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Forum - Religion et Médecine
1Jusqu’à une date récente et parfois encore aujourd’hui, y compris dans l’historiographie, religion et médecine sont perçues comme deux univers radicalement différents et opposés l’un à l’autre, la médecine finissant par l’emporter sur la religion. Cette représentation est d’abord construite par les hommes des Lumières qui opposent les temps nouveaux, marqués par la science et la raison, à un Ancien Régime imprégné de croyances, de préjugés et d’obscurantisme qu’il faut faire disparaître. À la fin du xixe siècle le programme semble réalisé au moment où triomphent les anticléricaux, les scientifiques et les médecins, les trois catégories se recoupant largement. Médecins triomphants et efficaces ; hôpitaux laïcisés ; recours au médecin généralisé par l’assistance ; la médecine semble avoir donné son congé à la religion dans le domaine des soins aux malades. Cette vision « progressiste », fortement enracinée dans notre inconscient, a structuré la recherche historique qui en retour a légitimé cette vision. Dès le milieu du xixe siècle, et pour longtemps, l’histoire écrite par les médecins décrit la saga héroïque de leurs devanciers luttant pour la science et contre l’obscurantisme souvent incarné par le clergé. Cette façon de présenter les choses n’est pas absente chez certains historiens contemporains et marque profondément l’histoire hospitalière. Il est peu de monographies ou de synthèses qui décrivent autre chose que le passage obligé de l’asile indifférencié de l’Ancien Régime à la machine à guérir tout entière mue par les médecins et soumise à leurs impératifs. La seule divergence réside dans la date de ce basculement. De la machine à guérir à la médicalisation, il n’y a qu’un nom, celui de Michel Foucault. Autant son hypothèse du grand enfermement fut critiquée, autant celle de la médicalisation fit l’unanimité et mieux encore. En la décrivant négativement comme une opération de contrôle et de surveillance des populations, Foucault réussit à entraîner sur le terrain de la médicalisation une nouvelle génération d’historiens allergique à la rhétorique du « progrès ». À côté de ceux qui voyaient dans la médicalisation l’avancée de la science, du progrès et du mieux être dû à la société libérale, s’ajoutaient ceux qui y décelaient une emprise totale sinon totalitaire sur les citoyens. Personne n’échappait au postulat de la médicalisation/laïcisation.
2Il n’est bien entendu pas question dans ce numéro de remettre en cause l’indéniable montée en puissance de la médecine et des médecins dans le soin et la guérison des malades, non plus que dans l’interprétation de la maladie, mais simplement de suggérer que, dans la lutte contre la maladie, médecine et religion ont été plus souvent mêlées et associées qu’affrontées.
- 1 Dans son deuxième numéro (automne 2012) consacré aux Remèdes la toute nouvelle revue Histoire, méde (...)
3En reprenant ce dossier, on ne prétend pas non plus faire œuvre entièrement originale1 mais prolonger des tendances historiographiques que l’on présentera rapidement ici en signalant ce en quoi les contributions qu’on va lire nous semblent préciser, modifier, affûter les questions déjà ouvertes. Dans l’appel à communication, il était écrit que l’on souhaitait « éviter de faire à nouveau une histoire des congrégations hospitalières mais centrer le propos sur les médecins et les chirurgiens en rapport avec la religion chrétienne et également sur les prescriptions religieuses en matière de santé. »
- 2 Jacques Léonard « Médecine, femmes et religion : ces femmes qui soignent au xixe siècle », Annales (...)
- 3 Olivier Faure, « Les religieuses hospitalières en France entre médecine et religion », in Isabelle (...)
- 4 Matthieu Brejon de Lavergnée, Histoire des Filles de la Charité (xviie-xviiiesiècles), Paris, Faya (...)
- 5 Claude Langlois, Le catholicisme au féminin : les congrégations féminines à supérieure générale en (...)
- 6 Claude Langlois. « Congrégations et professionnalisation : les gardes malades à domicile », in Clau (...)
- 7 Olivier Faure, « Les sages-femmes en France au xixe siècle : médiatrices de la nouveauté », in Patr (...)
4La première remise en cause de la vulgate exposée ci-dessus a commencé par la découverte du rôle joué par les religieuses dans la distribution des soins Dans un article pionnier, Jacques Léonard avait laissé entrevoir « les troupes abondantes et variées de bonnes sœurs et de religieuses qui s’occupent des personnes souffrantes » dans la France du xixe siècle. Même s’il faisait, en spécialiste des médecins, une large place à « la grogne des caducées » à l’égard des religieuses, il défendait la thèse selon laquelle, loin de dispenser une anti médecine, les religieuses s’étaient faites les vecteurs de la médecine et les agents des Lumières2. Les études ultérieures dans ce domaine n’ont fait que confirmer ces intuitions3. Dans les hôpitaux, les dispensaires, les communes rurales ou les quartiers ouvriers, les religieuses sont plus souvent les compléments, les substituts, les auxiliaires des médecins que leurs concurrents. Néanmoins, autant on est bien renseigné sur les sœurs, leurs congrégations, leur dévotion, autant il est difficile de saisir précisément ce que font les religieuses lorsqu’elles sont au pied du lit des malades. Travaillant sur les Filles de la Charité, Matthieu Bréjon de Lavergnée4 est, par la force des choses – et ce n’est pas un reproche –, presque aussi rapide que Claude Langlois en son temps5 sur les activités médicales des religieuses. Pour les Filles de la Charité, le service des pauvres n’occupe qu’un chapitre de 35 pages sur les 500 que compte le texte de l’ouvrage, et le service des malades moins de 15. Dans ce numéro, l’avantage d’Anne Jusseaume est double. Elle dispose des archives de « ses religieuses ». Celles-ci émanent des « Petites sœurs de l’Assomption gardes malades des pauvres à domicile », nées en 1875 dans le cadre de la dernière vague de création de congrégations pour lesquelles la garde des malades est souvent une mission privilégiée6. Grâce à cette double circonstance, elle sort de l’histoire des congrégations hospitalières, les mieux étudiées. Bien sûr, ces sources ne sont pas parfaites pour notre sujet. Elles privilégient la vie religieuse par rapport aux œuvres, les récits rares à valeur édifiante au détriment des activités quotidiennes. Elles éludent le corps des femmes soignées, restent muettes sur les gestes des religieuses. Malgré cela, l’article suggère de fortes hypothèses. Même si l’on ignore le nombre exact d’indigents de la paroisse de Grenelle, les 300 à 400 personnes prises en charge par les Petites sœurs ne constituent qu’une petite minorité. En revanche, cette congrégation ne dédaigne pas, à l’inverse de nombreuses autres, de s’occuper des femmes en couches, passant outre la répugnance de leurs consœurs d’avoir affaire à tout ce qui, de près ou de loin, touchait à la génération. Néanmoins, les sœurs ne pratiquent pas les accouchements et interviennent après celui-ci. Elles s’occupent majoritairement de tâches ménagères et spirituelles. Elles font le ménage, la cuisine, mais tentent de profiter de cette présence pour pousser les couples de fait au mariage, pour ramener la foi dans les familles par les femmes, pour tenter de convertir quelques protestantes. Au total, elles complètent l’action des sages femmes plus qu’elles ne la contredisent, y compris sur le plan sanitaire. Comme elles7, elles sont de parfaits intermédiaires culturels : femmes comme les accouchées, sans doute issue des mêmes milieux modestes, elles sont de plain pied avec celles qu’elles visitent et font d’autant mieux passer les messages sanitaires en faveur de l’allaitement maternel ou de l’hygiène des seins.
- 8 Hervé Guillemain, Diriger les consciences, guérir les âmes : une histoire comparée des pratiques th (...)
- 9 Jacqueline Lalouette, « L’hôpital libre et chrétien : une réponse catholique à la Laïcisation des h (...)
- 10 Olivier Faure (avec la collaboration de Dominique Dessertine), Les cliniques privées : deux siècles (...)
5La présence des confessions religieuses est aussi manifeste dans le domaine hospitalier. Malgré l’évidence de l’existence d’hôpitaux confessionnels, le thème n’a été que récemment abordé. Dans le cadre d’une histoire de la psychiatrie très dynamique, les chercheurs ont bien fait apparaître le rôle des ordres ou congrégations dans la création des asiles d’aliénés. Outre celles de l’ordre de Saint-Jean de Dieu, déjà spécialisé dans le traitement des insensés dès l’Ancien Régime, les ouvertures d’asiles d’aliénés et leur gestion par les sœurs de Sainte-Marie de l’Assomption de Clermont-Ferrand, celle de Saint-Joseph de Bourg ont été largement étudiées8. Sans compter les asiles de vieillards tenus par des congrégations comme les Petites sœurs des pauvres qui mériteraient des études, les hôpitaux confessionnels ouverts aux malades ne font l’objet que d’une attention récente. Cet intérêt est d’abord venu dans le prolongement des études sur la laïcité et l’on ne s’étonne pas que Jacqueline Lalouette soit l’auteur du premier article scientifique sur les hôpitaux catholiques qui naissent à la fin du xixe siècle9. Peu de temps après, et tout récemment, la curiosité s’est étendue aux historiens du médical qui y ont englobé les infirmeries protestantes10. L’article d’Emmanuel Jaussoin, tiré d’un mémoire de master pionnier, se trouve au confluent de ces deux regards. Il montre que l’Infirmerie protestante de Lyon émane, comme les hôpitaux catholiques plus tard, d’une méfiance pour les hôpitaux publics jugés trop catholiques, comme ceux de la Troisième République paraîtront plus tard trop laïques aux catholiques. Pourtant, cette création, comme celle des autres hôpitaux confessionnels, ne peut se réduire à une dimension défensive. L’hôpital catholique ou protestant est une façon d’affirmer l’identité de la communauté, de la renforcer, mais aussi un moyen de prouver à l’extérieur son efficacité ou sa modernité, in fine dans l’espoir secret de faire des convertis.
- 11 Laurence Brockliss, Colin Jones, The medical word of early modern France, Oxford, Oxford university (...)
- 12 Sur laquelle revient Gilles Sinicropi, « Rendre service aux malades. Les Carmes déchaux et la prati (...)
6La présence des religions sur le terrain des soins a été aussi analysée en termes de marché. Dans la brillante et très vaste synthèse qu’ils ont consacrée au monde médical de la France moderne (au sens français)11, Laurence Brockliss et Colin Jones ne consacrent aucun chapitre à la question des relations entre la médecine et la religion mais cette dernière est omniprésente. Néanmoins, et de façon assez significative, il en est surtout question dans un chapitre intitulé « la pénombre médicale » où le clergé et le mouvement dévot apparaissent aux côtés des « charlatans », des femmes et du galénisme populaire. Le clergé revient en force dans le chapitre sur « l’entreprenariat médical des Lumières ». Les auteurs soulignent le rôle que jouent des membres du clergé sur le marché médical, surtout comme producteurs, mais aussi parfois comme consommateurs. Du côté de l’offre, le clergé privilégie la fabrication de remèdes, même si l’on connaît quelques ecclésiastiques réputés dans le domaine de la lithotomie, comme le frère Jacques (1651-1714), célèbre à la cour de Louis xiv. À côté de la célèbre eau de mélisse des carmes déchaussés12, et parmi une multitude d’autres, on ne résistera pas au plaisir de citer l’eau spiritueuse de Jéricho et l’eau philosophique d’Osiris du jacobin Dominique Plantin et les remèdes prétendument issus de l’époque des pharaons rapportés d’Égypte par les pères capucins Rousseau et Aignan. Malgré leurs vertus qui nous paraissent improbables, ces remèdes ont du succès : l’eau de Mélisse rapporte vers 1760 20 000 livres par an à l’ordre ; les cordeliers d’Alise Sainte-Reine (Bourgogne) auraient vendu, rien qu’à Paris, 20 000 bouteilles de leur eau minérale dans la première décennie du xviiie siècle.
- 13 Bernard Delpal, Le Silence des moines : les trappistes au xixesiècle : France et Algérie, Syrie, Pa (...)
- 14 Id., Être trappiste au xixe siècle : Aiguebelle et sa filiation, thèse d’État, université Paris IV, (...)
- 15 Emilie-Anne Pepy, Le territoire de la Grande Chartreuse : montagne sacrée, montagne profane, Grenob (...)
7La production cléricale dans le domaine de la pharmacie et des « produits hygiéniques » continue auxixe siècle et prend parfois une forme industrielle. Dans le Silence des moines, Bernard Delpal a très bien retracé l’épopée du chocolat des trappistes d’Aiguebelle, un produit de santé autant qu’une gourmandise13. Dans la version dactylographiée de sa thèse, le même auteur signale que cette fabrication prend la suite de toute une série de tentatives malheureuses orientées vers la santé. Elles consistaient à élever des sangsues, à distiller des plantes, à fabriquer les gouttes anti apoplectiques du père Ephrem de Carrière, ou le produit vétérinaire « le trésor de la ferme », à distribuer l’inusable eau de mélisse des carmes14. Il serait sans doute important de traquer ces pratiques dans d’autres ordres religieux (on songe aux différentes liqueurs des chartreux, des bénédictins, à la Jouvence de l’abbé Soury) et d’en analyser les raisons. Économiques d’abord comme dans le cas des trappistes en proie à des difficultés financières, les motivations peuvent être le souci d’améliorer la santé, de diffuser le bien être et de rester présent dans l’arène sociale. On regrette à cet égard n’avoir pu accueillir une contribution d’Emilie-Anne Pépy, auteur d’une thèse remarquée sur la Grande Chartreuse15, qui aurait pu nous éclairer sur les liqueurs médicinales des chartreux. On devrait aussi mesurer le rôle et les motivations des ecclésiastiques dans les demandes de reconnaissance des remèdes secrets.
- 16 Laurence Brockliss, Colin Jones, The medical world…, op. cit., p. 257-258 ; 637 ; 653 ; 656-658.
- 17 Gwénaël Murphy, « Religieuses et médicaments au xviiiesiècle », Histoire médecine et santé, 2012, (...)
8On sait aussi que, depuis fort longtemps, les couvents avaient leur médecin, leur apothicaire et leur jardin médicinal. On trouve parfois d’autres traces qui confirment cette « consommation médicale. Ainsi lorsqu’il cite ceux qui ont bien voulu témoigner des vertus de sa poudre purgative, Jean Aillaud y compte près de 30 % de membres du clergé16. Tout récemment, Gwénaël Murphy a montré l’importance de la consommation médicamenteuse du couvent des religieuses fontevristes de Lencloître (Vienne) à la veille de la Révolution. Déjà en 1729 entre 5 et 10 % des dépenses des couvents du diocèse de Poitiers étaient consacrées aux « médecins et chirurgiens ». À Lencloître entre 1786 et 1790, le poste atteint 12 % des dépenses. Parmi celles-ci, les médicaments se taillent la part du lion (67 % des dépenses médicales). Régulièrement visitées par le chirurgien Lafond, les religieuses sont de grandes consommatrices de saignées et de sangsues. Elles ne négligent pas les remèdes divers au premier rang desquels viennent les calmants et somnifères suivis par les fébrifuges et les produits censés combattre les incommodités digestives. On est donc loin du schéma selon lequel les religieuses auraient négligé leur corps. Certes, le traitement de ce dernier a des fins largement religieuses. La priorité est donnée au combat contre l’insomnie, produit du dérangement des esprits incompatible avec la vie religieuse17.
9Il serait pourtant réducteur de considérer les membres du clergé comme de simples et banals acteurs parmi d’autres d’un marché médical en croissance. On arrive ici au cœur du projet de ce numéro qui voulait se centrer sur les médecins et les chirurgiens dans leur rapport avec la religion chrétienne mais également sur les prescriptions religieuses en matière médicale.
- 18 Andrew Cunningham, « Where there are three physicians there are two atheists », in Ole Peter Grell, (...)
- 19 Pierre Guillaume, Médecins Église et foi (xixe-xxe siècles), Paris, Aubier, 1990.
- 20 Laurence Brockliss, « Medicine Enlightenment and Christianity in eighteenth century France » in Ole (...)
10Dans l’historiographie, il y a déjà bien longtemps que le vieil adage médiéval « ubi tres medici, ibi duo athei » (là où il y a trois médecins, il y a deux athées18) n’a plus cours. Dans le domaine francophone, Pierre Guillaume19 a redonné leur place aux médecins chrétiens et rendu compte de leur importance, faisant justice de l’idée reçue selon laquelle tous les médecins du xixesiècle français auraient été des anticléricaux. Plus encore, des travaux anglo-saxons ont remis en cause l’incompatibilité entre la religion catholique et la médecine d’observation, mettant à jour l’existence d’un Enlightenment catholique particulièrement bien représenté chez les médecins20 parmi lesquels on comptait plus de personnes pieuses que de disciples de Julien Offray de la Mettrie (1709-1751), l’immortel auteur de l’Homme machine.
- 21 Selon la définition de Sandra Cavallo et David Gentilcore « Spaces, objects and identities in early (...)
11Cette compatibilité pendant la période même de l’affrontement supposé s’explique en grande partie par ce qui existait auparavant. Si les clercs ne devaient plus verser le sang et renoncer à la chirurgie depuis le concile de Latran de 1215, leur intérêt pour la médecine ne s’est pas démenti et connaît un regain de faveur à l’aube de la période moderne. Comme le montre Elisa Andretta, les conclaves deviennent des « lieux de médecine21 ». Enfermés pour un temps qui peut être long dans une atmosphère étouffante, menacés par des épidémies, soumis à un régime alimentaire spartiate, souvent âgés et infirmes, les cardinaux exigent une assistance médicale. Jusqu’au milieu du xvie siècle, ils sont accompagnés de leurs médecins personnels mais ceux-ci, suspects de jouer le rôle de conseillers occultes et de peser sur les élections, sont peu à peu remplacés par des médecins officiels chargés de la santé de tous les cardinaux. Il n’empêche que ces médecins tentent de jouer un rôle politique prônant par exemple un vote rapide pour échapper aux mauvaises conditions d’hygiène. Les cardinaux savent aussi jouer de leur maladie à l’image de Giovanni de Medicis qui la met en scène pour dissiper les craintes d’un pontificat trop long et se faire élire sous le nom de Léon X. À des niveaux plus quotidiens, la pastorale post tridentine très centrée sur le modèle du Christ met l’accent sur le secours aux pauvres et donc aux malades.
- 22 Le corps malade entre pléthore et corruption : écrits médicaux et écrits religieux au xviiesiècle, (...)
12À lire le texte de Cécile Floury-Buchalin22 on a d’abord le sentiment d’une indifférence totale des religieux à la médecine. Les auteurs qu’elle cite tiennent au premier abord un discours attendu. Ils exaltent la maladie et la souffrance comme moyen d’arriver à Dieu, de se rapprocher du Christ. Ils prêchent donc l’indifférence aux maux, la résistance à la douleur. Pourtant, s’il est d’abord un ennemi, le corps est aussi le temple du Saint-Esprit qu’il faut conserver et la religion vient donc légitimer la médecine qui se propose de réparer ce temple. Aussi, et c’est tout l’intérêt de l’article, les deux mondes ne sont pas indifférents. Les médecins puisent dans le message de résignation de l’Église pour persuader leurs malades d’endurer leurs traitements douloureux et d’avaler leurs préparations infectes. Comme le dit très bien l’auteur, « remèdes spirituels et remèdes temporels se pensent en miroir » et « la santé et le salut procèdent de vertus semblables ». À la limite on ne sait plus qui inspire qui, lorsque l’on établit des parallèles entre la confession et la purgation, entre l’Eucharistie et les aliments favorables à la santé, entre « les régimes préservatifs » de l’âme et la modération des comportements physiques. Est-ce la médecine qui sert aux théologiens pour ordonner leur propos ou bien serait ce l’inverse ? Quoi qu’il en soit on aurait ici une version catholique de la métaphore organiciste.
13L’article consacré par Guillaume Garnier au sommeil et au rêve montre la pérennité des discours convergents. Sauf de rares exceptions, comme le très intéressant vétérinaire Philibert Chabert (1737-1814) au moment de la Révolution, médecins et religieux émettent les mêmes prescriptions en matière de durée de sommeil et de position du dormeur. La nuit est faite pour le sommeil et le jour pour l’activité, que l’on invoque l’ordre voulu par Dieu ou la physiologie (la baisse de la lumière apaise le système nerveux et dispose au sommeil). La durée du sommeil est liée à l’âge et au genre des individus et non à leur activité. Les enfants, les vieillards et les femmes sont réputés faibles et doivent dormir beaucoup, les hommes adultes peu, en tout cas jamais plus de huit heures et jamais après 8 h. Pour les médecins et les ecclésiastiques, il faut dormir sur le côté, de préférence le droit, jamais sur le ventre mais pas non plus sur le dos. Comme on le sait, surtout au xixe siècle, les médecins sont encore plus obsédés par la masturbation que le clergé. Un autre modèle du sommeil apparaît au milieu du xixe siècle. Il fait plus de place à l’activité du jour précédent pour déterminer la durée du sommeil.
- 23 Jean-François Viaud, Le malade et la médecine sous l’Ancien Régime : soins et préoccupations de san (...)
14Dans les deux cas, se pose bien sûr la question du respect de ces prescriptions conjointes. Déjà, dans l’Imitation de Jésus Christ, il était noté que « la maladie rend fort peu d’hommes meilleurs. » Dès le xviie siècle, les médecins signalent l’impatience des malades qui veulent changer de remèdes à tout bout de champ et imposent aux praticiens de leur céder en proposant des remèdes plus agréables comme les bains. Tout ceci corrobore les premiers résultats des études menés sur les préoccupations de santé à partir des écrits du for privé23. La collaboration, voire la collusion, de la religion et de la médecine n’est pas propre à l’Ancien Régime et au début du xixe siècle. Hervé Guillemain montre très bien que, tout au long de la période contemporaine, et jusqu’aux années 1970, l’Église et la psychiatrie ont lutté de concert contre les délires d’ensorcellement. Si « le savoir médical s’étend sur un ensemble de comportements religieux et de discours croyants considérés comme pathologiques », l’Église recoure volontiers aux arguments médicaux pour les cas de possession et de stigmates et contribue à médicaliser le champ des croyances pour mieux contrôler les dévotions populaires.
15Même si la chose aurait pu menacer la cohérence de ce numéro, on aurait voulu élargir la réflexion à d’autres espaces et à d’autres religions que les confessions chrétiennes de l’Europe occidentale. Faute d’avoir pu le faire, deux articles suggèrent très imparfaitement un dépassement possible de la seule question des relations entre la médecine et le christianisme. Totalement enracinée dans la science de son temps, tant elle est fondée sur l’observation, l’homéopathie développe des stratégies puisées dans le registre religieux lorsque ses arguments scientifiques sont majoritairement récusés. Hahnemann devient un messie objet d’un culte rendu par des disciples qui ne négligent ni les conversions ni les croisades non plus que les excommunications mutuelles et les dérives sectaires. Néanmoins, ces emprunts ne sont pas de pure forme. Certes, il ne s’agit pas là du catholicisme mais plutôt d’une religion médicale inspirée par un déisme fortement marqué par la franc-maçonnerie. Aussi, si elle attire des médecins catholiques, l’homéopathie séduit nombre de saint-simoniens qui mêlent intimement visions scientifiques et religieuses. Au-delà du cercle des convertis, le débat sur l’homéopathie transfère dans le monde médical les notions religieuses d’orthodoxie et d’hétérodoxie que chaque camp emploie à son avantage. C’est aussi l’entrée du religieux dans le monde médical que signale Hervé Guillemain qui conclut son article par cette formule : « en se faisant missionnaire contre les superstitions, la médecine traduit non son caractère laïque mais plutôt sa dimension cléricale ».
- 24 Mona Ozouf, La fête révolutionnaire (1789-1799), Paris, Gallimard, 1976.
16On dit volontiers que la médecine et la santé sont devenues la religion du monde moderne et que des rituels hygiéniques ont remplacé des gestes religieux. On entrevoit mieux ici tout ce que la médecine aurait pu emprunter aux univers religieux, à tel point que l’on pourrait hasarder que, tout autant que la patrie, elle a pu être une bénéficiaire des processus de transfert de sacralité décrits dans le domaine politique24.
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Notes
1 Dans son deuxième numéro (automne 2012) consacré aux Remèdes la toute nouvelle revue Histoire, médecine et santé (Framespa éditions méridiennes Université Toulouse le Mirail http//w3Framespa.univ-tlse2fr/boutique/spip/) accueille deux articles (sur 5) consacrés aux relations entre le clergé et les médicaments ; à signaler aussi Fabienne Henryot, « Savoirs et savoir-faire pharmaceutiques au collège des jésuites de Pont-à-Mousson au xviiie siècle », Annales de l’Est, 2011, N° 1, « La prise en charge des malades du Moyen Âge à nos jours », p. 69-93.
2 Jacques Léonard « Médecine, femmes et religion : ces femmes qui soignent au xixe siècle », Annales ESC, 1977, n° 5, p. 887-907. Repris dans Médecins, malades et sociétés au xixe siècle, Paris, Science en situation, 1992.
3 Olivier Faure, « Les religieuses hospitalières en France entre médecine et religion », in Isabelle von Bueltzingsloewen, Denis Pelletier (dir.) La charité en pratique ; chrétiens français et allemands sur le terrain social (xixe–xxe siècles), Strasbourg, Presses universitaires, 2007, p. 53-64 ; « Les religieuses dans les peits hôpitaux en France au xixe siècle », in Jacqueline Lalouette et alii (dir.) L’hôpital entre religions et laïcité du Moyen-Âge à nos jours, paris, Letouzey et Ané, 2006, p. 59-72.
4 Matthieu Brejon de Lavergnée, Histoire des Filles de la Charité (xviie-xviiiesiècles), Paris, Fayard, 2011.
5 Claude Langlois, Le catholicisme au féminin : les congrégations féminines à supérieure générale en France au xixe siècle, Paris, Cerf, 1984.
6 Claude Langlois. « Congrégations et professionnalisation : les gardes malades à domicile », in Claude Langlois (dir.) Catholicisme, religieuses et société : le temps des bonnes sœurs, Paris, Desclée de Brouwer, 2011.
7 Olivier Faure, « Les sages-femmes en France au xixe siècle : médiatrices de la nouveauté », in Patrice Bourdelais, Olivier Faure (dir.), Les nouvelles pratiques de santé (xviiie-xxe siècles), Paris, Belin, 2005, p. 157-174.
8 Hervé Guillemain, Diriger les consciences, guérir les âmes : une histoire comparée des pratiques thérapeutiques et religieuses (1830-1939), Paris, La Découverte, 2006, p. 15-44. Olivier Bonnet, « Servir Dieu, servir les fous : les religieuses dans les asiles d’aliénés au xixe siècle », in Olivier Faure, Bernard Delpal (dir.), Religion et enfermement (xviie-xxe siècles), Rennes, PUR, 2005, p. 131-152.
9 Jacqueline Lalouette, « L’hôpital libre et chrétien : une réponse catholique à la Laïcisation des hôpitaux de l’assistance publique »in id.et alii (dir.), L’hôpital entre religions…, op. cit., p. 117-134.
10 Olivier Faure (avec la collaboration de Dominique Dessertine), Les cliniques privées : deux siècles de succès, Rennes, PUR, 2012, p. 43-64.
11 Laurence Brockliss, Colin Jones, The medical word of early modern France, Oxford, Oxford university press, 960 p.
12 Sur laquelle revient Gilles Sinicropi, « Rendre service aux malades. Les Carmes déchaux et la pratique médicale xviie-xviiie siècles », Histoire, médecine et santé, 2012, n° 2, p. 21‑32.
13 Bernard Delpal, Le Silence des moines : les trappistes au xixesiècle : France et Algérie, Syrie, Paris, Beauchesne, 1998, p. 332-342.
14 Id., Être trappiste au xixe siècle : Aiguebelle et sa filiation, thèse d’État, université Paris IV, 1994, 2 vol. dactyl, p 525. Note 1.
15 Emilie-Anne Pepy, Le territoire de la Grande Chartreuse : montagne sacrée, montagne profane, Grenoble, PUG, 2011.
16 Laurence Brockliss, Colin Jones, The medical world…, op. cit., p. 257-258 ; 637 ; 653 ; 656-658.
17 Gwénaël Murphy, « Religieuses et médicaments au xviiiesiècle », Histoire médecine et santé, 2012, n° 2, p. 33-44.
18 Andrew Cunningham, « Where there are three physicians there are two atheists », in Ole Peter Grell, Andrew Cunningham (dir.) Medicine and religion in Enlightenment Europe, Aldershot, Ashgate, 2007, p. 1.
19 Pierre Guillaume, Médecins Église et foi (xixe-xxe siècles), Paris, Aubier, 1990.
20 Laurence Brockliss, « Medicine Enlightenment and Christianity in eighteenth century France » in Ole Peter Grell, Andrew Cunningham, Medicine and religion, op. cit., p. 101‑119.
21 Selon la définition de Sandra Cavallo et David Gentilcore « Spaces, objects and identities in early modern italian medicine », Renaissance studies, 2007, n° 4.
22 Le corps malade entre pléthore et corruption : écrits médicaux et écrits religieux au xviiesiècle, thèse, université Lyon III, déc. 2010. Résumé dans Les Carnets du LARHRA, 2012, n° 1, p. 169-180.
23 Jean-François Viaud, Le malade et la médecine sous l’Ancien Régime : soins et préoccupations de santé en Aquitaine (xvie- xviiie), Bordeaux, Fédération historique du Sud–Ouest, 2011.
24 Mona Ozouf, La fête révolutionnaire (1789-1799), Paris, Gallimard, 1976.
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Pour citer cet article
Référence papier
Olivier Faure, « Médecine et religion : le rapprochement
de deux univers longtemps affrontés », Chrétiens et sociétés, 19 | 2012, 7-17.
Référence électronique
Olivier Faure, « Médecine et religion : le rapprochement
de deux univers longtemps affrontés », Chrétiens et sociétés [En ligne], 19 | 2012, mis en ligne le 11 juin 2013, consulté le 04 juin 2016. URL : http://chretienssocietes.revues.org/3318
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Auteur
Olivier Faure
RESEA – LARHRA, UMR 5190, Lyon 3
Articles du même auteur
- Jean-Marc Ticchi, Histoire de la province française de l’Ordre de Saint-Camille de Lellis, Paris, L’Harmattan, 2014, 246 p. [Texte intégral]
Paru dans Chrétiens et sociétés, 22 | 2015 - Les premiers disciples français d’Hahnemann dans les années 1830 entre le scientifique et le religieux [Texte intégral]
Paru dans Chrétiens et sociétés, 19 | 2012 - Isabelle von Bueltzingsloewen, Jalons pour une histoire de la santé publique (France-Allemagne XIXe XXe siècles), Habilitations à Diriger des Recherches soutenue le 25 mai 2007 à l’Institut des sciences de l’homme [Texte intégral]
Jury : Anne Dannion (psychiatrie Strasbourg I), Claude-Isabelle Brelot (Lyon 2), Danièle Voldman (CNRS, rapporteur) Vincent Barras (Histoire de la médecine Lausanne), Laurent Douzou (Lyon 2), Étienne François (Freie Universität Berlin) et Olivier Faure (Lyon III, rapporteur et « garant » du dossier).
