Forum - Religion et Médecine - forum religion et médecine
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Rappel du premier message :
1Jusqu’à une date récente et parfois encore aujourd’hui, y compris dans l’historiographie, religion et médecine sont perçues comme deux univers radicalement différents et opposés l’un à l’autre, la médecine finissant par l’emporter sur la religion. Cette représentation est d’abord construite par les hommes des Lumières qui opposent les temps nouveaux, marqués par la science et la raison, à un Ancien Régime imprégné de croyances, de préjugés et d’obscurantisme qu’il faut faire disparaître. À la fin du xixe siècle le programme semble réalisé au moment où triomphent les anticléricaux, les scientifiques et les médecins, les trois catégories se recoupant largement. Médecins triomphants et efficaces ; hôpitaux laïcisés ; recours au médecin généralisé par l’assistance ; la médecine semble avoir donné son congé à la religion dans le domaine des soins aux malades. Cette vision « progressiste », fortement enracinée dans notre inconscient, a structuré la recherche historique qui en retour a légitimé cette vision. Dès le milieu du xixe siècle, et pour longtemps, l’histoire écrite par les médecins décrit la saga héroïque de leurs devanciers luttant pour la science et contre l’obscurantisme souvent incarné par le clergé. Cette façon de présenter les choses n’est pas absente chez certains historiens contemporains et marque profondément l’histoire hospitalière. Il est peu de monographies ou de synthèses qui décrivent autre chose que le passage obligé de l’asile indifférencié de l’Ancien Régime à la machine à guérir tout entière mue par les médecins et soumise à leurs impératifs. La seule divergence réside dans la date de ce basculement. De la machine à guérir à la médicalisation, il n’y a qu’un nom, celui de Michel Foucault. Autant son hypothèse du grand enfermement fut critiquée, autant celle de la médicalisation fit l’unanimité et mieux encore. En la décrivant négativement comme une opération de contrôle et de surveillance des populations, Foucault réussit à entraîner sur le terrain de la médicalisation une nouvelle génération d’historiens allergique à la rhétorique du « progrès ». À côté de ceux qui voyaient dans la médicalisation l’avancée de la science, du progrès et du mieux être dû à la société libérale, s’ajoutaient ceux qui y décelaient une emprise totale sinon totalitaire sur les citoyens. Personne n’échappait au postulat de la médicalisation/laïcisation.
2Il n’est bien entendu pas question dans ce numéro de remettre en cause l’indéniable montée en puissance de la médecine et des médecins dans le soin et la guérison des malades, non plus que dans l’interprétation de la maladie, mais simplement de suggérer que, dans la lutte contre la maladie, médecine et religion ont été plus souvent mêlées et associées qu’affrontées.
3En reprenant ce dossier, on ne prétend pas non plus faire œuvre entièrement originale1 mais prolonger des tendances historiographiques que l’on présentera rapidement ici en signalant ce en quoi les contributions qu’on va lire nous semblent préciser, modifier, affûter les questions déjà ouvertes. Dans l’appel à communication, il était écrit que l’on souhaitait « éviter de faire à nouveau une histoire des congrégations hospitalières mais centrer le propos sur les médecins et les chirurgiens en rapport avec la religion chrétienne et également sur les prescriptions religieuses en matière de santé. »
4La première remise en cause de la vulgate exposée ci-dessus a commencé par la découverte du rôle joué par les religieuses dans la distribution des soins Dans un article pionnier, Jacques Léonard avait laissé entrevoir « les troupes abondantes et variées de bonnes sœurs et de religieuses qui s’occupent des personnes souffrantes » dans la France du xixe siècle. Même s’il faisait, en spécialiste des médecins, une large place à « la grogne des caducées » à l’égard des religieuses, il défendait la thèse selon laquelle, loin de dispenser une anti médecine, les religieuses s’étaient faites les vecteurs de la médecine et les agents des Lumières2. Les études ultérieures dans ce domaine n’ont fait que confirmer ces intuitions3. Dans les hôpitaux, les dispensaires, les communes rurales ou les quartiers ouvriers, les religieuses sont plus souvent les compléments, les substituts, les auxiliaires des médecins que leurs concurrents. Néanmoins, autant on est bien renseigné sur les sœurs, leurs congrégations, leur dévotion, autant il est difficile de saisir précisément ce que font les religieuses lorsqu’elles sont au pied du lit des malades. Travaillant sur les Filles de la Charité, Matthieu Bréjon de Lavergnée4 est, par la force des choses – et ce n’est pas un reproche –, presque aussi rapide que Claude Langlois en son temps5 sur les activités médicales des religieuses. Pour les Filles de la Charité, le service des pauvres n’occupe qu’un chapitre de 35 pages sur les 500 que compte le texte de l’ouvrage, et le service des malades moins de 15. Dans ce numéro, l’avantage d’Anne Jusseaume est double. Elle dispose des archives de « ses religieuses ». Celles-ci émanent des « Petites sœurs de l’Assomption gardes malades des pauvres à domicile », nées en 1875 dans le cadre de la dernière vague de création de congrégations pour lesquelles la garde des malades est souvent une mission privilégiée6. Grâce à cette double circonstance, elle sort de l’histoire des congrégations hospitalières, les mieux étudiées. Bien sûr, ces sources ne sont pas parfaites pour notre sujet. Elles privilégient la vie religieuse par rapport aux œuvres, les récits rares à valeur édifiante au détriment des activités quotidiennes. Elles éludent le corps des femmes soignées, restent muettes sur les gestes des religieuses. Malgré cela, l’article suggère de fortes hypothèses. Même si l’on ignore le nombre exact d’indigents de la paroisse de Grenelle, les 300 à 400 personnes prises en charge par les Petites sœurs ne constituent qu’une petite minorité. En revanche, cette congrégation ne dédaigne pas, à l’inverse de nombreuses autres, de s’occuper des femmes en couches, passant outre la répugnance de leurs consœurs d’avoir affaire à tout ce qui, de près ou de loin, touchait à la génération. Néanmoins, les sœurs ne pratiquent pas les accouchements et interviennent après celui-ci. Elles s’occupent majoritairement de tâches ménagères et spirituelles. Elles font le ménage, la cuisine, mais tentent de profiter de cette présence pour pousser les couples de fait au mariage, pour ramener la foi dans les familles par les femmes, pour tenter de convertir quelques protestantes. Au total, elles complètent l’action des sages femmes plus qu’elles ne la contredisent, y compris sur le plan sanitaire. Comme elles7, elles sont de parfaits intermédiaires culturels : femmes comme les accouchées, sans doute issue des mêmes milieux modestes, elles sont de plain pied avec celles qu’elles visitent et font d’autant mieux passer les messages sanitaires en faveur de l’allaitement maternel ou de l’hygiène des seins.
5La présence des confessions religieuses est aussi manifeste dans le domaine hospitalier. Malgré l’évidence de l’existence d’hôpitaux confessionnels, le thème n’a été que récemment abordé. Dans le cadre d’une histoire de la psychiatrie très dynamique, les chercheurs ont bien fait apparaître le rôle des ordres ou congrégations dans la création des asiles d’aliénés. Outre celles de l’ordre de Saint-Jean de Dieu, déjà spécialisé dans le traitement des insensés dès l’Ancien Régime, les ouvertures d’asiles d’aliénés et leur gestion par les sœurs de Sainte-Marie de l’Assomption de Clermont-Ferrand, celle de Saint-Joseph de Bourg ont été largement étudiées8. Sans compter les asiles de vieillards tenus par des congrégations comme les Petites sœurs des pauvres qui mériteraient des études, les hôpitaux confessionnels ouverts aux malades ne font l’objet que d’une attention récente. Cet intérêt est d’abord venu dans le prolongement des études sur la laïcité et l’on ne s’étonne pas que Jacqueline Lalouette soit l’auteur du premier article scientifique sur les hôpitaux catholiques qui naissent à la fin du xixe siècle9. Peu de temps après, et tout récemment, la curiosité s’est étendue aux historiens du médical qui y ont englobé les infirmeries protestantes10. L’article d’Emmanuel Jaussoin, tiré d’un mémoire de master pionnier, se trouve au confluent de ces deux regards. Il montre que l’Infirmerie protestante de Lyon émane, comme les hôpitaux catholiques plus tard, d’une méfiance pour les hôpitaux publics jugés trop catholiques, comme ceux de la Troisième République paraîtront plus tard trop laïques aux catholiques. Pourtant, cette création, comme celle des autres hôpitaux confessionnels, ne peut se réduire à une dimension défensive. L’hôpital catholique ou protestant est une façon d’affirmer l’identité de la communauté, de la renforcer, mais aussi un moyen de prouver à l’extérieur son efficacité ou sa modernité, in fine dans l’espoir secret de faire des convertis.
6La présence des religions sur le terrain des soins a été aussi analysée en termes de marché. Dans la brillante et très vaste synthèse qu’ils ont consacrée au monde médical de la France moderne (au sens français)11, Laurence Brockliss et Colin Jones ne consacrent aucun chapitre à la question des relations entre la médecine et la religion mais cette dernière est omniprésente. Néanmoins, et de façon assez significative, il en est surtout question dans un chapitre intitulé « la pénombre médicale » où le clergé et le mouvement dévot apparaissent aux côtés des « charlatans », des femmes et du galénisme populaire. Le clergé revient en force dans le chapitre sur « l’entreprenariat médical des Lumières ». Les auteurs soulignent le rôle que jouent des membres du clergé sur le marché médical, surtout comme producteurs, mais aussi parfois comme consommateurs. Du côté de l’offre, le clergé privilégie la fabrication de remèdes, même si l’on connaît quelques ecclésiastiques réputés dans le domaine de la lithotomie, comme le frère Jacques (1651-1714), célèbre à la cour de Louis xiv. À côté de la célèbre eau de mélisse des carmes déchaussés12, et parmi une multitude d’autres, on ne résistera pas au plaisir de citer l’eau spiritueuse de Jéricho et l’eau philosophique d’Osiris du jacobin Dominique Plantin et les remèdes prétendument issus de l’époque des pharaons rapportés d’Égypte par les pères capucins Rousseau et Aignan. Malgré leurs vertus qui nous paraissent improbables, ces remèdes ont du succès : l’eau de Mélisse rapporte vers 1760 20 000 livres par an à l’ordre ; les cordeliers d’Alise Sainte-Reine (Bourgogne) auraient vendu, rien qu’à Paris, 20 000 bouteilles de leur eau minérale dans la première décennie du xviiie siècle.
7La production cléricale dans le domaine de la pharmacie et des « produits hygiéniques » continue auxixe siècle et prend parfois une forme industrielle. Dans le Silence des moines, Bernard Delpal a très bien retracé l’épopée du chocolat des trappistes d’Aiguebelle, un produit de santé autant qu’une gourmandise13. Dans la version dactylographiée de sa thèse, le même auteur signale que cette fabrication prend la suite de toute une série de tentatives malheureuses orientées vers la santé. Elles consistaient à élever des sangsues, à distiller des plantes, à fabriquer les gouttes anti apoplectiques du père Ephrem de Carrière, ou le produit vétérinaire « le trésor de la ferme », à distribuer l’inusable eau de mélisse des carmes14. Il serait sans doute important de traquer ces pratiques dans d’autres ordres religieux (on songe aux différentes liqueurs des chartreux, des bénédictins, à la Jouvence de l’abbé Soury) et d’en analyser les raisons. Économiques d’abord comme dans le cas des trappistes en proie à des difficultés financières, les motivations peuvent être le souci d’améliorer la santé, de diffuser le bien être et de rester présent dans l’arène sociale. On regrette à cet égard n’avoir pu accueillir une contribution d’Emilie-Anne Pépy, auteur d’une thèse remarquée sur la Grande Chartreuse15, qui aurait pu nous éclairer sur les liqueurs médicinales des chartreux. On devrait aussi mesurer le rôle et les motivations des ecclésiastiques dans les demandes de reconnaissance des remèdes secrets.
8On sait aussi que, depuis fort longtemps, les couvents avaient leur médecin, leur apothicaire et leur jardin médicinal. On trouve parfois d’autres traces qui confirment cette « consommation médicale. Ainsi lorsqu’il cite ceux qui ont bien voulu témoigner des vertus de sa poudre purgative, Jean Aillaud y compte près de 30 % de membres du clergé16. Tout récemment, Gwénaël Murphy a montré l’importance de la consommation médicamenteuse du couvent des religieuses fontevristes de Lencloître (Vienne) à la veille de la Révolution. Déjà en 1729 entre 5 et 10 % des dépenses des couvents du diocèse de Poitiers étaient consacrées aux « médecins et chirurgiens ». À Lencloître entre 1786 et 1790, le poste atteint 12 % des dépenses. Parmi celles-ci, les médicaments se taillent la part du lion (67 % des dépenses médicales). Régulièrement visitées par le chirurgien Lafond, les religieuses sont de grandes consommatrices de saignées et de sangsues. Elles ne négligent pas les remèdes divers au premier rang desquels viennent les calmants et somnifères suivis par les fébrifuges et les produits censés combattre les incommodités digestives. On est donc loin du schéma selon lequel les religieuses auraient négligé leur corps. Certes, le traitement de ce dernier a des fins largement religieuses. La priorité est donnée au combat contre l’insomnie, produit du dérangement des esprits incompatible avec la vie religieuse17.
9Il serait pourtant réducteur de considérer les membres du clergé comme de simples et banals acteurs parmi d’autres d’un marché médical en croissance. On arrive ici au cœur du projet de ce numéro qui voulait se centrer sur les médecins et les chirurgiens dans leur rapport avec la religion chrétienne mais également sur les prescriptions religieuses en matière médicale.
10Dans l’historiographie, il y a déjà bien longtemps que le vieil adage médiéval « ubi tres medici, ibi duo athei » (là où il y a trois médecins, il y a deux athées18) n’a plus cours. Dans le domaine francophone, Pierre Guillaume19 a redonné leur place aux médecins chrétiens et rendu compte de leur importance, faisant justice de l’idée reçue selon laquelle tous les médecins du xixesiècle français auraient été des anticléricaux. Plus encore, des travaux anglo-saxons ont remis en cause l’incompatibilité entre la religion catholique et la médecine d’observation, mettant à jour l’existence d’un Enlightenment catholique particulièrement bien représenté chez les médecins20 parmi lesquels on comptait plus de personnes pieuses que de disciples de Julien Offray de la Mettrie (1709-1751), l’immortel auteur de l’Homme machine.
11Cette compatibilité pendant la période même de l’affrontement supposé s’explique en grande partie par ce qui existait auparavant. Si les clercs ne devaient plus verser le sang et renoncer à la chirurgie depuis le concile de Latran de 1215, leur intérêt pour la médecine ne s’est pas démenti et connaît un regain de faveur à l’aube de la période moderne. Comme le montre Elisa Andretta, les conclaves deviennent des « lieux de médecine21 ». Enfermés pour un temps qui peut être long dans une atmosphère étouffante, menacés par des épidémies, soumis à un régime alimentaire spartiate, souvent âgés et infirmes, les cardinaux exigent une assistance médicale. Jusqu’au milieu du xvie siècle, ils sont accompagnés de leurs médecins personnels mais ceux-ci, suspects de jouer le rôle de conseillers occultes et de peser sur les élections, sont peu à peu remplacés par des médecins officiels chargés de la santé de tous les cardinaux. Il n’empêche que ces médecins tentent de jouer un rôle politique prônant par exemple un vote rapide pour échapper aux mauvaises conditions d’hygiène. Les cardinaux savent aussi jouer de leur maladie à l’image de Giovanni de Medicis qui la met en scène pour dissiper les craintes d’un pontificat trop long et se faire élire sous le nom de Léon X. À des niveaux plus quotidiens, la pastorale post tridentine très centrée sur le modèle du Christ met l’accent sur le secours aux pauvres et donc aux malades.
12À lire le texte de Cécile Floury-Buchalin22 on a d’abord le sentiment d’une indifférence totale des religieux à la médecine. Les auteurs qu’elle cite tiennent au premier abord un discours attendu. Ils exaltent la maladie et la souffrance comme moyen d’arriver à Dieu, de se rapprocher du Christ. Ils prêchent donc l’indifférence aux maux, la résistance à la douleur. Pourtant, s’il est d’abord un ennemi, le corps est aussi le temple du Saint-Esprit qu’il faut conserver et la religion vient donc légitimer la médecine qui se propose de réparer ce temple. Aussi, et c’est tout l’intérêt de l’article, les deux mondes ne sont pas indifférents. Les médecins puisent dans le message de résignation de l’Église pour persuader leurs malades d’endurer leurs traitements douloureux et d’avaler leurs préparations infectes. Comme le dit très bien l’auteur, « remèdes spirituels et remèdes temporels se pensent en miroir » et « la santé et le salut procèdent de vertus semblables ». À la limite on ne sait plus qui inspire qui, lorsque l’on établit des parallèles entre la confession et la purgation, entre l’Eucharistie et les aliments favorables à la santé, entre « les régimes préservatifs » de l’âme et la modération des comportements physiques. Est-ce la médecine qui sert aux théologiens pour ordonner leur propos ou bien serait ce l’inverse ? Quoi qu’il en soit on aurait ici une version catholique de la métaphore organiciste.
13L’article consacré par Guillaume Garnier au sommeil et au rêve montre la pérennité des discours convergents. Sauf de rares exceptions, comme le très intéressant vétérinaire Philibert Chabert (1737-1814) au moment de la Révolution, médecins et religieux émettent les mêmes prescriptions en matière de durée de sommeil et de position du dormeur. La nuit est faite pour le sommeil et le jour pour l’activité, que l’on invoque l’ordre voulu par Dieu ou la physiologie (la baisse de la lumière apaise le système nerveux et dispose au sommeil). La durée du sommeil est liée à l’âge et au genre des individus et non à leur activité. Les enfants, les vieillards et les femmes sont réputés faibles et doivent dormir beaucoup, les hommes adultes peu, en tout cas jamais plus de huit heures et jamais après 8 h. Pour les médecins et les ecclésiastiques, il faut dormir sur le côté, de préférence le droit, jamais sur le ventre mais pas non plus sur le dos. Comme on le sait, surtout au xixe siècle, les médecins sont encore plus obsédés par la masturbation que le clergé. Un autre modèle du sommeil apparaît au milieu du xixe siècle. Il fait plus de place à l’activité du jour précédent pour déterminer la durée du sommeil.
14Dans les deux cas, se pose bien sûr la question du respect de ces prescriptions conjointes. Déjà, dans l’Imitation de Jésus Christ, il était noté que « la maladie rend fort peu d’hommes meilleurs. » Dès le xviie siècle, les médecins signalent l’impatience des malades qui veulent changer de remèdes à tout bout de champ et imposent aux praticiens de leur céder en proposant des remèdes plus agréables comme les bains. Tout ceci corrobore les premiers résultats des études menés sur les préoccupations de santé à partir des écrits du for privé23. La collaboration, voire la collusion, de la religion et de la médecine n’est pas propre à l’Ancien Régime et au début du xixe siècle. Hervé Guillemain montre très bien que, tout au long de la période contemporaine, et jusqu’aux années 1970, l’Église et la psychiatrie ont lutté de concert contre les délires d’ensorcellement. Si « le savoir médical s’étend sur un ensemble de comportements religieux et de discours croyants considérés comme pathologiques », l’Église recoure volontiers aux arguments médicaux pour les cas de possession et de stigmates et contribue à médicaliser le champ des croyances pour mieux contrôler les dévotions populaires.
15Même si la chose aurait pu menacer la cohérence de ce numéro, on aurait voulu élargir la réflexion à d’autres espaces et à d’autres religions que les confessions chrétiennes de l’Europe occidentale. Faute d’avoir pu le faire, deux articles suggèrent très imparfaitement un dépassement possible de la seule question des relations entre la médecine et le christianisme. Totalement enracinée dans la science de son temps, tant elle est fondée sur l’observation, l’homéopathie développe des stratégies puisées dans le registre religieux lorsque ses arguments scientifiques sont majoritairement récusés. Hahnemann devient un messie objet d’un culte rendu par des disciples qui ne négligent ni les conversions ni les croisades non plus que les excommunications mutuelles et les dérives sectaires. Néanmoins, ces emprunts ne sont pas de pure forme. Certes, il ne s’agit pas là du catholicisme mais plutôt d’une religion médicale inspirée par un déisme fortement marqué par la franc-maçonnerie. Aussi, si elle attire des médecins catholiques, l’homéopathie séduit nombre de saint-simoniens qui mêlent intimement visions scientifiques et religieuses. Au-delà du cercle des convertis, le débat sur l’homéopathie transfère dans le monde médical les notions religieuses d’orthodoxie et d’hétérodoxie que chaque camp emploie à son avantage. C’est aussi l’entrée du religieux dans le monde médical que signale Hervé Guillemain qui conclut son article par cette formule : « en se faisant missionnaire contre les superstitions, la médecine traduit non son caractère laïque mais plutôt sa dimension cléricale ».
16On dit volontiers que la médecine et la santé sont devenues la religion du monde moderne et que des rituels hygiéniques ont remplacé des gestes religieux. On entrevoit mieux ici tout ce que la médecine aurait pu emprunter aux univers religieux, à tel point que l’on pourrait hasarder que, tout autant que la patrie, elle a pu être une bénéficiaire des processus de transfert de sacralité décrits dans le domaine politique24.
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Notes
1 Dans son deuxième numéro (automne 2012) consacré aux Remèdes la toute nouvelle revue Histoire, médecine et santé (Framespa éditions méridiennes Université Toulouse le Mirail http//w3Framespa.univ-tlse2fr/boutique/spip/) accueille deux articles (sur 5) consacrés aux relations entre le clergé et les médicaments ; à signaler aussi Fabienne Henryot, « Savoirs et savoir-faire pharmaceutiques au collège des jésuites de Pont-à-Mousson au xviiie siècle », Annales de l’Est, 2011, N° 1, « La prise en charge des malades du Moyen Âge à nos jours », p. 69-93.
2 Jacques Léonard « Médecine, femmes et religion : ces femmes qui soignent au xixe siècle », Annales ESC, 1977, n° 5, p. 887-907. Repris dans Médecins, malades et sociétés au xixe siècle, Paris, Science en situation, 1992.
3 Olivier Faure, « Les religieuses hospitalières en France entre médecine et religion », in Isabelle von Bueltzingsloewen, Denis Pelletier (dir.) La charité en pratique ; chrétiens français et allemands sur le terrain social (xixe–xxe siècles), Strasbourg, Presses universitaires, 2007, p. 53-64 ; « Les religieuses dans les peits hôpitaux en France au xixe siècle », in Jacqueline Lalouette et alii (dir.) L’hôpital entre religions et laïcité du Moyen-Âge à nos jours, paris, Letouzey et Ané, 2006, p. 59-72.
4 Matthieu Brejon de Lavergnée, Histoire des Filles de la Charité (xviie-xviiiesiècles), Paris, Fayard, 2011.
5 Claude Langlois, Le catholicisme au féminin : les congrégations féminines à supérieure générale en France au xixe siècle, Paris, Cerf, 1984.
6 Claude Langlois. « Congrégations et professionnalisation : les gardes malades à domicile », in Claude Langlois (dir.) Catholicisme, religieuses et société : le temps des bonnes sœurs, Paris, Desclée de Brouwer, 2011.
7 Olivier Faure, « Les sages-femmes en France au xixe siècle : médiatrices de la nouveauté », in Patrice Bourdelais, Olivier Faure (dir.), Les nouvelles pratiques de santé (xviiie-xxe siècles), Paris, Belin, 2005, p. 157-174.
8 Hervé Guillemain, Diriger les consciences, guérir les âmes : une histoire comparée des pratiques thérapeutiques et religieuses (1830-1939), Paris, La Découverte, 2006, p. 15-44. Olivier Bonnet, « Servir Dieu, servir les fous : les religieuses dans les asiles d’aliénés au xixe siècle », in Olivier Faure, Bernard Delpal (dir.), Religion et enfermement (xviie-xxe siècles), Rennes, PUR, 2005, p. 131-152.
9 Jacqueline Lalouette, « L’hôpital libre et chrétien : une réponse catholique à la Laïcisation des hôpitaux de l’assistance publique »in id.et alii (dir.), L’hôpital entre religions…, op. cit., p. 117-134.
10 Olivier Faure (avec la collaboration de Dominique Dessertine), Les cliniques privées : deux siècles de succès, Rennes, PUR, 2012, p. 43-64.
11 Laurence Brockliss, Colin Jones, The medical word of early modern France, Oxford, Oxford university press, 960 p.
12 Sur laquelle revient Gilles Sinicropi, « Rendre service aux malades. Les Carmes déchaux et la pratique médicale xviie-xviiie siècles », Histoire, médecine et santé, 2012, n° 2, p. 21‑32.
13 Bernard Delpal, Le Silence des moines : les trappistes au xixesiècle : France et Algérie, Syrie, Paris, Beauchesne, 1998, p. 332-342.
14 Id., Être trappiste au xixe siècle : Aiguebelle et sa filiation, thèse d’État, université Paris IV, 1994, 2 vol. dactyl, p 525. Note 1.
15 Emilie-Anne Pepy, Le territoire de la Grande Chartreuse : montagne sacrée, montagne profane, Grenoble, PUG, 2011.
16 Laurence Brockliss, Colin Jones, The medical world…, op. cit., p. 257-258 ; 637 ; 653 ; 656-658.
17 Gwénaël Murphy, « Religieuses et médicaments au xviiiesiècle », Histoire médecine et santé, 2012, n° 2, p. 33-44.
18 Andrew Cunningham, « Where there are three physicians there are two atheists », in Ole Peter Grell, Andrew Cunningham (dir.) Medicine and religion in Enlightenment Europe, Aldershot, Ashgate, 2007, p. 1.
19 Pierre Guillaume, Médecins Église et foi (xixe-xxe siècles), Paris, Aubier, 1990.
20 Laurence Brockliss, « Medicine Enlightenment and Christianity in eighteenth century France » in Ole Peter Grell, Andrew Cunningham, Medicine and religion, op. cit., p. 101‑119.
21 Selon la définition de Sandra Cavallo et David Gentilcore « Spaces, objects and identities in early modern italian medicine », Renaissance studies, 2007, n° 4.
22 Le corps malade entre pléthore et corruption : écrits médicaux et écrits religieux au xviiesiècle, thèse, université Lyon III, déc. 2010. Résumé dans Les Carnets du LARHRA, 2012, n° 1, p. 169-180.
