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La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»

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La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie» - Page 4 Empty La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»

Message  Arlitto Lun 7 Mar 2016 - 14:37

Rappel du premier message :

La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie» 


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Les orthodoxes russes privilégient d'ordinaire la croix à huit branches, aussi appelée crucifixion. 
 

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L'axe vertical de la croix est coupé de trois branches horizontales. La branche intermédiaire, la plus longue est reservée aux bras étendus du Crucifié. La branche supérieure représente l'inscription en grec, latin et hébreu que Pilate avait ordonné de clouer à la croix, selon la coutume romaine qui rendait ainsi public le motif de la peine.
 

Contrairement à la tradition catholique qui représente les pieds du Christ cloué d'un seul clou, l'iconographie orthodoxe suit la tradition selon laquelle les pieds du Christ ont été cloués séparement, ce que sont venus confirmer les études réalisées sur le Suaire de Turin.
 

La branche horizontale inférieure de la croix sert ainsi d'appui aux pieds du Crucifié. L'une de ses extrémités est surélevée, montrant le ciel où est reçu le Bon Laron, l'autre extrémité indiquant l'enfer qui attend le mauvais laron, celui qui ne se repentit point.
 

Sous la croix est souvent figuré un crвne, la tête d'Adam, qui selon la tradition aurait été enterré à l'endroit même de la Crucifixion du Christ. Depuis la croix s'écoule le sang du Christ, rendant vie à Adam, à l'homme, à l'humanité. 
 

Auprès de la croix, se tiennent la Mère de Dieu et l'apôtre Jean, le disciple bien-aimé. Sont également souvent représentés les instruments de la Passion, la lance, transpersant le côté du Christ, l'éponge vinaigrée donnée au Seigneur par le soldat romain. 
 

On trouve parfois des représentations de la croix avec une demi-lune. Ce symbole, que l'on associe parfois à la victoire du Christianisme sur l'Islam était cependant connu bien avant les affrontements entre chrétiens et musulmans et signifie ici l'alliance de la croix et de l'ancre, symbole d'espérance. La demi-lune symbolise aussi la coupe de l'Eucharistie et le sang du Christ offert pour le rachat des péchés humains. On trouve aussi la croix et la demi-lune sur les coupoles des églises consacrées à la Mère de Dieu : la lune symbolise ici la Mère de Dieu, la Croix rappelle le Christ, soleil de vérité. 

Priez puis silence ...
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Message  Arlitto Lun 7 Mar 2016 - 15:02

Praxis et “théorie”
au sein de la Théologie ecclésiale
Par le Prof. Hdr. Archim. Grigorios D. PAPATHOMAS
Texte publié dans Nouvelles de Saint-Serge, n° 20 (1996), p. 22-24

« Ta parole ne sera pas menteuse, ni vaine,
mais remplie de praxis ».
(Didachè des Douze Apôtres, chap. II, 5).

Dieu

(Religion) Découverte [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Révélation (Apocalypse)

Homme


Les deux approches qui montrent la différence d’opposition
entre la Foi révélée et la Religion conceptuelle

* * * * *

La dialectique entre la praxis et la “théorie” au sein de la Théologie ecclésiale forme une condition préalable à toute approche théologique scientifique ou même pastorale, et constitue également une clé herméneutique de grande importance. Il s’agit du rapport organique qui existe entre ce qu’on appelle d’une manière générale “la praxis (ou pratique) et la théorie” dans le cadre de la Théologie ecclésiale. Précisons ici que nous nous plaçons dans le cadre de la “Théologie ecclésiale”. Il est clair en effet que l’articulation entre “la théorie et la praxis” n’est pas la même dans le cadre de la Théologie ecclésiale, qui nous occupe, que dans le cadre de la Philosophie, de la Science juridique ou même de la Religion en général. On pourrait dire au contraire, pour ce qui est de leurs perspectives, qu’elles vont en sens opposé.


En effet, dans la Philosophie ou la Science juridique, la théorie précède la praxis. La Philosophie présuppose la conception humaine d’une chose et essaie par la suite de la réaliser, de la mettre en œuvre, en pratique, dans la vie quotidienne et même institutionnelle, par ses moyens propres ou par les moyens de la politique. Il en est de même, d’une manière ou d’une autre, avec la théorie juridique qui dicte très souvent la pratique législative. Il s’agit en fait d’une conception qui correspond certainement aux besoins humains mais qui demeure, dans sa vision, spéculative. Au cours des siècles, pour correspondre à ces besoins humains, on a vu l’apparition de plusieurs théories philosophico-idéologiques et socio-politiques ou ce qu’on appelle également de cosmothéories (visions du monde), chacune revendiquant l’exclusivité de leur application dans la société humaine. À titre d’exemple, les récents événements des années avant et après 1990 en Europe centrale et orientale sont là pour en témoigner. L’abolition du socialisme comme système idéologique et socio-politique appliqué présuppose d’abord la formation d’une théorie au cours des siècles précédents et par la suite tous les efforts politico-idéologiques nécessaires pour que cette théorie soit institutionnellement appliquée dans la société ou, plus précisément, dans l’Etat. C’est ainsi que la praxis est le moyen de la réalisation dans la pratique de la théorie et de l’idéal abstrait.
Après avoir précisé la manière dont s’applique une théorie philosophique, juridique, politique ou autre, il nous faut indiquer les caractéristiques de la “théorie” en Théologie ecclésiale. Tout d’abord, dans l’Eglise, il n’y a pas de théorie au sens dont nous venons d’en parler et de décrire, car l’Eglise demeure “vie-centrique”, praxicentrique, c’est-à-dire centrée sur la praxis. Nous rappelons la parole patristique : « pra`xi" qewriva" ejpivbasi" [praxis théorias épivassis] » : la praxis forme la base de la théorie (St Grégoire le Théologien, Discours IV, contre l’empereur Julien (ch. 113), in P. G., t. 35, col. 649-652). L’Eglise sauvegarde l’événement de la Révélation et la perspective de l’économie divine. Or la vie dans l’Eglise se caractérise directement par le vécu, par l’expérience ecclésiale qui est la sienne, d’abord manifestée dans la pratique puis exprimée par la “théorie”. Par conséquent, la foi est un événement avant d’être un enseignement, avant même de donner naissance à une notion. C’est une démarche et une rencontre. Les formules de la foi (par exemple les horoi) sont de courtes maximes et les systèmes théologiques échouent en fait à en vouloir exprimer le contenu. La foi inclut une conversion, un retournement, elle est consécutivement irréductible à toute normalisation rationnelle.


Qu’en est-il alors des écrits existant dans l’Eglise ? Il est vrai que les écrits bibliques, patristiques ou canoniques présente, en tant que textes, une forme qui les assimile à des définitions théoriques, mais, en réalité, ils décrivent la Vérité révélée, l’expérience vécue. (L’Eglise, en raison de sa nature divino-humaine, peut être décrite, mais elle ne peut pas être épuisée par une définition et toute définition demeure dans l’impossibilité pour la circonscrire). Certains Pères disent ( Cf. St Jean Chrysostome, Commentaire à l’Évangile de Matthieu, in P. G., t. 57, col. 13-14D) que de nombreux écrits patristiques — ou même bibliques — doivent leur existence à des problèmes qui se sont posés dans l’ensemble de la vie ecclésiale ou ont été écrits pour répondre aux conséquences d’un vécu erroné de la Vérité révélée (cf. les hérésies à travers les siècles). L’Eglise était alors obligée par le biais des écrits des Apôtres ou des Pères, ou par le biais des Conciles œcuméniques et locaux, de décrire ou d’exprimer (par les définitions [foi] et les canons [taxis] des Conciles) la Vérité révélée qu’elle vivait, qu’elle vit. Les écrits de l’Eglise ne constituent pas un corpus de théories philosophico-théologiques, mais un essai de présentation de ce qu’elle vit, lorsqu’elle a estimé nécessaire de le faire ou lorsque différentes circonstances l’imposaient.


Nous devons donc recevoir les textes de l’Eglise comme l’expression de son expérience ontologique pour nous orienter et indiquer le chemin vers les eschata et pas comme les notions abstraites d’une philosophie. Pour le dire dans les termes de l’archimandrite Sophrony, « le christianisme n’est pas une philosophie, un ‘enseignement’, mais la vie. La contemplation est affaire non de formulations verbales, mais d’expérience vécue ». L’apôtre Paul donne déjà le stigma de cette expérience vécue : « Je vous le déclare, frères : cet Evangile que je vous ai annoncé n’est pas de l’homme ; et d’ailleurs, ce n’est pas par un homme qu’il m’a été transmis ni enseigné, mais par une révélation de Jésus Christ » ( Ga 1, 11-12). De même, du fait de l’Histoire, on a parlé d’ortho-doxie dans l’Eglise, c’est-à-dire, étymologiquement, de doxa correcte. Mais l’orthodoxie n’est en fait qu’une ortho-praxie, une praxis qui reflète d’une manière correcte ce que l’Eglise vit. Autrement dit, l’ortho-doxie présuppose l’ortho-praxie.


En d’autres termes et d’un point de vue plus général, les notions s’inspirent ou même empruntent ailleurs pour exprimer des réalités existantes. C’est là leur fonction naturelle. On ne conçoit pas de notions pour créer des situations existantes, mais pour exprimer des situations existantes. Ceci est particulièrement vrai dans le cas d’un examen ecclésiologico-canonique, et non idéologique ou autre, de certaines questions. La praxis canonique décrit des réalités existantes, observables au sein du corps ecclésial mais également au sein de l’humanité en chute, et ne cherche pas à saisir, par la réflexion, des réalités futures, c’est-à-dire des réalités que l’on se fixe pour objectif de matérialiser dans l’avenir. Ceux qui, cependant, ont pris l’habitude de penser par schèmes et certitudes ou données idéologiques de toutes sortes peinent à comprendre ou ne veulent pas comprendre ce que signifie d’observer en profondeur la réalité de l’homme et de la vie humaine, puis la décrire ; autrement dit, de repérer les problèmes, les décrire et joindre à leur description certaines propositions pour les résoudre. L’écart entre les deux approches est très vaste. L’une se réfère à une réalité existante qui a besoin d’être reconnue, tandis que l’autre en appelle à une « réalité » conceptuelle à concrétiser dans l’avenir, sans, bien entendu, pouvoir dire avec certitude quelles sont ses potentialités de matérialisation.
* * * * *

Ici encore, il nous faut ouvrir une parenthèse sur le sens ecclésial-existentiel des horoi et des canons. Comme on le sait, lorsque l’expérience communionnelle ecclésiale subissait un recul, une divergence ou une altération, c’était l’Eglise, réunie en Concile, qui traçait de façon claire les “limites” entre la Vérité révélée qu’elle vivait — avec le concours permanent du Saint Esprit (cf. « l’Esprit Saint et nous-mêmes, nous avons en effet décidé » Actes 15, 28 ; souligné par nous. ) — et l’“élément nouveau”, l’innovation qui voulait remplacer la Vérité en s’incarnant dans une partie du peuple ecclésial, ou bien lorsque l’innovation tentait de coexister avec la Vérité. Le Concile désignait et prescrivait alors, par la voie “théorique” des horoi (discipline-foi) et des canons (vie pratique-taxis), l’expérience vécue connue tant à travers la tradition ecclésiale qu’à travers la participation personnelle ou communautaire (1 Jn 1, 1-5 ; voir infra) de ses membres dans l’événement du salut.
En d’autres termes, la praxis —comme expérience et vécu— constituait le critère déterminant de l’expression “spéculative” de la foi de l’Eglise en Concile, de la “théorie” (ajnagwghv), de la vision (qewvrhsi"). Horos et canon étaient toujours édictés simultanément par les Conciles : on déterminait la discipline d’après l’expérience vécue et on indiquait une voie pratique (canons) cohérente avec cette discipline fondée sur l’expérience, voie qui conduisait (« [...] tou`to poivei kai; zhvsh/ » (Cf. Lc 10, 28) [“fais cela et tu vivras”]) certainement à la communion personnelle avec la Vérité révélée —dans une perspective sotériologique (salus animarum). C’est pour cette raison que le dogme et l’ethos ne se distinguent ni ne s’opposent (Cf. St Basile le Grand, archevêque de Césarée, Sur le Saint Esprit. À Amphiloque, évêque, sur les saints d’Iconium. Le passage du chap. XXVII concernant le rapport entre dogme et ethos fut considéré comme les canons 91 et 92 de st Basile le Grand (voir P.-P. JOANNOU, Discipline générale antique (IVe-IXe siècles). Les Canons des Pères Grecs (Lettres canoniques), édition critique du texte grec, version latine et traduction française, [Pontificia Commissione per la Redazione del Codice di Diritto Canonico Orientale], Fonti fascicolo IX, t. II, Grottaferrata (Rome), Tipografia Italo-Orientale “S. Nilo”, 1963, p. 179-180), qui ont acquis un caractère universel (catholikos) dans l’Église par le biais du canon 2 du Quinisexte Concile œcuménique in Trullo (691)). Dans les lois étatiques au contraire, bien qu’elles soient en général issues et dérivées de la coutume, le législateur crée un modèle théorique bien précis et défini, afin que les hommes par la suite l’appliquent et que l’on parvienne à une société ou à un Etat de droit. Les lois concernent ainsi le comportement relationnel disons extérieur de l’homme avec ses synanthropes [prochains] selon le modèle déterminé par le législateur, en partant des a priori qui lui sont propres. Ce n’est certainement pas le cas des canons ecclésiaux — qui ont une perspective communionnelle [qu’il me soit permis la simplification] tridimensionnelle (Dieu, le prochain [synanthrope], soi-même) (Cf. Didachè des Douze Apôtres, I, 2) —, bien qu’ils aient aussi des conséquences semblables ou parallèles sur le comportement relationnel extérieur humain.


Or l’Eglise n’invente pas, pour en faire des institutions, des recettes d’une conception théorique humaine ou des règles morales que ses fidèles devraient les appliquer. Mais à travers la grille de son expérience vécue « dans l’espace et dans le temps » et manifestée dans la tradition ecclésiale séculaire, elle concrétise, par la voie des saints canons, le chemin qui unit la personne, chaque personne, dans la communion du Saint Esprit avec les autres en un corps unique, la Vérité révélée, le Christ ressuscité — et tous ensemble devenant le corps du Christ parviennent à Dieu le Père. Le contenu ontologique des canons ecclésiaux, comme des horoi disciplinaires d’ailleurs, est manifestement irréfragable. Par ailleurs, dans leur unanimité (consensus canonum), ces textes canoniques de l’Eglise reflètent surtout sa conscience et son orientation eschatologiques — et non pas éonistiques (Du mot éon (aijwvn), l’ère, le siècle, le temps : sécularisme (du “sæculum”). Ce terme désigne la mentalité des hommes (aijwnismo;") qui, certes, croient en Dieu, mais qui ne peuvent, cependant, pas (Éph 2, 2) faire de ce Dieu [“pantocrator” (Credo)] le “centre de leur vie” (abba Dorothée), fait (Mt 13, 22 ; Mc 4, 19) qui a pour conséquence réelle une “perspective hétérocentrique” éloignant (2 Co 4, 4) de ce Dieu “par amour pour l’éon présent” (2 Tm 4, 10) et rangeant l’homme (Lc 20, 34) dans la dimension “de ce monde” (Jn 18, 36-37) [civitas terrena]. Il s’agit d’une catégorie intracréationnelle*, c’est-à-dire du côté de ce qui est façonné —tout en oubliant sa perspective eschatologique (Éph 1, 21 ; Hb 6, 5 ; Tt 2, 12)— sur le modèle (Rm 12, 2) [civitas terrena] “de ce monde” (ejgkovsmia ejscatologiva-eschatologique cosmique, séculière), ou encore accordant la priorité à l’aijw;n ou|to" (ce siècle-ci) sur l’aijw;n oJ mevllwn (le siècle à venir). L’éonisme est avant tout une réduction de l’homme au monde, à l’histoire et à la nature. Enfin, l’éonisme ecclésiastique ne laisse pas de place à l’imminence eschatologique ; il ne veut trouver sa justification que dans le temps présent.) comme c’est bien le cas des lois.


C’est dans cet esprit que l’on a par exemple emprunté les deux notions, qu’on va voir ultérieurement, du IVe Concile œcuménique de Chalcédoine (451) — d’une part l’ajsugcuvtw" (sans mélange, sans confusion) et d’autre part l’ajdiairevtw" (sans division, sans séparation) — au “mode” d’existence “personnelle” du Christ selon les termes de ce même Concile ; non pas pour inventer une théorie nouvelle, mais pour voir, ou plutôt rappeler, comment à travers l’approche ecclésiale vécue par nos « Pères inspirés de Dieu », il est possible de tracer le chemin également pour notre génération et notre temps.
* * * * *

Tout cela veut dire que, dans la Théologie ecclésiale, la praxis précède la “théorie”. Une description disons théorique ou une formulation verbale suit toujours l’expérience ecclésiale. Les Pères viv(ai)ent d’abord dans la foi, puis ils pens(ai)ent la théologie afin de pouvoir l’exprimer, et la transformer en connaissance (gnôse). Par conséquent, leur sagesse théologique est fondée sur la praxis et l’expérience de la sainteté. Par extension, notre praxis — surtout ecclésiale — ne peut pas correspondre à l’application des principes théoriques d’une idéologie théologique — ou même d’une théologie dite ecclésiale ! —, mais elle est expression de l’expérience vivante de la foi et fruit ou manifestation de notre participation (mevqexi" [méthexis]) à l’événement ecclésial porteur des eschata. Il faut rappeler également ici la signification de la parole du Christ : « celui qui pratique et qui enseigne [les commandements] » (Mt 5, 19.) : d’abord pratiquer, ensuite enseigner, ou de même celle de la Didachè des Douze Apôtres : « Ta parole ne sera pas menteuse, ni vaine, mais remplie de praxis » (Voir chap. II, 5). Ici encore, l’exhortation de l’apôtre Jacques va aussi dans le même sens : « Soyez les réalisateurs (poihtai;) de la parole, et pas seulement des auditeurs (ajkroatai;) qui s’abuseraient eux-mêmes. En effet, si quelqu’un est auditeur (ajkroath;") de la parole et pas un réalisateur (poihthv"), il ressemble à un homme qui observe dans un miroir le visage qu’il a de naissance : il s’est observé, il est parti, il a immédiatement oublié de quoi il avait l’air. Mais celui qui s’est penché sur une loi parfaite, celle de la liberté, et s’y est impliqué, non en auditeur distrait (ajkroath;" ejpilhsmonh`"), mais en réalisateur agissant (poihth;" e[rgou), celui-là sera heureux dans ce qu’il réalisera » (Jc 1, 22-25 ; souligné par nous).


En reprenant les paroles de saint Grégoire le Théologien, pour ce faire, il faut « devenir sage puis transmettre la sagesse, devenir lumière pour éclairer, se rapprocher de Dieu pour conduire les autres vers Lui » (Voir son Discours II, in P. G., t. 35, col. 480). Sinon, on reste aveugle. Et « si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou » (Mt 15, 14 ; cf. Lc 6, 39). Cette perspective concerne également la diaconie ecclésiale à tous les niveaux. Si de nos jours la Théologie ecclésiale a l’apparence de la théorie, c’est sans doute en raison d’une faute de méthode voire d’une expérience déficiente ou peut-être inexistante… Les fidèles sont en communion entre eux dans la mesure où ils participent au corps du Christ vivant ; bien évidement, s’ils ne sont pas en communion entre eux, c’est justement parce qu’ils ne participent pas à ce même Corps… L’absence d’expérience vécue pose toujours la question de l’interprétation et des différentes approches ou, plus communément, celle de l’approche “de point de vue”… Il est donc important de poser comme condition préalable à notre étude/attitude théologique le rapport qui existe entre la praxis et la théorie dans la Théologie de l’Eglise et de considérer ce rapport comme présupposé méthodologique et clé herméneutique. Car, dans nos études théologiques, on étudie, on approfondit ce qu’on vit ou ce qu’on a vécu dans la liturgie, les offices, la prière, la praxis ecclésiale, et non pas l’inverse. « Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons » (1 Jn 1, 3), étant d’abord « témoins oculaires et [ensuite] serviteurs de la parole » (Lc 1, 2). Tous les dimanches, l’annonce résurrectionnelle : « Nous avons vu la vraie lumière… » à la fin de la divine liturgie, a une signification plus élargie qu’il n’y paraît.


Pour le dire également dans les termes de saint Jean le Théologien : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie — car la vie s’est manifestée, et nous avons vu et nous rendons témoignage et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était tournée vers le Père et s’est manifestée à nous —, ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Et notre communion est communion avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ. Et nous vous écrivons cela, pour que notre joie soit complète. Et voici le message que nous avons entendu de Lui et que nous vous dévoilons : Dieu est lumière [...] » (1 Jn 1, 1-5 ; souligné par nous). Il s’agit d’un événement, d’une constatation, d’une révélation, d’une expérience vécue, et non pas d’une théorie abstraite ou d’une conception spéculative comme pour les Religions, le Mysticisme et presque toutes les Philosophies — religieuses ou laïques — anciennes et modernes.
Cela pourrait, peut-être, expliquer pourquoi nos grands efforts théologiques aboutissent à des conclusions qui ne sont pas toujours identiques à celles des Pères de l’Eglise. L’Eglise, ses saints canons, sa structure proposent ce qui peut manifester notre praxis. Si l’on néglige cet a priori de la praxis, l’Eglise se dépouille des paramètres ontologiques de sa vie, mais surtout notre kérygme et notre témoignage se transforment en « cymbale qui retentit » (1 Cor 13, 1.)…
Archim. Grigorios D. PAPATHOMAS,
Doyen du Séminaire Orthodoxe Saint Platon de Tallinn
 .
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Message  Arlitto Lun 7 Mar 2016 - 15:03

Le rôle de l’Evêque au sein de l’Eglise


Au sein de l’Eglise orthodoxe, l’évêque est l’un de quatre charismes constitutifs de l’Eglise locale, du diocèse ecclésial. Les trois autres sont les presbytres, les diacres et les laïcs (cf. saint Hippolyte de Rome, La Tradition apostolique, écrite à Rome entre 202 et 218 ap. J.-C.). Du fait que l’évêque ne constitue pas un individu mais une personnalité corporative, étant à la place et à l’image du Christ-“bon Pasteur” (saint Ignace d’Antioche), il est évident que l’évêque est un charisme qui récapitule l’ensemble de son diocèse. Pour cette raison capitale, l’évêque occupe dans l’Eglise une place fort importante, car il est appelé à être le garant de la fidélité à la foi apostolique et le “lieu” unique de l’unité de son troupeau, du corps ecclésial local. Et ceci, dans plus d’un sens.
Tout d’abord, selon les canons de l’Eglise orthodoxe (Corpus canonum de l’Eglise, 1er-9e siècles), chaque évêque a la totale responsabilité des affaires de son diocèse. C’est lui qui choisit par étapes progressives son clergé, qui le forme et le guide (le clergé est soumis à des règles de comportement plus strictes que l’ensemble des fidèles) et qui l’affecte à différents “services”. C’est lui qui surveille la régularité de la vie des diverses communautés, y compris les communautés monastiques (il n’y a pas d’ordres monastiques dans l’Eglise orthodoxe, mais seulement unus ordo monasticus). C’est lui encore qui est chargé d’enseigner tant les fidèles que les clercs. Il juge les fidèles et peut les écarter de la communion puis les réintégrer par étapes. Enfin il assure la gestion de tous les biens de l’Eglise, y compris ceux des paroisses et des monastères.
Mais tout évêque orthodoxe doit appartenir au synode des évêques d’une province de l’Eglise orthodoxe établie localement. Ce peut être un synode (généralement national) auquel est reconnu le droit “d’autocéphalie” (le droit d’élire son propre primat), mais toute Eglise orthodoxe établie localement (Patriarcat, Eglise autocéphale, Eglise autonome) dispose d’une certaine autonomie. La vie d’un synode provincial est un élément essentiel de la vie de l’Eglise orthodoxe, car chaque évêque membre doit y faire part des affaires de son diocèse et le président doit assurer la concorde entre les membres et parler au nom de tous. Enfin c’est au synode de choisir les nouveaux évêques pour les sièges vacants et de les ordonner. Eventuellement ce sera à lui de les juger et de les déposer. Depuis que les Eglises ethniques abandonnent la structure para-étatique qu’elles avaient adoptées au XIXème siècle pour remettre l’accent sur les responsabilités et sur l’autonomie des évêques, certains synodes ont tendance à adopter un comportement de type parlementaire, avec des tendances permanentes.
*****

On peut se demander pourquoi il faut accorder une telle importance à la présence d’un évêque unique dans chaque Eglise locale-diocèse et à l’exercice d’une mono-juridiction. Quelle est, en fait, la raison profonde qui nous empêche d’accepter une réforme ecclésiologique administrative qui rendrait possible la coexistence de plusieurs évêques dans un même district ecclésiastique ? S’il s’agissait d’une question de nature purement administrative, on pourrait considérer que la question est d’ordre secondaire. Mais le problème réside dans le fait que ce problème, pris dans son ensemble, a des ramifications ecclésiologiques qui sont liées directement à l’unité de l’Eglise.
Plus précisément, l’unité de l’Eglise comporte plusieurs aspects. Elle est exprimée par l’unité en matière de foi, par la communion existant entre ses membres, etc., mais d’abord et avant tout par la participation des fidèles au mystère de l’unique Eucharistie, car c’est par la participation commune à ce sacrement qu’est accomplie la communion étroite des fidèles avec le Christ et entre eux. En recevant le Corps du Christ, chacun des membres de la communauté ecclésiale entre en communion parfaite avec le Christ et avec tous ceux qui partagent le même Corps. Il n’est pas fortuit que dans les premières années du Christianisme, la synaxe eucharistique et l’Eglise étaient synonymes ; c’est-à-dire que l’Eglise n’avait pas alors le sens que nous lui attribuons aujourd’hui : celui de l’ensemble du corps des Chrétiens qui croient aux vérités de la doctrine chrétienne et s’y conforment. Le mot signifiait d’abord et avant tout l’assemblée eucharistique des fidèles à laquelle prenaient part tous les membres de l’Eglise locale. Si le contenu sémantique du mot « Eglise » a pu se développer avec le temps, l’essence en est demeurée la même. La sainte Eucharistie en tant qu’union des fidèles avec le Christ et entre eux constitue l’Eglise même, et la conséquence directe de cette identification est la conservation d’une seule Eucharistie dans chaque Eglise locale. Par extension, l’unité des fidèles devant l’Eucharistie est à la fois une condition préalable de l’unité de chaque Eglise locale et une réalité identique à elle.
Le privilège de la célébration de la sainte Eucharistie a toujours été associé à la personne de l’unique évêque qui, officiant en lieu et place du [de l’unique] Christ, est reconnu comme la tête et le centre de l’assemblée eucharistique. Cette réalité était plus manifeste dans les premiers siècles chrétiens lorsque dans chaque Eglise locale il y avait une seule et unique célébration de l’Eucharistie, présidée par l’évêque local et par lui seul. En même temps, l’Eglise voyait en ce président celui qui unit en lui-même toute l’Eglise locale en vertu du fait qu’il l’offre comme le corps du Christ à Dieu. Cela s’exprimait aussi dans cette conception fondamentale de l’Eucharistie : l’unité de la multitude en un seul. C’est juste là la définition de la mono-juridiction. En effet, c’est de l’autel unique de l’unique Assemblée eucharistique que découle tout ce qu’opère le charisme de l’évêque. Par la suite, ce sont les paroisses qui constituent toutes ensemble une Assemblée eucharistique unique, l’épiscopie, l’Eglise locale qui constitue par définition un espace mono-juridictionnel. En d’autres termes, la genèse historique des paroisses et par suite la célébration de l’Eucharistie par des prêtres n’a pas conduit, en termes ecclésiastiques, à une fragmentation de l’Eucharistie centrée sur l’évêque : un Evêque—une Eucharistie—une Eglise locale—une Juridiction territoriale. Ainsi était préservée l’unité de l’Eucharistie qui est la condition sine qua non de l’unité de chaque Eglise territorialement locale qui n’a, à son tour, rien à voir avec la notion et la conception de la diaspora (sic). De nos jours et au sein de la “diaspora” ecclésiale cette fois-ci, ce n’est pas une seule, mais plusieurs assemblées eucharistiques qui ont lieu dans le même territoire en conséquence de sa division en plusieurs diocèses épiscopaux et multi-juridictions ecclésiales, et donc la célébration de l’Eucharistie a cessé de dépendre uniquement et exclusivement d’un unique évêque qui garantissait ainsi l’unité ecclésiologique de l’Eglise manifestée dans un lieu donné.
Cela montre bien clairement pourquoi l’existence de plus d’un évêque dans un district ecclésial mono-juridictionnel n’est pas et ne pourrait pas être acceptable. Le résultat ecclésiologique d’une telle situation que l’on rencontre fréquemment au sein de la “diaspora” orthodoxe, est la fragmentation immédiate de l’Eucharistie puisqu’il n’y a plus un seul évêque dans chaque Eglise locale et donc plus un seul corps ecclésial. L’institution d’une Eucharistie unique sous son propre évêque local cesse automatiquement d’exister. Cela a pour autre conséquence l’éclatement de l’unité de l’Eglise locale elle-même, puisque l’unité de la sainte Eucharistie est la condition préalable de cette unité de l’Eglise. En d’autres termes, l’unité ecclésiologique sans unité eucharistique est inconcevable et une telle unité ne se peut réaliser autrement que par le rassemblement de tous les fidèles de l’Eglise locale sous un seul et unique évêque qui, en lieu et place du Christ, préside la célébration de la sainte Eucharistie dans la perspective de la mono-juridiction. C’est donc justement ici que réside le grand problème de la “diaspora” orthodoxe, qui anéantit toute la réalité ecclésiologique d’Eglise locale et, par extension, celle de l’Eglise instituée localement.
Pour résoudre ce problème ecclésiologique particulier et restaurer la taxis canonique, il est essentiel et indispensable que l’organisation des Chrétiens orthodoxes de la “diaspora” soit assurée par une autorité ecclésiastique unique, responsable de leur organisation en diocèses. Il faut que la conscience ecclésiale devienne de plus en plus sensible à cette nécessité, en écartant toute déviation ecclésiologique dominant aujourd’hui dans notre praxis ecclésiale. En fait, dans la mesure où l’organisation administrative ecclésiologique des évêques de la “diaspora” doit se faire sur des critères territoriaux et non pas nationaux, ce qui suppose l’existence d’un évêque unique dans chaque district ecclésiastique mono-juridictionnel, se pose nécessairement la question de l’autorité ecclésiale qui devra nommer ces évêques et de laquelle ils dépendront. Les canons de l’Eglise montrent clairement la voie et fournissent une solution définitive au problème de la “diaspora” et donc c’est un mensonge délibéré de soutenir que ces canons ont été promulgués pour une autre époque… Aussi longtemps que l’on insistera sur ce mensonge, l’Eglise orthodoxe ne cessera de présenter qu’une apparence et une existence divisées, avec la coexistence dans un seul et même district ecclésial mono-juridictionnel de plusieurs pasteurs différents et de plusieurs communautés de fidèles différentes, une réalité de fait qui provoque par définition l’anéantissement de l’unité de l’Eglise sinon l’anéantissement de l’Eglise elle-même…
Archim. Grigorios D. PAPATHOMAS
Institut de Théologie Orthodoxe “Saint Serge” de Paris
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La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie» - Page 4 Empty Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»

Message  Arlitto Lun 7 Mar 2016 - 15:03

LE MYSTERE DE LA CROIX

Par le Métropolite Stephanos de Tallinn


LA CROIX ET L'HISTOIRE DU SALUT

Une inscription de la chapelle d'Adam dans le Saint-Sépulcre à Jérusalem proclame que « le lieu du crâne, c'est-à-dire le Golgotha où fut plantée la croix, est devenu paradis ». A la limite, dans le champ des relations personnelles qu'ont les hommes entre eux et avec eux (en d'autres termes, champ de communion) l'univers est destiné à devenir fête nuptiale, eucharistie. « Dieu, souligne le Pr Nikos Nissiotis, a créé le monde pour s'unir à l'humanité à travers toute la chair cosmique devenant chair eucharistique. » Tant il est vrai qu'il existe bien « en toute chose un mode de Présence mystérieuse qui donne aux êtres une communion plus forte que leur être en soi » (Nikos Nissiotis). C'est pourquoi, la vocation de l'homme, précisément : personne à l'image de Dieu, consiste dans sa liberté personnelle à transcender l'univers non pas pour l'abandonner mais pour le contenir, lui dire son sens, lui permettre de correspondre à sa sacramentalité la plus secrète, le « cultiver », en parfaire la beauté, bref le transfigurer et non pas le défigurer. C'est dans le monde que l'homme exprime sa liberté et qu'il se présente comme une existence personnelle devant Dieu (Constantin Gregoriadis).


