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Religion et Philosophie

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Message  Arlitto Jeu 09 Juin 2016, 00:11

Rappel du premier message :

Religion et Philosophie


Religion & philosophie

On a suffisamment remarqué que la religion1 et la philosophie peuvent être rapprochées, notamment par les questions communes qu’elles se posent : celles de la place de l’homme dans la nature, du bien et du mal, et d’autres encore. En outre, quelques théologiens ont “emprunté” aux philosophes certains de leurs concepts et de leurs formes de raisonnement, comme saint Thomas d’Aquin à Aristote. La réciproque existe également, par exemple dans le concept philosophique de Dieu. Enfin, nombre de philosophes se sont réclamés ou se réclament d’une religion particulière. Ce sont là quelques unes des raisons de se demander si une philosophie peut être religieuse ou si une religion peut être philosophique2. Bien que la réponse soit évidemment positive pour beaucoup, nous tenterons de montrer ici que la religion comme la philosophie ne peuvent que se perdre elles-mêmes, c’est-à-dire renoncer à ce qui les caractérise respectivement, dans une telle “union”.

Pour étayer notre réponse, il nous faudra pour commencer déterminer quelques unes des propriétés spécifiques de la religion d’une part, de la philosophie d’autre part.



1. Considérations générales sur la religion et la philosophie

Il semble que la notion de révélation soit la première spécificité de la religion au sens habituel du terme – celui, précisément, de religion révélée3 –, dans la mesure où elle est la condition même de la possibilité d’une religion : aucune ne prétend en effet être une émanation de l’homme seul ; il faut donc qu’un principe extérieur à l’humanité soit en mesure de transmettre à celle-ci, quelle qu’en soit la manière, ce qui définira la religion en question. C’est cette transmission que nous appelons ici révélation.

Quant au principe lui-même, les cas du Bouddhisme et de quelques autres religions orientales suffisent à empêcher qu’on le définisse par le terme de divinité : il y a des religions sans dieu. Mais ces cas ne sont pas vraiment gênants, car on peut se référer plus largement à la notion de sacré ; la religion est alors ce qui met l’homme en rapport avec le sacré4. On peut ajouter que le sacré, bien qu’il se réfère, selon les religions, à des actions, des choses ou des entités fort diverses, doit être caractérisé dans chaque religion comme un absolu. Autrement dit, la sacralités de ce qui est sacré ne peut pas, à l’intérieur d’une religion donnée, être discutée, remise en cause ou a fortiori niée5. Il y a plus encore : l’affirmation de la sacralité de ce qui est sacré se présente comme le fondement de la religion concernée6, fondement qui, justement parce qu’il est indiscutable, n’a pas à être expliqué. Et dans tous les cas, les éventuelles “justifications” théologiques de ce fondement n’appartiennent pas en propre à la religion concernée. Nous voulons dire par là que premièrement, elles sont toujours développées a posteriori, et bien souvent dans un but plus didactique que véritablement religieux. Deuxièmement et en conséquence, elles sont au bout du compte facultatives, au sens où leur absence n’affaiblirait pas la religion en elle-même. Troisièmement, elles sont inutiles pour l’authentique croyant dont la foi n’a nul besoin d’explication. On peut même, d’un certain point de vue, les considérer comme nuisibles pour cette religion, dans la mesure où elles paraissent sous-entendre que le fondement de la religion en question ne va pas de soi. Autrement dit, les justifications rationnelles d’une religion prennent toujours le risque d’être perçues comme des aveux de faiblesse d’une doctrine qui aurait besoin de “se justifier”, au sens péjoratif de l’expression.



Que dire, dès lors, de la philosophie ? Pas plus que pour la religion, nous ne chercherons à la définir mais, ce qui sera ici suffisant, à la caractériser. Il semble que l’on peut dire de la philosophie l’exact opposé de ce qui vient d’être dit de la religion. Reprenons les points l’un après l’autre.

La seule idée de révélation rendra a priori le philosophe, au mieux, perplexe. Que pourrait en dire en effet la raison, pierre de touche de la recevabilité d’une argumentation philosophique ? Descartes ne s’y est pas trompé : « Je révérais notre théologie, et prétendais, autant qu’un autre, à gagner le ciel ; mais ayant appris, comme chose très assurée, que le chemin n’en est pas moins ouvert aux plus ignorants qu’aux plus doctes, et que les vérités révélées, qui y conduisent, sont au-dessus de notre intelligence, je n’eusse osé les soumettre à la faiblesse de mes raisonnements, et je pensais que, pour entreprendre de les examiner, et y réussir, il était besoin d’avoir quelque extraordinaire assistance du ciel, et d’être plus qu’homme. »7 Notons que ces lignes ne contredisent en rien les textes où le même Descartes traite de Dieu, des preuves de son existence, de sa nature, et ainsi de suite, par exemple dans les Méditations, puisqu’il ne s’agit pas alors de vérités révélées, mais bien de vérités rationnelles, donc accessibles au philosophe. Autrement dit, la religion et indirectement le passage ci-dessus traitent du “Dieu des religions”, alors que c’est du “Dieu des philosophes” que Descartes affirme certaines propriétés.

Prenant un exemple de vérité révélée, Spinoza va plus loin : « Quand certaines Églises ajoutent que Dieu a pris une forme humaine, j’ai expressément averti que je ne sais pas ce qu’elles veulent dire ; et même, à dire vrai, affirmer cela ne me paraît pas moins absurde que de dire que le cercle a pris la forme d’un carré. »8

D’une manière générale, nul ne saurait nier que, souvent, les “vérités révélées” déconcertent, pour ne pas dire plus, la raison. Cela ne signifie pas pour autant que, pour cette seule raison, le philosophe doive les rejeter inconditionnellement. Un tel rejet ne se justifie que pour un certain courant philosophique, à savoir le rationalisme9. Mais pour accepter positivement l’idée qu’une révélation, tout en étant manifestement irrationnelle, est source de vérité, il faudra franchir un pas qui, d’après nous, fait sortir de la philosophie. Le philosophe le plus “ouvert” aux religions ne peut donc qu’être réservé quant à l’idée même de révélation. Comment d’ailleurs choisirait-il entre les diverses religions ? Le philosophe ne peut, comme le font la quasi-totalité des croyants, adopter une religion uniquement en fonction de la société à laquelle il appartient par sa naissance et par son éducation10.

Concernant le contenu des dogmes eux-mêmes, le philosophe devra selon nous adopter la même prudence. On peut sans doute s’entendre pour considérer qu’en aucun cas le philosophe n’acceptera une “vérité” qui, sans être évidente en elle-même, ne s’accompagne d’aucune justification théorique. Or nous avons remarqué précédemment que le fondement d’une religion n’est précisément jamais justifié a priori ; quand il l’est a posteriori, ce ne peut donc être que par une personne qui l’a au préalable admis sans une telle justification. Comment le philosophe pourrait-il avaliser cette admission ? Comment pourrait-il ne pas dénoncer la justification a posteriori comme une imposture visant à légitimer philosophiquement une prise de position qui ne fut pas, au départ, philosophique ? Le fondement d’une philosophie ne saurait être lui-même extérieur à la philosophie. Or la religion, et elle s’en félicite, trouve son principe hors de l’humanité, donc hors de la philosophie. Nous reviendrons sur ce point dans la troisième partie de cette étude.

De même, le philosophe ne pourra pas ne pas trouver contraire à la philosophie le refus de remettre en cause ou même seulement de “discuter” de certains dogmes, et singulièrement l’affirmation de la sacralité. On objectera peut-être que les philosophes eux-mêmes considèrent parfois certaines de leurs “vérités” comme indiscutables, sans qu’on leur refuse pour cela le titre de philosophe. La différence, de taille, est que le philosophe produira toujours, même lorsqu’il prétend énoncer une vérité indiscutable, une justification théorique l’accompagnant – ne serait-ce que l’affirmation de son évidence rationnelle, qui ne saurait sérieusement valoir pour les vérités révélées. De plus, il ne refusera jamais de répondre à une éventuelle objection11, pour peu qu’elle soit philosophiquement intelligible, et ne menacera aucun contestataire des flammes de l’enfer.

On peut donc conclure que sans justification théorique, une proposition, quelle qu’elle soit, ne peut prétendre être philosophique. Autrement dit, le sens et la valeur de la philosophie ne résident pas moins dans l’argumentation des thèses que dans les thèses elles-mêmes, ce qui ne saurait raisonnablement se dire de quelque religion que ce soit.



Plus généralement, on pourrait dire que, si la religion est acceptée, elle rend la philosophie, pour une importante partie, inutile. En effet, certains dogmes religieux peuvent être considérés comme des réponses non philosophiques à des questions que se posent aussi les philosophes. Aussi le philosophe qui cherche à répondre, philosophiquement, à ces mêmes questions, entreprend-il une tâche ridicule du point de vue de la religion : sans pouvoir se targuer de la même “infaillibilité” que les religions, car la philosophie n’est qu’humaine – trop humaine ? –, il va chercher des réponses peu fiables – et, de fait, ses “collègues” philosophes ne se priveront pas de les critiquer – alors qu’il en existe déjà, et de beaucoup plus sûres, puisque d’essence bien souvent divine, et en tous cas non sujettes à la faillibilité humaine. Il ne restera donc au philosophe qu’à s’occuper de domaines que la religion a bien voulu négliger, car ne touchant manifestement pas, selon elle, au “salut” de l’homme : l’épistémologie ou l’esthétique par exemple. Mais pour les questions de métaphysique, d’éthique, d’anthropologie au sens large et parfois de politique, le débat doit être considéré, du point de vue religieux, comme clos. A l’opposé, on peut considérer que, du point de vue du philosophe, les questions philosophiques n’ont pour lui de raison d’être que s’il estime qu’elles n’ont pas encore reçu de réponse complète et définitive, émanant d’une religion quelconque, d’un autre philosophe ou de quelque autre source que ce soit. C’est seulement en acceptant cette “vacuité” que la philosophie a un sens.

Au fond, et on le verra mieux dans les deux cas précis étudiés ci-après, pour les philosophes religieux, la philosophie ne peut servir qu’à “redécouvrir” par la raison ce que la foi, par le biais de la révélation, a déjà enseigné. Cette conception de la philosophie comme « servante de la théologie », héritée du Moyen-Âge, ne peut pas disparaître si l’on admet, avant de philosopher, la vérité d’une religion. Et, même si l’on fait mine de se défendre d’adopter une telle conception, on voit mal comment il en serait autrement : « la vérité ne peut contredire la vérité », et si une vérité est admise au préalable – la vérité religieuse –, on sait déjà, avant même de commencer à philosopher, que la deuxième – la vérité philosophique – sera identique à la première ou au moins compatible avec elle ; il reste seulement à trouver des arguments philosophiques pour appuyer cette vérité unique, mais à deux visages. C’est par exemple la position de Jean-Paul II qui ouvre ainsi l’encyclique Fides et ratio : « La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité »12. Mais si la métaphore est juste, les deux ailes doivent nécessairement voler de manière concordante. Le chemin et le but étant bien sûr déterminés, dès l’envol, par l’aile de la foi, l’aile de la raison n’a plus qu’à s’y plier…

On pourrait ici nous faire l’objection suivante : certes, si la religion est admise avant que la réflexion philosophique soit engagée, les jeux sont faits, et la philosophie n’en sera pas vraiment une, puisque sa fin, dans les deux sens du terme, est déjà connue, et surtout a été déterminée de l’extérieur de la philosophie. Mais qu’est-ce qui empêche un philosophe de découvrir au préalable, par la philosophie, des vérités dont il remarquera ensuite la conformité avec une religion donnée, adoptant ainsi cette dernière après, et non avant, la naissance de sa réflexion philosophique ? Nous ne pouvons ici qu’acquiescer sur le plan théorique. Si un tel itinéraire de pensée existait, c’est sans hésitation que nous lui accorderions le statut de philosophie. Deux remarques s’imposent toutefois :

–      Premièrement, nous ne pouvons manquer de signaler l’extrême difficulté théorique d’un tel cheminement, ainsi que l’impossibilité pratique de vérifier l’ordre de ses étapes, telles qu’elles ont été décrites ci-dessus. Il est en effet indéniable que, dans la quasi-totalité des cas, la religion apparaît bien avant la philosophie dans l’existence d’un individu. Lorsque l’esprit de l’adolescent est suffisamment mûr pour philosopher, la religion y est souvent déjà présente depuis bien longtemps. Il est vrai que certains ont su se dégager de l’influence de l’éducation religieuse qu’ils ont reçue. Mais on voit bien que, sauf exception rarissime, c’est toujours la religion qui précède la philosophie dans l’histoire d’un homme. De qui peut-on donc affirmer qu’il a “redécouvert” dans la religion ce qu’il avait découvert dans la philosophie ?

–      Deuxièmement, même si une philosophie parvenait à justifier philosophiquement tous les dogmes voire toutes les pratiques d’une religion donnée, cette philosophie n’aurait qu’une conformité extérieure et même fortuite avec cette religion, puisque la seule justification véritable d’une religion est la révélation et que celle-ci est, par définition, hors de portée de toute justification philosophique. Autrement dit, une telle philosophie ne serait pas vraiment religieuse.



Il faut à présent confronter les analyses générales qui précèdent à des cas concrets qui pourraient sembler les invalider. En premier lieu, pour “tester” notre thèse selon laquelle il ne peut exister de philosophie religieuse, nous étudierons les textes de deux philosophes en accord avec une certaine religion (en l’occurrence le Christianisme). En second lieu, pour vérifier qu’une religion philosophique est impossible, notre attention se portera sur religion particulière dont certains affirment le caractère philosophique.

Une remarque méthodologique s’impose ici. Des exemples, aussi nombreux soient-ils, ne constituent pas des preuves en eux-mêmes. Ils ne jouent ici qu’un rôle d’illustration, en vue de rendre concrète notre thèse.



2. Les philosophies de Leibniz et de Kant sont-elles des philosophies religieuses ?

Les “philosophies religieuses” que nous allons maintenant étudier sont celles de Leibniz et de Kant13. Nous ne prétendons pas ici livrer une analyse intégrale de la philosophie de la religion de ces auteurs, mais seulement indiquer le ou les moments où, selon nous, ils ont “glissé” de l’intérieur à l’extérieur de la philosophie pour tenter de justifier leur croyance religieuse. Un passage du début du Discours de métaphysique de Leibniz suffira à montrer ce que nous considérons comme une “sortie injustifiée” hors de la philosophie, injustifiée en ceci seulement qu’elle prétend prendre place dans une argumentation philosophique, tant dans le problème étudié que dans la méthode adoptée. Cela signifie que, en dehors de son activité philosophique, un philosophe peut fort bien écrire des textes exposant des vérités révélées – ou de la littérature, ou quoi que ce soit… –, à condition qu’il n’affirme ni ne sous-entende qu’il s’agit là de textes philosophiques ; or c’est précisément le cas de l’ouvrage évoqué ici, comme l’indique clairement son titre.