23 Jean-François Viaud, Le malade et la médecine sous l’Ancien Régime : soins et préoccupations de santé en Aquitaine (xvie- xviiie), Bordeaux, Fédération historique du Sud–Ouest, 2011.
24 Mona Ozouf, La fête révolutionnaire (1789-1799), Paris, Gallimard, 1976.
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Pour citer cet article
Référence papier
Olivier Faure, « Médecine et religion : le rapprochement
de deux univers longtemps affrontés », Chrétiens et sociétés, 19 | 2012, 7-17.
Référence électronique
Olivier Faure, « Médecine et religion : le rapprochement
de deux univers longtemps affrontés », Chrétiens et sociétés [En ligne], 19 | 2012, mis en ligne le 11 juin 2013, consulté le 04 juin 2016. URL : http://chretienssocietes.revues.org/3318
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Auteur
Olivier Faure
RESEA – LARHRA, UMR 5190, Lyon 3
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1Jusqu’à une date récente et parfois encore aujourd’hui, y compris dans l’historiographie, religion et médecine sont perçues comme deux univers radicalement différents et opposés l’un à l’autre, la médecine finissant par l’emporter sur la religion. Cette représentation est d’abord construite par les hommes des Lumières qui opposent les temps nouveaux, marqués par la science et la raison, à un Ancien Régime imprégné de croyances, de préjugés et d’obscurantisme qu’il faut faire disparaître. À la fin du xixe siècle le programme semble réalisé au moment où triomphent les anticléricaux, les scientifiques et les médecins, les trois catégories se recoupant largement. Médecins triomphants et efficaces ; hôpitaux laïcisés ; recours au médecin généralisé par l’assistance ; la médecine semble avoir donné son congé à la religion dans le domaine des soins aux malades. Cette vision « progressiste », fortement enracinée dans notre inconscient, a structuré la recherche historique qui en retour a légitimé cette vision. Dès le milieu du xixe siècle, et pour longtemps, l’histoire écrite par les médecins décrit la saga héroïque de leurs devanciers luttant pour la science et contre l’obscurantisme souvent incarné par le clergé. Cette façon de présenter les choses n’est pas absente chez certains historiens contemporains et marque profondément l’histoire hospitalière. Il est peu de monographies ou de synthèses qui décrivent autre chose que le passage obligé de l’asile indifférencié de l’Ancien Régime à la machine à guérir tout entière mue par les médecins et soumise à leurs impératifs. La seule divergence réside dans la date de ce basculement. De la machine à guérir à la médicalisation, il n’y a qu’un nom, celui de Michel Foucault. Autant son hypothèse du grand enfermement fut critiquée, autant celle de la médicalisation fit l’unanimité et mieux encore. En la décrivant négativement comme une opération de contrôle et de surveillance des populations, Foucault réussit à entraîner sur le terrain de la médicalisation une nouvelle génération d’historiens allergique à la rhétorique du « progrès ». À côté de ceux qui voyaient dans la médicalisation l’avancée de la science, du progrès et du mieux être dû à la société libérale, s’ajoutaient ceux qui y décelaient une emprise totale sinon totalitaire sur les citoyens. Personne n’échappait au postulat de la médicalisation/laïcisation.
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4La première remise en cause de la vulgate exposée ci-dessus a commencé par la découverte du rôle joué par les religieuses dans la distribution des soins Dans un article pionnier, Jacques Léonard avait laissé entrevoir « les troupes abondantes et variées de bonnes sœurs et de religieuses qui s’occupent des personnes souffrantes » dans la France du xixe siècle. Même s’il faisait, en spécialiste des médecins, une large place à « la grogne des caducées » à l’égard des religieuses, il défendait la thèse selon laquelle, loin de dispenser une anti médecine, les religieuses s’étaient faites les vecteurs de la médecine et les agents des Lumières2. Les études ultérieures dans ce domaine n’ont fait que confirmer ces intuitions3. Dans les hôpitaux, les dispensaires, les communes rurales ou les quartiers ouvriers, les religieuses sont plus souvent les compléments, les substituts, les auxiliaires des médecins que leurs concurrents. Néanmoins, autant on est bien renseigné sur les sœurs, leurs congrégations, leur dévotion, autant il est difficile de saisir précisément ce que font les religieuses lorsqu’elles sont au pied du lit des malades. Travaillant sur les Filles de la Charité, Matthieu Bréjon de Lavergnée4 est, par la force des choses – et ce n’est pas un reproche –, presque aussi rapide que Claude Langlois en son temps5 sur les activités médicales des religieuses. Pour les Filles de la Charité, le service des pauvres n’occupe qu’un chapitre de 35 pages sur les 500 que compte le texte de l’ouvrage, et le service des malades moins de 15. Dans ce numéro, l’avantage d’Anne Jusseaume est double. Elle dispose des archives de « ses religieuses ». Celles-ci émanent des « Petites sœurs de l’Assomption gardes malades des pauvres à domicile », nées en 1875 dans le cadre de la dernière vague de création de congrégations pour lesquelles la garde des malades est souvent une mission privilégiée6. Grâce à cette double circonstance, elle sort de l’histoire des congrégations hospitalières, les mieux étudiées. Bien sûr, ces sources ne sont pas parfaites pour notre sujet. Elles privilégient la vie religieuse par rapport aux œuvres, les récits rares à valeur édifiante au détriment des activités quotidiennes. Elles éludent le corps des femmes soignées, restent muettes sur les gestes des religieuses. Malgré cela, l’article suggère de fortes hypothèses. Même si l’on ignore le nombre exact d’indigents de la paroisse de Grenelle, les 300 à 400 personnes prises en charge par les Petites sœurs ne constituent qu’une petite minorité. En revanche, cette congrégation ne dédaigne pas, à l’inverse de nombreuses autres, de s’occuper des femmes en couches, passant outre la répugnance de leurs consœurs d’avoir affaire à tout ce qui, de près ou de loin, touchait à la génération. Néanmoins, les sœurs ne pratiquent pas les accouchements et interviennent après celui-ci. Elles s’occupent majoritairement de tâches ménagères et spirituelles. Elles font le ménage, la cuisine, mais tentent de profiter de cette présence pour pousser les couples de fait au mariage, pour ramener la foi dans les familles par les femmes, pour tenter de convertir quelques protestantes. Au total, elles complètent l’action des sages femmes plus qu’elles ne la contredisent, y compris sur le plan sanitaire. Comme elles7, elles sont de parfaits intermédiaires culturels : femmes comme les accouchées, sans doute issue des mêmes milieux modestes, elles sont de plain pied avec celles qu’elles visitent et font d’autant mieux passer les messages sanitaires en faveur de l’allaitement maternel ou de l’hygiène des seins.
- 8 Hervé Guillemain, Diriger les consciences, guérir les âmes : une histoire comparée des pratiques th (...)
- 9 Jacqueline Lalouette, « L’hôpital libre et chrétien : une réponse catholique à la Laïcisation des h (...)
- 10 Olivier Faure (avec la collaboration de Dominique Dessertine), Les cliniques privées : deux siècles (...)
5La présence des confessions religieuses est aussi manifeste dans le domaine hospitalier. Malgré l’évidence de l’existence d’hôpitaux confessionnels, le thème n’a été que récemment abordé. Dans le cadre d’une histoire de la psychiatrie très dynamique, les chercheurs ont bien fait apparaître le rôle des ordres ou congrégations dans la création des asiles d’aliénés. Outre celles de l’ordre de Saint-Jean de Dieu, déjà spécialisé dans le traitement des insensés dès l’Ancien Régime, les ouvertures d’asiles d’aliénés et leur gestion par les sœurs de Sainte-Marie de l’Assomption de Clermont-Ferrand, celle de Saint-Joseph de Bourg ont été largement étudiées8. Sans compter les asiles de vieillards tenus par des congrégations comme les Petites sœurs des pauvres qui mériteraient des études, les hôpitaux confessionnels ouverts aux malades ne font l’objet que d’une attention récente. Cet intérêt est d’abord venu dans le prolongement des études sur la laïcité et l’on ne s’étonne pas que Jacqueline Lalouette soit l’auteur du premier article scientifique sur les hôpitaux catholiques qui naissent à la fin du xixe siècle9. Peu de temps après, et tout récemment, la curiosité s’est étendue aux historiens du médical qui y ont englobé les infirmeries protestantes10. L’article d’Emmanuel Jaussoin, tiré d’un mémoire de master pionnier, se trouve au confluent de ces deux regards. Il montre que l’Infirmerie protestante de Lyon émane, comme les hôpitaux catholiques plus tard, d’une méfiance pour les hôpitaux publics jugés trop catholiques, comme ceux de la Troisième République paraîtront plus tard trop laïques aux catholiques. Pourtant, cette création, comme celle des autres hôpitaux confessionnels, ne peut se réduire à une dimension défensive. L’hôpital catholique ou protestant est une façon d’affirmer l’identité de la communauté, de la renforcer, mais aussi un moyen de prouver à l’extérieur son efficacité ou sa modernité, in fine dans l’espoir secret de faire des convertis.
- 11 Laurence Brockliss, Colin Jones, The medical word of early modern France, Oxford, Oxford university (...)
- 12 Sur laquelle revient Gilles Sinicropi, « Rendre service aux malades. Les Carmes déchaux et la prati (...)
6La présence des religions sur le terrain des soins a été aussi analysée en termes de marché. Dans la brillante et très vaste synthèse qu’ils ont consacrée au monde médical de la France moderne (au sens français)11, Laurence Brockliss et Colin Jones ne consacrent aucun chapitre à la question des relations entre la médecine et la religion mais cette dernière est omniprésente. Néanmoins, et de façon assez significative, il en est surtout question dans un chapitre intitulé « la pénombre médicale » où le clergé et le mouvement dévot apparaissent aux côtés des « charlatans », des femmes et du galénisme populaire. Le clergé revient en force dans le chapitre sur « l’entreprenariat médical des Lumières ». Les auteurs soulignent le rôle que jouent des membres du clergé sur le marché médical, surtout comme producteurs, mais aussi parfois comme consommateurs. Du côté de l’offre, le clergé privilégie la fabrication de remèdes, même si l’on connaît quelques ecclésiastiques réputés dans le domaine de la lithotomie, comme le frère Jacques (1651-1714), célèbre à la cour de Louis xiv. À côté de la célèbre eau de mélisse des carmes déchaussés12, et parmi une multitude d’autres, on ne résistera pas au plaisir de citer l’eau spiritueuse de Jéricho et l’eau philosophique d’Osiris du jacobin Dominique Plantin et les remèdes prétendument issus de l’époque des pharaons rapportés d’Égypte par les pères capucins Rousseau et Aignan. Malgré leurs vertus qui nous paraissent improbables, ces remèdes ont du succès : l’eau de Mélisse rapporte vers 1760 20 000 livres par an à l’ordre ; les cordeliers d’Alise Sainte-Reine (Bourgogne) auraient vendu, rien qu’à Paris, 20 000 bouteilles de leur eau minérale dans la première décennie du xviiie siècle.
- 13 Bernard Delpal, Le Silence des moines : les trappistes au xixesiècle : France et Algérie, Syrie, Pa (...)
- 14 Id., Être trappiste au xixe siècle : Aiguebelle et sa filiation, thèse d’État, université Paris IV, (...)
- 15 Emilie-Anne Pepy, Le territoire de la Grande Chartreuse : montagne sacrée, montagne profane, Grenob (...)
7La production cléricale dans le domaine de la pharmacie et des « produits hygiéniques » continue auxixe siècle et prend parfois une forme industrielle. Dans le Silence des moines, Bernard Delpal a très bien retracé l’épopée du chocolat des trappistes d’Aiguebelle, un produit de santé autant qu’une gourmandise13. Dans la version dactylographiée de sa thèse, le même auteur signale que cette fabrication prend la suite de toute une série de tentatives malheureuses orientées vers la santé. Elles consistaient à élever des sangsues, à distiller des plantes, à fabriquer les gouttes anti apoplectiques du père Ephrem de Carrière, ou le produit vétérinaire « le trésor de la ferme », à distribuer l’inusable eau de mélisse des carmes14. Il serait sans doute important de traquer ces pratiques dans d’autres ordres religieux (on songe aux différentes liqueurs des chartreux, des bénédictins, à la Jouvence de l’abbé Soury) et d’en analyser les raisons. Économiques d’abord comme dans le cas des trappistes en proie à des difficultés financières, les motivations peuvent être le souci d’améliorer la santé, de diffuser le bien être et de rester présent dans l’arène sociale. On regrette à cet égard n’avoir pu accueillir une contribution d’Emilie-Anne Pépy, auteur d’une thèse remarquée sur la Grande Chartreuse15, qui aurait pu nous éclairer sur les liqueurs médicinales des chartreux. On devrait aussi mesurer le rôle et les motivations des ecclésiastiques dans les demandes de reconnaissance des remèdes secrets.
- 16 Laurence Brockliss, Colin Jones, The medical world…, op. cit., p. 257-258 ; 637 ; 653 ; 656-658.
- 17 Gwénaël Murphy, « Religieuses et médicaments au xviiiesiècle », Histoire médecine et santé, 2012, (...)
8On sait aussi que, depuis fort longtemps, les couvents avaient leur médecin, leur apothicaire et leur jardin médicinal. On trouve parfois d’autres traces qui confirment cette « consommation médicale. Ainsi lorsqu’il cite ceux qui ont bien voulu témoigner des vertus de sa poudre purgative, Jean Aillaud y compte près de 30 % de membres du clergé16. Tout récemment, Gwénaël Murphy a montré l’importance de la consommation médicamenteuse du couvent des religieuses fontevristes de Lencloître (Vienne) à la veille de la Révolution. Déjà en 1729 entre 5 et 10 % des dépenses des couvents du diocèse de Poitiers étaient consacrées aux « médecins et chirurgiens ». À Lencloître entre 1786 et 1790, le poste atteint 12 % des dépenses. Parmi celles-ci, les médicaments se taillent la part du lion (67 % des dépenses médicales). Régulièrement visitées par le chirurgien Lafond, les religieuses sont de grandes consommatrices de saignées et de sangsues. Elles ne négligent pas les remèdes divers au premier rang desquels viennent les calmants et somnifères suivis par les fébrifuges et les produits censés combattre les incommodités digestives. On est donc loin du schéma selon lequel les religieuses auraient négligé leur corps. Certes, le traitement de ce dernier a des fins largement religieuses. La priorité est donnée au combat contre l’insomnie, produit du dérangement des esprits incompatible avec la vie religieuse17.
9Il serait pourtant réducteur de considérer les membres du clergé comme de simples et banals acteurs parmi d’autres d’un marché médical en croissance. On arrive ici au cœur du projet de ce numéro qui voulait se centrer sur les médecins et les chirurgiens dans leur rapport avec la religion chrétienne mais également sur les prescriptions religieuses en matière médicale.
- 18 Andrew Cunningham, « Where there are three physicians there are two atheists », in Ole Peter Grell, (...)
- 19 Pierre Guillaume, Médecins Église et foi (xixe-xxe siècles), Paris, Aubier, 1990.
- 20 Laurence Brockliss, « Medicine Enlightenment and Christianity in eighteenth century France » in Ole (...)
10Dans l’historiographie, il y a déjà bien longtemps que le vieil adage médiéval « ubi tres medici, ibi duo athei » (là où il y a trois médecins, il y a deux athées18) n’a plus cours. Dans le domaine francophone, Pierre Guillaume19 a redonné leur place aux médecins chrétiens et rendu compte de leur importance, faisant justice de l’idée reçue selon laquelle tous les médecins du xixesiècle français auraient été des anticléricaux. Plus encore, des travaux anglo-saxons ont remis en cause l’incompatibilité entre la religion catholique et la médecine d’observation, mettant à jour l’existence d’un Enlightenment catholique particulièrement bien représenté chez les médecins20 parmi lesquels on comptait plus de personnes pieuses que de disciples de Julien Offray de la Mettrie (1709-1751), l’immortel auteur de l’Homme machine.
- 21 Selon la définition de Sandra Cavallo et David Gentilcore « Spaces, objects and identities in early (...)
11Cette compatibilité pendant la période même de l’affrontement supposé s’explique en grande partie par ce qui existait auparavant. Si les clercs ne devaient plus verser le sang et renoncer à la chirurgie depuis le concile de Latran de 1215, leur intérêt pour la médecine ne s’est pas démenti et connaît un regain de faveur à l’aube de la période moderne. Comme le montre Elisa Andretta, les conclaves deviennent des « lieux de médecine21 ». Enfermés pour un temps qui peut être long dans une atmosphère étouffante, menacés par des épidémies, soumis à un régime alimentaire spartiate, souvent âgés et infirmes, les cardinaux exigent une assistance médicale. Jusqu’au milieu du xvie siècle, ils sont accompagnés de leurs médecins personnels mais ceux-ci, suspects de jouer le rôle de conseillers occultes et de peser sur les élections, sont peu à peu remplacés par des médecins officiels chargés de la santé de tous les cardinaux. Il n’empêche que ces médecins tentent de jouer un rôle politique prônant par exemple un vote rapide pour échapper aux mauvaises conditions d’hygiène. Les cardinaux savent aussi jouer de leur maladie à l’image de Giovanni de Medicis qui la met en scène pour dissiper les craintes d’un pontificat trop long et se faire élire sous le nom de Léon X. À des niveaux plus quotidiens, la pastorale post tridentine très centrée sur le modèle du Christ met l’accent sur le secours aux pauvres et donc aux malades.
- 22 Le corps malade entre pléthore et corruption : écrits médicaux et écrits religieux au xviiesiècle, (...)
12À lire le texte de Cécile Floury-Buchalin22 on a d’abord le sentiment d’une indifférence totale des religieux à la médecine. Les auteurs qu’elle cite tiennent au premier abord un discours attendu. Ils exaltent la maladie et la souffrance comme moyen d’arriver à Dieu, de se rapprocher du Christ. Ils prêchent donc l’indifférence aux maux, la résistance à la douleur. Pourtant, s’il est d’abord un ennemi, le corps est aussi le temple du Saint-Esprit qu’il faut conserver et la religion vient donc légitimer la médecine qui se propose de réparer ce temple. Aussi, et c’est tout l’intérêt de l’article, les deux mondes ne sont pas indifférents. Les médecins puisent dans le message de résignation de l’Église pour persuader leurs malades d’endurer leurs traitements douloureux et d’avaler leurs préparations infectes. Comme le dit très bien l’auteur, « remèdes spirituels et remèdes temporels se pensent en miroir » et « la santé et le salut procèdent de vertus semblables ». À la limite on ne sait plus qui inspire qui, lorsque l’on établit des parallèles entre la confession et la purgation, entre l’Eucharistie et les aliments favorables à la santé, entre « les régimes préservatifs » de l’âme et la modération des comportements physiques. Est-ce la médecine qui sert aux théologiens pour ordonner leur propos ou bien serait ce l’inverse ? Quoi qu’il en soit on aurait ici une version catholique de la métaphore organiciste.
13L’article consacré par Guillaume Garnier au sommeil et au rêve montre la pérennité des discours convergents. Sauf de rares exceptions, comme le très intéressant vétérinaire Philibert Chabert (1737-1814) au moment de la Révolution, médecins et religieux émettent les mêmes prescriptions en matière de durée de sommeil et de position du dormeur. La nuit est faite pour le sommeil et le jour pour l’activité, que l’on invoque l’ordre voulu par Dieu ou la physiologie (la baisse de la lumière apaise le système nerveux et dispose au sommeil). La durée du sommeil est liée à l’âge et au genre des individus et non à leur activité. Les enfants, les vieillards et les femmes sont réputés faibles et doivent dormir beaucoup, les hommes adultes peu, en tout cas jamais plus de huit heures et jamais après 8 h. Pour les médecins et les ecclésiastiques, il faut dormir sur le côté, de préférence le droit, jamais sur le ventre mais pas non plus sur le dos. Comme on le sait, surtout au xixe siècle, les médecins sont encore plus obsédés par la masturbation que le clergé. Un autre modèle du sommeil apparaît au milieu du xixe siècle. Il fait plus de place à l’activité du jour précédent pour déterminer la durée du sommeil.
- 23 Jean-François Viaud, Le malade et la médecine sous l’Ancien Régime : soins et préoccupations de san (...)
14Dans les deux cas, se pose bien sûr la question du respect de ces prescriptions conjointes. Déjà, dans l’Imitation de Jésus Christ, il était noté que « la maladie rend fort peu d’hommes meilleurs. » Dès le xviie siècle, les médecins signalent l’impatience des malades qui veulent changer de remèdes à tout bout de champ et imposent aux praticiens de leur céder en proposant des remèdes plus agréables comme les bains. Tout ceci corrobore les premiers résultats des études menés sur les préoccupations de santé à partir des écrits du for privé23. La collaboration, voire la collusion, de la religion et de la médecine n’est pas propre à l’Ancien Régime et au début du xixe siècle. Hervé Guillemain montre très bien que, tout au long de la période contemporaine, et jusqu’aux années 1970, l’Église et la psychiatrie ont lutté de concert contre les délires d’ensorcellement. Si « le savoir médical s’étend sur un ensemble de comportements religieux et de discours croyants considérés comme pathologiques », l’Église recoure volontiers aux arguments médicaux pour les cas de possession et de stigmates et contribue à médicaliser le champ des croyances pour mieux contrôler les dévotions populaires.
15Même si la chose aurait pu menacer la cohérence de ce numéro, on aurait voulu élargir la réflexion à d’autres espaces et à d’autres religions que les confessions chrétiennes de l’Europe occidentale. Faute d’avoir pu le faire, deux articles suggèrent très imparfaitement un dépassement possible de la seule question des relations entre la médecine et le christianisme. Totalement enracinée dans la science de son temps, tant elle est fondée sur l’observation, l’homéopathie développe des stratégies puisées dans le registre religieux lorsque ses arguments scientifiques sont majoritairement récusés. Hahnemann devient un messie objet d’un culte rendu par des disciples qui ne négligent ni les conversions ni les croisades non plus que les excommunications mutuelles et les dérives sectaires. Néanmoins, ces emprunts ne sont pas de pure forme. Certes, il ne s’agit pas là du catholicisme mais plutôt d’une religion médicale inspirée par un déisme fortement marqué par la franc-maçonnerie. Aussi, si elle attire des médecins catholiques, l’homéopathie séduit nombre de saint-simoniens qui mêlent intimement visions scientifiques et religieuses. Au-delà du cercle des convertis, le débat sur l’homéopathie transfère dans le monde médical les notions religieuses d’orthodoxie et d’hétérodoxie que chaque camp emploie à son avantage. C’est aussi l’entrée du religieux dans le monde médical que signale Hervé Guillemain qui conclut son article par cette formule : « en se faisant missionnaire contre les superstitions, la médecine traduit non son caractère laïque mais plutôt sa dimension cléricale ».
- 24 Mona Ozouf, La fête révolutionnaire (1789-1799), Paris, Gallimard, 1976.
16On dit volontiers que la médecine et la santé sont devenues la religion du monde moderne et que des rituels hygiéniques ont remplacé des gestes religieux. On entrevoit mieux ici tout ce que la médecine aurait pu emprunter aux univers religieux, à tel point que l’on pourrait hasarder que, tout autant que la patrie, elle a pu être une bénéficiaire des processus de transfert de sacralité décrits dans le domaine politique24.
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Notes
1 Dans son deuxième numéro (automne 2012) consacré aux Remèdes la toute nouvelle revue Histoire, médecine et santé (Framespa éditions méridiennes Université Toulouse le Mirail http//w3Framespa.univ-tlse2fr/boutique/spip/) accueille deux articles (sur 5) consacrés aux relations entre le clergé et les médicaments ; à signaler aussi Fabienne Henryot, « Savoirs et savoir-faire pharmaceutiques au collège des jésuites de Pont-à-Mousson au xviiie siècle », Annales de l’Est, 2011, N° 1, « La prise en charge des malades du Moyen Âge à nos jours », p. 69-93.
2 Jacques Léonard « Médecine, femmes et religion : ces femmes qui soignent au xixe siècle », Annales ESC, 1977, n° 5, p. 887-907. Repris dans Médecins, malades et sociétés au xixe siècle, Paris, Science en situation, 1992.
3 Olivier Faure, « Les religieuses hospitalières en France entre médecine et religion », in Isabelle von Bueltzingsloewen, Denis Pelletier (dir.) La charité en pratique ; chrétiens français et allemands sur le terrain social (xixe–xxe siècles), Strasbourg, Presses universitaires, 2007, p. 53-64 ; « Les religieuses dans les peits hôpitaux en France au xixe siècle », in Jacqueline Lalouette et alii (dir.) L’hôpital entre religions et laïcité du Moyen-Âge à nos jours, paris, Letouzey et Ané, 2006, p. 59-72.
4 Matthieu Brejon de Lavergnée, Histoire des Filles de la Charité (xviie-xviiiesiècles), Paris, Fayard, 2011.
5 Claude Langlois, Le catholicisme au féminin : les congrégations féminines à supérieure générale en France au xixe siècle, Paris, Cerf, 1984.
6 Claude Langlois. « Congrégations et professionnalisation : les gardes malades à domicile », in Claude Langlois (dir.) Catholicisme, religieuses et société : le temps des bonnes sœurs, Paris, Desclée de Brouwer, 2011.
7 Olivier Faure, « Les sages-femmes en France au xixe siècle : médiatrices de la nouveauté », in Patrice Bourdelais, Olivier Faure (dir.), Les nouvelles pratiques de santé (xviiie-xxe siècles), Paris, Belin, 2005, p. 157-174.
8 Hervé Guillemain, Diriger les consciences, guérir les âmes : une histoire comparée des pratiques thérapeutiques et religieuses (1830-1939), Paris, La Découverte, 2006, p. 15-44. Olivier Bonnet, « Servir Dieu, servir les fous : les religieuses dans les asiles d’aliénés au xixe siècle », in Olivier Faure, Bernard Delpal (dir.), Religion et enfermement (xviie-xxe siècles), Rennes, PUR, 2005, p. 131-152.
9 Jacqueline Lalouette, « L’hôpital libre et chrétien : une réponse catholique à la Laïcisation des hôpitaux de l’assistance publique »in id.et alii (dir.), L’hôpital entre religions…, op. cit., p. 117-134.
10 Olivier Faure (avec la collaboration de Dominique Dessertine), Les cliniques privées : deux siècles de succès, Rennes, PUR, 2012, p. 43-64.
11 Laurence Brockliss, Colin Jones, The medical word of early modern France, Oxford, Oxford university press, 960 p.
12 Sur laquelle revient Gilles Sinicropi, « Rendre service aux malades. Les Carmes déchaux et la pratique médicale xviie-xviiie siècles », Histoire, médecine et santé, 2012, n° 2, p. 21‑32.