Considéré par les Pères grecs comme « la gloire », c'est-à-dire comme la manifestation de l'image de Dieu dans le monde (même si cette image exprime non seulement la relation de l'homme avec le monde, mais en premier lieu, sa relation avec Dieu), l’homme ne peut de cette manière faire transparaître Dieu en soi-même sans faire transparaître Dieu dans le monde ou sans se faire transparent comme image de Dieu dans le monde. Autrement dit, l'image de Dieu dans l'homme consiste aussi dans la qualité de l'homme comme Seigneur de l'univers. « Il est vrai, écrit Dumitru Stanilaoë, que le monde a été créé avant l'homme ; mais, c'est par l'homme seulement qu'il a reçu sa pleine réalité et qu'il réalise sa destination. L'homme est le collaborateur de Dieu envers le monde. L'être visible est formé par l'homme et par le monde ; il est le monde reflété par l'homme ou l'homme en relation avec le monde. » On peut donc dire que l'homme est un miroir dans lequel on voit le monde et le monde un miroir dans lequel se voit l'homme.


Ainsi, l'homme est pour l'univers l'espoir de recevoir la grâce et de s'unir à Dieu ; mais il est aussi le risque de la déchéance et de l'échec dès lors que, détourné de Dieu, il ne verra des choses que l'apparence, « la figure qui passe » (1 Co7, 31) et leur donnera en conséquence un « faux nom ». Tel est le niveau où se situe sa grandeur ; une grandeur qui réside dans sa dimension irréductiblement personnelle, métacosmique, qui lui permet non de dissoudre le cosmos, mais de le transformer en temple de la Sagesse divine. Rappelons ici ces textes fondamentaux de saint Paul dans son épître aux Romains (1, 20 et 8, 19-21) qui nous donnent la clé de l'interprétation du grand mystère de la nature, qui correspondent à une situation de déchéance et de rédemption. Nous y voyons en effet qu'avec la création et la chute commence une ligne horizontale qui avance directement de la Croix et de la Résurrection jusqu'à la Pentecôte, le fait essentiel demeurant ici le mystère de l'Incarnation, puisqu'il place l'homme au centre de la Création ; puisque encore le Christ, en récapitulant l'histoire humaine, donne du même coup aux cycles cosmiques la plénitude de leur sens. Ce qui à juste titre fera dire à saint Augustin que la révélation nous est donnée comme « un autre monde » pour retrouver le sens du monde, la Création initiale d'avant la chute étant ainsi comprise comme une première alliance, laquelle, par la suite, ne trouvera son plein accomplissement que dans le Christ. Car tout a été créé dans le Verbe par Lui et pour Lui (Col 1, 15-19).


S'il en est ainsi, nous comprenons pourquoi le sens de cette création nous est révélé dans cette re-création opérée par le Fils de Dieu devenant fils de la terre (Olivier Clément). Ainsi, tout ce qui se passe en l'homme a une signification universelle et s'exprime sur l'univers. Ainsi encore, « la révélation biblique nous place devant un anthropocentrisme résolu, non pas physique, écrit encore Olivier Clément, mais spirituel puisque le destin de la personne humaine détermine le destin du cosmos ». Dès lors, l'homme se présente comme l'axe spirituel de tout le créé, de tous ses plans, de tous ses modes parce qu'il est à la fois « microcosme et microthéos », en d'autres mots, le résumé de l'univers et l'image de Dieu et parce qu'enfin, Dieu s'est fait homme pour s'unir au cosmos.


Mais il ne suffit pas de dire que l'homme est microcosme, car sa vraie grandeur réside dans le fait qu'il est « appelé à être Dieu », à devenir « Eglise mystique » (Panayotis Nellas). Loin donc d'être, comme dans les conceptions platonisantes, la copie ou le reflet dégradé d'un monde divin, l'univers, par la Croix et la Résurrection, jaillit neuf des mains du Dieu biblique.


Lorsque Grégoire de Nysse décrit cette Création comme « une ordonnance musicale », nul doute qu'il ne fait là que rejoindre la tradition hébraïque elle-même pour laquelle le premier Adam, l'Adam qadmon, l'homme antérieur, était un corps de lumière qui récapitulait les « six jours de la création » et devait rendre au Créateur la libre réponse de l'amour en se laissant aspirer par la lumière incréée de Dieu, dans un mouvement d'ascension vers le septième jour. L'homme devait y enfanter le huitième jour : la transfiguration du premier (Jacques Touraille). Partant la vision chrétienne, qui résulte de la croix, nous introduit ici dans une réalité neuve, véritable, dynamique, animée par une force « lumineuse, spermatique » que Dieu a introduite en elle non pour l'immanence des stoïciens (malgré la similitude du vocabulaire chez beaucoup de Pères), mais comme tension vers la transcendance (Grégoire de Nysse).


« Au milieu de l'Eden, un arbre avait produit la mort », proclame un tropaire de l'Eglise orthodoxe : « Au milieu de la terre, un arbre a fait éclore la vie. En goûtant du premier, nous avons connu la corruption; du second, nous avons obtenu la jouissance de l'immortalité, puisque sur la croix, Seigneur, tu sauves le genre humain. » Et ailleurs il est dit encore : « Jadis au Paradis, l'Ennemi me dépouilla, me faisant goûter au fruit de l'arbre de la croix ; il apporte aux hommes le vêtement de vie et le monde entier déborde de joie. Voyant la croix exaltée, crions tous au Seigneur d'une même voix : ton temple est rempli de gloire ! » (Traductions du P. Denis Guillaume.)


Il n'y a donc pas de discontinuité entre la chair du monde et celle de l'homme ; l'univers est englobé en effet dans la « nature humaine » (au sens théologique de ce mot) ; il est corps de l'humanité. Le premier récit de la création, dans la Genèse (1, 26-31), nous montre que l'homme, tout en ayant été créé après les autres êtres, est cependant assimilé à eux par la bénédiction qui clôt le sixième jour et qui fait justement de lui le sommet où la création s'accomplit et se récapitule. Par conséquent l'homme constitue l'hypostase du monde ; il est la « jointure entre le divin et le terrestre » et de « lui se diffuse la grâce sur toute la création ».


Par l'homme, l'univers est appelé à devenir « l'image de l'image » (Grégoire de Nysse). C'est dire que la situation du cosmos, sa transparence ou opacité, sa libération en Dieu ou son asservissement à la corruption et à la mort dépendent de l'attitude fondamentale de l'homme, de sa transparence ou opacité à la lumière divine et à la présence du prochain. C'est la capacité de l'homme qui conditionne l'état de l'univers, du moins initialement et maintenant en Christ, nouvel Adam, dans son Eglise. Voilà pourquoi il fallait que Jésus meure (Jn11, 51-52), qu'il se dépouille de sa divinité pour entrer en toute humilité dans la condition humaine (Ph2, 7) de sorte que par la Croix, le voile de ce monde s'étant déchiré et la mort même devenant puissance de résurrection, l'homme retrouve toute sa dimension du Kath'olon puisque le Christ ayant récapitulé la totalité de l'humanité et de l'univers, représente en archétype ce que nous sommes. On peut donc affirmer avec assurance que pour nous, ce moment essentiel de la crucifixion (comme d'ailleurs les autres moments de l'histoire de notre salut) ne revêt pas seulement une importance historique mais aussi méta-historique (Olivier Clément).


Dans un texte admirable, saint Syméon le Nouveau Théologien résume avec force ce qui vient d'être abordé ici. « Toutes les créatures, écrit-il, lorsqu'elles virent qu'Adam était chassé du Paradis, ne consentirent plus à lui rester soumises ; ni le soleil, ni la lune, ni les étoiles ne voulurent le reconnaître ; les sources refusèrent de faire jaillir l'eau et les rivières de continuer leur cours ; l'air ne voulut plus palpiter pour ne pas donner à respirer à Adam Pécheur ; les bêtes féroces et tous les animaux de la terre, lorsqu'ils le virent, déchu de sa gloire première, se mirent à le mépriser et tous étaient prêts à l'assaillir ; le ciel s'efforçait de s'effondrer sur sa tête et la terre ne voulut plus le porter. Mais Dieu qui avait créé toutes choses et l'homme que fit-il ? Il contint toutes ces créatures par sa propre force et, par son ordre et sa clémence sacrée, ne les laissa pas se déchaîner contre l'homme, mais ordonna que la création restât sous sa dépendance et, devenant périssable, servît l'homme périssable pour lequel elle était créée et cela jusqu'à ce que l'homme renouvelé redevienne spirituel, incorruptible et éternel, et que toutes les créatures, soumises par Dieu à l'homme dans son labeur, se libèrent aussi, se renouvelant avec lui et comme lui, redeviennent incorruptibles et spirituelles » [Traité éthique].


La Croix rend donc accessible aux hommes la modalité « synthétique » de la création du fait que le sang du meurtre de Dieu devient, au sens le plus originel, sacrifice et qu'il sacre la terre. Aussi, seule la Croix peut « se dresser au centre du ciel et de la terre en tant que ferme soutien de toutes choses [...] et entrelacement cosmique » (Henri de Lubac). Voilà pourquoi, tout le devenir du cosmos ne peut plus se concevoir sans la Croix et la Résurrection. « Comme un autre Paradis, l'Eglise possède maintenant [...] un arbre de vie : c'est la vivifiante Croix du Sauveur ; en goûtant de son fruit, nous avons part à l'immortalité. »

LA CROIX DANS LA THEOLOGIE ORTHODOXE

« Il n'y a qu'un seul problème philosophique sérieux, prétendait Albert Camus, le suicide. » Malheureusement, il y a peu d'hommes qui aient le courage d'aller jusqu'au bout de cette logique existentielle, qui osent chaque jour vérifier cette phrase terrible qui vient d'être citée : à savoir, qu'à chaque minute de notre existence se pose un dilemme implacable : ou nous suicider ou ressusciter. En d'autres termes, cette tension dramatique où nous vivons n'est pas située entre un transcendant conceptuel et un immanent phénoménal, mais entre deux temps : ce temps-ci qui est dialogal certes, mais aussi diabolique et le temps nouveau qui est parousiaque et rend le temps actuel « pascal ». Or, la relation entre vie future de l'homme et vie présente est particulièrement étroite ; elle est une et unique, qui commence, comme vie d'une seule et même personne, à exister ici et qui continue d'exister au ciel sans nulle rupture. Ainsi la vie future n'écrase pas et ne relativise pas la vie présente, au contraire elle lui donne sens et continuité : ce que nous faisons dans cette vie n'est pas fortuit et isolé, mais est destiné à demeurer dans l'autre (Panayotis Nellas). Et cela est d'autant plus vrai que le Dieu-Homme unit désormais Dieu et l'homme dans une même personne, sans confusion et sans division : accomplissement donc de l'homme, le Christ nous révèle Dieu et achève l'histoire. Il demeure à jamais le plus haut et le dernier de nos critères.
Aussi peut-on affirmer qu'en dehors de sa Croix et de sa Résurrection, le monde ne serait que chaos et qu'au contraire, par la Croix et la Résurrection, ce même monde devient cosmos organique, puisqu'elles sont désormais au centre de toutes les relations qui constituent le réel ; puisqu'elles récapitulent, pour reprendre la pensée de saint Paul, c'est-à-dire ramènent sous une seule Tête, ce qui était inorganique et désorganisé. C'est ainsi que s'éclaire le mystère de la Croix, qui nous révèle du dedans ce qu'est la véritable mort, c'est-à-dire une relation brisée, une absence de lumière, un manque de communion, une rupture, un exil, un esclavage... et toutes les images bibliques pourraient être ici utilisées. Et parce que la vie de la Résurrection n'est pas « contre-plaquée » à notre première vie héritée de la famille humaine et que notre propre résurrection est « virginale » comme l'Incarnation du Verbe, la Croix glorieuse demeure à jamais, dans son scandale et sa folie, le seul chemin vers la Vie (A. Schmemann et O. Clément).


Partant, la Rédemption proprement dite implique trois aspects fondamentaux : de récapitulation, de sanctification de la nature, et de son offrande comme sacrifice, les deux premiers se soutenant et s'accomplissant dans le troisième.
Nous avons déjà vu ici comment le Seigneur récapitule en soi l'idée divine relative à l'homme, y compris son histoire et aussi que la nature récapitulée est à son tour sanctifiée par la présence de Dieu en elle.
Il convient aussi de nous arrêter sur la notion du sacrifice avant de parler plus explicitement de la Croix en tant que telle.


En Jésus-Christ, la mort est le suprême sacrifice : d'abord parce qu'elle est subie comme expiation pour tous les péchés humains ; en second lieu, parce que le Christ se soumet au sacrifice de la croix alors seulement que « l'heure a sonné », donc non pas accidentellement. Cela signifie que son sacrifice est offert au moment où il a porté jusqu'à son terme le mystère qui, de toute éternité, concerne l'homme.
Ici, nous touchons au cœur même du problème : la mort historique réelle de Jésus-Christ qui nous donne en même temps la solution, à savoir que la réponse à l'annonce de la mort de Dieu c'est bien l'Evangile de la résurrection de l'homme. Et inversement, si la Résurrection succède à la Croix et si elle est le commencement du huitième jour, alors certainement, le sacrifice du Seigneur est une conclusion et un couronnement suprême du septième jour.
La Croix donc, « arbre de vie planté au Calvaire, lieu du grand combat cosmique », fait voir dans sa branche verticale le « descensus » et « l'ascensus » du Verbe, écrit Paul Evdokimov et c'est pourquoi, dans l'iconographie de l'Eglise orthodoxe, le pied de la croix s'enfonce dans une caverne noire où gît la tête d'Adam, qui est l'enfer en ce sens qu'elle est en partie « plantée dans la terre afin de réunir les choses sur la terre et dans les enfers aux choses célestes ». Balance donc de justice et brèche d'éternité, la Croix est au milieu comme le trait d'union entre le royaume et l'enfer.


Ajoutons encore que l'icône orthodoxe de la crucifixion représente la souffrance du Christ comme transfigurée par une sérénité profonde qui est en quelque sorte anticipation de la paix pascale, en même temps que signe de sa seigneurie dans la passion et dans la mort volontairement acceptées par lui. « Le Sauveur en croix n'est pas simplement un Christ mort, c'est le Kyrios, Maître de sa propre mort et Seigneur de sa vie. Il n'a subi aucune altération du fait de sa Passion. Il demeure le Verbe, la Vie éternelle qui se livre à la mort et la dépasse » (saint jean Chrysostome). La Croix du Christ ne signifie pas seulement un moment de sa vie comme don de soi ; un don sans cesse « liturgie » et « eucharistie », service pour les hommes et remerciement au Père (Dan-Ilie Ciobotea).


Car, si sous l'arbre du paradis, le premier Adam, pensant que Dieu est absent ou loin, s'est détourné de sa volonté et a rompu ainsi la communion avec Lui, sur l'arbre de la croix, le nouvel Adam, a accompli la volonté de Dieu en restant en communion avec Lui.


Désormais, l'hypostase du Logos divin infini et éternel embrasse et transcende tous les âges et tout l'espace ; elle devient le support de l'humanité assumée par l'Incarnation dans le Christ. Pour cette raison, le Christ a la puissance de participer à la vie de l'humanité de toutes les époques et de tous les endroits du monde et de lui communiquer sa vie divin-humaine (Dan-Ilie Ciobotea). Et on comprend mieux ainsi pourquoi, une fois le Christ ressuscité, la croix ne subsiste pas comme un simple événement du passé, confié à la mémoire mais que le rayonnement de sa puissance se prolonge et se trouve toujours présent dans la résurrection et donc aussi dans le Christ ressuscité, jusqu'à la fin des siècles. Elle apparaît de ce fait comme ce signe par excellence de la victoire finale du Fils de l'homme, c'est-à-dire de Dieu devenu homme. « Réjouis-toi, bois de la croix, proclame l'Eglise orthodoxe lors des matines du 3è dimanche de Carême, bois trois fois heureux et déifié, lumière de ceux qui sont dans les ténèbres ; tu anticipes dans ta splendeur les rayons de la résurrection du Christ, selon les quatre dimensions du monde. » La croix n'est donc pas un chapitre isolé de la théologie, serait-il le plus important, souligne le P. Dumitru Stanilaoë : « Elle est partout et toujours dans le culte public de l'Eglise comme dans la prière et la vie des croyants. » Ainsi, on ne peut pas dire que, dans l'orthodoxie, la Croix soit moins présente que la Résurrection, puisque toutes deux sont présentes en permanence dans une union indissoluble, une corrélation intérieure.


Voici comment l'hymnologie de l'Eglise orthodoxe exprime cette attitude nouvelle envers la nature que le Christ inaugure par sa croix : « Dans le paradis d'autrefois, le bois, par la nourriture m'a rendu vide, l'ennemi a causé ma mort ; le bois de la croix, en apportant aux hommes la nourriture de la vie, a été planté dans la terre et l'univers s'est rempli d'une joie totale » (Matines du 14 septembre). Ainsi, écrit le P. Stanilaoë, « le paradis s'est ouvert à nouveau parce que le glaive de feu qui en barrait l'entrée à cause de l'avidité humaine s'est trouvé écarté : le Christ en effet est entré au paradis en portant comme homme le bois de la croix par lequel il a refusé l'avidité, surmonté la tentation du "bois" dont a mangé le premier homme. Et avec le Christ est entré le larron, en portant sa propre croix, premier homme a être sauvé parce qu'il a vaincu l'attachement à "ce monde" par sa confession du Christ ». On peut donc dire ici que toute la nature, dans la mesure où, par la croix, elle n'est plus l'objet de notre convoitise, commence à redevenir pour nous le paradis, car le bois de la croix porte un fruit qui est le contraire de celui qu'ont mangé nos ancêtres. C'est le fruit de la patience aimante et de la limitation volontaire, le fruit par lequel notre esprit fortifie sa liberté et par lequel nous accédons à un « ciel » plus élevé que le paradis, à la communion avec Dieu.


Le Christ ne peut donc être pensé sans la Croix. La Croix non plus, nous ne pouvons la penser sans le Christ. Car une croix soufferte involontairement, ou par un homme ordinaire, à cause d'une culpabilité réelle ou à cause du péché, n'aurait pas été la Croix par laquelle a été rendu à la nature humaine le pouvoir de vaincre la peur et la mort. Seule la Croix qu'a supportée volontairement et sans aucun péché l'homme qui était aussi Dieu est la Croix que nous honorons, parce qu'elle a donné à notre nature la victoire sur la mort, la résurrection et la vie éternelle. Aussi, le pouvoir de la Croix est toujours le pouvoir du Christ et à cause de cela, dans le culte de l'Eglise orthodoxe, les personnes, les choses et les actions sont toutes consacrées par la Croix ou par le Signe de la croix, comme étant celle qui « sanctifie tout avec le don de Dieu » (Dumitru Stanilaoë).


Mais la Croix nous invite pareillement à un autre sens, comme mise à mort du « vieil homme », comme résistance au péché, comme patience dans les souffrances et les peines que nous vaut cette résistance, comme présence enfin du Christ dans le monde à travers nos semblables à laquelle on ne peut échapper, de telle sorte que vie spirituelle et activité sociale s'authentifient l'une l'autre. Et ce, parce que le Christ n'a pas eu pour but d'élever, à cet état, par la Croix, sa seule nature humaine individuelle, duelle, mais la nature humaine de tous les hommes. Autrement, écrit encore le P. Stanilaoë, « notre résurrection dans l'au-delà ne se lierait pas intérieurement à la mortification du "vieil homme", à l'effort d'élever notre esprit vers une première expérience résurrectionnelle ; elle nous transformerait du dehors, d'une manière magique ». Le dépassement, par conséquent, de la mort par la résurrection, ne vient pas comme un acte extérieur. Il exige et couronne cet effort de croissance intérieure qu'est la Croix. La mort est vaincue par l'acte de Dieu conjuguée avec l'effort humain.


Mais cette croissance intérieure, cette force accrue de l'esprit, la créature ne peut les obtenir par elle-même. Elles correspondent à une force qui vient de Dieu et que la créature s'assimile par sa vie en Christ. Cette contribution de l'humanité déifiée du Christ à la victoire sur la mort, saint Maxime le Confesseur l'exprime ainsi : « Car si la "passionnalité", la corruption et la mort ont été introduites dans la nature par le penchant de la libre volonté d'Adam vers le péché, c'est avec raison que la fixation (dans le bien) de la libre volonté du Christ a apporté l'impassibilité, l'incorruptibilité et l'immortalité par la résurrection » (Quaest. ad Thalass., 42).
Ici, un constat s'impose de lui-même : la participation à la Résurrection bienheureuse du Christ implique de fait la participation à sa Croix comme voie de résurrection et de réception de l'Esprit.

« TOUT EST ACCOMPLI » (Jn19, 30)

À cause de la présence tragique du péché et du Malin, l'œuvre de restauration de l'homme n'a pu se réaliser qu'à un prix infiniment élevé : la mise à mort sur la croix est bien cet acte sacrificiel tout à fait nécessaire pour obtenir notre guérison ; ce sacrifice tel que seul un Dieu souffrant et crucifié pouvait l'offrir. La Croix signifie que cet acte de partage, par lequel Dieu nous sauve en s'identifiant à nous, a été poussé avec une rigueur entière et sans aucun compromis jusqu'à ses dernières limites. Dieu incarné entre dans toute notre expérience, dans toutes nos souffrances, dans toutes nos douleurs (Is 53). Le Christ notre médecin a ainsi tout assumé, pour nous guérir, même de la mort.


« La mort, écrit Kallistos Ware, a un aspect physique et un aspect spirituel et des deux, c'est l'acte spirituel qui est le plus terrible » car la mort spirituelle consiste en la séparation non pas de l'âme et du corps mais de l'âme et de Dieu. Le véritable sens de la Passion c'est en cela qu'il convient de le trouver, dans ce sentiment d'échec, d'esseulement et de total abandon, de souffrance de l'amour offert et repoussé. À Gethsémani déjà, le Christ y est confronté avec un choix. Par l'acceptation volontaire de sa mort sur la croix, il transforme un assassinat juridique et arbitrairement violent en un sacrifice rédempteur. Au moment de la Crucifixion il est au comble de la désolation non seulement les hommes l'ont abandonné mais Dieu lui-même l'abandonne. Tel en est l'évidence : la Passion n'est pas un théâtre : non seulement le Christ verse son sang pour nous, mais pour nous, il va jusqu'à accepter la perte de Dieu ; jusqu'à descendre ensuite dans les profondeurs de l'absence de Dieu. Pourtant, cette mort sur la croix n'est pas un échec mais déjà une victoire ; la victoire d'un amour plus fort que la mort. Tel est le paradoxe de la toute-puissance de l'amour, qui fait de la Kenosis une Plérosis, de l'anéantissement, un accomplissement. Avec le Christ, à notre tour, nous sommes appelés non pas à contourner la souffrance mais à la traverser. Ayant souffert non pas à notre place mais en notre nom, le Christ ne se substitue pas à nous. Il nous accompagne vers le salut.
Ainsi dans le Christ, la Gloire et la Croix ne cessent de s'entrelacer et la Croix est déjà Résurrection parce qu'elle est la manifestation absolue et donc la victoire absolue de l'agapé divine. « Tout est accompli, reprend Olivier Clément, le visage de Dieu en l'homme nous permet de découvrir le visage de l'homme en Dieu et de le servir en tout homme. Un fleuve de feu, l'histoire véritable, celle de la communion des saints, ces pécheurs pardonnés, entraîne siècles et mondes vers la Croix devenue à jamais, du plus profond de l'enfer au plus haut du ciel, l'Arbre de Vie. » Cet Arbre qui est aussi la Source de l'eau vive qui est distribuée gratuitement à celui qui la demande. Et, si la rédemption et le renouvellement du monde ont eu lieu de même par amour, tellement grand qu'il a mené au sacrifice du Fils de Dieu, de même, « les signes du rachat doivent à la fin, révéler cette réalité fondamentale aussi dans l'image de Dieu, pour pouvoir dire : l'homme est amour » (Constantin Galeriu).

Les véritables hommes de Dieu ont toujours su et sauront toujours que leur seule justification, leur seul salut et leur seule rédemption ainsi que leur vie éternelle, leur liberté et leur déification est le Christ, vrai Dieu et vrai homme, qui par amour pour les hommes « les a pris sur lui et les a "en-hypostasiés en lui" » (saint Maxime le Confesseur) dans son Corps théandrique, l'Eglise. « Tout est accompli » : oui, sur la croix, le Verbe de Dieu qui s'est fait chair a une fois pour toutes assumé notre finitude, l'oeuvre du dedans sur l'infini.

Monseigneur Stephanos de Tallinn et de toute l’Estonie
In « Une saison en orthodoxie », p211-224, Ed Cerf, Paris 1992
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La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie» - Page 4 Empty Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»

Message  Arlitto Lun 7 Mar 2016 - 15:03

Église en dialogue

Prof. Hdr. Archim. Grigorios D. PAPATHOMAS

« L’un des problèmes causés par les Croisades– affirme Steven Runciman – fut qu’elles ruinèrent irrémédiablement et définitivement les relations entre chrétiens et musulmans. Avant les Croisades, l’Église orthodoxe, en particulier, et le monde musulman témoignaient d’une compréhension et d’une tolérance mutuelles, ainsi que d’une dialectique réciproque, entre autres, grâce aux dialogues aussi institués par les théologiens byzantins avec ce monde (cf. Jean Damascène et beaucoup d’autres qui vont jusqu’à Grégoire Palamas). En outre, l’Église orthodoxe proscrivait l’idée de guerre sainte. La preuve en est que le Patriarche de Constantinople Polyeucte (956-970) ne donna pas sa bénédiction à l’armée de Nicéphore Phocas (963-969), lorsqu’elle partit en campagne contre les Sarrazins, pour la bonne raison, dit-il, qu’aucune guerre ne peut être qualifiée de sainte. Le concept de guerre sainte fut introduit par les Croisés qui l’exaltèrent non seulement dans leurs rangs, mais aussi chez les musulmans qui avaient commencé à l’abandonner »…


Par ces paroles, Runciman signale historiquement l’existence et la pratique de dialogue, de la part des théologiens byzantins. Il souligne l’efficacité spectaculaire qu’a eue l’initiative de ce dialogue, avec les musulmans notamment, contrairement aux chrétiens occidentaux qui, dans le même temps, ont opté pour une « guerre sainte » à la place du dialogue institué. Autrement dit, il démontre que, tout au long de son parcours historique hormis son passé récent, l’Église orthodoxe était une « Église de dialogue », marquée par la théologie, et non pas une « Église de guerre sainte » fondée sur l’idéologie.

En effet, une des caractéristiques structurelles de la praxis ecclésiale (pastorale) et de la parole (théologie) de l’Église est que celles-ci opèrent (doivent opérer) de façon sotériologique, salvatrice et non pas théorique (idéologie). Car, tout simplement, la vision essentielle et ultime de l’Église – et de sa théologie – est de sauver l’être humain. C’est la première, la principale et primordiale demande que notre divine Liturgie adresse d’emblée : « Pour … le salut de nos âmes (= vies) ». Notre théologie ecclésiale et notre pastorale, si elles veulent rester salvatrices, sans déraper et devenir une idéologie, ne peuvent qu’être en dialogue permanent avec les autres (personnes et institutions), mais aussi en ouverture permanente par rapport au monde « entier ». Or, dialogue avec tous et ouverture à tous, intra et extra muros, ceux qui sont près et ceux qui se trouvent loin, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église.