Après avoir défini Dieu comme étant « un être absolument parfait » et expliqué ce qu’on doit entendre par le concept de perfection, Leibniz conclut « que Dieu possédant la sagesse suprême et infinie agit de la manière la plus parfaite » et « que plus on sera éclairé et informé des ouvrages de Dieu, plus on sera disposé à les trouver excellents et entièrement satisfaisants à tout ce qu’on aurait pu souhaiter. » Bien qu’il y ait dans ces lignes matière à de nombreuses objections, nous sommes ici dans la philosophie, précisément parce que ces objections peuvent être elles-mêmes de nature philosophique. Il nous semble en revanche que Leibniz sort de la philosophie lorsqu’il écrit :

« Ainsi, je suis fort éloigné du sentiment de ceux qui soutiennent qu’il n’y a point de règle de bonté et de perfection dans la nature des choses, ou dans les idées que Dieu en a et que les ouvrages de Dieu ne sont bons que pour cette raison formelle que Dieu les a faits. Car si cela était, Dieu sachant qu’il en est l’auteur n’avait que faire de les regarder par après et de les trouver bons, comme le témoigne la sainte écriture. »14

L’importance de l’argument de l’autorité biblique est ici prépondérante : Dieu a regardé ses ouvrages et les a trouvés bons, car c’est ce qu’affirment l’écriture, qualifiée de “sainte” sans justification. Or il nous semble que le philosophe n’est pas tenu de croire a priori en la divinité de l’origine des Écritures. Mais, une fois admise l’autorité de la Bible, le passage ci-dessus ne se prête à aucune objection philosophique : dès lors, il est en quelque sorte “infalsifiable” au sens que Popper donne à ce terme. Aucun débat philosophique n’est plus possible. Le raisonnement de Leibniz, entièrement explicité, est en effet le suivant :

1.    La Bible a été inspirée par Dieu.

2.    Or Dieu possède toutes les perfections morales, dont celle d’être vérace.

3.    Donc la Bible dit la vérité.

4.    Or la Bible dit que Dieu, après avoir créé certaines de ses œuvres, vit qu’elles étaient bonnes (par exemple : « Dieu dit : “Que les eaux qui sont sous le ciel s’amassent en une seule masse et qu’apparaisse le continent” et il en fut ainsi. Dieu appela le continent “Terre” et la masse des eaux “mers”, et Dieu vit que cela était bon. »15)

5.    Donc Dieu a pu constater, ou plus précisément “vérifier”, la bonté de ses œuvres en les regardant.

6.    Donc les choses sont bonnes intrinsèquement, c’est-à-dire que la bonté est en elles-mêmes, et non pas extrinsèquement, c’est-à-dire seulement parce que Dieu en est l’auteur ou la cause.

On peut indifféremment inverser l’ordre des propositions 1. et 2. Il reste que la divinité des Écritures est un pilier de cette démonstration, et donc que sa remise en cause implique celle de tout le raisonnement. Or il semble clair que l’affirmation « La Bible a été inspirée par Dieu » n’est pas et ne peut pas être une thèse philosophique16, c’est-à-dire une affirmation susceptible d’être fondée et contredite par des arguments philosophiques – si du moins on se réfère au sens que Leibniz donne ici au mot “Dieu”, c’est-à-dire au sens religieux.

Nous affirmons donc que le raisonnement de Leibniz extrait du Discours de métaphysique n’est pas, par son fondement, philosophique, et plus généralement que tout système de pensée fondé sur une quelconque révélation, sans que la raison vienne justifier ce fondement17, ne saurait être qualifié de philosophie.

Pour Spinoza en revanche, la question de la divinité des Écritures peut se poser en termes philosophiques, mais en donnant au concept de Dieu un sens qui n’est assurément pas le sens religieux. Lorsqu’il écrit en effet : « (…) la plupart, en vue de comprendre l’Écriture et d’en dégager le vrai sens, posent pour commencer la divine vérité de son texte intégral. (Alors que cette conclusion devrait découler d’un examen sévère de son contenu.) »18, il est clair que l’expression « divine vérité » est quasiment, sous sa plume, un pléonasme, et donc que c’est en examinant le texte biblique lui-même que l’on pourra conclure qu’il dit la vérité – ou non –, et donc qu’il exprime la “divine vérité”. Pour Leibniz, la Bible dit vrai parce que Dieu en est l’auteur19 ; c’est du moins ce qu’on peut supposer en l’absence de toute autre justification.



Dans La religion dans les limites de la simple raison, Kant va tenter de montrer que le Christianisme n’est pas seulement un « religion révélée », étant apparue à une époque et un endroit précis, mais également une « religion naturelle », c’est-à-dire, en droit, universelle et mondiale : chaque homme, quelles que soient son époque et sa société, et pour autant qu’il soit doué de raison, peut reconnaître que les principes moraux enseignés par le Christianisme sont identiques à ceux que sa raison pratique lui dicte. Pour démontrer cette identité, Kant va se livrer à une exégèse détaillée du Sermon sur la montagne20, texte qui contient d’après lui l’essentiel des préceptes moraux du Christianisme. Ce que Kant relève notamment dans le Sermon, c’est qu’il enjoint de suivre l’esprit de la loi plutôt que la lettre. On retrouve ici la distinction faite par Kant dans les Fondements de la métaphysique des mœurs entre “agir par devoir” et “agir conformément au devoir”. Ainsi du fameux passage :

« Vous avez entendu qu’il a été dit : “Tu ne commettras pas l’adultère”. Eh bien ! Moi je vous dis : quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l’adultère avec elle. »21

Kant comprend ces versets comme dénonçant l’hypocrisie d’une conduite extérieure ou plus précisément physique, seulement conforme extérieurement à l’interdiction de l’adultère22 – consistant à ne pas commettre l’acte de l’adultère –, et qui l’enfreint néanmoins si le désir est bien réel. Plus généralement, Kant rappelle que l’enseignement du Christ n’est pas supposé être différent de la loi hébraïque23, mais qu’il a interprété la Loi pour montrer sa conformité à la raison pratique : « Car au pied de la lettre, la loi autorisait exactement le contraire »24 de ce qu’autorise l’interprétation du Christ, dit Kant.

Remarquons que pour parvenir à la conviction que la Bible est en conformité avec la raison pratique, il a fallu tout d’abord que le Christ interprète la loi hébraïque, c’est-à-dire qu’il en révèle l’esprit en la débarrassant d’une lecture « au pied de la lettre », puis que Kant lui-même interprète les paroles du Christ pour montrer qu’elles ne sont qu’une autre formulation, sans doute plus accessible au plus grand nombre, de la loi morale prise en elle-même, énoncée en termes philosophiques.

C’est donc au prix de deux interprétations successives – celle de la loi hébraïque par le Christ puis celle des paroles du Christ par Kant – que l’on parvient à montrer la conformité de l’enseignement biblique avec la raison pratique. Et c’est bien là la première objection que l’on peut faire à Kant : une religion naturelle étant universelle, tout homme doit pouvoir accéder aux vérités qu’elle enseigne. S’il est déjà déconcertant que Dieu transmette aux hommes un texte énonçant une loi morale qu’il a, de toute façon, “inscrite” en tout homme possédant la raison pratique, il est encore plus étonnant que ce texte doive dans certains cas – l’Ancien Testament – “subir” tour à tour deux interprétations, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles ne vont pas de soi25, pour au bout du compte énoncer ce que tous savaient déjà avant ! Si l’on ajoute que le texte d’origine, supposé être inspiré par Dieu, enseigne selon Kant lui-même des choses opposées selon qu’on le prend à la lettre ou qu’on en dégage l’esprit, on comprend difficilement la valeur et la légitimité d’un tel texte. Kant ne cherche-t-il pas plutôt à “asseoir” la légitimité de sa philosophie morale sur l’autorité du Christianisme ? Sur le plan philosophique, qu’importe après tout que la “vraie” morale, que Kant prétend enseigner, soit ou non celle d’une religion institutionnelle, fût-ce la religion dominante ?

On peut également contester la prééminence et même l’exclusivité que Kant accorde au Christianisme en matière de morale : « Mais, suivant la religion morale (et parmi toutes les religions publiques qu’il y eut jamais, seule la religion chrétienne a ce caractère) … »26 Cette affirmation, écrite entre parenthèses, comme semblant si peu contestable qu’elle se passe de justification, a évidemment de quoi choquer par son intolérance. Mais elle déconcerte également celui qui a pris note du fait que le Christianisme n’enseigne en fin de compte rien de plus que le Judaïsme. Si le Christ, selon ses propres paroles, vient pour accomplir la Loi et les Prophètes27, c’est bien qu’il n’y a aucune différence de fond entre le Judaïsme et le Christianisme28. Si différence il y a, ce ne peut pas être une différence telle que le second serait une, ou plutôt “la” religion morale, ce que ne serait pas le premier ! Plus précisément, pour Kant, si le Judaïsme n’est pas une religion morale, c’est parce que, comme toutes les religions sauf le Christianisme, il comporte en lui la recherche des faveurs divines. 

Cette délicate question tourne plus ou moins directement autour de ce qu’on appelle la morale de la rétribution, c’est-à-dire une morale qui affirme que les pieux et les justes sont récompensés et que les impies et les méchants sont punis. S’il est incontestable que la Bible hébraïque enseigne parfois une telle morale29, des livres comme ceux de Job30 et de l’Ecclésiaste la condamnent catégoriquement31 – ce dont Kant ne tient pas compte – en remarquant que le juste subit parfois des maux “naturels”, donc d’origine divine, et que la fortune sourit parfois au méchant. Chacun est alors invité à s’en remettre à la sagesse divine sans chercher à en percer les desseins.

Supposons toutefois que cette immoralité du Judaïsme soit fondée ce qui, on le voit, ne va pas de soi. Le plus paradoxal est encore que Kant, en critiquant indirectement la morale juive, condamne nécessairement la Bible hébraïque, où la morale de la rétribution apparaît effectivement. Or cette Bible hébraïque est, quelques différences infimes mises à part, reprise par le Christianisme à son propre compte sous le nom d’Ancien Testament. La recherche des faveurs est-elle présente ou absente des mêmes textes, selon qu’ils sont lus par les Juifs ou par les Chrétiens ? Il y a là encore, semble-t-il, une très forte partialité de Kant en faveur du Christianisme, partialité qu’une véritable neutralité philosophique a priori aurait rendue, selon nous, impossible. Nous affirmons bien que cette neutralité devrait exister a priori, sans qu’elle doive nécessairement se prolonger a posteriori. Mais Kant ne justifie par aucun argument philosophique la suprématie du Christianisme dans le domaine morale. On pourrait d’ailleurs remarquer que le Nouveau Testament n’est pas non plus exempt de passages exprimant une morale de la rétribution32, ce que Kant, là encore, passe sous silence.

Dans la même logique, il écrit : « Il n’existe qu’une religion (vraie) »33. Mais comment le Christianisme pourrait-il être la vraie religion s’il est, selon les paroles de Jésus lui-même, l’accomplissement d’une fausse religion, en l’occurrence le Judaïsme ?

Enfin34, Kant nous semble également faire preuve d’une précipitation suspecte et fort peu philosophique lorsqu’il écrit : « J’admets premièrement la proposition suivante, comme principe n’ayant pas besoin de preuve : Tout ce que l’homme pense pouvoir faire, hormis la bonne conduite, pour se rendre agréable à Dieu est simplement illusion religieuse et faux culte de Dieu »35. Non pas que nous pensions, le lecteur l’aura compris, que bien d’autres comportements sont susceptibles de plaire à Dieu ; mais ce qui est ici affirmé presque explicitement, c’est que la bonne conduite d’un homme le rend agréable à Dieu. Voilà certes une proposition qui aurait selon nous besoin de preuve, si cela était possible. A vrai dire, il peut sembler au contraire que l’idée d’un Dieu sensible aux comportements humains a quelque chose d’irrespectueux, pour ne pas dire d’hérétique, à moins d’affirmer que Kant utilise un langage anthropomorphique, ce que rien ne laisse supposer.

Bien d’autres remarques seraient possibles pour confirmer, avec celles qui précèdent, que Kant fait reposer sa philosophie morale sur un fondement non philosophique, mais bel et bien religieux a priori, donc non argumenté rationnellement.



3. Le Catholicisme est-il une religion philosophique ?

Nous allons à présent examiner un cas de religion prétendant ou pouvant prétendre être philosophique. Si nous choisissons le Catholicisme, ce n’est pas essentiellement parce qu’il est la religion plus répandue dans nos sociétés dites latines, mais surtout parce qu’il s’est doté d’une théologie plus “systématique” que d’autres religions, à la fois par sa “fréquentation” de la philosophie occidentale et par sa structure très hiérarchisée, qui ont permis l’établissement d’une doctrine unifiée et officielle, à l’abri, normalement, de toute contestation interne, ce qui facilite d’ailleurs grandement la recherche des références.

Quelques remarques préalables s’imposent toutefois. Nous avons déjà évoqué l’idée selon laquelle le fondement d’une philosophie ne saurait être “extra-philosophique”. C’est pourquoi la manière dont débute une philosophie est capitale. Notons que ce “début” n’est pas forcément – et, dans les faits, n’est que rarement – premier chronologiquement dans l’œuvre d’un philosophe. Ainsi le doute radical de Descartes est bien le début “logique” de sa philosophie sans apparaître dans ses premières œuvres. Si certains philosophes semblent ne pas s’être particulièrement souciés de ce “début philosophique”, ce ne peut être que parce qu’ils considèrent qu’il n’y a pas à proprement parler à fonder la philosophie, ou encore parce que toute réflexion philosophique peut servir de fondement à la philosophie.

Il ne saurait en aller de même dans une religion, dont le point de départ, à savoir la révélation, est toujours extérieur à la raison et même, plus largement, à l’homme. En fait, nous avons déjà rencontré ce cas de figure dans les textes de Leibniz et de Kant étudiés plus haut, dont nous avons montré qu’ils s’appuyaient sur des données spécifiquement religieuses, donc impossibles à argumenter philosophiquement.