13 Bernard Delpal, Le Silence des moines : les trappistes au xixesiècle : France et Algérie, Syrie, Paris, Beauchesne, 1998, p. 332-342.
14 Id., Être trappiste au xixe siècle : Aiguebelle et sa filiation, thèse d’État, université Paris IV, 1994, 2 vol. dactyl, p 525. Note 1.
15 Emilie-Anne Pepy, Le territoire de la Grande Chartreuse : montagne sacrée, montagne profane, Grenoble, PUG, 2011.
16 Laurence Brockliss, Colin Jones, The medical world…, op. cit., p. 257-258 ; 637 ; 653 ; 656-658.
17 Gwénaël Murphy, « Religieuses et médicaments au xviiiesiècle », Histoire médecine et santé, 2012, n° 2, p. 33-44.
18 Andrew Cunningham, « Where there are three physicians there are two atheists », in Ole Peter Grell, Andrew Cunningham (dir.) Medicine and religion in Enlightenment Europe, Aldershot, Ashgate, 2007, p. 1.
19 Pierre Guillaume, Médecins Église et foi (xixe-xxe siècles), Paris, Aubier, 1990.
20 Laurence Brockliss, « Medicine Enlightenment and Christianity in eighteenth century France » in Ole Peter Grell, Andrew Cunningham, Medicine and religion, op. cit., p. 101‑119.
21 Selon la définition de Sandra Cavallo et David Gentilcore « Spaces, objects and identities in early modern italian medicine », Renaissance studies, 2007, n° 4.
22 Le corps malade entre pléthore et corruption : écrits médicaux et écrits religieux au xviiesiècle, thèse, université Lyon III, déc. 2010. Résumé dans Les Carnets du LARHRA, 2012, n° 1, p. 169-180.
23 Jean-François Viaud, Le malade et la médecine sous l’Ancien Régime : soins et préoccupations de santé en Aquitaine (xvie- xviiie), Bordeaux, Fédération historique du Sud–Ouest, 2011.
24 Mona Ozouf, La fête révolutionnaire (1789-1799), Paris, Gallimard, 1976.
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Pour citer cet article
Référence papier
Olivier Faure, « Médecine et religion : le rapprochement
de deux univers longtemps affrontés », Chrétiens et sociétés, 19 | 2012, 7-17.
Référence électronique
Olivier Faure, « Médecine et religion : le rapprochement
de deux univers longtemps affrontés », Chrétiens et sociétés [En ligne], 19 | 2012, mis en ligne le 11 juin 2013, consulté le 04 juin 2016. URL : http://chretienssocietes.revues.org/3318
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Auteur
Olivier Faure
RESEA – LARHRA, UMR 5190, Lyon 3
Articles du même auteur
- Jean-Marc Ticchi, Histoire de la province française de l’Ordre de Saint-Camille de Lellis, Paris, L’Harmattan, 2014, 246 p. [Texte intégral]
Paru dans Chrétiens et sociétés, 22 | 2015 - Les premiers disciples français d’Hahnemann dans les années 1830 entre le scientifique et le religieux [Texte intégral]
Paru dans Chrétiens et sociétés, 19 | 2012 - Isabelle von Bueltzingsloewen, Jalons pour une histoire de la santé publique (France-Allemagne XIXe XXe siècles), Habilitations à Diriger des Recherches soutenue le 25 mai 2007 à l’Institut des sciences de l’homme [Texte intégral]
Jury : Anne Dannion (psychiatrie Strasbourg I), Claude-Isabelle Brelot (Lyon 2), Danièle Voldman (CNRS, rapporteur) Vincent Barras (Histoire de la médecine Lausanne), Laurent Douzou (Lyon 2), Étienne François (Freie Universität Berlin) et Olivier Faure (Lyon III, rapporteur et « garant » du dossier).
Paru dans Chrétiens et sociétés, 14 | 2007 - Samuel Odier, La fin de l’asile d’aliénés dans le Rhône et l’Isère à partir de l’exemple du Vinatier et de Saint-Egrève (1930-1955), Lyon III, 3 vol., 655 p., Thèse soutenue à l’Université Jean Moulin – Lyon III le 16 février 2006 [Texte intégral]
Jury : Eric Baratay (Lyon III, président), Isabelle von Bueltzingsloewen (Lyon 2), Jacqueline Carroy (directrice d’études EHESS), Olivier Faure (Lyon III, directeur) Didier Nourrisson (IUFM Lyon)
Paru dans Chrétiens et sociétés, 13 | 2006 - Frédéric Scheider, Aliénisme et catholicisme à Lyon au XIXe siècle : les missions de Joseph Arthaud (1813-1883), 3 vol., 894 p., Thèse soutenue à l’Université Jean Moulin – Lyon III [Texte intégral]
Jury : Philippe Boutry (Paris I, président), Isabelle von Bueltzingsloewen (Lyon 2), Bruno Dumons (CR CNRS, LARHRA), Olivier Faure (Lyon III, directeur), Jacques Hochmann (professeur émérite Lyon I)
Paru dans Chrétiens et sociétés, 13 | 2006
Re: Forum - Religion et Médecine - forum religion et médecine
Médecine, religion et société dans la Chine médiévale
Catherine Despeux (dir.)
Nous avons le plaisir de vous annoncer la parution de l’ouvrage Médecine, religion et société dans la Chine médiévale : Étude de manuscrits chinois de Dunhuang et de Turfan, dirigé par Catherine Despeux, avec la collaboration d’Isabelle Ang (Paris, Collège de France, Institut des Hautes Études Chinoises, 2010. 3 tomes sous étui, 1386 pages, 84 ill., 16 pl. couleurs h.t.)
Présentation
Cette publication est le fruit d’un programme de recherche international mené de 2001 et 2007 sous la direction de Catherine Despeux. Les trois tomes regroupent des études et des descriptions de près de quatre cents manuscrits provenant de Dunhuang 敦煌 et de Turfan 吐魯番 en Asie centrale et relatifs aux pratiques de santé. Les thèmes abordés concernent non seulement les institutions et les pratiques médicales (théorie, diagnostic, pharmacopée, thérapies), mais aussi la vie sociale et religieuse avec l’hygiène de vie, la sexualité, les pratiques de longévité, le calendrier et le commerce. Les textes sont complétés par des index des remèdes cités dans les manuscrits, des noms de symptômes, des noms de lieux, des dates, et une abondante bibliographie.
Neuf chercheurs ont principalement apporté leur contribution à l’ouvrage : Alain Arrault (École française d’Extrême-Orient), Chen Ming (Université de Pékin), Catherine Despeux (Institut National des Langues et Civilisations Orientales), Ute Engelhardt (Université de Munich), Fang Ling (Centre National de la Recherche scientifique), Donald Harper (Université de Chicago), Elisabeth Hsu (Université d’Oxford), Vivienne Lo (Sir Wellcome Institute de Londres) et Éric Trombert (Centre National de la Recherche Scientifique).
http://www.afec-etudeschinoises.com/Medecine-religion-et-societe-dans#forum
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Présentation
Cette publication est le fruit d’un programme de recherche international mené de 2001 et 2007 sous la direction de Catherine Despeux. Les trois tomes regroupent des études et des descriptions de près de quatre cents manuscrits provenant de Dunhuang 敦煌 et de Turfan 吐魯番 en Asie centrale et relatifs aux pratiques de santé. Les thèmes abordés concernent non seulement les institutions et les pratiques médicales (théorie, diagnostic, pharmacopée, thérapies), mais aussi la vie sociale et religieuse avec l’hygiène de vie, la sexualité, les pratiques de longévité, le calendrier et le commerce. Les textes sont complétés par des index des remèdes cités dans les manuscrits, des noms de symptômes, des noms de lieux, des dates, et une abondante bibliographie.
Neuf chercheurs ont principalement apporté leur contribution à l’ouvrage : Alain Arrault (École française d’Extrême-Orient), Chen Ming (Université de Pékin), Catherine Despeux (Institut National des Langues et Civilisations Orientales), Ute Engelhardt (Université de Munich), Fang Ling (Centre National de la Recherche scientifique), Donald Harper (Université de Chicago), Elisabeth Hsu (Université d’Oxford), Vivienne Lo (Sir Wellcome Institute de Londres) et Éric Trombert (Centre National de la Recherche Scientifique).
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Re: Forum - Religion et Médecine - forum religion et médecine
Medecine Religion
- 1. Olivier Clerc LA MÉDECINE, LA RELIGION ET LA PEUR L’influence cachée des croyances éditions TROIS FONTAINES
- 2.Extrait du catalogue Trois Fontaines - Acide-base, une dynamique vitale (Dr Ph.-G. Besson) - Arthroses, arthrites et rhumatismes (Christian Brun) - Le cholestérol, mythe ou réalité ? (Christian Brun) - Écrire pour se guérir (Jean-Yves Revault) - J’ai mal partout ! (Dr Philippe-Gaston Besson) - Je me sens mal, mais je ne sais pas pourquoi... ? (Dr Philippe-Gaston Besson) - L’ostéoporose, mythes et réalités (Dr Philip Keros) - Placez votre lit au bon endroit (Yves Primault) Table des Matières - La route du coeur (Jean-Yves Revault) - Le diabète, mythe ou réalité (Christian Brun) Introduction ............................................ 7 - Les réseaux géobiologiques (G. Fleck, J.-P. Garel) - Recettes religieuses (Dominique Prédali) Chapitre 1 - Rompre les cercles vicieux relationnels (D. A. Parrish) Pasteur : le bon berger, - Sainte-Hildegarde de Bingen (Daniel Maurin) le nouveau sauveur ..................................19 - La santé par l’hygiène intestinale (Dr. G. Monnier) - La thérapie par l’écriture (Jean-Yves Revault) - Votre corps réclame de l’eau (Dr F. Batmanghelidj) Chapitre 2 - 10 jours pour se régénérer (Leslie Kenton) Transposition médicale des pratiques et mythes chrétiens....................29 Catalogue gratuit sur simple demande Chapitre 3 éditions 3 Fontaines Médecine messianique, B.P. 7 médecine faustienne ................................57 74161 St-Julien en Genevois Cedex Chapitre 4 L’éternel retour des peurs ataviques ..........65 © Copyright 1999 by éditions 3 Fontaines ISBN 2-88353-178-1 ISSN 1159-6074 Conclusion ..............................................71 Couverture et mise en page : Nelly Irniger Illustration de Jérôme Bosch : “La cure de la folie” Postface ....................................................77
- 3.Introduction orsqu’ils évangélisaient les « peuples pri- Avertissement Pour faciliter la lecture de ce livre, les réfé- L mitifs », les missionnaires d’autrefois s’imaginaient qu’il suffisait de détruire les fétiches ou de les brûler pour anéantir les rences numérotés ont tous été regroupées à croyances et superstitions locales. Nous savons la fin de l’ouvrage (pages 77 à 83). aujourd’hui qu’il n’en est rien et qu’une croyance se perpétue1, fût-ce sous des formes différentes, même lorsque ses objets de cultes ont disparu. Cette constatation ne vaut pas que pour les peuples prétendument primitifs et leurs religions. Elle est autant, sinon davantage, applicable à notre société moderne, dont la laïcisation, pour peu qu’on se donne la peine d’observer certains comportements, apparaît comme un leurre. Privé de ses supports traditionnels – essentiellement judéo-chrétiens sous nos latitudes – le religieux n’a pas pour autant disparu au niveau collectif ; il s’est simplement reporté sur divers autres 7
- 4.objets, personnes, événements, comme l’ont même étroitement ses modes de fonctionnement d’ailleurs amplement démontré divers travaux de sur ceux de l’Église catholique au fil de l’histoire : sociologie. La « grande messe » du journal télé- dogmatisme ; alliance avec le pouvoir (voire visé de 20 heures, les stars du show business et mainmise sur lui) ; déresponsabilisation, contrôle du sport, l’humanitaire, les sectes, etc., offrent et manipulation des individus ; chasse aux héré- certains dérivés aux élans religieux collectifs, tiques, etc. Tout cela, évidemment, au nom du qu’ils s’expriment par la vénération et l’adoration bien et de la santé publiques, de même que ou par la crainte, les boucs émissaires et l’ana- l’église agissait pour le salut des hommes. thème.2 Je précise tout de suite mon point de vue : C’est toutefois dans le domaine médical que contrairement à une certaine tendance « conspi- cette transposition inconsciente du religieux, et rationniste » qui n’hésite pas à attribuer au corps plus particulièrement de l’idéologie, des mythes, médical et au gouvernement toutes sortes d’in- croyances, attentes et espoirs judéo-chrétiens, me tentions douteuses sur fond d’abus de pouvoir, semble la plus intéressante, la plus importante, et de corruption et de soif de richesse – Big Brother aussi la plus lourde de conséquences. Comme et Brave New World ne sont pas loin –, je suis nous allons le voir, tout semble indiquer que le plutôt d’avis qu’il s’agit là d’un processus essen- crédit étonnant (pour qui veut bien étudier les tiellement inconscient. Ce sont en réalité cer- faits) dont jouit la médecine ne tient pas à ses tains mythes, peurs et superstitions profonds résultats objectifs – la maladie ne cesse de pro- qui, faute de pouvoir s’exprimer consciemment gresser et certains « miracles », tels les vaccins et dans des formes spécifiquement religieuses, se les antibiotiques, montrent désormais les limites projettent sur des supports de rechange et agis- qui leur avaient été prédites dès le début – ni à sent inconsciemment, aussi bien dans le corps ses promesses, mais bien au fait que l’essentiel du médico-pharmaceutique que dans le grand symbolisme chrétien a trouvé en elle des sup- public. D’où cet étonnant paradoxe que nous ports de rechange étonnamment adaptés. avons une médecine en apparence totalement dépourvue de dimension spirituelle (voire sim- A l’insu de tous, la médecine 3 se retrouve plement humaine), combattant les charlatans, les ainsi animée d’un esprit messianique, dont nous guérisseurs psychiques, les chamans, etc., se vou- allons étudier les caractéristiques. Elle calque lant exclusivement technique, rationnelle et 8 9
- 5.scientifique, mais dont toute la structure, le Cette superposition du médical et du religieux fonctionnement et la quête sont intrinsèque- a de nombreuses conséquences fâcheuses : ment religieux. Le paradoxe n’est d’ailleurs qu’apparent, car on peut supposer que c’est pré- • Dans la recherche, elle conditionne ce qui est cisément en raison de son rejet de toute dimen- cherché et ce qui peut être trouvé. Les décou- sion spirituelle que la médecine est le jouet de vertes et les théories qui ne correspondent pas forces et de mythes qu’elle ignore et ne contrôle à l’orthodoxie sont rejetées, et leurs auteurs pas. Nier une chose ne l’a jamais fait disparaître, qualifiés d’hérétiques. Des pans entiers de la sinon de la conscience, ce qui lui donne d’autant recherche et des voies prometteuses sont ainsi plus de pouvoir dans l’inconscient. disqualifiés. Nous verrons donc, au fil des pages suivantes, • De plus, le besoin inconscient de faire corres- que tout en se croyant laïque, notre société est pondre le monde médical à l’univers religieux tout aussi chrétienne qu’elle l’était il y a un entraîne fréquemment des falsifications invo- siècle, à deux différences majeures près : lontaires des résultats, comme nous le verrons notamment plus loin avec Pasteur. Le credo • La première est qu’elle n’en est pas consciente. médical prend le dessus sur le réel, que l’on Elle se croit en effet rationnelle, scientifique, refuse de voir lorsqu’il n’est pas conforme à libérée de toute superstition, faute de distin- l’idée qu’on s’en fait. guer sous quels masques les mêmes rites et pratiques continuent d’être célébrés, ainsi que • Enfin, de manière générale, le caractère reli- les formes nouvelles qu’ont pris les divers gieux de la médecine moderne empêche que espoirs et attentes propres à la religion catho- certains points puissent être débattus et cer- lique. taines critiques formulées. En effet, l’irration- nel, le passionnel et le dogmatisme, typiques • La seconde est que notre société vit sa religio- du religieux, prévalent sur toute argumenta- sité à travers des formes profanes, en particulier tion posée et réfléchie, et même sur les faits médicales, et qu’elle a du même coup trans- les plus tenaces. La même véhémence qui a féré dans le monde matériel tout ce que la fait condamner Galilée pour ses théories, par religion lui faisait espérer du monde spirituel. l’église, malgré l’évidence des faits, conduit 10 11
- 6.aujourd’hui la médecine à rejeter les thèses caractéristiques réelles disparaissent aux yeux contraires à ses propres dogmes. de ceux qui les animent de leurs croyances. Ces supports font alors l’objet d’élans reli- En écrivant ces lignes, mon objectif est donc gieux imperméables à toute rationalisation, multiple : qu’ils s’expriment par la peur, la haine, la diabolisation et la recherche de boucs émis- 1 – Tout d’abord, je compte mettre en évidence saires, ou par la déification, l’idéalisation et ce phénomène de projection et de transfert la dévotion inconditionnelle. De Lady Di de contenu religieux qui s’effectue dans le aux sectes, en passant par Mère Teresa et domaine médical. Ceci permet de dissocier Saddam Hussein, les exemples sont nom- de la pratique proprement médicale les aspi- breux des conséquences qu’entraînent ce rations qui relèvent du spirituel et ne peu- report des expressions religieuses sur des per- vent, en toute logique, être réalisées qu’à ce sonnes ou situations réelles. niveau. Il est illusoire de confondre la vie éternelle avec l’immortalité physique, ou 3 – Au-delà de cette dissociation entre médecine encore le salut individuel par la transforma- et religion, j’aimerais contribuer à une prise tion et l’effort personnels avec le salut collec- de conscience des peurs présentes dans les tif par la science et les manipulations tréfonds de notre conscience, qui demeurent génétiques. les déterminants cachés de la plupart de nos actions. Nous verrons en effet à la fin de cet 2 – Je souhaite également que la mise en évi- ouvrage que ce sont ces peurs de base – peur dence de l’influence du religieux dans la de la mort principalement, mais aussi peur médecine, qui n’est qu’un exemple d’un du mal, peur de la souffrance, peur de la phénomène aujourd’hui largement répandu, séparation, peur de la solitude, etc.4 – qui ont incite le lecteur à s’interroger sur la façon conduit l’humanité, à toutes les époques, à se dont ses croyances filtrent sa perception, la doter de croyances multiples pour tenter de biaisent et la déforment. Chaque fois qu’un les exorciser. Ensuite, avec le développement objet, une personne, un groupe social ou un de la science et l’essor de l’intellectualisme, événement deviennent les supports de pro- on s’est s’efforcé de justifier rationnellement jections d’ordre religieux, il y a danger. Leurs ces croyances, désormais dissimulées sous le 12 13
- 7.couvert de la médecine et des sciences du ce siècle, souvent remarquables, restent vivant principalement. Autrement dit, trois inféodés à la maîtrise de ces peurs qui han- niveaux se superposent en nous : tent la société. Force est de constater com- – un noyau de peurs, dont nous avons appris bien cette façon de faire est d’ailleurs à nous protéger en le recouvrant improductive, comme l’indiquent l’état de la – d’une couche de croyances qui nous sécu- planète, la multiplication des conflits et l’ap- risent (sans pour autant faire disparaître parition de nouvelles maladies, etc. ces peurs), elle-même dissimulée sous – un vernis intellectuel, rationnel qui nous 4 – Enfin, par ces prises de conscience successives donne l’illusion d’avoir dépassé le stade de auxquelles j’invite le lecteur, je souhaite la croyance et d’être à l’abri de nos peurs, contribuer à la responsabilisation indivi- barricadés dans un savoir intellectuel. duelle, que ce soit sur le plan médical ou En réalité, à peine quelque événement spirituel. Il y a une certaine incohérence à imprévu vient-il égratigner ce vernis que les abandonner son pouvoir à quelque autorité croyances et peurs sous-jacentes révèlent extérieure (prêtre, médecin, experts…), pour leur présence et leur influence indirecte. ensuite lui reprocher d’en abuser. Le désinté- Aussi longtemps qu’elles ne sont pas recon- ressement est chose trop rare pour que l’on nues, acceptées et transformées, ces peurs puisse, les yeux fermés, prêter les meilleures parasitent toute l’activité humaine. L’intel- intentions à qui que ce soit, en particulier lect ne peut pas penser librement, le coeur quand le pouvoir et l’argent sont en jeu. Sur- ne peut pas aimer pleinement, l’un et l’autre tout que la psychologie montre que les plus étant monopolisés par la tâche permanente nobles motivations se doublent parfois d’in- d’apaiser les angoisses profondes qui tentent tentions inconscientes ambiguës. S’efforcer de remonter à la surface de notre conscience. d’assumer soi-même sa santé, son évolution Aucune innovation technologique, aucune intérieure, ses responsabilités à tous niveaux, découverte scientifique, aucune connaissance sans rejeter pour autant les conseils et les extérieure ne peuvent nous permettre de aides disponibles, demeure donc l’attitude la faire l’économie de cette confrontation avec plus sûre et la plus gratifiante. Ce ne sont soi. Il est d’ailleurs édifiant de voir à quel pas les lumières de la science qui combat- point les acquis intellectuels et techniques de tront l’obscurantisme qui perdure sous des 14 15
- 8.formes nouvelles, mais bien les lueurs de la le pense, dans d’autres formes de médecine. Il conscience que chacun peut éveiller en soi. ne suffit pas de remplacer des médicaments Telle est du moins ma conviction. chimiques par des remèdes naturels pour pré- tendre s’être affranchi de la « religion médi- Encore quelques mots sur les intentions que cale » prédominante. C’est avant tout dans la je n’ai pas, de façon à écarter d’entrée toute conception de la santé et de la maladie, dans ambiguïté : le relationnel patient-thérapeute et dans la manière de mettre en œuvre un traitement, • Le but des lignes qui suivent n’est pas de faire que l’on peut distinguer les thérapeutiques le procès de la médecine. Les reproches et cri- non parasitées par des éléments religieux tiques qui lui sont adressés dans ce livre ont inconscients des autres. pour seul objectif de mettre en évidence la présence du religieux dans sa pratique, et les • En d’autres termes, l’objectif de mon discours conséquences que cela entraîne. Ainsi, par n’est pas de l’ordre du « pour » ou du « contre », exemple, les remarques faites à propos de la mais du « comment ». Il ne s’agit ni de démo- vaccination n’ont pas pour but de déterminer lir une médecine, ni d’en encenser d’autres, son utilité ou ses dangers, mais servent à sou- mais de comprendre comment et pourquoi ligner l’aspect dogmatique et rituel que revêt elles se développent comme elles le font et, désormais cette pratique. J’encourage donc les partant, de mieux gérer ce développement à lecteurs à aller au-delà des titillements éven- l’avenir. Cela dit, je ne prétends pas avoir tou- tuels que peuvent susciter certaines réflexions jours réussi à éviter les travers manichéens au premier degré, pour s’attacher à percevoir propres au mode de pensée prédominant et à cette dynamique religieuse sous-jacente qui la structure même de nos langues indo-euro- est l’objet de mon propos. péennes. • Pas plus que le procès de la médecine, je ne Pour terminer cette introduction, quelques fais l’apologie inconditionnelle des médecines mots sur mon choix rédactionnel. Ne revendi- douces et autres thérapeutiques alternatives, quant aucune affiliation académique, j’ai opté naturelles, etc. En effet, le fond religieux mis pour un texte dépourvu de jargon de spécialistes. à jour ici s’exerce aussi, plus souvent qu’on ne Qui plus est, mon but n’étant pas de « prouver » 16 17
- 9.quoi que ce soit – une interprétation symbolique de la dynamique médicale ne se prouve pas : elle semble ou non pertinente à celui qui la lit – j’irai à l’essentiel sans alourdir le texte de références et de justifications qui encombreraient inutilement l’esprit. Enfin, je serai concis, préférant mettre en évidence certaines idées et principes, illustrés de quelques exemples, dont les lecteurs pourront à loisir développer l’application (si celle-ci leur convient), que de décliner ceux-ci moi-même en Chapitre 1 long et en large. Je ne cherche en aucune façon à faire une étude exhaustive et universitaire des multiples aspects de cette superposition du reli- gieux et de la médecine, sur fond de peurs. Je Pasteur : le bon berger, m’estimerai satisfait si les pistes de réflexion four- nies dans les pages qui suivent parviennent à le nouveau sauveur piquer la curiosité du lecteur, si elles l’aident à effectuer une certaine prise de conscience, à voir au-delà des apparences. n associe habituellement la naissance de O la médecine moderne à la publication des travaux de Pasteur. Ce choix convient parfaitement à mon propos, puisque c’est à par- tir de Pasteur que s’effectuera systématiquement ce transfert progressif du symbolisme chrétien sur la médecine. Encore aujourd’hui, peu de gens savent que Pasteur était un fervent catholique. Si fervent en réalité qu’il s’efforça toute sa vie durant de faire correspondre ses découvertes5 avec ce que lui dictait sa foi chrétienne, quitte pour cela à nier 18 19
- 10.les faits et à tricher avec les expériences. Une pré- prononcées de Pasteur, se mêlant à sa pratique cision : alors que se multiplient les ouvrages s’at- médicale : taquant au « mythe pasteurien » et dénonçant les « Pasteur lui-même, avec sa fougue et son impé- impostures dont Pasteur se serait rendu cou- tuosité naturelles, ne craignit pas, pour défendre ses pable, je suis – là encore – de l’avis qu’il s’agit expériences, et même leur portée, d’entrer directe- non pas d’un manque de probité intellectuelle ni ment dans la lice, non pas seulement au point de de rigueur scientifique de sa part, mais d’un vue de ses travaux dans leurs rapports avec la science, besoin impérieux de rester en accord avec ses mais encore dans les conséquences qu’il cherchait à croyances profondes. Tout le monde n’avait pas, en tirer au point de vue de ses idées religieuses. Dans à cette époque, la liberté intellectuelle d’un une conférence faite à la Sorbonne, il s’attaquait Nietzsche, par exemple. même au prétendu matérialisme des partisans de Jusqu’à la fin de sa vie, Pasteur postula que le l’hétérogénie : « Quelle conquête, Messieurs, pour le corps humain était vierge de toute souillure matérialisme, s’il pouvait protester qu’il s’appuie sur microbienne et que ses liquides et tissus internes, le fait avéré de la matière s’organisant d’elle-même, comme ceux des animaux, ne renferment jamais prenant vie d’elle-même ! Quoi de plus naturel alors ni germes, ni organismes microscopiques dans que de défier cette matière ? A quoi bon recourir à leur état normal. Avec une obstination éton- l’idée d’une Création primordiale devant le mystère nante, il défendait un postulat en réalité reli- de laquelle il faut bien s’incliner ? » Et, appréciant gieux : « La virginité quasiment mariale du corps cette conférence, l’abbé Moignon écrivait : « Il s’agis- humain créé à l’image de Dieu »6. En déplaçant la sait de conquérir au spiritualisme les incrédules et les cause de la maladie hors de l’être humain, dans matérialistes, et M. Pasteur avait confiance dans sa le milieu atmosphérique, Pasteur s’imaginait mission. Il sentait qu’il avait charge d’âmes. Il était effacer une sorte de péché originel. Dieu avait loué en chaire de Notre-Dame, par le R.P. Félix, créé l’homme pur et sans tache ; le « mal », la pour l’orthodoxie de sa doctrine chimique… » maladie, ne pouvait venir que de l’extérieur. Il en va de même pour le salut et la santé, comme Dès 1946, le docteur J. Tissot, professeur de nous le verrons. physiologie générale au Muséum d’histoire natu- Dans l’une de ses publications, le professeur relle de Paris, avait démontré l’inexactitude des Rappin, ancien directeur de l’Institut Pasteur de quatre principes ou dogmes pastoriens sur les- Nantes, commentait déjà ces tendances religieuses quels s’est fondée la médecine moderne, dans un 20 21
