donc avec Sellars que, s’agissant de la description et de l’explication du monde, la science est bien la mesure de toute chose, de ce qui est et de ce qui n’est pas. Nous disposons alors, en négatif, sur la base de critères raisonnables d’interprétation des théories scientifiques, d’un premier principe 6.1. Premier principe. La métaphysique ne doit pas être en conflit avec la science


  • 57 M. Esfeld, « Le réalisme scientifique et la métaphysique des sciences », in A. Barberousse, D. Bonn (...)


42Dans l’état actuel de notre savoir, on voit mal comment on pourrait continuer à soutenir des positions métaphysiques qui entreraient manifestement en conflit avec la physique du moment57, comme y a insisté avec justesse Michael Esfeld.

6.1.1. Que la science n’est pas un guide « infaillible »

  • 58 K. Hawley, op. cit.


43Même en ce cas, toutefois, le métaphysicien, comme y a insisté Katherine Hawley58, n’est pas toujours à cours d’arguments. Que peut-il faire, par exemple, s’il est confronté, comme dans le cas du présentisme, à une découverte scientifique qui semble remettre en cause la thèse métaphysique ?

– Il peut tout d’abord [1] se demander si la théorie scientifique en question constitue bien de fait un succès empirique (comme le montrent souvent les réalistes scientifiques, on sait que c’est assez rarement le cas). Mais en pratique, la plupart des philosophes n’ont pas l’expertise requise pour contester cela aux scientifiques.

– Mais le métaphysicien peut alors [2] s’abriter soit derrière le désaccord des scientifiques entre eux sur le statut de la théorie, soit sur les raisons de penser que la théorie sera ultimement rejetée. En l’occurrence, il pourra utiliser la difficulté qu’il y a à combiner la théorie quantique avec la théorie de la relativité pour justifier un certain scepticisme à l’égard des conséquences métaphysiques des deux théories.
– Et même s’il admet la situation, il pourra encore [3] construire un système de croyances incluant la métaphysique qui est la sienne mais empiriquement équivalent au système scientifique. Ce qui peut se faire aisément, même si cela est artificiel, en combinant les éléments empiriques de la conception scientifique du monde avec la métaphysique traditionnelle, ou en ajoutant des auxiliaires qui garantissent que, là où la métaphysique traditionnelle diverge de la métaphysique scientifique, il n’y a pas de conséquences empiriques à cette divergence.

– Il pourra encore [4] procéder à un « travail de sape » : montrer que ce qui est métaphysiquement nouveau dans la découverte scientifique n’intervient pas, en tant que tel, dans la production de nouvelles prédictions, et donc que son apparition dans une théorie scientifique ne nous donne pas de raison de croire que cette dernière est vraie. Stathis Psillos a proposé, sur ce plan, un critère : une thèse est confirmée par le succès empirique (i) si le reste de la théorie scientifique ne pourrait pas produire le succès sans elle et (ii) s’il n’existe pas de théorie rivale qui soit potentiellement explicative, indépendamment motivée et non ad hoc, capable de produire un succès égal. Le simple fait de bricoler une théorie ad hoc qui mette en œuvre la métaphysique traditionnelle ne suffit pas pour remplir ce critère. Mais sans doute un moyen plus efficace est-il de chercher dans l’histoire des sciences, dans l’espoir de découvrir une théorie scientifique rivale qui vienne mieux étayer la métaphysique scientifique (c’est ainsi que ceux qui objectent à la métaphysique de la théorie de la relativité d’Einstein se tournent vers la théorie rivale de l’éther de Lorenz). Comme la science ne peut arbitrer, il pourra donner des raisons de croire, que la métaphysique traditionnelle est, moyennant des hypothèses auxiliaires, compatible avec, mais aussi supérieure à celle que suggère la découverte scientifique ;

  • 59 Ibid.


– Il pourra enfin [5] avoir une stratégie de contre-arguments et souligner que même si la métaphysique scientifique est certes bel et bien confirmée par le rôle qu’elle joue dans la production du succès empirique, on peut invoquer des raisons indépendantes de croire la métaphysique traditionnelle59.