Nous allons retrouver cette extériorité dans le fondement du Catholicisme : « Au point de départ de toute réflexion que l’Église entreprend, il y a la conscience d’être dépositaire d’un message qui a son origine en Dieu même (…). La connaissance qu’elle propose à l’homme ne vient pas de sa propre spéculation, fût-ce la plus élevée, mais du fait d’avoir accueilli la parole de Dieu dans la foi »36. Les choses sont donc claires : les vérités religieuses, auxquelles les hommes peuvent accéder par la révélation, préexistent à toute réflexion humaine. En raison de leur origine divine, elles sont infaillibles. Avant même d’inaugurer la moindre réflexion, le philosophe catholique sait donc vers quoi doit tendre sa philosophie. Celle-ci n’a par conséquent qu’un rôle secondaire de confirmation a posteriori de “vérités” admises comme vraies avant toute intervention de la raison philosophique. C’est donc en toute logique que Jean-Paul II écrit : « L’Église, pour sa part, ne peut qu’apprécier les efforts de la raison pour atteindre des objectifs qui rendent l’existence personnelle toujours plus digne. Elle voit en effet dans la philosophie le moyen de connaître des vérités fondamentales concernant l’existence de l’homme. En même temps, elle considère la philosophie comme une aide indispensable pour approfondir l’intelligence de la foi et pour communiquer la vérité de l’Évangile à ceux qui ne la connaissent pas encore »37. Ce que nous considérons comme contraire à la philosophie dans ces lignes, ce n’est pas, encore une fois, la position elle-même, c’est-à-dire la fonction “évangélisatrice” assignée à la philosophie, mais le fait que cette position soit assignée de l’extérieur de la philosophie, c’est-à-dire sans argumentation rationnelle. Dans la même logique, le pape condamne au terme de son encyclique un certain nombre de courants de pensée : l’éclectisme, l’historicisme, le scientisme, le pragmatisme et le nihilisme38. Ces doctrines sont considérées à la fois comme des « erreurs » et des « dangers ». C’est dire qu’il aurait mieux valu qu’elles ne soient jamais formulées. On ne peut là encore que refuser de qualifier de philosophie une pensée qui se voudrait sans “adversaire”, même intellectuel ; nous estimons en effet que l’esprit critique et l’ouverture à la contestation doivent être des soucis constants du philosophe, conscient qu’il est, et ne peut qu’être, de ne pouvoir se prévaloir d’aucune infaillibilité. Autrement dit, le philosophe a philosophiquement intérêt à être contesté, afin de tester la validité de sa pensée. Au contraire, une doctrine d’origine “surhumaine” ne peut avoir, envers une contestation humaine, qu’une attitude de commisération, d’indifférence, de mépris ou de violence, mais pas véritablement, on ne le voit que trop, d’écoute véritable.

On peut donc admettre que les “vérités religieuses” précèdent toute réflexion philosophique. Mais, objectera-t-on peut-être, la foi dans ces vérités religieuses ne peut-elle pas, quant à elle, être justifiée philosophiquement… ? Pas davantage, comme le reconnaît, là encore, le dogme catholique : « Le motif de croire n’est pas que les vérités révélées apparaissent comme vraies et intelligibles à la lumière de notre raison naturelle »39. Toutefois, pour que la foi soit conforme à la raison, Dieu a mis en œuvre des « preuves extérieures de sa Révélation » : « les miracles du Christ et des saints40, les prophéties, la propagation et la sainteté de l’Église, sa fécondité et sa stabilité ». La raison du philosophe trouvera-t-elle dans cette liste des preuves ou des « signes certains » de la révélation chrétienne ? Accordons au moins que cela n’est pas évident…



Conclusion

L’examen des “philosophies religieuses” de Leibniz et Kant a montré diverses “failles”, non pas en tant qu’erreurs à l’intérieur de leur philosophie, mais précisément en tant que manquements à l’exigence philosophique d’une argumentation rationnelle et donc de refus d’un quelconque argument d’autorité, fût-ce l’autorité de la Bible.

Nous pouvons donc conclure qu’une “philosophie religieuse” est soit extérieure à la religion, si la philosophie “précède” la religion41, soit extérieure à la philosophie si, comme nous croyons l’avoir montré pour les deux cas étudiés, la religion “précède” la philosophie. Cela ne signifie bien entendu pas que le philosophe soit par définition irréligieux. Dans la mesure où il est homme “avant” d’être philosophe, il pourra, comme Leibniz, Kant et beaucoup d’autres, croire en Dieu et même appartenir à une religion précise. Mais il devra renoncer à légitimer sa foi, ses croyances et ses pratiques par des arguments philosophiques, et donc renoncer à intégrer sa religion dans sa philosophie. Il pourra seulement – et même en tant que croyant, il devra probablement – expliquer pourquoi sa philosophie doit forcément laisser une place, hors d’elle (au-dessus, dira-t-il sûrement), à la religion. Il pourra par exemple, à la manière d’un Pascal, essayer de montrer que la raison et donc la philosophie peuvent reconnaître elles-mêmes leurs propres limites : « La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent ; elle n’est que faible, si elle ne va jusqu’à connaître cela. »42

Le philosophe peut donc être religieux, mais il ne peut pas l’être en tant que philosophe. La philosophie peut indiscutablement aller jusqu’au déisme ou au théisme, mais le pas qui mène du théisme à une religion révélée est précisément le pas qui fait sortir de la philosophie.

L’hypothèse d’une religion philosophique, du fait du nécessaire fondement non humain de toute religion, est elle aussi, dès le départ, à exclure.

Quant à l’athéisme, il n’est jamais que le refus d’une certaine conception de Dieu ou des dieux. On peut le voir par exemple avec Spinoza qui, tout en démontrant l’existence de Dieu43, peut bien être considéré comme “athée”, au sens où il refuse l’existence d’un Dieu anthropomorphe44. On le voit encore avec Marcel Conche, qui s’attaque précisément à l’idée d’un Dieu à la fois moralement bon et tout-puissant : « Il est indubitable (…) que le supplice des enfants a été, et devait ne pas être, et que Dieu pouvait faire qu’il ne soit pas. Comme Dieu ne s’est pas manifesté dans des circonstances où, moralement, il l’aurait dû, s’il existait, il serait coupable. La notion d’un Dieu coupable et méchant apparaissant contradictoire, il faut conclure que Dieu n’est pas. »45 Nous n’affirmons certes pas que cette argumentation, non plus que les démonstrations de l’existence de Dieu de Spinoza, sont à l’abri de toute contestation, y compris philosophique. Mais nous avons bien là des exemples de raisonnement parfaitement intelligible, que même le plus fervent des croyants peut suivre, pour peu qu’il soit doué de raison. L’athéisme peut donc être philosophique ou, ce qui revient au même, une philosophie peut être athée.



On se méprendrait en voyant dans cette étude une attaque contre les religions en général. Nous avons même indiqué à plusieurs reprises que l’attitude des religieux est très souvent en parfaite cohérence avec leurs convictions. Nous avons uniquement cherché à montrer en quoi religion et philosophie, sans forcément se combattre mutuellement, ne peuvent pas s’unir sans une dangereuse “confusion des genres”. Pour les deux partis, une telle union ne serait donc pas pour le meilleur mais seulement pour le pire…



Marc Anglaret
(écrire à cet auteur)
Commentaire



1 Nous considérerons ici les religions dans leur approximative unité, et plus précisément dans leur rapport à la philosophie.


2 Ces deux questions reviennent, au bout du compte, au même, mais au bout du compte seulement.


3 Nous reviendrons, avec l’examen de la position kantienne, sur la distinction entre religion naturelle et religion révélée.


4 Nous précisons bien qu’il ne s’agit pas là de donner une définition, avec tout ce que cette opération implique, de la religion, mais bien de la distinguer de la philosophie.


5 La question n’est pas ici celle de l’intolérance des religions, fort diverses sur ce point comme sur d’autres, mais celle du statut de l’affirmation de la sacralité au sein même d’une religion. Nous soutenons ici que cette affirmation se présente toujours comme indubitable, au point que toute éventuelle critique à ce sujet doit être considérée comme “déplacée”, dans le meilleur des cas…


6 Nous distinguons ici le fondement d’une religion, c’est-à-dire la ou les croyances, toujours liées au sacré selon nous, sur lesquelles s’appuient les autres croyances, de son principe, qui n’est pas une croyance mais l’origine de sa révélation : par exemple Dieu dans les religions monothéistes.


7 Discours de la méthode, première partie. NRF Gallimard, « La Pléiade », p.130. C’est nous qui soulignons.


8 Lettre LXXIII à Oldenburg (1675). NRF Gallimard, « La Pléiade », p.1283. Ce célèbre passage devrait suffire à éviter toute “récupération” du spinozisme par le Christianisme – ce qui, dans les faits, n’est pas le cas.


9 On objectera que certains philosophes habituellement qualifiés de rationalistes – par exemple Leibniz – admettent les vérités révélées de certaines religions, notamment le Christianisme. Nous étudierons précisément plus loin le cas de Leibniz, en montrant pourquoi il ne peut pas, selon nous, être pleinement considéré comme rationaliste.


10 Il n’a toutefois échappé à personne que, par une étrange coïncidence, les philosophes croyants adoptent dans la quasi-totalité des cas la religion de leur éducation, familiale notamment, et ce pas seulement dans le cas du Christianisme, comme le montrent les cas d’Averroès et de Maïmonide par exemple. Nous ne connaissons pas de contre-exemple sur ce point (Schopenhauer ne peut pas, par exemple, être sérieusement qualifié de “philosophe bouddhiste”, bien qu’il se soit lui-même reconnu dans certaines thèses du Bouddhisme).


11 Nous pensons par exemple aux Objections faites aux Méditations de Descartes, ou à la correspondance de nombre de philosophes.


12 Jean-Paul II, Fides et ratio (la foi et la raison), I, prologue ; lettre encyclique du 14 septembre 1998. Supplément au quotidien « La Croix » du 16 octobre 1998, p.3


13 D’autres philosophies pourraient bien sûr avoir leur place ici, par exemple celle de Hegel. C’est pour ne pas rendre cette étude trop volumineuse que nous avons choisi ces deux exemples, à la fois pour leur relative simplicité et leur représentativité. Par ailleurs, il est certain que l’examen de “philosophies religieuses” non chrétiennes manque à cette étude. Notre quasi-ignorance en la matière est la raison de cette absence.


14 Discours de métaphysique, 1, II. Éditions Vrin, p.26. C’est nous qui soulignons.


15 Genèse, 1, 9 –10. C’est nous qui soulignons.


16 A fortiori ne peut-elle pas être la thèse d’un philosophe rationaliste, qualificatif que l’on attribue souvent à Leibniz.


17 Et pour cause : nous croyons avoir montré plus haut qu’une telle justification est impossible ; au moins devrait-elle être tentée par Leibniz s’il entend se placer dans une perspective philosophique.


18 Spinoza, Traité des autorités théologique et politique, préface. NRF Gallimard, « La Pléiade », p.612


19 Selon Spinoza, au contraire, on pourrait dire que Dieu est l’auteur de la Bible seulement si elle dit vrai (ce qui reste donc à démontrer rationnellement), mais en donnant au mot “Dieu” un sens qui exclut toute révélation : toute la première partie de l’Éthique, intitulée “de Dieu”, est exempte de la moindre allusion biblique ou théologique.


20 Évangile selon Matthieu, chapitres 5 à 7.


21 Évangile selon Matthieu, 5, 27 – 28.


22 Interdiction formulée dans le septième des dix commandements (Exode, 20, 14).


23 Évangile selon Matthieu, 5, 17 : « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. »


24 La religion dans les limites de la simple raison, IV, 1, 1. Éditions Vrin, p.179


25 Puisque dans les deux cas, de nombreux siècles se sont écoulés entre le texte et son interprétation : de la rédaction du Décalogue dans l’Exode à l’interprétation qu’en fait Jésus dans les Évangiles d’une part, de la rédaction des Évangiles à l’interprétation qu’en fait Kant d’autre part.


26 La religion dans les limites de la simple raison, op. cit., I, Remarque générale. p.92. C’est nous qui soulignons.


27 Cf. note 23.


28 … ou plus exactement entre le Judaïsme et l’enseignement de Jésus, car rien dans les paroles de ce dernier n’indique clairement qu’il voulait fonder une nouvelle religion, mais plutôt, comme on l’a dit (note 23), qu’il était venu pour « accomplir » le Judaïsme.


29 Par exemple : « Si le juste ici-bas reçoit son salaire, combien plus le méchant et le pécheur » (Proverbes, 11, 31 ; le terme « salaire » est ici sans ambiguïté). Bien d’autres versets, dans ce livre ou dans d’autres, sont tout aussi explicites.


30 Dans le livre de Job, Yahvé, par l’intermédiaire de Satan, “éprouve” la foi de Job, homme riche et pieux, en détruisant ses biens, en faisant tuer ses serviteurs et ses enfants, puis en le frappant de maladie. Job, conformément aux prédictions de Satan et contre celles de Yahvé, reproche à ce dernier son injustice. La “leçon” du livre, donnée par Yahvé lui-même, est que nul ne doit se permettre de juger son Dieu, et ce même s’il lui semble injuste. Cela dit, Job recouvre à la fin du récit tout ce qu’il a perdu : la morale de la rétribution est confirmée, bien que le propos “officiel” du livre la condamne.


31 Les théologiens appellent cela une « évolution » de la doctrine biblique, terme certes moins brutale que celui de « contradiction »…


32 Par exemple : « C’est qu’en effet le Fils de l’homme doit venir dans la gloire de son Père, et alors, il rendra à chacun selon sa conduite » (Évangile selon Matthieu, 16, 27).


33 La religion dans les limites de la simple raison, op. cit., III, 1, 5. p.137


34 Il n’y a bien entendu nulle prétention à l’exhaustivité dans ces quelques remarques.


35 La religion dans les limites de la simple raison, op. cit., IV, 2, 2. p.188


36 Jean-Paul II, Fides et ratio, I, 7 ; op. cit., p.5


37 Ibid., I, 5 ; p.4. C’est nous qui soulignons.


38 Ibid., VII, 86 - 90 ; pp.31 - 32.


39 Catéchisme de l’Église Catholique, première partie, chapitre troisième, article I, 3, §156. Mame / Plon, p.44


40 Mais que faire alors de ce verset : « « Il surgira, en effet, des faux Christ et des faux prophètes, qui produiront de grands signes et des prodiges, au point d’abuser, s’il était possible, même les élus. » (Évangile selon Matthieu, 24, 24).


41 On peut ici se reporter aux deux remarques précédant l’analyse de la “philosophie religieuse” de Leibniz, en haut de la page 4.


42 Pascal, Pensées, fragment 267 de l’établissement de Brunschvicg (188 de Lafuma). Garnier-Flammarion, p.266. Concernant les Pensées en général, il est bien malaisé de dire s’il s’agit bien là d’un ouvrage philosophique au sens où nous l’avons expliqué plus haut. En fait, certains fragments le sont sans aucun doute, comme celui du pari (Brunschvicg : 233 ; Lafuma : 418). D’autres ne le sont manifestement pas, comme ceux sur les « preuves de Jésus-Christ » (Brunschvicg : 737 et suivants), qui ne s’adressent pas à la raison, mais bien à la foi éventuelle du lecteur. 


43 Éthique, I, proposition 11. NRF Gallimard, « La Pléiade », pp.317 – 319.


44 Appendice de la première partie de l’Éthique et Traité des autorités théologique et politique, surtout les chapitres I à XII.


45 Marcel Conche, Orientation philosophique. I. “La souffrance des enfants comme mal absolu”. P.U.F. p.57
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Message  Arlitto Lun 13 Juin 2016, 21:17

L'Être de Heidegger

Religion et Philosophie - Page 4 120408LEtreDeHeideggerJe suis celui qui est. « Je suis » L'Éternel C'est là mon nom pour l'éternité

Bible du Semeur, Exode:3:14-15, 2000
« Qu'est-ce que l'être ? »

Cette question singulière pose deux difficultés apparemment insurmontables :

1. On se perd dans les homonymes : est, être, Être, l'être.
Que veut dire Heidegger en se questionnant sur l'être ? La confusion s'installe dès le départ puisqu'il utilise le même verbe — être — pour désigner des choses de natures différentes. Si « être » est un verbe comment peut-il être un nom commun ? L'homonyme confond d'autant plus qu'il boucle sur lui-même.
2. Elle ressemble à une pétition de principe.