Paru dans Chrétiens et sociétés, 14 | 2007 - Samuel Odier, La fin de l’asile d’aliénés dans le Rhône et l’Isère à partir de l’exemple du Vinatier et de Saint-Egrève (1930-1955), Lyon III, 3 vol., 655 p., Thèse soutenue à l’Université Jean Moulin – Lyon III le 16 février 2006 [Texte intégral]
Jury : Eric Baratay (Lyon III, président), Isabelle von Bueltzingsloewen (Lyon 2), Jacqueline Carroy (directrice d’études EHESS), Olivier Faure (Lyon III, directeur) Didier Nourrisson (IUFM Lyon)
Paru dans Chrétiens et sociétés, 13 | 2006 - Frédéric Scheider, Aliénisme et catholicisme à Lyon au XIXe siècle : les missions de Joseph Arthaud (1813-1883), 3 vol., 894 p., Thèse soutenue à l’Université Jean Moulin – Lyon III [Texte intégral]
Jury : Philippe Boutry (Paris I, président), Isabelle von Bueltzingsloewen (Lyon 2), Bruno Dumons (CR CNRS, LARHRA), Olivier Faure (Lyon III, directeur), Jacques Hochmann (professeur émérite Lyon I)
Paru dans Chrétiens et sociétés, 13 | 2006
Re: Forum - Religion et Médecine - forum religion et médecine
« La médecine est de tous les temps et de tous les lieux. Véritablement utile aux hommes quand on l’exerce avec zèle et intelligence ; souvent elle leur donne plus que la santé, elle leur rend le bonheur, car tant de maladies viennent de l’âme ».
Charles Augustin de Sainte-Beuve
Religion et médecine néo libérale
Depuis des temps immémoriaux, médecine et religion étaient confondues. La crainte fondamentale de la mort et le désir inconscient d’une garantie pour l’au-delà en étaient la motivation essentielle. Dans la mythologie égyptienne, nous relevons, à titre d’exemple, l’existence de Sekhmet, déesse à tête de lionne, patronne du corps médical, qui était responsable des maladies mais disposait aussi du pouvoir de les guérir…
Peu à peu, l’apparition du rationalisme et le début d’un certain positivisme devaient engendrer une distinction entre les prêtres ou druides guérisseurs et l’homme médecine qui préparait les remèdes pour guérir.
La médecine spirituelle devait donner naissance à une médecine empirique et logique, tout en gardant une sorte d’empreinte philosophique.
Par ailleurs, les dysharmonies et certaines faiblesses des pouvoirs en place, ont souvent joué en faveur de l’apparition de sectes, dites « guérisseuses », attirées par des gains faciles.
Après une période relativement nébuleuse suite au déclin de l’Empire romain, les moines des abbayes ont assuré la fonction de médecin et de préparateurs de médicaments jusqu’en 1271. A cette date, la faculté de médecine de Paris imposait la création d’une corporation, celle des apothicaires.
Les siècles dits des Lumières devaient conforter le principe d’une médecine libre et indépendante, c’est-à-dire la médecine libérale. C’est en 1865 que Claude Bernard va rédiger son « Introduction à la médecine expérimentale ». Elle est à l’origine de la médecine scientifique comme telle. Nous devons citer la remarque de cet éminent physiologiste : « … L’observation montre, l’expérience instruit… ».
Très vite, le développement de la technologie du XXe siècle, les découvertes en pharmacodynamie, ont complété les objectifs de la médecine qui s’est muée en médecine plus sociale et devenue néo-libérale. La médecine actuelle est donc devenue autonome et rationnelle.
Toutefois, en 1963, Michel Foucault, dans son ouvrage intitulé Naissance de la clinique va insister sur le type d’organisation médicale marquée, selon lui, par une empreinte apparentée au principe et au précepte religieux.
D’autres auteurs insistent sur la notion du dolorisme chrétien, thème marquant dans cette religion. Cette exaltation de la valeur morale de la douleur notamment physique serait actuellement en régression, selon J. Delumeau, historien. On assiste plutôt à la mise en valeur de la capacité d’empathie avec le malade.
Dans les religions monothéistes, selon N. Martin et A. Spire, le corps est saisi en tant que corps physique en opposition avec l’entité, corps et âme (Dieu aime-t-il les malades ?).
D’autre part, dans Une certaine idée de l’Islam, l’imam Soheib Bencheikh écrit : « Dans la religion musulmane, l’individu n’est pas propriétaire de son corps… Le corps est l’enveloppe de la vie, laquelle est un don de Dieu… L’individu n’est que le gestionnaire de ce sacré, de cette vie et ce corps ».
Le rabbin Marc-Alain Ouaknin cite dans son ouvrage Maladie et guérison dans la Bible et le Talmud : « Pour la tradition juive, l’homme est donc responsable de sa maladie, mais il n’est pas responsable de sa responsabilité ».
Nous respectons, bien entendu, les recommandations de ces différents auteurs. Mais ces derniers avis ne changent en rien les possibilités d’une qualité des soins. L’approche est différente, les principes de l’éthique médicale demeurent.
Le pouvoir sanitaire et juridique
L’intervention de l’Etat n’est pas nouvelle. Le bio-pouvoir stigmatise le système relationnel entre les objectifs sanitaires de la vie et l’Etat providence. L’art de guérir doit assurer sa mission au milieu d’un dédale où la notion de santé est liée à une série de recommandations économiques, géographiques, politiques, sociales et autres.
D’une part, la thérapie ponctuelle est maintenue avec une polarité individuelle, mais d’autre part, elle est complétée par une approche plus globale qui s’efforcera d’éviter toute éclosion ou tout essaimage d’un facteur agressif. Cette action de type collectif complète la thérapie ponctuelle.
Cette nouvelle approche va assurer la mise en place d’un processus de gestion de santé, autrement dit d’un système de planification des moyens et ressources pour améliorer la santé des individus.
A côté de la gestion et des objectifs sanitaires, on ne peut oublier le comportement relationnel du médecin ainsi que sa responsabilité. Cette dernière demeure engagée et se traduit par une « obligation morale » d’être garant des actes qui lui sont propres, tout en étant associée à une relative liberté individuelle.
Le non respect de cette garantie peut être à l’origine d’un dommage, voire d’une réparation par le truchement de la responsabilité civile, pénale et le droit disciplinaire sur le plan des règles imposées par l’éthique médicale. Le corps médical n’échappe pas à la règle…
Le droit disciplinaire, déclare madame S. Moreau, magistrat assesseur, est : « un droit particulier apparenté au droit pénal (devoirs, règles, sanctions) mais s’en diversifie par l’esprit et l’évaluation propre au conseil disciplinaire ordinal ».
Ces aspects sont péjoratifs pour le médecin qui comprend très peu la position du pouvoir judiciaire. L’image castratrice qui s’en dégage pourrait paralyser le médecin dans la pratique de son art de guérir.
Pourtant ces normes édictées par la société ont comme but celui de la protection de toute personne et y compris les docteurs en médecine. Elles constituent un véritable rempart en limitant les devoirs et les droits de chacun. Tout ceci est corroboré par les préceptes de la déontologie médicale.
Ethique médicale et engagement du médecin
Le corps humain n’existe plus en tant que tel. Il est représenté comme une machine électronique ou au travers d’une carte dite « génomique ». Ce sont des informations qui représentent le malade. Il s’agira de la scintigraphie numéro x ou y pour désigner un patient. L’être souffrant qui relève de l’écoute n’est plus entendu.
Des paramètres sociaux influencent ce type d’esprit dans cette nouvelle mentalité, à savoir :
le besoin de performance ;
le progrès scientifique ;
le prix élevé de la santé.
Dans le même ordre d’idée, le corps est-il objet du droit : chose ou personne ? La réponse est difficile et certains auteurs comme Crignon-De Oliveira et Gaille-Nikodimov plaident la création d’une autorité sociale et d’un Comité consultatif national d’éthique. Dominique Memmi (Les gardiens du corps - Dix ans de magistère bioéthique) suggère l’édification de centres de réflexions pour dire ce qui est digne ou indigne de faire au corps humain.
Le droit souhaite une harmonisation des individus avec des relations équitables mais la médecine est devenue dépendante de l’information médicale. La nouvelle loi relative aux droits du patient va dans le même sens encore qu’elle devrait être considérée dans un sens de positivité. Le médecin a comme mission d’informer le patient mais aussi de l’éclairer et d’ouvrir sa démarche diagnostique et de thérapeute. Toutes ces considérations sont modulables.
La réflexion bioéthique, et l’éthique médicale qui constitue son bouclier permanent, conservent leur raison d’être dans la nature de l’essence du médecin et dans son engagement.
Comment définir la notion d’éthique médicale ? Il s’agira d’une manière d’être cohérente dans le projet de vie professionnelle dans une relation interpersonnelle « respectée » vis-à-vis de l’individu ou de son patient. La bioéthique constitue le système de réflexion quant à la responsabilité morale des médecins dans leurs recherches en se basant sur le principe du respect défini par l’éthique.
In fine, l’objectif ultime consiste à maintenir ou à redécouvrir cet état de bien-être qu’est la santé. Mais que demande le malade ? Pourquoi est-il en position de dépendance ?
Pratiquement, le patient formule quatre exigences :
être compris et écouté ;
être aidé sur le plan thérapeutique ;
être réadapté pour retrouver une position de confort en regard d’une société dite de performance ;
être respecté suivant le principe de l’éthique en tenant compte des règles morales déontologiques.
Cette attente est logique quand on apprécie l’inéquation entre la norme et celui qui présente une certaine déficience. L’homme « vit sa vie », soumis à des contraintes négatives appelées « passivités de diminution », comme le déclare Teilhard de Chardin. Elles forment des éléments négatifs. Le praticien ne doit pas les sous-estimer.
La nature de l’engagement médical reposera clairement sur la qualité des soins. Le médecin devra répondre de ses actes vis-à-vis du ou des patients dont il assume la charge. Les interrogations de la bioéthique sur l’environnement de la santé restent certainement valables et souhaitables. Mais sur le plan de l’éthique, la responsabilité générale du médecin demeure entière et totale. Nous pouvons remémorer les accents de Jean Guitton : « …Le médecin ne doit pas oublier qu’il est aussi solidaire parce qu’au service de la collectivité… » (assises françaises de la société d’éthique).
Enfin, l’éthique bien comprise avec les conditions évoquées plus haut, constituera une continuité dans le cadre de la qualité des soins. Elle permettra de réaliser une promesse morale, individuelle dans une condition optimale…
Bibliographie
C. CRIGNON, DE OLIVEIRA et M. GAILLE-NIKODIMOV, A qui appartient le corps humain ? Médecine, politique et droit, Ed. Les belles lettres, 2004.
N. MARTIN et A. SPIRE, Dieu aime-t-il les malades ?, Ed. Anne Carrière, 2004.
D. SICARD, La médecine sans le corps, Ed. Plon, 2002.
M. NOLLEVAUX, Responsabilité médicale, Bull. Ordre de la province de Namur, 1991.
Re: Forum - Religion et Médecine - forum religion et médecine
Les croyances individuelles peuvent parfois se révéler difficilement compatibles avec l’obligation de soins, notamment en cas d’urgence vitale. Pour autant, les tensions qui résultent de telles situations sont-elles si courantes ? Éclairage.
Témoins de Jéhovah qui refusent des transfusions sanguines, patients catholiques s’opposant à un traitement contre la douleur, femme de confession musulmane récusant un médecin n’étant pas du même sexe que le sien... : en 2003, la commission sur la laïcité présidée par Bernard Stasi, médiateur de la République, publiait un rapport qui soulignait l’augmentation de situations "délicates" en matière d’accès aux soins.
Qu’en est-il dix ans plus tard ? En juin 2013, l’Observatoire de la laïcité, créé en 2007, décrivait dans son rapport d’étape publié en juin 2013 une situation en établissements de santé "globalement apaisée et maîtrisée". "Il y a eu, à travers le débat public, un rappel des règles de la laïcité, tant auprès des soignants que des patients qui a porté ses fruits", se félicite Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire.
"Des membres du personnel rechignent lorsqu’il s’agit de prendre en compte la religion d’un patient"
Cette analyse – confirmée par le Cnom et des représentants de personnels hospitaliers– fait néanmoins quelque peu tousser Isabelle Lévy*, une formatrice et écrivaine spécialisée depuis 1995 sur les questions de santé et de religion. "Il continue d’exister un double discours. En “on”, devant les micros des journalistes, “tout va bien”. En “off” ? Les cadres et personnels des établissements que je rencontre font souvent état d’une autre réalité, assure la consultante. Dans certains hôpitaux, les tensions sont quotidiennes. Et pas seulement du côté des patients. Des membres du personnel rechignent lorsqu’il s’agit de prendre en compte la religion d’un patient qui n’est pas de la même confession que la leur. Trop de directeurs n’osent pas encore intervenir alors qu’un recadrage immédiat est indispensable."
Mais, insiste Isabelle Lévy, "toutes les grandes religions jouent le jeu de la laïcité". Les exigences et attitudes de certains patients relèveraient avant tout... de leurs propres interprétations des textes et rituels. "En l’état, la loi est très protectrice pour les croyants, confirme Chems-Eddine Hafiz, vice-président du Conseil français du culte musulman, en charge de la communication. En principe, il ne devrait y avoir aucune tension."
Un point de vue partagé par David Elfassi, rabbin et aumônier au sein des hôpitaux de Percy et de Villejuif : "En cas d’urgence vitale, peu importe si les conditions de prise en charge respectent ou non les rituels. Priorité doit toujours être donnée à la vie. Aucune autre obligation ne peut remettre en cause ce principe."
*Menaces religieuses sur l’hôpital, l’enquête. Presses de la Renaissance, Paris, 2011.
Un imam auprès des patients hospitalisés
Bien qu’à mi-temps, Saïd Ali Koussay ne compte pas ses heures. Sa première mission ? Aider les patients de confession musulmane qui lui en ont fait la demande à respecter les rituels religieux... Et, si besoin, leur rappeler qu’en la matière les malades n’ont pas les mêmes obligations que les bien-portants. "Pendant le ramadan, il m’arrive d’avoir à expliquer aux malades qu’ils peuvent prendre des médicaments. C’est la sacralisation de la vie d’abord !" L’imam de 72 ans accompagne également les patients dans leur démarche spirituelle, notamment quand la fin de vie approche, et participe aux rites funéraires. Un travail bien singulier pour ce membre du personnel du centre hospitalier d’Avicenne, situé à Bobigny (Seine-Saint-Denis), au carrefour de plusieurs quartiers répertoriés en zones urbaines sensibles.
En 2001, Avicenne a été le premier hôpital public à se doter d’une aumônerie où plusieurs cultes sont représentés par au moins un aumônier salarié : catholique, protestant, orthodoxe, juif et musulman. À l’époque, l’établissement membre de l’AP-HP faisait figure de pilote. Depuis, la pratique tend doucement à se généraliser, en cohérence avec la réglementation en matière de laïcité dans les établissements de santé publique qui prévoit que le patient doit pouvoir, dans la mesure du possible, suivre les préceptes de sa religion... tant que cela ne nuit pas à la qualité de soins, aux règles de l’hygiène, à la tranquillité des autres patients et au fonctionnement régulier du service.
Saïd Ali Koussay est lui-même très attentif au respect de la législation qui encadre sa charge. Pas question pour lui d’aller directement à la rencontre des malades : "Cela serait faire preuve de prosélytisme." Comment l’imam a-t-il été formé à intervenir au sein d’un centre hospitalier ? "J’ai accompagné et suivi dans son travail pendant plusieurs mois une collègue, Anne Thöni, qui est une pasteure protestante." Ou comment des religieux deviennent les garants du respect de la laïcité...
Bien qu’à mi-temps, Saïd Ali Koussay ne compte pas ses heures. Sa première mission ? Aider les patients de confession musulmane qui lui en ont fait la demande à respecter les rituels religieux... Et, si besoin, leur rappeler qu’en la matière les malades n’ont pas les mêmes obligations que les bien-portants. "Pendant le ramadan, il m’arrive d’avoir à expliquer aux malades qu’ils peuvent prendre des médicaments. C’est la sacralisation de la vie d’abord !" L’imam de 72 ans accompagne également les patients dans leur démarche spirituelle, notamment quand la fin de vie approche, et participe aux rites funéraires. Un travail bien singulier pour ce membre du personnel du centre hospitalier d’Avicenne, situé à Bobigny (Seine-Saint-Denis), au carrefour de plusieurs quartiers répertoriés en zones urbaines sensibles.
En 2001, Avicenne a été le premier hôpital public à se doter d’une aumônerie où plusieurs cultes sont représentés par au moins un aumônier salarié : catholique, protestant, orthodoxe, juif et musulman. À l’époque, l’établissement membre de l’AP-HP faisait figure de pilote. Depuis, la pratique tend doucement à se généraliser, en cohérence avec la réglementation en matière de laïcité dans les établissements de santé publique qui prévoit que le patient doit pouvoir, dans la mesure du possible, suivre les préceptes de sa religion... tant que cela ne nuit pas à la qualité de soins, aux règles de l’hygiène, à la tranquillité des autres patients et au fonctionnement régulier du service.
Saïd Ali Koussay est lui-même très attentif au respect de la législation qui encadre sa charge. Pas question pour lui d’aller directement à la rencontre des malades : "Cela serait faire preuve de prosélytisme." Comment l’imam a-t-il été formé à intervenir au sein d’un centre hospitalier ? "J’ai accompagné et suivi dans son travail pendant plusieurs mois une collègue, Anne Thöni, qui est une pasteure protestante." Ou comment des religieux deviennent les garants du respect de la laïcité...
Avoir la foi et soigner
Le serment d’Hippocrate transcende les opinions, valeurs et convictions. Le médecin soigne tout le monde, sans distinction. Mais comment lui-même, s’il est croyant, concilie-t-il soin et religion ? Témoignages.
"La religion est centrale dans l’exercice de ma profession". Lire le témoignage du Pr Abdel-Rahmene Azzouzi, musulman, chef du service d’urologie du CHU Angers : www.egora.fr/sante-societe/societe/178355-la-religion-est-centrale-dans-lexercice-de-ma-profession
"Soigner : une grande cohérence avec ma foi". Lire le témoignage du Dr Jean-Pierre Azambourg, catholique, médecin généraliste (retraité) à Vandoeuvre-lès-Nancy : www.egora.fr/sante-societe/societe/178356-soigner-une-grande-coherence-avec-ma-foi
Le serment d’Hippocrate transcende les opinions, valeurs et convictions. Le médecin soigne tout le monde, sans distinction. Mais comment lui-même, s’il est croyant, concilie-t-il soin et religion ? Témoignages.
"La religion est centrale dans l’exercice de ma profession". Lire le témoignage du Pr Abdel-Rahmene Azzouzi, musulman, chef du service d’urologie du CHU Angers : www.egora.fr/sante-societe/societe/178355-la-religion-est-centrale-dans-lexercice-de-ma-profession
"Soigner : une grande cohérence avec ma foi". Lire le témoignage du Dr Jean-Pierre Azambourg, catholique, médecin généraliste (retraité) à Vandoeuvre-lès-Nancy : www.egora.fr/sante-societe/societe/178356-soigner-une-grande-coherence-avec-ma-foi
Re: Forum - Religion et Médecine - forum religion et médecine
Médecine et religion au XIXe siècleLe traitement moral de la folie dans les asiles de l’ordre de Saint-Jean de Dieu (1830-1860)
Pages 35 - 49 Article suivant
- https://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=LMS_215_0035
- https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=LMS_215_0035
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1
Depuis plusieurs années, l’historiographie de la médecine du XIXesiècle a mis de côté l’opposition manichéenne entre science et croyance [1][1] M. LAGRÉE et F. LEBRUN (dir.), Pour l’histoire de la.... Dans le champ médical, l’histoire de la psychiatrie offre une illustration particulière de l’imbrication des champs scientifique et religieux, puisque le psychisme est ici en question. « Prier la guérison, c’est déjà guérir » affirmait Alphonse Dupront [2][2] A. DUPRONT, « Anthropologie religieuse », in J. LE.... L’influence des pratiques religieuses sur les pratiques thérapeutiques – le thérapeute étant celui qui sert Dieu avant de soigner – est à ce titre patente [3][3] G. CANGUILHEM, « Une pédagogie de la guérison est-elle.... La plus importante de ces pratiques thérapeutiques (le mot désigne la volonté de soigner plus que l’action de guérir) est la pratique du traitement moral, mode d’intervention majeur concernant la maladie mentale dans la première moitié du XIXe siècle [4][4] Y. RIPA, La ronde des folles. Femme, folie et enfermement.... En l’absence de remèdes physiques considérés comme efficaces, il associe théoriquement trois éléments : une nouvelle conception de la folie, un nouveau mode d’organisation institutionnelle et une nouvelle relation médecin-patient. L’institution asilaire en tant que facteur d’isolement et le principe de l’accessibilité du sujet – aliéné plus qu’insensé – sont liés par essence au traitement moral, dont les historiens de la psychiatrie attribuent la paternité à Philippe Pinel (1745-1826) [5][5] J. POSTEL, Genèse de la psychiatrie. Les premiers écrits....
2
Une nouvelle idée de la folie naît officiellement avec l’œuvre de Pinel, dont Marcel Gauchet évoque ainsi la mutation qu’elle représente : « il existe une possibilité de principe d’entrer dans l’esprit de l’aliéné, nullement aussi fermé sur lui-même qu’on pouvait croire » [6][6] M. GAUCHET, « De Pinel à Freud », in G. SWAIN, Le sujet.... L’aliéné devenu accessible au soin peut être soumis à une thérapie morale, verbale et psychologique. Dans un lieu de vie collectif, isolé de la société et des familles, s’instaure la possibilité – toute théorique – d’un traitement individuel, d’une éducation de l’esprit qui prend la forme d’une direction de la conscience. Si le médecin aliéniste s’attache alors à classer les maladies selon une nouvelle nosologie, il doit aussi « consoler » les malades [7][7] J. GOLDSTEIN, Consoler et classifier : l’essor de la....
3
Le traitement moral place au cœur de son dispositif un nouvel acteur, le médecin. Porteur d’une vision de l’homme, diffuseur d’un nouveau savoir, le médecin développe un discours qui vise à rejeter les savoirs et les pratiques anciens. Le contexte de réveil religieux des premières décennies du siècle donne à ce discours une tonalité souvent a-religieuse. Alors que la profession médicale reste fragile, les religieux sont considérés comme des concurrents redoutables, qui peuvent se prévaloir de leur qualité pour exercer une thérapie fondée sur une approche morale [8][8] R. A. NYE, « Médecins, éthique médicale et État 1789-1947 »,.... Philippe Pinel et ses disciples tendent à assimiler prêtres et congréganistes aux charlatans et stigmatisent le caractère pathogène de la vie religieuse. Durant la Monarchie de Juillet, l’école d’Esquirol relaie ce discours célébrant l’opposition irréductible entre Science et Religion. A Rome, si les tenants du traitement moral sont plutôt épargnés par le Saint-Office, des professionnels comme Broussais ou Cabanis, qui remettent en cause l’image chrétienne de la structure de l’âme, sont condamnés à l’Index [9][9] Condamnation de l’œuvre de P.-J.-G. CABANIS, Rapports....
4
A rester au niveau de l’étude des discours médicaux ou religieux, on risque de réduire cette histoire à une opposition schématique entre médecine et religion. C’est sur l’étude des pratiques que nous fondons l’hypothèse, par ailleurs déjà esquissée [10][10] H. GUILLEMAIN, « Déments ou démons ? L’exorcisme face..., que, loin d’être fondamentalement opposés, le religieux et le médical se rejoignent lorsqu’on évoque l’histoire des pratiques thérapeutiques de la folie. On s’attachera à décrire les pratiques religieuses de soin des aliénés, à travers l’exemple bien documenté de l’ordre de Saint-Jean de Dieu et de ses trois principaux asiles de Lyon, de Lommelet et de Léhon [11][11] Les archives de l’ordre de Saint-Jean de Dieu sont..., en saisissant les corrélations perceptibles entre modèle religieux et modèle laïc de soin dans la première moitié du XIXe siècle.
L’institution thérapeutique : asile laïc et communauté monastique
5
Le transfert des aliénés vers les asiles s’est réalisé principalement dans les années qui ont suivi la loi de 1838, même si, contrairement à l’idée reçue, cette loi n’a guère modifié le rapport de force entre institutions privées religieuses et institutions publiques laïques. A la suite de cet événement fondateur de l’histoire de la psychiatrie, de nouveaux asiles chrétiens ont ouvert leurs portes, la plupart des institutions existantes ont étendu leur emprise et des hospices laïcs ont dû cesser leur activité au bénéfice d’asiles privés religieux, dans les régions chrétiennes ferventes notamment. L’asile s’impose en fait comme la structure essentielle de la nouvelle science aliéniste au moment où, dans les années 1830, plusieurs congrégations et ordres chrétiens, favorisés par le contexte politique et religieux de la Restauration, ont déjà construit leur propre réseau d’asiles. L’ordre de Saint-Jean de Dieu est prépondérant dans ce réseau et son rôle est précurseur, comme le montre l’hommage rendu à l’un de ses fondateurs par les législateurs lors des débats à la Chambre des Pairs. En 1833, parmi les aliénés internés dans les asiles chrétiens, un sur deux se trouve dans l’une des institutions de cet ordre. En 1860, c’est encore près d’un sur trois, alors que les quatre grandes congrégations féminines (Bon Sauveur, Sainte-Marie de l’Assomption, Saint-Joseph de Bourg et Saint-Joseph de Cluny) se sont considérablement développées.
6
Nommés Frères de la Charité avant la Révolution, les Frères de Saint-Jean de Dieu sont issus d’un ordre hospitalier implanté originellement en Espagne et consacré à l’assistance aux malades de toutes sortes. Introduits en France par l’entremise de Marie de Médicis, ils développent un réseau dont les établissements les plus réputés sont ceux de Charenton, Senlis, Pontorson, Cadillac, Romans, ChâteauThierry, Montrouge, établissements presque tous contemporains de l’Édit de 1656 créant l’Hôpital général. Ces sept établissements, sur la trentaine que compte l’ordre, accueillent des aliénés [12][12] M. MASSON, Soins et assistance prodigués aux aliénés.... La renaissance de l’ordre sous le nom de Saint-Jean de Dieu, en 1823, après la dislocation conséquente aux décrets révolutionnaires, est favorisée par la Restauration. La carte des maisons hospitalières change, la rupture révolutionnaire ayant créé une accélération brutale dans un processus de spécialisation déjà décelable dans certaines de ces institutions. La coïncidence avec un contexte médical nouveau – l’émergence de l’aliénisme – favorise indirectement cette évolution, qui est indubitablement à l’origine de la permanence actuelle de l’ordre en milieu psychiatrique [13][13] L’ordre maintient aujourd’hui une activité en secteur.... Cette restauration de l’ordre est le fruit de deux fondateurs : le frère Hilarion, Joseph-Xavier Tissot (1780-1864), personnage haut en couleur, exorciste à ses heures, fondateur frénétique de communautés et d’asiles, considéré comme un charlatan par les médecins comme par son ordre et ayant passé un temps à l’asile de Charenton avant d’apprendre quelques rudiments de médecine [14][14] G. BOLLOTTE, « Les Châteaux du frère Hilarion », L’Information...; Paul de Magallon d’Argens (1784-1859), qui apparaît, lui, comme un pragmatique. Issu de la famille du marquis d’Argens, il fréquente à l’âge de vingt ans les milieux libertins et francs-maçons, puis sert comme capitaine en Prusse et en Russie [15][15] A. CHAGNY, L’Ordre hospitalier de Saint-Jean de Dieu,.... Proche des milieux royalistes de la Restauration, il intègre en mars 1819, à Marseille, le groupe des fondateurs de l’ordre de Saint-Jean de Dieu. Tandis que le frère Tissot devient itinérant, le frère Magallon consolide les bases de l’ordre restauré (20 août 1823) en obtenant rapidement la reconnaissance du diocèse, celui des hospices, et en cherchant celle des autorités romaines. Ayant acquis une expérience auprès des enfants anormaux des prisons de Lyon, il renforce les asiles existants et donne à l’ordre embryonnaire les moyens d’une première formation médicale et le cadre d’une organisation monastique en bonne et due forme. Les Frères de Saint-Jean de Dieu – qui participent à une des plus importantes restaurations masculines de l’époque – sont donc au cœur du réseau catholique d’asiles pour aliénés, qui se tisse dans la première moitié du XIXe siècle. Non seulement ils dirigent des asiles appelés à durer, mais ils sont aussi à l’origine de plusieurs autres asiles dirigés par la suite par d’autres congrégations, dans le Massif Central notamment (La Cellette, Clermont, Bourg, Privas [16][16] O. BONNET, « L’Œuvre du père Chiron : la fondation...). Au total, un asile catholique sur deux est issu directement ou indirectement de l’œuvre de cet ordre.
7
Compte tenu de la réalité de la thérapeutique, c’est-à-dire de son inefficacité globale (en témoigne la masse des malades considérés comme incurables qui représentent parfois jusqu’à 90 % de la population d’un asile), l’institution elle-même joue un rôle immense – ce qui n’est pas propre au XIXe siècle si l’on pense aux expériences de psychothérapie institutionnelle développées après la Seconde Guerre mondiale. La communauté monastique correspond aux principes de l’aliénisme, tels que décrits par Esquirol : « tout aliéné doit être soustrait à ses habitudes, à sa manière de vivre, séparé des personnes avec lesquelles il vit habituellement, pour être placé dans des lieux qui lui sont inconnus » [17][17] J.-E.-D. ESQUIROL, Des maladies mentales, 1838, réédition.... Le cloître isole vis-à-vis de la société et des autres structures de soin. Il est curatif autant que protecteur et permet l’organisation du travail des malades. La mère supérieure des Sœurs du Bon Sauveur de Caen insiste sur les vertus de l’idéal monastique :
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Le premier des moyens de traitement est le fait même de l’entrée dans l’établissement, la rupture de toutes les habitudes antérieures, la vue de tous visages nouveaux, la cessation de la domination ou de la crainte inspirée, la régularité des habitudes, la nécessité de l’obéissance, l’isolement en un mot [18][18] Archives Nationales (AN), F20 282/47, département du....