44Cela dit, même dans cette approche, il faut pouvoir continuer à montrer comment la métaphysique traditionnelle est empiriquement adéquate, étant donné qu’on a accepté l’adéquation empirique de la science en question. En un mot, les scientifiques doivent montrer que la métaphysique scientifique intervient bien dans la production du succès empirique de la théorie (s’ils veulent pouvoir dire qu’elle est soutenue par la science) ou bien, selon à qui appartient la charge de la preuve, les métaphysiciens traditionnels doivent montrer que tel n’est pas le cas.

  • 60 Dont je suis ici l’analyse : ibid., p. 465-468.


45Appliquons cela, comme le suggère Katherine Hawley60, à la question du conflit du présentisme et de la théorie de la relativité restreinte (TRR). Selon TRR, que deux événements soient ou non simultanés n’est pas une question absolue. On peut y répondre différemment selon le cadre de référence que l’on choisit (plus exactement, il y a des paires d’événements qui sont non simultanés selon tous les cadres de référence, mais il n’y a pas d’événements simultanés selon tous les cadres de référence).En somme, TRR ne dit pas qu’un cadre de référence soit plus fondamental qu’un autre. En particulier, la question de savoir si un événement distant est simultané au fait que je suis en ce moment en train de parler reçoit une réponse différente selon le cadre de référence retenu. Il semble que face à cela nous ayons trois choix possibles :


  • 61 Ibid., p. 465.


[1] « accepter que la présentité soit dépendante d’un cadre, accepter que l’existence ne puisse être dépendante d’un cadre, et donc rejeter le présentisme61 » ;


  • 62 Ibid., p. 465-466.
  • 63 Ibid., p. 466. Voir : H. Putnam, « Time and Physical Geometry », Journal of Philosophy, 64, 1967, p (...)


[2] « accepter que la présentité soit dépendante d’un cadre, insister sur le fait que seul ce qui est présent existe, et conclure que l’existence dépend d’un cadre62 » (mais certains jugeront cette deuxième option « trop relativiste63 ») ;


  • 64 Ibid., p. 466.


[3] « accepter que l’existence ne puisse dépendre d’un cadre, insister sur la vérité du présentisme, et conclure qu’il y a un cadre de référence privilégié mais qui échappe à TRR. La simultanéité dans ce cadre privilégié est la simultanéité absolue, et les événements absolument simultanés au fait que je sois en train de [parler] en ce moment sont absolument présents. Postuler un cadre de référence privilégié n’oblige pas à adopter le présentisme, car on pourrait soutenir que ce qui est absolument passé et futur est aussi réel. Mais la troisième option permet d’être présentiste sans concéder que l’existence dépend d’un cadre64.


  • 65 S. Saunders, « How special relativity contradicts presentism », in C. Callender (éd.), Time, Realit (...)
  • 66 Hawley, Ibid.


Selon Simon Saunders cette troisième option continue d’être en contradiction avec la TRR : “Le présentisme contredit TRR au sens où il implique que la relativité restreinte est très déficiente comme théorie fondamentale du monde65.” » Mais les défenseurs du présentisme peuvent soutenir que « supposer l’existence d’un cadre privilégié est simplement aller au-delà de TRR. Le présentisme ajoute quelque chose à TRR sans essayer de la supplanter66 ».


  • 67 Ibid., p. 466.


Bref, « TRR opère avec un très grand succès empirique sans postuler de cadre de référence absolu. Cela n’implique pas qu’il n’y ait pas de cadre de référence absolu ; mais cela rend-il déraisonnable le fait de conjecturer qu’il y en ait un67 ? »


  • 68 Ibid., p. 467.
  • 69 Ibid.
  • 70 Ibid.