- 11.ouvrage interdit de publication, et finalement ont pratiqué leur discipline avec le secret espoir édité à compte d’auteur, intitulé Constitution des qu’elle confirme leurs convictions, fussent-elles organismes animaux et végétaux ; cause des maladies religieuses, sociales ou politiques, et pris des qui les atteignent. Il écrivit notamment ces lignes libertés plus ou moins grandes dans l’interpréta- intéressantes : tion des faits qu’ils observaient. Rien d’étonnant « Constatons que Pasteur, que ce soit pour des à cela : ce serait même l’inverse qui surprendrait. motifs religieux ou autres, a introduit dans la science Seul un individu ayant pris conscience et remis des dogmes et principes faux qui, d’abord, ont étouffé en question l’ensemble des croyances, valeurs et la vérité qui était en marche depuis le début du siècle idéologies auxquelles son éducation l’a exposé, passé, puis ont mis les chercheurs jusqu’à nos jours dont la majeure part n’est jamais objectivée, peut dans l’impossibilité de la trouver en orientant leurs aborder l’étude du réel sans idée préconçue. Mais travaux dans de mauvaises directions, opération est-ce seulement possible ? On peut tout au néfaste que continue activement l’école pastorienne moins apprendre à multiplier les angles d’ap- contre toutes les notions nouvelles opposées à ces proche, les points de vue, les « filtres perceptuels », dogmes faux, mais que l’on veut conserver intan- de façon à minimiser l’incidence d’un seul gibles quand même. » d’entre eux. Malheureusement, les scientifiques ne reçoivent aucune formation dans ce sens, et Dès le départ donc, Pasteur va fonder la leurs travaux subissent donc, pour la plupart, les médecine moderne sur des bases plus religieuses influences du milieu ambiant sans qu’ils s’en ren- que scientifiques, quitte à amputer de parties dent compte. essentielles les théories de ses contemporains qu’il a fait siennes7, pour mieux énoncer des principes Dans le cas de Pasteur, cette imprégnation de que l’avenir de la médecine prouvera être faux8… la réalité par des doctrines religieuses, qui la sans pour autant que celle-ci se départisse de la déforment et déterminent une orientation par- tendance religieuse insufflée par le bon berger de tiale de la recherche, prendra toutefois une la nouvelle religion médicale. ampleur considérable, qui s’est poursuivie jusqu’à Notons pour sa défense que Pasteur n’est pas nos jours, et ce pour plusieurs raisons : un cas isolé : de Newton à Einstein, en passant par Mendel, Darwin et de nombreux autres, des • D’abord, bien que la médecine s’appuie sur savants illustres dans divers domaines scientifiques diverses sciences fondamentales, elle-même 22 23
- 12.n’en est pas une, faut-il le rappeler. Le vivant, propre frère, pour imposer ces idées partout, et plus encore le « vivant-doté-de-psychisme » comme la médecine moderne continue qu’est l’homme, ne réagit pas de façon méca- d’ailleurs de le faire avec l’efficacité qu’on sait. nique et absolument prédictible, comme un objet d’expérience en physique classique ou en De l’époque même de Pasteur jusqu’à nos électricité. La fausseté des dogmes pastoriens jours, les critiques scientifiques n’ont pas manqué était donc plus difficile à établir que celle de la pour s’en prendre aux idées, à la méthodologie platitude supposée de la terre, par exemple. et aux erreurs propagées par ce mythe de la méde- cine moderne qu’est devenu Pasteur. Et l’on • Ensuite, tant par sa personne que ses théories, explique habituellement la persistance surpre- Pasteur réactualisait et réactivait le symbolisme nante des doctrines pastoriennes, en dépit des chrétien, en particulier l’origine externe du attaques justifiées qui lui sont portées, par la puis- mal et l’attente du Sauveur, du Rédempteur. sance financière du milieu médico-pharmaceu- A cet égard, le nom de Pasteur a sans doute tique, ainsi que son influence sur le pouvoir et lui aussi joué un rôle non négligeable dans son omniprésence dans la presse. Sans vouloir l’inconscient collectif : à l’image de Jésus, le minimiser l’importance de ces facteurs, il y a tout « bon pasteur » venu sauver les brebis égarées, lieu de penser qu’ils sont cependant secondaires, Pasteur est devenu l’incarnation du nouveau et que l’élément essentiel ayant assuré la pérennité Sauveur qui, au lieu de la Rédemption des du mythe pastorien est justement… que c’est un péchés du monde, était censé apporter la pré- mythe ! Les doctrines de Pasteur et le personnage vention ultime des maladies de l’humanité lui-même tirent précisément leur force des élé- (par la vaccination). Sans que cela ne soit ments religieux qui leur sont inconsciemment jamais ouvertement formulé de cette façon, associés, tant dans le public que dans le corps remettre en question Pasteur devenait alors médical lui-même. Or, le rationnel n’ayant guère une forme d’hérésie, un rejet inconscient de de prise sur l’irrationnel, les critiques pertinentes la doctrine chrétienne. formulées contre la médecine pastorienne par- viennent à peine à l’égratigner ; souvent même, • Enfin, Pasteur, le premier, a su utiliser le sou- elles renforcent son côté évangélique en ramenant tien du pouvoir (c’était un ami de l’empereur) les arguments de ses détracteurs à des propos de et de la presse, par l’intermédiaire de son dangereux hérétiques. 24 25
- 13.C’est donc une véritable auréole que Pasteur a découvrant sans cesse les meilleurs moyens adap- offert à la médecine moderne, auréole de sainteté tés à cette fin. Si tel était effectivement le cas, ses qui lui confère une aura de protection contre les découvertes, ses méthodes et ses finalités ne attaques profanes et lui assure l’attachement de feraient pas l’objet, comme c’est actuellement le ses fidèles (patients), en dépit de ses erreurs et de cas, de tant d’interdits, d’obligations, de tabous, ses victimes, tout comme l’église a su conserver de rites, de comportements irrationnels, qui sont nombre des siens, malgré une liste d’exactions autant d’indices caractéristiques du religieux. impressionnante à travers les siècles. Elle ne chercherait pas non plus à défendre des Comme nous le verrons plus en détail, ce dogmes contraires à l’observation, ni à étouffer fondement religieux explique notamment le des recherches et des théories pouvant infirmer caractère très passionnel que prennent la plupart ses propres fondements. du temps les débats médicaux sur des enjeux Or, comme j’ai commencé à l’étayer ci-dessus essentiels (vaccination, contraception, féconda- avec Pasteur, et comme nous allons le développer tion in vitro, avortement, génie génétique, clo- avec les divers dogmes et pratiques de la méde- nage…). La religion est en effet affaire de cœur cine moderne, un observateur impartial ne peut et non de raison, de sentiments plus que de manquer de relever ce parfum de religieux qui réflexion. Et de même que la religion catholique imprègne l’univers médical dans ses moindres se réfère au droit canonique, la médecine recoins. moderne s’abrite elle aussi derrière toutes sortes de nouveaux droits : droit à la santé, droit à l’avortement, droit à l’enfant, etc., dont le simple questionnement suffit à frapper quelqu’un d’anathème. Une médecine de droit divin en quelque sorte. On pourrait objecter à la thèse de fond pro- posée dans ces pages qu’il se pourrait que ce soit plutôt son auteur qui superpose sa vision reli- gieuse à la médecine, et que celle-ci n’a pour sa part d’autre prétention que de guérir les gens, en 26 27
- 14.Chapitre 2 Transposition médicale des pratiques et mythes chrétiens asteur promu au rang de nouveau sau- P veur de l’humanité, puis la société se laï- cisant progressivement, la transposition du mythe chrétien sur la médecine s’est effectuée méthodiquement, affectant aussi bien les théo- ries, les dogmes que les pratiques et la recherche médicale. Tout comme le champ magnétique d’un aimant, disposé sous une feuille de papier, structure l’agencement de la limaille de fer que l’on saupoudre dessus, fait apparaître les lignes de forces invisibles qui relient les deux pôles de l’aimant, un « champ religieux » structure et 29
- 15.organise le développement de la médecine l’homme naît avec une faiblesse naturelle qui le moderne, à l’insu de tous9. Invisible, impalpable, rend vulnérable à toutes les maladies, les virus et ce « champ religieux » est constitué de l’ensemble les microbes. Ceux-ci risquent de lui être fatals des croyances, des mythes et valeurs véhiculés sans la protection offerte par la médecine. Dès par la religion chrétienne, en particulier catho- les premiers jours de sa vie, l’enfant est ainsi mis lique. Autrement dit, la laïcisation de la société sous tutelle médicale, et sa dépendance à l’égard ne s’est effectuée qu’en surface, en apparence : on de l’institution médicale ne fera souvent que a supprimé la « limaille », les formes religieuses croître et se renforcer tout au long de sa vie. spécifiques, mais on n’a pas modifié le « courant Selon la religion, la terre était aux mains du de pensée », le « champ religieux » sous-jacent, Malin (« Tout ceci m’appartient », dit Satan à qui a continué à exercer la même influence à tra- Jésus). Avec la médecine, elle est désormais infes- vers de nouvelles formes. Voilà pourquoi derrière tée de virus et bactéries. L’Église était seule les différences de structures existant entre la garante du salut de l’homme ; la médecine est médecine et l’Église de Rome, on retrouve les désormais seule garante de sa santé. L’Église avait mêmes concepts fondamentaux, les mêmes aliéné l’homme de son esprit et de son âme ; la modes relationnels, les mêmes comportements, médecine l’aliène à son tour de son propre corps. les mêmes peurs, les mêmes espoirs et attentes. Dans l’un et l’autre cas, la déresponsabilisation et la dépendance envers une autorité extérieure sont maximales. L’homme est toujours un enfant Le péché originel / la faiblesse naturelle faible et fragile ; le mal continue d’être présent partout hors de lui ; les solutions doivent tou- Selon les dogmes de l’Église, l’homme naît avec jours venir de l’extérieur. déjà sur ses épaules le poids du péché originel. On peut arguer que c’est effectivement à la Dès sa naissance, il lui faut donc le secours et la médecine que l’on doit le recul de certaines protection de l’Église, sans lesquels il est perdu. grandes épidémies, l’allongement de l’espérance L’homme vient ainsi au monde avec un handicap de vie, etc. La réalité est cependant plus nuancée majeur qui le rend dépendant de l’institution que l’image médiatisée par la médecine elle- cléricale pour son salut. même. L’allongement de l’espérance de vie est De manière analogue, dans la conception pas- avant tout lié au développement de l’hygiène. teurienne, qui est celle de la médecine moderne, On sait que les grandes pandémies suivent toutes 30 31
- 16.une courbe ascendante, qui atteint un paroxysme L’idée que l’homme soit naturellement faible, avant de redescendre spontanément. Or, l’inter- démuni et dépende d’une assistance médicale vention de la médecine (vaccins notamment) se extérieure est donc bien un mythe équivalent à situe à un moment où ces courbes étaient déjà celui du péché originel. L’homme n’est pas plus descendantes. Plus important, certaines popula- démuni que les autres espèces vivantes, que la tions qui ont su préserver un mode de vie natu- nature a généreusement dotées de tous les rel (allaitement des enfants dès le colostrum, lien moyens de se développer et de faire face aux mère-enfant préservé, alimentation et vie saines, éventuelles agressions de l’environnement. La etc.) jouissent d’une bonne santé, sans recourir à plupart de ses pathologies résultent d’un mode l’arsenal médical qui nous est devenu familier. de vie anti-naturel, favorisé par le rejet des ins- Pour peu qu’on étudie sérieusement la question, tincts et la prédominance des facultés intellec- la faiblesse de l’homme apparaît davantage tuelles, déconnectées de la vie. comme acquise et entretenue, par souci de con- Malheureusement, ce mythe maintient l’être formité aux mythes fondateurs de la civilisation humain dans l’infantilisme et la peur, et atrophie judéo-chrétienne, que comme une tare « natu- sa capacité à prendre en charge lui-même sa relle » pour laquelle le secours médical soit réelle- santé. Aussi longtemps qu’il s’identifie à cette ment indispensable. croyance infondée (mais qui, comme tout credo, L’objectif de ces lignes, je le répète, n’est pas devient vraie lorsqu’on y croit), l’homme aban- de faire le procès de la médecine moderne ni de donne son pouvoir personnel à des « experts » et nier ses succès (en particulier dans la chirurgie ignore les capacités étonnantes qu’il est suscep- réparatrice qui réalise des… miracles !). Si j’égra- tible de développer. Toutefois, nombreux sont tigne les certitudes que certains cultivent à son aujourd’hui ceux qui commencent à dépasser ce propos, faute d’être mieux informés ou d’avoir mythe et ces peurs, et à développer leur « méde- expérimenté par eux-mêmes, c’est pour souligner cin intérieur », se réappropriant ainsi la gestion les tabous qui les entourent, l’interdiction tacite de leur santé. qui est faite de les remettre en question, les pas- sions que soulève leur transgression et, partant, le caractère dogmatique et religieux de ces soi- disant « certitudes », qui en prévient une étude rationnelle, factuelle, objective. 32 33
- 17.Le mal / la maladie ; le bien / la santé : pathogènes, cette notion de la virginité et de la tout vient de l’extérieur pureté du corps humain demeure inscrite dans le subconscient d’une majorité d’individus. Elle a La notion même de péché implique l’existence d’ailleurs abouti à pousser jusqu’à la paranoïa la du bien et du mal, concrétisés dans la religion recherche d’hygiène dans la culture occidentale. chrétienne par l’arbre dont l’homme a – pour On voit cela en particulier aux États-Unis, où son malheur – mangé le fruit défendu. Qu’il soit l’on pourrait confondre certains réfectoires avec représenté par le serpent dans le jardin d’Eden, des hôpitaux, en raison des combinaisons et par Satan éprouvant Job, par le diable soumettant masques portés par le personnel, et où certaines Jésus par trois fois à l’épreuve, le mal apparaît célébrités se paient le luxe absurde de vivre dans toujours comme quelque chose d’extérieur à un milieu atmosphérique stérilisé. La vie, faut-il l’homme. Qui plus est, il semble être omnipré- le rappeler, n’est pas stérile, mais ô combien fer- sent, tandis que la terre apparaît comme un lieu tile. Cette quête de stérilité, conduite au nom de de perdition soumis à l’emprise du Malin. La ten- la pureté, de l’hygiène et de la santé, apparaît en tation est partout, les occasions de chute mul- fin de compte morbide. Loin de favoriser une tiples, et les chances de rester dans le droit qualité de vie, ou même la vie tout court, elle met chemin et de vivre dans le bien sont maigres. cette dernière en péril en fragilisant les individus, Pour la médecine aussi, la maladie – les virus, qui sont de plus en plus coupés d’un environne- les microbes, les bactéries – est omniprésente, ment naturel et ne prospèrent que dans un l’homme est menacé de toute part, et les chances milieu artificiel, aseptisé, dévitalisé. de préserver sa santé sont faibles. J’ai indiqué au chapitre précédent que Pasteur avait postulé que La volonté de manipuler génétiquement les l’organisme humain était pur, dépourvu de toute espèces végétales et animales (l’être humain y souillure (le dogme inexact de l’asepsie du corps compris), pour contrôler l’environnement dans humain), ce qui impliquait que la maladie ne lequel l’homme évolue et le débarrasser de tout pouvait venir que de l’extérieur. Bien que l’on élément agresseur ou pathogène, est la consé- sache que cette idée est fausse, que le corps quence de cette croyance erronée en un milieu humain est en réalité rempli de micro-orga- vital infesté par le mal et la maladie, dans lequel nismes de toutes sortes dont beaucoup peuvent – l’homme ne peut survivre qu’au prix d’une lutte à la faveur d’un déséquilibre du terrain – devenir sans merci. Déconnecté de la nature et de la vie, 34 35
- 18.enfermé dans son mental et dans l’univers maté- Tant dans la religion que dans la médecine, riel artificiel qu’il se construit autour de lui, l’homme apparaît donc comme un enfant apeuré l’homme considère son environnement naturel par la menace souterraine de Satan ou d’armées comme hostile et cherche à s’en protéger, quitte de microbes, et presque tout autant effrayé par pour cela à le détruire ou à tenter de le remode- un Dieu perdu dans les nuages, dont il doit ler sous son contrôle. implorer l’aide et tenter de s’attirer les bonnes Une même dichotomie conduit l’homme à se grâces, en se soumettant à l’ordre terrestre qui le couper de sa part d’ombre, en projetant le mal représente, qu’il soit clérical ou médical. hors de lui, et à se dissocier de son milieu inté- Toutefois, ainsi que je l’ai déjà dit ci-dessus, rieur, en projetant dans le monde extérieur l’ori- une prise de conscience et une maturation s’opè- gine de ses maladies. Il se prive ainsi et de la rent chez un nombre croissant d’individus qui se possibilité d’apprendre à connaître et à intégrer frayent un chemin vers la responsabilisation, la les diverses parties de son psychisme, processus prise en charge et l’autonomie, passant par la indispensable pour vivre en harmonie avec soi et confrontation de leurs peurs et l’intégration des avec les autres, et de la possibilité de prendre en parties dispersées de leur conscience, qu’elles charge sa santé en apprenant les règles de base de soient refoulées ou projetées hors de soi. l’hygiène de vie (alimentation, respiration, Le concept de l’origine extérieure des mala- détoxication, etc.). Ses tentatives pour détruire le dies est remplacé par la notion de « médecine de mal et la maladie, sans tenir compte de sa propre terrain » : la pathologie y apparaît comme la part de responsabilité, échouent systématique- conséquence d’un déséquilibre. L’individu est ment et aboutissent même au résultat inverse : il donc responsabilisé : c’est son mode de vie qui renforce toujours plus ce qu’il cherche à détruire. permet ou non le développement de maladies. Ayant extériorisé le mal et la maladie, la cul- Le milieu extérieur peut servir de stimulus, de ture judéo-chrétienne fait de même avec le bien déclencheur de la pathologie, mais il n’est plus et la santé : le salut ne peut nous venir que de perçu comme sa cause. l’extérieur. Sans l’aide de Dieu, d’un Sauveur, du Une évolution semblable a lieu dans la com- prêtre, du médecin, des hosties, des pilules, etc., préhension religieuse et spirituelle du mal. Les l’homme est condamné. Seul, il est faible, fragile, ouvrages et séminaires expliquant ce qu’est notre soumis à la tentation, aux agressions du milieu, part d’ombre, comment l’accepter, l’intégrer, tra- contre lesquelles il ne peut rien par lui-même. vailler avec elle, se multiplient. Le mal n’est plus 36 37
- 19.perçu comme quelque chose d’extérieur, ayant dans le vagin de la future mère, afin de baptiser une existence indépendante de l’homme. Il est l’enfant in utero lorsque sa vie était menacée. davantage compris comme le résultat d’un désé- De façon analogue, la vaccination est l’acte quilibre intérieur, ou plus justement, d’une scis- rituélique par lequel chaque enfant s’assure les sion (diabolein, en grec, signifie diviser). Le mal bonnes grâces de la médecine et sa protection qu’on projette à l’extérieur de soi, sur un bouc contre les maladies. Celui qui n’est pas vacciné émissaire, est en réalité une part de soi dont on s’expose selon elle à tous les dangers, au point s’est dissocié, que l’on ne veut pas voir, et qui en que cet acte a été rendu obligatoire dans plusieurs est d’autant plus nuisible. pays, et que les parents qui y soustraient leurs A la dichotomie bien/mal, santé/maladie, inté- enfants peuvent même être passibles de pour- rieur/extérieur qui a prévalu durant des siècles, suites. Les taches caractéristiques que chacun commence donc à succéder une vision unitaire garde longtemps sur le bras, en souvenir des pre- (mais pas uniforme) d’un monde dans lequel l’in- miers vaccins, font ainsi figure de sceau protec- dividu n’est plus isolé, coupé de tout, mais partie teur certifiant la filiation médicale. On n’est pas prenante de sa santé, de son salut, de sa vie. loin du tatouage rituélique. On notera également que c’est un des rares actes médicaux pratiqué de manière massive, Le baptême / la vaccination non personnalisé, souvent à l’école, ce qui sou- ligne sa dimension de rituel collectif. Compte tenu de l’omniprésence du mal et du Autrefois, le prêtre bénissait les armées avant péché originel, le baptême tient dans la religion de les envoyer aux croisades contre les impies ; catholique un rôle primordial : c’est le rituel qui durant la Guerre du Golfe, les soldats américains assure la protection divine, la Rédemption des ont reçu leur cocktail de vaccins avant d’affron- péchés, qui scelle l’entrée du pécheur dans le sein ter le « diable Saddam ». de l’église. Celui qui n’est pas baptisé est perdu, Tant pour le baptême que pour les vaccins, la condamné à l’enfer, ou tout au moins, aux peur joue un rôle essentiel : peur d’être condamné limbes, d’où l’importance de pratiquer le baptême à l’enfer, peur d’être rejeté par l’Église, peur de ne dans les jours suivant la naissance10. Si forte était pas être sauvé, peur de tomber malade, peur de cette conviction qu’à une époque pas si lointaine, ne pouvoir être guéri, peur d’être rejeté du corps on a même vu des prêtres introduire un crucifix médical, peur d’être exclu de la sécurité sociale. 38 39
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[*]20.Dans un cas comme dans l’autre, l’individu est La vaccination, en France tout particulière- convaincu qu’il ne peut rien faire par lui-même ment, n’est pas une option de la médecine pour assurer son salut ou sa santé ; il ne peut que moderne, une pratique parmi d’autres que l’on s’en remettre à autrui, rechercher la protection peut discuter, adopter ou rejeter : c’est un dogme du clan. dont la remise en question, fut-elle purement En réalité, non seulement la vaccination n’est théorique, suscite des peurs et déclenche des ni une panacée, ni une protection absolument réactions aussi intenses, voire agressives, qu’elles fiable contre les maladies, ni surtout la seule sont peu étayées d’arguments sérieux. façon de s’en prémunir, mais en plus, elle pré- Ces réactions sont tout à fait compréhensibles sente des dangers dont plusieurs livres et revues si l’on garde à l’esprit que la croyance aux vaccins spécialisées commencent à faire état, après des a pour fonction inconsciente d’apporter la sécu- années de silence imposées par les autorités rité – fut-elle illusoire – à une population infan- médicales, particulièrement en France, pour des tilisée qui vit dans la peur de la maladie. Les raisons historiques. Plusieurs courants de méde- spécialistes du religieux savent qu’il est absurde cines naturelles – dont l’homéopathie – la sus- de détruire une idole ou une icône si l’on a pas pectent même de provoquer dès l’enfance transformé ou fait évoluer la croyance à laquelle d’importantes perturbations du système immu- celle-ci sert de support. De même, aussi long- nitaire. temps que la vaccination est investie d’une fonc- tion religieuse, sa remise en question, dut-elle Mon but ici n’est pas d’ouvrir la polémique s’appuyer sur l’argumentation médicale la plus sur les dangers de la vaccination11, mais qu’elle solide, se heurtera à de profondes résistances. soit efficace ou non, de mettre en évidence la Pour cette raison, et pour éviter d’imposer à dynamique religieuse qui caractérise sa justifica- autrui des comportements pour lesquels il n’est tion et sa mise en œuvre systématique (voire pas prêt, il me semble indispensable de susciter obligatoire). A l’évidence, celle-ci, comme tou- préalablement une prise de conscience des dyna- jours lorsque le religieux s’en mêle, a prévenu miques inconscientes auxquelles nous sommes jusqu’ici l’étude objective des effets pervers que encore soumis. Lorsqu’un individu a su faire face nombre de médecins lui reprochent, et que l’on à ses peurs et parvenir à sa maturité psychique, ne trouve que dans quelques rares livres et revues une transformation dans sa façon de gérer sa spécialisés. santé et sa vie s’opère automatiquement. 40 41
[*]21.Relevons également un parallélisme intéres- docteur, etc.). C’est avant tout dans le relation- sant entre les grandes campagnes de vaccination nel curé-paroissien/docteur-patient, que l’on lancées dans le monde entier par l’OMS (Orga- décèle une remarquable similitude. nisation mondiale de la Santé) et, autrefois, Le prêtre est l’intermédiaire indispensable l’évangélisation massive à laquelle se livrait entre l’homme ordinaire et le divin ; le médecin l’Église catholique sur tous les continents. La est lui aussi l’intermédiaire entre le patient et les même foi, la même conviction de bien faire, ani- arcanes de la science médicale. Tous deux ont ment ces campagnes, et sans doute aussi la même longtemps utilisé le latin pour limiter l’accès du volonté de se protéger des dangers dont l’autre profane à leurs connaissances. Tous deux impo- peut être porteur, qu’il s’agisse de ses croyances sent le respect, voire une certaine crainte, puis- ou de ses virus. Les dieux des autres religions qu’ils détiennent un pouvoir sur autrui : pouvoir étaient considérés « faux », « primitifs », « païens », de juger les âmes ou de diagnostiquer les corps, et donc incapables d’assurer un salut digne de ce pouvoir de prescrire des repentences ou des trai- nom à ceux qui les révéraient. De même, les tements, pouvoir d’absoudre ou de soigner. médecines des diverses populations de la terre Comme toujours lorsqu’il y a pouvoir, la rela- ont été reléguées au rang de « superstitions », de tion est fondée sur la dépendance et la peur. Le « remède de bonne femme12 », etc. Ce n’est que croyant, comme le patient, est maintenu dans tout récemment que l’on a commencé à accorder une relation paternaliste et infantilisante. On quelque crédit aux « ethno-médecines », dont notera d’ailleurs l’usage, aussi révélateur qu’in- plusieurs ont d’ailleurs fait l’objet de pillages en congru, du mot « Père » pour s’adresser à un règle, tandis que des brevets étaient accordés à membre du clergé, pourtant voué au célibat. Le des multinationales. Peur, quand tu nous tiens… médecin aujourd’hui, pas plus que le prêtre hier, ne souhaite que ses patients/ouailles s’affranchis- sent de sa tutelle ; il les soigne, mais ne les éduque Le prêtre / le médecin pas, il ne leur enseigne pas les bases de la préven- tion, de l’hygiène de vie. C’est bien sûr le parallélisme le plus évident. Il y a un élément d’inaccessibilité dans le Gardons-nous cependant de ne l’envisager que savoir que détiennent aussi bien le prêtre que le sous ses aspects les plus superficiels (la soutane/ médecin, qui semblent tous deux appartenir à la blouse blanche ; les titres impersonnels curé/ un autre monde : le profane n’est pas en mesure 42 43