La question « Qu'est-ce que l'être ? » contient le même terme deux fois — utilisé tantôt comme verbe, tantôt comme substantif. En formulant une question qui pose ce que l'on cherche en constituant sa formulation avec le terme recherché, ne se piège-t-on pas en partant ? Ne nous mène-t-elle pas à la pétition de principe ?

Pour mieux comprendre l'impasse apparente, essayons une formulation analogue avec d'autres verbes. Les questions « Qu'est-ce que prendre le prendre ? » ou « Qu'est-ce qu'aimer l'aimer ? » semblent confuses mais en les examinant attentivement, on trouver un sens en distinguant le verbe du substantif verbal. Cependant si on les formule en disant « Que prendre le prendre ? » ou « Qu'aimer l'aimer ? », à l'évidence, elles sont vides de sens. Mais la question « Qu'est l'être ? » est elle aussi vide de sens ? L'ontologie jouit d'un statut particulier, elle définit l'essence première des choses ; c'est pourquoi il est difficile de rejeter la question de Heidegger comme s'il avait utilisé n'importe quel autre verbe. Quand on s'interroge sur ce qu'est le monde ne faut-il pas savoir d'abord ce que signifie le verbe être ? Ne jetons donc pas trop vite une question mal comprise d'autant plus qu'elle alimente la philosophie et la théologie depuis des millénaires. Prenons quelques minutes pour l'examiner de plus près avec un détour dans l'Antiquité.

Parménide l'avait résolue avec une logique imparable en affirmant « Car l'être est en effet, mais le néant n'est pas. » Mais bien avant lui, l'auteur de l'Exode avait reconnu l'essence de la question.
Dans le passage du Buisson ardent (Exode 3:6-15), on raconte que Dieu veut faire sortir son peuple de l'esclavage et persuade Moïse de diriger l'opération. Mais Moïse voit bien qu'il devra faire accepter son autorité et pose la question qui mène à la substantivation de l'être. S'adressant à Dieu, il dit en substance : « Très bien, pour les faire sortir d'Égypte, je convaincrai les enfants d'Israël à me suivre en leur disant que c'est toi  le Dieu de nos pères : Abraham, Isaac et Jacob  qui m'envoie. Mais s'ils me demandent quel est le nom de celui qui m'envoie, que répondrai-je ? »


« Alors Dieu dit à Moïse : "Je suis celui qui est." Puis il ajouta : "Voici ce que tu diras aux Israélites : "« Je suis » m'a envoyé vers vous." Puis tu leur diras : "L'Éternel, le Dieu de vos ancêtres, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob m'a envoyé vers vous." C'est là mon nom pour l'éternité, c'est sous ce nom que l'on se souviendra de moi pour tous les temps. »
(Bible du Semeur © 2000, Exode 3:14-15)
Dieu refuse la substantivation. Il se pose comme l'Être ; un être dont la substance est l'éternité ; il est Être-et-Temps.

La théologie s'intéresse à l'ontologie (l'« êtreté ») mais l'originalité de Heidegger consiste à la reprendre au compte de la philosophie, expurgée des connotations religieuses. Il pose à nouveaux frais la question de l'être en affirmant qu'elle reste une question jamais résolue et que c'est la nature même de l'être qui exige de relancer sans cesse la question « Qu'est-ce que l'être ? ».

Bien sûr la question mène à l'aporie, puisqu'elle boucle sur elle-même avec des synonymes se pointant mutuellement mais, en la gardant toujours active comme on entretient le feu, on touche l'essence même de la philosophie : se demander toujours ce qu'est l'existence. Contrairement au dogme théologique qui l'abandonne à Dieu  Être suprême cristallisé dans le dogme de l'éternité — Heidegger refuse la réponse définitive en reconnaissant l'évidence que l'être surgit d'un rien original dont la tâche consiste à sans cesse reposer la question de l'être pour conserver sa nature d'être. C'est ce processus actif permanent qui permet à l'étant d'exister et donne à l'homme sa véritable nature d'être-là ; sinon, il n'est qu'un simple étant privé de l'être et privé de liberté. Il ne s'agit plus de déléguer sa destinée à un Dieu théologique, mais de l'agir personnellement en activant constamment la question de l'être.

Pour bien comprendre la question « Qu'est-ce que l'être ? », il ne faut pas la prendre comme une question ordinaire à laquelle on cherche une réponse définitive, mais comme une question que l'on doit reposer aussitôt qu'on y a répondu. Elle s'identifie avec l'être même. L'être est la question « Qu'est-ce que l'être ? » parce que le rien d'où elle provient quand on la pose relance constamment le défi à l'être d'exister, ce qui est d'ailleurs sa seule liberté.

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Message  Arlitto Lun 13 Juin 2016, 21:18

Ne pas naître
par François Brooks
Religion et Philosophie - Page 4 Cioran200 Ne pas naître est sans contredit la meilleure formule qui soit. Elle n'est malheureusement à la portée de personne.
Cioran, De l'inconvénient d'être né, 1973
Nous fêtons en 2011 le centième anniversaire de naissance de Cioran. Et alors ?! Effectivement, ça peut sembler banal. Tous les morts passent un jour ce type d'événement, pourquoi s'y intéresser avec Cioran ? Justement parce que ce philosophe a tellement réfléchi sur les inconvénients de naître qu'il est véritablement opportun de célébrer un anniversaire de naissance dont l'auteur n'a plus rien à souffrir, alors que de son vivant, il pâtissait chaque année cruellement de la commémoration de ce fatidique moment. Nous avons tout lieu de nous réjouir pour lui ; Cioran n'est plus, il est désormais libre des inconvénients liés à sa venue au monde. Vive Cioran ! Que vive la mémoire d'une pensée dont l'auteur ne souffre plus !
Tous les philosophes ont réfléchi sur la mort, mais celui-ci s'attaque au problème en amont ; la vie ne devient un problème qu'à partir du moment où elle est constituée. Avant et après, aucun inconvénient. La souffrance n'a aucune emprise sur ceux qui appartiennent au désert du néant. L'essentiel consiste à ne pas naître. Mais nous n'avons aucun pouvoir sur notre entrée dans la vallée des larmes, la seule issue serait de se suicider. Justement non, le suicide fait aussi partie des inconvénients de la vie. Après tout, il faut pouvoir y arriver. Ce qui n'est pas tâche aisée. Le vivant a horreur du suicide ; une misère de plus ! Et non la moindre. Nous sommes coincés dans cette vie, rien à faire, il est trop tard. Tout au plus, l'idée de suicide peut servir de consolation. On peut se dire qu'après tout, si la vie devient insupportable, on peut toujours y recourir. Mais, quand on atteint ce dernier retranchement, c'est la catastrophe. On n'y sort pas. Le tout serait de ne jamais être entré dans la vie.
La philosophie bouddhiste a depuis longtemps réfléchi sur la question. Voyons cet extrait du film Samsara.
La personne de Cioran est aujourd'hui rendue au néant d'où il fut un jour tiré. D'après son œuvre, il est maintenant sorti du bois. Mais si la philosophie bouddhiste a raison, son âme pourrait bien renaître. Et tout serait à recommencer. Pire, il est peut-être déjà revenu à l'existence puisque quand on est mort, le temps passe vite« Naître ou ne pas naître ? » ne serait donc plus la question. En effet, si la métempsychose de Pythagore et Platon est réelle, nous serions alors condamnés à être éternellement, tout comme Parménide l'a brillamment montré. Dans ce cas, la proposition de Cioran d'une consolation de nos misères par la possibilité du suicide serait bien dérisoire. L'avait-il pressenti ? Est-ce la raison qui l'a poussé à tourner aussi longtemps autour du tombeau avant d'y entrer ? Nous savons la vie actuelle et maîtrisons quelques moyens de nous en accommoder, mais comment sera la prochaine ? Fourmi, limace, poisson, ou humain ? Gageriez-vous sur la possibilité d'être réincarné dans une espèce inférieure ? Quelle horreur ! À tout prendre, le beau pari de Pascal ne semble-t-il pas considérablement supérieur ?
En fait, nous ne savons rien de l'existence après la mort, chaque époque trouve ce qui lui convient. Métempsychose pour l'Antiquité et le bouddhisme, Royaume céleste pour le christianisme et l'islam, anéantissement dans le Repos éternel pour notre époque de consommation hyperactive. De manière analogue à Protagoras affirmant que « L'homme est la mesure de toutes choses » ne peut-on pas constater que l'époque fabrique la consolation appropriée à notre interrogation post mortem ? Et quand nous pensons que les Anciens et les Médiévaux avaient des conceptions bien ridicules sur ce qui advient après la mort, c'est que nous n'arrivons pas à voir le ridicule des croyances de notre propre époque. Ainsi donc, aucune croyance n'est ridicule puisque nous ne voyons pas la mort telle qu'elle est, mais telle que notre époque nous pousse à la concevoir (Kant). En effet, il y a tant de bruit et d'agitation partout et à tout moment ― le jour comme la nuit ― les médias se battent si vigoureusement pour nous arracher quelques secondes d'attention, comment ne pas concevoir le paradis après notre mort comme un temps de repos bien mérité qui nous guérira du vacarme des inquiétudes notre époque ?
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Message  Arlitto Lun 13 Juin 2016, 21:18

Paradoxe fondateur

Religion et Philosophie - Page 4 101210ParadoxeFondateur1Le désespoir est une forme supérieure de la critique. Pour le moment, nous l'appellerons « bonheur » ; les mots que vous employez n'étant plus « les mots » mais une sorte de conduit à travers lequel les analphabètes se font bonne conscience.
Léo Ferré, La solitude, 1971

Religion et Philosophie - Page 4 Chappatie_SecuriteLiberteDans notre société actuelle, le paradoxe qui fonde notre bonheur me semble plutôt virulent. On pose l'humain comme un être de liberté. Celle-ci doit être garantie par la sécurité de l'État qui pourtant n'en finit plus d'ajouter des dispositifs d'asservissement. Michel Foucault avait bien vu jusqu'où les tentacules institutionnels allaient nous brimer. Et Guy Debord a fait de même pour les médias spectaculaires supportés par les fonds commerciaux.
La contradiction qui nous semble si détestable est pourtant la pierre de voûte de notre édifice culturel occidental.
Toute pensée repose sur l'un ou l'autre des trois fondements suivants :

  •  La foi (posture intellectuelle, liberté agissante)

  •  L'autoréférence (abus rhétorique, mauvaise foi)

  •  Le paradoxe fondateur (contradiction logique, science)

Augustin nous a assez montré (je crois Religion et Philosophie - Page 4 IndexRire18) comment la foi est un fondement incontournable. Pas seulement la foi en Dieu qui obsède, mais toute foi, quelle qu'elle soit. Le philosophe Alain l'affirme et le montre : Il faut croire d'abord.
Religion et Philosophie - Page 4 101210ParadoxeFondateur_Escher-MainsL'autoréférence est un abus rhétorique de la mauvaise foi. Descartes, pensant se libérer du principe d'Aristote qui posait Dieu comme premier moteur immobile avança que l'existence de l'Être suprême pouvait se prouver du fait qu'aucune autre entité que Dieu lui-même n'aurait pu lui mettre dans l'esprit l'existence de Dieu. Aussi bien justifier en boucle n'importe quelle idée.
Le paradoxe fondateur de la science a été mis en évidence par Karl Popper qui montre l'erreur de croire que ce qui est scientifique apporterait des certitudes. Au contraire, la réfutabilité est le sceau de la science, le reste appartient à la foi. Les principes d'indécidabilité de Gödel et d'incertitude de Heisenberg avaient ouvert la voie.
Toute prétention à l'Absolu n'a pourtant aucune autre base. Ainsi s'exerce le pouvoir arbitraire masqué de la « raison » soutenue par des sentiments ancrés dans des fondements qui, malgré leur apparence vaseuse, n'en sont pas moins universels et pérennes.
René Girard a été le premier à mettre en lumière le paradoxe fondateur de la foi religieuse à partir du concept de sacrifice du bouc émissaire. Depuis la nuit des temps, la recherche de l'ordre et de la paix sociale passe par le sacrifice propitiatoire. Toute société s'enracine dans une violence extrême qui garantit la paix, la concorde. Toute religion offre aux dieux d'immoler une victime pour éviter que le malheur ne retombe sur l'ensemble. Notre sacrifice à nous, c'est le drame de Polytechnique. Celui-ci fonde la religion féministe et garantit la paix aux femmes qui brandissent le crucifix de ces innocentes victimes pour juguler toute menace mâle. La psychopathie de l'officiant [2] n’y change rien ; le sacrifice agit plus efficacement encore du fait qu'aucun homme ne veut lui être comparé.
À l'instar de ce qui précède, la culture occidentale concède à notre Dieu « Cohérence », une contradiction logique passée sous silence, occultée, permettant ensuite d'entrer dans une idéologie philosophique, quelle qu'elle soit. Chaque concept philosophique porte son mensonge fondateur. Ainsi le paradoxe est la pierre de voûte de notre culture. Pour parler en termes de Girard, on sacrifie une vérité sur le bûcher de l'incohérence pour fonder l'ordre logique de notre pensée.
Tout le verbiage médiatique intellectuel porte toujours sur une intention d'apporter quelque vérité. Ce bruit, antinomie de la paix, permanent brouillage, logorrhée sans fin — paradoxe fondateur d'une quête de sérénité qui passe par l'immolation du silence identifié injustement à l'ennui qu'il faut fuir à tout prix — n'en finit plus d'envahir nos cerveaux surchargés.
Voilà pourtant notre base culturelle. Et elle peut se vérifier à tout moment. Il n'y a qu'à braquer le phare de la contradiction chez notre interlocuteur pour voir en lui s'animer l'inconfort et la réprobation sourcilleuse. Le corps se braque, la pensée s'engorge, l'hostilité est déclarée : une vague sans fin de justifications s'amorce, à moins qu'elle ne se résume à la colère ou l'insulte. Pourtant, comme Hegel l'a bien montré, tout discours ne porte-t-il pas sa contradiction ?
Et l'on me contredirait sur ce que je viens d'écrire qu'on me donnerait encore davantage raison Religion et Philosophie - Page 4 IndexRire18. La force du paradoxe réside dans le fait qu'il est au-dessus de la rationalité et la contredit sans enfreindre ses normes. Il fonde toute pensée à notre insu.
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Message  Arlitto Lun 13 Juin 2016, 21:19

La gravitation n'est-elle qu'une illusion ?