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Pas de conversion ni de vœux à l’entrée dans la communauté : le malade est assimilé dans sa condition aux membres de la congrégation, qui eux aussi sont en rupture par rapport à la société et à leur famille. Le malade se retrouve au sein d’une institution fondée sur l’obéissance et la modification des habitudes de vie, qu’il ne quitte pratiquement qu’à sa mort – les traités passés entre l’ordre et les départements stipulent le coût de leur sépulture. Cet isolement à long terme, marqué par une forte cohésion religieuse, forge une organisation communautaire calquée sur les règles régulières. L’emploi du temps des malades, qui selon les aliénistes remplit une fonction thérapeutique essentielle, suit les grandes lignes du temps monastique. Il s’agit de réguler les humeurs, de régler les esprits, forme de socialisation et de normalisation primitive des malades, accomplie par la vie régulière. A Lyon, les malades se lèvent à 5 heures 30, prient et se rendent à la messe à 6 heures; la matinée et l’après-midi sont consacrés au travail dans les champs ou dans les ateliers; le coucher a lieu vers 20 heures après la prière et le dîner. Le temps proprement médical est minime relativement au temps communautaire.
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Le programme des aliénistes comporte toujours, dans la même optique de régulation, une dimension laborieuse. Les communautés asilaires religieuses ont aussi développé le travail des aliénés, afin de renforcer leur autarcie selon des modalités habituelles dans les monastères. Le nombre d’heures de travail est élevé et le nombre d’oisifs faible, si l’on exclut les pensionnaires payants qui n’y sont pas assujettis, entre huit et dix heures par jour. La dimension thérapeutique du travail est revendiquée par le directeur de l’asile de Léhon (près de Dinan) :
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La régularité dans le genre de vie, la soumission à une douce discipline, le travail surtout, sont les moyens qui nous ont été utiles. La constitution de l’asile, avec un enclos de cinquante hectares, l’organisation du travail qui se fait toujours sous la direction de frères hospitaliers ont permis d’appliquer aux travaux d’agriculture des malades qui retrouvent leurs occupations habituelles et qui en retirent de grands avantages pour améliorer leur état quand la guérison n’est pas possible [19][19] AN, F20 282/47, Statistique générale de la France,....
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L’intérêt du travail est aussi de renforcer la communauté religieuse, au point de vue relationnel, mais aussi par l’avantage financier qu’il représente. Grâce au travail des malades, les asiles catholiques sont autosuffisants, dans l’entretien quotidien et la production agricole, à une époque où nombre d’asiles publics ne sont pas organisés pour l’être. Ces activités permettent de limiter le prix de journée demandé aux départements pour le soin des indigents et contribuent au succès et à la pérennité de ces institutions. Le traitement moral vise aussi à dériver les délires des malades vers des formes de socialisation. Les plus courantes dans tous les asiles, publics ou privés, sont les activités manuelles et corporelles, l’instruction intellectuelle, les loisirs collectifs. A Lommelet (près de Lille), les Frères de Saint-Jean de Dieu et leurs médecins favorisent la pratique de la gymnastique, organisent des fêtes et animent des cercles de malades. Dans cet asile, dès 1826 est conçue une salle de spectacle qui va au-delà des désirs des aliénistes mais qui probablement ne concerne que la partie valide et aisée des pensionnaires.
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La faiblesse du classement scientifique des malades à l’intérieur des bâtiments – classer étant une activité fondamentale de la psychiatrie naissante – est significative de la conception chrétienne de la folie. En effet, alors qu’au XIXe siècle les aliénistes et les inspecteurs préconisent une séparation stricte des malades en fonction de leurs pathologies, les asiles chrétiens s’avèrent réticents à la division des malades en catégories distinctes, ou, lorsqu’ils l’acceptent, ils se fondent sur une classification différente. La plupart de ces asiles fondent leur répartition sur le comportement des malades, ce qui ne recouvre qu’imparfaitement les catégories médicales. C’est encore plus vrai dans les asiles protestants de La Force en Dordogne, dont l’organisation est fondée sur les pavillons autonomes et sur le culte de famille qui transcende les pathologies [20][20] M. BARON, John Bost : La Force, La cité utopique, Paris,....
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La finalité de l’ordre des Frères de Saint-Jean de Dieu n’est pas ainsi uniquement de former un réseau d’institutions soignantes, mais de construire, en parallèle, un ensemble de communautés chrétiennes destinées à perdurer et à servir l’œuvre de mission. La reconquête des âmes, après le temps de la Révolution, va de pair avec la guérison des malades. Les pratiques chrétiennes – exorcisme, pèlerinage, confession – relient toujours la guérison à la conversion et au salut. Les récits de conversion-guérison de malades sont fréquents dans l’ordre de Saint-Jean de Dieu et réactualisent le récit hagiographique du fondateur Jean Ciudad et des deux restaurateurs [21][21] Jean Ciudad passe au service des aliénés dans l’asile.... Les deux fondateurs élaborent des récits, relatant la guérison et l’intégration communautaire des anciens malades, récits qui forment un contrepoint à la libération des aliénés de Bicêtre par Pinel [22][22] Archives Saint-Jean de Dieu, Paris (ASJD), J. TISSOT,.... Les malades guéris et convertis deviennent des convers, c’est-à-dire des moines associés à la communauté, qui vivent comme les frères, sans avoir prononcé les vœux de l’ordre [23][23] Convers, du latin conversus, conversion radicale. Ceux-ci.... Le baptême des placés d’office – aliénés qui ne peuvent souvent donner leur identité et leur confession – est une pratique courante dans ces asiles, en contradiction avec le droit canon. Les Frères de Saint-Jean de Dieu prolongent leur idéal communautaire et devancent les aliénistes dans leur désir d’intégration des convalescents.
Les thérapeutes
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Le pouvoir du médecin est au cœur de la pratique du traitement moral et de l’organisation asilaire. Pour les congrégations religieuses, il s’agit dans un premier temps de contrôler un intrus à la communauté et à l’ordre. Tandis que la loi de 1838 et les circulaires ministérielles qui suivent imposent une présence permanente et influente des médecins aliénistes, les congrégations trouvent diverses formes d’accommodement. Il est fréquent que les inspections des asiles privés religieux mettent l’accent sur la non-résidence des médecins, en application d’une ordonnance de 1839 et du règlement type diffusé en 1859. Ainsi, le ministère de l’Intérieur envoie une lettre en 1845 au directeur de l’asile de Lommelet afin de l’inciter à procurer au médecinchef une résidence intégrée à l’espace de soin [24][24] AN, F15 3900, lettre du préfet du Nord au ministre.... L’entrée des médecins dans l’asile n’est généralement acceptée qu’à partir des années 1860, ce qui n’implique d’ailleurs pas automatiquement une acceptation de leur pouvoir. S’il est présent, le médecin des asiles religieux est, comme ses confrères laïcs, surchargé de travail. Si on met à part les asiles du Bon Sauveur (Caen et Pont-L’abbé), qui font figure d’institutions encombrées, avec plus de cinq cents malades par médecin [25][25] C. QUÉTEL, Le Bon sauveur de Caen. Les cadres de la..., la plupart des asiles privés religieux se situent dans la proportion acceptable – par l’administration publique s’entend – d’un médecin pour quatre cents malades [26][26] AN, F20 282/46 et 47.. On comprend dès lors le rôle essentiel des infirmiers religieux dans l’institution.
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Face à la pression réglementaire, les congrégations optent le plus souvent pour une médicalisation contrôlée. Les directeurs des asiles chrétiens, qui sont les vrais ordonnateurs des lieux, développent une stratégie de recrutement des praticiens qui vise à conserver le contrôle des pratiques thérapeutiques. La plus fréquente des stratégies dans l’ordre de Saint-Jean de Dieu est celle qui consiste à placer à la tête du service médical un praticien généraliste, recruté localement. L’histoire des médecins de l’asile de Léhon dans les Côtes-du-Nord (1830-1930) illustre l’évolution de cette stratégie de recrutement [27][27] Outre les archives Saint-Jean de Dieu à Paris, on trouve... : sur dix médecins, huit sont issus du milieu médical régional et trois proviennent de la ville la plus proche, Dinan. Aucun d’entre eux n’a une formation spécifique dans le domaine de l’aliénation mentale, cas relativement fréquent avant 1860, étant donné la faible spécialisation médicale. En 1867, un appel à candidature dans la presse met en concurrence plusieurs praticiens : on écarte la candidature de plusieurs médecins parisiens, qui ont tous les titres requis pour diriger le service médical de l’asile, alors qu’accède à ce poste un médecin régional sans titre, ni cursus spécialisé [28][28] ASJD, Registres des Frères de Saint-Jean de Dieu.. Ce sont aussi deux spécialistes de la folie qui effectuent les plus courts exercices. Par ailleurs beaucoup d’asiles privés religieux s’attachent les services de médecins catholiques, voire maintiennent les postes de médecins-chefs au sein de véritables dynasties conformes à leur confession. Le médecin-chef de l’asile de Léhon entre 1833 et 1861 soigne les religieux et fait partie de la communauté naissante, au point d’être inhumé dans le cimetière des frères à sa mort en 1861. De manière générale, les seuls aliénistes autorisés à exercer dans les asiles religieux dans la seconde moitié du siècle sont pour la plupart catholiques : ainsi de la famille Adam et de Pierre Berthier à Bourg ou de la famille Carrier à Lyon.
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Dans les asiles privés, l’intervention du médecin, lorsqu’elle est possible, se résume en fait souvent aux traitements médicaux périphériques à la folie. Celui-ci peut aussi déterminer l’état de validité d’un malade et son aptitude au travail, élément central de la thérapeutique. Contrairement aux aliénistes des asiles publics, le médecin des asiles religieux n’a pas tout pouvoir pour décider de l’usage des moyens de contention et pour affecter les malades dans les différents quartiers composant l’asile. À l’asile de Léhon, c’est le frère directeur qui décide des admissions et des sorties, et qui remplit les registres cruciaux pour le diagnostic. Dans les secteurs où le savoir médical peut influencer l’organisation de l’asile ou le diagnostic sur l’état des malades – admissions, classement, suivi quotidien, traitement moral –, les religieux sont en fait prépondérants. À Léhon, la visite quotidienne du médecin est obligatoirement accompagnée par un infirmier qui peut devenir un concurrent direct [29][29] ASJD, Article 13 du règlement de l’asile de Léhon,.... Ce dernier gère l’alimentation et l’hydrothérapie qui sont fondamentales dans le soin. Les infirmiers recueillent les éléments qui informent sur l’évolution des malades : ils éclairent le médecin « sur la nature, la marche, les phases et le caractère particulier de la maladie de chaque aliéné » [30][30] AD des Côtes-du-Nord, 1X115, Règlement de l’asile de.... Par ailleurs, après le diagnostic formel énoncé par le scientifique, l’infirmier est chargé du suivi des ordonnances et du traitement moral [31][31] J.-B. CARRIER, Étude statistique sur les aliénés de.... L’infirmier est donc un auxiliaire potentiellement concurrent du médecin, dans le domaine physique comme dans le traitement moral.
L’aumônier confesseur des aliénés : un rôle thérapeutique ?
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Les aumôniers d’asile ont-ils un rôle à jouer dans cette relation thérapeutique nommée traitement moral ? Ceux-ci sont peu nombreux – une cinquantaine au milieu du siècle – et ils ont laissé peu de traces. L’abbé J.M.V. Le Saux rédige en 1866 le seul manuel destiné à ces prêtres détachés en milieu hospitalier. Pour lui, l’aumônier doit accepter l’autorité légitime du médecin et travailler en collaboration avec lui. Il note à ce propos que les médecins sont « moins exclusifs dans leurs rapports habituels et dans la vie pratique qu’ils ne le sont dans leurs écrits publics et leurs théories officielles ». Le Saux appelle donc à une juste répartition des rôles, qui laisse au prêtre une fonction de médecin des âmes :
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L’aumônier doit, selon nous, se prêter à la réalisation de ce programme et tendre par tous ses efforts à établir et à maintenir ces bonnes relations. S’il survient quelque sujet de dissentiment et de désaccord entre l’autorité médicale et l’autorité spirituelle, que l’aumônier fasse sans peine toutes les concessions compatibles avec la conscience et le devoir, afin d’arriver à cette unité de vue et d’action, si nécessaire à l’amélioration du sort des aliénés [32][32] J.M.V. LE SAUX, Manuel de l’aumônier d’aliénés, Lille....
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Prêtres et aliénistes s’interrogent conjointement sur la normalisation sociale et religieuse des malades, qui dépend de la lucidité partielle ou temporaire des aliénés. Le fou peut-il être un chrétien comme les autres, pécheur, pénitent, communiant ? La question scientifique de l’inconscience pathologique recouvre celle, théologique, du libre-arbitre. L’utilité du prêtre dans l’asile dépend d’une conception de la folie qui laisse une place à la conscience, tout comme celle du médecin qui prône le traitement moral. La conception de ce traitement par l’aumônier est présentée comme suit :
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Chez le grand nombre, l’état mental n’est pas tel qu’ils aient perdu tout sentiment de la conscience humaine : par conséquent leur folie, si elle n’est pas complète et permanente, ne les fixe pas fatalement dans la haine ou l’amitié de Dieu : plusieurs peuvent encore produire des œuvres moralement bonnes ou mauvaises, imputables au for de la conscience, et partant digne des peines ou des récompenses éternelles. Aussi, qu’ils soient renfermés dans des maisons spéciales ou gardés à domicile, la religion conserve sur eux ses droits inaliénables; et le prêtre, représentant de l’Église dont ils sont les enfants, peut et doit pourvoir à leurs besoins spirituels [33][33] Ibid., p. VI-VII..
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Ainsi le rôle thérapeutique de l’aumônier est lié en grande partie à sa capacité d’adapter son rôle de confesseur au public des aliénés. A la frontière entre le médical et le religieux, le prêtre examine en détail chaque sujet une fois ou deux pendant l’année [34][34] Ibid., p. 57.. Sa méthode d’approche des malades s’inspire directement des propos de J.-P. Falret, aliéniste catholique, qui favorise à la Salpêtrière la visite régulière des prêtres à ses malades et reconnaît leur rôle thérapeutique.
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L’essentiel du propos sur l’accès aux sacrements s’inscrit dans le débat théologique entre tenants du rigorisme et promoteurs du liguorisme en France [35][35] J. GUERBER, Le Ralliement du clergé français à la morale.... Le Saux demande aux aumôniers d’aliénés d’élaborer une approche simple et consolante de la pénitence, adaptée au public des asiles et qui s’éloigne du rigorisme du siècle précédent. Ironiquement, il affirme que le rigorisme trouve sa limite dans les asiles d’aliénés :
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Si le jansénisme à la morale austère et pharisaïque devait finir ses tristes jours dans un asile, ce ne serait que trop juste et personne n’en serait ni surpris ni moult marri [36][36] J.M.V. LE SAUX, Manuel de l’aumônier d’aliénés, op.....
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Pour développer son propos, il puise dans l’œuvre de Mgr Gousset [37][37] Mgr T. GOUSSET, Théologie morale à l’usage des curés... les bases d’une nouvelle conception de la confession, qui doit porter sur l’attrition et non sur la contrition, ce afin d’éviter le sentiment de crainte et la culture du scrupule qui entretiennent parfois les pathologies délirantes. L’auteur se propose aussi d’adapter la conduite de la confession, de réduire sa durée, de cadrer les récits, de dépasser le formalisme usuel. L’aumônier donne ainsi une définition libérale de l’absolution qui ne doit être ni retardée, ni refusée aux aliénés. Cette évolution s’appuie sur les apports de la théologie morale mais aussi sur les conceptions médicales de la folie lucide développées par les aliénistes au milieu du siècle.
Les racines religieuses du traitement moral de la folie
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Les croyances religieuses sont directement en prise avec les thérapeutiques dès lors qu’il s’agit du versant psychologique du traitement moral. La « médecine morale », puis le « traitement moral », sont annoncés par l’œuvre de Philippe Pinel, et popularisés par le traité d’Esquirol sur les maladies mentales en 1838 [38][38] D’après les titres de la bibliographie de Philippe..., mais ces termes sont aussi employés par les religieux à la même époque. En témoigne cette lettre de 1836 du père Chiron (proche des fondateurs de l’ordre de Saint-Jean de Dieu), qui évoque l’action de J.-B. Carrier, aliéniste catholique lyonnais formé à l’école d’Esquirol :
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S’il s’élevait dans la suite des temps quelques difficultés sur le traitement moral ou médical, on s’en rapporterait, pour le traitement moral, à la conduite tenue dans les maisons de santé des frères de Saint-Jean de Dieu, lesquels jouissent d’une confiance générale dans plusieurs départements, et pour le traitement médical, on s’en réfèrerait au jugement des docteurs qui desservent leurs hospices et surtout de leur maison mère à Lyon [39][39] AD Privas, Série X, Lettre du père Chiron au préfet,....
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L’auteur établit une distinction entre d’une part le traitement médical proprement dit, réservé au médecin, et d’autre part le traitement dit moral, dont les religieux devraient détenir le monopole.
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Le traitement moral, c’est avant tout une relation individuelle des malades avec le médecin, lorsque c’est possible, et avec l’infirmier religieux la plupart du temps. A l’asile Saint-Jean de Dieu de Lyon, cette relation peut comporter deux aspects : l’apaisement ou la fermeté, deux faces d’une même volonté de faire réagir le malade et de provoquer la part raisonnable qui reste en lui. Les frères de Lyon présentent ainsi le dialogue qu’ils s’efforcent d’instaurer avec les délirants :
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Tâchons toujours de les gagner par des bonnes manières et par la douceur avant que d’agir par la force; il est cependant quelquefois bon de leur parler d’un ton un peu élevé et ferme pour pouvoir les gouverner, surtout à ceux qui sont très orgueilleux, car parfois l’on parvient par ce moyen à les faire obéir sans être obligé de prendre des moyens plus vigoureux; mais l’on prendra toujours bien garde de ne pas se servir de termes injurieux ni méprisants, on leur dira des paroles qui puissent les blesser en aucune manière, afin qu’ils voient que c’est purement pour leur bien que l’on agit ainsi, et par ce moyen ils seront plus portés à respecter les frères qui leur font ces petites remontrances [40][40] ASJD, Marseille, manuscrit rédigé par les Frères Saint-Jean....
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Chez les religieux comme chez les aliénistes, le langage fonde la relation thérapeutique [41][41] J. RIGOLI, Lire le délire. Aliénisme, rhétorique et.... Bienveillance et ferme autorité, tels sont les deux piliers d’une direction que l’on doit rapprocher de la direction de conscience catholique. Dans cette tradition, il s’agit de « gouverner » les âmes, en s’appuyant sur la persuasion et la douceur. Des distinctions demeurent néanmoins : la guérison ne peut être assimilée à la perfection que recherche le dirigé; la liberté du dirigé est ici amoindrie. Pourtant, comme l’indiquent les traités de direction du XIXe siècle, l’efficacité de la méthode est toujours liée à l’obéissance du dirigé envers le directeur. La fermeté présente dans les Exercices de Saint Ignace de Loyola voisine avec la direction apaisante et bienveillante, tirée des principes de Saint François de Sales ou de Saint Alphonse de Liguori. Le manuel des infirmiers de Lyon évoque par ailleurs la nécessité de préserver une distance vis-à-vis des aliénés, conseil récurrent des traités de direction. Les nuances entre les différentes directions de conscience catholiques recouvrent les oppositions entre aliénistes des débuts du XIXe siècle : l’intimidation ou « révulsion morale », prônée par François Leuret, est à cette époque fondamentalement opposée à la conception bienveillante du Docteur Blanche dans sa clinique parisienne [42][42] F. LEURET, Du traitement moral de la folie, Paris,.... Si le médecin cherche à entrer en empathie avec le malade, par la bienveillance, la douceur et la compassion, les aliénistes ne s’interdisent pas une attitude ferme et autoritaire, un discours persuasif, soutenu par des moyens physiques et moraux visant à provoquer la peur, la douleur ou le choc émotif. Une certaine forme de violence est légitimée, non pas seulement pour contenir la fureur des aliénés, mais pour provoquer une crise salutaire.
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Le traitement moral que pratiquent les Frères de Saint-Jean de Dieu à Lyon est ainsi proche de la conception des aliénistes, qui, tel Scipion Pinel, fils de Philippe Pinel, le définissent comme « l’art de chercher à donner une direction nouvelle à la volonté des aliénés », comme une direction des intelligences et des passions [43][43] S. PINEL, Traité complet du régime sanitaire des aliénés.... Le respect de l’autre comme sujet n’empêche pas une certaine infantilisation des rapports entre soignant et soigné, car, mineur juridique, l’aliéné est assimilé à un enfant dans les faits. En témoigne la fréquence des références au rôle de substitut familial, maternel surtout, tant dans les asiles chrétiens que dans les traités des aliénistes. Le modèle familial de l’asile présenté comme une violence par Michel Foucault dans son Histoire de la folie, jugement fortement nuancé dans son cours au Collège de France de 1973 [44][44] M. FOUCAULT, Le Pouvoir psychiatrique, Cours au Collège..., est un vœu des premiers aliénistes, réalisé naturellement par les frères de Saint-Jean de Dieu.
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Cette conformité des approches chrétienne et médicale autorise-t-elle à penser l’origine religieuse du traitement moral ? « Moral » doit-il être compris comme un synonyme de « mental », dans le sens où le traitement de la folie porte sur le psychique et non sur l’organique, ou bien doit-il être compris dans une acception de jugement [45][45] L’acception de « moral » au sens de relatif à l’âme,... ? Chez les médecins et les infirmiers des asiles chrétiens, le fou est sous l’emprise d’un mal que l’on doit contrebalancer en partie par la démonstration ostentatoire d’une action pour le bien-être des malades. La puissance présumée de la parole, les processus de mise en confiance des malades, la construction d’un dialogue rationnel avec le sujet fou, principes des aliénistes, sont appliqués – sur certains malades – dans les institutions chrétiennes entre 1830 et 1860. Jan Goldstein a montré que l’idée de consolation, qui vise à faire accepter le mal et non à le supprimer, est portée par le christianisme, avant de faire partie de l’arsenal psychologique des médecins [46][46] J. GOLDSTEIN, Consoler et classifier, op. cit., p..... On peut donc évoquer une forme d’imbrication des savoirs et des pratiques religieuses et profanes dans la première moitié du siècle. Lorsque, dans les années 1860, la thèse psychiatrique de la dégénérescence devient majoritaire, le traitement moral individuel est minoré, puisque celui-ci se fonde sur la réversibilité du mal par des moyens non organiques. Après cette date, les asiles religieux continuent à pratiquer le traitement moral, qui semble consubstantiel au traitement chrétien de la folie, alors que sa pratique décline dans les asiles laïcs.
La religion salvatrice
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Le rapprochement des conceptions du traitement moral tel qu’il est pratiqué dans les asiles laïcs et religieux n’empêche pas la permanence d’un traitement proprement religieux des aliénés dans les asiles de l’ordre de Saint-Jean de Dieu. Des exorcismes ont pu être pratiqués dans les institutions des Frères dans la première moitié du XIXe siècle. La correspondance entre les parents des malades et les frères de l’asile de Léhon montre que la folie est le plus souvent considérée comme une épreuve divine reliée à une faute originelle. La guérison est donc chez les Frères la conséquence de la confession et de la conversion des patients avant tout. Au-delà de cette confession thérapeutique, il existe des modes d’action plus diffus du sentiment religieux. A l’asile de la Guillotière à Lyon, le médecin-chef, J.-B. Carrier, développe en 1841 une variante aliéniste de l’amour chrétien [47][47] J.-B. CARRIER, Étude statistique..., op. cit., p. ..., tandis qu’à l’asile de Lommelet on promeut l’usage du chant des offices à des fins d’apaisement [48][48] AN, F20 282/48, Rapport thérapeutique de l’asile de.... Le traitement moral ne faisant guère la différence entre les asiles, les établissements privés religieux ont acquis une réputation supérieure en raison de cette vocation religieuse, considération qui vient s’ajouter à la qualité reconnue de leurs personnels et à leur moindre coût. Avant les années 1860, la religion est largement considérée comme source de guérison par la population, comme l’illustre alors la vigueur des sanctuaires de guérison consacrés aux maladies mentales dont celui de Larchant (Seine-et-Marne) est un modèle.
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Jusqu’en 1860 au moins, ce type de pratiques religieuses considérées comme thérapeutiques ou apaisantes sont aussi utilisées dans les asiles publics. Alors que, durant la Monarchie de Juillet, quelques figures de l’administration publique ont songé à interdire ces pratiques jugées à la fois rétrogrades et inefficaces, voire dangereuses, les incitations médicales et administratives au recours à ce type de pratiques sont nombreuses entre 1840 et 1860. Dans un rapport de 1843, un inspecteur des asiles incite les sœurs à développer la consolation religieuse dans l’hospice Saint-Joseph de Marseille. Son intervention entraîne la mise en place d’une prière collective du soir et l’achat d’un orgue. Une trentaine d’années plus tard, les inspecteurs généraux des asiles Constans, Lunier et Dumesnil semblent disposés à accepter certaines pratiques religieuses au sein des asiles publics [49][49] Dr. CONSTANS, LUNIER et DUMESNIL, Rapport général à.... Plus de la moitié des asiles d’aliénés revendiquent ouvertement l’usage du religieux comme moyens thérapeutiques en 1860 (assistance aux offices, culte, prière, musique religieuse, consolation), leur géographie recoupant largement la carte de la France chrétienne : le Grand Ouest (Bretagne, Orne, Sarthe), l’Est (Lorraine, Alsace), le Nord. Plus étonnant peut-être, l’asile départemental public laïc d’Alençon dans l’Orne indique les processions comme un des fondements de sa thérapeutique. Il s’agit bien dans cet établissement de généraliser de « puissants moyens de guérison », et non d’utiliser le spectacle religieux comme distraction. Le rituel impose la normalisation, il encadre l’attention du groupe et domine la raison défaillante. Le mouvement des fidèles, la musique, les chants, les odeurs d’encens et de fleurs, tout concourt à ordonner une harmonie des sens, visuels, auditifs, olfactifs. Le désordre mental des aliénés est canalisé, renversé par l’ordre sensitif et spirituel de la liturgie.
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On trouve ces influences religieuses jusqu’à la Salpêtrière, dont les services sont dominés alors par les idées d’un aliéniste catholique, Jean-Pierre Falret. Selon la description qu’en donne le docteur Delasiauve, le traitement moral est fondé sur la prière, les cantiques et les lectures religieuses. Ce qui donne ce tableau surprenant :
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Un christianisme thérapeutique s’est développé sans entraves dans la première moitié du siècle au sein d’une institution parisienne modèle. Ceci n’a pu avoir lieu que parce que ces pratiques religieuses offraient au médecin l’ordre et la soumission qu’il réclamait des patients. L’amour de soi se réinvestit collectivement, en même temps que l’ordre chrétien accepté permet la discipline des cœurs. Le médecin, et non le prêtre, est au centre de cette communauté fidèle active. D’autres que Falret – Morel, Parchappe – ont constaté l’utilité thérapeutique du chant religieux, par ailleurs consubstantiel au traitement des malades des asiles protestants de la Force en Dordogne [51][51] B. A. MOREL, Notice sur l’hospice d’Eberbach, Paris,.... En donnant à l’enseignement religieux une place centrale dans leur dispositif thérapeutique, tous s’écartent de la doctrine des fondateurs qui ont posé un interdit sur ce recours dans les premières années du siècle.
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Il apparaît difficile d’opposer religion et médecine si l’on se fonde sur l’histoire du traitement moral dans la première moitié du XIXe siècle. Cette pratique thérapeutique s’enracine dans l’héritage chrétien, ce qui explique la facilité avec laquelle l’ordre de Saint-Jean de Dieu s’accommode du modèle scientifique et laïc. L’asile, communauté de sanctification mutuelle, lieu de guérison par le salut, répond au programme des aliénistes de cette première moitié du XIXe siècle; c’est pourquoi aussi il est présenté comme un concurrent dans les discours médicaux. La direction morale des aliénés recouvre des catégories de la théologie morale du temps. Les asiles privés religieux dépassent la « fonction d’asiles publics » qu’on leur assigne dans les rapports administratifs. La contribution de l’ordre de Saint-Jean de Dieu à la médicalisation de la société est par ailleurs clairement reconnue par l’État puisqu’en 1901 il est un des seuls ordres masculins autorisés à poursuivre leur œuvre sans contraintes. Ces influences croisées entre religion et médecine sont une constante de la thérapeutique psychiatrique et psychologique, comme en témoigne le retour sur la direction de conscience opéré par les psychologues scientifiques et les thérapeutes des débuts du XXe siècle. Elles ne doivent néanmoins pas occulter la permanence de pratiques religieuses hors de l’asile, comme l’exorcisme ou le recours aux sanctuaires de guérison, dont le dynamisme est évident là aussi jusqu’aux années 1860. La décennie qui suit représente une rupture culturelle majeure qui ouvre une période de laïcisation institutionnelle, pendant laquelle, dans les discours, la religion de salvatrice devient pathogène. La possession et l’exorcisme sont mis en cause, les sanctuaires de guérison déclinent, les aumôniers d’asile perdent leur pouvoir thérapeutique, la vague de fondation d’asiles religieux est stoppée. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’argument médical progresse assurément dans le monde chrétien comme dans le reste de la société.
Notes
https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2006-2-page-35.htm#re1no1
[*]
Maître de conférences d’histoire contemporaine à l’Université du Mans.
[(1)]
M. LAGRÉE et F. LEBRUN (dir.), Pour l’histoire de la médecine. Autour de l’œuvre de Jacques Léonard, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1994; « Médicalisation et professions de santé XIXe - XXe siècle », numéro spécial de la Revue d’histoire moderne et contemporaine, octobre-décembre 1996, notamment O. FAURE, « Les voies multiples de la médicalisation », p. 574-577. Une synthèse bibliographique est publiée dans Annales Histoire, Sciences sociales, février 2001. Une approche européenne dans M. LINDEMANN, Medicine and society in early modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1999.
[(2)]
A. DUPRONT, « Anthropologie religieuse », in J. LE GOFF et P. NORA (dir.), Faire de l’Histoire, Paris, Gallimard, 1974, t. II, p. 112.
[(3)]
G. CANGUILHEM, « Une pédagogie de la guérison est-elle possible ? », Nouvelle Revue de Psychanalyse, no 17,1978, p. 13-26.
[(4)]
Y. RIPA, La ronde des folles. Femme, folie et enfermement au XIXe siècle, Paris, Aubier, 1986, p. 145-158; L. SUEUR, Le traitement de l’aliénation mentale au début du XIXe siècle, thèse de doctorat d’histoire, Université Paris VII, 1996.
[(5)]
J. POSTEL, Genèse de la psychiatrie. Les premiers écrits psychiatriques de Philippe Pinel, Paris, Le Sycomore, 1989; D. WEINER, Comprendre et soigner. Philippe Pinel et la médecine de l’esprit, Paris, Fayard, 1999.