[*]22.de discuter, d’argumenter, il ne peut qu’obéir. réels de la politique de santé sont davantage la Appelez un médecin « Monsieur » au lieu de maîtrise du vivant que l’accès de chacun à sa « Docteur », discutez avec lui comme avec votre maturité sur le plan santé. Les raisons possibles garagiste ou votre assureur, exprimez vos senti- de cet état de choses seront abordées au chapitre ments ou, pire, des doutes, et observez les réac- Médecine messianique, médecine faustienne. tions qu’une telle attitude suscite : vous passerez pour un mécréant, voire, si vous évoquez en plus des thérapeutiques non conventionnelle, pour L’Église et les vœux / l’ordre des un hérétique. Mais en réalité, l’aura du médecin médecins et le serment d’Hippocrate est encore telle, qu’une majeure partie de la population ne parviendrait même pas à tenter Il est également frappant d’observer les parallèles d’adopter cette attitude à l’égard du « docteur ». existant entre l’Église de Rome et l’ordre des médecins. Ces deux structures partagent non La vulgarisation du savoir médical, la multi- seulement une forte hiérarchisation, un grand plication des livres et des revues sur la santé et les manque de transparence, mais aussi une justice diverses formes de médecine, ont contribué ces propre. De l’anathème à l’hérésie, de l’excommu- dernières années à modifier un peu la relation nication à l’interdiction de prédication, et plus médecin/patient. Un mouvement de réappro- crûment des Croisades aux bûchers, l’Église a priation de son corps et de son âme semble fort longtemps pratiqué sa propre justice, que ce soit heureusement se dessiner. Mais l’apparition de à l’encontre des païens, des hérétiques, de ses nouvelles technologies (clonage, génie génétique, fidèles ou de ses propres clercs. Quant à l’ordre etc.) vient contrebalancer cette évolution, en fai- des médecins – le terme d’« Ordre » propre à sant croire à la population que seules des tech- cette profession est révélateur en lui-même et fait niques très sophistiquées et coûteuses peuvent quelque peu moyenâgeux aujourd’hui – on sait garantir la santé collective, techniques inacces- avec quel acharnement il poursuit l’« hérésie » sibles au profane autrement qu’en s’en remettant dans ses rangs, celle-ci portant désormais le nom aux mains d’« experts ». L’attribution de sommes de « charlatanisme ». astronomiques à la mise au point d’appareils de Les vœux prononcés par le clerc, de même que pointe, plutôt qu’à l’éducation de santé et à la le serment d’Hippocrate (qui appelle un jeu de prévention véritable, suggère que les objectifs mots facile), confèrent tous deux une dimension 44 45
[*]23.sacerdotale à la charge ainsi acceptée. Quant à médecine et dans la religion ne résulte pas fon- savoir si le faste de l’Église, comme le recours à damentalement d’une volonté de manipuler et des médicaments hautement iatrogènes, sont de nuire que cultiveraient des individus assoiffés compatibles avec un vœu de pauvreté ou un pri- de pouvoir (même si cela existe). Je pense plutôt mum non nocere13, je laisse aux lecteurs le soin qu’elle tient avant tout au fait que l’ensemble de d’en décider pour eux-mêmes. la société est encore sous l’emprise de peurs et de État dans l’état, l’Église était très proche du superstitions primitives, dont l’influence s’exerce pouvoir sur lequel elle a – jusqu’à Napoléon, en subrepticement dans de nombreux domaines France – exercé une influence prépondérante, d’activités. Les autorités médicales sont le jouet pour des motifs auxquels la religion a essentielle- des mêmes peurs qui affectent ceux sur lesquels ment servi de prétexte, comme chacun le sait. La elles exercent leur pouvoir ; en effet, celui qui est fortune de l’Église ne provient pas de l’argent de libre de toute peur est généralement libre des la quête, pas plus qu’elle n’a beaucoup contribué jeux de pouvoir. Que l’on soit dominant ou à soulager les misères du monde. Depuis Pasteur, dominé, bourreau ou victime, on participe donc qui était un ami personnel de l’empereur, la à un même jeu, dicté par le pouvoir et la peur. médecine a progressivement pris la place laissée vacante par l’Église au côté de l’État, du fait de la laïcisation de la société. Nul n’ignore en France L’hérésie / le charlatanisme l’influence de l’Institut Pasteur-Mérieux sur la politique médicale, tout comme chacun connaît Au « Hors l’Église catholique, point de salut ! » les sommes brassées par l’industrie médico-phar- répond tout naturellement depuis Pasteur un maceutique. « Hors la médecine moderne, point de santé ! » L’Église de Rome voyait en Jésus le seul et unique Les structures ont changé, mais la dynamique fils de Dieu. Forte de cette croyance, elle s’est de fond est restée la même : jeux de pouvoir, longtemps considérée comme la seule voie de contrôle des masses, intérêts financiers. salut pour tous les hommes, au mépris des autres religions, qualifiées de primitives, païennes ou Bref rappel : ainsi que cela a été précisé dans hérétiques. Aujourd’hui, la médecine pasto- l’introduction, je considère que cette persistance rienne se considère elle aussi comme seule sus- de mêmes modes de fonctionnement dans la ceptible d’apporter la santé, comme seule vraie, 46 47
[*]24.rationnelle ; les autres pratiques médicales rele- et remboursée dans un troisième. Certains vac- vant pour elle de la crédulité, du charlatanisme, cins obligatoires en France sont interdits dans les du placebo, etc.14. pays nordiques et optionnels en Suisse. Des pra- L’hérésie, comme le charlatanisme, consiste tiques comme l’acupuncture, l’ostéopathie ou la donc, dans la plus grande partie des cas, non pas chiropraxie sont reconnues et remboursées par à mettre en péril le salut ou la santé d’autrui, certains pays, ridiculisées et condamnées par mais à oser les rechercher par d’autres moyens – d’autres. Pareille attitude relativise les aspirations confessions ou médecines différentes – que ceux de la médecine à être considérée comme une officiellement admis. Peu importe que ceux-ci science à part entière, car les lois de la physique soient éventuellement plus efficaces ou simple- ou de la chimie sont, elles, les mêmes sous toutes ment plus conformes à la culture, aux aspirations les latitudes et dans toutes les cultures. ou aux désirs des intéressés. Qui plus est, une attitude réellement scienti- Cela dit, qu’il existe de véritables charlatans, fique consisterait à mettre à l’épreuve, de façon des escrocs – comme on en trouve peu ou prou équitable, les diverses thérapeutiques officielles dans toutes les professions – ne fait guère de ou non, d’étudier leurs résultats sans a priori, doute. Mais il fait non moins de doute qu’il plutôt que de les condamner ou de les rejeter existe un grand nombre de thérapeutiques non pour la seule raison de leur non-conformité aux officiellement reconnues, dont l’efficacité est dogmes médicaux en vigueur. attestée, et qui font cependant l’objet d’une véri- Voilà qui souligne à nouveau la dynamique table inquisition. A la pensée unique correspond religieuse qui influence la médecine dans tous ses une médecine unique qui ne tolère aucune aspects, malgré le discours scientifique dans concurrence. Certes, les médecins ou praticiens lequel elle aime à se draper. La physique ou la hérétiques ne sont plus brûlés de nos jours, mais chimie, par exemple, n’ont pas besoin d’un ils sont souvent « grillés » : diffamation, amendes, « Ordre » pour défendre ceux qui la pratiquent, peines d’emprisonnement, impossibilité d’exercer sans avoir d’ailleurs pris de voeux ni prononcé de librement. serment. Leurs expériences, leurs résultats peu- L’arbitraire de ces décisions et leur absence de vent librement être discutés, sans susciter l’irrup- fondement rationnel ou médical se voit claire- tion de réactions fanatiques (encore que…). ment au fait qu’une même thérapeutique peut On notera enfin que l’amalgame fait aujour- être interdite dans un pays, tolérée dans un autre d’hui entre médecines naturelles et sectes permet 48 49
[*]25.au pouvoir médical en place de diaboliser et de L’Église apportait à ses ouailles l’espoir du combattre les praticiens de médecines alterna- salut et de la vie éternelle, l’espoir d’un au-delà tives, souvent au mépris des droits élémentaires. paradisiaque – pour ceux ayant respecté ses com- Rien ne saurait mieux illustrer la persistance des mandements – qui justifiait toutes les souf- mêmes vieilles phobies religieuses, sous les appa- frances et les injustices de ce monde-ci. Tout cela rences médicales les plus modernes. méritait bien quelques sacrifices, quelques péni- tences et privations : qu’est-ce qu’une vie humaine en regard de l’éternité ? Le Salut et la vie éternelle / la santé et La médecine moderne, qui a substitué le culte l’immortalité physique du corps à celui de l’esprit, cultive aussi l’ambi- tion à peine cachée de vaincre la maladie et la Nous touchons ici la pierre angulaire de l’Église mort. Elle a tout naturellement remplacé la et de la médecine, à savoir la question de la quête d’un salut et d’une vie éternelle hypothé- mort. La plupart des religions de la planète, tiques par la recherche de la santé parfaite sur sinon toutes, sont des réponses à la question de ordonnance et l’espoir, sinon de l’immortalité la mort, qui hante le commun des… mortels. physique, du moins d’une vie s’allongeant indé- Otez la peur de la mort et vous supprimez l’es- finiment : le nombre croissant de personnes qui sentiel du besoin de croire, quelle que soit la demandent à être cryogénées après leur décès en façon dont il s’exprime. La promesse d’un au- témoigne. Ce fol espoir est entretenu un peu delà, l’assurance d’une vie après la mort, et rapidement par quelques émules du Dr Fran- même d’une vie meilleure, sans maladie, sans kenstein, sur la base des résultats, pourtant bien misère, l’espoir d’un paradis, d’une récompense aléatoires, de greffes d’organes et des promesses pour les justes, c’est tout cela – qu’il soit vrai ou du génie génétique (clonage, réserve d’organes, non – qui nourrit la foi chrétienne. C’est tout etc.). L’absence de recul sur ces méthodes laisse cela aussi que les autorités ecclésiastiques ont su songeur quant aux espoirs que l’on fonde sur utiliser à travers les siècles pour contrôler l’exis- elles. Ceci d’autant plus que derrière les résultats tence des individus, comme celle de peuples mirifiques dont la presse aime à se faire l’écho se entiers, pour justifier l’Inquisition et les Croi- profilent bien souvent des effets secondaires inat- sades, l’ingérence dans la vie privée (et, en parti- tendus, comme c’est presque toujours le cas dès culier, sexuelle) de chacun, etc. que l’on touche au vivant. 50 51
[*]26.Mais qu’importe, pour beaucoup, le paradis Pasteur ; les antibiotiques génèrent des multi- ne se situe plus dans un Eden métaphysique, il résistances ; de nouvelles maladies apparaissent, est désormais à portée de main : bientôt les et les coûts de la santé s’envolent. Certes, un effi- hommes vivront éternellement sur terre, grâce cace écran de communication masque le plus aux progrès de la médecine, entourés d’espèces souvent ces réalités au grand public, mais quand végétales et animales revues et corrigées, ou bien même celui-ci en serait informé que la créées de toute pièce en laboratoire par le génie dimension messianique de la médecine viendrait humain. Dieu – s’il existe – n’avait fait qu’un probablement sanctifier ces erreurs à ses yeux. brouillon imparfait avec sa Création, mais heu- reusement, l’homme est intervenu pour arranger Le message principal que la médecine s’ef- les choses. force de faire passer à ses fidèles à travers les Si le ciel valait bien quelques souffrances et médias est que l’on vit plus, plus longtemps et privations, le paradis terrestre a, lui aussi, son mieux, que la lutte contre le cancer progresse, coût : erreurs médicales (qui, avec les moyens que demain, on maîtrisera le vivant et que l’on modernes, prennent désormais des proportions fera reculer la mort, quitte à trafiquer chiffres et considérables : vache folle, sang contaminé, etc.), statistiques pour conforter ce credo. Comme expérimentation animale et humaine, et – si l’on nombre de croyances religieuses, les croyances inclut dans cette dynamique les biotechnologies médicales servent à protéger l’homme de la peur et les manipulations du vivant – dénaturation de la mort, au lieu de lui apprendre à y faire face, des espèces végétales et animales, etc. à l’accepter, processus indispensable à qui veut C’est d’ailleurs, à mon avis, dans la façon dont vraiment vivre. La médecine nie la mort, qui ses erreurs et ses échecs sont tolérées par la société représente pour elle un échec. Elle parle clonage, que la médecine révèle le mieux sa dimension génie génétique, greffes d’organes, etc. Même si religieuse et l’aura protectrice dont elle est entou- d’indéniables progrès ont été réalisés ces der- rée. Dans nul autre domaine, on ne tolérerait une nières décennies, la mort reste un sujet tabou. marge d’erreur aussi grande, ni on ne poursuivrait On prolonge indéfiniment la vie d’individus dans la même direction avec des résultats qui, à réduits à l’état de légumes, gonflant ainsi artifi- long terme, s’avèrent mitigés : plusieurs vaccins ciellement les statistiques de longévité, sans montrent aujourd’hui les limites et dangers que prendre en compte la qualité de vie dont jouis- leur avaient déjà prédit des contemporains de sent ceux qui sont traités ainsi. La mort n’est pas 52 53
[*]27.vaincue, elle est maquillée, cachée, niée. Et la Le chrétien moyen se trouvait de la sorte indirec- religion médicale n’est rendue possible qu’en rai- tement encouragé à continuer de vivre de la son de cette croyance, alimentée par les médias, même façon, à regoûter du « péché » autant qu’il qu’un jour la médecine aura raison de la mort. le voulait, puisque, de toute façon, son salut était La peur de la mort est ainsi le ciment de la assuré par le clergé local au prix de quelques relation de dépendance qui s’établit entre l’indi- prières ou d’espèces sonnantes et trébuchantes. vidu et le prêtre ou le médecin. La même relation de co-dépendance s’est ensuite établie entre le médecin et son patient. Les consultations régulières remplacent la Les péchés, la confession, le repentir / confession et, comme cette dernière, n’ont pas la mauvaise hygiène de vie, pour but de donner à l’individu les moyens de se la consultation, le traitement prendre en charge et de se responsabiliser (en lui enseignant, dans le cas présent, les bases de la Dès lors que l’Église est devenue un instrument prévention et de l’hygiène de vie, par exemple15), de contrôle des masses, maintenues sous sa bien- mais de fidéliser sa dépendance envers une auto- veillante dépendance, ses pratiques visaient plus rité extérieure, qui dépend elle aussi de ceux à faire perdurer cette relation de dépendance qu’elle gouverne. Là encore, le patient est encou- qu’à conduire les fidèles sur le chemin de leur ragé à continuer de vivre dans l’inconscience et libération intérieure. L’institution de la confes- l’insouciance, convaincu que la médecine saura sion en est un exemple éloquent. En demandant au besoin réparer ses erreurs, moyennant quelque aux fidèles de confesser régulièrement leurs argent, mais surtout pas d’effort. « Maigrir sans péchés, et en leur donnant une absolution effort », « rajeunir sans effort », « en pleine forme moyennant seulement un repentir superficiel, sans effort » : les magazines regorgent de publici- associé à la récitation de quelques Pater Noster tés de ce style qui entretiennent l’individu dans ou, encore plus significatif, à la pratique des l’infantilisme et la déresponsabilisation. Le résul- indulgences, l’Église indiquait clairement que tat est connu : l’envol des coûts « de la santé », la son but était moins l’élévation des âmes de ses multiplication des maladies iatrogènes16 et de ouailles que la surveillance et le contrôle de leur civilisation, la perte de la qualité de vie, l’appari- vie, jusque dans ses aspects les plus intimes, ainsi tion de nouvelles pathologies, des effets secon- que l’augmentation de ses ressources financières. daires indésirables, etc. A quoi les autorités 54 55
[*]28.médicales répondent qu’une nouvelle pilule, une nouvelle technologie, un nouveau miracle médi- cal, viendra tout arranger et donner enfin accès à cette santé qui, curieusement, semble s’éloigner toujours un peu plus, à chaque pas effectué dans cette direction. … et ainsi de suite Chapitre 3 Je pourrais poursuivre méthodiquement l’énoncé de ces nombreux parallélismes entre religion chrétienne et médecine, en relevant notamment encore ceux-ci : Médecine messianique, la messe en latin > le jargon médical (autre- médecine faustienne fois aussi latin) l’hostie > les pilules la soutane > la blouse blanche a médecine moderne est donc devenue les bonnes sœurs les dons à l’église> les infirmières> les dons à la recherche médicale L la religion collective du 20e siècle. « Métareligion » laïque, en quelque sorte, dont les fidèles – qui se comptent parmi etc. toutes les autres religions – se chiffrent probable- ment en centaines de millions. Elle dispose, il est Les exemples cités dans ce chapitre suffisent vrai, d’un atout majeur : ce que les autres confes- cependant à illustrer mon propos. Les lecteurs sions promettent dans un hypothétique au-delà, auxquels cette approche semble pertinente n’au- elle le laisse espérer dans ce monde-ci. Le paradis ront aucun mal à poursuivre cette comparaison terrestre est pour demain : grâce au clonage, au par eux-mêmes, avec les autres caractéristiques génie génétique, aux greffes et transplantations, de ces deux institutions. demain, on vivra indéfiniment, la maladie aura 56 57
[*]29.été vaincue, la souffrance aussi. Finis le hasard, la quand point l’espoir d’une existence physique malchance, l’imprévu : on choisira les caractéris- indéfinie ? Non seulement le médecin a pris la tiques physiques et psychiques de ses enfants, place du prêtre, mais il aspire même à prendre que l’on pourra avoir à n’importe quel âge. De celle du Créateur17, à acquérir la Toute-puis- même, on pourra refaçonner son corps et se sance sur le vivant et à façonner celui-ci à sa donner l’apparence de son choix. Et l’on vivra guise. entouré d’espèces végétales et animales adaptées Selon la mythologie chrétienne, l’archange à nos besoins, dûment brevetées, les autres ayant Lucifer (porteur de lumière) a chuté par orgueil rejoint des réserves dans le meilleur des cas…, pour s’être cru l’égal du Créateur. On ne peut des musées dans le pire. Bienvenue dans « le manquer de trouver des ressemblances entre ce meilleur des mondes »… récit symbolique et ce à quoi nous assistons Bien sûr, c’est là un tableau caricatural, et l’on aujourd’hui. Il y a, me semble-t-il, un orgueil arguera que jamais la médecine ne promet certain à s’imaginer que l’homme, grâce aux ouvertement tout cela : c’est vrai, mais l’espoir seules lumières de la science, va se rendre maître en est quand même présent – entretenu même – du vivant, en s’y prenant de la façon dont il le comme l’indiquent notamment le nombre crois- fait actuellement, c’est-à-dire sans respect pour la sant de personnes se faisant cryogéner après leur vie 18 . Les parodies de réflexion éthique qui mort, ou encore bon nombre de films futuristes entourent des sujets tels que la procréation assis- dans lesquels se reflètent les aspirations de notre tée, l’avortement, l’euthanasie, les manipulations génération : on y voit le héros (ou le méchant) génétiques, etc., soulignent avant tout le désarroi sortir d’une congélation de quelques dizaines ou et l’impossibilité de trouver des points d’ancrage centaines d’années, avant de réaliser ses exploits. solides d’une civilisation qui nie toute dimension « Qui fait l’ange fait la bête », dit un proverbe. autre que matérielle à l’existence, et qui ne per- Et de façon similaire, il semble que ce soit en çoit pas l’unité du vivant. réalité le mythe faustien qui se joue sous nos Ouvrons les yeux. yeux. Depuis plus d’un siècle, la médecine et les Depuis un siècle, les miracles médico-scienti- sciences du vivant ont vendu (ou tout au moins fiques d’un jour deviennent les mirages du len- perdu) leur âme et cherchent à se rendre maîtres demain : l’état de santé déplorable de la planète, de la vie, en lui niant cependant toute dimension comme celui de l’humanité, en témoignent assez. spirituelle ou sacrée. Qu’importe le spirituel Qu’il s’agisse des vaccins, des antibiotiques ou de 58 59
[*]30.leurs équivalents dans l’agriculture, on découvre mauvaises surprises se révéleront lorsque le jour après jour que chaque brève victoire gagnée mirage se dissipera… ? contre la nature est suivie de revers sérieux et de Comme un nombre croissant d’individus problèmes aggravés. De nouvelles formes plus aujourd’hui, je pense que seules la prise de fortes de tuberculose, de choléra, de malaria, conscience et la responsabilisation personnelle, à etc., ont fait leur apparition. La résistance des tous les niveaux (intellectuel, médical, social, spi- virus et des bactéries s’accroît, comme en agri- rituel, etc.), peuvent nous apporter ce que des culture celle des parasites aux différents produits générations de prophètes nous ont fait espérer utilisés pour les combattre. Faut-il s’en étonner d’une autorité ou d’un rédempteur extérieurs, lorsqu’on travaille contre la nature plutôt qu’avec nous incitant ainsi à nous déresponsabiliser et à elle ? nous aliéner de nos propres ressources, en son A chaque mauvaise surprise, à chaque nou- nom. Je suis convaincu qu’aussi longtemps qu’elle veau scandale, les chercheurs prophétisent que la reste animée par la mentalité qui la caractérise prochaine étape sera la bonne, que la prochaine aujourd’hui, la médecine ne nous apportera pas découverte, le prochain remède nous donnera la plus la santé collective que deux mille ans d’un solution (l’ab-solution ?). Et quand cette solu- christianisme dénaturé n’ont apporté la paix et tion révèle à son tour ses faiblesses et des effets l’amour dans le monde. secondaires, parfois pires que ses éphémères bien- Plutôt que d’être religieuse à son insu, et de faits, la recherche nous vante déjà les mérites du servir de théâtre à l’expression des fonds obscurs prochain mirage… de la conscience humaine, la médecine aurait C’est flagrant aujourd’hui. La prochaine tout à gagner à inclure consciemment une étape, le prochain miracle, nous dit-on, c’est le dimension psychologique ou spirituelle dans sa génie génétique : on laisse entendre que la géné- pratique. Celle-ci, à l’évidence, ne se décrète pas tique va tout sauver, tout arranger, guérir ce que de l’extérieur, de façon intellectuelle ou acadé- les précédentes découvertes n’ont pas guéri, ainsi mique : elle ne peut que résulter de la démarche que tout ce qu’elles ont provoqué comme patho- intérieure, individuelle, des membres du corps logies iatrogènes. Mais l’on peut être certain que médical. Plusieurs sont d’ailleurs déjà sur cette ce nouveau mirage reculera devant nous comme voie, comme en témoignent de nombreux livres les autres, car l’état d’esprit fondamental de la et séminaires de médecins qui vivent leur profes- médecine n’a pas changé d’un iota. Et quelles sion comme un réel sacerdoce, ayant de leurs 60 61
[*]31.patients une vision plus vaste et plus profonde méchant lobby médico-pharmaceutique », sensé que celle strictement mécanique ou physiolo- rechercher seulement le pouvoir et l’argent, et de gique qui leur a été enseignée. Ces médecins l’autre « les pauvres patient exploités » ou « les incluent la psyché, l’esprit (ou tout au moins braves adeptes des médecines alternatives », vic- l’humain) dans leur pratique, que ce soit par le times d’une conspiration planétaire. Le système recours à divers rituels 19, par l’établissement actuel a vu le jour parce qu’il répondait aux d’une relation d’amour avec leurs patients20, ou besoins de la majorité ; il se perpétue parce que par de nombreux autres moyens. Les résultats la plupart continue d’y donner son consente- qu’ils obtiennent non seulement en termes quan- ment, fut-il tacite. Et cela, parce qu’en dépit de titatifs, objectivement mesurables, mais aussi sur ses imperfections évidentes, ce système continue le plan qualitatif – qualité de la relation, évolu- de satisfaire des fonctions religieuses ou psycho- tion du patient, etc. – paraissent très promet- logiques fondamentales, en apaisant les peurs teurs. collectives. Les patients ont évidemment eux aussi leur S’attaquer à ce système médical, ainsi que le part de responsabilité dans le type et la qualité de font certains, m’apparaît certes courageux, mais relations qu’ils entretiennent avec leur médecin – je le crains – également futile du moment que ou thérapeute. Ceux qui apprennent progressive- ces attaques n’agissent pas sur la mentalité qui en ment à se prendre en charge, à se connaître, à assure la pérennité. Si le système actuel venait à assumer leur santé, ceux qui voient à travers le disparaître, la même mentalité aurait tôt fait de masque religieux voilant actuellement la méde- lui trouver un remplaçant, tout comme la méde- cine, et qui considèrent avant tout le médecin cine est elle-même venue suppléer aux carences comme quelqu’un pouvant les aider à se guérir induites par la disparition de la religion collec- eux-mêmes et à comprendre le sens de leur mala- tive d’autrefois. Ce n’est donc pas « le système » die (et non comme un être investi de pouvoirs qu’il faut changer, mais bien notre propre dyna- particuliers), contribuent à faire évoluer la rela- mique interne, notre relation à nous-mêmes, à tion thérapeutique et l’acte médical vers ce qu’ils nos peurs, à la maladie, au monde, dont ce sys- peuvent avoir de plus respectueux et de meilleur. tème n’est qu’un des nombreux et fidèles Nous avons donc tous une part de responsa- miroirs. bilité dans la situation actuelle, contrairement à Celui qui a opéré cette transformation de lui- ce que pensent ceux qui voient d’un côté « le même n’est plus dans le système, mais il n’y est 62 63