On postule d’abord que « le cadre absolu est indétectable, et (ainsi) que, même si TRR est empiriquement adéquate, il y a un autre fait concernant l’univers qu’elle ne parvient pas à saisir. » Ensuite, on procède « ou au travail de sape ou au contre-argument ». Saper « revient à essayer de montrer que la métaphysique scientifique (en ce cas, la thèse qu’il n’y a pas de cadre absolu de référence, et donc pas de simultanéité absolue et pas de présent absolu) n’intervient pas vraiment dans la production du succès empirique de TRR. En suivant le critère de Psillos, cela implique de soutenir qu’une alternative présentiste à TRR est indépendamment motivée, non ad hoc et explicative. Cette tentative est parfois faite en faisant revivre la théorie de l’éther de Lorenz selon laquelle il y a un cadre de référence privilégié (stationnaire dans l’éther), mais que des phénomènes compensatoires empêchent de détecter ce cadre. Ce pas est important, parce que, s’il est viable, la théorie de Lorenz a une cohérence théorique explicative, absente de la conjonction ad hoc de TRR avec la thèse selon laquelle « il y a un cadre de référence privilégié empiriquement indétectable”68.» Comme « la métaphysique scientifique a ici une thèse négative – il n’y pas de cadre de référence privilégié –, on peut considérer que l’enlever de TRR est, en un sens, considérer une autre théorie plus expansive. » Mais cela ne suffit pas ; il faut aussi que les présentistes « montrent comment, à partir de ce terrain de jeu scientifique, leur ontologie est préférable à celle qui considère que le passé et le futur existent. » Et ils doivent le faire « en partant du postulat qu’ils ont posé pour défendre la théorie de Lorenz (ou toute autre alternative), à savoir il leur faut expliquer les avantages du présentisme dans un monde où nous sommes incapables de détecter quels événements spatialement distants sont présents69. » En tout état de cause, le présentisme devra montrer « ses mérites philosophiques et son statut scientifique », lesquels devront être « plus forts » s’ils fonctionnent comme contre-argument, et donc, en étant en mesure de montrer qu’ils disposent « d’autres avantages indépendants qui pèsent plus que le soutien scientifique dont bénéficient les anti-présentistes70
http://books.openedition.org/cdf/3685?lang=fr#tocfrom1n6

  • 71 Ibid., p. 468.


47En tout état de cause, les métaphysiciens « doivent construire plus que des analyses ad hoc pour faire que leurs croyances soient empiriquement adéquates. Ils doivent produire une autre science indépendamment motivée, ou sinon démontrer le mérite philosophique écrasant de leur position. On ne peut pas simplement rejeter la métaphysique de la science comme un préjugé de savant à moins de travailler à justifier ce rejet. Mais cela ne signifie pas non plus que ce travail soit toujours voué à l’échec. » En d’autres termes, comme Katherine Hawley a raison de le souligner, la science, assurément, « peut être un guide pour la métaphysique71 » ; mais, ajouterai-je, la métaphysique est incontestablement aussi, à sa manière, un guide pour la science : dans un cas comme dans l’autre, ce dont il faut surtout se souvenir, en effet, c’est que ce ne sont pas des guides infaillibles.

6.1.2. Que la science, qui reste un « idéal », a besoin de la métaphysique pour l’interprétation de ses théories

  • 72 J. Ladyman, D. Ross et al., op.cit., p. 283.

  • 73 C’est la thèse que soutient par exemple aujourd’hui Théodore Sider, qui considère que ce que nous m (...)

  • 74 L. Sklar, op. cit.


48Cela étant dit, il importe aussi de garder à l’esprit que l’unité des sciences reste un idéal, et que la complétude causale du physique n’est pas davantage réalisée et n’est close qu’en principe. En d’autres termes, et contrairement aux allégations de maints métaphysiciens scientistes en vogue, elle peut certes valoir comme une « norme méthodologique », mais sûrement pas comme un principe « analytique72 ». De même, les résultats scientifiques ne constituent ni des verdicts ni des réfutations de nos thèses métaphysiques73, car une théorie scientifique ne délivre de métaphysique que ce qu’elle contenait déjà en elle dès le départ. C’est ce que dit Laurence Sklar à propos justement de la manière de lire la théorie de la relativité restreinte, qui, selon lui, n’a des conséquences métaphysiques que si nous comprenons qu’elle inclut le vérificationnisme d’Einstein là où nous ne sommes pas, nous, obligés de considérer que le vérificationnisme fait partie de la théorie74.

