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Forum Religion Catholique

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Message  Arlitto Jeu 9 Juin 2016 - 19:25

Rappel du premier message :

Forum Religion Catholique





Catholicisme




Religion des chrétiens qui reconnaissent le pape comme chef spirituel.

Le catholicisme, également appelé l’Église catholique, est la branche du 
[ltr]christianisme[/ltr]
 qui reconnaît l'autorité spirituelle et juridictionnelle du 
[ltr]pape[/ltr]
. « Totalité et universalité » : tel est le sens en grec ancien du terme katholikos, par lequel est désignée, dès le iie s. de notre ère, l'Église qui a été fondée par Jésus, puis celle qui est restée attachée à ce titre ancien après les divisions apparues au sein du monde chrétien.

Le catholicisme fonde son unité sur une communauté de foi, de sacrements et de vie religieuse (un seul Christ, une seule foi). Une, la foi catholique repose sur un triple fondement : l'Écriture, qui est parole de Dieu ; la Tradition, qui est continuité de l'action divine ; l'Église, dépositaire et seule interprète autorisée de la vérité.



L'Église catholique au sein du christianisme

Forum Religion Catholique  - Page 13 1009069-Lippo_Memmi_saint_Pierre
Lippo Memmi, saint Pierre

Selon l'Évangile, Jésus a lui-même désigné parmi ses apôtres un homme, Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » Le martyre de Pierre à Rome a ensuite désigné le siège épiscopal de la ville comme celui autour duquel doit s'affirmer l'unité de l'Église et de la foi. C'est ainsi que dans l'Église primitive est établie, vers le ier s., la primauté de l'évêque de Rome, successeur de Pierre. 

Les enseignements du Christ ont d'abord été transmis par voie orale. Aux premiers écrits chrétiens, notamment les lettres adressées par Paul aux communautés qu'il a fondées, vont succéder les Évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean. Face à la nécessité de légiférer pour authentifier, parmi les multiples écrits qui sont alors rédigés, ceux qui sont fidèles à l'enseignement du Christ, un corpus est rassemblé sous le nom de « Nouveau Testament », en même temps que les écrits juifs antérieurs sont rebaptisés « Ancien Testament ». De même, face à la multiplication des communautés chrétiennes qui naissent dans tout le Bassin méditerranéen à partir du ier s., sont structurées les formes de cette Église (assemblée), qui est appelée à préserver le message du Christ en le protégeant des interprétations erronées. 



Le schisme avec les chrétiens d’Orient



Forum Religion Catholique  - Page 13 1004860-Constantin_Ier_le_Grand
Constantin Ier le Grand

Persécuté du ier au ive s., puis toléré et enfin reconnu comme religion officielle par l'empereur Constantin, au début du ive s., le christianisme parvient à s'établir dans l'Empire romain, tout en maintenant son unité ecclésiale et doctrinale jusqu'au xe s. Cependant se développent au sein de l'Église de nombreux débats théologiques, tranchés lors de grands conciles où sont élaborés et fixés des éléments essentiels de la doctrine chrétienne, comme l'universalité du christianisme (Jérusalem, en 49), la Trinité de Dieu (Nicée, en 325 ; Constantinople, en 381), la nature de Jésus-Christ, à la fois humaine et divine (Chalcédoine, en 451). Après l'éclatement de l'Empire romain à la fin du ve s., les divergences entre Orientaux et Occidentaux se font de plus en plus sentir. 

Alors que l'Église orientale reste sous la tutelle de l'empereur de Constantinople, l'Église latine doit, pour sa part, suppléer le pouvoir politique, qui s'est effondré avec la chute de l'Empire romain d’Occident. Rome y gagne en autorité non plus seulement spirituelle, mais également temporelle. L'Église d'Orient, déjà opposée à l'Église latine sur la formulation du dogme de la Trinité, lui reproche son autorité centralisatrice. En 1054, la rupture est consommée. L'Église latine garde le nom ancien de « catholique » et celle d'Orient prend celui d'« Église orthodoxe ». Certaines Églises feront néanmoins retour à la communion catholique, notamment au xviiie s., tout en gardant leurs rites de tradition orientale. 