[(6)]
M. GAUCHET, « De Pinel à Freud », in G. SWAIN, Le sujet de la folie. Naissance de la psychiatrie, Paris, Calmann-Lévy, 1997, p. 18.
[(7)]
J. GOLDSTEIN, Consoler et classifier : l’essor de la psychiatrie française, Le Plessis-Robinson, Les Empêcheurs de penser en rond, 1997.
[(8)]
R. A. NYE, « Médecins, éthique médicale et État 1789-1947 », Le Mouvement Social, janvier-mars 2006, p. 20-21.
[(9)]
Condamnation de l’œuvre de P.-J.-G. CABANIS, Rapports du physique et du moral de l’homme, 6 septembre 1819. Archives du Saint-Office, Rome, Prot. Congr. Index., Vol. 1819-1820, p. 1 et 6. Condamnation de l’œuvre de F. BROUSSAIS, De l’irritation et de la folie, 24 mai 1830. A S-O, Prot. Congr. Index., Vol. 1830-1835.
[(10)]
H. GUILLEMAIN, « Déments ou démons ? L’exorcisme face aux sciences psychiques ( XIXe - XXe siècles) », Revue d’Histoire de l’Église de France, 87,2001, p. 439-471; « Les débuts de la médecine catholique en France. La Société médicale Saint-Luc, Saint-Côme et Saint-Damien (1884-1914) », Revue d’Histoire du XIXe siècle, octobre 2003, p. 227-258.
[(11)]
Les archives de l’ordre de Saint-Jean de Dieu sont situées à la clinique de l’ordre rue Oudot à Paris. Certains dossiers des maisons de province se trouvent à Marseille.
[(12)]
M. MASSON, Soins et assistance prodigués aux aliénés par les Frères de Saint-Jean de Dieu dans la France du XVIIIe siècle, thèse de doctorat de médecine, 1999; D. WEINER, « The Brothers of Charity and the Mentally Ill in the Prerevolutionary France », Social History of Medicine, December 1989, p. 321-327.
[(13)]
L’ordre maintient aujourd’hui une activité en secteur psychiatrique en France et en Belgique, notamment à Lyon, Lille, Dinan et Leuze (Hainaut).
[(14)]
G. BOLLOTTE, « Les Châteaux du frère Hilarion », L’Information psychiatrique, 42,1966, p. 723-773; O. BONNET, « Frère Hilarion Tissot : un fondateur d’asiles d’aliénés en Auvergne », Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne, avril-juin 1988; O. BONNET, « Faire la biographie d’un charlatan ? Frère Hilarion Tissot », Cahiers historiques, janvier-juin 2002, p. 27-43.
[(15)]
A. CHAGNY, L’Ordre hospitalier de Saint-Jean de Dieu, 2 vol., Lyon, Imprimerie de M. Lescuyer et fils, 1951 et 1953; C. COUSSON, Paul de Magallon d’Argens, Lyon, E. Vitte, 1959; P. DREYFUS, Infirmier par amour de Dieu, Paul de Magallon, Paris, Le Centurion, 1993.
[(16)]
O. BONNET, « L’Œuvre du père Chiron : la fondation de la congrégation Sainte-Marie de l’Assomption et son évolution », Revue du Vivarais, octobre-décembre 1997, p. 237; O. BONNET, « L’Œuvre hospitalière de la Congrégation de Sainte-Marie de l’Assomption à Clermont », Bulletin historique scientifique d’Auvergne, 99,1998, p. 285-321.
[(17)]
J.-E.-D. ESQUIROL, Des maladies mentales, 1838, réédition Paris, Frénésie, 1989, p. 60.
[(18)]
Archives Nationales (AN), F20 282/47, département du Calvados, rapport thérapeutique de l’asile de Caen, Statistique générale de la France, Statistique des aliénés, 1859-1860.
[(19)]
AN, F20 282/47, Statistique générale de la France, Statistique des aliénés, 1859-1860, département des Côtes-du-Nord.
[(20)]
M. BARON, John Bost : La Force, La cité utopique, Paris, La Cause, 1998.
[(21)]
Jean Ciudad passe au service des aliénés dans l’asile qui fut son lieu d’internement, puis s’applique à humaniser leur traitement en fondant un asile d’aliénés à Grenade vers 1540. Les deux restaurateurs, Paul de Magallon et Joseph Xavier Tissot, ont des points communs avec Jean de Dieu. Le premier est aussi un ancien militaire converti, et le second fut interné.
[(22)]
Archives Saint-Jean de Dieu, Paris (ASJD), J. TISSOT, Mes travaux et mes fondations, p. 28; ibid., Règlement pour les domestiques de 1888.
[(23)]
Convers, du latin conversus, conversion radicale. Ceux-ci sont des religieux qui se distinguent des moines de chœur et effectuent les travaux matériels communautaires.
[(24)]
AN, F15 3900, lettre du préfet du Nord au ministre de l’Intérieur, 16 juin 1845.
[(25)]
C. QUÉTEL, Le Bon sauveur de Caen. Les cadres de la folie au XIXe siècle, thèse de doctorat d’histoire, Université Paris I, 1976.
[(26)]
AN, F20 282/46 et 47.
[(27)]
Outre les archives Saint-Jean de Dieu à Paris, on trouve aussi des informations complémentaires dans les archives départementales des Côtes-du-Nord, Séries 1X115,1X116 et 1Z131.
[(28)]
ASJD, Registres des Frères de Saint-Jean de Dieu.
[(29)]
ASJD, Article 13 du règlement de l’asile de Léhon, 1858.
[(30)]
AD des Côtes-du-Nord, 1X115, Règlement de l’asile de Léhon, 1855.
[(31)]
J.-B. CARRIER, Étude statistique sur les aliénés de Saint-Jean de Dieu à Lyon, Lyon, Librairie Savy, 1841, p. 12.
[(32)]
J.M.V. LE SAUX, Manuel de l’aumônier d’aliénés, Lille et Paris, J. Lefort, 1866, p. 24-32.
[(33)]
Ibid., p. VI-VII.
[(34)]
Ibid., p. 57.
[(35)]
J. GUERBER, Le Ralliement du clergé français à la morale liguorienne, Rome, Università Gregoriana, 1973; P. BOUTRY, « Une théologie morale en transition : rigorisme et liguorisme dans la formation du curé d’Ars », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, février 2002, p. 155-170.
[(36)]
J.M.V. LE SAUX, Manuel de l’aumônier d’aliénés, op. cit., p. 256.
[(37)]
Mgr T. GOUSSET, Théologie morale à l’usage des curés et des confesseurs, Lyon, Périsse frères, 1844; A. de LIGUORI, Pratique du confesseur, dans Œuvres complètes, t. 26, Paris, Parent-Desbarres, 1842.
[(38)]
D’après les titres de la bibliographie de Philippe Pinel, ces termes apparaissent pour les premiers en 1788 et 1789. Le troisième, qui est appelé à un grand avenir, apparaît en 1798.
[(39)]
AD Privas, Série X, Lettre du père Chiron au préfet, 21 juillet 1836.
[(40)]
ASJD, Marseille, manuscrit rédigé par les Frères Saint-Jean de Dieu de l’asile de la Guillotière, à Lyon, s.d.
[(41)]
J. RIGOLI, Lire le délire. Aliénisme, rhétorique et littérature en France au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2001.
[(42)]
F. LEURET, Du traitement moral de la folie, Paris, Bouillère, 1849; L. MURAT, La Maison du Docteur Blanche. Histoire d’un asile et de ses pensionnaires de Nerval à Maupassant, Paris, J.-C. Lattès, 2001.
[(43)]
S. PINEL, Traité complet du régime sanitaire des aliénés ou Manuel des établissements qui leur sont consacrés, Paris, Mauprivez, 1836, p. 131.
[(44)]
M. FOUCAULT, Le Pouvoir psychiatrique, Cours au Collège de France. 1973-1974, Paris, GallimardSeuil, 2003.
[(45)]
L’acception de « moral » au sens de relatif à l’âme, en opposition au physique, date de 1746, époque de substantivation du terme. Le Littré fait suivre les définitions de théologie morale et de folie morale.
[(46)]
J. GOLDSTEIN, Consoler et classifier, op. cit., p. 160-164.
[(47)]
J.-B. CARRIER, Étude statistique..., op. cit., p. 6.
[(48)]
AN, F20 282/48, Rapport thérapeutique de l’asile de Lommelet, Statistique générale de la France, Statistique des aliénés, 1859-1860, département du Nord.
[(49)]
Dr. CONSTANS, LUNIER et DUMESNIL, Rapport général à Monsieur le ministre de l’Intérieur sur le service des aliénés, Paris, Imprimerie Nationale, 1874, p. 194.
[(50)]
L. DELASIAUVE, Deux visites à la Salpêtrière, extrait du journal L’Expérience, s.d., p. 5-7.
[(51)]
B. A. MOREL, Notice sur l’hospice d’Eberbach, Paris, Imprimerie de Bourgogne, 1846, p. 6-7.
Résumé
Français
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Plan de l'article
Pour citer cet article
Guillemain Hervé, « Médecine et religion au XIXe siècle. Le traitement moral de la folie dans les asiles de l'ordre de Saint-Jean de Dieu (1830-1860)», Le Mouvement Social 2/2006 (no 215) , p. 35-49
URL : www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2006-2-page-35.htm.
DOI : 10.3917/lms.215.0035.
Le traitement moral que pratiquent les Frères de Saint-Jean de Dieu à Lyon est ainsi proche de la conception des aliénistes, qui, tel Scipion Pinel, fils de Philippe Pinel, le définissent comme « l’art de chercher à donner une direction nouvelle à la volonté des aliénés », comme une direction des intelligences et des passions [43][43] S. PINEL, Traité complet du régime sanitaire des aliénés.... Le respect de l’autre comme sujet n’empêche pas une certaine infantilisation des rapports entre soignant et soigné, car, mineur juridique, l’aliéné est assimilé à un enfant dans les faits. En témoigne la fréquence des références au rôle de substitut familial, maternel surtout, tant dans les asiles chrétiens que dans les traités des aliénistes. Le modèle familial de l’asile présenté comme une violence par Michel Foucault dans son Histoire de la folie, jugement fortement nuancé dans son cours au Collège de France de 1973 [44][44] M. FOUCAULT, Le Pouvoir psychiatrique, Cours au Collège..., est un vœu des premiers aliénistes, réalisé naturellement par les frères de Saint-Jean de Dieu.
33
Cette conformité des approches chrétienne et médicale autorise-t-elle à penser l’origine religieuse du traitement moral ? « Moral » doit-il être compris comme un synonyme de « mental », dans le sens où le traitement de la folie porte sur le psychique et non sur l’organique, ou bien doit-il être compris dans une acception de jugement [45][45] L’acception de « moral » au sens de relatif à l’âme,... ? Chez les médecins et les infirmiers des asiles chrétiens, le fou est sous l’emprise d’un mal que l’on doit contrebalancer en partie par la démonstration ostentatoire d’une action pour le bien-être des malades. La puissance présumée de la parole, les processus de mise en confiance des malades, la construction d’un dialogue rationnel avec le sujet fou, principes des aliénistes, sont appliqués – sur certains malades – dans les institutions chrétiennes entre 1830 et 1860. Jan Goldstein a montré que l’idée de consolation, qui vise à faire accepter le mal et non à le supprimer, est portée par le christianisme, avant de faire partie de l’arsenal psychologique des médecins [46][46] J. GOLDSTEIN, Consoler et classifier, op. cit., p..... On peut donc évoquer une forme d’imbrication des savoirs et des pratiques religieuses et profanes dans la première moitié du siècle. Lorsque, dans les années 1860, la thèse psychiatrique de la dégénérescence devient majoritaire, le traitement moral individuel est minoré, puisque celui-ci se fonde sur la réversibilité du mal par des moyens non organiques. Après cette date, les asiles religieux continuent à pratiquer le traitement moral, qui semble consubstantiel au traitement chrétien de la folie, alors que sa pratique décline dans les asiles laïcs.
La religion salvatrice
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Le rapprochement des conceptions du traitement moral tel qu’il est pratiqué dans les asiles laïcs et religieux n’empêche pas la permanence d’un traitement proprement religieux des aliénés dans les asiles de l’ordre de Saint-Jean de Dieu. Des exorcismes ont pu être pratiqués dans les institutions des Frères dans la première moitié du XIXe siècle. La correspondance entre les parents des malades et les frères de l’asile de Léhon montre que la folie est le plus souvent considérée comme une épreuve divine reliée à une faute originelle. La guérison est donc chez les Frères la conséquence de la confession et de la conversion des patients avant tout. Au-delà de cette confession thérapeutique, il existe des modes d’action plus diffus du sentiment religieux. A l’asile de la Guillotière à Lyon, le médecin-chef, J.-B. Carrier, développe en 1841 une variante aliéniste de l’amour chrétien [47][47] J.-B. CARRIER, Étude statistique..., op. cit., p. ..., tandis qu’à l’asile de Lommelet on promeut l’usage du chant des offices à des fins d’apaisement [48][48] AN, F20 282/48, Rapport thérapeutique de l’asile de.... Le traitement moral ne faisant guère la différence entre les asiles, les établissements privés religieux ont acquis une réputation supérieure en raison de cette vocation religieuse, considération qui vient s’ajouter à la qualité reconnue de leurs personnels et à leur moindre coût. Avant les années 1860, la religion est largement considérée comme source de guérison par la population, comme l’illustre alors la vigueur des sanctuaires de guérison consacrés aux maladies mentales dont celui de Larchant (Seine-et-Marne) est un modèle.
35
Jusqu’en 1860 au moins, ce type de pratiques religieuses considérées comme thérapeutiques ou apaisantes sont aussi utilisées dans les asiles publics. Alors que, durant la Monarchie de Juillet, quelques figures de l’administration publique ont songé à interdire ces pratiques jugées à la fois rétrogrades et inefficaces, voire dangereuses, les incitations médicales et administratives au recours à ce type de pratiques sont nombreuses entre 1840 et 1860. Dans un rapport de 1843, un inspecteur des asiles incite les sœurs à développer la consolation religieuse dans l’hospice Saint-Joseph de Marseille. Son intervention entraîne la mise en place d’une prière collective du soir et l’achat d’un orgue. Une trentaine d’années plus tard, les inspecteurs généraux des asiles Constans, Lunier et Dumesnil semblent disposés à accepter certaines pratiques religieuses au sein des asiles publics [49][49] Dr. CONSTANS, LUNIER et DUMESNIL, Rapport général à.... Plus de la moitié des asiles d’aliénés revendiquent ouvertement l’usage du religieux comme moyens thérapeutiques en 1860 (assistance aux offices, culte, prière, musique religieuse, consolation), leur géographie recoupant largement la carte de la France chrétienne : le Grand Ouest (Bretagne, Orne, Sarthe), l’Est (Lorraine, Alsace), le Nord. Plus étonnant peut-être, l’asile départemental public laïc d’Alençon dans l’Orne indique les processions comme un des fondements de sa thérapeutique. Il s’agit bien dans cet établissement de généraliser de « puissants moyens de guérison », et non d’utiliser le spectacle religieux comme distraction. Le rituel impose la normalisation, il encadre l’attention du groupe et domine la raison défaillante. Le mouvement des fidèles, la musique, les chants, les odeurs d’encens et de fleurs, tout concourt à ordonner une harmonie des sens, visuels, auditifs, olfactifs. Le désordre mental des aliénés est canalisé, renversé par l’ordre sensitif et spirituel de la liturgie.
36
On trouve ces influences religieuses jusqu’à la Salpêtrière, dont les services sont dominés alors par les idées d’un aliéniste catholique, Jean-Pierre Falret. Selon la description qu’en donne le docteur Delasiauve, le traitement moral est fondé sur la prière, les cantiques et les lectures religieuses. Ce qui donne ce tableau surprenant :
37
C’était vraiment chose curieuse à observer que le maintien calme et l’épanouissement des figures de ces insensées dont un moment auparavant nous venions de constater avec tristesse les propos et les gestes extravagants. Dans cette espèce de concours, presque toutes apportent leur tribut, chacune suivant son état et ses forces. Celles-ci répètent un passage de Buffon ou quelques morceaux religieux. L’amour propre, qui est rarement éteint dans la folie, y trouve des mobiles d’activité. Elles [les femmes de la Salpêtrière] profitent également et à ceux qui récitent et à ceux qui ne peuvent qu’écouter. Les uns et les autres deviennent en quelque sorte les instruments de leur guérison mutuelle [50][50] L. DELASIAUVE, Deux visites à la Salpêtrière, extrait....
38
Un christianisme thérapeutique s’est développé sans entraves dans la première moitié du siècle au sein d’une institution parisienne modèle. Ceci n’a pu avoir lieu que parce que ces pratiques religieuses offraient au médecin l’ordre et la soumission qu’il réclamait des patients. L’amour de soi se réinvestit collectivement, en même temps que l’ordre chrétien accepté permet la discipline des cœurs. Le médecin, et non le prêtre, est au centre de cette communauté fidèle active. D’autres que Falret – Morel, Parchappe – ont constaté l’utilité thérapeutique du chant religieux, par ailleurs consubstantiel au traitement des malades des asiles protestants de la Force en Dordogne [51][51] B. A. MOREL, Notice sur l’hospice d’Eberbach, Paris,.... En donnant à l’enseignement religieux une place centrale dans leur dispositif thérapeutique, tous s’écartent de la doctrine des fondateurs qui ont posé un interdit sur ce recours dans les premières années du siècle.
39
Il apparaît difficile d’opposer religion et médecine si l’on se fonde sur l’histoire du traitement moral dans la première moitié du XIXe siècle. Cette pratique thérapeutique s’enracine dans l’héritage chrétien, ce qui explique la facilité avec laquelle l’ordre de Saint-Jean de Dieu s’accommode du modèle scientifique et laïc. L’asile, communauté de sanctification mutuelle, lieu de guérison par le salut, répond au programme des aliénistes de cette première moitié du XIXe siècle; c’est pourquoi aussi il est présenté comme un concurrent dans les discours médicaux. La direction morale des aliénés recouvre des catégories de la théologie morale du temps. Les asiles privés religieux dépassent la « fonction d’asiles publics » qu’on leur assigne dans les rapports administratifs. La contribution de l’ordre de Saint-Jean de Dieu à la médicalisation de la société est par ailleurs clairement reconnue par l’État puisqu’en 1901 il est un des seuls ordres masculins autorisés à poursuivre leur œuvre sans contraintes. Ces influences croisées entre religion et médecine sont une constante de la thérapeutique psychiatrique et psychologique, comme en témoigne le retour sur la direction de conscience opéré par les psychologues scientifiques et les thérapeutes des débuts du XXe siècle. Elles ne doivent néanmoins pas occulter la permanence de pratiques religieuses hors de l’asile, comme l’exorcisme ou le recours aux sanctuaires de guérison, dont le dynamisme est évident là aussi jusqu’aux années 1860. La décennie qui suit représente une rupture culturelle majeure qui ouvre une période de laïcisation institutionnelle, pendant laquelle, dans les discours, la religion de salvatrice devient pathogène. La possession et l’exorcisme sont mis en cause, les sanctuaires de guérison déclinent, les aumôniers d’asile perdent leur pouvoir thérapeutique, la vague de fondation d’asiles religieux est stoppée. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’argument médical progresse assurément dans le monde chrétien comme dans le reste de la société.
Notes
https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2006-2-page-35.htm#re1no1
[*]
Maître de conférences d’histoire contemporaine à l’Université du Mans.
[(1)]
M. LAGRÉE et F. LEBRUN (dir.), Pour l’histoire de la médecine. Autour de l’œuvre de Jacques Léonard, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1994; « Médicalisation et professions de santé XIXe - XXe siècle », numéro spécial de la Revue d’histoire moderne et contemporaine, octobre-décembre 1996, notamment O. FAURE, « Les voies multiples de la médicalisation », p. 574-577. Une synthèse bibliographique est publiée dans Annales Histoire, Sciences sociales, février 2001. Une approche européenne dans M. LINDEMANN, Medicine and society in early modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1999.
[(2)]
A. DUPRONT, « Anthropologie religieuse », in J. LE GOFF et P. NORA (dir.), Faire de l’Histoire, Paris, Gallimard, 1974, t. II, p. 112.
[(3)]
G. CANGUILHEM, « Une pédagogie de la guérison est-elle possible ? », Nouvelle Revue de Psychanalyse, no 17,1978, p. 13-26.
[(4)]
Y. RIPA, La ronde des folles. Femme, folie et enfermement au XIXe siècle, Paris, Aubier, 1986, p. 145-158; L. SUEUR, Le traitement de l’aliénation mentale au début du XIXe siècle, thèse de doctorat d’histoire, Université Paris VII, 1996.
[(5)]
J. POSTEL, Genèse de la psychiatrie. Les premiers écrits psychiatriques de Philippe Pinel, Paris, Le Sycomore, 1989; D. WEINER, Comprendre et soigner. Philippe Pinel et la médecine de l’esprit, Paris, Fayard, 1999.
[(6)]
M. GAUCHET, « De Pinel à Freud », in G. SWAIN, Le sujet de la folie. Naissance de la psychiatrie, Paris, Calmann-Lévy, 1997, p. 18.
[(7)]
J. GOLDSTEIN, Consoler et classifier : l’essor de la psychiatrie française, Le Plessis-Robinson, Les Empêcheurs de penser en rond, 1997.
[(8)]
R. A. NYE, « Médecins, éthique médicale et État 1789-1947 », Le Mouvement Social, janvier-mars 2006, p. 20-21.
[(9)]
Condamnation de l’œuvre de P.-J.-G. CABANIS, Rapports du physique et du moral de l’homme, 6 septembre 1819. Archives du Saint-Office, Rome, Prot. Congr. Index., Vol. 1819-1820, p. 1 et 6. Condamnation de l’œuvre de F. BROUSSAIS, De l’irritation et de la folie, 24 mai 1830. A S-O, Prot. Congr. Index., Vol. 1830-1835.
[(10)]
H. GUILLEMAIN, « Déments ou démons ? L’exorcisme face aux sciences psychiques ( XIXe - XXe siècles) », Revue d’Histoire de l’Église de France, 87,2001, p. 439-471; « Les débuts de la médecine catholique en France. La Société médicale Saint-Luc, Saint-Côme et Saint-Damien (1884-1914) », Revue d’Histoire du XIXe siècle, octobre 2003, p. 227-258.
[(11)]
Les archives de l’ordre de Saint-Jean de Dieu sont situées à la clinique de l’ordre rue Oudot à Paris. Certains dossiers des maisons de province se trouvent à Marseille.
[(12)]
M. MASSON, Soins et assistance prodigués aux aliénés par les Frères de Saint-Jean de Dieu dans la France du XVIIIe siècle, thèse de doctorat de médecine, 1999; D. WEINER, « The Brothers of Charity and the Mentally Ill in the Prerevolutionary France », Social History of Medicine, December 1989, p. 321-327.
[(13)]
L’ordre maintient aujourd’hui une activité en secteur psychiatrique en France et en Belgique, notamment à Lyon, Lille, Dinan et Leuze (Hainaut).
[(14)]
G. BOLLOTTE, « Les Châteaux du frère Hilarion », L’Information psychiatrique, 42,1966, p. 723-773; O. BONNET, « Frère Hilarion Tissot : un fondateur d’asiles d’aliénés en Auvergne », Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne, avril-juin 1988; O. BONNET, « Faire la biographie d’un charlatan ? Frère Hilarion Tissot », Cahiers historiques, janvier-juin 2002, p. 27-43.
[(15)]
A. CHAGNY, L’Ordre hospitalier de Saint-Jean de Dieu, 2 vol., Lyon, Imprimerie de M. Lescuyer et fils, 1951 et 1953; C. COUSSON, Paul de Magallon d’Argens, Lyon, E. Vitte, 1959; P. DREYFUS, Infirmier par amour de Dieu, Paul de Magallon, Paris, Le Centurion, 1993.
[(16)]
O. BONNET, « L’Œuvre du père Chiron : la fondation de la congrégation Sainte-Marie de l’Assomption et son évolution », Revue du Vivarais, octobre-décembre 1997, p. 237; O. BONNET, « L’Œuvre hospitalière de la Congrégation de Sainte-Marie de l’Assomption à Clermont », Bulletin historique scientifique d’Auvergne, 99,1998, p. 285-321.
[(17)]
J.-E.-D. ESQUIROL, Des maladies mentales, 1838, réédition Paris, Frénésie, 1989, p. 60.
[(18)]
Archives Nationales (AN), F20 282/47, département du Calvados, rapport thérapeutique de l’asile de Caen, Statistique générale de la France, Statistique des aliénés, 1859-1860.
[(19)]
AN, F20 282/47, Statistique générale de la France, Statistique des aliénés, 1859-1860, département des Côtes-du-Nord.
[(20)]
M. BARON, John Bost : La Force, La cité utopique, Paris, La Cause, 1998.
[(21)]
Jean Ciudad passe au service des aliénés dans l’asile qui fut son lieu d’internement, puis s’applique à humaniser leur traitement en fondant un asile d’aliénés à Grenade vers 1540. Les deux restaurateurs, Paul de Magallon et Joseph Xavier Tissot, ont des points communs avec Jean de Dieu. Le premier est aussi un ancien militaire converti, et le second fut interné.
[(22)]
Archives Saint-Jean de Dieu, Paris (ASJD), J. TISSOT, Mes travaux et mes fondations, p. 28; ibid., Règlement pour les domestiques de 1888.
[(23)]
Convers, du latin conversus, conversion radicale. Ceux-ci sont des religieux qui se distinguent des moines de chœur et effectuent les travaux matériels communautaires.
[(24)]
AN, F15 3900, lettre du préfet du Nord au ministre de l’Intérieur, 16 juin 1845.
[(25)]
C. QUÉTEL, Le Bon sauveur de Caen. Les cadres de la folie au XIXe siècle, thèse de doctorat d’histoire, Université Paris I, 1976.
[(26)]
AN, F20 282/46 et 47.
[(27)]
Outre les archives Saint-Jean de Dieu à Paris, on trouve aussi des informations complémentaires dans les archives départementales des Côtes-du-Nord, Séries 1X115,1X116 et 1Z131.
[(28)]
ASJD, Registres des Frères de Saint-Jean de Dieu.
[(29)]
ASJD, Article 13 du règlement de l’asile de Léhon, 1858.
[(30)]
AD des Côtes-du-Nord, 1X115, Règlement de l’asile de Léhon, 1855.
[(31)]
J.-B. CARRIER, Étude statistique sur les aliénés de Saint-Jean de Dieu à Lyon, Lyon, Librairie Savy, 1841, p. 12.
[(32)]
J.M.V. LE SAUX, Manuel de l’aumônier d’aliénés, Lille et Paris, J. Lefort, 1866, p. 24-32.
[(33)]
Ibid., p. VI-VII.
[(34)]
Ibid., p. 57.
[(35)]
J. GUERBER, Le Ralliement du clergé français à la morale liguorienne, Rome, Università Gregoriana, 1973; P. BOUTRY, « Une théologie morale en transition : rigorisme et liguorisme dans la formation du curé d’Ars », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, février 2002, p. 155-170.
[(36)]
J.M.V. LE SAUX, Manuel de l’aumônier d’aliénés, op. cit., p. 256.
[(37)]
Mgr T. GOUSSET, Théologie morale à l’usage des curés et des confesseurs, Lyon, Périsse frères, 1844; A. de LIGUORI, Pratique du confesseur, dans Œuvres complètes, t. 26, Paris, Parent-Desbarres, 1842.
[(38)]
D’après les titres de la bibliographie de Philippe Pinel, ces termes apparaissent pour les premiers en 1788 et 1789. Le troisième, qui est appelé à un grand avenir, apparaît en 1798.
[(39)]
AD Privas, Série X, Lettre du père Chiron au préfet, 21 juillet 1836.
[(40)]
ASJD, Marseille, manuscrit rédigé par les Frères Saint-Jean de Dieu de l’asile de la Guillotière, à Lyon, s.d.
[(41)]
J. RIGOLI, Lire le délire. Aliénisme, rhétorique et littérature en France au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2001.
[(42)]
F. LEURET, Du traitement moral de la folie, Paris, Bouillère, 1849; L. MURAT, La Maison du Docteur Blanche. Histoire d’un asile et de ses pensionnaires de Nerval à Maupassant, Paris, J.-C. Lattès, 2001.
[(43)]
S. PINEL, Traité complet du régime sanitaire des aliénés ou Manuel des établissements qui leur sont consacrés, Paris, Mauprivez, 1836, p. 131.
[(44)]
M. FOUCAULT, Le Pouvoir psychiatrique, Cours au Collège de France. 1973-1974, Paris, GallimardSeuil, 2003.
[(45)]
L’acception de « moral » au sens de relatif à l’âme, en opposition au physique, date de 1746, époque de substantivation du terme. Le Littré fait suivre les définitions de théologie morale et de folie morale.
[(46)]
J. GOLDSTEIN, Consoler et classifier, op. cit., p. 160-164.
[(47)]
J.-B. CARRIER, Étude statistique..., op. cit., p. 6.
[(48)]
AN, F20 282/48, Rapport thérapeutique de l’asile de Lommelet, Statistique générale de la France, Statistique des aliénés, 1859-1860, département du Nord.
[(49)]
Dr. CONSTANS, LUNIER et DUMESNIL, Rapport général à Monsieur le ministre de l’Intérieur sur le service des aliénés, Paris, Imprimerie Nationale, 1874, p. 194.
[(50)]
L. DELASIAUVE, Deux visites à la Salpêtrière, extrait du journal L’Expérience, s.d., p. 5-7.
[(51)]
B. A. MOREL, Notice sur l’hospice d’Eberbach, Paris, Imprimerie de Bourgogne, 1846, p. 6-7.
Résumé
Français
Dans la première moitié du XIXe siècle, l’ordre de Saint-Jean de Dieu, qui s’est spécialisé dans le traitement des aliénés, élabore une stratégie de contournement du pouvoir médical consolidé par la loi de 1838, en même temps qu’il étend son réseau institutionnel d’assistance et de soin. Mais par-delà l’opposition des discours et des pouvoirs entre médecins et religieux, un regard sur les pratiques de cure des aliénés autorise l’écriture d’une histoire plus nuancée. La communauté monastique sanctifiante concrétise les désirs des aliénistes. La pratique du traitement moral, enracinée dans l’héritage chrétien, est une forme de direction de conscience dont les caractères renvoient au religieux. Avant 1860 la religion est considérée comme salvatrice : en témoignent l’action des aumôniers dans les asiles ainsi que le recours aux pratiques religieuses dans les asiles laïcs. La décennie suivante doit être considérée comme une rupture dans l’approche médicale des pratiques religieuses.