49On peut parfaitement admettre que les aspects proprement scientifiques ou empiriques des théories soient compatibles avec des thèses métaphysiques variées, sans pointer plus en direction de l’une que de l’autre. Il serait, comme on l’a dit, naïf de supposer que les scientifiques mènent leurs recherches sur le monde sans leurs propres préjugés métaphysiques, et que leurs découvertes puissent fonctionner comme des arbitrages non biaisés entre des conceptions métaphysiques rivales (comme n’avait de cesse de le rappeler Peirce).

50Cela ne dispense pas cette enquête rationnelle que doit tendre à être la métaphysique d’un devoir : celui d’être sinon vraie, du moins empiriquement adéquate et donc en accord avec nos croyances sur ce que nous observons ou même avec la vérité de ce que nous observons. Mais, sur ce plan, la métaphysique n’est pas dans une position bien différente de la science qui, elle aussi, du fait de la sous-détermination des théories par les données empiriques, ne parvient guère à quoi que ce soit de plus, le plus souvent, qu’à l’adéquation empirique. Aucune théorie n’est jamais infirmée par une observation unique (en vertu même du holisme épistémologique). La science, dit-on, rencontre le tribunal de l’expérience de manière globale et non locale. Qu’on prenne n’importe quelle théorie portant sur des entités inobservables : on trouvera toujours d’autres théories incompatibles mais empiriquement équivalentes pour rendre compte des mêmes données. Répétons-le : les données empiriques ne dictent pas à elles seules ce qu’est la métaphysique correcte, même si, à l’occasion, une thèse métaphysique semble à ce point faire partie intégrante de ce qui contribue au succès de la théorie scientifique qu’on a des raisons de penser qu’elle est vraie. Il n’y a jamais un chemin royal qui, d’une théorie physique, d’un théorème mathématique ou de résultats expérimentaux, mène directement à des conséquences métaphysiques nécessaires. Ce n’est donc pas uniquement pour des raisons esthétiques de cohérence que la métaphysique a toute sa place, ni davantage parce qu’on aurait des ambitions systématiques ou rêverait d’unité ou d’absolu. On en a besoin, au sens fort et d’abord, pour interpréter les théories scientifiques elles-mêmes. Il y a autonomie de la métaphysique et irréductibilité, àcertains égards, à ce qui se fait en science, y compris aux problèmes métaphysiques propres à la science, s’agissant, par exemple, du choix à opérer entre le réalisme scientifique ou l’instrumentalisme, ou de la conception à adopter sur les lois de la nature, les espèces naturelles, etc.

6.1.3. Le besoin d’un point de vue stéréoscopique

  • 75 W. Sellars, « La philosophie et l’image scientifique du monde » [« Philosophy and the scientific im (...)


51Il y a lieu encore de se demander si, alors même que la science nous informe sur un ameublement surprenant, fait de structures et de relations plutôt désormais que d’objets, elle fait perdre ou non toute pertinence ontologique à ces objets familiers que sont pour nous tables et chaises. Laisse-t-elle encore assez de cohésion à certains aspects du monde auxquels nous sommes pratiquement adaptés pour que nous puissions encore les catégoriser comme il faut, si nous voulons pouvoir continuer à nous repérer dans notre vie quotidienne ? On ne saurait sous-estimer l’utilité, l’indispensabilité même, d’un point de vue « stéréoscopique, deux perspectives différentes sur un paysage se fondant pour former une seule expérience cohérente », tant il est vrai que « quels que soient les constituants ultimes de la pensée conceptuelle, le processus grâce auquel l’esprit d’un individu pense le monde doit, de manière plus ou moins adéquate, faire écho à la structure intelligible du monde75 ».