[*]32.pas non plus opposé (lorsqu’on est « contre », on se situe par définition au même niveau que ce que l’on combat) : il gère librement sa vie et sa santé. Il respecte de ce fait ceux qui la gèrent autrement que lui, y compris ceux qui ont encore besoin du système médical actuel. Toute tentative de faire évoluer autrui contre son gré – une aberration dans les termes –- aboutit généra- lement à des résultats inverses à ceux souhaités. Il me semble plus respectueux d’autrui, et donc Chapitre 4 plus productif, de partager avec ceux qui le dési- rent les connaissances, les moyens, les méthodes permettant de cheminer sur la voie de la respon- sabilisation individuelle, de l’autonomie et de L’éternel retour des l’indépendance. peurs ataviques ’ai suggéré dans ces pages qu’un « champ J religieux » chrétien est à l’œuvre dans la médecine et la recherche, et qu’il en oriente le fonctionnement, comme un champ magnétique invisible, au-delà de toute rationa- lité. Ce champ, nous l’avons vu, est constitué de croyances profondes destinées à apaiser des peurs, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, et qui ne cesseront de parasiter nos activi- tés « rationnelles » et « objectives » aussi long- temps qu’elles n’auront pas été affrontées individuellement. On en trouve des traces non 64 65
[*]33.seulement dans la médecine, qui en est probable- peurs et des anciens enseignements23. Il qualifie ment l’exemple le plus frappant, mais dans de de « dysangile » (mauvaise nouvelle) ce qu’ils ont nombreux domaines, de la politique21 à la philo- fait de l’enseignement de Jésus, projetant sur sa sophie, en passant par les arts ou l’économie. mort le concept païen du sacrifice expiatoire de En poussant cette approche un cran plus loin, l’innocent pour le rachat de la communauté24. on constate que la religion chrétienne, telle que Pour lui, il n’y aurait eu au fond qu’un seul vrai nous la connaissons, est elle-même le résultat chrétien : Jésus, seul à avoir opéré l’alchimie de d’un parasitage du message christique originel par ses peurs et vécu l’amour véritable. Une hypo- les peurs primitives de l’homme : peur de la mort, thèse assez troublante pour mériter, à mon sens, peur de la souffrance, peur de l’inconnu, peur du plus qu’un rejet émotionnel ou une approbation jugement, de l’exclusion, y compris peur de la vie. superficielle. Ces peurs ont en effet façonné les superstitions Nous voyons donc se superposer trois anciennes, les premières formes de religions, tout niveaux, trois couches différentes : comme elles se sont mêlées aux enseignements des divers prophètes et les ont dénaturés. 1 – Le noyau fondamental est constitué des Cette dénaturation me semble particulière- peurs fondamentales de l’être humain, par ment évidente avec le message du Christ, proba- rapport à sa condition sur cette terre, ses blement déformé dès les origines, ainsi que souffrances, sa mort, etc. l’avait déjà suggéré Nietzsche, dans l’« Antéchrist » avec la verve qu’on lui connaît. Pour Nietzsche, 2 – Pour se protéger de ses peurs, l’individu les la « bonne nouvelle » de Jésus, c’était la dispari- recouvre d’une couche de croyances qui tion de la notion de faute, de culpabilité 22 , visent à les apaiser, à défaut de vraiment les c’était le don de l’amour, l’acceptation totale de dissiper par les lumières de la connaissance. la vie présente, y compris d’une mort injuste. A La croyance habille les peurs, les déguise, l’inverse, la religion chrétienne s’est construite pour les rendre plus acceptables ; mais elle sur la culpabilité, la peur, le jugement et la puni- ne résout rien et sous ces déguisements, les tion. Nietzsche avait émis une supposition qui peurs continuent d’agir. mérite réflexion : selon lui, les premiers chrétiens n’auraient pas compris le sens de la mort de Jésus 3 – Enfin, à notre époque où le besoin de savoir et l’auraient interprétée à la lumière de leurs prend le pas sur celui de croire, comme la 66 67
[*]34.science sur la religion, un vernis intellectuel Aussi longtemps que ce noyau de peurs reste tente de justifier rationnellement ces le moteur caché de l’existence humaine, notre croyances, ou de leur donner une nouvelle imagination et nos facultés intellectuelles reste- forme sans en changer le fond. ront loin en-deçà de leurs capacités réelles, asser- vies à la tâche basique de garantir notre sécurité A la lumière de ces trois niveaux, la sacro- psychologique. sainte « liberté de pensée » apparaît comme un Aux dires de nombreux enseignements spiri- leurre. Il n’y a pas de liberté de pensée sans tuels, ce parasitage de l’activité humaine par les liberté de croyances. Et il n’y a pas de liberté de fonds obscurs de la psyché ne prend fin que croyances pour celui qui n’est pas libre de ses lorsque l’individu parvient, par le travail inté- peurs. Les croyances délimitent le champ dans rieur de son choix, à transmuter ses peurs ata- lequel s’exerce la pensée, comme un invisible viques, à intégrer sa part d’« ombre » (plutôt que écran magnétique digne de La guerre des étoiles. de la projeter sur autrui), bref à se réaliser, à Celui qui parvient à s’en échapper inquiète les atteindre sa pleine maturité spirituelle. Or, s’il autres : ce fut justement le cas d’un Nietzsche, est déjà rare de rencontrer des personnes ayant dont l’audace en la matière continue d’étonner réalisé cet état, à ma connaissance, aucune société aujourd’hui. humaine ne l’a encore atteint collectivement. Le Les émotions, les colères, les indignations, les fonctionnement de la plupart des populations du passions qui apparaissent lorsque certaines idées globe reste donc, pour l’instant, soumis au jeu de « dérangeantes » sont discutées, non seulement ces forces obscures de la psyché humaine25, à en médecine, mais dans tous les domaines, sont l’origine des guerres, des conflits religieux ou la plupart du temps des révélateurs de ce « mur raciaux, dans lesquels l’ennemi, « diabolisé », sert de croyances » qui limite étroitement les incur- d’écran expiatoire aux projections collectives les sions de la pensée dans l’inconnu. D’ailleurs, on plus sombres. dit volontiers que « la pensée a des ailes » : elle a en effet la capacité de voler très loin et d’explorer des territoires inconnus, mais elle doit pour cela s’affranchir de ses racines qui la lient au plus pro- fond de l’obscurité de nos peurs. 68 69
[*]35.Conclusion u-delà de la religion et de la médecine, A ou des autres domaines d’activité humaine où s’observent des travers similaires, c’est évidemment l’être humain – c’est-à-dire chacun de nous – qui est invité à se libérer de la peur, cette peur qui fausse la percep- tion, qui fait rechercher le pouvoir pour avoir la sécurité (ou les croyances pour s’en donner l’illu- sion), cette peur qui empêche d’aimer. « Invité » à se libérer, mais non contraint : à chacun son rythme, son temps d’incubation, de germina- tion, de floraison. Un tel changement de mode de fonctionne- ment – de paradigme – est d’ailleurs déjà en cours et l’on en trouve des traces dans divers domaines : médecine, éducation, économie, agri- culture, politique, sciences, etc. Il passe toujours par la transformation individuelle : de l’état de 70 71
[*]21.Relevons également un parallélisme intéres- docteur, etc.). C’est avant tout dans le relation- sant entre les grandes campagnes de vaccination nel curé-paroissien/docteur-patient, que l’on lancées dans le monde entier par l’OMS (Orga- décèle une remarquable similitude. nisation mondiale de la Santé) et, autrefois, Le prêtre est l’intermédiaire indispensable l’évangélisation massive à laquelle se livrait entre l’homme ordinaire et le divin ; le médecin l’Église catholique sur tous les continents. La est lui aussi l’intermédiaire entre le patient et les même foi, la même conviction de bien faire, ani- arcanes de la science médicale. Tous deux ont ment ces campagnes, et sans doute aussi la même longtemps utilisé le latin pour limiter l’accès du volonté de se protéger des dangers dont l’autre profane à leurs connaissances. Tous deux impo- peut être porteur, qu’il s’agisse de ses croyances sent le respect, voire une certaine crainte, puis- ou de ses virus. Les dieux des autres religions qu’ils détiennent un pouvoir sur autrui : pouvoir étaient considérés « faux », « primitifs », « païens », de juger les âmes ou de diagnostiquer les corps, et donc incapables d’assurer un salut digne de ce pouvoir de prescrire des repentences ou des trai- nom à ceux qui les révéraient. De même, les tements, pouvoir d’absoudre ou de soigner. médecines des diverses populations de la terre Comme toujours lorsqu’il y a pouvoir, la rela- ont été reléguées au rang de « superstitions », de tion est fondée sur la dépendance et la peur. Le « remède de bonne femme12 », etc. Ce n’est que croyant, comme le patient, est maintenu dans tout récemment que l’on a commencé à accorder une relation paternaliste et infantilisante. On quelque crédit aux « ethno-médecines », dont notera d’ailleurs l’usage, aussi révélateur qu’in- plusieurs ont d’ailleurs fait l’objet de pillages en congru, du mot « Père » pour s’adresser à un règle, tandis que des brevets étaient accordés à membre du clergé, pourtant voué au célibat. Le des multinationales. Peur, quand tu nous tiens… médecin aujourd’hui, pas plus que le prêtre hier, ne souhaite que ses patients/ouailles s’affranchis- sent de sa tutelle ; il les soigne, mais ne les éduque Le prêtre / le médecin pas, il ne leur enseigne pas les bases de la préven- tion, de l’hygiène de vie. C’est bien sûr le parallélisme le plus évident. Il y a un élément d’inaccessibilité dans le Gardons-nous cependant de ne l’envisager que savoir que détiennent aussi bien le prêtre que le sous ses aspects les plus superficiels (la soutane/ médecin, qui semblent tous deux appartenir à la blouse blanche ; les titres impersonnels curé/ un autre monde : le profane n’est pas en mesure 42 43
[*]22.de discuter, d’argumenter, il ne peut qu’obéir. réels de la politique de santé sont davantage la Appelez un médecin « Monsieur » au lieu de maîtrise du vivant que l’accès de chacun à sa « Docteur », discutez avec lui comme avec votre maturité sur le plan santé. Les raisons possibles garagiste ou votre assureur, exprimez vos senti- de cet état de choses seront abordées au chapitre ments ou, pire, des doutes, et observez les réac- Médecine messianique, médecine faustienne. tions qu’une telle attitude suscite : vous passerez pour un mécréant, voire, si vous évoquez en plus des thérapeutiques non conventionnelle, pour L’Église et les vœux / l’ordre des un hérétique. Mais en réalité, l’aura du médecin médecins et le serment d’Hippocrate est encore telle, qu’une majeure partie de la population ne parviendrait même pas à tenter Il est également frappant d’observer les parallèles d’adopter cette attitude à l’égard du « docteur ». existant entre l’Église de Rome et l’ordre des médecins. Ces deux structures partagent non La vulgarisation du savoir médical, la multi- seulement une forte hiérarchisation, un grand plication des livres et des revues sur la santé et les manque de transparence, mais aussi une justice diverses formes de médecine, ont contribué ces propre. De l’anathème à l’hérésie, de l’excommu- dernières années à modifier un peu la relation nication à l’interdiction de prédication, et plus médecin/patient. Un mouvement de réappro- crûment des Croisades aux bûchers, l’Église a priation de son corps et de son âme semble fort longtemps pratiqué sa propre justice, que ce soit heureusement se dessiner. Mais l’apparition de à l’encontre des païens, des hérétiques, de ses nouvelles technologies (clonage, génie génétique, fidèles ou de ses propres clercs. Quant à l’ordre etc.) vient contrebalancer cette évolution, en fai- des médecins – le terme d’« Ordre » propre à sant croire à la population que seules des tech- cette profession est révélateur en lui-même et fait niques très sophistiquées et coûteuses peuvent quelque peu moyenâgeux aujourd’hui – on sait garantir la santé collective, techniques inacces- avec quel acharnement il poursuit l’« hérésie » sibles au profane autrement qu’en s’en remettant dans ses rangs, celle-ci portant désormais le nom aux mains d’« experts ». L’attribution de sommes de « charlatanisme ». astronomiques à la mise au point d’appareils de Les vœux prononcés par le clerc, de même que pointe, plutôt qu’à l’éducation de santé et à la le serment d’Hippocrate (qui appelle un jeu de prévention véritable, suggère que les objectifs mots facile), confèrent tous deux une dimension 44 45
[*]23.sacerdotale à la charge ainsi acceptée. Quant à médecine et dans la religion ne résulte pas fon- savoir si le faste de l’Église, comme le recours à damentalement d’une volonté de manipuler et des médicaments hautement iatrogènes, sont de nuire que cultiveraient des individus assoiffés compatibles avec un vœu de pauvreté ou un pri- de pouvoir (même si cela existe). Je pense plutôt mum non nocere13, je laisse aux lecteurs le soin qu’elle tient avant tout au fait que l’ensemble de d’en décider pour eux-mêmes. la société est encore sous l’emprise de peurs et de État dans l’état, l’Église était très proche du superstitions primitives, dont l’influence s’exerce pouvoir sur lequel elle a – jusqu’à Napoléon, en subrepticement dans de nombreux domaines France – exercé une influence prépondérante, d’activités. Les autorités médicales sont le jouet pour des motifs auxquels la religion a essentielle- des mêmes peurs qui affectent ceux sur lesquels ment servi de prétexte, comme chacun le sait. La elles exercent leur pouvoir ; en effet, celui qui est fortune de l’Église ne provient pas de l’argent de libre de toute peur est généralement libre des la quête, pas plus qu’elle n’a beaucoup contribué jeux de pouvoir. Que l’on soit dominant ou à soulager les misères du monde. Depuis Pasteur, dominé, bourreau ou victime, on participe donc qui était un ami personnel de l’empereur, la à un même jeu, dicté par le pouvoir et la peur. médecine a progressivement pris la place laissée vacante par l’Église au côté de l’État, du fait de la laïcisation de la société. Nul n’ignore en France L’hérésie / le charlatanisme l’influence de l’Institut Pasteur-Mérieux sur la politique médicale, tout comme chacun connaît Au « Hors l’Église catholique, point de salut ! » les sommes brassées par l’industrie médico-phar- répond tout naturellement depuis Pasteur un maceutique. « Hors la médecine moderne, point de santé ! » L’Église de Rome voyait en Jésus le seul et unique Les structures ont changé, mais la dynamique fils de Dieu. Forte de cette croyance, elle s’est de fond est restée la même : jeux de pouvoir, longtemps considérée comme la seule voie de contrôle des masses, intérêts financiers. salut pour tous les hommes, au mépris des autres religions, qualifiées de primitives, païennes ou Bref rappel : ainsi que cela a été précisé dans hérétiques. Aujourd’hui, la médecine pasto- l’introduction, je considère que cette persistance rienne se considère elle aussi comme seule sus- de mêmes modes de fonctionnement dans la ceptible d’apporter la santé, comme seule vraie, 46 47
[*]24.rationnelle ; les autres pratiques médicales rele- et remboursée dans un troisième. Certains vac- vant pour elle de la crédulité, du charlatanisme, cins obligatoires en France sont interdits dans les du placebo, etc.14. pays nordiques et optionnels en Suisse. Des pra- L’hérésie, comme le charlatanisme, consiste tiques comme l’acupuncture, l’ostéopathie ou la donc, dans la plus grande partie des cas, non pas chiropraxie sont reconnues et remboursées par à mettre en péril le salut ou la santé d’autrui, certains pays, ridiculisées et condamnées par mais à oser les rechercher par d’autres moyens – d’autres. Pareille attitude relativise les aspirations confessions ou médecines différentes – que ceux de la médecine à être considérée comme une officiellement admis. Peu importe que ceux-ci science à part entière, car les lois de la physique soient éventuellement plus efficaces ou simple- ou de la chimie sont, elles, les mêmes sous toutes ment plus conformes à la culture, aux aspirations les latitudes et dans toutes les cultures. ou aux désirs des intéressés. Qui plus est, une attitude réellement scienti- Cela dit, qu’il existe de véritables charlatans, fique consisterait à mettre à l’épreuve, de façon des escrocs – comme on en trouve peu ou prou équitable, les diverses thérapeutiques officielles dans toutes les professions – ne fait guère de ou non, d’étudier leurs résultats sans a priori, doute. Mais il fait non moins de doute qu’il plutôt que de les condamner ou de les rejeter existe un grand nombre de thérapeutiques non pour la seule raison de leur non-conformité aux officiellement reconnues, dont l’efficacité est dogmes médicaux en vigueur. attestée, et qui font cependant l’objet d’une véri- Voilà qui souligne à nouveau la dynamique table inquisition. A la pensée unique correspond religieuse qui influence la médecine dans tous ses une médecine unique qui ne tolère aucune aspects, malgré le discours scientifique dans concurrence. Certes, les médecins ou praticiens lequel elle aime à se draper. La physique ou la hérétiques ne sont plus brûlés de nos jours, mais chimie, par exemple, n’ont pas besoin d’un ils sont souvent « grillés » : diffamation, amendes, « Ordre » pour défendre ceux qui la pratiquent, peines d’emprisonnement, impossibilité d’exercer sans avoir d’ailleurs pris de voeux ni prononcé de librement. serment. Leurs expériences, leurs résultats peu- L’arbitraire de ces décisions et leur absence de vent librement être discutés, sans susciter l’irrup- fondement rationnel ou médical se voit claire- tion de réactions fanatiques (encore que…). ment au fait qu’une même thérapeutique peut On notera enfin que l’amalgame fait aujour- être interdite dans un pays, tolérée dans un autre d’hui entre médecines naturelles et sectes permet 48 49
[*]25.au pouvoir médical en place de diaboliser et de L’Église apportait à ses ouailles l’espoir du combattre les praticiens de médecines alterna- salut et de la vie éternelle, l’espoir d’un au-delà tives, souvent au mépris des droits élémentaires. paradisiaque – pour ceux ayant respecté ses com- Rien ne saurait mieux illustrer la persistance des mandements – qui justifiait toutes les souf- mêmes vieilles phobies religieuses, sous les appa- frances et les injustices de ce monde-ci. Tout cela rences médicales les plus modernes. méritait bien quelques sacrifices, quelques péni- tences et privations : qu’est-ce qu’une vie humaine en regard de l’éternité ? Le Salut et la vie éternelle / la santé et La médecine moderne, qui a substitué le culte l’immortalité physique du corps à celui de l’esprit, cultive aussi l’ambi- tion à peine cachée de vaincre la maladie et la Nous touchons ici la pierre angulaire de l’Église mort. Elle a tout naturellement remplacé la et de la médecine, à savoir la question de la quête d’un salut et d’une vie éternelle hypothé- mort. La plupart des religions de la planète, tiques par la recherche de la santé parfaite sur sinon toutes, sont des réponses à la question de ordonnance et l’espoir, sinon de l’immortalité la mort, qui hante le commun des… mortels. physique, du moins d’une vie s’allongeant indé- Otez la peur de la mort et vous supprimez l’es- finiment : le nombre croissant de personnes qui sentiel du besoin de croire, quelle que soit la demandent à être cryogénées après leur décès en façon dont il s’exprime. La promesse d’un au- témoigne. Ce fol espoir est entretenu un peu delà, l’assurance d’une vie après la mort, et rapidement par quelques émules du Dr Fran- même d’une vie meilleure, sans maladie, sans kenstein, sur la base des résultats, pourtant bien misère, l’espoir d’un paradis, d’une récompense aléatoires, de greffes d’organes et des promesses pour les justes, c’est tout cela – qu’il soit vrai ou du génie génétique (clonage, réserve d’organes, non – qui nourrit la foi chrétienne. C’est tout etc.). L’absence de recul sur ces méthodes laisse cela aussi que les autorités ecclésiastiques ont su songeur quant aux espoirs que l’on fonde sur utiliser à travers les siècles pour contrôler l’exis- elles. Ceci d’autant plus que derrière les résultats tence des individus, comme celle de peuples mirifiques dont la presse aime à se faire l’écho se entiers, pour justifier l’Inquisition et les Croi- profilent bien souvent des effets secondaires inat- sades, l’ingérence dans la vie privée (et, en parti- tendus, comme c’est presque toujours le cas dès culier, sexuelle) de chacun, etc. que l’on touche au vivant. 50 51
[*]26.Mais qu’importe, pour beaucoup, le paradis Pasteur ; les antibiotiques génèrent des multi- ne se situe plus dans un Eden métaphysique, il résistances ; de nouvelles maladies apparaissent, est désormais à portée de main : bientôt les et les coûts de la santé s’envolent. Certes, un effi- hommes vivront éternellement sur terre, grâce cace écran de communication masque le plus aux progrès de la médecine, entourés d’espèces souvent ces réalités au grand public, mais quand végétales et animales revues et corrigées, ou bien même celui-ci en serait informé que la créées de toute pièce en laboratoire par le génie dimension messianique de la médecine viendrait humain. Dieu – s’il existe – n’avait fait qu’un probablement sanctifier ces erreurs à ses yeux. brouillon imparfait avec sa Création, mais heu- reusement, l’homme est intervenu pour arranger Le message principal que la médecine s’ef- les choses. force de faire passer à ses fidèles à travers les Si le ciel valait bien quelques souffrances et médias est que l’on vit plus, plus longtemps et privations, le paradis terrestre a, lui aussi, son mieux, que la lutte contre le cancer progresse, coût : erreurs médicales (qui, avec les moyens que demain, on maîtrisera le vivant et que l’on modernes, prennent désormais des proportions fera reculer la mort, quitte à trafiquer chiffres et considérables : vache folle, sang contaminé, etc.), statistiques pour conforter ce credo. Comme expérimentation animale et humaine, et – si l’on nombre de croyances religieuses, les croyances inclut dans cette dynamique les biotechnologies médicales servent à protéger l’homme de la peur et les manipulations du vivant – dénaturation de la mort, au lieu de lui apprendre à y faire face, des espèces végétales et animales, etc. à l’accepter, processus indispensable à qui veut C’est d’ailleurs, à mon avis, dans la façon dont vraiment vivre. La médecine nie la mort, qui ses erreurs et ses échecs sont tolérées par la société représente pour elle un échec. Elle parle clonage, que la médecine révèle le mieux sa dimension génie génétique, greffes d’organes, etc. Même si religieuse et l’aura protectrice dont elle est entou- d’indéniables progrès ont été réalisés ces der- rée. Dans nul autre domaine, on ne tolérerait une nières décennies, la mort reste un sujet tabou. marge d’erreur aussi grande, ni on ne poursuivrait On prolonge indéfiniment la vie d’individus dans la même direction avec des résultats qui, à réduits à l’état de légumes, gonflant ainsi artifi- long terme, s’avèrent mitigés : plusieurs vaccins ciellement les statistiques de longévité, sans montrent aujourd’hui les limites et dangers que prendre en compte la qualité de vie dont jouis- leur avaient déjà prédit des contemporains de sent ceux qui sont traités ainsi. La mort n’est pas 52 53
[*]27.vaincue, elle est maquillée, cachée, niée. Et la Le chrétien moyen se trouvait de la sorte indirec- religion médicale n’est rendue possible qu’en rai- tement encouragé à continuer de vivre de la son de cette croyance, alimentée par les médias, même façon, à regoûter du « péché » autant qu’il qu’un jour la médecine aura raison de la mort. le voulait, puisque, de toute façon, son salut était La peur de la mort est ainsi le ciment de la assuré par le clergé local au prix de quelques relation de dépendance qui s’établit entre l’indi- prières ou d’espèces sonnantes et trébuchantes. vidu et le prêtre ou le médecin. La même relation de co-dépendance s’est ensuite établie entre le médecin et son patient. Les consultations régulières remplacent la Les péchés, la confession, le repentir / confession et, comme cette dernière, n’ont pas la mauvaise hygiène de vie, pour but de donner à l’individu les moyens de se la consultation, le traitement prendre en charge et de se responsabiliser (en lui enseignant, dans le cas présent, les bases de la Dès lors que l’Église est devenue un instrument prévention et de l’hygiène de vie, par exemple15), de contrôle des masses, maintenues sous sa bien- mais de fidéliser sa dépendance envers une auto- veillante dépendance, ses pratiques visaient plus rité extérieure, qui dépend elle aussi de ceux à faire perdurer cette relation de dépendance qu’elle gouverne. Là encore, le patient est encou- qu’à conduire les fidèles sur le chemin de leur ragé à continuer de vivre dans l’inconscience et libération intérieure. L’institution de la confes- l’insouciance, convaincu que la médecine saura sion en est un exemple éloquent. En demandant au besoin réparer ses erreurs, moyennant quelque aux fidèles de confesser régulièrement leurs argent, mais surtout pas d’effort. « Maigrir sans péchés, et en leur donnant une absolution effort », « rajeunir sans effort », « en pleine forme moyennant seulement un repentir superficiel, sans effort » : les magazines regorgent de publici- associé à la récitation de quelques Pater Noster tés de ce style qui entretiennent l’individu dans ou, encore plus significatif, à la pratique des l’infantilisme et la déresponsabilisation. Le résul- indulgences, l’Église indiquait clairement que tat est connu : l’envol des coûts « de la santé », la son but était moins l’élévation des âmes de ses multiplication des maladies iatrogènes16 et de ouailles que la surveillance et le contrôle de leur civilisation, la perte de la qualité de vie, l’appari- vie, jusque dans ses aspects les plus intimes, ainsi tion de nouvelles pathologies, des effets secon- que l’augmentation de ses ressources financières. daires indésirables, etc. A quoi les autorités 54 55
[*]28.médicales répondent qu’une nouvelle pilule, une nouvelle technologie, un nouveau miracle médi- cal, viendra tout arranger et donner enfin accès à cette santé qui, curieusement, semble s’éloigner toujours un peu plus, à chaque pas effectué dans cette direction. … et ainsi de suite Chapitre 3 Je pourrais poursuivre méthodiquement l’énoncé de ces nombreux parallélismes entre religion chrétienne et médecine, en relevant notamment encore ceux-ci : Médecine messianique, la messe en latin > le jargon médical (autre- médecine faustienne fois aussi latin) l’hostie > les pilules la soutane > la blouse blanche a médecine moderne est donc devenue les bonnes sœurs les dons à l’église> les infirmières> les dons à la recherche médicale L la religion collective du 20e siècle. « Métareligion » laïque, en quelque sorte, dont les fidèles – qui se comptent parmi etc. toutes les autres religions – se chiffrent probable- ment en centaines de millions. Elle dispose, il est Les exemples cités dans ce chapitre suffisent vrai, d’un atout majeur : ce que les autres confes- cependant à illustrer mon propos. Les lecteurs sions promettent dans un hypothétique au-delà, auxquels cette approche semble pertinente n’au- elle le laisse espérer dans ce monde-ci. Le paradis ront aucun mal à poursuivre cette comparaison terrestre est pour demain : grâce au clonage, au par eux-mêmes, avec les autres caractéristiques génie génétique, aux greffes et transplantations, de ces deux institutions. demain, on vivra indéfiniment, la maladie aura 56 57