La période de l’histoire que nous traversons – époque de modernité achevée, voire de méta modernité –, mais aussi le contexte spatiotemporel de notre propre vie historique sont fixés, en nous introduisant, par définition, dans un domaine de dialogue à plusieurs volets, qui comporte au moins quatre aspects fondamentaux : 1) le dialogue interorthodoxe, pour commencer par notre maison, puisque celui-ci s’avère de plus en plus nécessaire, notamment aujourd’hui, entre altérités homodoxes, 2) le dialogue interchrétien, puisque la sécularisation éonistique, ainsi que le culturalisme ecclésiastique, ne cessent de prendre le dessus sur le témoignage empirique de l’Église, créant de plus en plus d’altérités hétérodoxes, 3) le dialogue interreligieux, puisque l’opération auto apocalyptique de Dieu au monde, non seulement demeure encore incompréhensible, mais il incombe surtout à l’Église et à sa théologie de poser la révélation de Dieu qu’ils portent dans leur sein, en « montagne de dialogue » et « mettre sur son support la lampe allumée » , surtout entre altérités religieuses, et 4) le dialogue interculturel, au sein de la société et avec la société, dans le nouveau contexte pluriculturel de notre époque méta moderne, contexte non pas tant de l’unification européenne, mais surtout de la mondialisation au sens large. Sur ce point revient précisément la demande primordiale que soumet d’emblée la divine Liturgie : « Pour (…) l’union de tous ». Ces « tous » qui sont-ils ? Pour maintenir la correspondance avec ceux avec qui nous sommes en dialogue, avec qui nous sommes appelés à dialoguer, avec qui nous sommes invités à engager le dialogue, définissons-les. Il s’agit, respectivement, du dialogue entre : 1) les chrétiens de même confession (orthodoxes) ; 2) les chrétiens de confession différente (hétérodoxes) ; 3) les croyants de religion différente (hétéroreligieux) et 4) ceux du « dehors », quels qu’ils soient, représentant des conceptions sociales et des cultures différentes. Et cette demande de notre divine Liturgie, « l’union de tous », de même que la prière du Christ « pour qu’ils soient un » , s’accomplira aussi par le dialogue, l’ouverture et la consultation ; et si cela ne se fait pas, du moins cela commencera par le dialogue…

Ayant cerné ce qu’est ce dialogue aux multiples aspects qui se déroule inexorablement devant nous, surtout de nos jours, comme une quête universelle de la société et de ses diverses expressions, abordons brièvement un aspect important de la vie ecclésiale, ce que nous appelons communément aujourd’hui « Église en dialogue ». Ce fait, que nous rencontrons très manifestement comme attitude de vie envers le monde à l’époque et dans les écrits patristiques, commence – à titre d’exemples – par les Pères apostoliques apologistes qui sont les premiers à engager le dialogue avec la société, la philosophie dominante et la Cité de leur temps, de surcroît à une période où celle-ci persécute durement les chrétiens. Il se poursuit sur le même registre avec les Pères cappadociens, Maxime le Confesseur et Jean Damascène et, avant la prise de Constantinople (1453), dans la même perspective, avec saint Grégoire Palamas et saint Marc Evgénikos, évêque d’Éphèse.
Ce fait de l’« Église en dialogue » a subi un recul durant l’occupation ottomane (1423/1453-1821/1913) dans nos parages et, surtout, durant l’apparition du confessionnalisme chrétien en Occident et en Orient, qui s’est manifesté au deuxième millénaire aussitôt après les Croisades (1095-1204) et qui a culminé notamment au XIXe et durant la première moitié du XXe siècle. Dans cette récession du XIXe et du XXe siècle, jusqu’à nos jours, toutes les Facultés théologiques confessionnelles ont aussi été engagées ou mobilisées. Ces écoles ont été créées et développées à cette période dans un climat de théologie académique qui avantageait et encourageait le confessionnalisme et le cloisonnement confessionnel, empêchant ainsi le dialogue. Ces dernières années, le fait de l’« Église en dialogue » a commencé à reprendre la dimension patristique antérieure, celle d’avant la prise de Constantinople, malgré les réactions d’ordre confessionnel. Une telle perspective de reprise et de développement du dialogue tous azimuts s’est manifestée, du côté de l’Église orthodoxe, par le Patriarcat œcuménique en 1902, 1920 et au-delà, et en Grèce, en raison justement des circonstances historiques et géopolitiques, peu avant la dictature, principalement après le rétablissement de la démocratie (1974) et surtout avant la fin du XXe siècle.

Le dialogue constitue une entreprise polyvalente comportant plusieurs défis. Dans l’effort de dialectique et de dialogue, pour qu’il soit véritablement théologique, le dialogue est appelé à ne pas adopter de ton confessionnel. Il est constamment appelé à être théologique, sans être confessionnel. À être dialectique, sans déraper ni altérer ce qu’il promet : la vérité de l’Église et de sa théologie. À opérer des ouvertures et nullement à ménager des cloisonnements. Toute démarche de dialogue est appelée à opter pour le dialogue « à son initiative » et non pas agir « par réaction » aux événements théologiques. À cette occasion, signalons ici une nuance qui démontre une énorme différence entre les deux. Il existe deux modes d’agir dans la vie et le quotidien : « à son initiative » et « par réaction ». Il y a une abîme séparant le fait « d’agir à son initiative » de celui « d’agir par réaction ». Le premier signifie avoir une vue globale des choses, avoir une vision et se consacrer à l’infléchir dans la perspective de sa vision, n’avoir aucune raison d’opposer des obstacles ou tendre des embûches à son prochain qui lui aussi s’efforce éventuellement de faire une chose parallèle, différente, ou même opposée. De l’autre côté, « agir par réaction » signifie manquer de vue globale des choses et de vision, manquer de discours et de réplique, et essayer de manière fondamentaliste et violente, en livrant même, si nécessaire, une guerre (sainte), de réfuter (dénigrer) ce que son prochain fait « à son initiative ». Quoi qu’il en soit, le fait d’agir « à son initiative » dénote une robustesse théologique et un amour pour la Vérité !… En effet, ce n’est qu’alors que la Vérité devient un exercice de communion de personnes – ce qui constitue l’essence de l’Église – et un exercice de relations…

Au cours de l’histoire, au sein du créé déchu, par notre vie et notre activité, nous sommes appelés à traduire dans les actes ce que l’Église promet dans le monde et l’histoire, c’est-à-dire engager un dialogue polyvalent. Cela signifie assumer une responsabilité vis-à-vis des chrétiens séparés et du monde divisé par la chute, de la société humaine fragmentée, où tout le monde cherche des issues et use de divers modes, le dialogue entre autres, comme moyen pour sortir des impasses. Si l’Église n’est pas au centre de cette perspective de sortie des impasses, moyennant la voie ontologique qui passe par le dialogue aussi, alors elle « a perdu sa saveur »… et dans ce cas, « comment redeviendra-t-elle du sel ? » . Est-il possible qu’une Église ressemble à du sel qui a perdu sa saveur ? Oui, c’est possible, nous dit le Christ, et les hommes la jetteront dehors et la marginaliseront. Du point de vue historique et diachronique, l’Église orthodoxe a montré être le sel de saveur, étant pionnière dans le dialogue et perçant des chemins pour surmonter, de manière eschatologique, les impasses humaines, dans la perspective d’assumer le « monde entier » et le « salut de tous les hommes » !…
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Message  Arlitto Lun 7 Mar 2016 - 15:04

Patrologie

SUR LA PRIERE]Macaire le Grand

Citation des "Cent cinquante homélies spirituelles".
18. La persévérance dans la prière est le fondement de tout bon effort et la cime où s'accomplissent les oeuvres droites. C'est par elle, quand nous appelons Dieu à tendre une main secourable, que nous acquérons les autres vertus. C'est dans la prière en effet qu'est donné à ceux qui en sont jugés dignes de communier à l'énergie mystique et de rencontrer l'état de sainteté qui, par l'ineffable amour du Seigneur, tourne vers Dieu également l'intelligence elle-même. Il est dit : "Tu as donné la joie à mon cœur". Et le Seigneur lui-même : "Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous". Que le Royaume de Dieu soit au dedans, qu'est-ce que cela peut signifier d'autre que ceci : la joie céleste de l'Esprit marque clairement de son empreinte les âmes qui en sont dignes ? Car les âmes qui, par la communion efficace de l'Esprit, sont dignes d'une telle grâce reçoivent les arrhes et les prémices de la réjouissance, de la joie, du bonheur que donne l'Esprit, et auquel ont part les saints dans la lumière éternelle au cœur du Royaume du Christ. C'est là, nous le savons, ce qu'a montré l'Apôtre divin. Il dit en effet : "Il nous console dans notre affliction, afin que par la consolation que nous mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler ceux qui sont dans la détresse". Mais également : "Mon cœur et ma chair crient de joie vers le Dieu vivant", et : "Comme de graisse et de moelle mon âme sera rassasiée". De même les versets qui s'accordent à ceux-ci veulent dire la même chose, et font allusion à la joie et à la consolation efficaces de l'Esprit. 

19. De même que l'œuvre de la prière est plus grande que les autres, de même celui qui est épris d'amour pour elle doit se donner plus de peine et de souci afin de ne pas se faire voler à son insu par le vice. Car en ceux qui visent un plus grand bien, le malin attaque avec de plus grands efforts. Un tel homme aura ainsi besoin d'une grande vigilance et d'une grande sobriété pour porter davantage encore les fruits de l'amour et de l'humilité, de la simplicité et de la bonté, et enfin du discernement, en persévérant chaque jour dans la prière. Ces fruits lui rendront manifestes son propre progrès et sa propre croissance dans les choses de Dieu, et ils inviteront les autres à éprouver la même ferveur. 
20. L'Apôtre divin lui-même enseigne qu'il faut prier continuellement et persévérer dans la prière. Et le Seigneur l'a dit : "Combien plus Dieu fera-t-il justice à ceux qui l'appellent nuit et jour" et : "Veillez et priez". Il faut donc "toujours prier et ne pas se lasser". De même que celui qui persévère dans la prière a choisi une oeuvre plus fondamentale, de même il lui faut mener un grand combat et soutenir un effort continu, car à la persévérance dans la prière s'opposent les nombreux obstacles du vice : le sommeil, l'acédie, la pesanteur du corps, l'égarement des pensées, l'agitation de l'intelligence, le relâchement, et les autres oeuvres mauvaises. Puis viennent les afflictions, les soulèvements des esprits du mal eux-mêmes, qui nous combattent et nous résistent avec acharnement et empêchent d'approcher Dieu l'âme qui sans relâche le recherche en vérité. 

22. Si l'humilité et l'amour, la simplicité et la bonté, ne règlent pas le bon ordre de notre prière, une telle prière, qui serait plutôt l'apparence de la prière, ne peut guère nous aider. Et nous ne disons pas cela de la seule prière, mais de tout effort et de toute peine, de la virginité, du jeûne, de la veille, de la psalmodie, du service, de tout travail fait avec attention pour l'amour de la vertu. Si nous ne nous attachons pas à voir en nous-mêmes les fruits de l'amour, de la paix, de la joie, de la simplicité, de l'humilité, mais aussi de la douceur, de la candeur, de la foi telle qu'elle doit être, de la patience et de la bienveillance, les peines que nous nous donnons ne nous servent à rien. Car nous acceptons de supporter les peines pour profiter des fruits. Mais si l'on ne trouve pas en nous les fruits de l'amour, notre travail est tout à fait vain. De tels hommes ne diffèrent en rien des cinq vierges folles. Celles-ci n'avaient pas dès maintenant dans leur cœur l'huile spirituelle : l'énergie des vertus dont nous avons parlé, cette énergie que donne l'Esprit. Aussi furent-elles appelées folles et rejetées lamentablement hors du lieu des noces royales, sans recevoir en partage le fruit des peines de la virginité. En effet, quand on cultive la vigne, on prodigue à l'avance tous ses soins et toute sa peine dans l'espoir d'obtenir des fruits, mais si l'on n'a pas récolté de fruits, le travail s'avère aléatoire. De même si nous ne voyons pas en nous, grâce à l'énergie de l'Esprit, les fruits de l'amour, de la paix, de la joie et des autres vertus que l'Apôtre a énumérées, et si nous ne nous attachons pas à reconnaître cette grâce en toute certitude et par la perception spirituelle, l'effort de la virginité, de la prière, de la psalmodie, du jeûne et de la veille est manifestement vain. Car ces peines et ces efforts de l'âme et du corps doivent s'accomplir, nous l'avons dit, dans l'espérance des fruits spirituels. Porter les fruits des vertus est une jouissance spirituelle, accompagnée d'un plaisir incorruptible, que l'Esprit suscite secrètement dans !es cœurs fidèles et humbles. Qu'ainsi les peines et les efforts soient considérés pour ce qu'ils sont, comme des peines et des efforts, et que les fruits soient considérés comme des fruits. Mais si quelqu'un, par manque de connaissance, pense que son travail et son effort sont des fruits de l'Esprit, qu'il n'ignore pas qu'il se console et se trompe lui-même, et que dans son état il est privé des fruits réellement grands, les fruits de l'Esprit. 

24. Ceux qui ne peuvent pas encore - parce qu'ils sont des enfants s'adonner jusqu'au bout à l'œuvre de la prière, doivent accepter de servi leurs frères avec piété, foi et crainte de Dieu. Car ils sont au service d'un commandement de Dieu et d'une oeuvre spirituelle. Mais qu'ils n'attende pas des hommes un salaire, ou un honneur, et un remerciement. Qu'ils ne se permettent aucun murmure, ni orgueil, ni négligence, ni relâchement, à de ne pas souiller et corrompre une telle Couvre bonne, mais qu'ils s'efforcent cent bien plutôt de la rendre agréable à Dieu par la piété, la crainte et la joie. 

25. Le Seigneur est descendu parmi les hommes - ô la miséricorde divine à notre égard ! - avec tant d'amour et de bonté, cherchant à ne pas laisser d'œuvre bonne sans aucun salaire, mais à mener tous les êtres des plus petites aux plus grandes vertus, pour ne priver personne de récompense, n'aurait-on donné qu'un verre d'eau fraîche. Car il a dit: "Quiconque donnera à boire un seul verre d'eau fraîche à l'un de ces petits, parce qu'il est Mon disciple, en vérité Je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense". Et encore : "Dans la mesure où vous avez fait cela à l'un d'eux, c'est à Moi que vous l'avez fait". Seulement, qu'on fasse un tel geste pour l'amour de Dieu, et non pour une gloire humaine. Car il a ajouté : "parce qu'il est Mon disciple", c'est-à-dire : dans la crainte et l'amour du Christ. Blâmant en effet ceux qui poursuivent le bien ostensiblement, et donnant à sa parole la force d'une sentence ferme, le Seigneur en vient à dire : "En vérité Je vous le dis, ils ont reçu leur récompense".
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Message  Arlitto Lun 7 Mar 2016 - 15:04

L'amour parfait et la juste rétribution du mérite
St Jean Chrysostome

Toute bonne action est un fruit de l'amour ; aussi l'amour est-il un sujet sur lequel on revient souvent. Tantôt c'est le Christ qui dit : "A cela tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ; " (Jn 13,35) tantôt c'est Paul qui s'écrie : "Ne devez rien à personne, si ce n'est l'amour qu'on se doit les uns aux autres." (Rom 13,8) Il ne parle pas de l'amour purement et simplement ; mais il ajoute que nous nous le devons les uns aux autres. De même que nous sommes constamment tenus de donner au corps sa nourriture, et que nous la lui donnons constamment, car c'est une dette qui s'impose à notre vie tout entière ; ainsi, d'après l'Apôtre, en est-il de l'amour ; et nous devons le faire avec d'autant plus de zèle que l'amour nous mène à la vie éternelle et qu'il demeurera éternellement avec nous. "Ces trois choses restent, la foi, l'espérance et l'amour ; mais la plus parfaite de toutes est l'amour." (1 Cor 13, 13) L'amour ne nous est pas appris seulement en paroles, elle nous est appris encore en exemples. La première leçon qui nous en est donnée, c'est par la manière dont nous avons été créés. Dieu forma le premier homme et Il ordonna que tous les autres naquissent de celui-ci, afin que nous nous regardions comme une seule et même famille et que nous persévérions dans des sentiments d'amour les uns vis-à-vis des autres. Après cela Il s'est servi des échanges pour entretenir cet amour mutuel ; de quelle manière, je vais vous le dire : en comblant la terre de biens, Il a donné à chaque contrée une espèce particulière de fruits ; de la sorte, les besoins que nous avons nous attirent les uns vers les autres, nous livrons à nos semblables le superflu que nous avons, nous en recevons ce qui nous manque, et ainsi, s'entretient l'amour. La même mesure, Dieu l'a appliquée aux individus. Il n'a pas permis à chacun de tout savoir ; mais l'un connaîtra la médecine, l'autre l'art de bâtir, l'autre une autre chose, de façon que, ayant besoin les uns des autres, nous nous aimions de façon que, ayant besoin les uns des autres, nous nous aimions mutuellement. 

Il en est de même pour les dons spirituels, à ce que nous apprend l'Apôtre : "L'un reçoit le don de parler avec sagesse, l'autre celui de parler avec science, l'autre celui de prophétie, l'autre celui de guérir, l'autre celui de parler diverses langues, l'autre celui de les interpréter." (1 Cor 12,8-10) Cependant il n'y a rien au-dessus de l'amour, et c'est pourquoi il la préfère à tout le reste en ces termes : "Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas l'amour, je suis comme un airain sonnant et une cymbale retentissante. Quand j'aurais le don de prophétie, et quand je pénétrerais tous les mystères, quand j'aurais une foi capable de transporter les montages, si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien." (1 Cor 13,1-2) Il ne s'arrête pas encore là ; et il déclare que la mort pour la religion ne lui servirait de rien s'il n'avait l'amour. Ce n'est pas sans motif qu'il exalte cette vertu à ce point ; il savait, cet observateur des commandements de Dieu, il savait parfaitement que là où cette vertu a jeté de profondes racines, les fruits de toutes sortes de biens ne tardent pas à se montrer. En effet, ces commandements : "Tu ne commettras point l'impureté, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne diras pas de faux témoignage," et tous les autres quels qu'ils soient, sont impliqués dans ce commandement capital : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même. (Ex 20,13-16 ; Lév 19,18 ; Gal 5,14) Mais pourquoi nous appesantir sur ces considérations d'un ordre peu élevé, tandis que nous garderons le silence sur des considérations d'un ordre sublime ? C'est l'amour qui a fait descendre jusqu'à nous le Fils bien-aimé de Dieu, qui l'a fait habiter et converser avec les hommes, chasser les terreurs de l'idolâtrie, publier la religion véritable, instruire les hommes à s'aimer les uns les autres. "Dieu a tellement aimé le monde, dit l'évangéliste Jean, qu'Il a donné son Fils unique afin que quiconque croira en Lui ne périsse pas, mais obtienne la vie éternelle." (Jn 3,16) Aussi Paul, dans l'ardeur de son amour, laissa-t-il échapper ces paroles célestes : "Qui nous séparera de l'amour du Christ ? Sera-ce la tribulation, l'angoisse, la persécution, la faim, la nudité, le péril, le glaive ? " (Rom 8,35) Et, dédaignant ces obstacles, sans importance à ses yeux, il en signale de plus redoutables : "Non, poursuit-il, ni la vie, ni la mort, ni le présent, ni l'avenir, ni tout ce qu'il y a de plus haut, ni tout ce qu'il y a de plus profond, ni aucune créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur." (Ibid., 38-39) Rien n'était donc capable d'éteindre dans l'âme de ce bienheureux l'amour qui l'embrasait, ni le ciel, ni la terre ; toutes ces choses, il les dédaignait pour le Christ. De même, si nous examinions la vie des autres saints, nous trouverions que l'amour a toujours été pour tous le principe de leur crédit sur le cœur de Dieu. 

C'est l'amour qui vous découvre dans le prochain un autre vous-même, qui vous apprend à vous réjouir de sa prospérité comme de la vôtre, à gémir sur ses infortunes comme sur vos infortunes propres. C'est l'amour qui fait de nous tous un seul corps et de nos âmes autant de tabernacles du saint Esprit ; car cet Esprit de paix aime à se reposer, non là où règne la division, mais là où règne l'union entre les cœurs. C'est l'amour qui fait des biens de chacun les biens de tous, comme nous l'enseigne le Livre des Actes : "La foule des fidèles n'avait qu'un cœur et qu'une âme. Aucun d'eux ne considérait ce qu'il possédait comme lui appartenant ; mais toutes choses leur étaient communes ; on les distribuait à chacun selon ses besoins." (Ac 4,32-35) Quelle muraille formée de pierres énormes et fortement cimentées les unes avec les autres, pourrait par sa solidité et sa masse, braver aussi bien les efforts de l'ennemi que cette société d'hommes s'aimant entre eux et unis les uns aux autres par les liens de la plus parfaite harmonie ! Les assauts du démon lui-même viendront se briser contre une telle muraille. Et certes je le comprends. Oui, tous ceux qui se présenteront à ses attaques étroitement pressés les uns contre les autres, sans qu'aucun passe jamais à l'ennemi, seront victorieux de ses stratagèmes, et pourront dresser les brillants trophées de l'amour. De même que les cordes d'une lyre, quel qu'en soit le nombre, exhalent les plus mélodieux accents lorsqu'une main savante en harmonise les sons ; de même les âmes qu'unit l'harmonie des sentiments exhalent les suaves accents de l'amour. Voilà pourquoi Paul recommandait aux fidèles de rechercher dans leurs paroles, dans leurs pensées, les mêmes sentiments, d'estimer les autres supérieurs à eux-mêmes, de façon à ce que l'ambition ne chassât point l'amour, et que tous, luttant de modestie entre eux, vécussent dans une concorde sans nuage. 

"Soyez, dit-il, par l'amour les serviteurs les uns des autres. Car toute la loi se résume en une seule parole : Vous aimerez le prochain comme vous-mêmes." (Gal 5,13-14 ; Lev 19,18 ; Ph 2,3 et 3,16) Celui qu'anime l'amour ne veut pas seulement ne pas commander, il veut de plus être commandé ; il lui est moins doux de commander que d'obéir. Celui qu'anime l'amour aime mieux octroyer une grâce que de la recevoir, être le créancier d'un ami que d'en être à cet égard le débiteur. Celui qu'anime l'amour, tout en voulant faire du bien à son ami, ne voudrait point paraître le faire ; car, tout en voulant tenir le premier rang par la bienfaisance, il ne voudrait point que cela fût connu. Peut-être quelques-uns d'entre vous ne comprennent pas ce que je dis ; essayons de l'éclaircir par un exemple. Notre miséricordieux Seigneur voulait nous donner son Fils ; afin de paraître, non pas nous faire une grâce, mais s'acquitter d'une dette, il ordonne à Abraham de sacrifier son enfant : de cette manière, quand Il sacrifierait le Sien, Il ne semblerait pas octroyer un bienfait, mais payer une dette, dans les richesses infinies de sa Bonté. Je n'ignore pas que ceci paraît étrange à plusieurs : la raison en est que je parle d'une chose dont le ciel est maintenant la patrie ; car, si je parlais d'une plante qui croît dans l'Inde, et que personne n'aurait pu connaître par expérience, je n'arriverais point à la dépeindre fidèlement, quelque soin que j'y consacrasse ; de même, quoi que je dise, ce sera du temps perdu, parce que l'on ne comprend pas le sujet que je traite. Il s'agit, je le répète, d'une plante qui ne fleurit que dans le ciel. Mais, si nous le voulons, elle fleurira aussi en nous ; et c'est pour cela que l'on nous enseigne à dire au Père des cieux : "Que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel " (Mt 6,10) 

N'allons donc pas nous imaginer qu'il ne nous est pas possible de posséder ce bien. Oui, cela nous est vraiment possible, si nous voulons pratiquer la vigilance, si nous voulons surtout pratiquer toute sorte de vertus. C'est notre volonté libre qui nous dirige, et non la fatalité du destin, comme quelques-uns le supposent ; et c'est à vouloir ou ne pas vouloir qu'est le bien ou le mal. Voilà pourquoi le Seigneur nous a promis son royaume d'un côté, et de l'autre nous a menacés de ses châtiments. Or, Il n'eût pas agi de la sorte avec des êtres rivés à la fatalité ; car ces deux ordres de choses ne concernent que des actes émanés de la volonté. Le Seigneur ne nous eût pas non plus donné des lois et des conseils, si nous eussions été retenus dans les liens du destin. Mais, comme nous sommes libres et les arbitres de notre propre volonté ; comme c'est la négligence qui nous rend mauvais, et le zèle qui nous rend bons, Il a jugé nécessaire de nous préparer ces remèdes, et de nous amener soit à nous amender, soit à pratiquer la sagesse, par la crainte de ses châtiments et l'espèrence de son royaume. Indépendamment de ces preuves, nous trouverons dans notre propre conduite des faits qui démontrent que nous ne sommes les instruments aveugles ni du destin, ni de la fortune, ni de la nature, ni du cours des astres. Car, si tels étaient les principes véritables de nos actions, et non pas la liberté humaine, pourquoi donc battriez-vous de verges votre esclave voleur ? pourquoi traîneriez-vous au tribunal votre épouse adultère ? pourquoi rougissez-vous en faisant des choses déraisonnables ? pourquoi ne pouvez-vous pas supporter une seule parole injurieuse ? pourquoi, lorsqu'on vous traite d'adultère, de débauché, d'intempérant, appelez-vous cela une outrage ? S'il n'y a du côté de la volonté aucune faute, ni votre action n'est un crime, ni ce que l'on vous dit une injure. Dès lors que vous êtes sans pitié pour les gens vicieux, que vous avez honte vous-même en faisant le mal, que vous cherchez à vous cacher, et que vous qualifiez de détracteurs ceux qui vous reprochent votre conduite ; par toutes ces choses vous déclarez que la nécessité n'enchaîne pas notre vie, et que nous avons la dignité que donne la liberté. Lorsqu'il s'agit de personnes soumises à la nécessité, nous savons bien user d'indulgence. Qu'un possédé lacérât notre manteau, nous assaillît de coups, loin d'en tirer vengeance, nous gémirions et nous nous apitoierions sur son état. Et pourquoi cela ? Parce qu'il n'aurait point agi librement, et qu'il aurait été l'instrument de la violence du démon. Nous excuserions de même toute autre action opérée sous l'influence de la fatalité ; et c'est parce que nous sommes convaincus de la nullité de cette influence, que ni les maîtres ne pardonnent à leurs esclaves, ni les hommes à leurs femmes, ni les femmes à leurs maris, ni les pères aux enfants, ni les maîtres aux disciples, ni les princes aux sujets, et qu'au contraire nous sommes inexorables dans la recherche des crimes de nos semblables, et que nous en poursuivons de même la punition, recourant aux tribunaux, mettant en œuvre les châtiments corporels et les reproches, et prenant toute sorte de moyens pour délivrer du mal ceux à qui nous nous intéressons. A nos enfants, par exemple, nous donnons des gouverneurs, nous leur imposons des maîtres, nous employons les menaces, les fouets, et une infinité d'autres moyens, afin de les former à la vertu. 

Mais quel besoin avons-nous d'efforts et de sueurs pour pratiquer le bien ? S'il est écrit qu'un tel sera bon, il aura beau dormir et ronfler, il sera bon ; ou plutôt il ne sera pas, car on ne peut appeler bon celui qui est tel par nécessité. Quel besoin avons-nous d'efforts et de sueurs pour éviter le mal ? S'il est écrit qu'un tel sera méchant, quelques épreuves qu'il subisse, il sera méchant ; ou plutôt il ne le sera pas, car on ne saurait appeler méchant celui que la nécessité pousse dans une mauvaise voie. De même, encore une fois, que vous ne traiterez pas de détracteur le démoniaque qui vous injuriera, vous frappera même, et que vous rendrez le démon et non lui responsable de ces injures ; de même nous ne devons pas qualifier de méchant l'homme que la fatalité pousse au mal, ni de bon celui qui fait le bien par le même principe. Accordez cela, et la confusion régnera dans les choses humaines ; il n'y aura plus ni vertu, ni vice, ni arts, ni rien de semblable. Pourquoi, lorsque nous sommes malades, nous donner tant de soins, dépenser de l'argent, appeler des médecins, employer des remèdes, nous imposer la diète, mettre un frein à la volupté ? Si le destin décide de la maladie et de la santé, superflues sont ces dépenses, superflues les visites du médecin, superflue la diète rigoureuse qui nous est imposée. Mais ces dernières preuves et les précédentes ont établi le contraire. Laissons donc cette fable du destin : non, la nécessité n'est point l'arbitre suprême des choses humaines, elles ne sont soumises à d'autre empire qu'à l'empire honorable de la volonté libre. 

Que ces raisons, et bien d'autres qu'il nous serait facile d'apporter à l'appui de cette proposition, si les présentes ne suffisaient pas à votre sagacité, nous déterminent à fuir le mal, à chérir la vertu, et à prouver ainsi par nos actes la pleine liberté que nous avons de faire ce qui nous plaît, afin de n'être point couverts de confusion au jour où nos oeuvres paraîtront à la lumière. Car "il faut que tous nous comparaissions au tribunal du Christ, dit Paul, afin de recevoir chacun ce qui nous est dû soit en bien, soit en mal." (2 Cor 5,10) Pénétrons-nous, je vous en conjure, de la pensée de ce tribunal, supposons-le dressé devant nous, avec le juge sur son siège, au moment où toutes choses vont être révélées et montrées à tous les regards. Ce n'est point assez pour nous, en effet, d'y comparaître, tout ce qui nous regarde y sera de plus découvert. Et vous ne rougissez pas, et vous n'êtes point saisis de frayeur ! Est-ce que nous ne préférions pas souvent la mort à la révélation de l'une de nos fautes secrètes aux yeux des amis que nous vénérons ? Quels seront donc nos sentiments, lorsque nos péchés seront publiés à la face des anges et des hommes exposés à tous les regards ? "Je vous accuserai, dit le Seigneur, et je mettrai sous vos yeux vos péchés." (Ps 49,21) Si, maintenant que cet instant est loin de nous, la seule hypothèse et la description verbale de cette scène réveille en nous les reproches accablants de la conscience, que deviendrons-nous quand l'heure fatale aura sonné, que l'univers tout entier sera rassemblé avec les anges et les archanges, les principautés et les puissances ; quand les trompettes feront entendre sans relâche leurs accents et se répondront les uns aux autres, quand les juges seront ravis au-dessus des nuages, et que les pécheurs éclateront en sanglots ? de quel effroi seront remplis en ce moment ceux qui resteront sur la terre ? Alors, dit l'Evangile, " l'une sera prise et l'autre sera laissée ; l'un sera pris et l'autre sera laissé. (Mt 24,40) Que se passera-t-il dans leur âme quand ils verront leurs semblables transportés dans les cieux avec gloire, et eux-mêmes laissées ignominieusement ici bas ? Jamais, croyez-moi, jamais la parole n'exprimera la douleur qu'ils éprouveront. Avez-vous jamais vu des condamnés menés au dernier supplice ? Que se passe-t-il en eux, à votre avis, pendant qu'ils marchent jusqu'à la porte fatale ? Que ne voudraient-ils pas faire ou souffrir pour être soustraits à ce terrible moment ? Pour moi, j'ai ouï dire à des condamnés que la clémence impériale avait graciés sur le lieu du supplice, qu'ils ne voyaient plus des hommes dans les hommes, tant leur âme était troublée et frappée ! Et que parlé-je des condamnés ? Une foule immense se pressait autour d'eux, laquelle en grande partie ne les connaissait en aucune matière ; et bien ! si l'on eût scruté l'âme de ces spectateurs, quelque cruels, quelque inhumains, quelque fermes qu'ils fussent, on n'en eût trouvé aucun que la terreur et la tristesse n'eussent point ému et bouleversé. 