English
Medicine and religion in the 19th century : the moral treatment of madness in the asylums of the order of Saint-Jean de Dieu (1830-1860). In the first half of the 19th century, the order of Saint-Jean de Dieu, specialized in lunatics, adopted a strategy to get round a medical establishment which had been strengthened by the 1838 law. The order extended simultaneously its institutional network of care and assistance. However, even if doctors and friars fought each others in the arena of politics and discourses, a closer look at the lunatics’ treatment practices led to downplay such historical opposition. The sanctifying monastic community fulfilled the psychiatrists’ wishes. The latter applied a moral treatment which fell within the Christian legacy and somehow amounted to a form of spiritual advising. Before 1860, religion led to salvation. The intervention of the chaplains within asylums and the enduring religious practices in the non-religious asylums established this point. The following decade should be considered as a break in the medical understanding of religious practices.
Plan de l'article
- L’institution thérapeutique : asile laïc et communauté monastique
- Les thérapeutes
- L’aumônier confesseur des aliénés : un rôle thérapeutique ?
- Les racines religieuses du traitement moral de la folie
- La religion salvatrice
Pour citer cet article
Guillemain Hervé, « Médecine et religion au XIXe siècle. Le traitement moral de la folie dans les asiles de l'ordre de Saint-Jean de Dieu (1830-1860)», Le Mouvement Social 2/2006 (no 215) , p. 35-49
URL : www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2006-2-page-35.htm.
DOI : 10.3917/lms.215.0035.
Re: Forum - Religion et Médecine - forum religion et médecine
Médecine et religion ne font pas bon ménage
Avec un taux de prévalence officiel de 2,1%, l'Éthiopie fait figure de bon élève dans la lutte contre le sida. Un domaine, cependant, échappe au contrôle des professionnels : l'utilisation de l'eau bénite contre la maladie, parfois au détriment des antirétroviraux (ARV). L'eau bénite tue-t-elle prématurément les malades du sida ?
« Quand je suis arrivé, je ne tenais même pas debout, j’avais besoin d’une canne pour me déplacer et je pesais 58 kilos », témoigne Kassa, 37 ans, séropositif depuis sept ans. Tous les matins aux aurores, cet ancien ouvrier en construction se rend à la source pour recevoir une douche d’eau bénite, puis boire cinq litres de ce nectar salvateur. « Avec l’eau bénite, je ne souffre plus, je vomis, j’ai la diarrhée, c’est la preuve que mon corps rejette le sida, je suis quasiment guéri, c’est un miracle !», poursuit-il, le regard brillant. Kassa fait partie des 2000 malades du sida venus s’installer à côté de l’église Sainte-Marie, sur la colline d’Entoto, au-dessus d’Addis-Abeba. Construite à la verticale d’une source d’eau bénite, l’église constitue le plus important des quelque 80 lieux saints orthodoxes à travers l’Éthiopie.
En Éthiopie, dont 40% des 77 millions d’habitants sont orthodoxes, l’utilisation de l’eau bénite est un phénomène massif. Aujourd’hui, 2,2 millions d’Éthiopiens vivent avec le sida. Les consommateurs d’eau bénite pourraient bien se compter en dizaines de milliers, même si aucune statistique n’a été établie. Ces croyances dans les vertus miraculeuses de l’eau bénite ne laissent pas d’alarmer les médecins et autres professionnels de la lutte contre le sida, qui, tout en respectant la foi orthodoxe, rappellent que l’eau bénite ne doit en aucun cas supplanter les antirétroviraux (ARV). En d’autres termes, il faut éviter que l’eau bénite tue prématurément les malades du sida. Il n’y a aucune preuve à cela, mais certaines ONG évoquent cette possibilité à mots couverts. « Il y a un peu de dérapage avec l’eau bénite », concède Roger Salla Ntounga, coordinateur régional de l’Onusida à Addis-Abeba, se gardant bien d’en dire plus.
De fait, la puissance de l’eau bénite comme « médicament divin » découle directement de l’interprétation religieuse du sida comme une punition divine. En effet, selon le Patriarche de l’Église orthodoxe éthiopienne, l’Abouna Paulos, « ce sont les gens qui cherchent des ennuis, ils sont infidèles, donc ils déclenchent la colère de Dieu ». D’où la transmission du sida. Logiquement, pour se purifier d’une faute spirituelle, l’infidélité, les malades ne peuvent alors avoir recours qu’à un traitement spirituel lui aussi. Le rituel de l’eau bénite s’accompagne donc de prières et de méditations. À l’opposé, les antirétroviraux (ARV), médicaments chimiques, ne peuvent offrir cette rédemption. À tel point que « certains prêtres, des cas isolés, interdisaient à leurs fidèles de prendre des anti-rétroviraux, parce que cela reviendrait à juger l’eau bénite insuffisante, et donc à être un mauvais croyant », reconnaît Solomon Hailu, le responsable du département sida au sein de l’Église orthodoxe éthiopienne.
« Les gens se cachent pour prendre leurs anti- rétroviraux »
À cette explication religieuse, s’ajoute la question plus prosaïque des moyens mis en œuvre par le gouvernement éthiopien « Il y a eu un vide institutionnel et politique dans la lutte contre le sida dans les années 90, du coup, les gens n’avaient rien d’autre que l’eau bénite », analyse de Yodit Hermann, doctorante en anthropologie à l’université de Provence. Depuis, la situation s’est améliorée, les ARV ayant été, selon Solomon Hailu, rendus gratuits en 2005.
Prêtres et malades du sida écoutent le patriarche Paulos prôner l'utilisation conjointe de l'eau bénite et des ARV.Caroline Lafargue/ RFI
L’Église orthodoxe a donc profité officiellement de cette accessibilité des antirétroviraux pour lancer de son côté une campagne de communication auprès des malades, les incitant à prendre à la fois de l’eau bénite et des antirétroviraux. Objectif : couper court aux rumeurs, non prouvées, de décès prématurés de malades du sida qui auraient exclusivement utilisé de l’eau bénite. Ce rééquilibrage du message de l’Église n’est cependant pas étranger à la pression des États-Unis, principaux bailleurs de fonds pour la lutte contre le sida en Éthiopie, qui ont officieusement conditionné leur aide au soutien des anti- rétroviraux. Pour justifier cette promotion des médicaments, l’Abouna Paulos s’est livré à une acrobatie spirituelle efficace : «
Les antirétroviraux ne sont pas le fruit des cerveaux des médecins français ou anglais, c’est la main de Dieu qui a guidé ces médecins », précise-t-il. L’interprétation a le mérite de conférer ainsi aux antirétroviraux une dimension divine et donc de les placer au même niveau que l’eau bénite.
Pour autant, la compatibilité pratique des deux types de « traitement » reste douteuse. Les malades ne se bornent pas à prendre de l’eau bénite tous les matins, ils jeûnent également, ce qui rend la prise d’ARV difficilement supportable. Et dans les faits, la recommandation officielle de l’Abouna Paulos bute sur la peur de la stigmatisation : « À l’église Sainte-Marie d’Entoto, beaucoup de malades avouent qu’ils se cachent pour prendre leurs antirétroviraux, ils ont encore peur d’être montrés du doigt par leurs pairs comme de mauvais croyants », regrette Yodit Hermann.
Avec un taux de prévalence officiel de 2,1%, l'Éthiopie fait figure de bon élève dans la lutte contre le sida. Un domaine, cependant, échappe au contrôle des professionnels : l'utilisation de l'eau bénite contre la maladie, parfois au détriment des antirétroviraux (ARV). L'eau bénite tue-t-elle prématurément les malades du sida ?
« Quand je suis arrivé, je ne tenais même pas debout, j’avais besoin d’une canne pour me déplacer et je pesais 58 kilos », témoigne Kassa, 37 ans, séropositif depuis sept ans. Tous les matins aux aurores, cet ancien ouvrier en construction se rend à la source pour recevoir une douche d’eau bénite, puis boire cinq litres de ce nectar salvateur. « Avec l’eau bénite, je ne souffre plus, je vomis, j’ai la diarrhée, c’est la preuve que mon corps rejette le sida, je suis quasiment guéri, c’est un miracle !», poursuit-il, le regard brillant. Kassa fait partie des 2000 malades du sida venus s’installer à côté de l’église Sainte-Marie, sur la colline d’Entoto, au-dessus d’Addis-Abeba. Construite à la verticale d’une source d’eau bénite, l’église constitue le plus important des quelque 80 lieux saints orthodoxes à travers l’Éthiopie.
En Éthiopie, dont 40% des 77 millions d’habitants sont orthodoxes, l’utilisation de l’eau bénite est un phénomène massif. Aujourd’hui, 2,2 millions d’Éthiopiens vivent avec le sida. Les consommateurs d’eau bénite pourraient bien se compter en dizaines de milliers, même si aucune statistique n’a été établie. Ces croyances dans les vertus miraculeuses de l’eau bénite ne laissent pas d’alarmer les médecins et autres professionnels de la lutte contre le sida, qui, tout en respectant la foi orthodoxe, rappellent que l’eau bénite ne doit en aucun cas supplanter les antirétroviraux (ARV). En d’autres termes, il faut éviter que l’eau bénite tue prématurément les malades du sida. Il n’y a aucune preuve à cela, mais certaines ONG évoquent cette possibilité à mots couverts. « Il y a un peu de dérapage avec l’eau bénite », concède Roger Salla Ntounga, coordinateur régional de l’Onusida à Addis-Abeba, se gardant bien d’en dire plus.
De fait, la puissance de l’eau bénite comme « médicament divin » découle directement de l’interprétation religieuse du sida comme une punition divine. En effet, selon le Patriarche de l’Église orthodoxe éthiopienne, l’Abouna Paulos, « ce sont les gens qui cherchent des ennuis, ils sont infidèles, donc ils déclenchent la colère de Dieu ». D’où la transmission du sida. Logiquement, pour se purifier d’une faute spirituelle, l’infidélité, les malades ne peuvent alors avoir recours qu’à un traitement spirituel lui aussi. Le rituel de l’eau bénite s’accompagne donc de prières et de méditations. À l’opposé, les antirétroviraux (ARV), médicaments chimiques, ne peuvent offrir cette rédemption. À tel point que « certains prêtres, des cas isolés, interdisaient à leurs fidèles de prendre des anti-rétroviraux, parce que cela reviendrait à juger l’eau bénite insuffisante, et donc à être un mauvais croyant », reconnaît Solomon Hailu, le responsable du département sida au sein de l’Église orthodoxe éthiopienne.
« Les gens se cachent pour prendre leurs anti- rétroviraux »
À cette explication religieuse, s’ajoute la question plus prosaïque des moyens mis en œuvre par le gouvernement éthiopien « Il y a eu un vide institutionnel et politique dans la lutte contre le sida dans les années 90, du coup, les gens n’avaient rien d’autre que l’eau bénite », analyse de Yodit Hermann, doctorante en anthropologie à l’université de Provence. Depuis, la situation s’est améliorée, les ARV ayant été, selon Solomon Hailu, rendus gratuits en 2005.
Prêtres et malades du sida écoutent le patriarche Paulos prôner l'utilisation conjointe de l'eau bénite et des ARV.Caroline Lafargue/ RFI
L’Église orthodoxe a donc profité officiellement de cette accessibilité des antirétroviraux pour lancer de son côté une campagne de communication auprès des malades, les incitant à prendre à la fois de l’eau bénite et des antirétroviraux. Objectif : couper court aux rumeurs, non prouvées, de décès prématurés de malades du sida qui auraient exclusivement utilisé de l’eau bénite. Ce rééquilibrage du message de l’Église n’est cependant pas étranger à la pression des États-Unis, principaux bailleurs de fonds pour la lutte contre le sida en Éthiopie, qui ont officieusement conditionné leur aide au soutien des anti- rétroviraux. Pour justifier cette promotion des médicaments, l’Abouna Paulos s’est livré à une acrobatie spirituelle efficace : «
Les antirétroviraux ne sont pas le fruit des cerveaux des médecins français ou anglais, c’est la main de Dieu qui a guidé ces médecins », précise-t-il. L’interprétation a le mérite de conférer ainsi aux antirétroviraux une dimension divine et donc de les placer au même niveau que l’eau bénite.
Pour autant, la compatibilité pratique des deux types de « traitement » reste douteuse. Les malades ne se bornent pas à prendre de l’eau bénite tous les matins, ils jeûnent également, ce qui rend la prise d’ARV difficilement supportable. Et dans les faits, la recommandation officielle de l’Abouna Paulos bute sur la peur de la stigmatisation : « À l’église Sainte-Marie d’Entoto, beaucoup de malades avouent qu’ils se cachent pour prendre leurs antirétroviraux, ils ont encore peur d’être montrés du doigt par leurs pairs comme de mauvais croyants », regrette Yodit Hermann.
Re: Forum - Religion et Médecine - forum religion et médecine
La religion à l'hôpital
Patientes qui refusent de se faire soigner par des médecins hommes, soignants qui portent de manière ostentatoire des signes religieux… La question du fait religieux à l’hôpital fait irruption dans l’actualité. Comment la religion cohabite-t-elle avec l’impératif de laïcité des établissements de soins ? Jusqu’à quel point le consentement du malade est-il nécessaire pour pratiquer un acte médical où le pronostic vital est en jeu ? Comment résoudre les éventuels conflits entre convictions religieuses et législation ? Eléments de réponse avec Isabelle Lévy, spécialiste de la question et auteur, entre autres, de Menaces religieuses sur l’hôpital paru aux Presses de la Renaissance en 2011.
Un peu d’histoire
Au Moyen Age, les hôpitaux français étaient intimement liés à la religion chrétienne puisqu’ils étaient fondés par l’Eglise catholique et administrés par les membres du clergé. L’hôpital n’est pas encore un établissement de soin tel qu’on le connaît actuellement mais un établissement d’assistance, une œuvre de charité. Cette idée d’assistance est fondée sur les enseignements de l’Eglise (hospitalité, accueil des plus humbles et des plus pauvres, aide envers le prochain…).
Après la laïcisation révolutionnaire, les religieuses ont repris une certaine place dans les hôpitaux même si les établissements sont restés de la compétence des communes. Avec la loi de 1905 qui établit la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’hôpital est devenu laïc. Et il a progressivement acquis son statut d’établissement de soins.
L’hôpital respecte les convictions religieuses des patients
Respect des croyances
L’hôpital public est un espace laïc. Pour autant, la charte de la personne hospitalisée de 1995 le dit bien : « La personne hospitalisée est traitée avec égards. Ses croyances sont respectées ». La laïcité à la française ne conduit pas au déni de toute croyance religieuse : « Tout établissement de santé doit respecter les croyances et les convictions des personnes accueillies ». Un patient doit pouvoir, « dans la mesure du possible », suivre les préceptes de sa religion.
D’ailleurs, pour le professeur Paul Atlan, gynécologue et psychiatre en charge, depuis 1996, de la consultation (unique en France) « Ethique et religion » à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart, la religion a bien une place à l’hôpital car on ne saurait demander aux patients de laisser leurs croyances à l’extérieur. Quand il lui arrive de rencontrer des difficultés, il n’hésite pas à rencontrer des référents religieux à l’extérieur de l’établissement pour échanger des points de vue.
Le culte
Tous les hôpitaux doivent disposer d’une équipe d’aumôniers pluriconfessionnelle avec des représentants du culte rémunérés selon la circulaire de 2006 relative aux aumôniers des établissements relevant du livre IX du code de la santé publique : « Ce sont les aumôniers qui ont la charge d’assurer, dans ces établissements, le service du culte auquel ils appartiennent et d’assister les patients qui en font la demande par eux-mêmes ou par l’intermédiaire de leur famille, ou ceux qui, lors de leur admission, ont souhaité déclarer appartenir à tel ou tel culte ».
« Cette fonction peut être assurée, de façon permanente ou temporaire, soit par des aumôniers rémunérés recrutés en qualité de contractuels, soit par des aumôniers bénévoles ».
La circulaire affirme aussi que, dans les établissements de santé, « il est possible de prévoir une salle polyvalente, partagée entre les différentes aumôneries, dès lors qu’il y a un accord entre les aumôniers de différentes cultes ».
Et dans la pratique ? Si les équipes d’aumôniers doivent normalement être pluriconfessionnelle ou s’adapter à la population reçue, il peut arriver qu’il y ait une prédominance de la religion catholique pour des raisons d’héritage culturel. Parfois, seuls les pratiquants catholiques ont une salle de culte (chapelle, oratoire) ; parfois, seuls les aumôniers catholiques sont rémunérés.
En tout cas, la présence des aumôneries doit être clairement signalée dans le livret d’accueil de l’hôpital. Dans certains établissements, on retrouve même ces informations sur les panneaux d’affichage des différents services.
Le repas
Comment assurer le repas de ceux qui ne mangent pas de porc ? L’hôpital s’efforce de répondre à cette demande en proposant des solutions alternatives. Pour autant, cela n’a rien d’obligatoire et le patient n’a pas toujours le choix de son repas. Pour les patients qui mangent du poisson le vendredi, la question est la même, même si, pour des raisons culturelles, cette pratique est plus entrée dans les mœurs et si les hôpitaux l’ont plus souvent intégrée.
Comment font les pratiquants musulmans ou juifs qui mangent casher ou halal ? C’est assez difficile car le casher ou le halal exige qu’on ne mange ni certaines nourritures, ni mêmes celles qui ont été touchées par des nourritures illicites (par exemple, la purée présentée avec du porc).
Maintenir la laïcité des établissements publics
A la suite du constat de dérives par rapport au respect de la laïcité, la circulaire du 2 février 2005 issue de la Commission Stasi sur la laïcité précise l’application de la laïcité à l’hôpital. La commission avait en effet préconisé « la traduction dans une loi des obligations que les patients doivent respecter ». Mais, comme on va le voir, ces obligations ne concernent pas que les seuls patients.
Les obligations des personnels
Certains personnels ne respectent pas toujours l’obligation de neutralité des agents publics. Cette obligation concerne la tenue vestimentaire (couvre-chef comme la kipa ou le voile ; bijou comme la croix, l’étoile, etc.), les actes et les paroles. Autant dire qu’interdiction est faite de faire du prosélytisme. Le personnel doit répondre aux patients et à leurs proches sur un plan professionnel (et non par rapport à des convictions personnelles) ou orienter vers les aumôniers et autres référents religieux.
Les obligations des patients
Les convictions religieuses compliquent parfois l’impératif de soins de l’hôpital : Isabelle Lévy, dans son ouvrage Menaces religieuses sur l’hôpital, raconte des anecdotes sur les refus de soin de la part des patients. L’auteur cite par exemple le cas de patients refusant qu’un personnel masculin entre dans leur chambre pour des questions de pudeur, celui de femmes musulmanes souhaitant accoucher en burqa en dépit de règles d’hygiène de base, celui de femmes juives refusant de tirer leur lait pendant le jour du shabbat, celui des femmes (ou de leur mari) refusant qu’elle soient examinées par un médecin homme, celui de patients catholiques refusant tous les traitements antalgiques, etc. Les différentes disciplines médicales, les différentes religions peuvent donc être concernées mais ces anecdotes ne sont toutefois pas légion.
Respecter ses croyances ou ses pratiques religieuses ne doit pas aller à l’encontre de sa vie ni de son intégrité physique ou morale. Autrement dit, il faut distinguer ce qui est du domaine de la consultation de ce qui est du domaine de l’urgence. Un patient peut émettre le souhait d’être examiné par un médecin femme mais, s’il y a urgence, de longues discussions qui mettent en jeu la vie des patients ne peuvent être acceptées.
Autrement dit, à l’hôpital, la libre pratique du culte est donc garantie tant que l’expression des convictions religieuses ne porte atteinte ni à la qualité des soins et aux règles d’hygiène, ni à la tranquillité des autres hospitalisés, ni au fonctionnement du service, ni à la planification des équipes de personnels.
Patientes qui refusent de se faire soigner par des médecins hommes, soignants qui portent de manière ostentatoire des signes religieux… La question du fait religieux à l’hôpital fait irruption dans l’actualité. Comment la religion cohabite-t-elle avec l’impératif de laïcité des établissements de soins ? Jusqu’à quel point le consentement du malade est-il nécessaire pour pratiquer un acte médical où le pronostic vital est en jeu ? Comment résoudre les éventuels conflits entre convictions religieuses et législation ? Eléments de réponse avec Isabelle Lévy, spécialiste de la question et auteur, entre autres, de Menaces religieuses sur l’hôpital paru aux Presses de la Renaissance en 2011.
- Un peu d’histoire
- L’hôpital respecte les convictions religieuses des patients
- Maintenir la laïcité des établissements publics
Un peu d’histoire
Au Moyen Age, les hôpitaux français étaient intimement liés à la religion chrétienne puisqu’ils étaient fondés par l’Eglise catholique et administrés par les membres du clergé. L’hôpital n’est pas encore un établissement de soin tel qu’on le connaît actuellement mais un établissement d’assistance, une œuvre de charité. Cette idée d’assistance est fondée sur les enseignements de l’Eglise (hospitalité, accueil des plus humbles et des plus pauvres, aide envers le prochain…).
Après la laïcisation révolutionnaire, les religieuses ont repris une certaine place dans les hôpitaux même si les établissements sont restés de la compétence des communes. Avec la loi de 1905 qui établit la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’hôpital est devenu laïc. Et il a progressivement acquis son statut d’établissement de soins.
L’hôpital respecte les convictions religieuses des patients
Respect des croyances
L’hôpital public est un espace laïc. Pour autant, la charte de la personne hospitalisée de 1995 le dit bien : « La personne hospitalisée est traitée avec égards. Ses croyances sont respectées ». La laïcité à la française ne conduit pas au déni de toute croyance religieuse : « Tout établissement de santé doit respecter les croyances et les convictions des personnes accueillies ». Un patient doit pouvoir, « dans la mesure du possible », suivre les préceptes de sa religion.
D’ailleurs, pour le professeur Paul Atlan, gynécologue et psychiatre en charge, depuis 1996, de la consultation (unique en France) « Ethique et religion » à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart, la religion a bien une place à l’hôpital car on ne saurait demander aux patients de laisser leurs croyances à l’extérieur. Quand il lui arrive de rencontrer des difficultés, il n’hésite pas à rencontrer des référents religieux à l’extérieur de l’établissement pour échanger des points de vue.
Le culte
Tous les hôpitaux doivent disposer d’une équipe d’aumôniers pluriconfessionnelle avec des représentants du culte rémunérés selon la circulaire de 2006 relative aux aumôniers des établissements relevant du livre IX du code de la santé publique : « Ce sont les aumôniers qui ont la charge d’assurer, dans ces établissements, le service du culte auquel ils appartiennent et d’assister les patients qui en font la demande par eux-mêmes ou par l’intermédiaire de leur famille, ou ceux qui, lors de leur admission, ont souhaité déclarer appartenir à tel ou tel culte ».
« Cette fonction peut être assurée, de façon permanente ou temporaire, soit par des aumôniers rémunérés recrutés en qualité de contractuels, soit par des aumôniers bénévoles ».
La circulaire affirme aussi que, dans les établissements de santé, « il est possible de prévoir une salle polyvalente, partagée entre les différentes aumôneries, dès lors qu’il y a un accord entre les aumôniers de différentes cultes ».
Et dans la pratique ? Si les équipes d’aumôniers doivent normalement être pluriconfessionnelle ou s’adapter à la population reçue, il peut arriver qu’il y ait une prédominance de la religion catholique pour des raisons d’héritage culturel. Parfois, seuls les pratiquants catholiques ont une salle de culte (chapelle, oratoire) ; parfois, seuls les aumôniers catholiques sont rémunérés.
En tout cas, la présence des aumôneries doit être clairement signalée dans le livret d’accueil de l’hôpital. Dans certains établissements, on retrouve même ces informations sur les panneaux d’affichage des différents services.
Le repas
Comment assurer le repas de ceux qui ne mangent pas de porc ? L’hôpital s’efforce de répondre à cette demande en proposant des solutions alternatives. Pour autant, cela n’a rien d’obligatoire et le patient n’a pas toujours le choix de son repas. Pour les patients qui mangent du poisson le vendredi, la question est la même, même si, pour des raisons culturelles, cette pratique est plus entrée dans les mœurs et si les hôpitaux l’ont plus souvent intégrée.
Comment font les pratiquants musulmans ou juifs qui mangent casher ou halal ? C’est assez difficile car le casher ou le halal exige qu’on ne mange ni certaines nourritures, ni mêmes celles qui ont été touchées par des nourritures illicites (par exemple, la purée présentée avec du porc).
Maintenir la laïcité des établissements publics
A la suite du constat de dérives par rapport au respect de la laïcité, la circulaire du 2 février 2005 issue de la Commission Stasi sur la laïcité précise l’application de la laïcité à l’hôpital. La commission avait en effet préconisé « la traduction dans une loi des obligations que les patients doivent respecter ». Mais, comme on va le voir, ces obligations ne concernent pas que les seuls patients.
Les obligations des personnels
Certains personnels ne respectent pas toujours l’obligation de neutralité des agents publics. Cette obligation concerne la tenue vestimentaire (couvre-chef comme la kipa ou le voile ; bijou comme la croix, l’étoile, etc.), les actes et les paroles. Autant dire qu’interdiction est faite de faire du prosélytisme. Le personnel doit répondre aux patients et à leurs proches sur un plan professionnel (et non par rapport à des convictions personnelles) ou orienter vers les aumôniers et autres référents religieux.
Les obligations des patients
Les convictions religieuses compliquent parfois l’impératif de soins de l’hôpital : Isabelle Lévy, dans son ouvrage Menaces religieuses sur l’hôpital, raconte des anecdotes sur les refus de soin de la part des patients. L’auteur cite par exemple le cas de patients refusant qu’un personnel masculin entre dans leur chambre pour des questions de pudeur, celui de femmes musulmanes souhaitant accoucher en burqa en dépit de règles d’hygiène de base, celui de femmes juives refusant de tirer leur lait pendant le jour du shabbat, celui des femmes (ou de leur mari) refusant qu’elle soient examinées par un médecin homme, celui de patients catholiques refusant tous les traitements antalgiques, etc. Les différentes disciplines médicales, les différentes religions peuvent donc être concernées mais ces anecdotes ne sont toutefois pas légion.
Respecter ses croyances ou ses pratiques religieuses ne doit pas aller à l’encontre de sa vie ni de son intégrité physique ou morale. Autrement dit, il faut distinguer ce qui est du domaine de la consultation de ce qui est du domaine de l’urgence. Un patient peut émettre le souhait d’être examiné par un médecin femme mais, s’il y a urgence, de longues discussions qui mettent en jeu la vie des patients ne peuvent être acceptées.
Autrement dit, à l’hôpital, la libre pratique du culte est donc garantie tant que l’expression des convictions religieuses ne porte atteinte ni à la qualité des soins et aux règles d’hygiène, ni à la tranquillité des autres hospitalisés, ni au fonctionnement du service, ni à la planification des équipes de personnels.
Re: Forum - Religion et Médecine - forum religion et médecine
La religion dans les soins primaires
La religion demeure un élément important dans la vie de beaucoup de nos patients, malgré une hausse de l’athéisme et même de l’antithéisme dans les médias scientifiques et populaires1. Un sondage Harris-Décima en 2008 a révélé que 72 % des Canadiens croyaient en Dieu2. On s’intéresse de plus en plus à l’intégration de la spiritualité, de la religion et de la médecine: on compte plus de 1 600 études publiées sur la relation entre la religion et la santé mentale et physique3,4.
Le concept général de la spiritualité concorde bien avec la perception des soins holistiques en médecine familiale. Par contre, pour plusieurs de nos patients, spiritualité est synonyme de religion. Quoiqu’on les désigne souvent indifféremment, la religion et la spiritualité sont différentes. Elles peuvent s’éclairer réciproquement, mais elles sont distinctes. Les religions entraînent parfois des identités, des attentes et des comportements très diversifiés. C’est très différent de la notion plus amorphe, moins délimitée et plus nébuleuse de la spiritualité. Dans bien des scénarios sociaux, la religion divise les gens et nous hésitons donc souvent à en discuter. Mais quelle est la pertinence de la religion en rapport avec les soins à nos patients et leur guérison? Les médecins sont-ils plus à l’aise avec le concept de la spiritualité et moins avec celui de la religion? Est-ce peut-être une autre dimension dans l’interaction patient-médecin et comment peut-on le mieux l’aborder?
Depuis les tout débuts de l’histoire de l’humanité, l’homme cherche une explication transcendante de l’existence. L’historique varié des grandes religions du monde à travers les âges et toutes les cultures en fait foi éloquemment. La religion tente de répondre à l’éternelle question: Quel est le but de l’existence? La réponse semble avoir 2 volets. Le premier est la relation de l’homme avec le divin, que beaucoup appellent Dieu. Cette relation va au-delà de notre réalité corporelle pour se rendre jusqu’au monde du spirituel avec ses notions d’infini et d’éternel. Le deuxième but de l’existence se concentre sur nos relations avec autrui, en insistant sur l’importance de devenir des membres utiles et productifs de la société et ainsi contribuer à notre bien-être personnel et à celui des autres.
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Religion et santé
La contribution de la religion à la santé et au bien-être est matière à controverse. L’histoire révèle comment la religion a contribué directement aux guerres, à la souffrance et à la destruction. Pourtant, quelle que soit la dévastation issue de la religion, elle a été aisément dépassée par celle faite par des convictions purement humaines. Les horreurs, particulièrement celles survenues au dernier siècle, du fascisme, de l’impérialisme, du communisme, du socialisme, du capitalisme et du racisme, viennent tout de suite à l’esprit. C’est toutefois loin d’être un endossement enthousiaste de la contribution positive de la religion à la santé de la famille humaine1.
Malgré cette analyse plutôt désolante, les exemples montrant que la religion aide les gens à vivre une vie riche de sens abondent. La religion influence les personnes et les groupes à porter secours à. Les concepts chrétiens de l’agape et du caritatif, et leur contrepartie comme la zakat dans l’islam et les autres notions semblables dans toutes les grandes religions, témoignent d’une préoccupation envers la contribution au bien-être d’autrui. Cela a donné lieu à des activités, en particulier en éducation et en soins de santé, qui ont bénéficié à des millions et des millions de gens.
Si nous acceptons l’hypothèse que la religion contribue positivement à la condition humaine, il peut être utile de comprendre comment.
Il n’est pas clair quels sont éléments essentiels de la religion à cet égard. Les éléments intrinsèques de sa relation avec Dieu importent-ils le plus? Ou serait-ce les éléments extrinsèques des pratiques religieuses et de la relation avec la communauté? La cohésion sociale pourrait atténuer les conflits et promouvoir la santé. Presque paradoxalement, l’altruisme, la philanthropie et le souci d’autrui pourraient être des éléments clés du savoir prendre soin de soi. Peut-être que l’interaction entre la relation très intime et personnelle avec Dieu n’évolue pleinement que lorsqu’elle s’exprime concrètement dans l’assistance à autrui et la contribution significative à la société.