[*]29.été vaincue, la souffrance aussi. Finis le hasard, la quand point l’espoir d’une existence physique malchance, l’imprévu : on choisira les caractéris- indéfinie ? Non seulement le médecin a pris la tiques physiques et psychiques de ses enfants, place du prêtre, mais il aspire même à prendre que l’on pourra avoir à n’importe quel âge. De celle du Créateur17, à acquérir la Toute-puis- même, on pourra refaçonner son corps et se sance sur le vivant et à façonner celui-ci à sa donner l’apparence de son choix. Et l’on vivra guise. entouré d’espèces végétales et animales adaptées Selon la mythologie chrétienne, l’archange à nos besoins, dûment brevetées, les autres ayant Lucifer (porteur de lumière) a chuté par orgueil rejoint des réserves dans le meilleur des cas…, pour s’être cru l’égal du Créateur. On ne peut des musées dans le pire. Bienvenue dans « le manquer de trouver des ressemblances entre ce meilleur des mondes »… récit symbolique et ce à quoi nous assistons Bien sûr, c’est là un tableau caricatural, et l’on aujourd’hui. Il y a, me semble-t-il, un orgueil arguera que jamais la médecine ne promet certain à s’imaginer que l’homme, grâce aux ouvertement tout cela : c’est vrai, mais l’espoir seules lumières de la science, va se rendre maître en est quand même présent – entretenu même – du vivant, en s’y prenant de la façon dont il le comme l’indiquent notamment le nombre crois- fait actuellement, c’est-à-dire sans respect pour la sant de personnes se faisant cryogéner après leur vie 18 . Les parodies de réflexion éthique qui mort, ou encore bon nombre de films futuristes entourent des sujets tels que la procréation assis- dans lesquels se reflètent les aspirations de notre tée, l’avortement, l’euthanasie, les manipulations génération : on y voit le héros (ou le méchant) génétiques, etc., soulignent avant tout le désarroi sortir d’une congélation de quelques dizaines ou et l’impossibilité de trouver des points d’ancrage centaines d’années, avant de réaliser ses exploits. solides d’une civilisation qui nie toute dimension « Qui fait l’ange fait la bête », dit un proverbe. autre que matérielle à l’existence, et qui ne per- Et de façon similaire, il semble que ce soit en çoit pas l’unité du vivant. réalité le mythe faustien qui se joue sous nos Ouvrons les yeux. yeux. Depuis plus d’un siècle, la médecine et les Depuis un siècle, les miracles médico-scienti- sciences du vivant ont vendu (ou tout au moins fiques d’un jour deviennent les mirages du len- perdu) leur âme et cherchent à se rendre maîtres demain : l’état de santé déplorable de la planète, de la vie, en lui niant cependant toute dimension comme celui de l’humanité, en témoignent assez. spirituelle ou sacrée. Qu’importe le spirituel Qu’il s’agisse des vaccins, des antibiotiques ou de 58 59
[*]30.leurs équivalents dans l’agriculture, on découvre mauvaises surprises se révéleront lorsque le jour après jour que chaque brève victoire gagnée mirage se dissipera… ? contre la nature est suivie de revers sérieux et de Comme un nombre croissant d’individus problèmes aggravés. De nouvelles formes plus aujourd’hui, je pense que seules la prise de fortes de tuberculose, de choléra, de malaria, conscience et la responsabilisation personnelle, à etc., ont fait leur apparition. La résistance des tous les niveaux (intellectuel, médical, social, spi- virus et des bactéries s’accroît, comme en agri- rituel, etc.), peuvent nous apporter ce que des culture celle des parasites aux différents produits générations de prophètes nous ont fait espérer utilisés pour les combattre. Faut-il s’en étonner d’une autorité ou d’un rédempteur extérieurs, lorsqu’on travaille contre la nature plutôt qu’avec nous incitant ainsi à nous déresponsabiliser et à elle ? nous aliéner de nos propres ressources, en son A chaque mauvaise surprise, à chaque nou- nom. Je suis convaincu qu’aussi longtemps qu’elle veau scandale, les chercheurs prophétisent que la reste animée par la mentalité qui la caractérise prochaine étape sera la bonne, que la prochaine aujourd’hui, la médecine ne nous apportera pas découverte, le prochain remède nous donnera la plus la santé collective que deux mille ans d’un solution (l’ab-solution ?). Et quand cette solu- christianisme dénaturé n’ont apporté la paix et tion révèle à son tour ses faiblesses et des effets l’amour dans le monde. secondaires, parfois pires que ses éphémères bien- Plutôt que d’être religieuse à son insu, et de faits, la recherche nous vante déjà les mérites du servir de théâtre à l’expression des fonds obscurs prochain mirage… de la conscience humaine, la médecine aurait C’est flagrant aujourd’hui. La prochaine tout à gagner à inclure consciemment une étape, le prochain miracle, nous dit-on, c’est le dimension psychologique ou spirituelle dans sa génie génétique : on laisse entendre que la géné- pratique. Celle-ci, à l’évidence, ne se décrète pas tique va tout sauver, tout arranger, guérir ce que de l’extérieur, de façon intellectuelle ou acadé- les précédentes découvertes n’ont pas guéri, ainsi mique : elle ne peut que résulter de la démarche que tout ce qu’elles ont provoqué comme patho- intérieure, individuelle, des membres du corps logies iatrogènes. Mais l’on peut être certain que médical. Plusieurs sont d’ailleurs déjà sur cette ce nouveau mirage reculera devant nous comme voie, comme en témoignent de nombreux livres les autres, car l’état d’esprit fondamental de la et séminaires de médecins qui vivent leur profes- médecine n’a pas changé d’un iota. Et quelles sion comme un réel sacerdoce, ayant de leurs 60 61
[*]31.patients une vision plus vaste et plus profonde méchant lobby médico-pharmaceutique », sensé que celle strictement mécanique ou physiolo- rechercher seulement le pouvoir et l’argent, et de gique qui leur a été enseignée. Ces médecins l’autre « les pauvres patient exploités » ou « les incluent la psyché, l’esprit (ou tout au moins braves adeptes des médecines alternatives », vic- l’humain) dans leur pratique, que ce soit par le times d’une conspiration planétaire. Le système recours à divers rituels 19, par l’établissement actuel a vu le jour parce qu’il répondait aux d’une relation d’amour avec leurs patients20, ou besoins de la majorité ; il se perpétue parce que par de nombreux autres moyens. Les résultats la plupart continue d’y donner son consente- qu’ils obtiennent non seulement en termes quan- ment, fut-il tacite. Et cela, parce qu’en dépit de titatifs, objectivement mesurables, mais aussi sur ses imperfections évidentes, ce système continue le plan qualitatif – qualité de la relation, évolu- de satisfaire des fonctions religieuses ou psycho- tion du patient, etc. – paraissent très promet- logiques fondamentales, en apaisant les peurs teurs. collectives. Les patients ont évidemment eux aussi leur S’attaquer à ce système médical, ainsi que le part de responsabilité dans le type et la qualité de font certains, m’apparaît certes courageux, mais relations qu’ils entretiennent avec leur médecin – je le crains – également futile du moment que ou thérapeute. Ceux qui apprennent progressive- ces attaques n’agissent pas sur la mentalité qui en ment à se prendre en charge, à se connaître, à assure la pérennité. Si le système actuel venait à assumer leur santé, ceux qui voient à travers le disparaître, la même mentalité aurait tôt fait de masque religieux voilant actuellement la méde- lui trouver un remplaçant, tout comme la méde- cine, et qui considèrent avant tout le médecin cine est elle-même venue suppléer aux carences comme quelqu’un pouvant les aider à se guérir induites par la disparition de la religion collec- eux-mêmes et à comprendre le sens de leur mala- tive d’autrefois. Ce n’est donc pas « le système » die (et non comme un être investi de pouvoirs qu’il faut changer, mais bien notre propre dyna- particuliers), contribuent à faire évoluer la rela- mique interne, notre relation à nous-mêmes, à tion thérapeutique et l’acte médical vers ce qu’ils nos peurs, à la maladie, au monde, dont ce sys- peuvent avoir de plus respectueux et de meilleur. tème n’est qu’un des nombreux et fidèles Nous avons donc tous une part de responsa- miroirs. bilité dans la situation actuelle, contrairement à Celui qui a opéré cette transformation de lui- ce que pensent ceux qui voient d’un côté « le même n’est plus dans le système, mais il n’y est 62 63
[*]32.pas non plus opposé (lorsqu’on est « contre », on se situe par définition au même niveau que ce que l’on combat) : il gère librement sa vie et sa santé. Il respecte de ce fait ceux qui la gèrent autrement que lui, y compris ceux qui ont encore besoin du système médical actuel. Toute tentative de faire évoluer autrui contre son gré – une aberration dans les termes –- aboutit généra- lement à des résultats inverses à ceux souhaités. Il me semble plus respectueux d’autrui, et donc Chapitre 4 plus productif, de partager avec ceux qui le dési- rent les connaissances, les moyens, les méthodes permettant de cheminer sur la voie de la respon- sabilisation individuelle, de l’autonomie et de L’éternel retour des l’indépendance. peurs ataviques ’ai suggéré dans ces pages qu’un « champ J religieux » chrétien est à l’œuvre dans la médecine et la recherche, et qu’il en oriente le fonctionnement, comme un champ magnétique invisible, au-delà de toute rationa- lité. Ce champ, nous l’avons vu, est constitué de croyances profondes destinées à apaiser des peurs, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, et qui ne cesseront de parasiter nos activi- tés « rationnelles » et « objectives » aussi long- temps qu’elles n’auront pas été affrontées individuellement. On en trouve des traces non 64 65
[*]33.seulement dans la médecine, qui en est probable- peurs et des anciens enseignements23. Il qualifie ment l’exemple le plus frappant, mais dans de de « dysangile » (mauvaise nouvelle) ce qu’ils ont nombreux domaines, de la politique21 à la philo- fait de l’enseignement de Jésus, projetant sur sa sophie, en passant par les arts ou l’économie. mort le concept païen du sacrifice expiatoire de En poussant cette approche un cran plus loin, l’innocent pour le rachat de la communauté24. on constate que la religion chrétienne, telle que Pour lui, il n’y aurait eu au fond qu’un seul vrai nous la connaissons, est elle-même le résultat chrétien : Jésus, seul à avoir opéré l’alchimie de d’un parasitage du message christique originel par ses peurs et vécu l’amour véritable. Une hypo- les peurs primitives de l’homme : peur de la mort, thèse assez troublante pour mériter, à mon sens, peur de la souffrance, peur de l’inconnu, peur du plus qu’un rejet émotionnel ou une approbation jugement, de l’exclusion, y compris peur de la vie. superficielle. Ces peurs ont en effet façonné les superstitions Nous voyons donc se superposer trois anciennes, les premières formes de religions, tout niveaux, trois couches différentes : comme elles se sont mêlées aux enseignements des divers prophètes et les ont dénaturés. 1 – Le noyau fondamental est constitué des Cette dénaturation me semble particulière- peurs fondamentales de l’être humain, par ment évidente avec le message du Christ, proba- rapport à sa condition sur cette terre, ses blement déformé dès les origines, ainsi que souffrances, sa mort, etc. l’avait déjà suggéré Nietzsche, dans l’« Antéchrist » avec la verve qu’on lui connaît. Pour Nietzsche, 2 – Pour se protéger de ses peurs, l’individu les la « bonne nouvelle » de Jésus, c’était la dispari- recouvre d’une couche de croyances qui tion de la notion de faute, de culpabilité 22 , visent à les apaiser, à défaut de vraiment les c’était le don de l’amour, l’acceptation totale de dissiper par les lumières de la connaissance. la vie présente, y compris d’une mort injuste. A La croyance habille les peurs, les déguise, l’inverse, la religion chrétienne s’est construite pour les rendre plus acceptables ; mais elle sur la culpabilité, la peur, le jugement et la puni- ne résout rien et sous ces déguisements, les tion. Nietzsche avait émis une supposition qui peurs continuent d’agir. mérite réflexion : selon lui, les premiers chrétiens n’auraient pas compris le sens de la mort de Jésus 3 – Enfin, à notre époque où le besoin de savoir et l’auraient interprétée à la lumière de leurs prend le pas sur celui de croire, comme la 66 67
[*]34.science sur la religion, un vernis intellectuel Aussi longtemps que ce noyau de peurs reste tente de justifier rationnellement ces le moteur caché de l’existence humaine, notre croyances, ou de leur donner une nouvelle imagination et nos facultés intellectuelles reste- forme sans en changer le fond. ront loin en-deçà de leurs capacités réelles, asser- vies à la tâche basique de garantir notre sécurité A la lumière de ces trois niveaux, la sacro- psychologique. sainte « liberté de pensée » apparaît comme un Aux dires de nombreux enseignements spiri- leurre. Il n’y a pas de liberté de pensée sans tuels, ce parasitage de l’activité humaine par les liberté de croyances. Et il n’y a pas de liberté de fonds obscurs de la psyché ne prend fin que croyances pour celui qui n’est pas libre de ses lorsque l’individu parvient, par le travail inté- peurs. Les croyances délimitent le champ dans rieur de son choix, à transmuter ses peurs ata- lequel s’exerce la pensée, comme un invisible viques, à intégrer sa part d’« ombre » (plutôt que écran magnétique digne de La guerre des étoiles. de la projeter sur autrui), bref à se réaliser, à Celui qui parvient à s’en échapper inquiète les atteindre sa pleine maturité spirituelle. Or, s’il autres : ce fut justement le cas d’un Nietzsche, est déjà rare de rencontrer des personnes ayant dont l’audace en la matière continue d’étonner réalisé cet état, à ma connaissance, aucune société aujourd’hui. humaine ne l’a encore atteint collectivement. Le Les émotions, les colères, les indignations, les fonctionnement de la plupart des populations du passions qui apparaissent lorsque certaines idées globe reste donc, pour l’instant, soumis au jeu de « dérangeantes » sont discutées, non seulement ces forces obscures de la psyché humaine25, à en médecine, mais dans tous les domaines, sont l’origine des guerres, des conflits religieux ou la plupart du temps des révélateurs de ce « mur raciaux, dans lesquels l’ennemi, « diabolisé », sert de croyances » qui limite étroitement les incur- d’écran expiatoire aux projections collectives les sions de la pensée dans l’inconnu. D’ailleurs, on plus sombres. dit volontiers que « la pensée a des ailes » : elle a en effet la capacité de voler très loin et d’explorer des territoires inconnus, mais elle doit pour cela s’affranchir de ses racines qui la lient au plus pro- fond de l’obscurité de nos peurs. 68 69
[*]35.Conclusion u-delà de la religion et de la médecine, A ou des autres domaines d’activité humaine où s’observent des travers similaires, c’est évidemment l’être humain – c’est-à-dire chacun de nous – qui est invité à se libérer de la peur, cette peur qui fausse la percep- tion, qui fait rechercher le pouvoir pour avoir la sécurité (ou les croyances pour s’en donner l’illu- sion), cette peur qui empêche d’aimer. « Invité » à se libérer, mais non contraint : à chacun son rythme, son temps d’incubation, de germina- tion, de floraison. Un tel changement de mode de fonctionne- ment – de paradigme – est d’ailleurs déjà en cours et l’on en trouve des traces dans divers domaines : médecine, éducation, économie, agri- culture, politique, sciences, etc. Il passe toujours par la transformation individuelle : de l’état de 70 71
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Médecine
Ensemble des pratiques scientifiques visant à soulager les souffrances et à guérir les personnes atteintes d'une maladie.La médecine de l'Antiquité
Les premiers écrits
Très tôt, les hommes ont recherché les moyens de guérir leurs contemporains des maux dont ils pouvaient souffrir. Le Code Hammourabi de Babylone parle déjà d'un corps médical. De même, les théories de la médecine indienne sont expliquées dans les vedas (textes sacrés).
Les plus anciens écrits médicaux remontent à l'Egypte ancienne et datent du troisième millénaire avant notre ère. Les Egyptiens semblent avoir porté l'art de soigner au plus haut niveau. Médecine, religion et magie étaient encore très liées. En revanche, les connaissances en anatomie humaine étaient déjà d'une étonnante précision. Les premiers écrits nous renseignent également sur les aspects sociaux de la médecine, notamment la place du médecin dans la société. Nous apprenons qu'il existait déjà à l'époque des médecins spécialistes des yeux, des dents, etc.
La médecine dans la Grèce antique
Les premiers éléments sur la médecine des Grecs se recueillent dans les mythes. Le plus important concernant les médecins est celui d'Esculape. Esculape serait né en 1260 av. J.C. Les Grecs le vénèrent comme un dieu et il est décrit comme un grand guérisseur. Tout au long de l'Antiquité grecque et romaine, les médecins se réclame de sa tradition et les malades cherchent refuge et guérison dans les temples qui lui sont dédiés.
Les premiers documents historiques traitant de médecine en Europe se trouvent dans les écrits d'Homère. En effet, l'Iliade, qui date de 900 av. J.C., comprend des descriptions de la vie et de l'activité des médecins de l'époque. Dans les récits de batailles, Homère décrit minutieusement les blessures qui surviennent et la façon de les soigner. On constate que les connaissances en anatomie sont très étendues, que les médecins ont une bonne expérience des soins à apporter aux lésions et que les connaissances sont exploitées de façon systématique, avec des méthodes qui n'ont déjà plus grand chose à faire avec la religion et la magie.
On voit donc deux tendances se profiler. L'une est la médecine des temples, intégrée dans les rituels religieux. L'autre est une médecine scientifique, basée sur l'observation et la méthode. Cette dernière se pratique à domicile, au chevet du malade, ou dans des centres spécialisés. Les médecins sont formés dans des écoles spéciales. Ces deux tendances cohabitent pendant toute une période, avant que la science ne finisse par l'emporter sur la religion. La médecine devient pensée scientifique pour les philosophes, de Pythagore à Diogène. Mais c'est Hippocrate, contemporain de Socrate, qui est considéré comme le père de la médecine et de l'éthique médicale en Europe.
Pythagore
Hippocrate, philosophie et médecine
Hippocrate (460-380 av. J.C.) est médecin itinérant. Il ne se contente pas de soigner, mais met également au point toute une méthodologie qu'il transmet à ses disciples. Sa méthode met l'accent sur l'observation et l'analyse des symptômes, permettant d'établir un diagnostic. Il élabore la théorie des quatre humeurs qui influence deux mille ans de médecine. Il réfléchit également sur la déontologie du médecin. Il place au centre de la science médicale la relation entre le patient et le malade, et tire de ce principe un code encore utilisé aujourd'hui : le fameux "serment d'Hippocrate". Ses travaux nous sont transmis dans le corpus hippocraticum.
Dans les temps qui suivent Hippocrate, une relation toujours plus étroite s'établit entre médecine et philosophie. Les philosophes cherchent à expliquer et à classer les fonctions organiques, et émettent des théories concernant les causes des maladies. Aristote est sans doute le plus illustre représentant de cette pensée scientifique de la Grèce classique. Il tire ses observations de la dissection animale. On le considère comme l'un des fondateurs de la biologie.
La médecine dans la Rome antique
Les médecins grecs sont traditionnellement itinérants, et ils commencent assez tôt à voyager hors de la Grèce, notamment vers la péninsule italique. Or dans cette région, jusqu'au IIe siècle avant notre ère, les médecins sont assez mal considérés. Les guérisseurs ont plutôt le statut de barbiers. Ce n'est qu'avec la naissance de l'Empire que les médecins grecs commencent à s'établir à Rome et acquièrent un certain statut social. En 46 avant notre ère, Jules César accorde aux médecins la citoyenneté romaine.
Au IIe siècle de notre ère, un médecin grec installé à Rome, Claudius Galien (131-201 apr. J.-C.), donne une nouvelle orientation à la science médicale, qu'elle conservera pendant des siècles. C'est à cette époque que la médecine commence à se séparer de la philosophie et devient une science à part entière. Galien s'inspire d'Hippocrate et combine ses analyses anatomiques avec la théorie des humeurs. Pour recueillir ses connaissances en anatomie, il se base sur ses observations en tant que médecin des gladiateurs, confronté à de nombreuses blessures parfois très graves et profondes, et étaye ses analyse en disséquant des animaux. Il pratique des expériences systématiques pour mettre en évidence la fonction des organes.
Le Moyen Age
La médecine médiévale souffre d'une très mauvaise réputation, due en partie à l'impuissance des médecins lors des grandes épidémies de peste du XIVe siècle. D'une manière générale, on s'en tient pendant le Moyen Age aux enseignements de Galien, qui sont même élevés au rang de dogme par l'église catholique. La critique est donc théoriquement interdite, et ce jusqu'au XVIIIe siècle, ce qui explique l'immobilisme de la science médicale. Outre la peste, on souffre au Moyen Age de la variole, de la rougeole, de la lèpre et du scorbut.
Les sources concernant la médecine demeurent rares avant le XIIe siècle. Parmi celles-ci, les écrits de Raban Maur, théologien du VIIIe siècle, se distinguent notamment par leurs références aux auteurs antiques.
Aux XIIe et XIIIe siècles, un grand mouvement de traduction d'ouvrages médicaux antiques (Hippocrate, Galien) s'accompagne de la traduction d'ouvrages arabes, en particulier Avicenne. La connaissance médicale progresse surtout dans des centres intellectuels méditerranéens, en Sicile, en Andalousie et dans le sud de la France.
Ces lieux de traduction sont également des centres d'enseignement universitaire, à l'origine de la diffusion de la science médicale vers Paris et le Nord de la France.
D'autres pratiques, telles que les dissections pratiquées en particulier à l'université de Bologne permettent la progression de la médecine. La chirurgie se développe : le chirurgien est une médecin laïc et il bénéficie d'un statut particulier, qui se distingue progressivement de celui du barbier. A partir du XIIIe siècle, l'utilisation de narcotiques est attestée.
La théorie des humeurs
La théorie officielle de la médecine du Moyen Age occidental est celle des "humeurs" de Galien : le corps est en équilibre entre chaud et froid, sec et humide. La maladie naît d'un déséquilibre entre ces éléments, auquel on doit remédier par une médication appropriée, en général à base de plantes, de minéraux, d'éléments animaux. A cette théorie se superposent la conception chrétienne de la souffrance et certaines observations fines, tirées de la pratique.
Les praticiens
Un vocabulaire varié recouvre cette fonction : barbiers, médecins, chirurgiens, apothicaires, etc. Tous ne sont pas formés à l'université. Il existe en effet des savoir-faire dont la transmission s'opère par apprentissage : arracher des dents, réduire des fractures, etc.
Certaines villes, en Provence en particulier, embauchent des médecins dont le rôle est de soigner gratuitement les citoyens. Avant la fin du XVe siècle, de nombreux médecins sont juifs et bénéficient d'exemptions du pape pour exercer.
Les soins et l'accueil des malades
La médication est à base de simples plantes médicinales préparées en potions par les apothicaires. Médecine et religion sont étroitement liées : Albert le Grand, théologien dominicain vivant au XIIIe siècle, est l'auteur du plus grand herbier médiéval.
De nombreuses guérisons sont attribuées à la vertu thaumaturge de certains personnages : de part leur qualité ou la fonction dont ils sont investis, ils ont la possibilité de guérir certaines maladies. Certains saints personnages, comme le roi au moment de son sacre, en font partie. On prête en effet au roi de France la capacité de guérir des écrouelles, une maladie de peau.
Cependant la médecine médiévale est très largement impuissante devant les grandes épidémies, qui frappent sans distinction de milieu social. La mise en quarantaine demeure une solution très répandue dans ces cas précis : maladreries et léproseries sont construites en dehors des villes pour bénéficier de la charité publique en limitant les risques de contagion. Lépreux, pestiférés, syphilitiques y trouvent leur dernière demeure.
Les autres lieux d'accueil des malades sont traditionnellement les infirmeries des monastères, destinées aux moines comme aux pèlerins. L'hôpital n'est pas un lieu de soin au Moyen Age, mais plutôt un hospice prenant en charge les plus démunis.
Les Temps modernes
La Renaissance profite aussi à la médecine. C'est à cette époque qu'on commence à remettre en cause l'influence de l'église sur la médecine. William Harvey découvre la circulation sanguine, et décrit ses observations dans De motu cordis et sanguinis.
Paracelse
L'alchimiste Paracelse (1493-1541) remet en cause la théorie des humeurs d'Hippocrate. Il appelle chaque médecin à oublier l'enseignement traditionnel et à se fier à ses propres observations et expériences (on dit même qu'il aurait brûlé les ouvrages de Galien et d'Avicenne). C'est justement l'expérience qui lui enseigne la formule de baumes assurant l'asepsie des blessures, sans qu'il parvienne à en expliquer les causes, bien entendu. En fait, ses baumes contiennent des sels de métaux empêchant le développement des bactéries.
La chirurgie progresse au XVIIe siècle, notamment avec Ambroise Paré, qui cependant continue d'opérer à vif. Les nombreuses guerres de cette période sont à l'origine des progrès de la chirurgie. John Hunter (1728-1793) confère, par ses découvertes, le statut de "science" à cette discipline.
Parallèlement, l'équipement fait des progrès : l'efficacité du microscope est démontrée par Antony van Leeuwenhoek (1632-1723).
Le stéthoscope est inventé par Laennec (1781-1826), qui définit aussi l'auscultation. Enfin, Edward Jenner découvre le principe du vaccin.
L'époque contemporaine
La médecine scientifique, telle que nous la connaissons, se développe au XIXe siècle. Les grandes découvertes de ce siècle concernent les micro-organismes, leur rôle dans les infections et par conséquent les principes d'asepsie et d'hygiène.