Si la mort de gens avec qui nous n'avons aucun rapport nous touche à ce point, quelle sera notre émotion lorsque nous serons nous-mêmes exposés à un sort plus terrible encore, exclus du bonheur ineffable du ciel, et voués à des supplices sans fin ? N'y eût-il pas d'enfer, quel châtiment ce serait d'être privé de cette gloire éclatante et d'être honteusement repoussé ! Ici bas bien des gens qui verront le cortège de l'empereur, éprouveront moins de plaisir à contempler ce spectacle qu'ils n'éprouveront de peine en songeant à leur pauvreté et en pensant qu'ils ne sont point au nombre des courtisans en faveur, et de ceux qui approchent le prince. Que sera-ce donc alors ? Car croyez-vous que ce soit un châtiment léger que de ne point faire partie des célestes chœurs, de ne point participer à cette gloire inénarrable, d'être rejeté loin et bien loin de cette fête et de ces biens incompréhensibles ? Ce n'est pas tout ; il faut y joindre les ténèbres, le grincement des dents, les fers que rien ne pourra briser, le ver qui ne meurt pas, le feu qui ne s'éteint pas, le désespoir, les angoisses de l'âme, la langue ardente comme celle du mauvais riche, des pleurs que personne n'entendra, des gémissements et des frémissements que personne ne remarquera, des regards jetés de tous les côtés sans qu'il paraisse un consolateur ; que penser des infortunés plongés dans ces supplices ? Quel sort plus affreux, plus misérable que le sort de ces âmes ? 

Nous arrive-t-il d'entrer dans une prison, à la vue des prisonniers qui se présentent les uns livides, les autres chargés de fers, les autres plongés dans de ténébreux cachots, nous sommes brisés d'épouvante, et nous nous gardons bien après cela de rien faire qui puisse nous exposer à partager un semblable malheur ; mais, quand il s'agira d'être précipités chargés de chaînes dans les tourments de l'enfer, quels seront nos sentiments, quelle sera notre conduite ? Ces chaînes ne sont pas des chaînes de fer, mais des chaînes de feu et d'un feu qui ne se consume jamais ; ce n'est pas non plus à la surveillance d'êtres semblables à nous que nous serons confiés, à des êtres que nous puissions fléchir, mais à des anges terribles et inexorables dont nous ne pourrons supporter le regard et que nos outrages envers le Seigneur auront enflammés de courroux. Il n'y aura pas là, comme sur la terre, de soulagement à espérer soit en argent, soit en nourriture, soit en paroles : là point de consolation, point de clémence à espérer. Un Noé, un Job, un Daniel y vissent-ils quelques-uns des leurs dans les tourments, ils n'oseraient venir à leur aide et leur tendre la main : les sentiments de pitié qu'inspire la nature seront alors eux-mêmes effacés. Comme il y a aura des justes dont les enfants ou les parents seront pécheurs, la volonté et non la nature étant le principe du mal, afin qu'ils jouissent d'un bonheur sans mélange et que ce bonheur ne soit pas altéré par l'influence irrésistible de la compassion, ce sentiment s'évanouira dans leurs âmes, et ils partageront l'indignation du Seigneur contre leurs propres entrailles. Même dès à présent, lorsque leurs enfants sont trop libertins, ils les retranchent de leur famille et ils les déshéritent ; à plus forte raison agiront-ils ainsi au jour du Jugement. Loin de vous donc toute espérance de bonheur, si vous ne faites pas le bien, quelque justes que soient vos nombreux ancêtres. "Chacun recevra, est-il écrit, selon ce qu'il aura fait soit en bien soit en mal." (2 Cor 5,10) 

Prêtons, je vous en prie, l'oreille à ces paroles, et amendons notre vie. Si vous êtes dévoré du feu des convoitises criminelles, songez au feu de la vengeance, et les flammes impures s'évanouiront. Etes-vous tenté de proférer quelque propos criminel, songez au grincement des dents, et cette crainte vous servira de frein. Voudriez-vous prendre le bien d'autrui, rappelez-vous la sentence du Juge : "Liez-lui les pieds et les mains et jetez-le dans les ténèbres extérieures ;" (Mt 22,13) et vous repousserez ce désir. Etes-vous dur et inhumain, songez à ces vierges qui n'ayant plus d'huile dans leurs lampes éteintes ne furent point admises à cause de cela dans la chambre de l'Epoux ; et vous sentirez dans votre cœur pénétrer l'humanité. L'intempérance et la volupté exciteraient-elles vos désirs, écoutez le riche s'écrier : "Envoyez-moi Lazare, afin que de l'extrémité de son doigt il rafraîchisse ma langue embrasée," (Luc 16,24) faveur qui ne lui fut pas accordée ; et vous prendrez aussitôt ces mouvements en aversion. De cette manière il n'est pas de vertu que vous ne parveniez à pratiquer ; car Dieu ne nous a rien ordonné de difficile. Savez-vous ce qui fait paraître difficile les commandements ? Notre négligence. Soyez fervents, et ce qui semble lourd vous sera léger et facile ; soyez négligents, et ce qui est léger vous semblera insupportable. Pénétrons-nous bien de ces considérations, et, loin d'exalter le bonheur des gens qui vivent dans la mollesse, nous en aurons toujours en vue la fin. Sur la terre ce bonheur a pour fin la matière et le fumier ; dans l'autre vie le ver rongeur et le feu. N'exaltons pas le bonheur des ravisseurs du bien d'autrui, et considérons-en la fin : ici-bas ce ne sont qu'inquiétudes et labeurs ; dans l'autre vie ce sont des chaînes insolubles et les ténèbres extérieures. N'exaltons pas le bonheur des amants de la gloire ; considérons-en plutôt la fin : ici-bas servitude et déception, dans l'autre vie douleurs profondes et un feu qui ne finira pas. Si nous nous tenons à nous-mêmes ce langage, et si nous ne cessons de l'opposer à nos mauvais penchants, nous arriverons rapidement à fuir le vice, à pratiquer la vertu, à étouffer en nous l'amour des biens présents et à y allumer celui des biens à venir. Qu'ont donc les biens présents de solide, de nouveau, de surprenant, pour que nous leur consacrions toute notre activité ? Ne les voyons-nous pas emportés dans un cercle qui ne s'arrête jamais, comme le jour et la nuit, la nuit et le jour, l'hiver et l'été, l'été et l'hiver ; et puis rien de plus ? Embrasons-nous plutôt de l'amour des biens futurs. Magnifique est la récompense réservée aux justes, et la parole ne saurait en donner une parfaite idée : ils revêtiront après la résurrection des corps incorruptibles et ils partageront la Gloire et la Royauté du Christ. 

La grandeur de cette félicité, la comparaison suivante nous la fera comprendre, ou plutôt nous ne la comprendrons jamais clairement ; servons-nous cependant des biens que nous avons sous les yeux pour nous en faire une idée, et tâchons autant qu'il est en nous de faire saisir le sujet qui nous occupe. Dites-moi donc : si vous, vieillard décrépit et misérable, on vous proposait de vous rajeunir tout à coup, de vous ramener à la fleur de votre âge, de telle sorte que vous l'emportiez sur tous en force et en beauté ; si on s'engageait en outre à vous donner durant mille années l'empire de la terre entière, au milieu de la plus profonde paix, que ne seriez-vous point décidé à faire et à subir pour jouir de ces avantages ? Or, voilà le Christ qui vous promet, non ces biens, mais des biens infiniment plus précieux. Ce n'est pas d'après la différence qui existe entre la vieillesse et la jeunesse qu'il faut juger de celle qui existe entre la corruption et l'incorruption, ni d'après la différence qui sépare la pauvreté de la possession d'un empire, qu'il faut juger de la différence qui sépare la gloire présente et la gloire future, mais d'après celle qui existe entre un songe et la réalité. Je me trompe encore, et il n'est pas de comparaison capable d'exprimer au juste cette différence. Impossible de l'exprimer du côté du temps ; comment, en effet, rapprocher des choses présentes une vie qui n'aura pas de terme ? Du côté de la paix il y a autant de différence entre ces deux vies qu'entre la paix elle-même et la guerre ; et quant à l'incorruption, elle s'éloigne autant de la corruption que s'éloignerait de l'argile impure une perle de la plus belle eau. Ou plutôt, quoique vous disiez, vous resterez toujours au-dessous de la vérité. Quand même je comparerais les corps des bienheureux à une lumière radieuse, à l'éclair le plus éblouissant, je ne donnerais point une exacte idée de leur éclat. Que de richesses, que de corps ne devrait-on point sacrifier pour arriver à cette gloire ? De combien de vies même ne mériterait-elle pas le sacrifice ? Si maintenant on vous introduisait à la cour, si le prince vous adressait la parole en présence d'une foule nombreuse, et vous invitait à partager avec lui sa table et son palais, est-ce que vous ne vous proclameriez pas le plus fortuné des hommes ? Et, quand il dépend de vous de monter au ciel, de vous présenter au souverain même de l'univers, d'y briller de l'éclat des anges, d'y jouir d'une gloire inaccessible, vous vous demandez en hésitant si vous renoncerez aux biens de la terre, quand il vous faudrait sacrifier la vie elle-même avec les transports de la joie et de l'allégresse la plus grande et avec l'empressement le plus vif ! Pour obtenir une préfecture où vous trouverez l'occasion de commettre une foule d'injustices, car je ne qualifierai pas cela de bénéfice véritable, vous dépensez votre fortune, vous empruntez l'argent d'autrui, vous n'hésiteriez pas s'il le fallait à engager votre femme et vos enfants ; et quand on vous offre le royaume des cieux, un royaume que l'on est certain de posséder toujours, vous reculez, vous hésitez, et vous soupirez après les richesses ! 

D'ailleurs, si les parties apparentes du ciel sont si belles, si douces à voir, les parties invisibles et les cieux des cieux, quelle beauté n'auront-ils pas ? puisque vous ne pouvez pas les voir des yeux du corps, élevez-vous par la pensée, montez au-dessus de ce ciel, et contemplez le ciel supérieur avec sa hauteur incommensurable, sa lumière inaccessible, avec ses tribus d'anges, ses ordres d'archanges et les autres puissances incorporelles ; puis, descendant sur la terre, recourez aux images qu'elle nous fournit, et décrivez-moi l'appareil qui entoure un prince d'ici-bas, des gardes couverts d'or, un char ruisselant de pierres précieuses, attelé d'un couple de blanches mules étincelantes d'or, les lames dont le char est revêtu, les dragons représentés sur des vêtements de soie, les aspics aux yeux d'or, les chevaux couverts d'or et leurs freins d'or également. Toutefois, dès que nous apercevons l'empereur, nous ne voyons plus rien de tout cela : lui seul fixe nos regards avec son manteau de pourpre, son diadème, son trône, son agrafe, sa chaussure, et l'éclat de son visage. Après avoir rassemblé toutes ces images, transportez de nouveau votre pensée dans une sphère supérieure, et représentez-vous le jour terrible de l'avènement du Christ. Vous ne verrez alors ni chars dorés avec leur attelage de mules blanches, ni dragons, ni aspics ; mais vous verrez une scène tellement effrayante, tellement extraordinaire, que les vertus célestes seront elles-mêmes dans la stupeur ; "car les vertus des cieux, dit le Seigneur, seront profondément émues." (Mt 24,29) Alors le ciel s'ouvrira tout entier, et le Fils unique de Dieu en descendra, escorté non d'une vingtaine ou d'une centaine de satellites, mais de plusieurs millions d'anges et d'archanges ; la terreur et l'effroi se répandront en tous lieux, la terre s'entr'ouvrira, tous les hommes qui auront vécu depuis Adam jusqu'à ce jour en sortiront et ressusciteront, tandis que le Sauveur s'avancera environné d'une gloire tellement éblouissante que ses rayons éclipseront la splendeur de la lune et du soleil. Oh ! que notre insensibilité est grande à nous qui, malgré les biens ineffables promis à nos efforts, soupirons encore avidement après les biens présents, et ne comprenons pas la malice du diable, qui se sert de ces biens sans valeur pour nous dépouiller des biens les plus précieux, qui nous donne un peu de boue pour nous ravir le ciel, qui nous montre une ombre pour nous dérober la vérité, et qui nous berce de songes riants, car les richesses d'ici-bas ne sont pas autre chose, afin que le jour venu, nous soyons les plus pauvres des hommes. Puisque nous n'ignorons pas ce vérités, évitons, mes bien-aimés, les pièges du démon ; prenons garde de partager sa condamnation et d'entendre un jour le Juge nous dire : "Eloignez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges." (Mt 25, 41) 

Mais Dieu est bon, cela n'arrivera pas, dit-on. - Donc, c'est en vain que cela a été écrit. - Assurément non, est-il répliqué ; mais ce n'est qu'une menace destinée à nous ramener à de meilleurs sentiments. - Et si nous ne voulons pas de ces sentiments, si nous persévérons dans l'iniquité, nous dispensera-t-Il de ces supplices ? Dans ce cas Il refusera également aux bons leurs récompenses. - Il ne la leur refusera pas ; car il est digne de Lui de donner encore au delà du mérite. - D'où il suit que ce qui concerne les récompenses est certain, et que ce qui concerne les châtiments ne l'est pas ! Oh ! que la perfidie du démon est grande, que cette apparente humanité a de cruauté ! Car c'est lui qui est l'auteur de ce raisonnement, source d'une erreur si funeste et de notre négligence. Il sait que la crainte du châtiment est pour notre âme un frein qui la retient, qui l'éloigne du vice ; et voilà pourquoi il met tout en oeuvre pour arracher de notre cœur ce sentiment, afin que nous nous précipitions aveuglément dans l'abîme. Comment triompherons-nous de ces efforts ? Les témoignages de l'Ecriture que nous invoquons n'ont, d'après nos contradicteurs, qu'une valeur comminatoire. Qu'ils parlent ainsi de châtiments à venir, soit, encore que ce langage ne manque pas d'impiété ; mais, quant aux châtiments passés, et dont la réalité est incontestable, ils ne sauraient maintenir ce système. Nous leur adresserons donc cette question : 

Avez-vous ouï parler du déluge, du fléau qui frappa l'humanité tout entière ? est-ce par forme de menace seulement qu'il avait été annoncé ? Ces menaces n'ont-elles pas été exécutées dans toute leur étendue ? Les montagnes de l'Arménie où l'arche se reposa n'en rendent-elles pas elles-mêmes témoignage ? Les restes de l'arche n'ont-ils pas été conservés jusqu'à ce jour ? Alors aussi, bien des gens disaient ce que vous dites ; et, durant les cent ans de la construction de l'arche, tandis que le juste les avertissait et préparait le bois, personne n'ajoutait foi à sa parole : or, c'est parce qu'ils ne crurent pas à ces menaces orales, que la vengeance éclata tout à coup sur leur tête. Croyez-vous que l'auteur de ce châtiment terrible ne voudra pas nous en infliger de plus terribles encore ? car les crimes de ce temps-là ne sont pas pires que les crimes d'aujourd'hui. En ce temps-là on se livrait à d'abominables impudicités : "Les enfants de Dieu entrèrent en rapports avec les filles des hommes." (Gen 6,2) Aujourd'hui il n'est point de péché qu'on ne commette. Cependant entretenons-nous, si vous le voulez, de quelques autres châtiments, afin que le passé garantisse la certitude de l'avenir. Quelqu'un de vous a-t-il jamais voyagé en Palestine ? Je le pense : à vous donc de rendre témoignage de la vérité de mes paroles. Au delà de Gaza et d'Ascalon, non loin de l'embouchure du Jourdain, il y avait une vaste contrée d'une fertilité telle qu'elle était comparée au paradis lui-même. "Lot aperçut, dit l'Ecriture, toutes la contrée des bords du Jourdain, laquelle était arrosée comme le paradis du Seigneur." (Gen 13,10) Eh bien, cette même contrée est aujourd'hui le plus désolé des déserts. On y voit des arbres, ces arbres ont des fruits, mais ces fruits sont un mémorial de la Colère divine. On y voit des grenadiers de superbe apparence et qui donnent d'eux-mêmes les plus favorables idées ; mais, quand on prend dans les mains les grenades et qu'on les brise, au lieu d'un fruit savoureux on ne trouve dedans que poussière et que cendre. Ainsi en est-il du sol, ainsi des pierres, ainsi de l'air. L'incendie y a tout dévoré, y a tout réduit en cendres, à l'exception de ce qui doit perpétuer le souvenir de la Colère de Dieu, et annoncer les supplices à venir. Sont-ce là des menaces verbales ; sont-ce là des cliquetis de mots ? Si quelqu'un ne croit pas à l'enfer, qu'il se souvienne de Sodome, qu'il pense à Gomorrhe, à ces châtiments du passé dont nous voyons encore aujourd'hui l'accomplissement. A ce sujet se rapportent ces passages de l'Ecriture parlant de la sagesse : "C'est elle qui délivra le juste de ce feu qui tombait sur la Pentapole, tandis que les impies périssaient. - Aussi cette terre reste déserte et fumante en témoignage de leurs crimes, et les arbres y portent des fruits qui ne mûrissent pas." (Sag 10,6-7) Il faudrait maintenant désigner la cause de cette épouvantable catastrophe. Un seul genre de crime souillait les habitants de cette contrée, mais un crime horrible et abominable. Les jeunes gens étaient l'objet de leur passion, et c'est pour cela qu'ils furent dévorés par une pluie de feu. Or, aujourd'hui des crimes pareils, en plus grand nombre et de plus graves encore se commettent, et le feu ne tombe pas du ciel. Pourquoi cela ? Parce qu'un autre feu est préparé qui ne s'éteindra jamais. Comment, en effet, Celui qui punit un seul péché d'une façon si effrayante et qui n'eut égard ni aux supplications d'Abraham, ni à la piété de Lot, habitant de Sodome, nous pardonnerait-Il, nous coupables d'une infinité de crimes ? Non, cela ne se peut, et cela ne sera pas. 

Ne nous entendons pas à ces exemples ; citons encore d'autres châtiments, afin que cette abondance de preuves établisse convenablement la vérité qui nous occupe. Vous avez tous ouï parler de Pharaon, roi d'Egypte ; vous savez quelle vengeance Dieu tira de lui : ce prince fut englouti avec toute son armée, ses chars et ses chevaux, dans les flots de la mer Rouge. Quant aux châtiments que les Juifs eurent à subir, Paul vous en parle dans les termes suivants : "Ne commettons pas de fornication comme le firent quelques-uns d'entre eux ; si bien que vingt-trois mille périrent en un seul jour. Ne murmurons pas comme murmurèrent quelques-uns d'entre eux, lesquels furent frappés par l'exterminateur. Ne tentons pas le Seigneur comme quelques-uns le tentèrent, lesquels furent tués par le serpents d'airain." (1 Cor 10,8-10) Si les Juifs expièrent de cette manière leurs péchés, quel traitement nous sera réservé ? Si l'on nous épargne, ce n'est pas que nous n'ayons à redouter aucun châtiment ; c'est au contraire pour que nous soyons plus sévèrement punis, dans le cas où nous refuserions de nous convertir. Voilà pourquoi, encore que rien de grave ne nous arrive, nous devons précisément à cause de cela craindre davantage. Les prévaricateurs cités tout à l'heure ne connaissaient point d'enfer, et ils ont été punis en ce monde ; mais nous, avec les péchés que nous commettons, si nous ne sommes aucunement frappés ici-bas, nous les expierons pleinement dans la vie à venir. Serait-il raisonnable d'ailleurs que ces malheureux beaucoup moins éclairés que nous, aient été frappés, et que nous, avec la doctrine parfaite dont nous avons été imbus, nous dont les fautes sont conséquemment plus graves, nous échappions aux châtiments ! Vous parlerai-je encore des autres désastres dont les Juifs furent frappés en Palestine par les Babyloniens, les Assyriens, les Macédoniens ; de la famine, des pestes, des guerres, de la captivité qui les désolèrent sous Titus et Vespasien ? Lisez l'ouvrage que Josèphe a écrit sur la ruine de Jérusalem, et vous aurez une idée de cette lamentable tragédie. Entre autres cala-mités, ils furent réduits à une si cruelle famine, qu'ils dévoraient leurs baudriers, leurs chaussures, et d'autres objets mille fois plus repoussants. La nécessité, comme le dit l'écrivain juif, transformait toutes choses en aliment. Ce ne fut pas encore assez, et ils dévorèrent jusqu'à leurs propres enfants. Encore une fois, ils ont été si terriblement châtiés ; comment ne le serions-nous pas, nous dont les fautes sont plus graves ? S'ils l'ont été dès cette vie, pourquoi ne le sommes-nous pas dès cette vie ? N'est-il pas évident, même pour un aveugle, que ce châtiment nous attend dans le siècle futur ? Jetons un coup d'œil sur ce qui se passe sur la terre, et nous n'aurons aucune peine à croire à l'enfer. 

Si Dieu est juste, s'Il ne fait pas d'acception de personnes, ce qui est incontestable, d'où vient que certains homicides sont punis ici-bas et que d'autres ne le sont pas ? D'où vient que certains adultères sont punis et que d'autres meurent sans avoir subi aucune peine ? Que de violations de tombeaux sont restées impunies ; que de vols, que d'injustices, que de rapines ! Et, s'il n'y a pas d'enfer, où les criminels expieront-ils leurs crimes ? Allons plus loin, montrons à nos contradicteurs que le dogme de l'enfer n'est point une fable. Ce dogme est tellement certain que les poètes, les philosophes, les écrivains de toute nature ont admis la nécessité d'une rétribution à venir, et ont désigné l'enfer comme le lieu de supplice des méchants. S'ils n'ont pu exposer la vérité dans toute sa pureté, n'ayant pour se guider que leur raison et des fragments incomplets de nos doctrines, ils n'en ont pas moins conçu l'idée d'un jugement. Ils nous parlent, en effet, des fleuves Cocyte et Phlégéton, des eaux du Styx, du Tartare, qui est aussi loin de la terre que la terre l'est du ciel, et de plusieurs genres de supplices : ils nous parlent, d'autres part, des Champs Elysées, d'îles fortunées, de prairies émaillées de fleurs, de parfums qui s'exhalent dans ce séjour, de brise légère, de chœurs que forment les bienheureux vêtus de robes blanches et chantant des hymnes ; en un mot, ils retracent le sort qui attend au sortir de cette vie les méchants et les bons. 

Que le dogme de l'enfer ne vous trouve donc pas incrédules, de crainte que nous n'y soyons engloutis : celui qui n'y croit pas devient à coup sûr plus négligent ; or, celui qui se néglige tombera certainement dans ce terrible séjour. Croyons sans hésitation aucune, entretenons-nous souvent sur ce sujet, et nos fautes deviendront plus rares. Le souvenir de ces entretiens profondément gravé dans notre âme, sera comme une médecine amère propre à la purifier de toute iniquité. Faisons donc usage de ce remède, afin d'acquérir la pureté qui nous rendra dignes de voir Dieu comme il est possible à un homme de Le voir, et de jouir des biens à venir, par la Grâce et l'Amour de notre Seigneur Jésus Christ : gloire à Lui dans les siècles des siècles. Amen.
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Message  Arlitto Lun 7 Mar 2016 - 15:05

Discours sur l'enfantement de la Vierge
St Ephrem le Syrien

Discours contre les hérétiques ; par l'exemple de la perle et par d'autres preuves évidentes, il y est démontré que nous devons croire que la sainte Enfantrice de Dieu, en dehors de toute loi de la nature, a conçu Dieu notre Seigneur et l'a mis au monde pour le salut du monde.

Seigneur, j'aime et je couvre de mes baisers ton Evangile, parce qu'il nourrit ma faim. J'aspire après ta parole, parce qu'elle étanche ma soif comme une source vive. Je convie à ta table tous ceux qu'il me plaît d'y appeler, et son abondance reste toujours inépuisable. Beaucoup d'autres prennent part avec moi à la nourriture céleste, et pourtant je me trouve dans la solitude. Je bois avec une foule de convives, et c'est à moi seul que Tu verses ta grâce. "Que Te donnerai-je donc en retour" (Ps 115, 112), si ce n'est mon âme tout entière soumise à tes saints Commandements ? Je le veux, Seigneur, mais je ne le puis. Adam est mon père et il faut que je paie à la nature la dette qu'elle réclame. Je tends vers Toi de toute ma force, et je me fais obstacle à moi-même ; car il y a en moi un mystère que je ne puis expliquer. Mon regard ne laisse échapper chez les autres aucune des faiblesses humaines, et je suis moi-même dans les liens du péché. Je vois mes égarements, je les connais, et en accusant les autres, c'est moi-même que j'accuse. Mais quoi! garderai-je donc le silence afin d'éviter ma condamnation ? Et comment alors prouver mon zèle et mon amour pour Toi ? Je parlerai donc et ne cesserai de parler. Que m'importe ma propre condamnation, pourvu que j'accomplisse mon saint ministère ? Que m'importe la mort elle-même, pourvu que ton Nom soit glorifié ? Je sais que je pourrais échapper à la condamnation en faisant grâce aux vices des pécheurs ; mais je ne cesserai de les poursuivre, afin de faire éclater ton innocence et l'inaltérable pureté de ta Vie. Que les Grecs connaissent la force et la puissance de mon amour ; que les Juifs comprennent toute l'ardeur de mon dévouement, puisque je me résigne pour Toi à une mort obscure et privée de l'appareil des flammes, du glaive et des autres tortures. Peut-être croiraient-ils à mon dévouement et à mon amour, si, pour les convaincre, je souffrais à cause de Toi une mort réelle, éclatante et environnée de témoins. Mais peut-être, dis-je, que je la souffrirais, et ne le ferais-je pas ; je crains bien que, privé du secours de ta grâce, je ne succombe à la faiblesse de ma nature.

Mais, Seigneur, donne-moi l'assurance que Tu soutiendras mes efforts, et je forcerai les Grecs à croire que je puis supporter le martyre. Faites-moi connaître que Tu prendras en pitié mes souffrances, et je vais m'armer pour la lutte. Oui, je suis prêt à me dépouiller de mes vêtements pour suivre les licteurs et les satellites des Grecs. Déjà la trompette appelle aux combats les Grecs impatients ; elle leur crie d'abandonner leurs foyers pour s'élancer contre les Perses ; déjà l'appareil des supplices cesse de menacer l'Occident et se dresse désormais contre nous. Je suis pénétré de crainte, parce que Tu hais les pécheurs ; mais mon âme est inondée de joie, parce que Tu es mort aussi pour eux. Je suis frappé de terreur parce que Tu détestes les hommes esclaves des sens et de la chair ; mais je suis rassuré, parce que Tu connais la faiblesse de notre nature, Créateur, Tu connais ta créature ; souverain juge, Tu sondes tous les replis du cœur de celui que Tu vas condamner ; Dieu fait homme, Tu n'ignores point ce que tu as Toi-même senti. Tu m'avais donné une nature sans tache ; mais Adam, mon père, l'a corrompue et dégradée par mille souillures. A ces souillures il a mêlé l'illusion de la vanité ; et maintenant je subis, sans y avoir participé, la peine de sa faute. C'est lui qui a mis dans la nature humaine un levain impur, et voici que je suis menacé de naufrage au sein d'une mer orageuse. Aie donc pitié de ma faiblesse, ô Toi qui es mon Créateur, prends en compassion mon infirmité, ô Dieu qui T'es revêtu de l'humanité pour moi. Ne me repousse pas à cause de mes vices et de mes penchants dépravés ; mais plutôt expulse-les de mon cœur, à cause de l'ardeur de ma volonté. Que mes souillures ne T'inspirent point de haine contre moi ; mais considère le zèle de mes œuvres ; et bien que mes coupables pensées aient pu Te détourner de moi, daigne accorder un regard bienveillant à mes larmes et à mon aversion pour la volupté. Je connais le but ; mais aurai-je la force d'y atteindre ? Du moins je fais tout ce qui est en mon pouvoir, et si Tu daignes m'accorder ce qui me manque, Tu vois le fond de mon âme, Tu sais que je suis pauvre et dépouillé par le démon. Mon cœur est faible et chargé des liens de la corruption. Mon esprit est sans force et le péché l'a entraîné à l'erreur. J'ai laissé tes dons se perdre, et voilà pourquoi je ne possède point la parfaite sagesse ; j'ai perdu tes traces, et voilà pourquoi j'ignore où je vais. Je ne possède donc rien ; ou si je possède quelque chose, c'est Toi qui me l'as donné en Te faisant homme. Je suis dans le dénuement le plus complet ; si je deviens riche, c'est un bienfait qui me viendra de Toi et maintenant et toujours. J'implore seulement l'appui de ta grâce, confessant que mon salut sera ton ouvrage, si je suis sauvé.

Il est parlé d'un certain riche dans l'écriture ; mais comme c'était un homme sage et plein de la connaissance de Dieu, il se donnait à lui-même le nom de pauvre. Il reconnut que sa richesse n'était que pauvreté en songeant à ta puissance. Et moi, que dirai-je ou que penserai-je de moi-même ? Vous connaissez aussi cet homme, chrétiens ; car l'Evangile vous a proposé une parabole à son sujet, parce que tous les travaux des saints ont pour but le salut de l'homme. C'est ainsi qu'il s'exprime : "Il y avait un homme riche, et cet homme, ayant connaissance d'un trésor caché dans un champ, vendit tous ses biens et acheta ce champ" (Mt 13,44). Un autre fit la même chose pour obtenir une perle d'un grand prix. Il est bon d'apprécier l'apparente diversité de ses deux paraboles et d'analyser la force cachée dans chacune d'elles ; car, au fond, le sens de toutes les deux est le même ; et comme celui de la parabole de la perle ne demande qu'une courte explication, c'est de la perle que nous parlerons en premier lieu. 