La plupart des études sur ce sujet utilisent la participation à des cérémonies religieuses comme mesure de la religiosité extrinsèque5. Les études qui examinent les éléments intrinsèques sont plus difficiles à évaluer (et plus rares) que celles qui évaluent l’implication religieuse, en raison de l’absence d’un consensus sur le terme spiritualité et de la difficulté à mesurer un concept intangible6.
Une recherche documentaire a révélé que 80 % des études pertinentes ont montré une association positive entre l’implication religieuse (à l’aide de divers critères de mesure de la participation religieuse) et l’état de santé, alors que 15 % révélaient des associations neutres et 5 % des associations négatives7. Les études sur la pratique religieuse et la santé mentale ont cerné des pourcentages semblables (83 % positives, 14 % neutres et 3 % négatives)8. La religiosité a aussi été associée à une plus grande longévité6. Une étude américaine en 1998 (n = 232) examinait la relation entre la pratique religieuse et le rétablissement après une chirurgie cardiaque. Six mois après la chirurgie, 11 % des patients qui ne pratiquaient pas étaient décédés, tandis qu’aucun des 37 patients «profondément religieux» n’était mort9.
D’autres sont plus critiques à l’endroit des données. L’analyse par Sloan et ses collaborateurs en 1999 a fait valoir que les problèmes méthodologiques étaient multiples dans les études existantes, notamment l’omission de faire un contrôle en tenant compte de comparaisons multiples et en fonction de variables confusionnelles et de covariables. Ils concluent que les données probantes sont faibles et incohérentes4. Dans un sondage Gallup en 2010 (n = 550 000) qui tenait compte d’un certain nombre de variables démographiques et géographiques10, les gens qui se considéraient très religieux n’obtenaient des points que légèrement plus élevés à l’indice de la santé physique que ceux qui n’étaient pas religieux (78,0 par rapport à 76,6)10.
En dépit des déficiences dans la plupart des études, certaines font bel et bien un contrôle en fonction des variables confusionnelles et laissent entendre qu’il y a une relation de cause à effet entre la pratique ou le respect de la religion et l’état de santé11. La pratique religieuse exige qu’on assiste aux cérémonies et pourrait être simplement associée à la mobilité, un marqueur de la santé. Matthews et ses collaborateurs mettent en évidence des études qui font valoir une relation inverse entre la pratique et les incapacités6. Ils examinent l’hypothèse que la pratique religieuse entraîne simplement des comportements propices à la santé. Pourtant, en faisant des ajustements tenant compte de tels comportements, les effets positifs de la religion demeuraient valides6.
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Discussions spirituelles avec les patients
Comment abordons-nous nos patients religieux? La religion est-elle seulement une autre variable ou un marqueur culturel pour d’autres facteurs qui expliquent mieux la variabilité dans la maladie et la santé? Est-ce suffisant pour les médecins de connaître les divers éléments culturels des nombreuses religions, d’avoir une sorte de compétence culturelle? Comment évaluons-nous et aidons-nous ceux qui n’appartiennent pas à une religion en particulier et pour qui la dimension spirituelle de la santé importe quand même?
Le pourcentage de patients qui souhaitent qu’on s’enquiert de leurs croyances spirituelles varie considérablement (de 4 % à 80 %) selon le milieu12 et la gravité de leur maladie13–15. Une étude américaine multicentrique réalisée en 2003 (n = 456) indiquait que le tiers des patients en soins primaires souhaitaient qu’on les questionne à propos de leurs convictions religieuses durant les visites périodiques, mais pas au détriment de leurs préoccupations d’ordre médical12.
Dans un sondage téléphonique aléatoire aux États-Unis en 2002 (n = 1 052), alors que 69 % des répondants ont dit qu’ils voudraient avoir des discussions sur le plan de la spiritualité s’ils étaient gravement malades, seulement 3 % souhaiteraient en discuter avec leur médecin5. Les patients en clinique externe (n = 177) ont exprimé en plus grande proportion leur désir de discuter de spiritualité avec leur médecin: 66 % ont dit que des questions à propos de la religion augmenteraient leur confiance envers le médecin et près de 50 % ont rapporté que les convictions religieuses du médecin influenceraient leurs décisions médicales13.
Il n’existe pas d’études canadiennes connues se penchant sur les points de vue des médecins à propos des discussions entourant la religion dans leur pratique. Ce qui est évident dans les données américaines, c’est que même si les médecins croient fortement que la religion ou la spiritualité a une influence sur la santé16,17, ils discutent rarement de religion avec leurs patients18–21. Parmi les raisons mentionnées figurent le manque de temps, le manque de formation en anamnèse religieuse, des préoccupations au sujet de la projection de leurs croyances personnelles, la difficulté d’identifier les patients réceptifs, l’éducation des médecins, la culture et leur propre manque de spiritualité20,21.
Sloan et ses collègues reconnaissent les effets positifs et négatifs d’un dialogue axé sur la religion. Ils identifient diverses questions d’éthique entourant les implications de la religion comme traitement médical auxiliaire et maintiennent que ce pourrait constituer un abus de pouvoir et d’autorité de la part du médecin s’il semble imposer ses convictions au patient. Ils énoncent la possibilité que les discussions religieuses soient en réalité nuisibles, car relier la religion avec la santé pourrait renforcer le blâme de soi et l’idée que la maladie est due à un manque de foi4. Rumbold fait aussi valoir que les soins spirituels pourraient être improductifs, parce que la spiritualité renforce l’autonomie et qu’elle pourrait être atténuée par l’implication d’un médecin22. Il poursuit en disant que les experts se seraient emparés de cet aspect de la vie22.
Des interventions productives dans ce domaine exigent un degré élevé de maturité personnelle et spirituelle23. Pour l’atteindre, il faut que le médecin réfléchisse à son approche à l’endroit de la religion et à la dimension spirituelle de la santé. Une plus grande attention à ce chapitre dans la formation préclinique semble logique, de façon à ce que l’apprenant explore les dimensions éthiques de concert avec les autres domaines culturels pertinents.
L’évaluation spirituelle devrait chercher à cerner les réflexions, les souvenirs et les expériences qui confèrent sa cohérence à la vie d’une personne22. Il n’est pas nécessaire que ce soit un processus inquisiteur ou envahissant. Il s’agit d’ouvrir un autre chapitre dans l’histoire de la vie d’un patient. Cela nous aide à comprendre comment et pourquoi les patients abordent leur vie de telle manière et à acquérir une compréhension plus profonde de la façon dont ils interprètent les défis auxquels ils sont confrontés. Cette évaluation peut faciliter l’alliance thérapeutique de manière utile et inattendue. Le fait même de reconnaître une dimension spirituelle à la santé fait savoir au patient que nous sommes attentifs à ses besoins, à ses aspirations et à ses inquiétudes dans cette arène.
Mais cette démarche comporte un certain danger. Si nous entrons avec maladresse dans le cheminement spirituel ou religieux d’autrui avec des analyses et commentaires insensibles, partiaux et inutiles, nous ferons plus de mal que de bien. Un autre avertissement prend particulièrement son sens véritable dans ce domaine : médecin connais-toi toi-même. Nous serons appelés à examiner notre propre vision du monde en ce qui a trait à la religion et à nos préjugés inhérents.
Une meilleure compréhension de la façon dont la religion peut influencer notre santé a d’importantes conséquences sur la formation, la pratique et la recherche. Si vous adoptons la notion que la religion peut contribuer au bien-être de la personne et, par le fait même, de la société, les médecins de famille pourraient trouver utile de comprendre et d’encourager ses effets heuristiques. Nous sommes ainsi mis au défi de faire une recherche plus approfondie à ce sujet, surtout au Canada. Cela ajoute une autre dimension à la relation médecin-patient et nous demande de regarder nos communautés sous un nouvel angle.
La religion est un important aspect de la vie de tant de gens dans notre monde. Peut-être pourrions-nous contribuer à ce qu’elle soit à la fois utile et bonne pour la santé?
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Footnotes
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Références
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- Médecin de famille et agit comme remplaçant de manière récurrente dans le Nord de l’Ontario, habituellement à Sioux Lookout. Il est membre du corps professoral à la Faculté de médecine du Nord de l’Ontario
- Correspondance: Dr John Guilfoyle, Family Medicine, 2111 Ridgeway Cres, Box 1078, Garibaldi Highlands, BC V0N 1T0; téléphone 604 898-1740; courriel fjguilfoyle@mac.com
- Poursuit actuellement une carrière en médecine et était auparavant stagiaire en recherche à la Faculté de médecine du Nord de l’Ontario et chez Fednor à Sioux Lookout
La religion demeure un élément important dans la vie de beaucoup de nos patients, malgré une hausse de l’athéisme et même de l’antithéisme dans les médias scientifiques et populaires1. Un sondage Harris-Décima en 2008 a révélé que 72 % des Canadiens croyaient en Dieu2. On s’intéresse de plus en plus à l’intégration de la spiritualité, de la religion et de la médecine: on compte plus de 1 600 études publiées sur la relation entre la religion et la santé mentale et physique3,4.
Le concept général de la spiritualité concorde bien avec la perception des soins holistiques en médecine familiale. Par contre, pour plusieurs de nos patients, spiritualité est synonyme de religion. Quoiqu’on les désigne souvent indifféremment, la religion et la spiritualité sont différentes. Elles peuvent s’éclairer réciproquement, mais elles sont distinctes. Les religions entraînent parfois des identités, des attentes et des comportements très diversifiés. C’est très différent de la notion plus amorphe, moins délimitée et plus nébuleuse de la spiritualité. Dans bien des scénarios sociaux, la religion divise les gens et nous hésitons donc souvent à en discuter. Mais quelle est la pertinence de la religion en rapport avec les soins à nos patients et leur guérison? Les médecins sont-ils plus à l’aise avec le concept de la spiritualité et moins avec celui de la religion? Est-ce peut-être une autre dimension dans l’interaction patient-médecin et comment peut-on le mieux l’aborder?
Depuis les tout débuts de l’histoire de l’humanité, l’homme cherche une explication transcendante de l’existence. L’historique varié des grandes religions du monde à travers les âges et toutes les cultures en fait foi éloquemment. La religion tente de répondre à l’éternelle question: Quel est le but de l’existence? La réponse semble avoir 2 volets. Le premier est la relation de l’homme avec le divin, que beaucoup appellent Dieu. Cette relation va au-delà de notre réalité corporelle pour se rendre jusqu’au monde du spirituel avec ses notions d’infini et d’éternel. Le deuxième but de l’existence se concentre sur nos relations avec autrui, en insistant sur l’importance de devenir des membres utiles et productifs de la société et ainsi contribuer à notre bien-être personnel et à celui des autres.
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Religion et santé
La contribution de la religion à la santé et au bien-être est matière à controverse. L’histoire révèle comment la religion a contribué directement aux guerres, à la souffrance et à la destruction. Pourtant, quelle que soit la dévastation issue de la religion, elle a été aisément dépassée par celle faite par des convictions purement humaines. Les horreurs, particulièrement celles survenues au dernier siècle, du fascisme, de l’impérialisme, du communisme, du socialisme, du capitalisme et du racisme, viennent tout de suite à l’esprit. C’est toutefois loin d’être un endossement enthousiaste de la contribution positive de la religion à la santé de la famille humaine1.
Malgré cette analyse plutôt désolante, les exemples montrant que la religion aide les gens à vivre une vie riche de sens abondent. La religion influence les personnes et les groupes à porter secours à. Les concepts chrétiens de l’agape et du caritatif, et leur contrepartie comme la zakat dans l’islam et les autres notions semblables dans toutes les grandes religions, témoignent d’une préoccupation envers la contribution au bien-être d’autrui. Cela a donné lieu à des activités, en particulier en éducation et en soins de santé, qui ont bénéficié à des millions et des millions de gens.
Si nous acceptons l’hypothèse que la religion contribue positivement à la condition humaine, il peut être utile de comprendre comment.
Il n’est pas clair quels sont éléments essentiels de la religion à cet égard. Les éléments intrinsèques de sa relation avec Dieu importent-ils le plus? Ou serait-ce les éléments extrinsèques des pratiques religieuses et de la relation avec la communauté? La cohésion sociale pourrait atténuer les conflits et promouvoir la santé. Presque paradoxalement, l’altruisme, la philanthropie et le souci d’autrui pourraient être des éléments clés du savoir prendre soin de soi. Peut-être que l’interaction entre la relation très intime et personnelle avec Dieu n’évolue pleinement que lorsqu’elle s’exprime concrètement dans l’assistance à autrui et la contribution significative à la société.
La plupart des études sur ce sujet utilisent la participation à des cérémonies religieuses comme mesure de la religiosité extrinsèque5. Les études qui examinent les éléments intrinsèques sont plus difficiles à évaluer (et plus rares) que celles qui évaluent l’implication religieuse, en raison de l’absence d’un consensus sur le terme spiritualité et de la difficulté à mesurer un concept intangible6.
Une recherche documentaire a révélé que 80 % des études pertinentes ont montré une association positive entre l’implication religieuse (à l’aide de divers critères de mesure de la participation religieuse) et l’état de santé, alors que 15 % révélaient des associations neutres et 5 % des associations négatives7. Les études sur la pratique religieuse et la santé mentale ont cerné des pourcentages semblables (83 % positives, 14 % neutres et 3 % négatives)8. La religiosité a aussi été associée à une plus grande longévité6. Une étude américaine en 1998 (n = 232) examinait la relation entre la pratique religieuse et le rétablissement après une chirurgie cardiaque. Six mois après la chirurgie, 11 % des patients qui ne pratiquaient pas étaient décédés, tandis qu’aucun des 37 patients «profondément religieux» n’était mort9.
D’autres sont plus critiques à l’endroit des données. L’analyse par Sloan et ses collaborateurs en 1999 a fait valoir que les problèmes méthodologiques étaient multiples dans les études existantes, notamment l’omission de faire un contrôle en tenant compte de comparaisons multiples et en fonction de variables confusionnelles et de covariables. Ils concluent que les données probantes sont faibles et incohérentes4. Dans un sondage Gallup en 2010 (n = 550 000) qui tenait compte d’un certain nombre de variables démographiques et géographiques10, les gens qui se considéraient très religieux n’obtenaient des points que légèrement plus élevés à l’indice de la santé physique que ceux qui n’étaient pas religieux (78,0 par rapport à 76,6)10.
En dépit des déficiences dans la plupart des études, certaines font bel et bien un contrôle en fonction des variables confusionnelles et laissent entendre qu’il y a une relation de cause à effet entre la pratique ou le respect de la religion et l’état de santé11. La pratique religieuse exige qu’on assiste aux cérémonies et pourrait être simplement associée à la mobilité, un marqueur de la santé. Matthews et ses collaborateurs mettent en évidence des études qui font valoir une relation inverse entre la pratique et les incapacités6. Ils examinent l’hypothèse que la pratique religieuse entraîne simplement des comportements propices à la santé. Pourtant, en faisant des ajustements tenant compte de tels comportements, les effets positifs de la religion demeuraient valides6.
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Discussions spirituelles avec les patients
Comment abordons-nous nos patients religieux? La religion est-elle seulement une autre variable ou un marqueur culturel pour d’autres facteurs qui expliquent mieux la variabilité dans la maladie et la santé? Est-ce suffisant pour les médecins de connaître les divers éléments culturels des nombreuses religions, d’avoir une sorte de compétence culturelle? Comment évaluons-nous et aidons-nous ceux qui n’appartiennent pas à une religion en particulier et pour qui la dimension spirituelle de la santé importe quand même?
Le pourcentage de patients qui souhaitent qu’on s’enquiert de leurs croyances spirituelles varie considérablement (de 4 % à 80 %) selon le milieu12 et la gravité de leur maladie13–15. Une étude américaine multicentrique réalisée en 2003 (n = 456) indiquait que le tiers des patients en soins primaires souhaitaient qu’on les questionne à propos de leurs convictions religieuses durant les visites périodiques, mais pas au détriment de leurs préoccupations d’ordre médical12.
Dans un sondage téléphonique aléatoire aux États-Unis en 2002 (n = 1 052), alors que 69 % des répondants ont dit qu’ils voudraient avoir des discussions sur le plan de la spiritualité s’ils étaient gravement malades, seulement 3 % souhaiteraient en discuter avec leur médecin5. Les patients en clinique externe (n = 177) ont exprimé en plus grande proportion leur désir de discuter de spiritualité avec leur médecin: 66 % ont dit que des questions à propos de la religion augmenteraient leur confiance envers le médecin et près de 50 % ont rapporté que les convictions religieuses du médecin influenceraient leurs décisions médicales13.
Il n’existe pas d’études canadiennes connues se penchant sur les points de vue des médecins à propos des discussions entourant la religion dans leur pratique. Ce qui est évident dans les données américaines, c’est que même si les médecins croient fortement que la religion ou la spiritualité a une influence sur la santé16,17, ils discutent rarement de religion avec leurs patients18–21. Parmi les raisons mentionnées figurent le manque de temps, le manque de formation en anamnèse religieuse, des préoccupations au sujet de la projection de leurs croyances personnelles, la difficulté d’identifier les patients réceptifs, l’éducation des médecins, la culture et leur propre manque de spiritualité20,21.
Sloan et ses collègues reconnaissent les effets positifs et négatifs d’un dialogue axé sur la religion. Ils identifient diverses questions d’éthique entourant les implications de la religion comme traitement médical auxiliaire et maintiennent que ce pourrait constituer un abus de pouvoir et d’autorité de la part du médecin s’il semble imposer ses convictions au patient. Ils énoncent la possibilité que les discussions religieuses soient en réalité nuisibles, car relier la religion avec la santé pourrait renforcer le blâme de soi et l’idée que la maladie est due à un manque de foi4. Rumbold fait aussi valoir que les soins spirituels pourraient être improductifs, parce que la spiritualité renforce l’autonomie et qu’elle pourrait être atténuée par l’implication d’un médecin22. Il poursuit en disant que les experts se seraient emparés de cet aspect de la vie22.
Des interventions productives dans ce domaine exigent un degré élevé de maturité personnelle et spirituelle23. Pour l’atteindre, il faut que le médecin réfléchisse à son approche à l’endroit de la religion et à la dimension spirituelle de la santé. Une plus grande attention à ce chapitre dans la formation préclinique semble logique, de façon à ce que l’apprenant explore les dimensions éthiques de concert avec les autres domaines culturels pertinents.
L’évaluation spirituelle devrait chercher à cerner les réflexions, les souvenirs et les expériences qui confèrent sa cohérence à la vie d’une personne22. Il n’est pas nécessaire que ce soit un processus inquisiteur ou envahissant. Il s’agit d’ouvrir un autre chapitre dans l’histoire de la vie d’un patient. Cela nous aide à comprendre comment et pourquoi les patients abordent leur vie de telle manière et à acquérir une compréhension plus profonde de la façon dont ils interprètent les défis auxquels ils sont confrontés. Cette évaluation peut faciliter l’alliance thérapeutique de manière utile et inattendue. Le fait même de reconnaître une dimension spirituelle à la santé fait savoir au patient que nous sommes attentifs à ses besoins, à ses aspirations et à ses inquiétudes dans cette arène.
Mais cette démarche comporte un certain danger. Si nous entrons avec maladresse dans le cheminement spirituel ou religieux d’autrui avec des analyses et commentaires insensibles, partiaux et inutiles, nous ferons plus de mal que de bien. Un autre avertissement prend particulièrement son sens véritable dans ce domaine : médecin connais-toi toi-même. Nous serons appelés à examiner notre propre vision du monde en ce qui a trait à la religion et à nos préjugés inhérents.
Une meilleure compréhension de la façon dont la religion peut influencer notre santé a d’importantes conséquences sur la formation, la pratique et la recherche. Si vous adoptons la notion que la religion peut contribuer au bien-être de la personne et, par le fait même, de la société, les médecins de famille pourraient trouver utile de comprendre et d’encourager ses effets heuristiques. Nous sommes ainsi mis au défi de faire une recherche plus approfondie à ce sujet, surtout au Canada. Cela ajoute une autre dimension à la relation médecin-patient et nous demande de regarder nos communautés sous un nouvel angle.
La religion est un important aspect de la vie de tant de gens dans notre monde. Peut-être pourrions-nous contribuer à ce qu’elle soit à la fois utile et bonne pour la santé?
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Footnotes
- Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
- The English translation of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the March 2012 issue on page 249.
- Intérêts concurrents
Aucun déclaré - Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada
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Re: Forum - Religion et Médecine - forum religion et médecine
L'impact de la religion sur la médecine
De nos jours, la médecine a fait de nombreux progrès. Cependant, ces progrès ne s’accordent pas toujours avec les différentes religions. Les techniques posant problème se multiplient, non seulement pour les croyants, mais également pour tous les citoyens, ce qui oblige les Etats à légiférer. Que cela concerne l’euthanasie, l’avortement, ou la procréation médicalement assistée, les avis divergent. Certains veulent respecter leurs croyances et luttent pour la prohibition de ces techniques, d’autres mettent en avant le bien-être des personnes et pensent que ces techniques pourraient être utilisées dans certains cas.
Quel est impact des religions sur la médecine ?
A) L’euthanasie
L’euthanasie est l’acte qui consiste à écourter la vie d’une personne condamnée afin de lui épargner des souffrances insoutenables. On distingue l’euthanasie active, qui consiste en un acte volontaire commis par un médiateur de sa propre initiative ou à la demande du patient, de l’euthanasie passive, impliquant l’omission des médicaments qui auraient pu prolonger la vie du malade.
On parle d’euthanasie volontaire dans trois cas : lorsque le malade souhaite que l’on mette fin à ses jours car sa vie devient insurmontable, lorsqu’il refuse les soins (généralement dans le cas d’une maladie incurable à un stade terminal), et lorsqu’il demande qu’on lui donne un traitement qui atténue ses souffrances mais qui va hâter sa fin.
Quant à l’euthanasie involontaire, on discerne deux cas : quand le patient est dans l’inaptitude de donner son accord, et quand on arrête un traitement jugé utile, autrement dit quand on refuse l’acharnement thérapeutique.
Selon l’Assemblée médicale mondiale, un médecin doit s’abstenir de tout acharnement thérapeutique, c’est-à-dire qu’il ne doit pas administrer un traitement jugé inutile pour un patient en fin de vie.
De nos jours, les opinions restent partagées quant à l’euthanasie.
En France, l’euthanasie active est considérée comme un assassinat.
Les juifs interdisent l'euthanasie active. Le renoncement à des actes médicaux (euthanasie passive) est possible.
Pour les musulmans, nul ne peut avancer ou retarder l’heure de la mort, qui dépend de la volonté de Dieu. Il est interdit de donner la mort si ce n’est pas à bon droit (peine de mort).
Pour les chrétiens orthodoxes, participer à une euthanasie est considéré comme un meurtre. Une personne malade qui choisit l’euthanasie est considérée comme une suicidée. Toutefois, le 11 février 2009, jugeant que dans certains cas il ne faut pas soutenir le corps, l'Eglise orthodoxe russe se démarqua du Vatican dans le cas de la jeune Italienne, Eluana Englaro, laquelle, dans un état végétatif depuis 17 ans, était décédée après l'interruption de l'alimentation et de l'hydratation artificielle demandée par sa famille et autorisée par la justice.
Les protestants s’accordent à penser qu’une certaine euthanasie est la réplique de l’acharnement thérapeutique, et n'est donc pas permise. Certains pensent qu’une demande du mourant d’être délivré d’un vain combat, doit être écoutée et non jugée.
Pour les catholiques, l'euthanasie est irrecevable, dans la mesure où elle consiste à mettre fin à la vie de personnes handicapées, malades ou mourantes.
L’Eglise catholique est également opposée à toute forme d’acharnement thérapeutique ; elle précise que l’alimentation et l’hydratation ne constituent pas une forme d’acharnement thérapeutique.
Récemment, l’affaire Vincent Lambert a provoqué des réactions au sujet de l’euthanasie. Vincent Lambert, victime d’un accident de la route en 2008, se trouve dans un état « pauci-relationnel », c'est-à-dire qu’il ressent la douleur, bouge les yeux, mais il est impossible de savoir s’il comprend ce qu’on lui dit. L’équipe médicale qui le prend en charge, son épouse, et une partie de sa famille sont pour l’arrêt des traitements qui le maintiennent en vie ; contrairement à ses parents, catholiques pratiquants, et une autre partie de sa famille, refusant catégoriquement cette décision.
Mais l’acharnement thérapeutique est-il raisonnable ? Comment peut-on prendre une décision de ce genre en évitant la religion ?
B) L’avortement
L’avortement est un acte médical qui pose de nombreux problèmes dans notre société. En effet, les religions s’opposent à cet acte et le considèrent comme un crime. Pour les croyants, le bébé est vivant dès sa conception. Mais cette question a été, est et sera toujours un sujet de débat : peut-on considérer un fœtus comme un être vivant ? Certains s’accordent pour dire que oui, alors que d’autres pensent le contraire. Toutefois, les religions peuvent accepter l’avortement dans des cas « extrêmes ».
Selon les religions, le corps d’une femme est fécond et sa fécondité ne doit être en aucun cas interrompue. Bien que cette pratique médicale soit de moins en moins taboue et qu’elle se libéralise de plus en plus, elle reste pour les conservateurs de toutes religions confondues un acte abject, car pour eux, c’est un assassinat.
Le point de vue chrétien est tout à fait clair sur le sujet : avorter revient à tuer un enfant. Si la femme a été victime d’un viol, elle doit être prise en charge et confier son nourrisson à une famille d’accueil.
Les papes se sont toujours positionnés contre l’avortement.
Le Vatican a toujours été contre la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Il est décrit comme un meurtre commis dans l’irrégularité religieuse et morale. Jean Paul II, pape de 1978 à 2005, déclarait à propos de l’avortement : « L’avortement et l’euthanasie sont des crimes qu’aucune loi humaine ne peut prétendre légitimer ».
Le pape Benoît XVI, lors de son voyage au Brésil en mai 2007, déclarait quant à lui soutenir la décision de l’Eglise catholique mexicaine qui a menacé d’excommunier des députés de gauche ayant voté en faveur de la légalisation de l’avortement au Mexique. Il affirmait : « Oui, cette excommunication n’est pas arbitraire, elle est permise par la loi canonique qui dit que le meurtre d’un enfant innocent est incompatible avec la communion, qui consiste à recevoir le corps du Christ ».
Les protestants sont quant à eux plus ouverts d’esprit, ils essaient de peser chaque situation difficile. L’avortement est considéré comme une facilité pour se détourner des « problèmes » : il est mieux de trouver d’autres solutions. Les protestants s’expriment pour la première fois sur ce sujet en 1971 : « dans certains cas, il y a plus de courage et d’amour à prendre la responsabilité d’un avortement qu’à laisser venir au monde des vies menacées ».
Le point de vue musulman est similaire au point de vue chrétien : l’embryon est vu comme un être vivant, dès qu’il y a fécondation, il y a vie. Néanmoins, des mesures sont prises dans certains pays à majorité musulmane, tel que dans les pays du Maghreb ou l’Arabie Saoudite, pour que l’avortement soit toléré : si la grossesse présente un risque pour la mère, ou en cas de viol.
Seulement, l’avortement reste impopulaire. Même si la législation l’impose, tous les centres médicaux ne sont pas aptes à le pratiquer, et certains médecins s’y refusent encore.
Le Coran stipule que Dieu a insufflé la vie au 100ème jour de grossesse c’est la raison pour laquelle l’avortement est strictement prohibé au terme du 4ème mois de grossesse (100-120 jours)
Dans la religion juive, le cas de l’avortement est semblable aux deux autres religions, le fœtus est considéré comme un être vivant à part entière et la vie se doit d’être respectée. Mais il existe un désaccord au sein de la communauté judaïque pour savoir si l’interdiction de l’avortement est biblique ou rabbinique. L’interruption de la grossesse est acceptée avant le 40ème jour de grossesse dans deux cas : si la mère est en danger (la vie de la mère est prioritaire sur l’enfant pas encore né) et/ou si le fœtus présente un risque de malformation.
En France, la loi n°2001-588 du 4 juillet 2001 fixe la période pendant laquelle une femme peut recourir de sa seule volonté à une IVG à douze semaines. L’avortement pour motif thérapeutique peut être pratiqué au-delà du délai des douze premières semaines et jusqu’au dernier moment de la gestation. Une période d’une semaine de réflexion, pouvant être raccourcie à 2 jours si elle place la femme hors des délais légaux pour l’avortement, doit être respectée entre le premier rendez-vous où la femme a exprimé son souhait de recourir à l’IVG et le jour de l’IVG.
Cependant, l’IVG a longtemps été prohibé, il était même passible de travaux forcés à perpétuité, voire de la peine capitale. En 1920, la contraception et l’avortement sont interdits. En 1942, la loi du 15 février définit l’avortement comme un crime puni de la peine de mort. L’avortement thérapeutique est autorisé en 1955. Dès le début des années 1970, les mouvements féministes revendiquent le droit à l’avortement. La dépénalisation de l’avortement intervient en 1975, quand Simone Veil était ministre de la santé du gouvernement Chirac. Cette loi fut adoptée à titre expérimental, puis la loi de 1979 vint la confirmer.
Récemment, un débat sur l’avortement a refait surface. En effet, en Espagne, un projet de loi réduisant le droit à l’avortement a été créé, ce qui a amené le sujet en France. Des manifestations ont eu lieu, pour et contre l’avortement. Cependant, le gouvernement ne désire pas changer la loi actuelle. Finalement, en 2014, le Parlement supprime le critère de « détresse » pour autoriser l’IVG.
De ce fait, la plus grande partie des religions préconise la vie du fœtus sur le choix personnel de la mère. Le fœtus est considéré comme un être vivant à partir du moment où il est fécondé. La question qui persiste est donc de savoir si le fœtus peut effectivement être considéré comme un être vivant, et si les religions ont leur mot à dire sur les législations concernant l’avortement.
C) La procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui
Le judaïsme autorise les inséminations artificielles, la fécondation in vitro, la congélation d’embryons et le diagnostic préimplantatoire. Ces techniques sont cependant réservées à un couple hétérosexuel, à l’exception du judaïsme libéral.
L’Eglise catholique s’oppose totalement à la procréation médicalement assistée. En effet, le Vatican pense qu’un enfant doit être considéré comme un don de Dieu, et il conseille plutôt aux couples stériles de recourir à l’adoption. Par exemple, dans le cas d’une fécondation in vitro, plusieurs embryons sont créés, et ceux n’étant pas utilisés sont détruits. Or, pour l’Eglise un embryon est un être humain dès la rencontre des gamètes, donc détruire un embryon revient à commettre un infanticide. L’insémination artificielle est interdite car elle n’est pas « un moyen technique ni une aide facilitant l’acte conjugal », elle s’y substitue.
Le protestantisme est quant à lui plus ouvert sur ce sujet. La plupart des techniques de l’aide à la procréation sont autorisées. La seule restriction est que ces pratiques ne doivent pas avoir d’autre intérêt (par exemple financier) que celui de donner la vie à un enfant.