6.2. Deuxième principe. Admettre les contraintes de cohérence que la métaphysique fait peser sur la science
52Nous est ainsi livré un deuxième principe, cette fois positif. L’expérience ne possédant pas la force logique de déterminer, à elle seule, la bonne théorie scientifique, voire l’interprétation de celle-ci, l’évaluation des conséquences ontologiques des positions en présence, doit permettre de privilégier, à partir de la situation empirique, telles ou telles conséquences métaphysiques.

  • 76 M. Esfeld, « The impact of science on metaphysics and its limits », Abstracta, 2, 2006, p. 86-101.

  • 77 M. Esfeld, « La philosophie comme métaphysique des sciences », Studia Philosophica, 66, 2007, p. 63


53Même si le métaphysicien a intérêt à choisir une théorie « acceptable du point de vue physique » et qui soit la moins coûteuse possible ontologiquement parlant, s’il y a donc bien en ce sens « un impact de la science sur la métaphysique », il y a aussi « « une contrainte que la métaphysique impose à l’ontologie de la science, à savoir, d’être suffisamment riche pour assurer une vision cohérente et complète du monde », pour parler comme Sellars76. Et peut-être est-ce un argument de plus, sinon à l’encontre du réductionnisme, du moins en faveur d’un réductionnisme au moins « conservatif ». En nous fondant sur les engagements ontologiques exigés par la seule physique fondamentale, dont on ne saurait nier la position privilégiée, il est « fort possible, comme le souligne Esfeld, que nous ne parvenions pas à dégager une telle vision cohérente et complète, et que nous n’y parvenions, au contraire, qu’à la condition de faire place à certains engagements émanant des sciences spéciales et d’autoriser celles-ci à exercer une influence jusqu’à la métaphysique de la physique fondamentale, en d’autres termes, à la seule condition « d’appliquer un critère de cohérence qui tienne compte de tout notre savoir scientifique77 ».

6.2.1. Première conséquence : l’adoption du réalisme scientifique et les raisons que l’on a de l’adopter.

  • 78 Selon l’argument dit de « l’induction pessimiste ». Voir A. Chakravarty, A Metaphysics for Scientif (...)


54L’adoption de ce deuxième principe risque d’avoir un coût: l’adhésion à une certaine forme de réalisme scientifique. Mais ce coût est-il si exorbitant ? Oui, à en croire l’instrumentaliste ou l’empiriste constructif, qui rejette tous les arguments réalistes : on a tort d’affirmer l’existence des entités postulées par les théories scientifiques (atomes, molécules, électrons) ; il n’y a pas de monde « au-delà » de nos théories ; celles-ci ne sont vraies que parce que nous les acceptons et disposons, pour cela, de critères empiriques. L’histoire des sciences montre que des théories jugées vraies à une époque se sont en général révélées fausses, ce qui, loin de confirmer le réalisme, peut induire au relativisme, voire au scepticisme78 ; du reste, plus la science progresse, plus elle s’éloigne de la description du monde du sens commun, de son « image manifeste », et plus, par conséquent, elle nous conduit à rejeter le réalisme naïf. Comment réconcilier l’attitude réaliste « naturelle » avec le réalisme sophistiqué et complexe appelé par le progrès scientifique? N’y a-t-il pas entre les deux images, un « fossé explicatif » infranchissable ?

55Mais à cela le réaliste sait répondre : d’abord, la science tend à l’unification de ses théories, et elles ont bien un caractère explicatif. D’abord, comment une théorie peut-elle réellement expliquer des phénomènes, si les entités qu’elle postule n’existent pas ? Ensuite, comment contester l’existence de certaines prédictions nouvelles, qui seraient impossibles si les théories n’étaient pas vraies ? Enfin, sans cette explication, le succès rencontré dans les sciences relèverait du « miracle », et il vaut toujours mieux éviter de choisir en premier le miraculeux.

  • 79 B. Van Fraassen, The Scientific Image, Oxford UP, 1980, p. 23-25 & 34-40.

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