La perle, cet objet d'un si grand prix, nous vient de la mer. Sa valeur est proportionnée à la difficulté qu'on éprouve à se la procurer. Pourtant elle ne sert pas à notre nourriture, mais à notre ornement ; elle ne donne pas non plus le plaisir d'un breuvage agréable, mais un éclat dont on est fier. Une forte somme d'argent pèse beaucoup ; la perle semble donner de la légèreté à la pesanteur même. Toute petite qu'elle est, son pouvoir est grand. Elle est facile à porter, facile à remettre en place. On la dérobe aisément aux regards ; mais c'est avec peine qu'on la trouve. Il en est de même du royaume des cieux ; il en est de même aussi du Verbe divin qui renferme, de la manière la plus manifeste et dans les plus étroites limites, une foule de mystères. Il ne sert pas d'aliment ; car sa durée n'est pas limitée au temps fini. Ce n'est pas non plus aux pauvres qu'Il peut servir ; ceux-là seuls qui ont amassé des trésors de science et de sagesse qui peuvent en tirer profit. Quiconque est pauvre de vertus ne peut Le posséder ; Il est la propriété exclusive des saints. On ne peut arriver aux sommités qu'en passant par les degrés intermédiaires ; de même dans l'Evangile, divers intervalles séparent ceux qui marchent vers Dieu. Es-tu pauvre ? Le Verbe sera pour toi le pain qui console l'indigence. Es-tu accablé sous le poids des infirmités ? Il sera pour toi le baume qui rend la force. Pour ceux qui souffrent d'une maladie de foie, Il est le sénevé et le vin réparateurs. Pour les uns, Il est le poisson qui les nourrit ; pour les autres, le pur froment. Pour ceux-ci, la faux tranchante ; pour ceux-là, la hache vengeresse. Il est le pain d'orge pour les hommes grossiers, l'instrument de l'art dans les mains du chirurgien ; pour quelques-uns Il est le fouet qui frappe ; pour d'autres, la verge qui châtie, le fardeau qui les fatigue et qui les courbe.

Telles sont les espèces de degrés que présente l'Evangile sous la forme de paraboles. Le Seigneur connaît les riches qui ont acquis des trésors de vertu et les pauvres qui sont en proie à l'indigence de cette même vertu ; Il connaît ceux qui sont faibles et ceux qui marchent d'un pas ferme dans la foi. Il connaît ceux qui sont pleins d'ardeur et ceux qui sont languissants dans la religion et la piété. Il en frappe un grand nombre par le glaive, afin de les arracher aux idoles et d'éloigner du peuple l'impiété. "Il voit dans les lieux les plus secrets" (Mt 6,4). Le feu de ses Regards pénètre partout pour faire éclater au grand jour ce qui se cachait dans l'ombre et pour consumer ce qui s'élevait orgueilleusement contre la science de Dieu. Il cautérise les membres que ronge un ulcère mortel et retranche de la communion de l'église les affections contagieuses. Parmi les malades, Il est le médecin, parmi les athlètes, Il est celui qui distribue les couronnes ; entre les rivaux, Il est l'arbitre ; au milieu des méchants, Il est le vengeur. Les pauvres ont en Lui leur soutien et les veuves leur défenseur. Pour les superbes, c'est un roi ; pour les humbles, c'est un frère. Les étrangers Le voient venir au-devant d'eux comme un ami ; les orphelins trouvent en Lui un père, et ceux qui Le blasphèment par ignorance, un juge indulgent et facile. Il est tout cela, bien qu'Il soit toujours un, toujours le même. Car Il peut tout ce qu'Il veut et Il se prête aux besoins de chacun. Voilà pourquoi Il se révèle sous la forme de tant de paraboles, voilà pourquoi ses vertus sont si variées ; et pourtant Il est toujours Lui, Il n'a point changé. Semblable à une lyre munie de cordes nombreuses, les modes divers de son action sont toujours d'accord avec l'intérêt de tous. J'ai connu un homme qui était à la fois médecin et artisan, forgeron et architecte, intendant et laboureur, inspecteur et savant, orfèvre et potier, cuisinier et marchand. Il possédait encore une foule d'autres talents ; mais bien qu'il se livrât à tant d'occupations diverses, il ne cessait pas d'être lui-même dans chacune d'elles. Comment donc, à plus forte raison, Dieu ne conserverait-Il pas son immuable nature, malgré la multiplicité des modes de son action et la diversité des formes que revêt sa volonté ?

Et qu'on n'aille pas conclure de mes paroles et de l'exemple qui précède que le Verbe aussi n'a revêtu qu'une forme fantastique d'humanité. Autre chose est la nature, autre chose est l'art ; autre chose est la figure ou la forme, et autre chose est la substance. Celui qui est à la fois artisan et laboureur, potier et inspecteur, intendant et fournisseur, celui-là est toujours un, toujours le même sous ses formes diverses. Il ne vient pas au monde avec telle ou telle professions, il naît ; puis, plus tard, l'étude le rend habile dans les différents arts. Mais la puissance que possède l'homme de donner la vie à l'homme, ce n'est point par l'étude qu'il l'obtient, c'est la nature elle-même qui l'en a doué. L'étude et la méditation n'ont donc pas appris au Fils de Dieu l'art de se montrer aux hommes avec les apparences de l'humanité ; mais Il a revêtu substantiellement l'humanité, afin de constituer une réalité vivante, et Il fut véritablement homme au milieu des hommes. 

C'est Marcion que j'attaque ici ; ce sont les frivolités mensongères qu'il débite à ses sectaires que je veux détruire. C'est Manès surtout que je veux combattre, Manès dont la doctrine sur le Dieu fait homme est encore plus erronée qu'impie. Je prendrai la perle pour base de ma réfutation. Que les hérétiques nous disent quelle est son origine et quelle est sa formation. Elle m'offre un trésor d'arguments, et au lieu des saintes écritures, c'est elle que j'oppose à nos adversaires ; qu'ils nous disent comment naît la perle ; qu'ils nous prouvent qu'elle n'est qu'une forme sans substance. Je sais ce qu'ils vont dire ; mais je saurai les confondre à mon tour. "Celui, disent-ils, qui est né substantiellement sans le secours de l'union des sexes ne peut être un homme, et si le Christ avait reçu une naissance semblable à celle d'Adam, il n'y aurait en Lui que la nature humaine, et puisqu'Il est sorti du sein d'une vierge, sans rien devoir à l'homme, Il n'a pu revêtir que les apparences de l'humanité." Je ne vous répondrai point, ô hérétiques, car j'ai quelqu'un qui le fera pour moi. Je garde le silence ; car voici la perle qui va parler à ma place. Perle brillante, révèle donc le mystère de ta naissance, fais connaître ta nature et confonds les hérétiques. Montre-leur ta substance, et détruis leurs vaines et frivoles imaginations. Que les coquillages racontent comment la perle est née, qu'ils disent comment elle a été conçue dans leur sein. Que les créatures qui habitent au fond des eaux instruisent ces superbes, qui s'imaginent pouvoir pénétrer dans les cieux. Que les êtres privés de raison, que les objets inanimés redressent le jugement de ces ambitieux qui se vantent de pénétrer et de connaître la nature des choses célestes, et que ce qui n'est soumis à aucune loi en impose une à ceux qui prétendent imposer leur loi aux autres ; je ne puis supporter l'audace et l'insolence des hérétiques, quand ils osent demander compte de ses œuvres à la puissance divine et porter un regard curieux et téméraire sur la manière dont s'accomplissent ses divins effets. Ils osent demander compte à Dieu de ses œuvres, bien qu'ils soient eux-mêmes chargés d'une dette d'iniquités, quand leur esprit s'efforce de pénétrer le mystère ineffable de sa conception et de sa naissance. Les accusés prononcent la sentence du juge, dans l'impuissance de répondre pour eux-mêmes. Si vous comprenez ce qui est incompréhensible, vous lui ôtez sa qualité d'incompréhensible, et si votre intelligence atteint une chose divine, ce ne sera plus une chose divine, mais un fait ordinaire et commun. "Si, comme dit l'Apôtre, c'est la pénétration de votre esprit qui va jusqu'à l'intuition de ce Dieu inconnu, cette intuition de votre esprit aura détruit la puissance divine" (Ac 17,23).

Je reviens à la comparaison de la formation de la perle et de la naissance du Christ. Je comprends le mode de celle-ci par la similitude qu'elle offre avec celle-là, je ne prétends pas cependant révéler la nature intime du mystère. La perle est une pierre qui doit sa naissance à une substance charnelle, puisqu'elle sort du sein d'un coquillage. Pourquoi donc se refuserait-on de croire que Dieu s'est revêtu de l'humanité dans le sein d'une vierge ? Ce n'est point l'union de deux coquillages qui produit la perle, mais le mélange de la lumière et de l'eau. C'est ainsi que le Christ a été conçu dans les entrailles de Marie, sans le secours d'une union charnelle, et c'est le saint Esprit qui, de la substance de la Vierge, a formé le corps dont Dieu s'est revêtu. La perle ne naît point coquillage et ne revêt pas seulement la forme d'un corps comme si sa substance était spirituelle ; de même le Christ diffère de la divinité ; Il n'est pas tout entier dans la nature humaine, ni confondu sans mélange dans la nature divine, comme s'Il était né avec une forme spirituelle. La perle est engendrée substantiellement, et n'engendre point d'autre pierre de son espèce. Le Christ aussi n'est autre que le Fils engendré du Père et né de Marie. La perle n'a pas seulement la forme, mais encore la substance ; le Fils de Dieu est né également avec un corps réel, et non avec une forme fantastique. La pierre précieuse qui nous occupe réunit en elle deux natures, et cette union est une preuve de celle qui s'est opérée dans le Christ. Il est à la fois le Verbe-Dieu et l'homme né de Marie, et chacune de ces deux natures n'a point été en Lui incomplète et partielle ; car Il n'était point le fruit équivoque d'une union insolite ; mais Il possédait entière et parfaite chacune de ces deux natures, bien loin de les détruire toutes les deux en les partageant. Ce n'est pas revêtu de la seule nature divine que Dieu s'est montré à la terre, et ce n'est pas non plus revêtu de la seule nature humaine que l'homme est monté au ciel ; mais le Verbe incarné état le résultat complet de deux natures complètes ; Dieu par sa nature divine et homme par sa nature humaine : tel est le Christ, fils de Marie. La divinité n'a rien fait perdre à l'humanité, et la nature humaine n'a point été un fardeau pour la nature divine ; l'union de celle-ci avec le corps ne l'a point dégradée, elle ne lui a point ôté ses attributs primitifs, pour lui en donner d'autres qui lui étaient étrangers. Elle a gardé complets les attributs qui étaient en elle, et en revêtant l'humanité, le Verbe en a également revêtu tous les caractères. L'union des natures n'a point produit leur confusion ; car ce n'était point l'union d'un corps avec un autre corps, mais de l'homme avec Dieu. Le mélange de l'eau et du vin détruit la nature de ces deux liquides ; mais le mélange de l'or et du vin produit une substance nouvelle. La divinité renferme l'humanité comme une urne d'or renferme la manne ; le Verbe divin à son tour est caché dans l'incarnation comme l'urne dans le coffre. Ce qui était intérieur devient extérieur, et réciproquement. Ainsi se démontre l'unité et la substance du Christ. Sans doute la manne n'est pas une substance née de l'urne, elle lui est seulement unie, non comme l'humanité est contenue dans la divinité, mais comme l'eau est renfermée dans la perle dont l'essence primitive est la lumière. 

Considérez avec attention ce phénomène de la lumière et de l'eau et admirez les paraboles du Seigneur ; remarquez le rôle que joue une matière imparfaite dans la formation de la perle, et croyez que le Christ est né réellement d'une femme. Du sein d'un coquillage pour lequel vous ne donneriez pas même une obole, sort une pierre brillante dont mille talents d'or et plus ne sauraient payer la valeur. C'est ainsi que du sein de Marie est sorti le Dieu tout-puissant. L'huître n'éprouve point de douleur tandis que s'opère en elle la conception de la perle, elle ne sent que son approche : le sein tranquille et résigné de Marie a conçu aussi le Christ sans éprouver d'autre sentiment que celui de l'apparition d'un nouvel être en elle ; la corruption n'atteint point le coquillage, ni pendant la conception, ni pendant la naissance de la perle ; car il enfante sans douleur une pierre brillante et d'une nature parfaite ; la Vierge aussi a conçu sans péché et a enfanté sans douleur. Et non seulement la perle est conçue dans le sein du coquillage, mais encore elle s'y accroît avec le temps et peut montrer sa substance hors de l'enveloppe qui la contenait. Mais comme en sa qualité de substance, elle a besoin du secours de la chair pour servir à son alimentation, et d'employer une matière nourrissante pour atteindre le dernier terme de son accroissement progressif, elle est caché dans le sein du coquillage comme dans les entrailles d'une mère, et on dirait qu'on l'y a mise à dessein pour qu'elle pût arriver à son entier développement. Elle s'y accroît donc grâce à la matière vivifiante qui l'entoure, et elle s'assimile les sucs nourriciers qui lui sont nécessaires. De même le Fils de Marie est né sans le secours d'un acte charnel, et la substance vivifiante de la Vierge a développé celle du Christ, sans que l'homme ait coopéré à son incarnation. Ô mystères sublimes! Ô dogmes divins! La nature humaine a produit ce qui n'était point en elle ; un enfant est né, qui n'a point été engendré par l'homme ; une vierge est devenue mère, son chaste sein a été une source de vie ; ses entrailles innocentes ont nourri le Fils de Dieu ; une jeune fille a été l'auxiliaire du Verbe divin dans l'œuvre de son Incarnation. Sa substance féconde a formé le Corps du Sauveur, et c'est après son accroissement complet que le fruit de ses entrailles est venu à la lumière. C'est une femme seule et sans le secours de l'homme qui est devenue mère ; car le fruit de ses entrailles était saint. C'est une vierge qui a enfanté, parce que le Fils qu'elle a mis au monde était la source de toute pureté et de toute chasteté. C'est exempte du trouble des sens que Marie a coopéré à l'incarnation du Fils de Dieu ; car Celui à qui elle a donné le jour était le vainqueur du péché.

Comment donc le Verbe n'aurait-Il revêtu que la forme apparente de l'humanité, puisqu'Il en a revêtu aussi la nature et l'essence, et qu'Il est né au temps marqué pour l'enfantement ? Comment Celui qui présente tous les caractères de la créature naissante a-t-Il pu sortir du sein de Marie, avec les apparences de l'humanité, sans que Marie ait éprouvé le travail et la douleur de l'enfantement ? Elle n'a point souffert, quoique femme ; elle n'a point éprouvé les douleurs de l'enfantement, quoique vierge. Elle n'était pas non plus étrangère au fruit de ses entrailles, car c'était sa substance virginale qui le nourrissait, et par là, il y avait communication et parenté entre elle et Lui ; et elle est devenue mère d'un Fils dont la nature était étrangère à la sienne, parce que c'est dans son sein que le Verbe s'est fait chair. Le Christ a pris son accroissement dans les entrailles de Marie, bien qu'en qualité de Dieu, Il n'eût besoin d'aucun secours ; et Il eut une femme pour mère, bien qu'Il fût Fils de Dieu. Il a reconnu Marie pour sa mère, car c'est par elle que la divinité a revêtu l'humanité. Il était Fils de celle qui avait coopéré à son Incarnation, non seulement parce qu'elle a prouvé son acquiescement et son désir par l'ardeur de sa foi, mais encore parce que sa substance virginale avait servi à former le corps du Sauveur.

Si le Verbe avait revêtu seulement la forme apparente de l'humanité, qu'eût-Il eu besoin du secours de la nature humaine ? S'Il était venu sous une forme mensongère, qu'eût-Il eu besoin de la femme ? Et si le sein de Marie n'a été pour Lui que la voie mystérieuse par laquelle Il est venu dans le monde, pourquoi Lui a-t-il fallu attendre, pour faire son apparition, l'époque marquée pour l'enfantement ? Si pour naître Il n'avait fait que descendre des cieux et venir habiter le sein d'une vierge, pourquoi ne S'est-Il pas montré directement du ciel à la terre ? Pourquoi est-Il resté dans le sein de Marie comme dans un lieu nécessaire, s'Il pouvait se montrer aux hommes sans le secours de la nature humaine ? S'Il n'a pas revêtu l'humanité, pourquoi du haut des cieux ne S'est-Il pas montré et fait connaître aux hommes ? S'Il avait tout ce qui était nécessaire à sa Venue, pourquoi empruntait-Il le secours d'une vierge ? Les actes de Dieu ne peuvent être ni vains ni trompeurs ; la coopération de Marie serait donc vaine, si le Christ n'était venu que sous les apparences de l'humanité, et Dieu aurait trompé les hommes en leur montrant couché dans une crèche un enfant nouveau-né. Ces propositions sont rigoureusement enchaînées, mes raisonnements sont donc vrais. Je sais que le Christ est la vérité même ; et dans la formation de la perle, je vois le Dieu qui S'est fait homme.

Mais voici une autre preuve de la venue réelle et substantielle du Christ ; je veux parler de son accroissement progressif depuis sa Naissance jusqu'à son âge mûr. Supposons un moment que le Christ n'est venu que sous les apparences de l'humanité ; Il portait des vêtements. Montrez-nous donc quel est l'accroissement d'un vêtement. Et si le Christ n'avait qu'un corps chimérique, comme Il n'a cessé de le développer depuis son enfance jusqu'à sa maturité, comment se fait-il que ce développement prouve son Incarnation et que son Incarnation prouve à son tour ce développement ? En effet, son Accroissement ne s'est pas fait tout d'un coup, et sa Naissance n'a pas devancé non plus l'époque marquée pour l'enfantement. La forme n'est pas la communication d'une nature substantielle, mais, comme les vêtements, une oeuvre de l'art. A quoi donc aurait servi la nature au Christ si l'art était à ses ordres ? Qu'était-il besoin qu'Il fût conçu dans le sein d'une femme, puisque la matière ne procède pas de l'homme vivant, mais a sa source dans le sein de la terre ? Une vierge a coopéré à l'Incarnation de la divinité, et en retour la divinité a rendu sa nature incorruptible. Si un acte quelconque eût pu accomplir le mystère, cet acte eût pu appartenir aussi bien à l'homme. Et si la forme eût suffi à l'accomplissement de ce mystère, l'art de l'homme aurait donc été l'auxiliaire de la divinité. Le sein d'une femme s'est ouvert à la divinité, et sa prompte obéissance a mérité d'enfanter sans douleur. Elle a prêté à l'accomplissement du mystère une nature sujette à la douleur et à la souffrance, elle lui a été rendue exempte de souffrance et de douleur. Elle a fait un présent plein d'imperfections et de misère, et il lui a été remis plus parfait et plus riche. Les entrailles qui reçurent Dieu étaient soumises au travail et à la douleur, et elles furent délivrées de toute infirmité humaine. Celui qui Se servait d'elle pour S'incarner était un grand médecin, et voilà pourquoi Il l'a rendue saine et incorruptible. Ce n'était pas un home qui se servait du secours de la femme pour obtenir la naissance d'un fils, c'était Dieu Lui-même, aussi Il a donné à la nature mortelle de Marie des dons qu'elle ne possédait pas, afin de montrer qu'Il ne venait pas pour corrompre la nature, mais pour la conserver pure et sans tache. C'était une perle qui naissait, et voilà pourquoi Il est sorti doucement du sein maternel ; voilà pourquoi Il a été enfanté sans travail et sans douleur. Son Corps n'était point rude au toucher, comme s'il eût été d'une substance terrestre ; il n'était point mou et sans consistance, comme si la substance eût été liquide, ni composé d'éléments nombreux et divers, comme si la substance eût été matérielle ; mais l'enfant renfermait un Dieu parfait caché sous une nature simple et nue, et voilà pourquoi, grâce à la puissance de Celui qui résidait en elle, la Vierge a enfanté doucement comme le coquillage qui laissa tomber la perle. Elle n'a point souffert comme la femme, et ses chastes flancs, comme les lèvres du coquillage qui se referment, sont revenus aussitôt à leur état virginal. Elle n'a point perdu le signe de sa virginité tandis que s'opérait en elle la Conception du Christ, et, une fois qu'Il a été engendré, ses flancs n'ont pas eu besoin de s'ouvrir pour Le mettre au jour ; ils n'ont point éprouvé de déchirement tandis qu'elle enfantait. 

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La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie» - Page 4 Empty Re: La croix orthodoxe russe «Histoire d'orthodoxie»

Message  Arlitto Lun 7 Mar 2016 - 15:05

Je suis obligé de m'attarder longtemps sur ce sujet afin que, rassemblant toutes les raisons qui peuvent convaincre les hérétiques, je leur prouve que le Christ est né revêtu de la nature humaine et non de la forme apparente de l'humanité. Nous naissons comme nous sommes conçus ; notre mère est atteinte de corruption pendant qu'elle conçoit ; elle souffre et gémit pendant qu'elle enfante. Elle perd le signe de la virginité pour concevoir, et c'est pourquoi, au moment où elle enfante, non seulement ses flancs sont ouverts, mais encore, par la suite de la perte qu'ils éprouvent, ils se distendent, ils retombent, la douleur les déchire, afin de rappeler à la femme sa corruption primitive. Car, une fois que le germe déposé dans son sein s'est développé et parvient à sa maturité, les douleurs de l'enfantement se font sentir. Il n'en est pas ainsi du Christ ; Il est né sans douleur, parce qu'Il a été conçu sans corruption, recevant un corps dans le sein d'une vierge, non par un acte charnel, mais par l'opération du saint Esprit. C'est aussi le saint Esprit qui a ouvert doucement les flancs de Marie, quand le Sauveur est sorti de son sein, pour que Celui qui était l'Auteur de la nature parût au milieu des hommes revêtu de la nature humaine. Le Christ donnait Lui-même à la Vierge la vertu nécessaire à son Accroissement. C'était le saint Esprit qui aidait dans son enfantement cette jeune mère ignorante de la couche conjugale. C'est pourquoi le fruit des entrailles de Marie ne lui a point fait perdre le signe de sa virginité, et la Vierge n'a pas éprouvé les douleurs de l'enfantement ; ses flancs se sont ouverts, il est vrai, pour laisser un passage au Dieu qu'ils renfermaient, mais ils sont revenus aussitôt à leur état virginal, de même que les lèvres du coquillage s'ouvrent pour laisser tomber la perle et se réunissent de nouveau et se referment étroitement.

Plus d'une personne a reçu en meilleur état ce dont il avait abandonné l'usage à d'autres, parce que ceux qui l'avaient accepté pour s'en servir, étant d'habiles ouvriers, avaient fait disparaître les imperfections de l'objet donné, et l'avaient rendu sans défaut. A bien plus forte raison, loin de gâter ce qu'Il avait emprunté, Dieu a dû le rendre beaucoup plus parfait qu'Il ne l'avait reçu. Ainsi Il a emprunté une nature corruptible, et Il l'a rendue sans tache par sa naissance. Les techniciens savent contenir l'eau dans les vases, au moyen de courants contraires ; ils laissent un passage à son écoulement d'un côté, et ils la font rentrer à nouveau dans les vases par des mouvements spontanés. L'Art de Dieu ne pouvait-il donc l'emporter sur celui des hommes au point d'ouvrir et de refermer les flancs de Marie, sans qu'ils fussent en rien endommagés par la masse des matières qui se livraient un passage ? Les rois accordent des privilèges aux cités dans lesquelles ils ont reçu le jour ou la couronne. Pourquoi donc le Fils de Dieu n'aurait-Il pas accordé la virginité à sa Mère, puisque ce don était en son pouvoir ? Les propriétaires et les maîtres de quelques cantons étudient la nature des lieux et des sources qui les entourent ; ils corrigent les eaux, et, à force d'adresse et de constance, parviennent à améliorer la nature du climat. Le Christ ne pouvait-Il donc, à plus forte raison, corriger les défauts qui auraient apporté le trouble dans le sein de Marie ? Devait-Il, comme s'Il eût été l'un de nous, permettre que sa Mère fût semblable au reste des femmes ? Le Christ est le seul qui soit né d'une vierge ; il était donc convenable que Marie restât vierge malgré l'enfantement et devînt mère sans éprouver les douleurs de la maternité.
Ne vous laissez donc pas aveugler par votre propre nature, au point de ne pas croire à la nature divine, et que votre chair, qui est sujette au trouble des passions, ne corrompe pas votre jugement au point de vous faire accuser la nature humaine. Le Christ n'est pas venu pour servir les passions, mais pour exterminer le péché. Il n'a pas revêtu les apparences de l'humanité pour se faire un jeu de la nature humaine ; Il n'a pas rejeté la substance pour honorer la forme. Si la forme, entre les mains de l'homme, peut arriver à des résultats dignes d'admiration, la nature, certes, le pouvait bien davantage entre les mains de Dieu. S'Il a voulu honorer la forme de la nature humaine, la nature humaine est donc quelque chose de bien noble, puisque la divinité l'a jugée digne d'honneur. S'Il est venu sous la forme de l'humanité pour corriger la nature humaine, la nature humaine est donc bien supérieure à la forme, puisqu'elle comporte un perfectionnement plus grand. Si la forme ne pouvait rien ajouter à l'accomplissement de ses Desseins, Il a dû exécuter sans elle les décrets de sa volonté. Et s'Il n'a rien fait qui soit purement formel, c'est bien inutilement qu'Il eût revêtu la forme apparente de l'humanité.

Etudiez la perle et abandonnez vos erreurs, car je ne cesserai de poursuivre mes adversaires jusqu'à ce que je les aie confondus. Remarquez qu'elle n'est pas une forme fantastique, mais une substance réelle. Cette pierre précieuse est indivisible ; la substance qu'a revêtue la divinité est également indécomposable. La perle est formée de l'union de la lumière et de l'eau, deux éléments contraires qui se sont unis intimement. Comment donc ignorez-vous ce qui est sous vos yeux, et cherchez-vous avec tant de curiosité ce qui est loin de vos regards ? La lumière procède du feu, voilà pourquoi elle enflamme en même temps qu'elle illumine. Les coquillages viennent dans l'eau et croissent par l'eau. Comment se fait-il donc que l'élément brûlant et lumineux ne consume pas la matière du coquillage ? Comment se fait-il que l'eau et le feu s'unissent intimement et substantiellement sans que l'un nuise à l'autre ? Vous ne pouvez le dire, mais vous êtes obligés de croire ce que vous voyez et ce que vous touchez. Que ce phénomène naturel, dont vous ne pouvez rendre compte soit pour vous une preuve que le Fils de Dieu est né sans le secours d'un acte charnel. Il y a aussi en Lui deux éléments contraires dont les substances s'unissent intimement.

Mais je veux détruire une objection que vous pourriez me faire. Quelques-uns de vous disent : "Dieu est incréé et la chair tombe sous les sens ; Dieu est exempt de toute souffrance, la nature humaine est sujette à la douleur. Comment donc deux natures si opposées ont-elles pu se réunir en un seul être ?" Consultez la perle, elle vous expliquera ce mystère. La lumière est le symbole de la divinité et l'eau le symbole de l'humanité. Ce n'est pas l'eau qui s'est incorporé la lumière, car elle est pesante de sa nature et ne peut s'élever dans les hautes régions de la lumière. C'est le rayon lumineux qui, dans son mouvement léger, vient s'unir à la goutte d'eau, et le coquillage entrouvert les reçoit unis dans son sein. La chaleur de la substance de l'huître fait germer le nouvel être, et les lèvres du coquillage, en s'unissant étroitement, empêchent, par leur solidité, l'humeur interne de s'écouler au dehors. La substance nourricière développe le germe qu'elle contient, et le temps fait éclore une perle brillante du mélange d'une goutte d'eau et d'un rayon de lumière. L'Evangile dit de même : "L'Esprit du Seigneur viendra sur toi" (Lc 1,35). Pourquoi cela ? Afin de lui donner la force de porter dans ses flancs la divinité. Il ajoute encore : "Et la vertu du Très-Haut te couvrira de son Aile" (Ibid.). La lumière viendra s'arrêter sur ta nature mortelle, "car le fruit de tes entrailles est saint et portera le nom du Fils de Dieu" (Ibid.). Il ne dit pas : "Celui qui est déjà né naîtra de nouveau" ; il ne dit pas non plus : "Celui qui naîtra de la vertu du Très-Haut ou de l'Esprit saint", mais "Celui qui naîtra de toi", afin de montrer que la substance virginale de Marie était nécessaire à l'Incarnation de la divinité, et que c'est en elle que le Verbe divin s'est revêtu de l'humanité. Car si l'Evangile n'avait pas dit "Celui qui naîtra de toi", on aurait pu croire que le Verbe n'a pris que la forme apparente de l'humanité. Cependant, quelques exemplaires ne portent point ces mots : "de toi", et semblent ainsi donner raison aux hérétiques. Mais bien que ces exemplaires ne portent point cette addition, cependant les expressions qui précèdent donnent à la phrase le même sens, car l'Evangile dit : "Celui qui naîtra", et ces expressions renferment nécessairement l'idée d'incarnation. D'ailleurs la conception a pour conséquence nécessaire l'incarnation et elle est incompatible avec la forme ; l'expression de l'archange montre que si la divinité a résidé dans le sein d'une vierge, cela a été pour naître revêtu de la nature humaine. Car Il eût pu se montrer plus tôt à toute la terre, s'Il n'avait pas voulu prendre véritablement le corps de l'homme, pour vivre au milieu des hommes.