La religion islamique ne s’oppose pas à la PMA, du moment que la technique utilisée n’a recours qu’aux gamètes des conjoints. Le recours aux dons de sperme, d’ovules et d’embryons est strictement interdit.
Lors de sa campagne présidentielle, François Hollande souhaitait que les femmes célibataires et homosexuelles puissent accéder à la PMA, alors que ces techniques sont de nos jours réservées uniquement aux couples hétérosexuels infertiles. Séverine Mathieu, chercheure au Groupe Sociétés, Religions, Laïcités a été interrogée par Le Monde des Religions sur le sujet de l’AMP en 2012 :
« L’institution catholique interdit tout recours à la médecine au nom de l'ordre naturel. Un couple qui ne peut pas procréer est invité à se tourner vers l'adoption. (…) De fait, l’institution médicale, en matière d’AMP, fonctionne encore suivant des modalités d’origine chrétienne. Si l'Eglise demeure fermement opposé à l'AMP, il existe des acteurs du concordisme parmi les représentants de l’institution catholique. Certains prêtres plus ouverts soutiennent des couples catholiques en AMP. (…) En France les autorités religieuses juives et musulmanes autorisent les inséminations artificielles avec les gamètes des deux conjoints, et l'interdisent lorsqu'il y a recours à un tiers donneur, l'anonymat faisant resurgir le spectre de l'adultère. Les autorités protestantes semblent être les plus ouvertes quant à leur position sur la possibilité du recours à l’AMP (…). En revanche pour toutes ces religions, cela concerne uniquement les couples hétérosexuels mariés. (…)Les parcours d’AMP semblent ainsi être un bon révélateur des aménagements individuels contemporains de la norme religieuse. Ce qui reste au centre des motivations de ces couples (…) c’est leur désir d’enfant. »
On apprend que la religion catholique interdit formellement tout recours à des méthodes d’AMP. Cependant, certains prêtres soutiennent des couples voulant s’engager dans un processus d’AMP.
En France, l’assistance médicale à la procréation est définie par l’article L2141-1 du code de la santé publique : « L’assistance médicale à la procréation s’entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle, ainsi que de toute technique d’effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel ». Elle est légale lorsque sa mise en œuvre est limitée au traitement des cas de couples se trouvant face à des problèmes d’infertilité ou risquant de transmettre une maladie grave à l’enfant ou à l’un des membres du couple. La gestation pour autrui est interdite en France depuis la décision de la Cour de Cassation de 1991.
La religion catholique est contre la gestation pour autrui. Selon l’église catholique, « la gestation pour autrui ne répare pas un préjudice subi par l’enfant, mais l’organise pour remédier à la souffrance d’un couple sans enfant. ». L’église orthodoxe d’Orient est également contre la GPA, ainsi que l’église protestante. Dans la religion Chrétienne, l’église anglicane est la seule à accepter la GPA.
L’Islam est également contre la gestation pour autrui.
Le Judaïsme accepte la GPA, tant que l’enfant est issu génétiquement des parents intentionnels.
De nos jours, la médecine a fait de nombreux progrès. Cependant, ces progrès ne s’accordent pas toujours avec les différentes religions. Les techniques posant problème se multiplient, non seulement pour les croyants, mais également pour tous les citoyens, ce qui oblige les Etats à légiférer. Que cela concerne l’euthanasie, l’avortement, ou la procréation médicalement assistée, les avis divergent. Certains veulent respecter leurs croyances et luttent pour la prohibition de ces techniques, d’autres mettent en avant le bien-être des personnes et pensent que ces techniques pourraient être utilisées dans certains cas.
Quel est impact des religions sur la médecine ?
A) L’euthanasie
L’euthanasie est l’acte qui consiste à écourter la vie d’une personne condamnée afin de lui épargner des souffrances insoutenables. On distingue l’euthanasie active, qui consiste en un acte volontaire commis par un médiateur de sa propre initiative ou à la demande du patient, de l’euthanasie passive, impliquant l’omission des médicaments qui auraient pu prolonger la vie du malade.
On parle d’euthanasie volontaire dans trois cas : lorsque le malade souhaite que l’on mette fin à ses jours car sa vie devient insurmontable, lorsqu’il refuse les soins (généralement dans le cas d’une maladie incurable à un stade terminal), et lorsqu’il demande qu’on lui donne un traitement qui atténue ses souffrances mais qui va hâter sa fin.
Quant à l’euthanasie involontaire, on discerne deux cas : quand le patient est dans l’inaptitude de donner son accord, et quand on arrête un traitement jugé utile, autrement dit quand on refuse l’acharnement thérapeutique.
Selon l’Assemblée médicale mondiale, un médecin doit s’abstenir de tout acharnement thérapeutique, c’est-à-dire qu’il ne doit pas administrer un traitement jugé inutile pour un patient en fin de vie.
De nos jours, les opinions restent partagées quant à l’euthanasie.
En France, l’euthanasie active est considérée comme un assassinat.
Les juifs interdisent l'euthanasie active. Le renoncement à des actes médicaux (euthanasie passive) est possible.
Pour les musulmans, nul ne peut avancer ou retarder l’heure de la mort, qui dépend de la volonté de Dieu. Il est interdit de donner la mort si ce n’est pas à bon droit (peine de mort).
Pour les chrétiens orthodoxes, participer à une euthanasie est considéré comme un meurtre. Une personne malade qui choisit l’euthanasie est considérée comme une suicidée. Toutefois, le 11 février 2009, jugeant que dans certains cas il ne faut pas soutenir le corps, l'Eglise orthodoxe russe se démarqua du Vatican dans le cas de la jeune Italienne, Eluana Englaro, laquelle, dans un état végétatif depuis 17 ans, était décédée après l'interruption de l'alimentation et de l'hydratation artificielle demandée par sa famille et autorisée par la justice.
Les protestants s’accordent à penser qu’une certaine euthanasie est la réplique de l’acharnement thérapeutique, et n'est donc pas permise. Certains pensent qu’une demande du mourant d’être délivré d’un vain combat, doit être écoutée et non jugée.
Pour les catholiques, l'euthanasie est irrecevable, dans la mesure où elle consiste à mettre fin à la vie de personnes handicapées, malades ou mourantes.
L’Eglise catholique est également opposée à toute forme d’acharnement thérapeutique ; elle précise que l’alimentation et l’hydratation ne constituent pas une forme d’acharnement thérapeutique.
Récemment, l’affaire Vincent Lambert a provoqué des réactions au sujet de l’euthanasie. Vincent Lambert, victime d’un accident de la route en 2008, se trouve dans un état « pauci-relationnel », c'est-à-dire qu’il ressent la douleur, bouge les yeux, mais il est impossible de savoir s’il comprend ce qu’on lui dit. L’équipe médicale qui le prend en charge, son épouse, et une partie de sa famille sont pour l’arrêt des traitements qui le maintiennent en vie ; contrairement à ses parents, catholiques pratiquants, et une autre partie de sa famille, refusant catégoriquement cette décision.
Mais l’acharnement thérapeutique est-il raisonnable ? Comment peut-on prendre une décision de ce genre en évitant la religion ?
B) L’avortement
L’avortement est un acte médical qui pose de nombreux problèmes dans notre société. En effet, les religions s’opposent à cet acte et le considèrent comme un crime. Pour les croyants, le bébé est vivant dès sa conception. Mais cette question a été, est et sera toujours un sujet de débat : peut-on considérer un fœtus comme un être vivant ? Certains s’accordent pour dire que oui, alors que d’autres pensent le contraire. Toutefois, les religions peuvent accepter l’avortement dans des cas « extrêmes ».
Selon les religions, le corps d’une femme est fécond et sa fécondité ne doit être en aucun cas interrompue. Bien que cette pratique médicale soit de moins en moins taboue et qu’elle se libéralise de plus en plus, elle reste pour les conservateurs de toutes religions confondues un acte abject, car pour eux, c’est un assassinat.
Le point de vue chrétien est tout à fait clair sur le sujet : avorter revient à tuer un enfant. Si la femme a été victime d’un viol, elle doit être prise en charge et confier son nourrisson à une famille d’accueil.
Les papes se sont toujours positionnés contre l’avortement.
Le Vatican a toujours été contre la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Il est décrit comme un meurtre commis dans l’irrégularité religieuse et morale. Jean Paul II, pape de 1978 à 2005, déclarait à propos de l’avortement : « L’avortement et l’euthanasie sont des crimes qu’aucune loi humaine ne peut prétendre légitimer ».
Le pape Benoît XVI, lors de son voyage au Brésil en mai 2007, déclarait quant à lui soutenir la décision de l’Eglise catholique mexicaine qui a menacé d’excommunier des députés de gauche ayant voté en faveur de la légalisation de l’avortement au Mexique. Il affirmait : « Oui, cette excommunication n’est pas arbitraire, elle est permise par la loi canonique qui dit que le meurtre d’un enfant innocent est incompatible avec la communion, qui consiste à recevoir le corps du Christ ».
Les protestants sont quant à eux plus ouverts d’esprit, ils essaient de peser chaque situation difficile. L’avortement est considéré comme une facilité pour se détourner des « problèmes » : il est mieux de trouver d’autres solutions. Les protestants s’expriment pour la première fois sur ce sujet en 1971 : « dans certains cas, il y a plus de courage et d’amour à prendre la responsabilité d’un avortement qu’à laisser venir au monde des vies menacées ».
Le point de vue musulman est similaire au point de vue chrétien : l’embryon est vu comme un être vivant, dès qu’il y a fécondation, il y a vie. Néanmoins, des mesures sont prises dans certains pays à majorité musulmane, tel que dans les pays du Maghreb ou l’Arabie Saoudite, pour que l’avortement soit toléré : si la grossesse présente un risque pour la mère, ou en cas de viol.
Seulement, l’avortement reste impopulaire. Même si la législation l’impose, tous les centres médicaux ne sont pas aptes à le pratiquer, et certains médecins s’y refusent encore.
Le Coran stipule que Dieu a insufflé la vie au 100ème jour de grossesse c’est la raison pour laquelle l’avortement est strictement prohibé au terme du 4ème mois de grossesse (100-120 jours)
Dans la religion juive, le cas de l’avortement est semblable aux deux autres religions, le fœtus est considéré comme un être vivant à part entière et la vie se doit d’être respectée. Mais il existe un désaccord au sein de la communauté judaïque pour savoir si l’interdiction de l’avortement est biblique ou rabbinique. L’interruption de la grossesse est acceptée avant le 40ème jour de grossesse dans deux cas : si la mère est en danger (la vie de la mère est prioritaire sur l’enfant pas encore né) et/ou si le fœtus présente un risque de malformation.
En France, la loi n°2001-588 du 4 juillet 2001 fixe la période pendant laquelle une femme peut recourir de sa seule volonté à une IVG à douze semaines. L’avortement pour motif thérapeutique peut être pratiqué au-delà du délai des douze premières semaines et jusqu’au dernier moment de la gestation. Une période d’une semaine de réflexion, pouvant être raccourcie à 2 jours si elle place la femme hors des délais légaux pour l’avortement, doit être respectée entre le premier rendez-vous où la femme a exprimé son souhait de recourir à l’IVG et le jour de l’IVG.
Cependant, l’IVG a longtemps été prohibé, il était même passible de travaux forcés à perpétuité, voire de la peine capitale. En 1920, la contraception et l’avortement sont interdits. En 1942, la loi du 15 février définit l’avortement comme un crime puni de la peine de mort. L’avortement thérapeutique est autorisé en 1955. Dès le début des années 1970, les mouvements féministes revendiquent le droit à l’avortement. La dépénalisation de l’avortement intervient en 1975, quand Simone Veil était ministre de la santé du gouvernement Chirac. Cette loi fut adoptée à titre expérimental, puis la loi de 1979 vint la confirmer.
Récemment, un débat sur l’avortement a refait surface. En effet, en Espagne, un projet de loi réduisant le droit à l’avortement a été créé, ce qui a amené le sujet en France. Des manifestations ont eu lieu, pour et contre l’avortement. Cependant, le gouvernement ne désire pas changer la loi actuelle. Finalement, en 2014, le Parlement supprime le critère de « détresse » pour autoriser l’IVG.
De ce fait, la plus grande partie des religions préconise la vie du fœtus sur le choix personnel de la mère. Le fœtus est considéré comme un être vivant à partir du moment où il est fécondé. La question qui persiste est donc de savoir si le fœtus peut effectivement être considéré comme un être vivant, et si les religions ont leur mot à dire sur les législations concernant l’avortement.
C) La procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui
Le judaïsme autorise les inséminations artificielles, la fécondation in vitro, la congélation d’embryons et le diagnostic préimplantatoire. Ces techniques sont cependant réservées à un couple hétérosexuel, à l’exception du judaïsme libéral.
L’Eglise catholique s’oppose totalement à la procréation médicalement assistée. En effet, le Vatican pense qu’un enfant doit être considéré comme un don de Dieu, et il conseille plutôt aux couples stériles de recourir à l’adoption. Par exemple, dans le cas d’une fécondation in vitro, plusieurs embryons sont créés, et ceux n’étant pas utilisés sont détruits. Or, pour l’Eglise un embryon est un être humain dès la rencontre des gamètes, donc détruire un embryon revient à commettre un infanticide. L’insémination artificielle est interdite car elle n’est pas « un moyen technique ni une aide facilitant l’acte conjugal », elle s’y substitue.
Le protestantisme est quant à lui plus ouvert sur ce sujet. La plupart des techniques de l’aide à la procréation sont autorisées. La seule restriction est que ces pratiques ne doivent pas avoir d’autre intérêt (par exemple financier) que celui de donner la vie à un enfant.
La religion islamique ne s’oppose pas à la PMA, du moment que la technique utilisée n’a recours qu’aux gamètes des conjoints. Le recours aux dons de sperme, d’ovules et d’embryons est strictement interdit.
Lors de sa campagne présidentielle, François Hollande souhaitait que les femmes célibataires et homosexuelles puissent accéder à la PMA, alors que ces techniques sont de nos jours réservées uniquement aux couples hétérosexuels infertiles. Séverine Mathieu, chercheure au Groupe Sociétés, Religions, Laïcités a été interrogée par Le Monde des Religions sur le sujet de l’AMP en 2012 :
« L’institution catholique interdit tout recours à la médecine au nom de l'ordre naturel. Un couple qui ne peut pas procréer est invité à se tourner vers l'adoption. (…) De fait, l’institution médicale, en matière d’AMP, fonctionne encore suivant des modalités d’origine chrétienne. Si l'Eglise demeure fermement opposé à l'AMP, il existe des acteurs du concordisme parmi les représentants de l’institution catholique. Certains prêtres plus ouverts soutiennent des couples catholiques en AMP. (…) En France les autorités religieuses juives et musulmanes autorisent les inséminations artificielles avec les gamètes des deux conjoints, et l'interdisent lorsqu'il y a recours à un tiers donneur, l'anonymat faisant resurgir le spectre de l'adultère. Les autorités protestantes semblent être les plus ouvertes quant à leur position sur la possibilité du recours à l’AMP (…). En revanche pour toutes ces religions, cela concerne uniquement les couples hétérosexuels mariés. (…)Les parcours d’AMP semblent ainsi être un bon révélateur des aménagements individuels contemporains de la norme religieuse. Ce qui reste au centre des motivations de ces couples (…) c’est leur désir d’enfant. »
On apprend que la religion catholique interdit formellement tout recours à des méthodes d’AMP. Cependant, certains prêtres soutiennent des couples voulant s’engager dans un processus d’AMP.
En France, l’assistance médicale à la procréation est définie par l’article L2141-1 du code de la santé publique : « L’assistance médicale à la procréation s’entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle, ainsi que de toute technique d’effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel ». Elle est légale lorsque sa mise en œuvre est limitée au traitement des cas de couples se trouvant face à des problèmes d’infertilité ou risquant de transmettre une maladie grave à l’enfant ou à l’un des membres du couple. La gestation pour autrui est interdite en France depuis la décision de la Cour de Cassation de 1991.
La religion catholique est contre la gestation pour autrui. Selon l’église catholique, « la gestation pour autrui ne répare pas un préjudice subi par l’enfant, mais l’organise pour remédier à la souffrance d’un couple sans enfant. ». L’église orthodoxe d’Orient est également contre la GPA, ainsi que l’église protestante. Dans la religion Chrétienne, l’église anglicane est la seule à accepter la GPA.
L’Islam est également contre la gestation pour autrui.
Le Judaïsme accepte la GPA, tant que l’enfant est issu génétiquement des parents intentionnels.
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Médecine religieuse et médecine rationnelle
1. Médecine des sanctuaires, médecine populaire et médecine rationnelle
La question des rapports entre médecine dite rationnelle (adjectif employé ici avec toutes les précautions nécessaires quand il s’agit de la pensée antique et dont il appartiendra de donner une définition précise) et médecine magico‐religieuse se pose dès les premiers écrits médicaux conservés. En effet, avant la naissance de la médecine rationnelle, de tradition hippocratique, il n’y avait pas de distinction nette entre des procédés dits rationnels et d’autres qui seraient religieux ou magiques. Et c’est seulement à partir d’Hippocrate (Ve/IVe s. av. J.‐C.) que s’établit une distinction
nette entre médecine rationnelle et médecine magique ou religieuse.
De ce point de vue, le traité fondateur est celui Sur la maladie sacrée, à savoir l’épilepsie, dont l’auteur hippocratique s’emploie à
démontrer qu’elle n’est ni plus divine, ni plus humaine qu’aucune autre maladie. Cette médecine rationnelle ignore la thérapeutique populaire contemporaine et se construit autour d’une méthode qui donne la première place à l’observation et à l’interrogatoire du malade. L’histoire de la médecine a donc longtemps opposé médecine rationnelle et médecine magique ou religieuse, selon un schéma sans doute trop figé pour être exact. De fait, la médecine antique ne peut être réduite à la seule activité rationnelle des médecins. En réalité, parallèlement à cette médecine dite rationnelle, une médecine religieuse s’épanouit avec les guérisons miraculeuses, notamment dans les sanctuaires d’Asclépios. Des études récentes ont d’ailleurs commencé à attirer l’attention sur cette situation et sur l’existence non pas d’une seule, ni même de deux, mais de trois médecines concurrentes : une médecine rationnelle, une médecine religieuse et une médecine magique populaire recourant aux amulettes et à la pratique des incantations qui n’a jamais cessé de se manifester. Toutefois les frontières entre ces trois médecines sont floues et ces trois domaines n’ont jamais fait l’objet d’une étude comparative exhaustive. Le présent projet se propose donc d’explorer les conditions socio‐culturelles et le contexte historique qui ont permis l’émergence en Grèce, au Ve siècle avant notre ère d’une médecine rationnelle hippocratique de tradition occidentale, en la confrontant aux pratiques magico-religieuses contemporaines qui ont accompagné sa naissance et son développement, mais aussi, dans une perspective comparatiste, aux pratiques de la médecine babylonienne et égyptienne. Les recherches sur les textes magiques pharaoniques en particulier ont récemment évolué dans le sens d’un élargissement tant synchronique (recherche de structures rhétoriques communes entre des textes magiques pharaoniques et des textes religieux du monde sémitique) que diachronique (réflexion sur la mise en contact de la pensée magico‐religieuse de l’Égypte pharaonique avec le monde hellénistique).
En recourant à l’étude des données littéraires, papyrologiques et archéologiques, on s’interrogera sur l’existence d’une opposition souvent décrite entre médecine rationnelle et médecine magico‐religieuse et on se demandera si un véritable antagonisme entre médecine religieuse des sanctuaires et médecine rationnelle des Asclépiades a vraiment existé. L’ultime étape de cette enquête consistera à comprendre comment et pourquoi, en revanche, les Pères de l’Église, comme les médecins rationalistes, ont condamné les procédés magiques employés par les sorciers et les guérisseurs, alors même qu’ils admettaient les miracles du Christ, nouveau dieu médecin (Christus medicus) dont le pouvoir se prolonge par les miracles des saints (Thècle, Cosme et Damien, Cyr et Jean, Michel, Thérapon, Artémios, Isaïe). Notons que les recueils de ces miracles écrits dans l’Empire byzantin, notamment à Constantinople, présentent longuement les pathologies, les séjours des malades et l’organisation de l’espace sacré dans les sanctuaires où la guérison miraculeuse s’obtient par incubation.
L’enjeu de la recherche portera sur douze siècles d’histoire de la médecine, depuis la naissance du corpus hippocratique au Ve siècle avant notre ère jusqu’au VIIe siècle après.
2. Le partage des savoirs et les oppositions religieuses
La transmission de la médecine grecque (principalement Galien) vers les cultures syriaque puis arabe est bien connue. On connaît moins le mouvement inverse qui se produisit à partir du Xe siècle, c’est‐à‐dire la traduction d’oeuvres médicales arabes en grec par des médecins byzantins. De nombreux traités de médecine arabe (par ex., le traité de Razi sur la variole et la rougeole, le Zad al‐Musafir d’Ibn al‐Gazzar, des traités d’Avicenne sur les urines ou sur le pouls, des collections de remèdes), eux‐mêmes souvent tributaires de la médecine grecque antique, furent traduits en grec dès le Xe ou le XIe s. Cette activité, qui fut essentiellement l’oeuvre de médecins byzantins, est quasiment absente des sources narratives, mais de nombreux manuscrits médicaux en donnent une image très précise. On peut à travers eux appréhender la pratique des médecins byzantins, ainsi que la collaboration entre médecins arabes et grecs. On pourra envisager de publier la traduction de plusieurs préambules de ces traductions, ou d’introductions de chapitres, qui nous renseignent sur les motivations des traducteurs, leurs méthodes de travail et les tentatives d’adaptation à la culture byzantine, par une christianisation des allusions religieuses.
L’intérêt de la médecine arabe pour l’anatomie, ou « science de la dissection » (`ilm at‐tašrī), fut évident, comme le montre le fait que le traité de Galien sur les Administrations anatomiques, perdu pour moitié en grec, a été intégralement conservé en arabe. Le scrupule religieux de la société islamique s’est aussi opposé à l’étude de l’anatomie humaine ; cette question de l’interdiction religieuse est très importante, comme le montrent les nombreuses allusions qu’y fait Farābī dans son Traité de rhétorique ; mais elle mérite d’être étudiée aussi bien dans le domaine arabe que dans le domaine grec. Anatomie – pratique réelle ou bien débats savants autour des textes galéniques ? – et scrupule religieux sont donc dans des rapports pour le moins complexes, comme on le voit chez Ibn Abī Usaybi`a, qui rapporte l’opinion d’Averroès selon qui celui qui s’occupe d’anatomie ne fait autre chose que démontrer l’oeuvre de Dieu.
L’étude et la pratique réelle de la dissection dans l’antiquité grecque et dans le monde arabe qui en reçoit l’héritage, abordée sous l’angle des facteurs politiques, sociaux intellectuels et religieux qui ont pu créer des conditions tantôt favorables tantôt défavorables, pourraient donc donner lieu à un colloque avec comme intitulé possible : « L’anatomie dans l’antiquité grecque et le monde arabe : entre débats intellectuels et tensions religieuses ».
1. Médecine des sanctuaires, médecine populaire et médecine rationnelle
La question des rapports entre médecine dite rationnelle (adjectif employé ici avec toutes les précautions nécessaires quand il s’agit de la pensée antique et dont il appartiendra de donner une définition précise) et médecine magico‐religieuse se pose dès les premiers écrits médicaux conservés. En effet, avant la naissance de la médecine rationnelle, de tradition hippocratique, il n’y avait pas de distinction nette entre des procédés dits rationnels et d’autres qui seraient religieux ou magiques. Et c’est seulement à partir d’Hippocrate (Ve/IVe s. av. J.‐C.) que s’établit une distinction
nette entre médecine rationnelle et médecine magique ou religieuse.
De ce point de vue, le traité fondateur est celui Sur la maladie sacrée, à savoir l’épilepsie, dont l’auteur hippocratique s’emploie à
démontrer qu’elle n’est ni plus divine, ni plus humaine qu’aucune autre maladie. Cette médecine rationnelle ignore la thérapeutique populaire contemporaine et se construit autour d’une méthode qui donne la première place à l’observation et à l’interrogatoire du malade. L’histoire de la médecine a donc longtemps opposé médecine rationnelle et médecine magique ou religieuse, selon un schéma sans doute trop figé pour être exact. De fait, la médecine antique ne peut être réduite à la seule activité rationnelle des médecins. En réalité, parallèlement à cette médecine dite rationnelle, une médecine religieuse s’épanouit avec les guérisons miraculeuses, notamment dans les sanctuaires d’Asclépios. Des études récentes ont d’ailleurs commencé à attirer l’attention sur cette situation et sur l’existence non pas d’une seule, ni même de deux, mais de trois médecines concurrentes : une médecine rationnelle, une médecine religieuse et une médecine magique populaire recourant aux amulettes et à la pratique des incantations qui n’a jamais cessé de se manifester. Toutefois les frontières entre ces trois médecines sont floues et ces trois domaines n’ont jamais fait l’objet d’une étude comparative exhaustive. Le présent projet se propose donc d’explorer les conditions socio‐culturelles et le contexte historique qui ont permis l’émergence en Grèce, au Ve siècle avant notre ère d’une médecine rationnelle hippocratique de tradition occidentale, en la confrontant aux pratiques magico-religieuses contemporaines qui ont accompagné sa naissance et son développement, mais aussi, dans une perspective comparatiste, aux pratiques de la médecine babylonienne et égyptienne. Les recherches sur les textes magiques pharaoniques en particulier ont récemment évolué dans le sens d’un élargissement tant synchronique (recherche de structures rhétoriques communes entre des textes magiques pharaoniques et des textes religieux du monde sémitique) que diachronique (réflexion sur la mise en contact de la pensée magico‐religieuse de l’Égypte pharaonique avec le monde hellénistique).
En recourant à l’étude des données littéraires, papyrologiques et archéologiques, on s’interrogera sur l’existence d’une opposition souvent décrite entre médecine rationnelle et médecine magico‐religieuse et on se demandera si un véritable antagonisme entre médecine religieuse des sanctuaires et médecine rationnelle des Asclépiades a vraiment existé. L’ultime étape de cette enquête consistera à comprendre comment et pourquoi, en revanche, les Pères de l’Église, comme les médecins rationalistes, ont condamné les procédés magiques employés par les sorciers et les guérisseurs, alors même qu’ils admettaient les miracles du Christ, nouveau dieu médecin (Christus medicus) dont le pouvoir se prolonge par les miracles des saints (Thècle, Cosme et Damien, Cyr et Jean, Michel, Thérapon, Artémios, Isaïe). Notons que les recueils de ces miracles écrits dans l’Empire byzantin, notamment à Constantinople, présentent longuement les pathologies, les séjours des malades et l’organisation de l’espace sacré dans les sanctuaires où la guérison miraculeuse s’obtient par incubation.
L’enjeu de la recherche portera sur douze siècles d’histoire de la médecine, depuis la naissance du corpus hippocratique au Ve siècle avant notre ère jusqu’au VIIe siècle après.
2. Le partage des savoirs et les oppositions religieuses
La transmission de la médecine grecque (principalement Galien) vers les cultures syriaque puis arabe est bien connue. On connaît moins le mouvement inverse qui se produisit à partir du Xe siècle, c’est‐à‐dire la traduction d’oeuvres médicales arabes en grec par des médecins byzantins. De nombreux traités de médecine arabe (par ex., le traité de Razi sur la variole et la rougeole, le Zad al‐Musafir d’Ibn al‐Gazzar, des traités d’Avicenne sur les urines ou sur le pouls, des collections de remèdes), eux‐mêmes souvent tributaires de la médecine grecque antique, furent traduits en grec dès le Xe ou le XIe s. Cette activité, qui fut essentiellement l’oeuvre de médecins byzantins, est quasiment absente des sources narratives, mais de nombreux manuscrits médicaux en donnent une image très précise. On peut à travers eux appréhender la pratique des médecins byzantins, ainsi que la collaboration entre médecins arabes et grecs. On pourra envisager de publier la traduction de plusieurs préambules de ces traductions, ou d’introductions de chapitres, qui nous renseignent sur les motivations des traducteurs, leurs méthodes de travail et les tentatives d’adaptation à la culture byzantine, par une christianisation des allusions religieuses.
L’intérêt de la médecine arabe pour l’anatomie, ou « science de la dissection » (`ilm at‐tašrī), fut évident, comme le montre le fait que le traité de Galien sur les Administrations anatomiques, perdu pour moitié en grec, a été intégralement conservé en arabe. Le scrupule religieux de la société islamique s’est aussi opposé à l’étude de l’anatomie humaine ; cette question de l’interdiction religieuse est très importante, comme le montrent les nombreuses allusions qu’y fait Farābī dans son Traité de rhétorique ; mais elle mérite d’être étudiée aussi bien dans le domaine arabe que dans le domaine grec. Anatomie – pratique réelle ou bien débats savants autour des textes galéniques ? – et scrupule religieux sont donc dans des rapports pour le moins complexes, comme on le voit chez Ibn Abī Usaybi`a, qui rapporte l’opinion d’Averroès selon qui celui qui s’occupe d’anatomie ne fait autre chose que démontrer l’oeuvre de Dieu.
L’étude et la pratique réelle de la dissection dans l’antiquité grecque et dans le monde arabe qui en reçoit l’héritage, abordée sous l’angle des facteurs politiques, sociaux intellectuels et religieux qui ont pu créer des conditions tantôt favorables tantôt défavorables, pourraient donc donner lieu à un colloque avec comme intitulé possible : « L’anatomie dans l’antiquité grecque et le monde arabe : entre débats intellectuels et tensions religieuses ».
Re: Forum - Religion et Médecine - forum religion et médecine
Fin de vie : la loi, la médecine, la religion sur le banc des accusés.
Grâce à tous ces drames sur-médiatisés, trois piliers fondateurs du bien commun sont ébranlés: une médecine défiée, un droit instrumentalisé et une théologie mutilée.
1-La médecine défiée.
La médecine ne peut pas juger de tout et répondre à tout. Elle n’est pas omnisciente ni omnipotente. Grâce à Dieu !… Nous pouvons avoir encore un espace de liberté. Elle se doit de proposer le raisonnable, l’humainement acceptable, de négocier avec nos inévitables ambivalences. Les soins palliatifs sont la figure la plus accomplie de son art. Ils s’imposent, à l’écoute ajustée des patients et de leurs familles quand la médecine arrive aux limites de son savoir. Cultivons les soins palliatifs et la réponse donnée à la fin d’une vie s’imposera avec cohérence et autorité. Commençons par le début : soignons, accompagnons, acceptons d’être émondés. Mais voilà avec Vincent Lambert, les soins palliatifs ont bien été engagés avec application. Malheureusement la famille et certains médecins s’engagent sur des interprétations sémiologiques contradictoires, sans issues et donc sans fin. Avec le Docteur Bonnemaison, la médecine se retrouve ces jours ci sur le banc des accusés au sens propre comme figuré. Ce type de transgression jette un trouble (pour le moins !) dans la relation médecin malade et suscite des positions extrêmes souvent à caractères militants. Mais avant de juger, laissons de côté tout prérequis partisan. Ecoutons les questions que posent ce médecin et son procès car elles se reposeront à l’avenir. Nous serons légions dans l’armée des quatrièmes ou cinquièmes âges !….