Religion et Philosophie - Page 4 ScienceEtVie1116_100900Il y a plusieurs sortes de théories en physique. La plupart d'entre elles sont constructives. Celles-ci tentent de construire une image des phénomènes complexes en partant d'un formalisme de base relativement simple. [...] C'est la théorie qui décide de ce que l'on peut observer. 
Einstein
 
Actualité scientifique
Le magazine Science & Vie peut se glorifier d'être un média véritablement scientifique. En effet, il ne manque pas une occasion de nous montrer que les véritables fondements scientifiques sont loin d'être dogmatiques, à l'instar du philosophe viennois Karl Popper (1902-1994), qui n'a cessé de nous rappeler que ce qui est scientifique, c'est ce dont la fausseté peut être démontrée. C'est d'ailleurs la survie même de la science qui est en jeu, sinon, elle serait dogme et religion.
Dans l'excellent article de Roman Ikonicoff, Quand la physique cherche à s’affranchir de la réalité, l'actualité scientifique nous rappelle que les fondements scientifiques ne sont que des représentations.
Religion et Philosophie - Page 4 ScienceEtVie1116_100900_p056_150 Religion et Philosophie - Page 4 ScienceEtVie1116_100900_p057_150 Religion et Philosophie - Page 4 ScienceEtVie1116_100900_p058_150 Religion et Philosophie - Page 4 ScienceEtVie1116_100900_p059_150 Religion et Philosophie - Page 4 ScienceEtVie1116_100900_p060_150 

Une 4e théorie de la gravitation vient de surgir. Après la théorie de la gravitation universelle de Newton (1687) (expliquant la chute des corps), la théorie de la relativité générale d’Einstein (1916) (décrivant les trous noirs), la gravitation selon la théorie des cordes (1980) (essayant d’unifier les deux premières et de décrire les comportements subatomiques de la « matière » (énergie-vibration ou corps)), Erik Verlinde, physicien Néerlandais, propose l’idée que la gravitation ne serait pas une force fondamentale. Mais qu’est-elle donc ? et pourquoi mettre au rancart des théories qui fonctionnent, dans leur champ d’application ?

Le problème est que les trois premières théories n’expliquent pas, elles décrivent de manière cohérente le comportement de la « matière ». Mais l’effet semble toujours magique. Par exemple, Newton parle d’une « force » mais n’explique pas le support physique permettant à cette force de se propager. Einstein a eu besoin de deux théories (relativité générale et mécanique quantique) pour expliquer un univers qui, selon toute logique, devrait pourtant être régi par les mêmes lois quelle que soit l’échelle (infiniment petit ou infiniment grand). Verlinde refuse maintenant de considérer la gravitation comme une force fondamentale, il la voit comme un phénomène émergent qui provient d'interactions microscopiques.
L’intérêt de cet article est qu’il nous permet de nous détacher de ces théories obscures et contradictoires pour comprendre que nous ne traitons pas de la réalité mais de l’observation des phénomènes. Bref, la réalité ne serait finalement rien d’autre que de l’information.
Je cite l’article :
« Par exemple, si un astronome dit qu’il y a 1% de chances qu’une grosse météorite heurte la Terre d’ici à 2100, c’est qu’il ne détient pas assez d’informations pour avoir une certitude : cette probabilité est liée à son ignorance [ignorance = manque d’information]. La météorite, elle, nous heurtera à 100% ou ne nous heurte pas —[la proposition] " elle nous heurte à 1% " n’est pas une option du monde réel. »
Questions philosophiques des enjeux et conséquences

De quoi le monde est-il fait ?
Qu’est ce que la réalité ?
Le monde décrit par les théories physiques est-il réel ?
Si un arbre tombe dans la forêt sans oreilles pour l’entendre, fait-il du bruit ?
Qu’est-ce que le bruit?
Concepts fondateurs et philosophes pour comprendre

Les philosophes scientifiques Newton et Einstein vont nous aider, mais surtout Berkeley.
Newton nous explique, par sa théorie de la gravitation universelle, que tous les corps de l’univers sont constitués d’une certaine masse et qu’ils s’attirent mutuellement en raison de l’importance relative de leurs masses respectives. Plus un corps est massif, plus notre masse corporelle sera attirée par ce corps. Par exemple, sur la Lune, notre poids est 6 fois moins lourd que sur la Terre du fait que la masse de celle-ci est six fois moindre.
Einstein a trouvé les limites de cette explication de l’univers en considérait les facteurs de temps et d’espace. Par exemple, à la vitesse de la lumière, les corps perdent leur propriété matérielle pour n’être plus qu’énergie avec un rapport au temps complètement différent (on sait qu’à cette vitesse, le temps relatif au corps s’arrête).
Il n’est pas important ici de comprendre parfaitement ces théories difficiles mais de se rappeler qu’elles sont incomplètes et contradictoires, d’où notre difficulté à les maîtriser, et c’est ici que va nous aider Berkeley.
Berkeley est un philosophe irlandais, évêque de profession, qui vécut de 1685 à 1753 (contemporain de Newton (1642-1727)). Il nous rappelle que la réalité n’est pas matérielle mais essentiellement spirituelle, avec son concept d’immatérialisme. Il s’agit d’un idéalisme absoluPlaton et Descartes nous avaient expliqué que l’humain est composé de matière et d’esprit. Berkeley pense que la nature même de la matière est spirituelle, qu'au bout du compte la matérialité n'est qu'une conception d'esprit. Exit la matière. On peut le comprendre avec l'exemple de l’arbre qui tombe dans la forêt et ne peut faire de bruit s'il n'y a aucun témoin pour l'entendre puisque le bruit est essentiellement ce qui peut être perçu et interprété par un humain ou un animal doté d’un système de perception.
Pertinence du philosophe en lien avec notre nouvelle

Avec Berkeley, nous pouvons maintenant comprendre l’article de Science & Vie qui essaie de nous faire voir que la réalité du monde n’est rien d’autre que ce que l’on en perçoit, de l’information. Que l’on soit éboueur ou physicien, cette réalité se réduit à l’information qui en émane. Au bout du compte, celle-ci est la seule vérité et encore qu’elle soit très variable selon le système interprétatif qui la perçoit. L’éboueur est adapté à son camion de vidange parce qu’il possède l’information nécessaire à le rendre fonctionnel. Le physicien aurait besoin d’une formation (i.e. information) pour faire le même travail travail. Et réciproquement.
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Message  Arlitto Lun 13 Juin 2016, 21:20

Russell Williams, colonel déchu

Religion et Philosophie - Page 4 101029JournalDeMontrealP1_200Vous nous introduisez dans la vie ;
Vous infligez au malheureux la culpabilité
Puis vous l'abandonnez à la peine,
Car toute faute s'expie ici-bas
Religion et Philosophie - Page 4 101029JournalDeMontrealP2_200Goethe, Wilhelm Meister, 1829 
Il n'y a pas de déterminisme, l'homme est libre, l'homme est liberté, [...] l'homme est condamné à être libre. Condamné, parce qu'il ne s'est pas créé lui-même, et par ailleurs cependant libre, parce qu'une fois jeté dans le monde, il est responsable de ce qu'il fait.
Jean-Paul Sartre, L'existentialisme est un humanisme, 1970
Si Platon et Descartes pensaient l'humain comme une dualité corps / esprit, le monde actuel ne cesse de mettre en évidence la dualité privé / public. L'exemple déployé récemment dans l'affaire du colonel déchu Russell Williams montre cette dualité dans toute son évidence en étalant le frappant contraste du militaire public menant une carrière exemplaire avec l'homme déchu, tourmenté par une sexualité dévorante mêlant indistinctement travestisme, viol et meurtre. Mais quand la vie privée pousse la dépravation jusqu'à une extrémité aussi morbide, doit-on s'étonner que la curiosité du public exige de connaître dans les moindres détails ce qui, dans une vie privée, a conduit à un tel débordement.
Ainsi, dès que le plaidoyer de culpabilité fut rendu, le Journal de Montréal du mardi 19 octobre publie en première page le choquant contraste des photos du même homme en « affriolants » dessous féminins, juxtaposées comme une injure, à celle de la noble prestance d'un colonel fièrement décoré. Et ceci frappe d'autant plus l'imagination du badaud troublé qu'il peut se reconnaître autant dans l'habit de l'un comme de l'autre sans jamais avoir agi de pulsions criminelles pour autant. Le Dieu « Spectacle » jouit de salir l'image de deux groupes : les militaires protégeant la nation d'un côté, et, l'éros excitant, créant la vie de l'autre. J'achète le journal. Je veux fouiller en profondeur ce qui m'aurait échappé. Je veux trouver la faille qui m'aidera à me distancier d'une telle ignominie.
Russell Williams jouissait de s'introduire dans la vie privée de ses victimes pour aller fouiller dans les tiroirs de sous-vêtements féminins. Il les enfilait et se photographiait. Ainsi vêtu d'une intimité qui n'était pas la sienne, il s'appropriait la vie privée de ces malheureuses. Mais ce viol symbolique ne s'est pas arrêté à l'effraction banale. Il passa ensuite au viol pur et dur de deux femmes. Et, peu après, sa pulsion de mort en tua deux autres avant qu'il ne soit arrêté. J'ai donc regardé ces photos, et me voilà, comme lui, complice avec le Journal d'un comportement analogue. Mon œil a joui de m'introduire dans la vie privée de ces gens, dans ces intimités qui ne me regardent pas. Mais avant d'aller le rejoindre en enfer pour si peu, essayons de voir avec les lumières de Freud et Sartre, comment les pulsions privées nous enchaînent avec le regard public qui nous invite à s'en libérer.
Religion et Philosophie - Page 4 Freud100Freud, a introduit le concept d'inconscient où sont en lutte permanente trois instances : le ça, le moi et le surmoi. Le ça représente la pulsion libidinale, la recherche de la jouissance. Cette pulsion nous détermine et nous n'avons sur elle aucun pouvoir puisqu'elle est initialement inconsciente. Le surmoi c'est la société implantée en nous par l'éducation, la culture, pour réguler les pulsions du ça. Le surmoi, c'est la conscience sociale qu'on nous impose par les figures du père et de l'autorité en général. Le moi, c'est l'individu que nous sommes, sans cesse déchiré par cette lutte psychique interne qui va provoquer un état plus ou moins névrosé selon les individus et les circonstances. Notre corps jouisseur polymorphe, frustré par une société qui, pour maintenir son organisation, doit opérer certaines « castrations » dominatrices, produit notre personnalité propre. Freud nous explique ainsi notre irresponsabilité face au destin d'un corps qui nous asservit inévitablement à ses passions dans une société sur laquelle nous n'avons qu'un pouvoir très limité.
Religion et Philosophie - Page 4 Sartre100Sartre, au contraire, nous veut libres, il nous condamne à la liberté. Il affirme qu'à chaque moment de notre vie, nous sommes libres, malgré les contingences, et surtout à cause d'elles, de choisir de poser nos gestes intentionnellement. Mais qui dit libre, dit responsable et dit, bien sûr, coupable. Si Russell Williams passera les 25 prochaines années en prison, c'est bien parce que notre société sartrienne pense qu'il était libre de ne pas tuer, de ne pas violer et qu'il a mal agi sa liberté. Mais c'est aussi parce que Freud, même s'il nous rappelle que devant nos pulsions, notre volonté tient à très peu de chose, celles-ci étant inconscientes, nous devons faire en sorte que ceux qui passent à l'acte soient mis hors d'état de nuire. Tout au plus, le psychanalyste tentera d'effacer sa culpabilité, mais il ne pourra le libérer.
Ceci me fait penser à la scène du film Lawrence d'Arabie où ce sage militaire avait avoué sa crainte après avoir exécuté un meurtrier : Il en avait éprouvé une certaine jouissance, et ça l'avait effrayé. Ça me rappelle aussi une femme, entrée dans un club sadomasochiste, qui m'avait un jour raconté comment elle s'était mise à pleurer spontanément, non pas parce que le spectacle dégradant la dégoûtait, mais bien plutôt parce qu'elle était désespérée de constater à quel point il l'excitait malgré sa paradoxale adhésion à l'idéologie féministe. La pulsion ne s'occupe pas de morale, elle jouit, point. Mais, ne mêlons pas inconsidérément la pratique SM responsable qui prend toujours son plaisir du consentement explicite des partenaires qui se livrent à un jeu soumis à des règles strictes où les protagonistes s'entendent sur un signal clair qui peut faire arrêter le jeu à tout moment.  Williams a agi ses pulsions sadiques criminelles sans considération aucune pour le dégoût qu'il provoquait chez ses victimes. Pire, il a assouvi sa propre jouissance au prix de la vie de ses victimes. Peut-être aurait-il vu l'impasse où il se dirigeait, si, en parallèle avec sa carrière militaire, la philosophie l'avait amené à examiner le drame de la jouissance meurtrière. Le meurtre le plus effrayant est celui qui se présente sous forme addictive ; c'est comme une drogue une dépendance qui, mêlée au sexe devient explosive, et à quel prix ! C'est pourquoi nous avons si peur à raison du sadisme... Chacun des écrits de Sade est un avertissement.
Mais où est le surmoi nécessaire à contenir une telle addiction ? Freud aurait sans doute conseillé à Williams une psychanalyse — Une autre forme du socratique « Connais-toi toi-même » — Mais il est trop tard pour lui et ses malheureuses victimes, il devra désormais porter le deuil responsable de la caporale Marie-France Comeau et de Jessica Lloyd pour toujours. Et même si elles avaient bien joui avant de mourir, la vie ne peut se permettre une telle compromission avec la mort. C'est son essence même qu'elle nierait.

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Message  Arlitto Lun 13 Juin 2016, 21:20

[size=22
]Saint Frère André, Bacon et Socrate[/size]

Religion et Philosophie - Page 4 101017SaintFrereAndreComme le Bon Dieu est bon ! Ces guérisons font du bien à la personne qui est guérie, et aux autres qui en entendent parler.
Frère André (cité sur Saint Joseph du Web)
En tant que Québécois « pure laine », ce n'est pas moi qui vais critiquer la canonisation du Frère André ; cet événement historique est une quasi-première dans un pays qui compte une myriade de villages aux dénominations saintes sans en avoir jusqu'ici produit un seul « Made in Québec » à part Marguerite D'Youville. On va désormais prier cet unique saint québécois pour obtenir les faveurs de sa spécialité comme on l'a déjà fait depuis plus de 70 ans, avant même que sa sainteté soit officiellement reconnue.
Mais je m'interroge sur cette curieuse pratique catholique qui consiste à produire des idoles. Ne font-elles pas ombrage à un Dieu jaloux qui, sous Moïse a pourtant combattu bec et ongles les cultes aux demi-dieux divisant une foi qui se voulait unitarienne, pendant l'Exode, au moment où les Juifs du désert avaient besoin d'unité plus que jamais ?
Le Frère André guérissait « miraculeusement » par des onctions à l'Huile de Saint Joseph au moment où la massothérapie n'avait pas encore été inventée et où personne ne se touchait. À considérer l'incalculable quantité de béquilles que les malades lui ont laissées après leur guérison, on comprends que l'Ordre des physiothérapeutes se soit instituée pour récupérer cette mine d'or naturelle autrefois laissée à la gratuité du mysticisme religieux qui ne profitait qu'à la gloire d'un Dieu placebo hors des circuits économiques aujourd'hui si développés.
Mais au fait, qu'est-ce qu'un saint ? Quels sont les critères de l'Église catholique pour une canonisation en bonne et due forme ? L'article de Christian Rioux dans Le Devoir du 17 octobre (page A9), explique les trois étapes. Un postulant doit :

  • Être déclaré « vénérable », c'est-à-dire que sa vie soit jugée exemplaire par l'Église.