Contemplez la perle, et vous verrez qu'elle renferme deux natures. Elle produit beaucoup d'effet à cause de son essence éthérée ; elle est brillante à cause de son organisation matérielle. Vous voyez sa pureté dans son éclat, et dans l'effet qu'elle produit vous découvrez la puissance qui réside en elle. Elle est dure par sa nature terrestre, elle est légère par sa nature céleste ; elle tient de l'eau par son côté grossier, de la lumière par son côté divin. Tout le monde peut observer que la perle, comme un miroir pur, reflète l'image de chacun. C'est l'art qui façonne les miroirs ; aussi y a-t-il quelque chose de trompeur dans l'image qu'ils donnent de l'objet qu'on leur présente ; mais la perle renferme naturellement cette propriété ; c'est une faculté innée en elle. Il y a beaucoup d'autres choses qui sont le résultat identique et nu du mélange de deux éléments divers, mais ce n'est point comme la perle qu'elles naissent et ce n'est pas de lumière et d'eau qu'elles sont formées.
N'allez cependant pas prendre pour exemple toutes sortes de perles ; car toutes ne sont pas bonnes et ne renferment pas les propriétés dont nous avons parlé : plusieurs, au contraire, participent beaucoup à la nature terrestre. Parmi les huîtres, les unes restent au fond des mers, les autres choisissent les lieux humides, limoneux et pleins de vase, se nourrissent de matières infectes, et produisent rarement des perles de bonne qualité. Une autre cause encore concourt à l'existence de la perle ; car si elle ne reste pas dans la coquille le temps voulu pour sa formation, on l'y trouve à l'état de pierre et comme non à terme. Aussi plusieurs de celles qui sont au fond des eaux, ne valent rien et ne doivent qu'à l'art le peu de valeur qu'elles obtiennent. Du reste, ces qualités, on les trouve rarement hors des coquilles ; il faut aller les y chercher, les en arracher ; celles-là sont appelées bonnes et parfaites, qui, pendant leur espèce d'accroissement, pendant que leur substance s'identifie à la nature, ne sont point ravies à leur enveloppe, mais en sortent d'elles-mêmes ; et voilà précisément ce qui leur donne un si grand prix. Que si vous voulez savoir comment certains animaux viennent au milieu des eaux et de l'eau elle-même, ouvrez le livre de la loi, et vous entendrez Dieu vous dire qu'Il a ordonné aux ondes de produire entre autres choses les moules et les huîtres. Car ce sont deux espèces qui se traînent aussi au fond de la mer, et comme la perle est la dernière dans l'échelle des êtres, de même le Christ est né d'une nature souillée et corrompue que seule la présence d'un Dieu pouvait purifier.

Comme la foudre sillonne l'espace, Dieu le Père remplit l'infini ; comme l'éclair brille dans l'ombre, le Christ vient épurer nos souillures. Voilà pourquoi Il purifia la sainte Vierge et naquit de manière à prouver que partout sa présence engendre la souveraine pureté. Il la purifia d'avance par l'Esprit saint, et les entrailles purifiées de Marie conçurent le divin Jésus. Il la rendit chaste et pure ; aussi resta-t-elle Vierge en Lui donnant le jour. Coquillages précieux de nos mers, dites et prouvez à la terre que la Vierge n'a pas eu besoin du concours de l'homme pour concevoir son Fils. Qu'on ouvre votre enveloppe d'écaille, et l'on n'y verra point de chair ; mais l'éclat soudain de la lumière pénètre ce corps qu'un tranchant vient de partager ; ainsi la Vierge reçut au milieu de son être le Verbe Dieu, et sans secours étranger, sans désir, comme sans passion de sa part, la divinité s'incorpora à sa nature, et elle comprit que le mystère de l'Incarnation s'opérait dans son sein ; elle éprouvait la conception, mais ignorait l'acte qui en est la source ; son corps recelait un nouvel être ; et cependant nul désir charnel ne l'avait agitée ; car pour lui conserver toute sa chasteté, ses sens semblaient avoir oublié les appétits grossiers de leur nature. Lorsque le soleil paraît au firmament, les ténèbres se dissipent, et l'univers entier brille de l'éclat de sa lumière : que sera-ce s'il concentre ses rayons sur un seul point ? Si le Christ, éclairant Paul d'un rayon de sa céleste flamme, l'a ramené à la piété, a fait du loup infidèle une brebis soumise, du cruel persécuteur un apôtre miséricordieux, si, de récalcitrant et endurci qu'il était, Il l'a rendu doux et fervent, le Verbe saint, en venant habiter le corps de Marie, a dû bien autrement encore la purifier de toute tache et de tout péché. Pour gage de dévouement, Il ne demande à la jeune fille que sa foi : à ce prix Il lui donne sa grâce ; et si dans sa Justice Il la fortifie contre la corruption, Marie, par sa foi, Lui soumet sa nature, et la grâce l'inondant e ses flots, elle devient incorruptible à tout jamais. Dieu se l'approprie, ainsi que ferait un roi d'un vase précieux appartenant à un de ses sujets. Aussi, par la grâce, Marie devint, non pas mère, mais vierge, comme la nourriture des troupeaux deviendrait mets royal, si un roi la choisissait pour sa table. Non pas que je dise que Marie fut immortelle ; mais n'ayant pas été séduite par les appétits de la chair, elle fut sanctifiée par la grâce. La rouille imprimée à sa nature périssable disparut, et son corps libre de passion se conserva toujours pur.

J'aime et je couvre de mes baisers la pierre précieuse de l'Evangile, parce qu'elle est devenue la substance de mon âme ; j'élève aux cieux et je glorifie la perle des mers parce qu'elle me raconte les mystères du Christ ; si j'ai choisi de préférence cette comparaison, c'est qu'elle confirme pour moi deux faits mystérieux. Elle me montre, en effet, le mélange de deux natures, et la force virtuelle de la divinité. Par elle je comprends la réunion de deux contraires, le changement d'une nature déjà constituée ; j'y vois le ciel uni à la terre, deux anneaux ne formant qu'une chaîne. La grâce a fondu les deux principes en un seul, et je ne trouve point de moyens pour les séparer. Je sais bien en quoi ils diffèrent l'un de l'autre ; mais la forme sphérique de la perle trompe ma sagacité et ne me permet pas d'apercevoir le lien qui les rassemble et les unit. Tous les points à sa surface se rassemblent et se confondent ; car le Christ a fait disparaître tout point distinctif ; et, comme l'ouvrier qui réunit deux chaînons égaux, Il en a fait un tout uniforme que nulle puissance ne saurait partager. La coquille peut s'ouvrir à sa jointure, la perle, par sa forme, échappe à toute division ; dans l'une, l'intersection est toujours possible ; dans l'autre, jamais, afin de bien nous faire comprendre que les tables de la loi sont doubles, mais que l'Evangile n'a que l'unité d'une sphère parfaite. La loi d'ailleurs ne s'applique qu'au temporel, et l'Evangile au spirituel : c'est la coquille et la perle réunies par le Christ. Voilà comment, aidé des lumières de la grâce sur le mystère de l'Incarnation et recherchant la nature de la perle intellectuelle, j'en ai trouvé la cause, j'en ai saisi les rapports, j'en ai compris la nature. Qu'il me soit permis de revenir encore une fois sur l'œuvre du sublime Ouvrier. 
Le souverain Créateur de toutes choses est à mes yeux un laboureur, non pas qu'Il cultive les terres de ce monde, mais Il entretient l'harmonie des êtres ; non pas qu'Il sème et moissonne, non pas qu'Il vendange et fasse gémir d'immenses pressoirs ; mais Il se sert d'abord de la nature humaine pour nous donner son Fils, et de ce Fils pour rendre à notre âme toute sa liberté. Voulant liquider la créance qu'Il avait sur la nature entière, Il a revendiqué toutes les productions de la terre ; et par cette rapide transaction, Il est devenu Maître absolu de l'univers, non seulement comme Créateur, mais encore comme Rédempteur ; non seulement comme Dieu, mais comme celui qui vend la perle obtenue à la sueur de son front et pour qui la moindre parcelle est précieuse. Afin de mieux obtenir l'esclave, Il a donné son Fils. Ô ineffable bonté ! Ô sublime dévouement! Il dépose la perle au sein de la coquille, et laisse ainsi vendre à vil prix la pierre précieuse. Comprenez-vous quel est le marchand ? Distinguez-vous bien Celui qui vend tout ce qu'Il possède pour acheter la perle ? Vous voyez alors comment le riche se dépouille de toutes ses propriétés pour acquérir un petit coin de terre, afin de posséder aussi le trésor qu'il renferme. Je dis que ce riche est Dieu le Père, donnant son Fils en échange des besoins de l'humanité, se dépouillant de ses riches possessions pour acquérir quelques arpents, objets de toute sa sollicitude ; et ces quelques arpents, Il les avait donnés en partage à Adam ; mais celui-ci, frivole dans ses désirs, ne sut point les conserver ; et Dieu n'acheta pas le champ pour sa valeur absolue, mais bien à cause du trésor qu'il recelait.

Et maintenant ce champ, quel est-il ? Le corps de l'homme, et le trésor caché dedans, son âme. N'est-ce pas en effet pour cette âme "faite à son Image et à sa Ressemblance" (Gn 1,26) que Dieu vendit tout ce qu'Il avait ? N'est-ce pas pour en acquérir la possession qu'Il envoya son Fils sur la terre ? Et certes, le démon ne s'en fût pas départi au profit de la divinité, si elle n'avait pas été cachée sous l'enveloppe humaine. Dieu savait sa valeur, et Il en craignait l'aliénation ; mais Il la livrait à l'homme, parce qu'Il connaissait la faiblesse de ce dernier, et qu'Il était persuadé de pouvoir reprendre l'enveloppe et le trésor dès qu'Il le voudrait. Il envoya donc son Fils vers le démon, en Lui disant : Livre-lui toutes les choses de la terre, car tout M'appartient ; l'homme seul, à cause de son libre arbitre, échappe à mon empire ; la faculté qu'il a de se prononcer pour ou contre Moi est un vrai trésor qu'il possède. Mais comme ma gloire est intéressée à conserver ce que J'ai crû Moi-même pour mon usage et mon service particulier, donne-lui tous les êtres sans raison, mais rends-Moi l'homme qui est libre. Aussi lui livra-t-Il tous les bestiaux paissant dans les plaines de Génésareth, se réservant le champ au trésor, et arrachant ainsi l'homme à l'empire du démon. Les porcs, les ânes, les taureaux, les lions eux-mêmes ne sont pas pour celui qui les possède un grand sujet de gloire ; mais il n'en est pas de même de l'homme, car il ne fournit pas un mets succulent et corruptible, mais bien un trésor digne du ciel. Et c'est le trésor que nous avons représenté par un champ de terre ; l'Acquéreur de ce champ c'est Dieu le Père ; le médiateur, c'est le Christ, son Fils. Il s'est présenté comme simple étranger, Il a transigé comme acquéreur, Il a pris possession comme maître, parce que le Père et le Fils ne font qu'un seul Dieu. Par la nature de son Incarnation, Il a manifesté sa Volonté et son Pouvoir ; par le fait de son acquisition, Il a fait acte de médiateur ; s'élevant ensuite au rôle de maître absolu, Il a reculé champ de terre et le propriétaire, dans son ignorance, lui a aussi livré le trésor enfoui.

L'homme est donc devenu la propriété du Seigneur, et le vendeur ne savait pas lui avoir cédé en même temps un immense bénéfice ; le Christ, une fois possesseur de l'homme, le devenait aussi de tout ce qui était soumis à l'homme. Tous les êtres sans raison étaient échus en partage à Adam, et cependant le démon semblait en revendiquer la possession, puisqu'il donnait en échange le corps d'Adam lui-même ; mais dès lors qu'il avait cédé l'homme, tout ce qui appartenait à ce dernier devait être compris dans la cession et suivre son possesseur naturel. Avec l'homme furent donc vendus tous les êtres animés ; car celui-ci avait le pouvoir de les offrir à son Dieu, et voilà pourquoi l'empire du Seigneur s'étendit et sur les Juifs et sur les nations les plus reculées. Le Christ venait de faire une acquisition précieuse ; Il la paya de son sang sur la croix ; puis Il ressuscita, vint en prendre possession, en chassa les premiers maîtres, et y plaça ceux de son choix. Le champ qu'Il avait acheté, c'était la terre entière, et le trésor, les saints qu'elle renferme. Il S'attacha d'abord à la surface, Se réservant de profiter quand Il le voudrait du trésor qui était caché. Il vint au milieu des vivants ; mais les morts étant aussi de son domaine, Il les tira de la poussière qui les couvrait, et laissa le trésor pour le moment de sa résurrection. Ensuite, "Il s'en alla dans un pays éloigné" (Mt 21,33), confiant ce précieux dépôt à des gardes, et son champ à des régisseurs, afin qu'à sa Voix ils en fissent plus tard offrande au Roi suprême. Or sa perle chérie reste enfermée dans la coquille comme dans un vase, et le champ peut être comparé à l'atelier d'un potier ; c'est dans ce sens que le prophète du Seigneur a dit : "Entre dans le champ du potier" (Je 18,2). Et de quel potier entendait-il parler, si ce n'est de Dieu, puisque c'est Dieu qui nous a ressuscités dans ce champ ? Aussi jusqu'à la consommation des temps le corps de l'homme n'est qu'un champ de limon infect ; mais au grand jour qui sera le dernier, ce limon deviendra un vase purifié : pour les saints par la grâce, pour les pécheurs, par le feu de la géhenne. 

Telles sont les vicissitudes de la perle, qui ne reste pas à tout jamais ensevelie dans la terre, mais en est extraite par le Marchand : aussi devient-Il Lui-même les prémices de sa Croix, et, s'Il ressuscite seul, c'est qu'Il a contracté seul. Et ce n'est pas après sa mort qu'Il a acheté la perle, parce que c'est sur la croix qu'Il a vaincu le démon, qu'Il l'a dépouillé et S'est emparé de son armure. Voilà ce qui Lui fait dire : "Je puis déposer mon âme et Je puis la reprendre" (Jn 10,18). N'avait-Il pas, en effet, un pouvoir absolu sur la mort ? Et en mourant Lui-même, ne laissait-Il pas la perle précieuse aux mains non pas du démon, mais de la nature ? Ainsi, pendant qu'elle était encore dans les entrailles de la terre, le marché en fut conclu, l'échange se fit, et elle devint le prix de sa médiation. Le vendeur insensé ne se doutait pas que Celui qu'il regardait comme un simple étranger était un Maître absolu. Le Christ reçut donc l'objet vendu ; Il reçut le champ ; Il reçut toute la valeur de ce champ : car la nature, invariable dans sa marche, obéit aux lois éternelles qui la régissaient. En acquérant le champ, Dieu acquérait tout pouvoir sur les vivants, et pour le trésor qu'il renfermait, les morts Lui étaient aussi acquis. Le type de son Incarnation reste constant dans la perle ; le bénéfice Lui en est assuré par la grâce du saint Esprit, qui fortifie le corps contre le démon ; car c'était ce Corps divin que Dieu le Père proposait pour objet et pour prix du combat.

Revenons maintenant sur notre sujet ; récapitulons ce que nous avons dit, et tâchons de saisir comme il convient l'ensemble de ces importantes vérités. Nous avons comparé Dieu le Père à un laboureur, à un ouvrier, à un marchand, à un potier, à un courtier, à un prêteur, à un rémunérateur jaloux de sa gloire. Il est bien grand, le Nom du Seigneur, puisque en deux mots il renferme de si nombreuses attributions ! La perle a été pour nous tout l'Evangile, car en quelques lettres elle contient l'explication de bien grands mystères ; et ces quelques misérables feuilles de papier expliquent la doctrine céleste. Les hérétiques affirment que se revêtir de la chair humaine est indigne du Fils de Dieu. Eh quoi! Dieu a permis qu'une simple feuille de papier pût expliquer le ciel, et Il n'aurait pas pu permettre que son Fils assumât la nature humaine ? Non que je veuille établir la parité de ces deux faits ; mais j'y trouve la preuve de la Bonté de Dieu envers nous, qui L'a fait Se dépouiller Lui-même et S'unir aux hommes. Mais, dit-on, Dieu n'est pas venu en personne sur la terre. Non certes, car ce corps terrestre et périssable ne pouvait convenir à la divinité pour vivre parmi nous. Le Maître de la nature a pris la nature du maître de la terre pour rendre à Adam son empire, que la séduction lui avait fait perdre. Et si le Christ a revêtu une forme périssable pour descendre ici-bas sous cette forme, Il était encore le Fils de Dieu.

Il est facile de voir comment sont battus les hérétiques, lorsqu'ils essayent si imprudemment de nier la substance du Christ. On peut bien les taxer de folie, car ils parlent et ne savent ce qu'ils disent, ils profèrent des mots au hasard et ne comprennent point la conséquence de leurs paroles. Malheureux incrédule! Je veux te montrer Dieu comme un prêteur bienfaisant, qui a préparé une Perle sacrée dans le sein de la Vierge, comme un cultivateur habile, qui a communiqué à la nature sa divinité. Je veux te Le montrer comme marchand associant l'homme à ses transactions, se croyant riche d'un simple denier, laissant de côté tout gain personnel, pour ne songer qu'à l'homme, et Lui donner à tout jamais le royaume céleste. La nature humaine, faible et déb..., reçut en elle la divinité, et put alors combattre son ennemi. Le Fils entra dans les vues du Père, et Il souffrit pour purifier son acquisition, la réhabilitant par la grâce ; Il donnait au péché l'auxiliaire des passions et des attraits puissants. Puis offrant cette nature fragile au démon, Il l'excita à tenter l'humanité. D'un autre côté Il montra à l'homme la grâce divine et la lui promit au Nom de son Père, sans lui cacher les combats spirituels qu'il aurait à livrer pour la haine qu'il fallait vouer à tout objet terrestre. Il l'exhorta au sacrifice de propitiation et s'offrit comme médiateur dans la réconciliation divine ; Il S'engagea à obtenir le pardon et indiqua la croix comme gage assuré de sa Promesse, disposant ainsi l'homme à recourir à Dieu et le Fils à se rapprocher de son Père. Combattant ensuite Lui-même le démon, Il assura la possession à son Père et délivra l'esclave du joug affreux qui pesait sur lui. 

Admire encore avec moi son ouvrage comme laboureur, car dans l'une et l'autre fonction le Christ Se montre toujours dispensateur de grâces envers l'homme et ennemi déclaré du péché. Et n'est-Il pas, en effet la source d'une foule de chefs-d'œuvre ? L'infini de ses attributions ne se prête-t-il pas à tout ce que l'esprit le plus vaste peut concevoir ? Peut-on rien imaginer qu'Il ne puisse exécuter ? Il a déposé la divinité dans le sein de la Vierge ; Il y a enfermé son Fils, afin que, partageant sa nouvelle nature, Il lui communiquât la sienne par son Incarnation. L'on peut donc dire avec vérité que pour Dieu le Père, Marie fut un arbre ; pour le Fils une mère ; et pour les hommes une source incorruptible et éternelle de l'Esprit saint. Les liens de cette greffe sacrée sont les témoignages des prophètes ; et la division s'est opérée sur l'étendue de la nature. Le jardinier a une faucille qui lui sert à élaguer et à redresser les branches, c'est-à-dire à préparer et à conserver la vertu du saint Esprit ; et l'arbre régénéré ainsi dans son espèce n'est autre que la sainte femme restée vierge.

Crois donc fermement à nos paroles, ô homme, car tout s'explique par la foi. Et si tu crois pouvoir nous taxer de mensonge, jette les yeux sur les mystères qui t'entourent, et étudie leur existence et leurs conditions. Supposons en effet que tu n'aies pas en toi ce principe que nous appelons âme, ton oeil pourra-t-il voir, ton oreille entendre ? Ton palais distinguera-t-il les saveurs, tes mains pourront-elles agir ? C'est donc l'âme qui fait tout ; le corps coopère seulement à ses actes. Vois encore la puissance divine dans ses œuvres admirables, où préside sans cesse je ne sais quelle sagesse secrète et ineffable. Mais il y a plus, je puis te prouver l'Incarnation du Fils de Dieu par des faits et des autorités purement terrestres ; et si j'emploie toutes ces comparaisons, ne crois pas que ce soit pour appuyer ma conviction sur un ou plusieurs points au hasard : c'est bien plutôt pour te faire comprendre, par ces nombreux témoignages de sagesse, la variété infinie des œuvres de la divinité et les moyens appropriés à chaque circonstance, dont Il S'est servi pour combattre le péché. Agissant toujours d'une manière différente, dans sa Nativité et après sa naissance, dans sa jeunesse et dans sa virilité, enfin dans sa propre nature, Il nous fait connaître les motifs de sa conduite pour chaque époque voulue. Et s'il te restait quelque doute sur nos paroles, écoute le Sauveur Lui-même : "Je suis la vigne et vous les sarments, et le vigneron, c'est mon Père" (Jn 15,1).

Je puis encore apporter à l'appui de mes convictions les travaux des hommes. Nous les voyons tantôt greffer les amandiers sur les germes des arbres les plus rares, tantôt enter une feuille sur une branche, ce qu'ils pratiquent surtout à l'égard des vignes ; pourquoi donc ne croirions-nous pas que Dieu a pu employer des moyens pareils dans des faits qui échappent à nos sens ; pour le Verbe, en greffant sur Lui la chair, pour la chair, en greffant sur elle la divinité ? Non, la Vierge sainte n'a pas eu besoin d'un germe étranger à son corps pour enfanter : libre de toute affection charnelle, Marie a donné sa propre substance, et la sagesse S'est bâti une maison avec des pierres que la hache ni la scie n'avaient entamées. Dans la construction, jamais le bruit du fer ne s'est fait entendre : et aussi dans Marie l'homme n'a rien fait, la Vierge seule a opéré. Les pierres du saint édifice étaient taillées et polies par leur nature, l'homme n'y avait point touché ; pareillement l'Incarnation dans la Vierge s'est faite sans le secours de l'homme ; mais elle a choisi notre nature dans ses entrailles immaculées. Comme les pierres ont été tirées de la terre ; de même l'Incarnation s'est opérée dans la nature, et la divinité est restée pure et sans tache, parce que cette nature était exempte de péché. Sans rien devoir au tranchant du fer, le temple de la sagesse s'est élevé ; sans causer ni douleur ni souillure, le Christ a été mis au monde. D'un côté, la terre seule a tout fourni ; de l'autre, la Vierge a conçu seule. La pierre n'a point été partagée, la terre n'en a point senti l'extraction ; la Vierge non plus n'a subi aucune altération, et la passion n'a été pour rien dans sa chaste conception ; la terre n'a point fourni des pierres venues d'une autre source ; mais sans travail et par instinct, elle a donné ce qu'elle avait.

Pas la moindre cause externe n'a concouru à l'Incarnation dans la Vierge ; le principe existait en elle, et sans cela ne serait-elle pas plutôt une simple nourrice qu'une mère, la dépositaire d'un trésor et non la source d'un prodige de la création ? L'Evangile lui donne le titre de mère, et non la simple appellation de nourrice ; il appelle aussi Joseph père, quoiqu'il n'ait eu aucune part à cette conception ; aussi ce n'est pas à cause du Christ qu'il reçoit ce nom, mais bien à cause de Marie, afin de mettre cet enfantement à l'abri de tout soupçon injurieux, comme n'a pas craint d'en soulever l'impiété des Juifs. Le nom, d'ailleurs, fit-il jamais la chose ; et n'appelons-nous pas bien souvent pères, non pas ceux à qui nous devons le jour, mais de vénérables vieillards ? Aussi bien, la position seule de Joseph lui donnait ce nom, et sur la terre il devait l'avoir : le lien conjugal contracté par Joseph et Marie les rendait véritablement époux, et donnait au mari le titre de père. Et les palmiers mâles, n'est-il pas reconnu qu'étendant l'ombre de leurs rameaux sur les femelles, ils font fructifier ces dernières sans les approcher nullement, sans leur rien céder de leur substance ? Quelques figuiers aussi restent stériles, s'ils ne croissent pas en vue du mâle de l'espèce. Ainsi, par la même raison qu'on appelle ces arbres pères, quoiqu'ils ne contribuent en rien à la génération, ce nom a été donné à Joseph, quoiqu'il n'ait été qu'un ami pour la Vierge. C'est un grand mystère sans doute, et voilà pourquoi il faut appeler à soi toute la création pour le sonder. Les secrets de la nature échappent aux lumières les plus vives de l'esprit et de la pensée. Ce qui existe confond la science et l'imagination la plus ardente. Comment se ferait-il alors que la nature entière ne pût nous faire saisir ce raisonnement ? Dieu était ce qui était, et tout devait obéir à sa Voix. Dieu S'était fait homme, et toute créature doit venir admirer son Créateur et s'incliner devant cette Puissance créatrice, et croire fermement que ce qui paraît impossible dans l'ordre général de la nature Lui est possible à Lui. Sachons bien tous que rien ne se fait que par sa Volonté, que la nature est son esclave. Répétons-le aux incrédules : Dieu n'a pas eu besoin d'un principe matériel pour créer le monde ; il Lui a suffi de vouloir. Il faut qu'ils en conviennent : l'univers et tout ce qu'il renferme n'est pas le produit de la matière. Et par la même raison, c'est sans le concours des deux sexes qu'Il a crû l'homme, qui contient en lui le siècle visible et invisible.

Mais je sens ma faiblesse pour parler d'une chose si grande. Venez à mon secours et prêtez-moi vos voix persuasives, lois de la nature, inventions des arts, conceptions de l'esprit! Que le firmament m'explique d'où vient la clarté de l'étoile, elle qui n'a pas reçu en partage la lumière, comme le soleil et la lune! Que l'air sillonné par la foudre, dont l'éclair tombe au sein de la coquille, fournisse une preuve de Celui qui devait naître au sein d'une Vierge. Que la terre nous dise le trésor caché dans ses entrailles ; la mer sa perle précieuse et invisible. Venez à mon aide, agriculture, maçonnerie, marchands avides et actifs, pêcheurs adroits, sagesse des monarques, combats des puissants, contradictions des hommes, découvertes des savants, science des astrologues, tyrans détrônés, folie des prêtres sacrilèges, enfants confesseurs, pasteurs prophètes ; oh! venez tous proclamer avec moi la Naissance de Dieu, et peut-être alors les hérétiques avoueront-ils que ce n'est pas seulement en apparence que le Christ est venu parmi nous ; mais qu'Il a réellement pris un corps et une âme et qu'Il est né d'une Vierge.

Voici encore ce que disent les Juifs : ils ne croient pas que Dieu ait vécu comme homme au milieu des hommes. Cependant ils croient bien qu'Il a été enfermé dans l'Arche. Et, je vous le demande, qu'est-ce qui est plus grand, l'arche ou l'homme ? Si tu crois que Dieu été enfermé dans l'arche, pourquoi ne veux-tu pas admettre qu'Il a vécu au milieu des hommes ? Nous ne pouvons pas croire, disent-ils, que s'Il eût été Dieu, Il Se fût laisser crucifier. Mais pourquoi ne refuses-tu pas aussi de croire que l'arche, qui renfermait Dieu, ait été prise par les ennemis (1 R 4,11) ; car, de même que cette arche recevait en apparence une injure ; de même le Verbe Dieu, impassible de sa nature, a été soumis par l'incarnation aux souffrances et à l'ignominie, jusqu'à pouvoir être crucifié. Et de même que sur la terre étrangère, l'arche renversa et détruisit Dragon (1 R 5,3-4), de même sur la croix le Christ triompha du démon, réduisit au silence les blasphémateurs, et fit connaître sa divine Puissance à tous les infidèles. Vous ne voulez pas croire que le Fils de Dieu est ressuscité trois jours après sa mort. Et pourquoi croyez-vous alors que Jonas, après avoir passé trois jours dans le ventre de la baleine, en est sorti sain et sauf (Jn 2) ? Vous ne voulez pas croire que la sainte Vierge a enfanté Dieu fait homme : comment se fait-il donc que vous croyez à la construction d'un temple célèbre, pour lequel aucune pierre n'a été taillée, et qui n'a nécessité l'emploi d'aucun instrument en fer (3 R 6,7) ? Et certes de tous les édifices et de tous les temples, celui-là fut sans contredit le plus beau.