La Réforme protestante


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Martin Luther

Face au pouvoir temporel de plus en plus hégémonique de l'Église catholique en Europe, les critiques se lèvent pour dénoncer les pesanteurs et les compromissions de l'appareil clérical. Les thèses de Martin Luther (1517) marquent le début de la Réforme, qui donne naissance aux Églises protestantes. Ce mouvement de contestation aspire à une simplification et à une personnalisation de la religion, en préconisant notamment la lecture directe de la 
[ltr]Bible[/ltr]
 par le croyant. Grâce au développement de l'imprimerie, il parvient en effet à retirer aux clercs et à l'Église le monopole de la pratique des Saintes Écritures. Dans le protestantisme, il n'y a pas d'épiscopat sacramentel, mais un sacerdoce commun à tous. Le baptême et la Cène (partage du pain et du vin) sont les seuls sacrements retenus, et toute pratique de dévotion ou toute démarche visant à s'assurer du salut sont rejetées : le salut ne s'achète pas, il est obtenu par la grâce de Dieu et non par les œuvres. 

L'Église catholique tente de répondre à ces vives attaques par la Contre-Réforme, ou Réforme catholique, en réaffirmant notamment l'autorité du pape ainsi que son attachement à la Tradition, à son magistère, aux sacrements et au salut par les œuvres. 



La foi catholique

Introduction

La foi catholique consiste en l'adhésion aux enseignements de l'Église portant sur les vérités que Dieu a révélées par son Fils. Elle se caractérise précisément par la définition des voies d'accès à ces vérités et au salut qu'elles portent en elles : la Révélation, l'Église et la Tradition, qui forment un tout indivisible. 



La Révélation


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Lorenzo Lotto, la Reconnaissance de la nature divine de l'Enfant Jésus

Selon le christianisme, Dieu s'est révélé aux hommes à travers l'histoire du peuple juif, auquel il a proposé son alliance, avant de se révéler pleinement à travers son Fils – Jésus-Christ mort et ressuscité –, en lequel il s'est incarné. 

Le Dieu révélé par le Christ est un Dieu unique mais en trois hypostases : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Il est créateur de toute chose et de toute vie. Empli de bonté envers sa création, il renouvelle, à travers le sacrifice de son Fils sur la croix, son alliance avec le peuple juif puis avec tous les hommes. Les chrétiens, en effet, croient non seulement à la résurrection du Christ, mais aussi à la résurrection des morts et à la vie éternelle : le salut. 

L'enseignement du Christ peut se résumer par cette phrase de l'Évangile de Luc (Luc X, 27) : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces, et de tout ton esprit. Et tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Le mot « alliance » traduit un lien de réciprocité entre Dieu et l'homme, et il exprime la « solidarité » de Dieu avec tout homme. Aussi toute adhésion de foi comporte des exigences d'engagement de solidarité humaine et sociale. 

La Révélation est tout entière contenue dans la vie, la mort et la résurrection du Christ. Les textes bibliques conservés par la Tradition transmettent les récits qui en ont été faits par les premiers chrétiens. 



L'Église

Dépositaire et interprète autorisée des vérités chrétiennes, l'Église veille au maintien de l'unité de la foi. Dans le catholicisme, c'est à elle, à l'assemblée des fidèles, que sont transmises les Écritures, et non à chacun de ses membres d'une manière individuelle. 

L'Église catholique ne peut admettre sans difficulté l'existence de plusieurs Églises chrétiennes. Selon elle, la volonté du Christ, réaffirmée dans le credo de Nicée, est que son Église soit « une, sainte, catholique et apostolique », et ce non seulement d'un point de vue théologique – comme le soutiennent orthodoxes et protestants –, mais également dans sa réalisation concrète. 

La conviction avec laquelle l'Église catholique revendique comme légitime le droit de rassembler tous les chrétiens repose sur trois éléments fondamentaux : 


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Évêque célébrant la messe

– La succession apostolique. Les évêques continuent avec le pape la mission confiée par Jésus aux apôtres. Leur ordination dans l'Église (par imposition des mains et sacrement de l'ordre) les investit des pouvoirs de gouverner, d'enseigner et de donner les sacrements au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. 

– La prédication de la Parole. De même que les premiers disciples ont reçu de Jésus l'Esprit saint, le collège des évêques et le pape sont assistés par l'Esprit lorsqu'ils doivent énoncer les vérités de foi. 


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Baptême d'un enfant

– Les sacrements. La présence du Christ dans l'Église se manifeste par l'Église elle-même et par les sacrements – signes sacrés porteurs de grâces et institués par le Christ –, à travers lesquels l'Esprit opère le don de Dieu. L'Église catholique dispense sept sacrements : le baptême et l'eucharistie (communs à toutes les Églises chrétiennes), la confirmation, le mariage, l'ordre, la réconciliation (pardon) et l'onction des malades (extrême-onction) pratiqués également dans les Églises orthodoxes. Par le sacrement de l'ordre (ordination), les clercs – diacres, prêtres, évêques – reçoivent le pouvoir de transmettre la grâce de Dieu par les sacrements. 