2-Le droit instrumentalisé et inopérant.
La loi ne dit pas tout. Elle montre elle aussi ses limites. Pour une raison bien simple, elle ne peut pas envisager toutes les situations et surtout l’exceptionnel comme l’affaire Vincent Lambert. Quel que soit l’angle par lequel vous preniez ce drame, nous n’avons pas de réponse juridique soulignant ainsi les limites de la loi. Vous avez dit : personne de confiance ! Confiance… mais ce mot a disparu dans cette affaire. Cette personne de confiance, la grande absente qui aurait pu dire l’homme en lieu et place de la loi, avec l’autorité d’une humanité ajustée. Mais la loi n’en donne toujours qu’une définition tronquée. On ne saura jamais qui pourrait être cette personne par défaut. Mère ou épouse ?… Autre impasse de l’exercice du droit : les dangers de la jurisprudence. Vouloir faire rentrer un malade dans l’histoire d’un autre alors que nos biographies sont toutes uniques, avec leur propre part d’indicible mystère. Si vous vous en souvenez, la première critique qui avait été faite sur la tentative de légiférer sur la fin de vie : enfermer l’homme dans une procédure à un moment si personnel et mystérieux qu’est la mort. Les raisons qui nous poussent à légiférer ne sont-elles pas le fruit de nos incompétences pour accompagner l’autre…Et enfin, la justice a le génie de créer de la procédure et encore de la procédure…Elle répond à notre non volonté de rechercher un compromis, ou de s’accorder sur un bien commun.
3-L’intelligence de la foi mutilée.
De quelle vie s’agit-il ? Vie biologique, vie de relation ou vie dans le Christ ? Que cela peut-il vouloir bien dire pour chacun d’entre nous ? Le débat est grave et l’émotionnel n’a pas sa place. Vincent Lambert et ses compagnons d’infortune ont peu faire de nos émotions !…Les tweet lapidaires ne sont pas à la gloire de leurs auteurs. Ils desservent la parole de l’Eglise et des catholiques d’ aujourd’hui la rendant inaudible… Notre foi est émondée. L’éthique c’est l’autre, c’est le regard que l’on porte sur cet autre qui n’est que l’image de nous-mêmes. Il s’agit donc de travailler une éthique dans le Christ. Nous devons nous méfier de toute religiosité instrumentalisée. Notre relation au Christ n’est pas une affaire de loi. La mort fait partie de la vie. Je dirai même plus, avec Bertrand Vergely dans « La tentation de l’homme dieu », l’absence de mort serait mortifère. Au nom de la vie, nous ne pouvons pas systématiquement dire non à la mort. Et si la mort était là pour accomplir cette vie, notre vie ! Les livres de Hans Kung ou du Père Ringlet viennent encore nous interroger plus avant avec plus ou moins de profondeur…Mais soyons des compagnons de route, des hommes debout jusqu’au bout !
Fallait-il s’obstiner à vouloir légiférer sur la « fin de vie » ? Cette forêt inextricable de points d’interrogations était attendue. Et de plus, nous n’avons pas commencé par le début. N’aurait-il pas mieux valu avant tout à nous attacher à développer les soins palliatifs pour les transformer en médecine palliative. Médecins infirmiers et autres soignants nous aurions été plus à hauteur d’homme et plus en mesure de répondre à l’essentiel. Mais voilà nous sommes législativement engagés !… Et la parodie de débat en deuxième lecture à l’Assemblée ne peut que nous inquiéter… 60 députés à mains levées… circulez, le spectacle est fini. Le jeu politique des acteurs a été le plus fort. Nous allons vers un « no where »….La preuve : la sédation continue, je le tue mais il reste vivant !…Qui voudra s’engager comme soignant en soins palliatifs ?…Nous avons inventé « l’euthanasie endormie » !… La charrue était avant les bœufs, elle s’est embourbée.
« La mort heureuse » Hans Küng, éditions du Seuil, 2015,129 p.
« Vous me coucherez nu sur la terre nue » Gabriel Ringlet, Albin Michel, 2015, 250 p.
« La tentation de l’Homme –Dieu » Bertrand Vergely, édition Le Passeur, 2015, 135 p.
Bertrand Galichon
Grâce à tous ces drames sur-médiatisés, trois piliers fondateurs du bien commun sont ébranlés: une médecine défiée, un droit instrumentalisé et une théologie mutilée.
1-La médecine défiée.
La médecine ne peut pas juger de tout et répondre à tout. Elle n’est pas omnisciente ni omnipotente. Grâce à Dieu !… Nous pouvons avoir encore un espace de liberté. Elle se doit de proposer le raisonnable, l’humainement acceptable, de négocier avec nos inévitables ambivalences. Les soins palliatifs sont la figure la plus accomplie de son art. Ils s’imposent, à l’écoute ajustée des patients et de leurs familles quand la médecine arrive aux limites de son savoir. Cultivons les soins palliatifs et la réponse donnée à la fin d’une vie s’imposera avec cohérence et autorité. Commençons par le début : soignons, accompagnons, acceptons d’être émondés. Mais voilà avec Vincent Lambert, les soins palliatifs ont bien été engagés avec application. Malheureusement la famille et certains médecins s’engagent sur des interprétations sémiologiques contradictoires, sans issues et donc sans fin. Avec le Docteur Bonnemaison, la médecine se retrouve ces jours ci sur le banc des accusés au sens propre comme figuré. Ce type de transgression jette un trouble (pour le moins !) dans la relation médecin malade et suscite des positions extrêmes souvent à caractères militants. Mais avant de juger, laissons de côté tout prérequis partisan. Ecoutons les questions que posent ce médecin et son procès car elles se reposeront à l’avenir. Nous serons légions dans l’armée des quatrièmes ou cinquièmes âges !….
2-Le droit instrumentalisé et inopérant.
La loi ne dit pas tout. Elle montre elle aussi ses limites. Pour une raison bien simple, elle ne peut pas envisager toutes les situations et surtout l’exceptionnel comme l’affaire Vincent Lambert. Quel que soit l’angle par lequel vous preniez ce drame, nous n’avons pas de réponse juridique soulignant ainsi les limites de la loi. Vous avez dit : personne de confiance ! Confiance… mais ce mot a disparu dans cette affaire. Cette personne de confiance, la grande absente qui aurait pu dire l’homme en lieu et place de la loi, avec l’autorité d’une humanité ajustée. Mais la loi n’en donne toujours qu’une définition tronquée. On ne saura jamais qui pourrait être cette personne par défaut. Mère ou épouse ?… Autre impasse de l’exercice du droit : les dangers de la jurisprudence. Vouloir faire rentrer un malade dans l’histoire d’un autre alors que nos biographies sont toutes uniques, avec leur propre part d’indicible mystère. Si vous vous en souvenez, la première critique qui avait été faite sur la tentative de légiférer sur la fin de vie : enfermer l’homme dans une procédure à un moment si personnel et mystérieux qu’est la mort. Les raisons qui nous poussent à légiférer ne sont-elles pas le fruit de nos incompétences pour accompagner l’autre…Et enfin, la justice a le génie de créer de la procédure et encore de la procédure…Elle répond à notre non volonté de rechercher un compromis, ou de s’accorder sur un bien commun.
3-L’intelligence de la foi mutilée.
De quelle vie s’agit-il ? Vie biologique, vie de relation ou vie dans le Christ ? Que cela peut-il vouloir bien dire pour chacun d’entre nous ? Le débat est grave et l’émotionnel n’a pas sa place. Vincent Lambert et ses compagnons d’infortune ont peu faire de nos émotions !…Les tweet lapidaires ne sont pas à la gloire de leurs auteurs. Ils desservent la parole de l’Eglise et des catholiques d’ aujourd’hui la rendant inaudible… Notre foi est émondée. L’éthique c’est l’autre, c’est le regard que l’on porte sur cet autre qui n’est que l’image de nous-mêmes. Il s’agit donc de travailler une éthique dans le Christ. Nous devons nous méfier de toute religiosité instrumentalisée. Notre relation au Christ n’est pas une affaire de loi. La mort fait partie de la vie. Je dirai même plus, avec Bertrand Vergely dans « La tentation de l’homme dieu », l’absence de mort serait mortifère. Au nom de la vie, nous ne pouvons pas systématiquement dire non à la mort. Et si la mort était là pour accomplir cette vie, notre vie ! Les livres de Hans Kung ou du Père Ringlet viennent encore nous interroger plus avant avec plus ou moins de profondeur…Mais soyons des compagnons de route, des hommes debout jusqu’au bout !
Fallait-il s’obstiner à vouloir légiférer sur la « fin de vie » ? Cette forêt inextricable de points d’interrogations était attendue. Et de plus, nous n’avons pas commencé par le début. N’aurait-il pas mieux valu avant tout à nous attacher à développer les soins palliatifs pour les transformer en médecine palliative. Médecins infirmiers et autres soignants nous aurions été plus à hauteur d’homme et plus en mesure de répondre à l’essentiel. Mais voilà nous sommes législativement engagés !… Et la parodie de débat en deuxième lecture à l’Assemblée ne peut que nous inquiéter… 60 députés à mains levées… circulez, le spectacle est fini. Le jeu politique des acteurs a été le plus fort. Nous allons vers un « no where »….La preuve : la sédation continue, je le tue mais il reste vivant !…Qui voudra s’engager comme soignant en soins palliatifs ?…Nous avons inventé « l’euthanasie endormie » !… La charrue était avant les bœufs, elle s’est embourbée.
« La mort heureuse » Hans Küng, éditions du Seuil, 2015,129 p.
« Vous me coucherez nu sur la terre nue » Gabriel Ringlet, Albin Michel, 2015, 250 p.
« La tentation de l’Homme –Dieu » Bertrand Vergely, édition Le Passeur, 2015, 135 p.
Bertrand Galichon
Re: Forum - Religion et Médecine - forum religion et médecine
Société
Assistance médicale à la procréation, éthique, religion et filiation
Propos recueillis par Lola Petit - publié le 21/02/2012
Le candidat PS souhaite que les femmes célibataires et homosexuelles accèdent à l'aide médicale à la procréation, alors que ces techniques sont aujourd'hui réservées aux couples hétérosexuels infertiles. François Bayrou, le candidat du MoDem, y est également favorable, tandis que dans un entretien accordé à l’hebdomadaire médical Le Généraliste le 11 janvier dernier, Nicolas Sarkozy s’est engagé à ne pas toucher le cadre législatif en vigueur. Rencontre avec Séverine Mathieu, chercheure au Groupe Sociétés, Religions, Laïcités dont le mémoire d’habilitation à diriger des recherches : L’enfant des possibles : Assistance médicale à la procréation, éthique, religion et filiation sera édité l'année prochaine aux éditions de l'Atelier. L’originalité de ce travail réside en ce qu’il combine une approche de sociologie des religions combinée à celle d’une sociologie de la famille mais aussi des pratiques médicales.
Quelle est la situation de l'assistance médicale à la procréation en France ? Y a-t- il une augmentation des demandes de recours à l'AMP ?
Oui, cela a partie liée avec une baisse notable de la fertilité masculine et féminine.
En France, les techniques d’AMP sont ouvertes aux seuls couples hétérosexuels, mariés ou faisant la preuve d’une durée de vie commune d’au moins deux ans. La mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation est indiquée lorsque le couple se trouve face à une infertilité médicalement constatée ou pour éviter la transmission d’une maladie grave à l’enfant ou à l’un des membres du couple. Le couple doit être en âge de procréer, et il est interdit de faire appel à une « mère porteuse » et d’avoir recours à un double don de gamètes. Actuellement en France, 500 000 couples environ consultent chaque année. En 2009 d'après l'Agence de biomédecine plus de 21 000 enfants sont nés grâce à l’assistance médicale à la procréation (AMP). Les États généraux de la bioéthique qui se sont tenus en 2009 pilotés par Jean Léonetti, député UMP et président du comité ont laissé une large place au point de vue des membres des institutions religieuses. Une table ronde avec des représentants des religions fut organisée. La Conférence des évêques de France, la Fédération protestante de France, le Centre catholique des médecins français, la Mosquée de Paris, le CRIF mais aussi l’Union rationaliste ont été consultés, en tant qu’intervenants extérieurs, et non comme représentants officiels.
Quelle est la position de l'Eglise catholique sur l'AMP ?
L’institution catholique interdit tout recours à la médecine au nom de l'ordre naturel. Un couple qui ne peut pas procréer est invité à se tourner vers l'adoption. En 1987, l’Eglise catholique, via la Congrégation pour la Doctrine de la Foi rend publique ses instructions sur « le Don de la vie ». Celles-ci rappellent que les fondements anthropologiques de la doctrine catholique sont ceux de la « loi morale naturelle », qu’il ne peut y avoir « de tiers dans la sexualité du couple autre que Dieu, vraie source de la fécondité du couple », et que « tous les procédés de fécondation avec gamètes de donneurs, ainsi que la maternité de substitution, sont moralement condamnables ». Ces instructions vont plonger dans la perplexité nombre de médecins catholiques dont Georges David, médecin et catholique pratiquant qui fonda les Centres d'Etudes et de Conservation des Oeufs et du Sperme (CECOS ). Il est ainsi intéressant de voir que les règles édictées dans les CECOS ont été produites, d’une certaine manière, avec le souci de concilier éthique professionnelle et normes religieuses. De fait, l’institution médicale, en matière d’AMP, fonctionne encore suivant des modalités d’origine chrétienne. Si l'Eglise demeure fermement opposé à l'AMP, il existe des acteurs du concordisme parmi les représentants de l’institution catholique. Certains prêtres plus ouverts soutiennent des couples catholiques en AMP. Au Centre Sèvres, par exemple certains jésuites comme Patrick Verspieren -jésuite, directeur du département d'éthique biomédicale des Facultés jésuites de Paris-, réfléchissent à l'AMP.
Quelles sont les positions des autres religions sur l'AMP ?
En France les autorités religieuses juives et musulmanes autorisent les inséminations artificielles avec les gamètes des deux conjoints, et l'interdisent lorsqu'il y a recours à un tiers donneur, l'anonymat faisant resurgir le spectre de l'adultère. Les autorités protestantes semblent être les plus ouvertes quant à leur position sur la possibilité du recours à l’AMP, et selon les différents courants internes l'insémination artificielle avec tiers donneur (IAD) est admise. En revanche pour toutes ces religions, cela concerne uniquement les couples hétérosexuels mariés.
Comment, d’une façon générale, les patients qui se disent croyants et pratiquants concilient-ils leur foi et leur recours à l’AMP ?
Les pratiquants que j’ai rencontrés et sans doute ceux qui franchissent le seuil d’un centre d’AMP et a fortiori d’un CECOS, dépassent pour partie les interdictions sans laisser néanmoins leur foi de côté. Bien souvent, au premier abord, les personnes m’expliquent que bien qu’étant au courant des interdits, « c’est Dieu qui décide au bout du compte ». Ces pratiquants qui cherchent à concilier le recours à ces pratiques d’AMP et leur foi, sont des « concordistes ». Les parcours d’AMP semblent ainsi être un bon révélateur des aménagements individuels contemporains de la norme religieuse. Ce qui reste au centre des motivations de ces couples recourant à l’AMP, comme pour les autres couples, c’est leur désir d’enfant.
Comment comprendre le clivage politique gauche/droite sur l'AMP?
Dans ce clivage il faut prendre en compte la part faite aux références religieuses catholiques, par certains partisans de la droite, plus ou moins consciemment. Si, en France aujourd’hui, les modèles éthiques ne sont pas configurés à partir d’une influence directe du religieux, ils restent encore travaillés par des principes de morale fondés sur des références traditionnelles et pour une part religieuses. Les partisans de la gauche prônent l’ouverture, notamment au nom des nouvelles configurations familiales qui modifient nos représentations de la famille et de la filiation. Pour autant, ils ne défendent pas un libéralisme absolu en matière d’AMP et mettent en avant la nécessité de règles éthiques en la matière.
Les médecins que vous avez rencontrés au cours de votre étude ont-ils une formation éthique, philosophique ?
Insuffisante et ils le déplorent. Depuis une quinzaine d'années seulement des cours d'éthique et de sciences sociales existent dans les facultés de médecine. Ils aimeraient être informés pour pouvoir répondre aux questions des patients. A l'hôpital Antoine-Béclère (Clamart), par exemple, une consultation éthico-religieuse a été mise en place, à l’initiative de René Frydman et de Paul Atlan, à destination de personnes qui pour des raisons religieuses refusent certains actes médicaux. Le médecin qui les reçoit essaie de démêler avec eux convictions religieuses et nécessités médicales.En France, au regard des consultations, la religion n’apparaît que très rarement et lorsque c’est le cas elle est abordée plutôt en biologie de la reproduction ou lors de la première consultation pour diagnostic sur fertilité. Les consultations d’AMP opèrent comme un filtre par rapport à cette variable de la religion. Au cours des 138 consultations que j'ai observées, le thème de la religion n’est apparu spontanément que 4 fois. La question religieuse ressurgit notamment dans les entretiens avec les psychologues, auxquels sont parfois soumis les couples au cours de leurs démarches d'AMP.
Les demandeurs d'AMP se posent-ils des questions d'ordre éthique?
D'une façon générale tous les patients en AMP ont des questionnements éthiques. Certains justement ne franchissent pas les seuils de centre d'AMP pour des raisons religieuses. D'autres croyants et pratiquants le franchissent néanmoins. Tout l'enjeu pour eux étant de réaménager ce recours à l'AMP avec leurs convictions religieuses. Dans l’évocation de ce désir, l’affectif, le sentiment amoureux, deviennent des arguments qui sont mobilisés, participant également à l’élaboration de nouvelles représentations normatives de la famille. Ces nouvelles normes participent bien sûr de la morale séculière élaborée par les acteurs de l’AMP. Cette morale, doublement centrée sur ce désir d’enfant et sur cet enfant désiré, fait appel à des référents qui valorisent l’épanouissement personnel, mais toujours dans un souci d’humanisme et circonscrits par des limites. S’ils se félicitent des progrès de la médecine, les patients rencontrés déclarent être plus que sceptiques devant tout ce qui peut porter atteinte à l’autonomie du sujet, craignant par exemple l’irruption de ce qui relèverait de l’eugénisme. On peut pourtant se demander si cette morale commune ne touche pas à des invariants existentiels, qui seraient communs à tous les hommes, issus de tous les univers, chrétiens ou non, occidentaux ou non. Pour les personnes rencontrées, il ne faut pas aller au-delà d’un certain seuil. Ce qui est ici véritablement central, c’est la représentation de l’enfant, devenu doublement enfant du désir, socialement et techniquement, et en quelque sorte sacré. Un sacré séculier certes, mais dont les représentations mobilisent pourtant des arguments similaires à ceux qui fondent les normes religieuses, en particulier chrétiennes. L’éthique dont se prévalent mes interlocuteurs repose sur cette représentation en mouvement.
Pourquoi dans certains pays limitrophes de la France la politique sur l'AMP est-elle plus libérale?
Il est vrai qu'il est surprenant que certains pays très catholiques comme la Belgique ou l'Espagne aient adoptés une politique bien plus libérale qu'en France, pays marqué par le catholicisme mais qui revendique un régime de laïcité. De fait, l’histoire politique des pays tempère l’influence des religions en matière de bioéthique : en témoigne l’exemple de l’Espagne, qui voulant se débarrasser de la dictature franquiste a manifesté un libéralisme culturel, en dépit d’une tradition très catholique, et d' une opposition très virulente de l’épiscopat. D'une façon générale les pays de traditions protestantes sont plus ouverts à l'AMP.
Comment expliquez-vous cette peur du passage de l'AMP au clonage humain?
Si les progrès en AMP présage de la possibilité technique à venir du clonage humain, cette idée est essentiellement liée à une fantasmatique sociale. Mon enquête sur le terrain montre bien que cette inquiétude n'est pas fondée. Les personnes qui ont recours à l'AMP en France, voient d'ailleurs dans la pratique de l'AMP aux Etats-Unis un contre-modèle, empreint d'eugénisme et de marchandisation, alors même que de nombreuses barrières éthiques existent également dans ce pays. En France, les questions d'argent autour de l'AMP demeurent tabous.
Assistance médicale à la procréation, éthique, religion et filiation
Propos recueillis par Lola Petit - publié le 21/02/2012
Le candidat PS souhaite que les femmes célibataires et homosexuelles accèdent à l'aide médicale à la procréation, alors que ces techniques sont aujourd'hui réservées aux couples hétérosexuels infertiles. François Bayrou, le candidat du MoDem, y est également favorable, tandis que dans un entretien accordé à l’hebdomadaire médical Le Généraliste le 11 janvier dernier, Nicolas Sarkozy s’est engagé à ne pas toucher le cadre législatif en vigueur. Rencontre avec Séverine Mathieu, chercheure au Groupe Sociétés, Religions, Laïcités dont le mémoire d’habilitation à diriger des recherches : L’enfant des possibles : Assistance médicale à la procréation, éthique, religion et filiation sera édité l'année prochaine aux éditions de l'Atelier. L’originalité de ce travail réside en ce qu’il combine une approche de sociologie des religions combinée à celle d’une sociologie de la famille mais aussi des pratiques médicales.
Quelle est la situation de l'assistance médicale à la procréation en France ? Y a-t- il une augmentation des demandes de recours à l'AMP ?
Oui, cela a partie liée avec une baisse notable de la fertilité masculine et féminine.
En France, les techniques d’AMP sont ouvertes aux seuls couples hétérosexuels, mariés ou faisant la preuve d’une durée de vie commune d’au moins deux ans. La mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation est indiquée lorsque le couple se trouve face à une infertilité médicalement constatée ou pour éviter la transmission d’une maladie grave à l’enfant ou à l’un des membres du couple. Le couple doit être en âge de procréer, et il est interdit de faire appel à une « mère porteuse » et d’avoir recours à un double don de gamètes. Actuellement en France, 500 000 couples environ consultent chaque année. En 2009 d'après l'Agence de biomédecine plus de 21 000 enfants sont nés grâce à l’assistance médicale à la procréation (AMP). Les États généraux de la bioéthique qui se sont tenus en 2009 pilotés par Jean Léonetti, député UMP et président du comité ont laissé une large place au point de vue des membres des institutions religieuses. Une table ronde avec des représentants des religions fut organisée. La Conférence des évêques de France, la Fédération protestante de France, le Centre catholique des médecins français, la Mosquée de Paris, le CRIF mais aussi l’Union rationaliste ont été consultés, en tant qu’intervenants extérieurs, et non comme représentants officiels.
Quelle est la position de l'Eglise catholique sur l'AMP ?
L’institution catholique interdit tout recours à la médecine au nom de l'ordre naturel. Un couple qui ne peut pas procréer est invité à se tourner vers l'adoption. En 1987, l’Eglise catholique, via la Congrégation pour la Doctrine de la Foi rend publique ses instructions sur « le Don de la vie ». Celles-ci rappellent que les fondements anthropologiques de la doctrine catholique sont ceux de la « loi morale naturelle », qu’il ne peut y avoir « de tiers dans la sexualité du couple autre que Dieu, vraie source de la fécondité du couple », et que « tous les procédés de fécondation avec gamètes de donneurs, ainsi que la maternité de substitution, sont moralement condamnables ». Ces instructions vont plonger dans la perplexité nombre de médecins catholiques dont Georges David, médecin et catholique pratiquant qui fonda les Centres d'Etudes et de Conservation des Oeufs et du Sperme (CECOS ). Il est ainsi intéressant de voir que les règles édictées dans les CECOS ont été produites, d’une certaine manière, avec le souci de concilier éthique professionnelle et normes religieuses. De fait, l’institution médicale, en matière d’AMP, fonctionne encore suivant des modalités d’origine chrétienne. Si l'Eglise demeure fermement opposé à l'AMP, il existe des acteurs du concordisme parmi les représentants de l’institution catholique. Certains prêtres plus ouverts soutiennent des couples catholiques en AMP. Au Centre Sèvres, par exemple certains jésuites comme Patrick Verspieren -jésuite, directeur du département d'éthique biomédicale des Facultés jésuites de Paris-, réfléchissent à l'AMP.
Quelles sont les positions des autres religions sur l'AMP ?
En France les autorités religieuses juives et musulmanes autorisent les inséminations artificielles avec les gamètes des deux conjoints, et l'interdisent lorsqu'il y a recours à un tiers donneur, l'anonymat faisant resurgir le spectre de l'adultère. Les autorités protestantes semblent être les plus ouvertes quant à leur position sur la possibilité du recours à l’AMP, et selon les différents courants internes l'insémination artificielle avec tiers donneur (IAD) est admise. En revanche pour toutes ces religions, cela concerne uniquement les couples hétérosexuels mariés.
Comment, d’une façon générale, les patients qui se disent croyants et pratiquants concilient-ils leur foi et leur recours à l’AMP ?
Les pratiquants que j’ai rencontrés et sans doute ceux qui franchissent le seuil d’un centre d’AMP et a fortiori d’un CECOS, dépassent pour partie les interdictions sans laisser néanmoins leur foi de côté. Bien souvent, au premier abord, les personnes m’expliquent que bien qu’étant au courant des interdits, « c’est Dieu qui décide au bout du compte ». Ces pratiquants qui cherchent à concilier le recours à ces pratiques d’AMP et leur foi, sont des « concordistes ». Les parcours d’AMP semblent ainsi être un bon révélateur des aménagements individuels contemporains de la norme religieuse. Ce qui reste au centre des motivations de ces couples recourant à l’AMP, comme pour les autres couples, c’est leur désir d’enfant.
Comment comprendre le clivage politique gauche/droite sur l'AMP?
Dans ce clivage il faut prendre en compte la part faite aux références religieuses catholiques, par certains partisans de la droite, plus ou moins consciemment. Si, en France aujourd’hui, les modèles éthiques ne sont pas configurés à partir d’une influence directe du religieux, ils restent encore travaillés par des principes de morale fondés sur des références traditionnelles et pour une part religieuses. Les partisans de la gauche prônent l’ouverture, notamment au nom des nouvelles configurations familiales qui modifient nos représentations de la famille et de la filiation. Pour autant, ils ne défendent pas un libéralisme absolu en matière d’AMP et mettent en avant la nécessité de règles éthiques en la matière.
Les médecins que vous avez rencontrés au cours de votre étude ont-ils une formation éthique, philosophique ?
Insuffisante et ils le déplorent. Depuis une quinzaine d'années seulement des cours d'éthique et de sciences sociales existent dans les facultés de médecine. Ils aimeraient être informés pour pouvoir répondre aux questions des patients. A l'hôpital Antoine-Béclère (Clamart), par exemple, une consultation éthico-religieuse a été mise en place, à l’initiative de René Frydman et de Paul Atlan, à destination de personnes qui pour des raisons religieuses refusent certains actes médicaux. Le médecin qui les reçoit essaie de démêler avec eux convictions religieuses et nécessités médicales.En France, au regard des consultations, la religion n’apparaît que très rarement et lorsque c’est le cas elle est abordée plutôt en biologie de la reproduction ou lors de la première consultation pour diagnostic sur fertilité. Les consultations d’AMP opèrent comme un filtre par rapport à cette variable de la religion. Au cours des 138 consultations que j'ai observées, le thème de la religion n’est apparu spontanément que 4 fois. La question religieuse ressurgit notamment dans les entretiens avec les psychologues, auxquels sont parfois soumis les couples au cours de leurs démarches d'AMP.
Les demandeurs d'AMP se posent-ils des questions d'ordre éthique?
D'une façon générale tous les patients en AMP ont des questionnements éthiques. Certains justement ne franchissent pas les seuils de centre d'AMP pour des raisons religieuses. D'autres croyants et pratiquants le franchissent néanmoins. Tout l'enjeu pour eux étant de réaménager ce recours à l'AMP avec leurs convictions religieuses. Dans l’évocation de ce désir, l’affectif, le sentiment amoureux, deviennent des arguments qui sont mobilisés, participant également à l’élaboration de nouvelles représentations normatives de la famille. Ces nouvelles normes participent bien sûr de la morale séculière élaborée par les acteurs de l’AMP. Cette morale, doublement centrée sur ce désir d’enfant et sur cet enfant désiré, fait appel à des référents qui valorisent l’épanouissement personnel, mais toujours dans un souci d’humanisme et circonscrits par des limites. S’ils se félicitent des progrès de la médecine, les patients rencontrés déclarent être plus que sceptiques devant tout ce qui peut porter atteinte à l’autonomie du sujet, craignant par exemple l’irruption de ce qui relèverait de l’eugénisme. On peut pourtant se demander si cette morale commune ne touche pas à des invariants existentiels, qui seraient communs à tous les hommes, issus de tous les univers, chrétiens ou non, occidentaux ou non. Pour les personnes rencontrées, il ne faut pas aller au-delà d’un certain seuil. Ce qui est ici véritablement central, c’est la représentation de l’enfant, devenu doublement enfant du désir, socialement et techniquement, et en quelque sorte sacré. Un sacré séculier certes, mais dont les représentations mobilisent pourtant des arguments similaires à ceux qui fondent les normes religieuses, en particulier chrétiennes. L’éthique dont se prévalent mes interlocuteurs repose sur cette représentation en mouvement.
Pourquoi dans certains pays limitrophes de la France la politique sur l'AMP est-elle plus libérale?
Il est vrai qu'il est surprenant que certains pays très catholiques comme la Belgique ou l'Espagne aient adoptés une politique bien plus libérale qu'en France, pays marqué par le catholicisme mais qui revendique un régime de laïcité. De fait, l’histoire politique des pays tempère l’influence des religions en matière de bioéthique : en témoigne l’exemple de l’Espagne, qui voulant se débarrasser de la dictature franquiste a manifesté un libéralisme culturel, en dépit d’une tradition très catholique, et d' une opposition très virulente de l’épiscopat. D'une façon générale les pays de traditions protestantes sont plus ouverts à l'AMP.
Comment expliquez-vous cette peur du passage de l'AMP au clonage humain?
Si les progrès en AMP présage de la possibilité technique à venir du clonage humain, cette idée est essentiellement liée à une fantasmatique sociale. Mon enquête sur le terrain montre bien que cette inquiétude n'est pas fondée. Les personnes qui ont recours à l'AMP en France, voient d'ailleurs dans la pratique de l'AMP aux Etats-Unis un contre-modèle, empreint d'eugénisme et de marchandisation, alors même que de nombreuses barrières éthiques existent également dans ce pays. En France, les questions d'argent autour de l'AMP demeurent tabous.
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