La folie et la démence des Juifs dépasse toute borne ; ils ont sous les yeux les preuves les plus patentes, et ils refusent de croire. L'ineptie des hérétiques m'indigne, ils ajoutent plutôt foi aux idolâtres et aux païens qu'aux divines Ecritures. S'il n'est pas vrai qu'un édifice s'est élevé sans le secours du fer, édifice consacré au culte du Seigneur, j'accorde que le Christ n'est pas venu en personne sur la terre. Mais si les fondements de ce temple existent encore sous nos yeux, ne disputez plus et croyez. Pour moi, je scellerai cette profession de mon sang. Confondez-moi avec les infidèles, ce que je redoute le plus ici-bas, et comblez mes vœux en me faisant mourir pour le Christ. Pour ce qui est de mon corps, je tremble à l'idée de la mort ; mais mon espoir et ma confiance sont en Dieu. Par ma nature, je chancelle ; par son secours, je m'affermis. Tout est confusion en moi ; en Lui tout est espérance. Il est la perle, je suis la boue ; Il est le trésor, je suis la poussière ; Il est la vie, je suis la mort ; Il est la sagesse, je suis le péché ; Il est la vérité, je suis le mensonge ; car, pour satisfaire ma vanité, j'ai repoussé de moi la vérité. Il m'a donné une nature parfaite, et mes affections mauvaises l'ont corrompue ; Il m'a donné une volonté libre et forte, et moi, je l'ai tuée en la souillant et en la ternissant par le péché. C'est Lui qui est descendu au fond des mers pour y chercher, à travers des périls sans nombre, la perle précieuse, et sa divinité L'accompagnait dans toutes ses tribulations, et Il a emporté avec Lui dans le ciel la nature humaine qu'Il avait prise sur la terre. C'est Lui qui, sans relâche et toujours plus profondément, creusait le champ qu'Il avait acquis, et souffrait sur la croix pour S'approprier le trésor des saints qu'Il faisait sortir du tombeau. Travaillons donc, nous aussi, et de tous nos efforts, pour participer un jour à la transaction et à la médiation de notre Sauveur Jésus Christ ; car c'est à Lui que doit revenir toute gloire, tout honneur, toute adoration ; à Lui et à son Père, qui ne S'est pas soumis au même sacrifice, aussi bien qu'à l'Esprit souverainement saint, bon et vivifiant, maintenant et à tout jamais, jusqu'à la consommation des siècles. Amen
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Message  Arlitto Lun 7 Mar 2016 - 15:05

HOMÉLIE SUR LE JEÛNE
ST BASILE LE GRAND

On ne sait pas en quelle année a été prononcée cette homélie ; on voit par l'homélie même que ça a dû être au commencement d'un carême. Les deux objets principaux que traite l'orateur, sont l'antiquité et les avantages du jeûne. Sans suivre un plan bien marqué, il établit ces deux points, dans le corps du discours, par des raisonnements tirés de la chose, et surtout par des exemples pris dans l'Ancien et le Nouveau Testament : aux avantages spirituels et corporels du jeûne, il oppose les suites affreuses de l'intempérance. Il commence son homélie par montrer qu'on ne doit pas affecter de la tristesse lorsqu'on jeûne. En finissant, après avoir annoncé que le jeûne ne consiste pas seulement dans l'abstinence des viandes, mais surtout dans l'abstinence des passions, il s'élève contre l'ivresse, dont il expose les tristes et funestes effets pour l'âme et pour le corps. 
SONNEZ de la trompette en ce premier jour du mois, au jour célèbre de votre grande solennité (Ps. 80. 4.). Tel est le commandement du Roi-Prophète. Les lectures qu'on vient de faire nous annoncent, d'une manière plus sensible et plus éclatante que la trompette et que tous les instruments de musique, une fête qui amène les jours du jeûne, dont Isaïe nous apprend les avantages, en réprouvant la manière dont les Juifs jeûnaient,
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et en nous montrant quel est le vrai jeune. Vous jeûnez, leur dit-il, pour dire des procès et des querelles.... Mais rompez tout lien d'iniquité (ls. 58. 4 et 6.). Et que dit le Seigneur ? Lorsque vous jeûnez, ne soyez point tristes, mais lavez votre visage et parfumez votre tête (Matth. 6.16). Pratiquons ces maximes : ne soyons point tristes dans les jours où nous allons entrer ; disposons-nous-y avec joie comme il convient à des saints. Nul homme à qui on met la couronne sur la tête n'est abattu ; nul n'érige un trophée avec la tristesse sur le front. Ne vous affligez point parce qu'on travaille à vous guérir. Il est ridicule de ne pas se réjouir de la santé de l’âme, de se chagriner du retranchement de quelques nourritures, et de montrer plus d'empressement pour les plaisirs du corps que pour la sanctification de l'âme. Le plaisir de manger satisfait le corps ; le jeûne tourne à l'avantage de l’âme. Réjouissez-vous de ce que le médecin vous a donné un remède propre à détruire le péché. Les vers qui fourmillent dans les entrailles d'un enfant en sont chassés par des médecines amères : ainsi le jeûne (1) pénétrant jusqu'au fond de l’âme, en bannit et y fait mourir le péché.
Lavez votre visage et parfumez votre tête. Ces paroles sont mystérieuses (2), et doivent être
(1) Le grec dit : Le jeûne vraiment digne de ce nom. La vraie étymologie de nesteia, c'est la particule négative  et estio, je mange, ou sitos nourriture. Saint Basile fait sans doute ici allusion au mot nestis, qui signifie un homme à jeun et nu des intestins: il regarde nésteia, jeûne, comme venant de nestis, un des intestins.
(2) Il m'a été impossible de rendre ici l'orateur, dont les idées tiennent à sa langue, et ne peuvent être transportées dans une autre.
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tendues dans un sens spirituel. Lavez votre visage, c'est-à-dire, effacez les péchés de votre âme. Parfumez votre tête, c'est-à-dire, répandez sur notre tête l'huile sainte, afin que vous soyez participant de Jésus-Christ. Approchez du jeûne avec ces dispositions. Ne déguisez pas votre visage à la manière des hypocrites. On déguise son visage, lorsqu'on cache ses sentiments sous de faux dehors, et qu'on les couvre, pour ainsi dire, d'un voile d'imposture. Les hypocrites ressemblent aux comédiens, lesquels représentent des personnages étrangers. Sur le théâtre, l'esclave est souvent maître, le simple particulier est souvent roi. Dans la vie, comme sur le théâtre, plusieurs se déguisent et annoncent à l'extérieur ce qu'ils n'ont point au fond de l'âme. Ne déguisez pas votre visage. Montrez-vous tel que vous êtes ; n’affectez pas un air triste et sombre pour vous donner la réputation d'un homme abstinent. Un bienfait publié à son de trompe perd tout son mérite ; le jeûne exposé aux yeux des hommes ne produit aucun avantage. Les bonnes œuvres faites avec ostentation ne fructifient point pour la vie éternelle, mais se terminent en vaines louanges des hommes. Accourez donc avec joie à la grâce du jeûne. 
Le jeûne est une faveur ancienne, qui ne vieillit pas avec le temps, mais qui se renouvelle sans cesse, toujours dans sa première vigueur. Croyez-vous que je tire de la loi l'antiquité du jeune ? Il est plus ancien que la loi même ; et vous en conviendrez, si vous voulez écouter ce que je vais vous dire. Ne pensez pas que le jour de propitiation, que les Israélites célébraient le dixième jour du septième mois, soit l'origine du jeûne : parcourez l'histoire, et remontez plus haut
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pour trouver son antiquité. Ce n'est pas une invention nouvelle ; c'est un trésor qui nous a été transmis par nos premiers ancêtres. Tout ce qui est fort ancien est vénérable. Respectez l'ancienneté du jeûne qui a commencé avec le premier homme, qui a été prescrit dans le paradis terrestre. Adam reçut ce premier précepte : Vous ne mangerez pas le fruit de l'arbre de la science du bien et du mal ( Gen. 2. 17. ) . Cette défense est une loi de jeûne et d'abstinence. Si Eve se fût abstenue de manger du fruit de l'arbre, nous n'aurions pas maintenant besoin de jeûner. Ce ne sont pas ceux qui sont en santé, mais ceux qui sont malades, qui ont besoin de médecin (Matth. 9. 12.). Le péché nous a fait des blessures, guérissons-les par la pénitence : or la pénitence sans le jeûne est inutile. La terre maudite vous produira des ronces et des épines ( Gen. 3. 17.). Vous êtes ici-bas pour vivre dans la tristesse et non dans les délices. Satisfaites à Dieu par le jeûne.
Le jeûne est une fidèle image de la vie du paradis terrestre, non seulement parce que le premier homme vivait comme les anges, et qu'il parvenait à leur ressembler en se contentant de peu ; mais encore parce que tous ces besoins, fruits de l’industrie humaine, étaient ignorés dans le paradis terrestre. On n'y buvait pas de vin, on n’y tuait pas d'animaux, on n'y connaissait pas tout ce qui tourmente l'esprit des malheureux mortels. C'est parce que nous n'avons pas jeûné, que nous avons été chassés du paradis : jeûnons donc pour y rentrer. Ne voyez-vous pas que c'est le jeûne qui a ouvert à Lazare l’entrée du ciel ? N’imitez pas la désobéissance d'Eve : ne suivez pas les conseils du serpent perfide, qui lui suggéra de manger du fruit de l'arbre pour flatter ses sens. Ne
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vous excusez ni sur votre faiblesse, ni sur votre santé : ce n'est pas à moi que vous alléguez des excuses, mais à celui qui connaît tout. Vous ne sauriez jeûner, dites-vous ; mais vous savez bien, manger sans aucune retenue, et user votre corps en le chargeant de nourritures. Toutefois les médecins ordonnent à leurs malades, non des mets variés, mais une diète rigoureuse. Quoi ! Vous pouvez vous incommoder en mangeant, et vous ne pouvez vous abstenir de manger ! passe-t-on mieux la nuit après s'être livré aux excès d'un grand festin qu'après s'être contenté d'un repas frugal ? Chargé de vin et de viande, vous vous tourmentez dans votre lit, vous vous tournez de tous côtés sans savoir quelle position choisir. Dira-t-on qu'un pilote conduit plus aisément un vaisseau chargé outre mesure, qu'un vaisseau leste et dégagé. Le moindre soulèvement de flots submerge le navire que son propre poids accable déjà : celui qui n'a qu'une charge médiocre surnage aisément, parce que rien ne l'empêche de s'élever au-dessus des vagues. Ainsi les corps appesantis par les viandes deviennent la proie des maladies : au lieu que ceux qui ne prennent qu'une nourriture sobre et légère, échappent aux menaces d'une maladie, comme à un soulèvement de flots, et dissipent bientôt les maux actuels qui viennent les assaillir comme un violent orage. Vous croirez donc qu'il y a plus de peine à être assis qu'à courir, à se tenir en repos qu'à lutter, puisque vous dites que les délices conviennent mieux aux personnes infirmes qu'une diète raisonnable ? La chaleur naturelle digère bien une quantité modique de nourriture et en forme une bonne substance; mais si on lui donne plus d'aliments qu'elle n'en saurait porter, elle ne peut les digérer entièrement ; et de là viennent toutes les maladies.
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Mais reprenons l’histoire de l'antiquité du jeûne, et montrons comment tous les saints, le recevant les uns des autres comme un patrimoine, il s'est transmis jusqu'à nous de pères en fils par une succession ininterrompue. On ne connaissait point le vin dans le paradis terrestre, on n'y tuait point d'animaux, on n'y mangeait point de chair. C'est après le déluge que le vin a été connu ; c'est après le déluge qu'il a été dit aux hommes: Nourrissez-vous de tout ce qui a vie et mouvement ; je vous l'abandonne, comme les légumes et les herbes de la campagne ( Gen. 9. 8. ). C'est lorsqu'on a désespéré de leur perfection, qu'on leur a accordé cette jouissance. Ce qui prouve qu'on n'avait aucune expérience du vin, c'est que Noé en ignorait l'usage. Cette liqueur n'avait pas encore été introduite dans le monde, et les hommes n'étaient pas accoutumés à s'en servir. Comme donc Noé n'avait vu personne en boire, et qu’il ne l'avait pas éprouvée lui-même, il se trouva pris sans qu'il pût s'en garantir. Noé planta la vigne, dit l'Ecriture, il but de son fruit, et s'enivra ( Gen. 9. 20. ) : non qu'il fût coupable, mais il ignorait la quantité de vin qu’on pouvait se permettre. Ainsi les hommes n'ont connu le vin qu'au sortir du paradis terrestre, tant la dignité du jeûne est ancienne.
Nous savons que c'est par le jeûne que Moïse s'est approché de la montagne. Jamais il n'eût osé monter sur cette cime fumante, jamais il n'eût eu la hardiesse de pénétrer dans la nue, s'il n'eût été muni du jeûne ( Exode. 24. 18.—34. 28. ). C'est le jeûne qui a fait recevoir la loi écrite de la main de Dieu même sur des tables. Au haut de la montagne le jeûne obtenait du Seigneur la loi, tandis qu'en bas la gourmandise précipitait le peuple dans tous les excès de l'idolâtrie. Le peuple s'assit pour manger
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et pour boire, et il se leva pour jouer (Exode. 32. 6 ). Ce qu'un fidèle serviteur avait obtenu en priant et en jeûnant durant quarante jours, la seule intempérance le rendit inutile : et les tables écrites de la main de Dieu qu'avait reçues le jeûne, l'excès de vin les brisa, le prophète ne jugeant pas qu’un peuple ivre fût digne de recevoir du Seigneur ce riche trésor. Un peuple que Dieu avait instruit par les plus grands prodiges, fut plongé par la gourmandise dans l’idolâtrie des Egyptiens. Faites le parallèle, et voyez comment le jeûne nous rapproche de Dieu, comment les délices nous perdent.
Poursuivons, et avançons dans l’histoire sainte. Qu'est-ce qui a avili Esaü, et l'a rendu esclave de son frère n'est-ce pas un seul potage qui lui a fait vendre son droit d'aînesse ? Pour Samuel, n'a-t-il pas été accordé à la prière et au jeûne de sa mère ? Qu'est-ce qui a rendu invincible le brave Samson ? N'est-ce pas encore le jeûne ? C'est par le jeûne qu'il a été conçu dans le ventre de sa mère ; le jeûne l'a mis au monde, le jeûne l'a nourri, le jeûne l'a fortifié jusqu'à ce qu'il est devenu Monime. Il s'est montré fidèle à ce précepte de l'Ange: Il ne mangera pas du fruit de la vigne, il ne boira pas de vin, ni d’aucune liqueur fermentée ( Jug. 13. 14. ). Le jeûne enfante les prophètes et fortifie les puissants. Le jeûne instruit les législateurs; il est la meilleure garde de l'âme, le plus sûr compagnon du corps, l'armure des gens braves, le gymnase des athlètes; il chasse les tentations, excite à la piété, fait aimer la sobriété, inspire la modestie ; donne du courage dans la guerre et apprend à chérir la paix ; il sanctifie les Nazaréens, il consacre les prêtres, qui ne pourraient, sans lui, offrir le sacrifice dans le
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culte mystique et véritable de nos jours, qui ne le pouvaient pas même dans celui qui a précédé et qui n'en était que la figure. C'est par le jeûne qu'Elie fut favorisé d'une vision extraordinaire. Il purifia son âme en jeûnant quarante jours ; et il mérita de voir le Seigneur dans la caverne d'Horeb, autant qu'il est possible à un homme. C'est après avoir jeûné qu'il rendit l'enfant à la veuve, et qu'il sut triompher de la mort même. La parole sortie d'une bouche sobre ferma le ciel pendant trois ans et six mois pour punir un peuple prévaricateur. Il s'exposa lui-même avec les autres à cette calamité, pour amollir des âmes dures et intraitables. Vive le Seigneur, dit-il ; il ne tombera de pluie sur la terre que selon la parole qui sortira de ma bouche (3. Rois. 17. 1.). Il obligea par la famine tout un peuple de jeûner, afin de corriger les désordres, suites des délices et d'une vie dissolue. Et le prophète Elisée comment vivait-il comment fut-il reçu chez la Sunamite? Comment lui-même traita-t-il les prophètes ? Il leur donna des herbes sauvages et un peu de farine. On avait mêlé parmi ces herbes de la coloquinte, et tous ceux qui en mangèrent eussent été en danger de périr, si le jeûne et les prières du prophète n'eussent amorti la force du poison. Enfin c'est le jeûne qui a conduit tous les Saints à une vie selon Dieu.
Il est une sorte de pierre appelée amiante (1), qui ne peut être consumée par le feu ; qui, jeté dans les flammes, paraît être réduite en charbon, mais qui en étant tirée n'en est que plus pure comme si elle eût été lavée dans l'eau. Tels étaient
(1) Dioscoride parle de cette pierre comme naissant dans l’île de Chypre, et ayant la propriété que lui donne ici saint Basile.
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les corps des trois enfants de Babylone ; le jeûne leur donnait la vertu de l'amiante. Au milieu d'une ardente fournaise, supérieurs au feu s'ils eussent été d'or, ils n'en reçurent aucun dommage : ils parurent même plus puissants que l'or, puisque le feu, loin de fondre leurs chairs, les conservait intacts. Cependant rien alors ne résistait à une flamme, dont la violence redoublée par des amas de sarments, de souffre et de bitume, s'étendait à quarante-neuf coudées, dévora tous les objets environnants, et consuma nombre de Chaldéens. Entrés avec le jeûne dans un incendie aussi terrible, les trois jeunes hommes le foulèrent aux pieds : ils respiraient un air doux et suave au milieu d'un feu violent, qui respecta même leur chevelure, parce que c'était le jeûne qui l'avait nourrie et entretenue. Daniel, cet homme de désir, après avoir passé trois semaines sans manger de pain et sans boire de vin, apprit aux lions à jeûner dans la fosse : leurs dents ne purent entamer son corps, comme s'il eût été de pierre, ou de fer, ou de quelque autre matière plus dure. Le jeûne avait donné au corps du Saint une trempe de nature à émousser les dents de ces animaux féroces, qui n'entreprirent pas même de le dévorer. Ainsi le jeûne éteint les flammes et adoucit les lions.
Le jeûne sert d'ailes à la prière pour s'élever en haut et pénétrer jusqu'aux cieux. Le jeûne est le soutien des maisons, le père de la santé, l'instituteur de la jeunesse, l’ornement des vieillards, l'agréable compagnon des voyageurs, l'ami sûr des époux. Un mari ne soupçonne pas la fidélité de sa femme, quand il la voit faire du jeûne ses délices: une femme n'est pas jalouse de son mari, quand elle le voit chérir et embrasser le jeûne. Le jeûne
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n'a jamais ruiné une maison. Comptez ce que vous avez de bien aujourd’hui ; comptez encore par la suite, et vous ne trouverez pas que le jeûne ait rien diminué de votre fortune. Lorsque l'abstinence règne, nul animal ne déplore son trépas : le sang ne coule nulle part, nulle part une voracité impitoyable ne prononce une sentence cruelle contre les animaux : le couteau des cuisiniers se repose; la table se contente des fruits que donne la nature. Le sabbat avait été donné aux Juifs, pour qu'ils laissassent reposer leurs bêtes de somme et leurs serviteurs ( Exode. 20. 10.). Que le jeûne donne quelque relâche à ceux qui vous servent toute l'année, qu’ils respirent de leurs continuels travaux. Qu'on n'entende plus dans votre maison tout ce tumulte, que la fumée et l'odeur des viandes en soient bannies ; que cette foule d'hommes diversement employés au service de la table, qui vont et qui viennent sans cesse pour exécuter les ordres du ventre, de ce maître dur et sans pitié, se tiennent enfin tranquilles. Les collecteurs des tributs laissent au moins quelques moments de repos à ceux qui sont sous leur juridiction: que le ventre fasse au moins avec nous une trêve de cinq jours (1), ce ventre insatiable, qui demande toujours et n'est jamais satisfait, qui a déjà oublié aujourd'hui ce qu'on lui donna hier, qui raisonne  la tempérance lorsqu'il est rempli, et ne sonne plus à ses beaux préceptes dès qu'il a digéré. Le jeûne ne connaît pas l'usure ; ces intérêts accumulés,
(1) Une trêve de cinq jours, sans doute pendant chaque semaine de carême : car les Grecs ne jeûnaient ni le dimanche, ni le samedi. Au reste, nous voyons ici que, quand ils jeûnaient, leur jeûne était beaucoup plus austère que le nôtre, puisqu'il n’y avait alors chez eux presqu’aucune cuisine.
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qui se replient comme des serpents, sont ignorés à la table de l’homme sobre. Ses enfants non plus ne recueillent pas le triste héritage de ses dettes. Le jeûne d’ailleurs est propre à inspirer la joie et la satisfaction. On boit avec plaisir quand on a soif, la faim assaisonne tous les mets : ainsi l'abstinence, qui interrompt le cours de la bonne chère, réveille l'appétit, et donne du goût aux viandes. Si donc vous voulez trouver agréable ce que vous mangez, faites diversion par le jeûne. La satiété des délices en émousse le goût, et l'excès du plaisir le fait disparaître. Les meilleures choses fatiguent par la continuité de la jouissance. On jouit avec empressement de ce qui ne s'offre que de loin à loin. C'est ainsi que le Créateur nous a ménagé par la vicissitude un plus vif agrément dans les faveurs journalières dont il nous comble. Le soleil paraît plus brillant après la nuit, le réveil est plus agréable après le sommeil, la santé est plus douce après la maladie ; la table de même est plus satisfaisante après le jeûne, pour le riche dont la table est somptueuse, comme pour le pauvre dont la nourriture est simple et frugale. Craignez le malheur de ce riche de l'Evangile, que les délices ont plongé dans les enfers ( Luc. 16. 19 et suiv ). Ce n'est point pour ses injustices, mais pour sa vie molle qu'il a été condamné à un feu éternel. Pour éteindre ce feu, il faut de l'eau. Ce n'est pas seulement pour la vie future que le jeûne est utile ; il contribue encore à la santé dans cette vie. Un excessif embonpoint est sujet à bien des retours, parce que la nature qui succombe ne peut en soutenir le poids. Vous dédaignez maintenant de boire de l'eau; prenez garde d'avoir par la suite, comme le mauvais riche, à en désirer une seule goutte. L'eau n’a jamais
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enivré personne ; l'eau ne charge pas la tête elle ne lie ni les pieds ni les mains quand on boit de l'eau, on n'a jamais besoin pour marcher du secours d'autrui. Les mauvaises digestions, suite de l'intempérance, occasionnent des maladies fâcheuses. L’extérieur de l’homme qui jeûne n'a rien que de vénérable. Son teint n'est pas fleuri, ni coloré d'un rouge insolent, mais décoré d'une pâleur modeste; ses yeux sont doux, sa démarche grave, son air réfléchi : il ne se permet pas un rire immodéré ; son langage est aussi tranquille que son âme est pure.
Rappelez-vous les saints des siècles passés, dont le monde n'était pas digne, qui erraient couverts de peaux, manquant de tout, persécutés, affligés (Heb. 11. 37 et 38). Imitez leur conduite, si vous voulez obtenir leur gloire. Qu'est-ce qui a fait reposer Lazare dans le sein d'Abraham? N’est-ce pas le jeûne ? Toute la vie de Jean-Baptiste n'était-elle pas un jeûne continuel ? Il n'avait ni lit, ni table, ni terre labourable, ni bœuf pour labourer, ni grains, ni serviteur pour les moudre, en un mot aucune des choses nécessaires à la vie.  C’est pour cela que parmi ceux qui sont nés des femmes, il n'en a point paru de plus grand que Jean-Baptiste (Math. 11. 11.). Entre toutes les tribulations dont se glorifiait Paul, c'est surtout le jeûne qui l'a transporté au troisième ciel. Enfin Jésus-Christ notre Seigneur, après avoir fortifié, par le jeûne, la chair qu'il a prise pour nous, a voulu soutenir dans cette même chair les attaques du démon, afin  de nous apprendre comment nous devons nous disposer et nous exercer aux combats des tentations. Comme la divinité du Fils de Dieu le rendait inaccessible à l'esprit tentateur, il s'est assujetti à nos besoins, afin de lui 
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donner l’occasion de l'attaquer par cette apparence de faiblesse. Près de monter aux cieux, s’il a pris de la nourriture, ce n'était que pour fournir des preuves de sa résurrection.
Et vous, vous ne cesserez pas d'engraisser votre corps à l’excès, tandis que vous ne vous embarrasserez nullement de laisser dessécher votre esprit en négligeant de le nourrir d'une doctrine salutaire et vivifiante ! Dans la mêlée, secourir un parti, c’est faire succomber l'autre : ainsi se ranger du parti de la chair, c'est combattre contre l'esprit; comme passer du côté de l'esprit, c'est assujettir la chair : car ce sont deux puissances opposées. Si donc vous voulez fortifier l'esprit, il vous faut dompter la chair par le jeûne. C'est-là ce qui a fait dire à l’apôtre :Plus l’homme intérieur se détruit en nous, plus l'homme extérieur se renouvelle ; et ailleurs : Lorsque je suis  faible, c'est alors que je suis fort (2. Cor. 4. 16. - 12. 10.). Ne mépriserez-vous pas des viandes corruptibles? Ne désirerez-vous pas la table du royaume céleste, que vous préparera le jeûne d'ici-bas, ignorez-vous que l'intempérance vous engendre une foule de vers rongeurs ? Qui jamais dans les délices continuelles d'une table abondante, mérita de participer aux grâces spirituelles ? Il fallut que Moïse se disposât par un second jeûne à recevoir une seconde fois les préceptes de la loi ( Exode. 34. 28.). Les Ninivites n'auraient pu échapper à la ruine totale dont ils étaient menacés s'ils n'eussent fait jeûner jusqu'à leurs animaux. Quels sont les Juifs dont les corps sont restés étendus dans le désert (Heb. 3. 17.) ? Ne sont-ce pas ceux qui demandaient à manger de la chair ? Tant qu'ils se commuèrent de la manne et de l'eau du rocher, ils vainquirent les Egyptiens, ils passèrent la mer à pied sec, il n'y avait pas de
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malades dans leurs tribus (Ps. 104. 37.) ; mais lorsqu'ils regrettèrent les chairs de l'Egypte ( Exode. 16. 3. ), qu’ils se transportèrent dans ce pays par leurs désirs, ils furent privés du bonheur de voir la terre promise. Cet exemple ne vous fait-il pas trembler ? Ne craignez-vous pas que votre amour pour des viandes terrestre ne vous prive des biens éternels ? Le sage Daniel n'eût pas eu des visions aussi merveilleuses, s’il n'eût purifié et éclairé son âme par le jeûne. Les vapeurs et les fumées qui s'élèvent d'une nourriture grossière, sont comme un nuage épais qui offusque les lumières par lesquelles l'Esprit-Saint éclaire nos intelligences. Si les anges prennent quelque nourriture, ce n'est que du pain selon le témoignage du Prophète : L'homme a mangé le pain des anges ( Ps. 77. 25.) (1). Ils ne connaissent ni la chair, ni le vin, ni rien de ce que désirent avec tant d'ardeur les esclaves du ventre. Le jeûne est une arme qui nous fait triompher de l'armée des démons. Cette sorte de démons, dit Jésus-Christ, ne se chasse que par la prière et par le jeûne. Tels sont les grands avantages que le jeûne nous procure. L'intempérance est la source des plus affreux désordres. Les mets délicats et les vins exquis nous portent à des passions brutales. Les délices irritent la concupiscence et allument dans les hommes des désirs furieux qui les rendent semblables à des chevaux indomptés. Les excès de vin nous font renverser l'ordre de la nature, pervertir et corrompre l'usage des différents sexes. Le jeûne, au contraire, entretient la modestie et la continence
(1) Le pain des anges, c'est-à-dire, selon David, la manne qui tombait du ciel. L'application que saint Basile fait de ce passage parait peu naturelle et point assez grave.
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dans le mariage ; il fait qu'on se retranche même les choses permises, et que deux époux se les interdisent de concert pendant quelque temps pour vaquer plus librement à l'oraison.
Prenez garde néanmoins de borner l'avantage du jeûne à l'abstinence des viandes. Le jeûne véritable est de s'abstenir des vices. Rompez tout lien d'iniquité ( Is. 58. 4 et. 6.) : pardonnez à votre prochain la peine qu’il a pu vous faire, remettez-lui ses dettes; ne jeûnez plus pour faire des procès et des querelles. Vous ne mangez point de chair, mais vous dévorez votre frère. Vous vous abstenez de boire du vin, mais vous ne modérez aucune des passions qui vous emportent. Vous attendez le soir pour manger, mais vous consumez, tout le jour dans les tribunaux. Malheur à ceux que, non le vin, mais leurs passions enivrent ( Is. 51. 21. ). La colère est une ivresse de l’âme ; elle la trouble et la transporte comme le vin. La tristesse est aussi une ivresse, puisqu'elle enveloppe et ensevelit la raison. La crainte est une autre ivresse, quand elle nous fait trembler mal-à-propos. Délivrez mon âme, dit David au Seigneur,
de la crainte de mon ennemi,( Ps. 63. 2). En général, toute passion violente qui trouble et dérange la raison, peut être appelée ivresse. Oyez un homme emporté par la colère : cette passion le rend ivre ; il n'est plus maître de lui-même, il ne se connaît plus, il ne connaît aucun de ceux qui sont présents ; il se jette sur tous ceux qu'il rencontre, comme dans un combat nocturne ; il parie au hasard, il ne peut se contenir, il invective, il frappe, il menace, il crie, il s'emporte en jurements, il se livre à toute sa rage. Evitez une pareille ivresse.
Fuyez aussi celle que cause le vin. Ne vous préparez
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pas à boire de l'eau en buvant du vin avec excès. Que l'ivresse ne vous introduise pas dans les mystères du jeûne. Ce n'est pas l'ivresse qui conduit au jeûne, comme ce n'est pas la cupidité qui conduit au désintéressement, ni l'intempérance à la sagesse, ni en général le vice à la vertu. Il est un autre chemin qui conduit au jeûne; la frugalité mène au jeûne comme l'ivresse mène aux dissolutions. Les athlètes se préparent au combat par des exercices; on se dispose au jeûne en s'exerçant à l'abstinence. Ne cherchez pas à éluder la loi, et à vous dédommager d'avance, par la débauche, d'un jeûne de cinq jours (1). C'est en vain que vous mortifiez votre corps, si vous ne rendez pas cette mortification utile en renonçant au vice. Vous confiez des provisions à un cellier perfide : vous versez du vin dans un tonneau percé. Le vin s'écoule par le passage qu'il trouve ouvert, et le péché demeure. Un esclave fuit le maître qui le frappe ; et vous ne vous éloignez pas du vin qui attaque tous les jours votre tête. La meilleure mesure dans l'usage du vin, c'est de n'en prendre que pour le besoin du corps. Si vous passez aujourd’hui les bornes, vous aurez demain la tête pesante, vous serez ennuyé, étourdi, vous exhalerez une odeur désagréable, vous croirez que tous les objets qui vous environnent tournent autour de vous. L’ivresse cause un sommeil qui approche de la mort, et un réveil qui ressemble à un assoupissement. Ne songez-vous plus à celui que vous devez recevoir C'est celui qui nous fait
(1) D'un jeune de cinq jours par semaine, comme nous l'avons observé plus haut. Ou voit que les excès de l’intempérance, par lesquels des hommes peu raisonnables se préparaient au jeûne du carême, sont fort anciens.
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cette promesse consolante : Mon Père et moi nous viendrons, et nous ferons en lui notre, demeure (Jean. 14. 23.). Pourquoi donc recevez-vous d'abord l’ivresse, et fermez-vous par-là l'entrée au Seigneur ? Pourquoi invitez-vous l’ennemi à s'emparer des avenues de votre âme ? L'ivresse ne reçoit pas le Seigneur, l'ivresse bannit l'Esprit-Saint. L'intempérance chasse la grâce, comme la fumée chasse les abeilles. Le jeûne est l'ornement de la ville, le soutien du forum, la paix des maisons, la sûreté des fortunes. Voulez-vous comprendre quelle est sa dignité ? Comparez le jour où nous sommes avec le jour suivant : vous verrez le bruit et le tumulte se changer en un calme profond. Je voudrais que nous fussions aussi sages aujourd'hui que nous le serons demain, et que demain il régnât la même joie qu'aujourd'hui.
Que le Seigneur qui fait succéder les temps les uns aux autres, nous accorde, après nous être exercés comme de braves athlètes, et avoir pratiqué constamment la tempérance, d'arriver au jour où seront distribuées les couronnes : qu’il nous accorde, après nous être conformés dans cette vie au Sauveur souffrant, de recevoir dans la vie future la récompense de nos travaux, de la main du souverain Juge, à qui soit la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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Message  Arlitto Lun 7 Mar 2016 - 15:06

TROISIEME HOMELIE SUR ST PAUL
par St Jean Chrysostome

 

En cette année St Paul, apôtre des nations.
Grandeur de la charité de saint Paul, elle l'a porté à aimer ses ennemis, à faire du bien à ceux qui ne lui faisaient que du mal, à désirer le salut des Juifs qui le maltraitaient, à s'affliger de leur réprobation, à chercher des raisons pour les excuser ; cette charité qui lui inspirait la plus grande tendresse pour les étrangers comme pour ses compatriotes, un si vif intérêt pour le salut de tous les hommes, qui faisait prendre à son zèle tant de formes diverses, qui lui faisait étendre ses attentions jusque sur les choses temporelles, qui lui faisait prodiguer pour autrui et sa personne et son argent. — Il n'était pas seulement animé de la charité, il était devenu tout charité. — Nous devons tâcher d'imiter le grand apôtre dans une vertu qui est la principale, la première de toutes, qui l'a élevé au comble de la perfection.
Heureux Paul d'avoir montré toute l'ardeur du zèle dont l'homme est capable, et d'avoir pu s'envoler jusqu'aux cieux, s'élever au-dessus des anges, des archanges et des autres dominations ! Quelquefois il nous invite ; par son seul exemple, à devenir les imitateurs de Jésus-Christ : Soyez, dit-il, mes imitateurs, comme je le suis de Jésus-Christ. (I Cor. II, 1.)
Quelquefois, sans parler de lui-même, il cherche à nous élever jusqu'à Dieu, en nous disant Soyez donc les imitateurs de Dieu, comme des enfants chéris. (Eph. VI, I.) Ensuite, pour montrer que rien ne contribue tant à cette imitation, que de vivre de manière à être utile aux autres, et de chercher en tout l'avantage de nos frères, il ajouté aussitôt : Marchez dans l'amour et la charité. Après avoir dit : Soyez les imitateurs de Dieu, il parle aussitôt après de la charité, pour faire voir que c'est surtout cette vertu qui nous rapproche de Dieu ; toutes les autres lui sont inférieures, et sont propres à l'homme, telles que les combats que nous livrons à la concupiscence, la guerre que nous faisons à l'intempérance, à l'avarice ou à la colère : aimer nous est commun avec Dieu. C'est ce qui faisait dire à Jésus-Christ : Priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous deveniez semblables à votre Père céleste. (Matth. V, 44.)