  • Être « béatifié », c'est-à-dire prouver qu'il ait occasionné au moins un miracle après sa mort — pas avant.

  • Pour accéder à la sainteté en tant que telle, avoir occasionné un nouveau miracle aux effets durables après sa béatification.

Bref, la sainteté a un lien direct avec le miracle.
Déclaré vénérable en 1978, béatifié en 1982 et sanctifié en 2010, le Frère André s'est qualifié.
Mais qu'est-ce donc qu'un miracle ? Dans la cas du Frère André, il s'agit tout simplement d'une guérison spectaculaire inexpliquée. Spectaculaire, parce qu'elle est médiatisée ; et inexpliquée parce que la science médicale ne peut interpréter la guérison par les critères rationnels qui la caractérisent. Le tout doit être corroboré par trois jurys composés chacun de sept experts médicaux indépendants, de sept spécialistes en droit canon et de grands clercs de l'Église, le tout ficelé par un avocat, appelé « vice-postulateur », et dans ce cas-ci, c'est M. Mario Lachapelle, docteur en biologie moléculaire devenu plus tard théologien qui s'en est occupé. Ce dernier, ayant déjà fait une thèse de maîtrise au sujet du Frère André, était évidemment l'avocat tout désigné.
La sainteté est donc rattachée au « miracle » qui, en mots profanes, consiste en une guérison dont on ignore le processus biologico-médical. Le miracles est essentiellement une ignorance des causes rationnelles d'une guérison dont on attribue l'explication à l'action mystérieuse de Dieu qui se manifeste à travers les bonnes actions d'un saint. Mais a-t-on jamais désanctifié un saint après qu'une découverte scientifique ait expliqué un phénomène autrefois interprété comme « miraculeux » ? La crédibilité de l'Église risque-t-elle de perdre des plumes en se prêtant à cette coutume ? On pourrait penser qu'à mesure que la science progresse, ce système de titularisation devrait perdre du terrain. Et pourtant, tant de choses restent inexpliquées et l'ignorance est si féconde ; ne reste-t-il pas beaucoup de place aux miracles et à la sainteté ?
Mais est-ce à dire que la magie du « miracle » est le propre de l'accès à Dieu ? Si l'on attribue à la divinité : miracle, mystification et magie ; où donc est Dieu dans les moments ordinaires de la vie ? D'aucuns pensent que toute la vie est miraculeuse et savent voir le mystère partout. Pourquoi Dieu ne choisirait-il de se manifester qu'au moment de l'inexplicable ?
Devons-nous ancrer notre foi sur le tremplin de l'ignorance ? Le philosophe Bacon, fondateur de l'épistémologie moderne, nous donne un indice : « Un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science y ramène. ». Il sait qu'à mesure que la science progresse, progresse encore davantage l'avalanche de mystères qui découlent de nos découvertes. Du coup, le monde devient miraculeux. Déjà, dans l'Antiquité, Socrate avait compris l'importance de l'ignorance qui se connaît comme telle. Sachant son ignorance, était-il le philosophe de l'Antiquité le plus près de Dieu ?
Aussi élevé que soit notre niveau de connaissance, il arrive toujours un point où notre ignorance se dévoile laissant ainsi une place pour un Dieu de mystère jamais détrôné puisque la science ne fait jamais que repousser les limites de notre ignorance . Ainsi donc, la foi de l'ignorant précède la raison du savant.
Religion et Philosophie - Page 4 101017SaintJosephMais comment concilier la foi biblique avec ce panthéon humanisant ? Religion et Philosophie - Page 4 101017FrereAndreLe saint est un révélateur de divinité puisqu'il prodigue la bonté divine sous forme de « miracles » sans comprendre lui-même l'articulation mystérieuse d'une force bénéfique qui passe à travers lui. Il n'est qu'un guide dont le contrôle de la qualité est garanti par l'Église ; mais rappelons que le Frère André était reconnu pour sa simplicité, son humilité et son ignorance même. Il n'a cessé de répéter, comme Ieschoua et tous les saints après lui que les guérisons ne se faisaient pas par lui-même mais par la foi et la prière à Saint Joseph, modèle humain facilitant l'accès à un Dieu trop tout-puissant pour que nos petites personnes puissent y avoir accès directement.
D'aucuns y voient un nouvel idole ; les Catholiques pensent plutôt avoir trouvé en Saint André Bessette un modèle à imiter pour accéder plus facilement à la divinité.
Religion et Philosophie - Page 4 Ligne33
[1] Canonisé sus le nom de Saint André Bessette (1845-1937), le Frère André est baptisé sous le nom d'Alfred Bessette.
[2] La Bible, Exode (20 : 3-6).
[3] Voir l'ébauche du texte Dieu, le premier chef syndical.
[4] « Ô humains, celui-là, parmi vous, est le plus savant qui sait, comme Socrate, qu'en fin de compte son savoir est nul. » (voir Pourquoi nul n'est plus savant que Socrate ? Religion et Philosophie - Page 4 Audio15x15 et Ignorance et savoir Religion et Philosophie - Page 4 Audio15x15)
[5] Pierre Lefebvre,  Ignorance : un état des lieux, Radio-Canada © 2004
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Message  Arlitto Lun 13 Juin 2016, 21:21

Liu Xiaobo, Voltaire et Machiavel

Religion et Philosophie - Page 4 101015LiuXiaoboNobel1 C'est à celui qui domine sur les esprits par la force de la vérité, non à ceux qui font des esclaves par la violence [...], que nous devons nos respects.
Voltaire, Douzième lettre anglaise (Lettres philosophiques), 1734
Religion et Philosophie - Page 4 101015LiuXiaoboNobel2  Il faut compter pour rien la réputation de sanguinaire, quand cela devient utile pour maintenir la paix et la fidélité dans un État. Car un Prince se trouvera plus humain en faisant un petit nombre d'exemples nécessaires, que ceux qui, par trop d'indulgence, encouragent les désordres qui entraînent avec eux les meurtres et les brigandages.
Machiavel, Le Prince, 1513

Actualité
Liu Xiaobo [prononcer Lioù Tchiăou Bwā] prend le devant de la scène journalistique ces jours-ci. Le très illustre Comité Nobel norvégien vient de lui attribuer le Prix Nobel de la paix. Le gouvernement chinois proteste énergiquement affirmant que cette distinction va à l'encontre du principe même de ce prix. Doit-on célébrer ou réprouver ? C'est selon...
D'abord, qui est Liu Xiaobo ? Intellectuel dissident chinois né en 1955, il obtient son doctorat à l'Université de Pékin en 1988. Chercheur invité à l'Université d'Oslo, l'Université d'Hawaï et l'Université Columbia, il revient à Pékin pour se joindre aux grévistes de la faim en solidarité avec les étudiants. En 1996, il est condamné à trois ans de travaux forcés pour ses positions critiques envers le Parti communiste chinois. Il devient ensuite président de la Fondation nationale pour la démocratie (National Endowment for Democracy), organisme majoritairement financé par le ministère des Affaires étrangères des États-Unis. Il a soutenu, entre autres, l'administration Bush pour son rôle visant à imposer la démocratie par la guerre en Irak.
En décembre 2008, il rédige l'ébauche de la Charte 08, manifeste signé par 10 000 personnes, dont 303 intellectuels chinois et activistes pour promouvoir la réforme politique et le Mouvement démocratique chinois dans la République populaire de Chine. Il est depuis incarcéré sous l'accusation d'« incitation à la subversion du pouvoir de l'État ». 
Questions philosophiques suscitées

  •  Liu Xiaobo est-il un criminel ou un héros ?

  •  L'activisme politique visant à renverser le gouvernement est-il un crime ou l'expression légitime de la liberté de penser ?

  •  En quoi la liberté de penser de Liu Xiaobo constitue-t-elle un danger pour la Chine qui par ailleurs, reconnaît la liberté d'expression et tolère les pratiques religieuses dont le taoïsme, le bouddhisme, l'islam, le protestantisme, le catholicisme et le confucianisme ?

  •  Pourquoi Prix Nobel de la Paix ?

Philosophes et concepts pertinents
Si on se range du côté de Voltaire, illustre philosophe qui a donné au concept de tolérance ses lettres de noblesse, il faut applaudir. Il affirme que nous devons assurer la liberté d'expression à tous. On se souviendra de l'affaire Calas où, en 1761, la magistrature française s'était enlisée dans l'ignoble condamnation d'un père de famille protestant torturé à mort pour le meurtre de son fils alors qu'il s'était suicidé. Voltaire avait livré son plus éloquent plaidoyer en faveur de la tolérance dans un écrit intitulé justement Traité sur la tolérance. Mais quand Voltaire parle de tolérance, il pense aux opinions personnelles ; mais pense-t-il aussi à la liberté politique et à la démocratie ? Ne disait-il pas que « La paix vaut encore mieux que la vérité » ?
Si on considère plutôt Machiavel, avec son concept de ruse politique, la Raison d'État justifie les dirigeants de limiter la liberté d'expression pour la stabilité politique et la concorde. On peut l'illustrer par la question suivante : si pour sauver une population de 500 personnes en danger vous deviez en tuer trois, le feriez-vous ? Mais comment savoir si un dissident met véritablement en danger ses concitoyens ?
Liu Xiaobo est privé de liberté, mais il ne semble pas que sa vie soit en danger. On peut se demander pourquoi cet intellectuel, honoré à l'étranger, cherche-t-il à renverser le pouvoir en Chine alors qu'il pourrait aussi bien vivre ailleurs dans le système politique de son choix.
Lien avec le prix Nobel de la paix
À mesure que la Chine gagne du terrain dans la course au capitalisme industriel, l'Occident semble vouloir s'ingérer dans les affaires politiques chinoises. Nous savons que ce pays d'un milliard trois cents millions d'habitants est géré d'une manière différente de nos (relativement) petits pays dits « démocratiques ». Avons-nous peur qu'un jour, le système politique chinois s'installe en Occident ? Pourquoi Liu Xiaobo s'est-il vu décerner le Prix Nobel de la paix alors que la Chine n'est pas en guerre ? Ce dissident a-t-il provoqué la paix dans une mesure équivalente à Gandhi ? Est-ce que la démocratie, telle que les États-Unis la favorisent, est un gage de paix et d'harmonie sociale ?
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Message  Arlitto Lun 13 Juin 2016, 21:22

La science cherche Dieu
par François Brooks
Pourquoi Dieu ne disparaîtra jamais?
Science et vie No. 1055 d'août 2005

Les neurosciences sont sur la piste d'une « molécule de la foi ». La propension à voir le monde comme habité par le divin (la « religiosité ») dépend effectivement du taux de sérotonine. [...] Ainsi donc, un taux élevé de sérotonine dans le cerveau ac­croîtrait le degré de religiosité! [...] Et la dimension troublante du résul­tat obtenu par les chercheurs sué­dois apparaît dès lors pleinement lors­qu'on apprend que, parmi les 25 as­pects de la personnalité des volontaires évalués par le TCI (Temperament and Character Inventory) [Inventaire du tempérament et du caractère], la re­ligiosité se révéla être... le seul et unique paramètre corrélé avec la densité des récepteurs 5HT1A! La conséquence de cette découverte peut sembler sacrilège. Car pour Jacqueline Borg, une conclusion s'im­pose désormais : « Le système de pro­duction de la sérotonine pourrait bien être vu comme l'une des phases biolo­giques de la croyance religieuse, même si le résultat de l'étude doit encore être précisé avec des travaux menés sur un panel de volontaires plus large »Dieu serait-il une substance chimique?
 
Plus loin dans l'article, on apprend que notre cerveau serait programmé pour croire. La stimulation électromagnétique des lobes temporaux [...] déclencherait la sensation d'avoir à ses côtés une présence invisible. Ici, on pratique une approche du cerveau où chaque partie est comme une composante d'un appareil électronique. À l'aide d'une technique d'imagerie appelée tomographie à émission de positons, (TEP) on a localisé une zone moins irriguée dans une partie du cerveau que l'on peut observer pendant qu'un sujet volontaire (moine bouddhiste) médite. Cette zone est reconnue comme permettant à l'individu de distinguer son corps de l'environnement. Aurait-on découvert le module « Dieu »?
 
Dans la troisième partie de l'article, on fait appel à la psychologie cognitive. C'est parce que le surnaturel heurte notre intuition que nous sommes conduits à y adhérer. Comme notre perception intuitive du réel est innée, sa transgres­sion par les croyances religieuses pro­voque une réaction émotionnelle forte. Autrement dit, le seul fait de les évo­quer contredit à ce point notre enten­dement que nous sommes conduits à leur attribuer un pouvoir explicatif su­périeur. Au final, c'est tout naturellement que nous sommes donc enclins à croire en Dieu. Dieu serait-il un programme de l'ordinateur neuronique qui nous sert de cerveau?
 
Le deuxième article démontre, comme tout le monde le sait depuis Abraham, que la foi est un remède miracle contre l'anxiété. Comme la peur de la mort existera toujours, Dieu ne peut donc pas disparaître.
 
Le troisième article se veut historique. Il dépeint l'ascension de l'idée de Dieu depuis l'origine des temps connus. On projette sur quelques artefacts archéologiques une interprétation religieuse et on dresse un bref tableau de l'explosion des religions. On y apprend que 85% des humains pratiqueraient une religion. Le christianisme serait en tête avec 35% suivi de l'Islam avec 20%, de l'Hindouisme avec 14% et du bouddhisme avec 6%.
 
Le dernier article semble une extension de la troisième partie du premier article. On appuie sur la démonstration  que la religion serait séduisante cognitivement parce qu'elle bouscule notre perception du monde. L'humain étant un être principalement émotif, il aime être impressionné. Il se retrouve donc plus facilement excité dans un environnement « incroyable ». Au bout du compte, l'émotion est plus forte et plus convaincante que la logique et la raison.
 
En conclusion, le Dieu des scientifiques possède les attributs suivants : Il est moléculaire, modulaire, psychologique, historique et émotionnel. Il a la faculté de guérir (anxiolytique), il est nécessaire et excitant. Fascinant jeu que celui de la foi et de la science qui se renvoient la balle depuis Platon et Aristote. Avec ce numéro de Science et Vie la foi aura-t-elle gagné des points? N'est-ce pas étonnant d'observer ces scientifiques qui, avec leurs moyens actuels, se sont livré aux mêmes investigations que Saint Augustin voila 1600 ans : la recherche de Dieu. Mais il me reste une question. Pourquoi la science qui a toujours voulu se passer de Dieu, se met-elle soudain à sa recherche? Dieu serait-il en train de redevenir nécessaire?