Louis Pasteur (1822-1895) est chimiste, et s'intéresse plus particulièrement aux cristaux. Cependant, ses travaux portent aussi sur le vin et la fermentation : c'est ainsi qu'il découvre l'existence des micro-organismes responsables de ce phénomène. Il découvre également le moyen de détruire ces micro-organismes : la pasteurisation.
Louis Pasteur
Entre 1875 et 1900, vingt maladies graves sont décodées, et des vaccins sont mis au point. Robert Koch (1843-1910) contribue lui aussi à la découverte du monde des micro-organismes. Il découvre le bacille de la tuberculose.
La découverte de l'anesthésie à base de chloroforme par Horace Wells (1815-1848) et William Morton (1819-1868) va considérablement révolutionner les thérapeutiques postopératoires.
De même, l'hygiène fait de très grands progrès. La chirurgie intègre les découvertes de la bactériologie. Le chirurgien Lord Joseph Lister (1827-1912), ayant pris connaissance des travaux de Pasteur et de Koch et conscient de la nécessité de maintenir l'environnement opératoire propre, développe l'antisepsie. Il utilise le phénol pour désinfecter les instruments, les pansements, les mains du personnel opératoire. En 1886, la stérilisation à la vapeur est découverte et ainsi les principes d'asepsie encore en vigueur de nos jours. Les chirurgiens commencent à utiliser des gants de caoutchouc.
Le XXe siècle va accélérer le rythme des découvertes : Röntgen découvre les rayons X et développe la radiologie. On découvre le cancer, Fischer crée la biochimie, enfin, Alexander Fleming découvre les propriétés de la pénicilline peu avant la dernière guerre : c'est le début des antibiotiques. Les traitements au laser en microchirurgie, les greffes (notamment la première greffe du coeur en 1967, réalisée par le professeur Barnard) de plus en plus perfectionnées, le renforcement de l'immunologie et la lutte contre le cancer, le recul des maladies génétiques, sont les derniers grands acquis de la médecine.
La médecine aujourd'hui
Après toutes les découvertes accumulées au cours des siècles, la science médicale n'est pas encore en possession de tous les secrets du corps humain. Notre siècle, tout comme les précédents, a ses fléaux spécifiques, et de nouvelles maladies apparaissent, comme le sida ou la maladie de Creutzfeldt-Jakob, qu'il faut apprendre à guérir. La médecine ne peut être une science figée, elle est nécessairement en constante évolution, comme le montre très bien le domaine de la microbiologie : les microbes s'adaptent très vite à de nouvelles conditions, et de nouveaux antibiotiques doivent sans cesse être mis au point. La recherche se fait de plus en plus intense.
Pour mener à bien cet effort de recherche, la médecine s'est divisée en de nombreuses disciplines. L'aspect technique de la médecine s'est considérablement développé depuis les découvertes de Röntgen. La radiologie a permis d'améliorer le diagnostic anatomique clinique. Elle intègre aujourd'hui diverses technologies. La tomographie informatisée, ou tomodensitométrie (ce qu'on appelle communément "scanner"), permet d'obtenir des clichés particulièrement précis et d'affiner le diagnostic. Depuis 1953, on dispose également du procédé d'endoscopie. On pratique des examens des cavités organiques depuis le XIXe siècle, mais en l'absence de techniques d'éclairage, celles-ci étaient tout d'abord limitées à la vessie, au rectum, à la rigueur à l'estomac. On utilisait des techniques de réflexion, et l'on ne disposait que d'endoscopes rigides. L'invention de la fibre optique a révolutionné ces pratiques : les médecins disposent désormais d'endoscopes souples, et peuvent explorer pratiquement toutes les parties du corps.
A l'avenir, la médecine intégrera toujours plus de technologies. Certaines tâches seront automatisées, et on verra même peut-être des robots chirurgiens.
Le financement
Autre aspect du développement des techniques médicales : le coût de la santé. Nous sommes habitués dans les pays occidentaux à disposer de soins médicaux perfectionnés de façon presque illimitée. Pourtant le système de protection sociale progressivement mise en place dans les démocraties occidentales depuis le XIXe siècle semble atteindre ses limites, et les dépenses médicales sont souvent incriminées. On verra probablement dans un proche avenir une restructuration des systèmes d'assurance maladie.
Re: Forum - Religion et Médecine - forum religion et médecine
Vade retro satanas, formule médicale ou religieuse ?
Crédit Photo : DR Zoom
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Possession diabolique ou délire mystique ? Voilà la question à laquelle ont essayé de répondre les participants – exorcistes, psychiatres et psychologues – réunis à Rome à l'occasion d'un séminaire organisé par l'institut Sacerdos des légionnaires du Christ en collaboration avec l'association internationale des exorcistes, l'AIE.
Devant deux cent cinquante participants venus du monde entier et appartenant aux sphères religieuse, médicale et même judiciaire (le procureur de la République de la ville de Pérouse ayant fait le déplacement), les orateurs ont débattu pendant une semaine.
À chaque religion son prisme
Pas de jets de bave verte comme dans le film « l'Exorciste »* ou de crise de possession en direct mais des débats sur le droit canonique et la perception différente du mal selon les religions, comme l'a expliqué le grand rabbin de Rome, Riccardo di Segni. « Je ne suis pas venu pour faire de la publicité comparative et dire que le produit que je vends est meilleur que celui des autres mais pour expliquer que dans la tradition rabbinique, l'attaque provient plutôt du côté des âmes des défunts qui errent à la recherche de la paix et non pas du malin en personne », a affirmé le grand rabbin.
Rationnel et irrationnel
Pour le père Pedro Barrajon, directeur de l'institut Sacerdos, il n'y a pas de doute : « Dans les cas de possession, le rationnel et l'irrationnel sont mêlés mais les exorcistes, doivent savoir discerner, comprendre si la personne est atteinte de troubles psychologiques ou si elle est possédée par le diable ou l'un de ses démons ». Il raconte avoir « rencontré un psychiatre belge qui ne croyait pas à l'exorcisme et privilégiait la thèse de la maladie mentale. Il affirme avoir soigné des patients qui avaient le sentiment d'être possédés… mais en appliquant le rituel de l'exorcisme ».
« La religion est essentielle pour des milliers de personnes. Je ne pense pas que l'on puisse rationnellement expliquer un cas de possession. Les exorcistes sont incontournables ! », assène pour sa part, une jeune psychologue américaine sous anonymat, armée d'un badge aux couleurs des Légionnaires du Christ.
Un traitement médical ciblé
Le Pr Patrizio Bernini, ancien chef de service du département psychiatrique de l'hôpital Saint Jean de Rome, est venu faire entendre la voix de la raison : la question relève uniquement du domaine de la psychiatrie. « Certains exorcistes sont sérieux et commencent par conseiller une évaluation médicale. Reste que de nombreux "possédés" atteints de ce que j'appelle "le délire mystique", qui entendent des voix et parlent d'odeur de soufre ont toujours été guéris grâce à un traitement médical ciblé », explique le Pr Bernini.
Mais c'est avec une pointe d'humour qu'il raconte l'histoire de ce patient amené par sa femme et qui se disait possédé par le diable. « C'était il y a longtemps. Il disait que sa fille était elle aussi victime du diable. Quelques jours plus tard, la femme me confiait qu'elle avait expédié sa fille chez l'exorciste et son mari chez un psychiatre. Aujourd'hui, je me demande encore comment la différence de diagnostic a été établie », confie le Pr Bernini.
* « L'Exorciste », film d'horreur américain réalisé par W. Friedkin et sorti en 1973, est une adaptation du roman de W. Peter Blatty.
De notre correspondante Ariel F. Dumont
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Possession diabolique ou délire mystique ? Voilà la question à laquelle ont essayé de répondre les participants – exorcistes, psychiatres et psychologues – réunis à Rome à l'occasion d'un séminaire organisé par l'institut Sacerdos des légionnaires du Christ en collaboration avec l'association internationale des exorcistes, l'AIE.
Devant deux cent cinquante participants venus du monde entier et appartenant aux sphères religieuse, médicale et même judiciaire (le procureur de la République de la ville de Pérouse ayant fait le déplacement), les orateurs ont débattu pendant une semaine.
À chaque religion son prisme
Pas de jets de bave verte comme dans le film « l'Exorciste »* ou de crise de possession en direct mais des débats sur le droit canonique et la perception différente du mal selon les religions, comme l'a expliqué le grand rabbin de Rome, Riccardo di Segni. « Je ne suis pas venu pour faire de la publicité comparative et dire que le produit que je vends est meilleur que celui des autres mais pour expliquer que dans la tradition rabbinique, l'attaque provient plutôt du côté des âmes des défunts qui errent à la recherche de la paix et non pas du malin en personne », a affirmé le grand rabbin.
Rationnel et irrationnel
Pour le père Pedro Barrajon, directeur de l'institut Sacerdos, il n'y a pas de doute : « Dans les cas de possession, le rationnel et l'irrationnel sont mêlés mais les exorcistes, doivent savoir discerner, comprendre si la personne est atteinte de troubles psychologiques ou si elle est possédée par le diable ou l'un de ses démons ». Il raconte avoir « rencontré un psychiatre belge qui ne croyait pas à l'exorcisme et privilégiait la thèse de la maladie mentale. Il affirme avoir soigné des patients qui avaient le sentiment d'être possédés… mais en appliquant le rituel de l'exorcisme ».
« La religion est essentielle pour des milliers de personnes. Je ne pense pas que l'on puisse rationnellement expliquer un cas de possession. Les exorcistes sont incontournables ! », assène pour sa part, une jeune psychologue américaine sous anonymat, armée d'un badge aux couleurs des Légionnaires du Christ.
Un traitement médical ciblé
Le Pr Patrizio Bernini, ancien chef de service du département psychiatrique de l'hôpital Saint Jean de Rome, est venu faire entendre la voix de la raison : la question relève uniquement du domaine de la psychiatrie. « Certains exorcistes sont sérieux et commencent par conseiller une évaluation médicale. Reste que de nombreux "possédés" atteints de ce que j'appelle "le délire mystique", qui entendent des voix et parlent d'odeur de soufre ont toujours été guéris grâce à un traitement médical ciblé », explique le Pr Bernini.
Mais c'est avec une pointe d'humour qu'il raconte l'histoire de ce patient amené par sa femme et qui se disait possédé par le diable. « C'était il y a longtemps. Il disait que sa fille était elle aussi victime du diable. Quelques jours plus tard, la femme me confiait qu'elle avait expédié sa fille chez l'exorciste et son mari chez un psychiatre. Aujourd'hui, je me demande encore comment la différence de diagnostic a été établie », confie le Pr Bernini.
* « L'Exorciste », film d'horreur américain réalisé par W. Friedkin et sorti en 1973, est une adaptation du roman de W. Peter Blatty.
De notre correspondante Ariel F. Dumont
Re: Forum - Religion et Médecine - forum religion et médecine
La médecine grecque
" Je d'administrerai de poison à personne, si on m'en demande ; de même, aucune femme ne recevra de moi un pessaire abortif. Dans quelque maison que je pénètre, j'y entrerai pour l'utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons libres ou esclaves. "
Une pratique religieuse
L'exercice de la médecine est intimement lié au culte du dieu de la médecine, Asclépios. Elle se pratique donc dans ses sanctuaires, dont celui d'Orchomène de Béotie, de Trikka en Thessalie, de l'île de Cos, d'Epidaure et plus tard, à l'époque hellénistique, de Pergame en Asie Mineure - cette liste n'étant naturellement pas exhaustive !
Les sanctuaires sont des lieux entretenus, situés à proximité de sources et de forêts. Ils ont fonction d'hôpitaux, et les prêtres font office de guérisseurs. Mais la médecine a un caractère très religieux, les consultations se font sous forme d'oracles… Le malade est purifié, prend plusieurs bains, jeûne ; tous ces traitements revêtent un caractère hygiénique. Après quoi il se couche sous un portique à côté du temple, et attend une manifestation du dieu guérisseur dans son sommeil. Lorsqu'il sera satisfait, se pensant donc guéri, il partira.
Emancipation de la médecine
Elle fait véritablement apparition à la période classique.
Au fil du temps la médecine perd de son caractère divinatoire, pour devenir plus rationnelle. Ceci est symbolisé par Hippocrate, décrit tel le père de la médecine. Pourtant les médecins se targuent d'être du génos des Asclépiades, qui se considèrent descendants d'Asclépios. Ainsi, quand l'ordre des médecins s'élargira à des étrangers, c'est-à-dire non descendants d'Asclépios, il leur faudra faire le serment suivant :
" Je jure par Apollon médecin, par Esculape, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin, que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l'engagement suivants. "
La médecine dans la vie quotidienne
Il y a de nombreux médecins privés. A Athènes cependant, il y a également un service de santé géré par l'Etat. Les futurs médecins sont amenés à se présenter devant l'Ecclésia. Les interventions qu'ils pratiquent sont assez élaborées ; les blessés sont pansés avec des baumes, sans aucune pratique magique. On trouve même des médecins spécialisés dans certains domaines : des dentistes, qui ont recours aux amalgames de plomb ou d'or ; des ophtalmologistes, qui effectuent des bains d'œil…
Les grandes écoles de médecine sont celles de Crotone, Cyrène, Rhodes, et surtout de Cos et de Cnide !
L'école de Cos préconisait les régimes - évitant les médicaments - contrairement à l'école de Cnide.
Démocédès de Crotone (521/483)
Il fut médecin public à Egine, puis à Athènes. Par la suite il fut médecin de Polycrate de Samos avant d'être capturé par le roi de Perse Darius, dont il devint le médecin et le conseiller. Il le soigna, ainsi que sa femme Atossa.
haut de page
Hippocrate, père de la médecine
Hippocrate est né en 460 avant JC sur l'île de Cos. Il est issu d'une famille aristocratique, fière de ses origines et de ses privilèges religieux - une inscription des Asclépiades figure dans le sanctuaire de Delphes. Il meurt à Larissa en Thessalie, à 85 ou 109 ans. Son tombeau se situe entre Larissa et Gyrton.
Il voyagea beaucoup, notamment en Méditerranée orientale. Il fut présent à Athènes lors de la peste qui ravagea la cité au début de la guerre du Péloponnèse. Puis il s'installa à Cos. Il enseigne la médecine moyennant salaire.
Socrate et Platon le tenaient en grande estime. A la fin du Ve siècle, Hippocrate est devenu aussi célèbre que Polyclète d'Argos ou Phidias d'Athènes en tant que sculpteur !
Selon lui, la chaleur innée est la force interne du corps humain. Il faut donc rechercher l'origine des maladies dans des changements d'air et de saison. C'est le déséquilibre des quatre humeurs - sang, phlegme ou pituite, bile jaune et bile noire - qui provoque la maladie. Il rejette les croyances selon lesquelles les maladies seraient dues à des dieux ou des démons. Il débute également une classification des maladies.
Il eut vraisemblablement deux fils, Thessalos et Dracon, qui furent également ses disciples. Ainsi, en 413, lors d'un conflit qui opposait Cos à Athènes, en dépit de ce qui semblerait la logique, Cos choisît Hippocrate comme représentant, alors que celui-ci vivait en Thessalie. Hippocrate envoya son fils Thessalos à sa place, afin d'apaiser la querelle.
Mais le rayonnement d'Hippocrate dépasse le monde grec : le roi de Perse, Artaxerxès, lui propose de s'installer à sa cour, mais il refuse par patriotisme - pourtant cela s'était déjà produit auparavant ; le peuple barbare Ilyrien, ravagé par la peste, demande son aide, mais une fois encore il refuse, par mépris des Barbares. Hippocrate se servît néanmoins des informations qu'ils lui donnèrent, pour combattre la peste lorsqu'elle atteignit le peuple grec. Il envoya Dracon en Hellespont et Thessalos en Macédoine, avant de se rendre lui-même à Athènes, en passant par la Doride, la Phocide et la Béotie. En récompense il reçut une couronne d'or de la part d'Athènes, qui lui est remise au théâtre de Dionysos, et est initié aux mystères d'Eleusis.
De nombreuses légendes l'entourent : on dit qu'il aurait été contraint de quitter Cos pour avoir brûlé la bibliothèque concurrente. Il aurait été invité par les Abdéritains à soigner la folie du philosophe Démocrite.
Après sa mort, les nourrices prirent l'habitude d'appliquer du miel sur sa tombe et d'en frotter ensuite les lèvres des bébés pour les guérir.
" La vie est courte et l'art est long. "
Sa pratique ne fait que synthétiser la somme des observations des générations précédentes, accumulées pendant des décennies. Mais c'est parce qu'Hippocrate fait passer la médecine à un autre statut, à celui d'art de la médecine, qu'il est considéré comme son père.
Son œuvre est regroupée dans la collection hippocratique, qui comprend une soixantaine d'ouvrages. Ces documents correspondent en fait au savoir de l'école médicale de Cos. Hippocrate n'est vraisemblablement pas l'unique auteur, et cela explique certaines divergences.
Ses connaissances sont basées sur l'observation, aucune dissection n'est réalisée sauf celle des animaux. Les connaissances en chirurgie sont donc limitées. De fait, Hippocrate ne cite pas le cœur pour le système sanguin - mais distingue en revanche les veines, canaux conducteurs du sang, des artères, véhiculant l'air - et il croit en l'existence de sperme féminin. On pratique la trépanation
Tout est basé sur la notion de nature (physis). La maladie s'installe à cause d'un déséquilibre, c'est-à-dire la prédominance d'un élément, et le médecin est en charge de rétablir l'équilibre en faisant jouer les éléments contraires. D'où la pratique de l'allopathie, traitement des maladies avec des remèdes produisant des effets contraires à ceux de la maladie.
Evolution de la médecine
Le pythagoricien Alcméon(520/450) pratique la dissection sur des animaux et découvre les nerfs.
La médecine se perfectionne à l'époque hellénistique avec Hérophile de Chalcédoine, disciple de Praxagoras et d'Erasistrate de Céos. Mais ils sombrent dans le dogmatisme, d'où l'émergence d'une école empirique qui se contente de décrire les maladies.
Erasistrate est le médecin du roi Séleucos Nicator. Il s'oppose à la médecine hippocratique, à la pratique de la saignée, à la théorie des humeurs. En anatomie, il distingue les nefs moteurs des nerfs sensitifs ; il décrit le cœur avec exactitude ; il souligne l'importance du cerveau, dont il remarque les circonvolutions.
Hérophile s'installe à Alexandrie sous Ptolémée Sôter, où il fonde une école de médecine - d'observation et d'expériences - avec Erasistrate. Il établit l'anatomie de l'œil et du foie, grâce à la dissection de cadavres, et mets en évidence l'importance du pouls pour le diagnostic.
" Je d'administrerai de poison à personne, si on m'en demande ; de même, aucune femme ne recevra de moi un pessaire abortif. Dans quelque maison que je pénètre, j'y entrerai pour l'utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons libres ou esclaves. "
Une pratique religieuse
L'exercice de la médecine est intimement lié au culte du dieu de la médecine, Asclépios. Elle se pratique donc dans ses sanctuaires, dont celui d'Orchomène de Béotie, de Trikka en Thessalie, de l'île de Cos, d'Epidaure et plus tard, à l'époque hellénistique, de Pergame en Asie Mineure - cette liste n'étant naturellement pas exhaustive !
Les sanctuaires sont des lieux entretenus, situés à proximité de sources et de forêts. Ils ont fonction d'hôpitaux, et les prêtres font office de guérisseurs. Mais la médecine a un caractère très religieux, les consultations se font sous forme d'oracles… Le malade est purifié, prend plusieurs bains, jeûne ; tous ces traitements revêtent un caractère hygiénique. Après quoi il se couche sous un portique à côté du temple, et attend une manifestation du dieu guérisseur dans son sommeil. Lorsqu'il sera satisfait, se pensant donc guéri, il partira.
Emancipation de la médecine
Elle fait véritablement apparition à la période classique.
Au fil du temps la médecine perd de son caractère divinatoire, pour devenir plus rationnelle. Ceci est symbolisé par Hippocrate, décrit tel le père de la médecine. Pourtant les médecins se targuent d'être du génos des Asclépiades, qui se considèrent descendants d'Asclépios. Ainsi, quand l'ordre des médecins s'élargira à des étrangers, c'est-à-dire non descendants d'Asclépios, il leur faudra faire le serment suivant :
" Je jure par Apollon médecin, par Esculape, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin, que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l'engagement suivants. "
La médecine dans la vie quotidienne
Il y a de nombreux médecins privés. A Athènes cependant, il y a également un service de santé géré par l'Etat. Les futurs médecins sont amenés à se présenter devant l'Ecclésia. Les interventions qu'ils pratiquent sont assez élaborées ; les blessés sont pansés avec des baumes, sans aucune pratique magique. On trouve même des médecins spécialisés dans certains domaines : des dentistes, qui ont recours aux amalgames de plomb ou d'or ; des ophtalmologistes, qui effectuent des bains d'œil…
Les grandes écoles de médecine sont celles de Crotone, Cyrène, Rhodes, et surtout de Cos et de Cnide !
L'école de Cos préconisait les régimes - évitant les médicaments - contrairement à l'école de Cnide.
Démocédès de Crotone (521/483)
Il fut médecin public à Egine, puis à Athènes. Par la suite il fut médecin de Polycrate de Samos avant d'être capturé par le roi de Perse Darius, dont il devint le médecin et le conseiller. Il le soigna, ainsi que sa femme Atossa.
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Hippocrate, père de la médecine
Hippocrate est né en 460 avant JC sur l'île de Cos. Il est issu d'une famille aristocratique, fière de ses origines et de ses privilèges religieux - une inscription des Asclépiades figure dans le sanctuaire de Delphes. Il meurt à Larissa en Thessalie, à 85 ou 109 ans. Son tombeau se situe entre Larissa et Gyrton.
Il voyagea beaucoup, notamment en Méditerranée orientale. Il fut présent à Athènes lors de la peste qui ravagea la cité au début de la guerre du Péloponnèse. Puis il s'installa à Cos. Il enseigne la médecine moyennant salaire.
Socrate et Platon le tenaient en grande estime. A la fin du Ve siècle, Hippocrate est devenu aussi célèbre que Polyclète d'Argos ou Phidias d'Athènes en tant que sculpteur !
Selon lui, la chaleur innée est la force interne du corps humain. Il faut donc rechercher l'origine des maladies dans des changements d'air et de saison. C'est le déséquilibre des quatre humeurs - sang, phlegme ou pituite, bile jaune et bile noire - qui provoque la maladie. Il rejette les croyances selon lesquelles les maladies seraient dues à des dieux ou des démons. Il débute également une classification des maladies.
Il eut vraisemblablement deux fils, Thessalos et Dracon, qui furent également ses disciples. Ainsi, en 413, lors d'un conflit qui opposait Cos à Athènes, en dépit de ce qui semblerait la logique, Cos choisît Hippocrate comme représentant, alors que celui-ci vivait en Thessalie. Hippocrate envoya son fils Thessalos à sa place, afin d'apaiser la querelle.
Mais le rayonnement d'Hippocrate dépasse le monde grec : le roi de Perse, Artaxerxès, lui propose de s'installer à sa cour, mais il refuse par patriotisme - pourtant cela s'était déjà produit auparavant ; le peuple barbare Ilyrien, ravagé par la peste, demande son aide, mais une fois encore il refuse, par mépris des Barbares. Hippocrate se servît néanmoins des informations qu'ils lui donnèrent, pour combattre la peste lorsqu'elle atteignit le peuple grec. Il envoya Dracon en Hellespont et Thessalos en Macédoine, avant de se rendre lui-même à Athènes, en passant par la Doride, la Phocide et la Béotie. En récompense il reçut une couronne d'or de la part d'Athènes, qui lui est remise au théâtre de Dionysos, et est initié aux mystères d'Eleusis.
De nombreuses légendes l'entourent : on dit qu'il aurait été contraint de quitter Cos pour avoir brûlé la bibliothèque concurrente. Il aurait été invité par les Abdéritains à soigner la folie du philosophe Démocrite.
Après sa mort, les nourrices prirent l'habitude d'appliquer du miel sur sa tombe et d'en frotter ensuite les lèvres des bébés pour les guérir.
" La vie est courte et l'art est long. "
Sa pratique ne fait que synthétiser la somme des observations des générations précédentes, accumulées pendant des décennies. Mais c'est parce qu'Hippocrate fait passer la médecine à un autre statut, à celui d'art de la médecine, qu'il est considéré comme son père.
Son œuvre est regroupée dans la collection hippocratique, qui comprend une soixantaine d'ouvrages. Ces documents correspondent en fait au savoir de l'école médicale de Cos. Hippocrate n'est vraisemblablement pas l'unique auteur, et cela explique certaines divergences.
Ses connaissances sont basées sur l'observation, aucune dissection n'est réalisée sauf celle des animaux. Les connaissances en chirurgie sont donc limitées. De fait, Hippocrate ne cite pas le cœur pour le système sanguin - mais distingue en revanche les veines, canaux conducteurs du sang, des artères, véhiculant l'air - et il croit en l'existence de sperme féminin. On pratique la trépanation
Tout est basé sur la notion de nature (physis). La maladie s'installe à cause d'un déséquilibre, c'est-à-dire la prédominance d'un élément, et le médecin est en charge de rétablir l'équilibre en faisant jouer les éléments contraires. D'où la pratique de l'allopathie, traitement des maladies avec des remèdes produisant des effets contraires à ceux de la maladie.
Evolution de la médecine
Le pythagoricien Alcméon(520/450) pratique la dissection sur des animaux et découvre les nerfs.
La médecine se perfectionne à l'époque hellénistique avec Hérophile de Chalcédoine, disciple de Praxagoras et d'Erasistrate de Céos. Mais ils sombrent dans le dogmatisme, d'où l'émergence d'une école empirique qui se contente de décrire les maladies.
Erasistrate est le médecin du roi Séleucos Nicator. Il s'oppose à la médecine hippocratique, à la pratique de la saignée, à la théorie des humeurs. En anatomie, il distingue les nefs moteurs des nerfs sensitifs ; il décrit le cœur avec exactitude ; il souligne l'importance du cerveau, dont il remarque les circonvolutions.
Hérophile s'installe à Alexandrie sous Ptolémée Sôter, où il fonde une école de médecine - d'observation et d'expériences - avec Erasistrate. Il établit l'anatomie de l'œil et du foie, grâce à la dissection de cadavres, et mets en évidence l'importance du pouls pour le diagnostic.
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