Convaincu que la charité est la principale de toutes les vertus, saint Paul s'est appliqué spécialement à la représenter en lui. Aussi, personne n'a plus aimé ses ennemis que cet apôtre, personne n'a plus fait de bien à ceux qui voulaient lui faire du mal, personne n'a tant souffert pour ceux qui. l'avaient persécuté. Il ne regardait pas ce qu'il souffrait, il considérait que ceux qui le faisaient souffrir étaient ses frères : plus ils s'emportaient contre lui, plus il avait compassion de leur fureur. Et comme un père qui verrait son enfant attaqué de frénésie, serait d'autant plus touché de son état, et pleurerait d'autant plus, que, dans la violence de ses transports, ce pauvre enfant le maltraiterait davantage de la langue, des mains et des pieds : ainsi, le grand Apôtre redoublait ses soins pour ceux qui le persécutaient, regardant leur maladie comme d'autant plus grave, que les démons les animaient davantage contre lui. Ecoutez avec quelle douceur, avec quelle tendresse il cherche à justifier des hommes qui l'avaient battu de verges cinq fois, qui l'avaient lapidé, qui l'avaient chargé de chaînes, qui étaient altérés de son sang, qui désiraient chaque jour de le mettre en pièces : Je puis leur rendre ce témoignage, dit-il, qu'ils ont du zèle pour Dieu, mais ce zèle n'est pas selon la science. (Rom. X, 2.) Et ensuite voulant réprimer les fidèles qui insultaient aux Juifs, il leur dit: Prenez garde de vous élever, et tenez-vous dans la crainte ; car si Dieu n'a pas épargné les branches naturelles, vous devez craindre qu'il ne vous épargne pas vous-mêmes. (Rom. II, 20 et 21.) Comme il voyait que le Seigneur avait prononcé une sentence de condamnation contre les Juifs, il faisait ce qui était en son pouvoir, il gémissait continuellement sur leur sort, il s'affligeait, il réprimait ceux qui insultaient à leur chute, il s'efforçait, autant qu'il était possible, de leur trouver au moins quel que ombre d'excuse. N'ayant pu les persuader, vu leur opiniâtreté et leur endurcissement, il recourait à de continuelles prières, et disait : Il est vrai, mes frères, que je sens dans mon cœur une grande affection pour le salut d'Israël, et que je le demande à Dieu par mes prières. (Rom. X, 1.) Il leur fait concevoir d'heureuses espérances ; et pour qu'ils ne persistent pas jusqu'à la fin, pour qu'ils ne meurent pas dans le désespoir, il leur dit : Les dons et la vocation de Dieu sont immuables ; il ne s'en repent point. (Rom. II, 29.) Tout cela annonce un homme qui était fortement occupé de leur salut, qui le désirait ardemment, comme lorsqu'il dit encore : Il sortira de Sion un libérateur, qui bannira l'impiété de Jacob, (Is. LXIX, 20. — Rom. II, 26.) Dans l'excès de la douleur dont il était pénétré, en voyant leur réprobation, il cherche de toute part un adoucissement à sa peine, et il dit tantôt : Il sortira de Sion un libérateur qui bannira l'impiété de Jacob ; tantôt : Les Juifs n'ont point cru que Dieu voulût vous faire miséricorde, afin qu'un jour ils reçoivent eux-mêmes miséricorde. (Rom. XI, 31.) C'est ce que faisait aussi le prophète Jérémie, lorsque s'efforçant, contre toute raison, de justifier. les Juifs coupables, il disait tantôt : Si nos iniquités s'opposent à notre pardon, pardonnez-nous, Seigneur, à cause de vous (Jér. XIV, 7) ; tantôt : La voie de l'homme ne dépend point de l'homme, l'homme ne marche point et ne conduit point ses pas par lui-même (Jér. X, 23) ; et ailleurs encore: Souvenez-vous que nous ne sommes que poussière (Ps. CII, 14). Car c'est la coutume des saints qui intercèdent pour les pécheurs, quoiqu'ils n'aient rien à dire de, solide, d'imaginer au moins une ombre de justification, et, sans s'exprimer d'une manière exacte et conforme à la vérité du dogme, d'employer des raisons qui les consolent dans la tristesse qu'ils éprouvent en voyant périr leurs frères. Ne cherchons donc pas l'exactitude des idées dans de pareils discours, que nous devons regarder comme l'expression d'une âme affligée, qui s'efforce de justifier des coupables.

Mais, était-ce seulement à l'égard des Juifs, et non à l'égard des étrangers, que saint Paul signalait sa tendresse ? il était d'une douceur sans bornes pour les autres hommes comme pour ceux de sa nation. Ecoutez ce qu'il dit à Timothée : Il ne faut pas qu'un serviteur de Dieu s'amuse à contester ; mais il doit être modéré envers tout le monde, capable d'instruire, patient envers ceux qui ont fait des fautes ; il doit reprendre avec douceur ceux qui résistent à la vérité, dans l'espoir que Dieu pourra leur donner un jour l'esprit de pénitence pour la leur faire connaître, et qu'ainsi ils sortiront des pièges du démon, qui les tient captifs et les assujettit à ses lois. (II Tim. II, 24, 25 et 26.) Voulez-vous savoir comment il traite avec les pécheurs, écoutez ce qu'il dit en écrivant aux Corinthiens : J'appréhende de ne pas vous trouver, à mon arrivée, tels que je coudrais ; et un peu, plus bas : J'appréhende que Dieu ne m'humilie lorsque je serai revenu chez vous, et que je ne sois obligé d'en pleurer plusieurs, qui étant déjà tombés dans les impuretés, les fornications et les dérèglements infâmes, n'en ont point fait pénitence. (II Cor. XII, 20,21.) Il disait en écrivant aux Galates : Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous. (Gal. VI, 19.) Ecoutez, au sujet de l'incestueux de Corinthe, comment il s'afflige autant que le coupable, comment il sollicite pour lui les Corinthiens, en leur disant : Donnez-lui des preuves effectives de votre charité et de votre amour. (II Cor. II, 8). Et lorsqu'il le retranchait de la communion des fidèles, il ne le faisait qu'avec une grande abondance de larmes : Je vous ai écrit, dit-il, dans une extrême affliction, dans un serrement de cœur, et avec une grande abondance de larmes, non dans le dessein de vous attrister, mais pour vous faire connaître la charité toute particulière que j'ai pour vous. (II Cor. II, 4.) il dit aux mêmes Corinthiens : J'ai vécu avec les Juifs comme juif, avec ceux qui étaient sous la loi, comme si j'eusse été sous la loi. Je me suis rendu faible avec les faibles, pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour les sauver tous. (I Cor. IX, 20, 21 et 22.) Il dit encore ailleurs : Afin que je présente tous les hommes parfaits en Jésus-Christ. (Colos. I, 28.) Voyez-vous une âme qui s'élève au-dessus de toute la terre? il désirait de présenter tous les hommes à Dieu, et il les lui a présentés tous autant qu'il était en lui. Comme s'il eût été le père du monde entier, il s'inquiétait, il s'agitait, il courait, il s'empressait d'introduire tous les hommes dans le royaume céleste, ménageant les uns, exhortant les autres, priant, suppliant, promettant, effrayant les démons, chassant les corrupteurs des âmes, agissant en personne, par lettres, par des discours, par des effets, par ses disciples, par lui-même, relevant ceux qui étaient tombés, affermissant ceux qui étaient debout, guérissant les infirmes, animant les lâches, épouvantant les ennemis de la foi par ses menaces, ou les intimidant de ses regards, se trouvant partout comme un excellent général, défendant la tête, les flancs, l'arrière garde, les bagages, centurion, tribun, soldat, sentinelle, se faisant tout pour le bien de l'armée.

Et ce n'était pas seulement dans les objets spirituels, mais aussi dans les temporels, qu'il montrait ce zèle et ce soin attentif. Ecoutez comme il écrit à tout un peuple pour une seule femme : Je vous recommande notre sœur Phébé, diaconesse de l'église de Cenchrée, afin que vous la receviez au nom du Seigneur, comme on doit recevoir les saints ; et que vous l'assistiez dans toutes les choses où elle pourrait avoir besoin de vous. (Rom. XVI, 1 et 2.) Vous connaissez, écrit-il à ce même peuple, la famille de Stéphanas ; vous savez ce qu'ils ont été et comment ils se sont conduits : ayez pour eux la déférence qui leur est due. (I,Cor. XVI,15.) En effet, c'est l'usage des saints, de ne pas négliger, dans leur amitié, même ces sortes de secours. C'est ainsi que le prophète Elisée n'aidait pas seulement dans les choses spirituelles la femme qui l'avait reçu, mais qu'il s'empressait de lui témoigner sa reconnaissance, même dans les choses temporelles : Avez-vous quelque affaire, lui dit-il, et puis je parler pour vous au roi ou à son ministre de confiance? (IV Rois, IV, 13.) Et pourquoi s'étonner que la charité de saint Paul usât des recommandations par lettres, lorsque faisant venir des personnes, il n'a pas cru indigne de lui de s'occuper des frais de leur voyage, et d'en faire mention dans une lettre : Donnez, écrit-il à Tite, donnez le meilleur ordre que vous pourrez pour le voyage d'Apollon et de Zénas, le jurisconsulte, afin qu'il ne leur manque rien. (Tite, III, 13.) Mais s'il écrivait avec tant d'ardeur pour recommander des personnes qu'il faisait venir, à plus forte raison eût-il tout fait s'il les eût vues en péril. Voyez, lorsqu'il écrit à Philémon, avec quel zèle il s'emploie pour Onésime, combien sa lettre est tournée adroitement et pleine de tendresse. Or, un homme qui n'a pas craint d'écrire une lettre exprès pour un seul esclave, et pour un esclave fugitif qui avait volé son maître, songez quel il (344) devait être à l'égard des autres hommes. La seule chose dont il se faisait une honte, c'était de négliger quelque objet qui eût rapport à leur salut. Voilà pourquoi il mettait tout en œuvre et en usage pour ceux qu'il fallait sauver, et ne ménageait ni ses paroles, ni son argent, ni sa personne ; lui qui s'est livré mille fois à la mort, à plus forte raison aurait-il prodigué l'argent s'il en avait eu. Que dis-je, s'il en avait eu? je puis montrer qu'il n'a pas épargné l'argent, quoiqu'il n'eût rien. Et ne regardez pas ces paroles comme une énigme, mais écoutez-le lui-même qui dit : Je donnerai volontiers tout ce que j'ai, et je me donnerai encore moi-même pour le salut de vos âmes. (II Cor. XII, 15.) Parlant aux Ephésiens, il leur disait : Vous savez que ces mains ont fourni tout ce qui m'était nécessaire, à moi et à ceux qui étaient avec moi. (Act. XX, 34.)

Ce grand homme, embrasé de la charité, la première de toutes les vertus, avait un cœur plus brûlant que la flamme même. Et comme le fer jeté dans le feu devient feu tout entier, de même Paul, enflammé du feu de la charité, était devenu tout charité. Comme s'il eût été le père commun de toute la terre, il imitait, ou plutôt il surpassait tous les pères, quels qu'ils fussent, pour les soins temporels et spirituels : ses paroles, son argent, sa personne, sa vie même, il sacrifiait tout en un mot pour ceux qu'il aimait. Aussi appelait-il la charité, la plénitude de la loi, le lien de la perfection, la mère de tous les biens, le principe et la fin de toutes les vertus. C'est ce qui lui faisait dire : La fin des commandements est la charité, qui naît d'un cœur pur et d'une bonne conscience (I Tim. I, 5) ; et encore : Ces commandements de Dieu : Vous ne commettrez point d'adultère, vous ne tuerez point, et s'il y en a quelque autre semblable, sont compris en abrégé dans cette parole : Vous aimerez le prochain comme vous-même. (Rom. XIII, 9.)

Puis donc que la charité est le principe et la fin de tous les biens, et qu'elle les renferme tous, tâchons d'imiter le grand Apôtre dans une vertu qui l'a élevé au comble de la perfection. Ne me parlez ni des morts qu'il a ressuscités, ni des lépreux qu'il a guéris (Dieu ne vous demandera rien de cela) ; acquérez la charité de Paul, et vous obtiendrez une couronne parfaite. Et qui est-ce qui le dit? le docteur lui-même de la charité, qui la préférait au don des prodiges et des miracles, et à tous les autres. Comme il l'avait beaucoup pratiquée, il en connaissait parfaitement le pouvoir. C'est la charité surtout, je le répète, qui l'a élevé au comble de la perfection, qui l'a rendu digne de Dieu. Aussi disait-il : Désirez les dons les plus excellents ; mais je vais vous montrer une voie plus excellente encore. (I Cor. XII, 31.) C'est de la charité qu'il parle, comme de la voie la meilleure et la plus facile. Marchons-y donc sans cesse dans cette voie, afin que nous puissions voir Paul, ou plutôt le Maître de Paul, et obtenir des couronnes incorruptibles, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l'empire, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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Message  Arlitto Lun 7 Mar 2016 - 15:06

Catéchèse

LA DIVINE LITURGIE
EXPLIQUEE AUX ADULTES 

INTRODUCTION A LA DIVINE LITURGIE

Annoncer la Bonne Nouvelle, est aujourd'hui, comme hier et comme demain, l'une des principales responsabilités de l'Église dans le monde depuis que le Seigneur, après Sa Résurrection en a chargé ses disciples. Cette Bonne Nouvelle, qui n'est pas une simple nouvelle agréable mais la Vie, c'est-à-dire la conviction que Dieu a envoyé son Fils pour notre salut, nous allons essayer de mieux la cerner par une méditation sur la célébration de l'Eucharistie.
La célébration Eucharistique
La première fonction de la Divine Liturgie est de reconnaître que notre être, image du Dieu vivant, est appelé "à mettre en lumière pour tous l'économie du mystère tenu caché depuis toujours en Dieu, en Celui qui a créé toutes choses" (Ep, 5, 9). St Maxime le Confesseur explique que lors de la célébration Eucharistique, le monde entier se révèle comme une église : la nef, dit-il, est l'univers sensible ; les anges constituent le chœur; et l'esprit de l'homme le saint des saints : " Ainsi l'homme, à ce moment-là, devient la jointure entre le divin et le terrestre" et de "lui se diffuse la grâce sur toute la création" puisque son âme, sous la conduite du Verbe, offre l'univers à Dieu comme sur un autel.
"En toutes choses faites eucharistie", lisons-nous dans la première Epître de St Paul aux Thessaloniciens (5, 18) : à l'Eucharistie en effet comme sacrement répond l'Eucharistie spiritualité, qui entraîne la métamorphose de tout l'être de l'homme. Ici, l'Esprit-Saint est impassiblement réparti et se communique en entier, et le pain eucharistique bénit tous ceux qui y participent. Les boiteux, les aveugles, les invalides sont invités au Repas mystique, à la Vie véritable ; les petits enfants, les malades, les avilis, les déchus sont invités aussi au Festin du Royaume. La Divine Liturgie est célébrée pour que les affamés soient rassasiés, pour que les assoiffés soient désaltérés, pour que ceux qui souffrent et qui pleurent soient consolés.
La liturgie des Fidèles
"Nous tous qui dans ce mystère représentons les chérubins…" Cet hymne qui nous introduit dans la liturgie des Fidèles ne supprime-t-il pas d'emblée l'opposition entre la réalité céleste et la réalité terrestre ; entre le temps et l'éternité et permet ainsi l'acceptation complète de chaque instant de notre existence tout comme le déroulement de l'ensemble de l'histoire humaine ? Toute vie liturgique est ce témoignage d'espérance par lequel les hommes ne s'opposent plus et ne se tourmentent plus. Si, à notre époque beaucoup ont perdu le sens même de Dieu, si pour eux la notion de la divinité est totalement "hors du jeu", n'est-ce pas parce qu'ils n'ont pas compris que toute célébration liturgique est à la fois éminemment sociale et ecclésiale ? La prière, la foi, l'amour, la charité cessent d'être "mien" et deviennent "nôtre" et la relation entière de l'homme avec Dieu devient relation de Dieu avec son peuple.
L a Divine Liturgie sauvegarde à tout moment la nature unifiée de l'homme par opposition à l'angoisse d'un bon nombre de nos contemporains, fortement tributaires des transformations scientifiques et philosophiques récentes, et qui font désormais très difficilement la distinction entre le naturel et le surnaturel, séparant ainsi volontiers leur âme de leur corps et leur esprit dé la matière.
La Seule Bonne Nouvelle
Mais que se passe-t-il quand, à la fin de la Divine Liturgie, nous sommes invités à nous retirer en paix ? Est-ce que notre participation au Mystère Eucharistique conduit vraiment à la transfiguration et au renouvellement de la création et de l'homme en Christ ? C'est en cela que réside pour nous la seule et vraie question.
Voyons les choses comme elles se présentent dans la réalité : il ne suffit pas de parler au monde pour le changer. Le monde au contraire a besoin d'une expérience de la Croix, d'une victoire héroïque de l'ascèse qui l'introduira dans la vraie dimension du Royaume à venir afin que soient déifiés, sanctifiés et l'espace et le temps. Et dans une telle vision, il ne peut y avoir de place pour un Evangile "dit simplement social". Malgré le lyrisme de tant de nos contemporains humanitaires, écrit un éminent représentant de notre Eglise en France, nous savons bien qu'il y a de la mort et de l'enfer dans l'homme, qu'il y a de la mort et qu'il y a de l'enfer entre les hommes. La seule nouvelle qui soit pour toute existence humaine bonne nouvelle, c'est le message des Apôtres devenu celui de l'Eglise : "CHRIST EST RESSUSCITE ! " Qu'on le reconnaisse ou non, aucune forme de la vie et de la culture n'échappe en effet à l'universalité de l'Incarnation. C'est pourquoi le Mystère de L'Eucharistie nous exhorte à toujours œuvrer non pas dans le sens d'adapter l'église à la mentalité du monde mais le monde d'aujourd'hui à la Vérité divine. Les Pères de l'Eglise, ne l'oublions pas, n'ont pas uniquement "gardé la foi", ils ont aussi durement travaillé afin que l'Eglise transforme et sauve le monde.
"Frères chrétiens, demandons à Dieu qu'Il nous donne de réunir tout ce qui est sur la terre et dans les cieux sous un seul chef le Christ" (Ep, 1, 10), afin que seul le Seigneur "soit tout à tous" (1 Co, 15, 28) ; car c'est par-là et par-là seulement que passera notre solidarité avec le monde et notre démonstration qu'existentiellement l'Eglise est bien le monde transfiguré.
Promenez la souris sur le dessin une "bulle" vous donnera le nom des différents objets de l'autel

AUTEL DE LA PROTHESE

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Message  Arlitto Lun 7 Mar 2016 - 15:07

L'HABILLEMENT ET LA PROSCOMIDIE

Pour commencer nous allons étudier tout ce qui s'accomplit depuis l'arrivée des célébrants dans l'église jusqu'au début de la liturgie de la Parole : Les prières des célébrants devant les Portes Saintes ; l'entrée des célébrants dans le Sanctuaire et le revêtement des habits sacerdotaux ; la préparation des dons appelée : Proscomidie.
Ces actes liturgiques revêtent souvent un aspect secret aux yeux des fidèles du fait qu'après les prières devant les Portes Saintes, ils se passent dans le sanctuaire les portes fermées. Cependant, ils font partie intégrante de la liturgie et il est important que les fidèles y participent par leur présence et leur recueillement.
1.- PRIERES DEVANT LES PORTES SAINTES ET ENTRÉE AU SANCTUAIRE
Après les prières dites à voix basse devant les Portes Saintes, le prêtre et le diacre vénèrent l'icône du Sauveur, puis celle de la Mère de Dieu et celles d'autres saints. Ils s'inclinent devant les fidèles en leur demandant pardon, afin de célébrer la liturgie le cœur en paix avec tous. En entrant dans le Sanctuaire ils disent J'entrerai dans ta maison, Vers ton saint temple j'adorerai, pénétré de ta crainte... (Ps. 5, 8.). Le prêtre baise l'Evangile et l'autel et se rend au diakonikon (à droite de l'autel) pour revêtir les vêtements sacerdotaux, ainsi que le diacre.
2.- L'HABILLEMENT
Par leur éclat et leur harmonie, les vêtements liturgiques participent à la beauté et à la solennité de l'Office et les paroles prononcées au moment où les célébrants les revêtent ont toutes une signification symbolique.
Pour le sticharion ou aube, longue tunique portée sur la soutane, le prêtre et le diacre disent les versets d'Isaïe : " Mon âme se réjouira dans le Seigneur, Car Il m'a couvert d'un vêtement de salut et Il m'a revêtu d'une tunique d'allégress e; comme un fiancé Il m'a orné d'un diadème et comme une fiancée Il m'a paré de beauté".
L'orarion pour le diacre, l'épitrachilion pour le prêtre symbolisent l'effusion de l'Esprit-Saint qu'ils reçoivent d'en haut. La ceinture (portée uniquement par l'évêque ou le prêtre, ainsi que les ornements suivants) est signe de la vigueur issue de la puissance divine qui fortifie celui qui la noue. Les surmanches rappellent que les mains du célébrant sont liées en signe d'obéissance à Dieu.
L'épigonation en forme de losange, porté sur la hanche, symbolise le glaive spirituel, rappelant le combat et la victoire sur la mort que le Christ a remportée. C'est une marque honorifique accordée à certains prêtres. Le phélonion recouvrant la poitrine et s'étendant en arrondi jusqu'aux pieds dans le dos, est le signe de la gloire qui enveloppe le prêtre. Pour l'évêque on ajoute l'omophore, la crosse, la mitre et la panaghia.
Les célébrants se lavent ensuite les mains en disant le psaume 25 (6?12) : "Je me laverai les mains parmi les innocents, et je ferai le tour de ton autel, Seigneur, afin d'entendre le son de la louange et de raconter toutes tes merveilles..."

3.- LA PROSCOMIDIE
Puis ils se rendent à la table de Préparation appelée prothèse, située à gauche de l'autel. C'est une petite table carrée sur laquelle se trouve un cierge et tous les objets nécessaires à la célébration de la Sainte Eucharistie. Cet Office de la proscomidie est donc la préparation des saints dons destinés au sacrifice, nous rappelant le sacrifice unique du Christ par l'offrande qu'il a faite de Sa vie.
Le diacre allume le cierge, il dépose les offrandes du pain et du vin sur la table, en souvenir du dernier repas du Christ, la Sainte Cène, et en remerciements ou action de grâce (Eucharistie) pour le sacrifice du Christ. Le pain se présente soit sous forme ronde d'une seule et grande prosphore portant cinq empreintes, soit sous la forme de cinq prosphores avec sur chacune d'elles une empreinte en forme de croix entre les branches de laquelle sont inscrites des lettres qui signifient " Jésus-Christ vainqueur ". Des parcelles de chacune de ces prosphores vont maintenant être disposées sur la patène. La figure nous montre l'ensemble de ce qui se trouve sur la patène à la fin de la proscomidie. La parcelle cubique au centre a d'abord été découpée par le prêtre avec la lance, elle est appelée Agneau, car le Christ a été immolé comme un agneau, nous rappelant ainsi l'agneau Pascal de l'Ancien Testament, et les prophéties d'Isaïe annonçant le Serviteur souffrant. Ce sont d'ailleurs des versets de ce prophète que le prêtre prononce au moment où il incise la prosphore autour de l'empreinte.
En faisant chacune des quatre incisions avec la lance il dit ceci : "Comme une brebis il a été mené à l'immolation. Et comme un agneau sans tache, muet devant celui qui le tond, ainsi Il n'ouvre pas la bouche. Dans son humiliation son jugement a été rendu. Qui racontera sa génération ?"
L'Agneau détaché et déposé à l'envers, c'est-à-dire l'empreinte en-dessous sur la patène, le prêtre l'incise profondément sans le rompre complètement, afin de préparer la fraction du pain, en quatre parts, avant la communion.
Il prononce ces paroles : "Il est immolé, l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde pour la vie et le salut du monde."
Il retourne ensuite la parcelle et la perce du côté droit en disant : "L'un des soldats lui transperça le côté de sa lance, et aussitôt il en jaillit du sang et de l'eau. Et celui qui l'a vu en a rendu témoignage et son témoignage est véridique." (Jn 19, 34-35).
Ce rite et ces paroles font mémoire du coup de lance dans le côté du Christ crucifié, d'où jaillit du sang et de l'eau, et explique ainsi le mélange de vin et d'eau que le prêtre à présent bénit, avant de le verser dans le calice. Vient ensuite la préparation des parcelles de commémoration que le prêtre va prélever sur les autres prosphores et les disposer autour de l'Agneau, selon un ordre rigoureux.
Sur la deuxième prosphore, le prêtre découpe une parcelle en forme de triangle, en l'honneur de la Mère de Dieu et la place à la droite de l'Agneau en disant :
"A ta droite se tient la Reine, en vêtements tissés d'or, parée de couleurs variées." (Ps 44, 10).
Sur la troisième prosphore, le prêtre prélève neuf parcelles qu'il dispose en trois rangées à gauche de l'Agneau. Il mentionne dans l'ordre la mémoire des saints Anges, des saints Archanges Michel et Gabriel et de toutes les puissances célestes et incorporelles, de saint Jean le Précurseur, des Prophètes, des Apôtres, des saints Hiérarques, de tous les saints et saintes martyrs, des saints thaumaturges et anargyres (guérisseurs), des saints justes et ancêtres de Dieu, de saint Jean Chrysostome (quand c'est sa Liturgie qui est célébrée), et de tous les saints.
La quatrième parcelle est destinée à la commémoration des vivants. Le prêtre mentionne d'abord le patriarche et l'évêque dont il relève, puis le clergé et les fidèles. Il ajoute sur cette ligne une parcelle qu'il a découpée des prosphores apportées par les fidèles, tandis qu'il lit les noms de ceux qui sont inscrits sur la liste des dyptiques.
Les dyptiques sont des feuillets ou des carnets en tête desquels sont inscrites ces phrases :
Pour les vivants : "Pour la santé et le repos des serviteurs de Dieu."
Pour les défunts : "Pour le repos des âmes des serviteurs de Dieu "
Les fidèles inscrivent le nom des personnes qu'ils veulent commémorer.
La cinquième prosphore est destinée aux défunts auxquels s'ajoutent les fondateurs de l'église ou du monastère où la Liturgie est célébrée.
Le prêtre termine en ajoutant sur la ligne des vivants une parcelle à sa propre intention. Tous les gestes décrits précédemment sont accompagnés de prières que le prêtre prononce à mi-voix.
Ainsi se trouve figurée sur la patène toute l'Eglise rassemblée autour de l'Agneau l'Assemblée des fidèles de tous les temps, les saints et les pécheurs, les vivants et les morts, toute l'Eglise invisible et visible, que l'on nomme la communion des saints.
Puis le diacre présente au prêtre l'encensoir afin qu'il le bénisse. "Nous t'offrons cet encens, Christ notre Dieu, comme un parfum de spirituelle suavité ; l'ayant reçu sur ton autel céleste, envoie-nous en retour la grâce de ton Saint-Esprit."
Le prêtre prend l'astérisque, et après l'avoir encensé le place sur la patène en disant : "Et l'étoile vint et se plaça au-dessus de l'endroit où était l'Enfant." (Matth. 1, 9).
Tout comme l'autel devient la grotte de Bethléem, l'astérisque représente symboliquement l'étoile brillant au-dessus du Nouveau-Né, et le discos (partie supérieure de la patène) figure la crèche dans laquelle est étendu L'Enfant. En effet l'ensemble de la proscomidie concerne également de manière symbolique le début de la vie terrestre de Jésus.
Ensuite le prêtre recouvre la patène avec son voile ainsi que le calice, et sur les deux réunis pose le grand voile appelé aër. Après avoir encensé par trois fois la table de préparation, le prêtre dit une prière pour les dons qui sont offerts et donne le renvoi de la proscomidie : "Que celui qui est ressuscité des morts, le Christ notre vrai Dieu, par les prières de Sa Sainte Mère toute pure, de notre Père parmi les saints Jean Chrysostome, archevêque de Constantinople, et de tous les saints, aie pitié de nous et nous sauve, car Il est bon et ami des hommes."
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