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Message  Arlitto Lun 13 Juin 2016, 21:22

La philosophie est une imposture


Si la philosophie est une entreprise de la déconstruction de la foi religieuse qui a pour but de nous faire penser par nous-mêmes, compte tenu du théorème de Gödel, qui dit que dans tout système, il y a toujours au moins un élément indécidable qui requiert notre foi, tout système philosophique requiert donc la foi. 

Ainsi, la philosophie qui prétend nous faire penser par nous-mêmes, hors de la foi, est une imposture.






Le Théorème de Gödel explique que dans tout système logique, il y a toujours au moins une proposition indémontrable (indécidable), c'est-à-dire, en laquelle il faut croire pour que ce système logique prenne forme et opère.
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Message  Arlitto Mar 14 Juin 2016, 17:11

Méthodes de persuasion

Il est assez rare de rencontrer quelqu'un qui respecte notre liberté d'opinion et apprécie notre façon de voir le monde sans chercher à interférer avec notre point de vue. D'aucuns, aussi philosophes soient-ils, cherchent à nous influencer et gagner notre adhésion. Être seul à voir le monde de notre unique point de vue semble le fléau auquel l'homo sapiens prosélyte s'attaque avec le plus d'acharnement.  Essayons de décortiquer les principales stratégies rencontrées couramment que l'on met à contribution pour sortir de notre irréductible solitude et gagner les autres à nos conceptions.
 Dans l'arène rhétorique, il y a cinq moyens d'obtenir ce que l'on désire :


  • L'autorité
  • l'intelligence,
  • le sentiment
  • le harcèlement
  • et l'opinion entendue.



Chacun n'est évidemment pas complètement pur et isolé, mais en gros, on peut distinguer l'une ou l'autre de ces cinq méthodes chaque fois qu'un individu cherche à nous persuader d'adhérer à sa vision ou nous faire agir comme il le souhaite.



1. Peut-être l'argument le plus décisif est-il l'autorité. Comment faire pour résister au moyen de conviction imposé par la force? Le fusil sur la tempe produit l'effet magique de rendre à peu près tout le monde nerveusement coopératif. Mais c'est aussi le moyen le plus rébarbatif. On devient la chose de celui qui agit sur nous. Notre volonté est complètement évacuée et cède la place à celle de l'autre. C'est la dynamique même du viol. Bien entendu, toutes sortes de moyens plus ou moins subtils peuvent se substituer au fusil. Pour peu que vous soyez engagé dans un commerce qui vous fait dépendre de votre interlocuteur, votre véritable liberté de penser ne tient qu'au bon vouloir de celui-ci et à votre attachement envers ce que vous attendez de lui. L'exemple le plus évident est peut-être celui de l'enfant qui doit tout — et en premier lieu sa propre survie — à ses parents. Combien il est facile d'abuser celui qui dépend de la nourriture du gîte et des soins qu'on lui prodigue! Que ce soit le travailleur dépendant de son salaire ou l'enfant des soins de ses parents, l'autorité impose un argument de force difficile à contrer qui fait de notre liberté un pieux souhait. Comment arguer triomphalement avec l'enseignant juge et partie dont dépend nos notes si indispensables à la réussite scolaire?



2. L'argument d'intelligence fonctionne avec la coopération de l'interlocuteur qui a mis sa foi dans le raisonnement rationnel, puissant maître qui, de nos jours, semble régner sur tout. Se contredire soi-même, afficher sa propre incohérence, est le péché mortel de notre actuelle société. Comme nous sommes constamment mis au défi de ne pas enfreindre le sacro-saint principe de non-contradiction, nous obtempérons sous peine d'essuyer le mépris de notre intelligence, de perdre la face. L'argument d'intelligence possède cependant un coté positif attrayant : il nous laisse libre d'adhérer ou non au principe de cohérence et ainsi nourrit le sentiment que notre consentement est issu de notre propre volonté. Ici, ce n'est pas la force qui agit, mais l'engagement mutuel à ne pas enfreindre une règle du jeu à laquelle on a consenti librement dès le départ. Mais l'argument d'intelligence souffre souvent de l'absence d'arbitre crédible. Ainsi, chacun y va de sa propre argumentation s'appuyant sur des références mal connues de son interlocuteur et, bien qu'on se sente parfaitement justifié dans notre raisonnement, il est parfois difficile de le faire valoir à l'autre pour qui nos références ne sont que des points aveugles. Par contre, entre joueurs honnêtes toujours prêts à apprendre de la différence de l'autre, la juxtaposition des arguments peut mener à d'étonnantes découvertes autrement inaccessibles.



3. L'argument sentimental fait appel à l'humanité, notre sens altruiste et communautaire. C'est peut-être, de tous, le consentement accordé de meilleure grâce. En répondant à une sollicitation sentimentale, j'établis une relation qui installe l'harmonie. L'autre est un alter ego en qui il me fait plaisir de projeter les sentiments dans lesquels j'aime me reconnaître. Mais la manipulation en est la face négative. Pour peu que mon solliciteur soit bon comédien, il peut me faire aussi bien sa chose que le tyran dominateur. Cependant, c'est de bonne grâce qu'on viendra ainsi chercher mon consentement. Les solliciteurs d'aide aux œuvres humanitaires sont passés maîtres pour obtenir notre coopération en jouant sur cette corde sensible. Quiconque n'y répond pas s'en retourne plus ou moins avec le sentiment d'être un monstre. Comme il n'y a à peu près rien qui n'ait davantage de valeur que l'amour-propre, tout ce qui sollicite son augmentation nous convainc assez facilement sans recours à la force ni à l'intelligence. On consent pour être aimé, parce que l'on a besoin de l'amour de l'autre comme d'une drogue qui nous soulage de l'inconfort de l'isolement.



4. Le harcèlement est peut-être le moyen actuellement le plus répandu de tous. Les solliciteurs commerciaux nous assènent mille fois par jour d'un matraquage publicitaire nous répétant inlassablement que leur produit est nécessaire, si bien que, l'esprit squatté par les répétiteurs omniprésents, nous nous transformons en zombis consentants. Ce moyen outrepasse notre volonté, mais pour peu qu'il soit appliqué avec doigté et fasse appel à nos valeurs fondamentales — toujours nourries à même l'argumentation répétée —il est indolore et, lorsque inopportun, sa gentille tyrannie passe pour un bruit de fond berçant. Nous sommes ainsi hypnotisés sans nous en rendre compte et consentons à la volonté du message. De tous les moyens, c'est pour le libre penseur le plus odieux. Il s'empare de notre volonté en nous imposant un contexte obsessionnel qui pour nous rendre notre liberté exige l'obtempération. TV, radio, panneaux, Internet, cinéma, écoles etc. notre espace social est complètement occupé par ce harcèlement accepté de bonne grâce parce qu'il nous laisse l'impression d'agir en toute liberté avec l'illusion d'un consentement volontaire. C'est le plus difficile à combattre. Ceux qui élèvent des enfants soumis à cette influence en savent quelque chose.  Ceux-ci n'ont parfois aucun autre moyen à leur disposition pour fléchir la volonté des tuteurs tyranniques et des manipulateurs sentimentaux.



5. L'opinion entendue est un moyen de conviction universel qui agit de manière souterraine mais influence pourtant plus que tout autre. Il a à voir avec l'acceptation ou le rejet. Quand on appartient à un groupe, il se forme une communauté, aussi petite soit-elle, d'opinions entendues auxquelles il est impossible d'échapper. L'humain est avant tout un être social peuplé d'une culture qui l'agit. Et pour peu qu'il refuse d'adhérer aux avis, opinions ou lois de la communauté qui le contient s'expose à l'excommunication qui le privera de tous les avantages secondaires qui en découlent. Il est entendu par exemple que l'on doive travailler pour vivre, arrêter au feu rouge, aller à l'école ou respecter l'horaire. La ponctualité est un exemple parfait d'entente tacite. La soumission personnelle à l'horaire et aux cadences du groupe est une opinion entendue sur laquelle on argumente rarement. Elle a un côté tyrannique mais puisqu'on s'y soumet généralement de bonne grâce, elle ne peut être considérée comme telle. On peut aussi la considérer comme un argument d'intelligence, ou sentimental, ou encore comme une forme de harcèlement, mais elle répond spécifiquement à aucun puisqu'elle régit nos opinions et comportements de manière si fondamentale que rien ne peut être pensé sans « l'opinion entendue ». C'est aussi ce que l'on appelle en philosophie les « conditions de possibilités ». Il est à peu près impossible d'échapper à l'opinion entendue puisque toute proposition contient des présupposés auxquels on doit consentir pour que l'argumentation prenne son sens.
Mais, me direz-vous, où doit-on classer l'antiviolence de Gandhi ou de Jésus-Christ? Cette forme de persuasion n'est-elle pas incontournable? À quelle classe appartient la rhétorique de ceux qui se font faibles (féministes, sionistes, homos, étudiants, pauvres, etc.) pour gagner l'autorité de dire aux forts qu'ils sont immoraux? J'y vois un mélange subtil introduit par la chrétienté (tendre l'autre joue, rendre le bien pour le mal, etc. ). C'est une forme d'autorité inversée jouant d'intelligence sur nos sentiments, et qui, accompagnée d'un harcèlement médiatique bien orchestré, crée dans les populations une opinion entendue hors de laquelle il est impossible de concevoir notre culture commune. C'est une boucle fermée sur elle-même qui s'auto-génère.
Tous ces moyens font pression pour nous motiver à engager notre liberté de penser ou d'agir selon les souhaits de ceux qui cherchent à remporter notre adhésion. Ils peuvent se colorer d'humour, de paternalisme, de terreur, d'estime ou d'hostilité. Le ton choisi pour convaincre fera toute la différence dans les sentiments qui accompagneront mon consentement. Dale Carnegie en a fait le point central de sa réussite dont il donne les clefs dans Comment se faire des amisReligion et Philosophie - Page 4 090102MethodeDePersuasionAucun argument ne compte davantage que de mettre notre interlocuteur dans une disposition favorable. Nous nous réjouissons de vivre dans une société où nous n'avons jamais été aussi libres de nos opinions. Pourtant, n'est-il pas étonnant que certains négligent encore cet aspect aussi fondamental en cherchant à convaincre leur interlocuteur avec hostilité, usant d'arguments spécieux appuyés sur de maigres références citées parfois à contresens et usant d'une autorité manifestement invalide? À moins d'avoir le fusil sur la tempe, on peut toujours en rire...
Religion et Philosophie - Page 4 Ligne33
 Ne rendez à personne le mal pour le mal . Recherchez ce qui est bien devant tous les hommes. (Épitre de Paul aux Romains Ch. 12 V. 17)Si quelqu'un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l'autre. Si quelqu'un prend ton manteau, ne l'empêche pas de prendre encore ta tunique (Luc Ch. 6 V. 29).
Louis Segond, Bible, 1910, Bible Online,  Éditions du Millénium © 2002, V-1.11.
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Message  Arlitto Mar 14 Juin 2016, 17:14

Faux philosophe ? Peut-être.
     Mais comment penser la haine et l'exclusion ?

Il n'y a pas de grand homme pour son valet de chambre.
(Hegel, Citation #116)
L'homme de génie se nourrit de miel et de poison.
(Manuel de Diéguez, Citation #249)

Il existe en philosophie un curieux ostracisme qui consiste à la penser en terme de ce qui lui appartient et ce qui ne lui appartient pas. Je suis gêné par l'attitude qui dit souvent, sans même l'articuler, « nous, les "philosophes professionnels" (qui en avons tant bavé à étudier PlatonKant et Hegel),  sommes à même de juger si notre interlocuteur est in ou out. Nous savons que ceci est de la philosophie et que cela n'en est point. Nous voulons bien accorder à la pensée du travailleur manuel quelque mérite philosophique mais il faut qu'elle passe par la grille de Karl Marx. Autrement, tout ce qui peut sortir de la bouche du vidangeur est out. Et bien sûr, la caissière du IGA qui scan machinalement mes victuailles sous son lecteur laser est loin de la philosophie ». Curieusement, certains professeurs ont le réflexe de réduire la philosophie à ce qu'ils connaissent et à confisquer celle-ci à leur propre bénéfice comme le mari disait jadis à sa femme « Ne touche pas à mes outils ! » ou, celle-ci, « Hors de ma cuisine, intrus ! ». Je trouve cette idéologie d'autant plus curieuse que la philosophie se veut universelle et que mes années de pratique enthousiaste m'ont amené à déceler et apprécier l'émanation philosophique de tout discours, qu'il provienne du brillant orateur universitaire ou du camionneur.

Ainsi, certains profs de philo m'interrogent parfois sur mon choix d'inclure dans ma liste des gens comme HitlerFreudJésus ou Sade à qui on récuse le titre de philosophe. Même Machiavel est encore pour certains au ban des prétendants à ce titre. On le juge dangereux. Mais la philosophie évolue. Si on n'acceptait de « canoniser » jadis que des penseurs dont le comportement s'accordait à notre sens éthique, depuis Deleuze on peut les concevoir autrement. Il ne s'agit plus de voir dans le philosophe un sage ou un professionnel de la philosophie — d'ailleurs, qu'est-ce que la sagesse ? — mais bien un penseur qui met à notre disposition un outil conceptuel qui nous aide à voir le monde d'une manière tout à fait originale. Le philosophe est sorti du carcan du bien et du mal pour entrer dans la pensée, quelle qu'elle soit. La pensée manichéenne est passée date, la philosophie n'est plus sectaire, elle s'ouvre maintenant à tous les domaines ; qu'il soit scientifique, éthique ou psychologique, par elle, il nous est maintenant permis de penser l'impensable.

Pour vous et moi, ceci n'a pas beaucoup d'importance. Quel que soit le domaine dans lequel vous travaillez, il vous est loisible de penser que les autres ignorent votre métier sans conséquences. Mais tout le monde pense ; et quand on enseigne la philosophie, ne doit-on pas accepter de tout penser ? Comment peut-on le faire en refusant d'aborder les aspects les plus obscurs de l'humanité ? Comment penser la haine sans Hitler ? Comment penser l'inconscient sans Freud ? Comment penser la matière sans Einstein ? Ou l'amour sans Ieschoua ? Trop de philosophes professionnels entretiennent la pensée autoritaire qui consiste à décider ce qui est bon ou non et choisissent d'imposer leurs valeurs sans avoir compris que la philosophie doit émerger de l'individu quel qu'il soit, où qu'il se trouve. Comme le montre John Deweyl'élève doit passer du statut d'objet de l'acte d'enseigner à celui de sujet de l'acte d'apprendre. Le professeur n'a rien à apprendre à l'élève que celui-ci ne pressente déjà en lui. Comment l'aider à se découvrir lui-même en niant ce qui peut en sortir ? Comment enseigner efficacement sans partir de ce que l'élève veut apprendre, de son monde, de ce qu'il conçoit déjà ?

Mais, me dira-t-on, avec Hitler, tu dépasses les bornes ! Et pourquoi donc ? Levinas ne nous a-t-il pas ouvert la voie quand il parle de Mal élémental dans ses Quelques réflexions sur la philosophie de l'hitlérisme ? Si j'ai dans ma classe quelques punks à la tenue vestimentaire agressive ou quelques néonazis, par quel ostracisme leur ferais-je gober qu'ils doivent accepter d'être disqualifiés du monde de la philosophie en rejetant l'image emblématique de leur guide conceptuel ? Squelette, croix gammée, tête de mort et macchabée, parés de leurs atours morbides ils nous affichent bruyamment leur philosophie. Pourquoi resterais-je sourd à cette idéologie ? Suis-je si frileux dans la mienne que j'aurais peur de mal tourner ? Ne serait-ce d'ailleurs pas jouer leur propre jeu que les exclure comme ils s'excluent eux-mêmes de notre société ? Comment les amener à penser la haine qui les habite ? Non pas une haine viscérale qui commande le coup de poing agressif et pulsionnel, mais la haine systématique et réfléchie qui commande une organisation structurée en vue de noircir et éliminer ce que l'on déteste. N'est-ce pas cette haine même qui nous habite quand on rejette du monde de la philosophie SadeMachiavelHitler ou la caissière du IGA ?

Si l'hitlérisme n'est pas une philosophie, alors comment donc ce courant de pensée a-t-il pu avoir une telle influence sur nos vies ? Comment affirmer sérieusement que ces bouleversements n'originent pas d'un conceptualisation unique de notre compréhension du monde, qu'elle ne tient pour rien, qu'elle est négligeable, insignifiante au point d'être exclue de toute prétention à l'idéologie philosophique ? Si la pensée d'Hitler s'était arrêtée à l'antisémitisme, elle n'aurait été qu'un racisme parmi d'autres. Gobineau nous aurait suffi. Mais il s'agit d'une pensée systématique de la haine consistant à éliminer non seulement les juifs déclarés « vermine » mais aussi d'exterminer les Tziganes, les Témoins de Jéhovah, les homosexuels et les malades [1]. Ceux qui refusent de voir en Hitler le penseur de la haine confondent la haine viscérale avec la haine systématique. C'est viscéralement que l'on déteste Hitler, mais sa conception de la haine dépassait la viscéralité pour s'élever au niveau de l'extermination froide, sans compassion, systématique, organisée, pensée. Mein Kampf n'est pas l'œuvre d'un fou en délire mais d'un penseur qui conceptualise un monde idéal, homogène, fort et parfait — non encore survenu — duquel l'autre ne peut être différent de soi : ni homosexuel, ni infirme, ni témoin de Jéhovah, ni Juif [2]. Sexualité ; fonctionnalité corporelle et mentale ; adhésion religieuse ; appartenance patriotique et raciale ; autant d'aspects qui doivent satisfaire à une norme uniforme de l'exclusion ; voilà l'hitlérisme. En reléguant ce philosophe au niveau d'un fou génial, on refuse de reconnaître sa part d'humanité et le délire potentiel qui nous habite nous-mêmes [3]. Pire, c'est donner à son idéologie de la haine et de l'exclusion une emprise sur nous en refusant de la penser. C'est y adhérer sans s'en apercevoir. La philosophie n'est pas sainte ; elle traite de la pensée humaine, de conceptualisation. Comme nous avons grandi sur une terre imbibée de catholicisme, nous avons le réflexe de vouloir remplacer cette religion par une autre ; de sanctifier la philosophie ; d'ériger en saints les philosophes qu'il nous plait de canoniser. La philosophie n'est pas une religion. Elle nous enseigne le pensable, le conceptualisable.

S'il s'agissait de n'accorder le titre de philosophe qu'à des hommes et femmes d'une probité irréprochable — c'est-à-dire, s'accordant à ce que notre époque reconnaît actuellement comme « éthique » — bon nombre de philosophes reconnus déchoiraient pitoyablement. Que penser des Anciens grecs qui aujourd'hui seraient lapidés au pilori de l'accusation pédophile ? Que penser de Diogène de Sinope, faux monnayeur dans sa jeunesse, et qui se masturbait sur la place publique ? Que penser de Voltaire qui, reconnu comme la tête de proue de la tolérance, n'en cassait pas moins du sucre sur le dos des Juifs ? Que penser de Heidegger membre du parti nazi ?  Que penser d'Empédocle, de Sénèque et de tous les philosophes qui se sont suicidés ? Que penser de Louis Althusser qui étrangla sa femme ? Que penser de Nietzsche qui servit de tremplin à la pensée nazie instiguant le peuple allemand à pratiquer une idéologie au delà du bien et du mal d'où devait surgir en chacun un surhomme pour remplacer le Dieu mort ? Bref, si on se mettait à penser l'attribution du titre de philosophe en fonction du comportement éthique de ces fabricants de concepts, la pensée occidentale ne serait-elle pas gravement amputée ?

Nous avons en tant qu'humains une propension naturelle à admirer ceux qui nous inspirent. Depuis Platon, l'idéalisation est notre péché originel. Mais qui dit que nous devrions admirer tous les philosophes qui nous fournissent les moyens de comprendre le monde ? Pourquoi refuserions-nous de reconnaître l'influence de ces penseurs dans tous les domaines ? Si le mandat de la philosophie est la connaissance de soi, je ne vois vraiment pas comment on pourrait l'enseigner en faisant l'économie de nos lieux de pensée les plus sombres.

Religion et Philosophie - Page 4 110504_FauxPhilosophe-StatChomageN'oublions pas que chaque philosophe s'appuie sur un mensonge fondateur pour étayer ses thèses. Celui de Hitler est criant, aujourd'hui, a posteriori. Mais l'évidence n'est survenue qu'une fois les ravages de l'idéologie constatés pendant et après la guerre. L'Allemagne des années trente vit baisser continuellement le taux de chômage à partir de l'élection de leur « Guide » national. La population s'enivrait alors de gains effectifs et de la gloire nationale confirmant la grandeur d'un peuple qui avait bien besoin de s'élever après la déchéance honteuse de la Première guerre et les dures années de crise économiques qui s'en sont suivies.

C'est pourquoi j'insiste pour reconnaître la valeur d'un penseur comme Hitler qui nous a permis de voir dans toute sa « splendeur » par quel méandre la théorisation de nos sentiments atrabilaires peut nous mener à l'horreur la plus totale. Y a-t-il un penseur qui, mieux que lui, peut nous enseigner comment penser les mécanismes de la haine et de l'exclusion ainsi que leurs  conséquences ? Et ce serait un grand mépris pour nos élèves de ne pas leur faire confiance pour savoir choisir en conscience ce qui est éthique ou non. Comment puis-je me dire philosophe en rejetant une partie de la matière à penser ? Autant me faire alors prêtre dogmatique.

Religion et Philosophie - Page 4 _CommentLibererLesAffinitesElectives300
Magritte 1932


La philosophie a beaucoup à faire encore pour se libérer de la pensée dogmatique qui surgit nécessairement quand elle s'organise en système institutionnel. Rare sont les philosophes inventifs qui sont restés toute leur vie au service de l'Éducation Nationale. Mais je peux comprendre que lorsqu'elle nous met le pain sur la table, il serait compromettant de dire à l'Institution que l'on ne partage pas son point de vue. Comme je ne fais pas partie des salariés de la profession, j'ai donc la chance de pouvoir penser librement et je cultive ma compassion pour les philosophes qui sont soumis à des programmes.

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[1] La pensée de Hitler s'enracine dans la lignée idéologique produite par la conjonction du stoïcisme, de SchopenhauerDarwinGobineauNietzscheBernays et la Bible. Non pas que ces philosophes soient des hitlériens avant l'heure mais des inspirateurs qui, comme un cocktail chimique dont chaque ingrédient pris seul est inoffensif, devient un mélange explosif lorsque les éléments sont combinés dans une certaine proportion.
[2] Cette idéologie s'apparente au totalitarisme décrit par Hannah Arendt mais s'en détache par le concept de haine. En effet, Le totalitarisme n'est pas nécessairement haineux ; il transforme les hommes en masses serviles et peut tout aussi bien apparaître sous la forme d'un amour diffus et totalitaire comme l'influence médiatique actuelle nous guide dans des comportements de masse avec une léthargie bienheureuse. L'idéologie hitlérienne s'érige sur un fondement haineux
[3] Voir les suppléments du DVD du film La chute (de Oliver Hirschbiegel - 2005) où on explique le danger de décrire Hitler comme un fou ne faisant pas partie de l'humanité.
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Philo5
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Message  Arlitto Mar 14 Juin 2016, 17:15

À la recherche de la loi des contraires

Existe-t-il une loi des contraires? Quel en est l'énoncé? A-t-elle elle-même un contraire? Quel serait-il? La loi des semblable? La loi des complémentaires?

Une brève recherche sur l'Internet nous laisse curieusement sur notre appétit. Aucun énoncé clair si ce n'est Janet et Séailles  qui l'évoquent rapidement en l'attribuant à Héraclite. On la retrouve aussi mentionnée par Jung pour opposer sagesse à folie. Évoquée souvent, son origine et sa formulation se perdent pourtant dans l'obscurité.

Essayons de la retrouver. Anaximandre, élève du tout premier philosophe grec Thales de Milet avait déjà, un siècle avant Héraclite, réfléchi sur la question en affirmant, comme le rapporte le fragment qui nous est parvenu de Théophraste, que tout naît de la séparation des contraires.

On a coutume d'opposer Parménide à Héraclite. Le premier pensait que tout est permanent alors que l'autre voyait le monde comme un changement toujours renouvelé. Mais Parménide peut s'opposer  aussi bien à l'hénologue Plotin qui pensait l'univers en terme d'unité globale.

Deux concepts fascinent les philosophes plus que tout autres. L'unité et l'opposition.  Il existe une tension chez Parménide entre la loi de l'Un et la loi des contraires. La première, à l'instar de Plotin voit l'unité en toute chose alors que la seconde affirme que l'univers est de nature binaire, que ce soit dans la complémentarité ou l'opposition. Parménide est à la base de la pensée binaire rationnelle quand il affirme que « l'être est, en effet, mais le néant n'est pas ».

La pensée philosophique, à l'instar des cellules qui se divisent est tantôt une, tantôt double. Notre image réfléchie dans le miroir nous montre l'évidence par symétrie de l'importance du dédoublement. Notre propre corps est composé de deux bras, deux jambes, deux seins, deux yeux etc. Il n'est pas surprenant que nous ayons alors une propension à penser le monde en tandem, à reconnaître les doublons sinon à ne plus les voir tellement ils font partie de notre quotidien.

Mais y a-t-il une loi qui régisse toute chose et applique des conditions contraires? Hegel nous l'assurerait certainement. Opposant thèse à antithèse, il construit toute sa philosophie montrant que la synthèse produite devient la nouvelle thèse où s'opposera nécessairement une nouvelle antithèse qui à nouveau produiront une synthèse et ainsi de suite, créant ce qu'on appelle désormais l'Histoire.

La notion d'antinomie de Kant nous rapproche de l'énoncé recherché : « Dans la résolution d'une antinomie il importe seulement que deux propositions qui se contredisent en apparence, ne se contredisent pas en fait et puissent se maintenir l'une à côté de l'autre [...] ». La loi des contraires a ceci de curieux que la contrariété n'en est pas véritablement une puisque, si rien ne peut être pensé sans son contraire, nous devrions alors penser le monde en terme de complémentarité, et non de contradiction.

Et nous voilà rebondissant 600 ans avant J.-C. chez Lao-tseu qui nous dit :

En effet, le caché et le manifeste naissent l'un de l'autre.
Le difficile et le facile se complémentent l'un et l'autre.
Le long et le court se montrent l'un l'autre.
Le haut et le bas se définissent l'un par l'autre.
La voix et le son s'harmonisent l'un et l'autre.
L'arrière et l'avant se suivent.


Ainsi donc, si la philosophie occidentale qui a un faible pour la critique et la contradiction énonce la une loi des contraires, la sagesse chinoise antique préfère voir le monde en terme d'harmonie complémentaire. À vous donc de choisir votre énoncé :
Rien ne peut être pensé sans son contraire
ou
La complémentarité est la base où s'équilibre l'harmonie de l'univers.
 Où préférez-vous placer votre illusion? Êtes-vous différentialiste ou universaliste? Voilà peut-être la distinction fondamentale entre la philosophie occidentale et l'orientale. La première est plus à l'aise dans les différences et l'individualité alors que la seconde préfère voir l'harmonie complémentaire de toute chose. Mais quel que soit votre choix, ne démontre-t-il pas la vérité de cette loi? Et comme nous sommes symétrique, binaire, contradictoires et complémentaire, nous serait-il seulement possible de concevoir le monde autrement?
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[1] « Héraclite et les Éléates. — Premières formes de l'opposition du sensible et du rationnel.
— Lespremiers philosophes , les Ioniens et même les Pythagoriciens, ne dégagent pas nettement le problème de la connaissance. C'est avec Héraclite que nous voyons apparaître pour la première fois l'opposition du sensible et du rationnel. [...] La sagesse consiste à connaître la raison qui gouverne tout, à découvrir la nature du feu, la loi des contraires, et l'unité harmonieuse qui se dégage sans cesse de la lutte et du changement. Cette divinité, cette loi du monde, cette raison primordiale n'est pas distincte de la substance des choses, du feu primitif ; elle est nous comme toutes choses. (Paul Janet et Gabriel Séailles, Histoire de la philosophie - Les problèmes et les écoles, Librairie Ch. Delagrave, 1887, page 116, (consultée le 12 oct. 2008).)
[2] « Héraclite a découvert la loi des contraires. L'irrationnel ne doit et ne peut être exterminé. Les Dieux ne peuvent et ne doivent pas mourir. L'esprit occidental doit trouver une posture qui permette l'union des contraires, tel que le tao chinois l'enseigne. Union entre intérieur et extérieur. C'est de la synthèse des contraires que naît l'énergie créatrice. Si devenir fou n'est pas un art, on peut extraire de la folie une forme de sagesse. Le vrai sage est celui qui a su contrôler sa part de folie. » (Carl Gustav Jung, L'âme et la vie, Livre de poche © 1995, page consultée le 12 oct. 2008 : http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27%C3%A2me_et_la_vie
[3] « Il relie en outre l'engendrement non pas à l'altération de l'élément, mais à la séparation des contraires à travers le mouvement éternel. » (Théophraste, Fragment A9 (Colli 11 [B1]), Opinions des physiciens, fragment 2, traduction G. Colli, in La Sagesse grecque, Édition de L'Éclat, 1997. Extrait de Catherine Golliau, La Pensée antique, des présocratiques à saint Augustin, Le Point Thallandier © 2005, (page consultée le 12 oct. 2008).)
[4] R. Schurmann, Le différend hénologique : la loi de l'un et la loi des contraires, Dans la revue italienne La Parola del passato © 1988, vol. 43, no. 238-243, pp. 397-419. (INIST-CNRS © 2008)
[5] Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, 1790, Section II, §57, p165 (page consultée le 12 octobre 2008).
[6] Lao Tzu (traduit par John C. H. Wu), Tao Teh Ching, Shambhala Dragon Editions © 1989 (St. John's University Press, New York © 1961) (page consultée le 12 oct. 2008).
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