La Tradition

L'Église assure la présence du Christ à travers les âges, en tant que dépositaire des Écritures, mais aussi de la Tradition. Dans le catholicisme, la Tradition englobe l'ensemble des enseignements, des dogmes et des pratiques cultuelles que l'Église a adoptés tout au long de son histoire. Loin de penser que son épaisseur risque de rendre opaque la vérité du Christ, l'Église catholique considère que la Tradition garantit la transmission fidèle et intégrale de la Révélation. 

Par son action théologique, dogmatique, liturgique et même sociale, l'Église s'efforce sans cesse d'approfondir le mystère chrétien. Les nouveaux dogmes qu'elle élabore ne sont pas censés apporter de nouvelles vérités, mais éclairer un aspect de la vérité déjà révélée dans sa plénitude par le Christ. Ainsi, la vérité discernée à un moment donné par l'Église des fidèles n'est pas désavouée par les générations suivantes, mais elle est conservée dans la Tradition, tout en étant réinterprétée. 

Il existe une manière moderne d'adopter des dogmes qui tend à s'éloigner d'une conception « doctrinaire » de la Tradition et qui prend en compte la dimension historique de la parole doctrinale de l'Église. En témoignent les paroles du pape Jean XXIII au concile Vatican II (1962) : « Autre chose est le dépôt même ou les vérités de la foi, autre chose est la façon selon laquelle les vérités sont exprimées, à condition toutefois d'en sauvegarder le sens et la signification. » 

À toutes les époques et dans les divers contextes culturels, l'Église catholique a toujours professé sa foi dans l'assistance par l'Esprit saint pour interpréter et actualiser le message évangélique, en le préservant des interprétations subjectives et en lui conservant son authenticité et son unité. 



La liturgie

Ensemble des célébrations officielles du culte rendu à Dieu, la liturgie s'organise ordinairement au niveau de la communauté paroissiale. Ces célébrations publiques, qui ont lieu habituellement le dimanche ou le samedi soir, rassemblent à l'église les catholiques établis à proximité. Un calendrier liturgique répartit sur une année la célébration des grandes étapes de la vie du Christ (sa naissance est fêtée à Noël, sa résurrection à Pâques, etc.). 


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Messe à Notre-Dame de la Trappe

La principale liturgie est la messe, qui comprend deux grandes parties, la première étant consacrée à la lecture et aux commentaires de la Parole (sermon ou homélie), la seconde à l'eucharistie et à l'action de grâce. Comme le Christ l'a enseigné aux apôtres à la veille de sa mort, les catholiques partagent le pain et le vin dans l'eucharistie, un sacrement qui, plus qu'un acte dédié à la mémoire du Christ, est, dans la théologie catholique, sa transsubstantiation. Par la communion, les croyants participent à la vie du Christ, reçoivent son corps et son sang comme une nourriture spirituelle qui les sanctifie. 

Les catholiques, de même que les orthodoxes, prient la Vierge Marie et les saints, intercesseurs auprès de Dieu. 



L'institution catholique

Introduction

L'Église catholique possède une structure à la tête de laquelle se trouve le pape, suivi – dans l'ordre hiérarchique – par les évêques, les prêtres, les diacres et les laïcs (ou simples fidèles). 

Avec ses deux mille ans d'histoire et ses nombreux fidèles répartis dans le monde, l'Église catholique se révèle être une institution dont le gouvernement est fort complexe. 



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Rome
Le support territorial de l'Église catholique est l'État de la cité du Vatican, dont le statut a été établi par les accords du Latran, en 1929. Ce vestige des États pontificaux, institués au viiie s. pour garantir au pape une indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques, couvre un territoire de 44 ha enclavé dans la ville de Rome. La cité du Vatican jouit d'un statut de neutralité et d'inviolabilité. Cet État singulier est doté d'un gouvernement propre. Sa population s'élève à quelques centaines de personnes, principalement occupées dans la curie romaine. 



Le gouvernement de l'Église


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Premier concile du Vatican

Au sommet de la hiérarchie catholique, le pape est le garant de la continuité apostolique. Occupant le siège épiscopal de l'apôtre Pierre, il est évêque de Rome. Il nomme les évêques. Élu par le Sacré Collège des cardinaux et choisi parmi eux, il est aussi le signe visible de l'unité de l'Église. À ce titre, il représente l'autorité suprême, arbitrant toutes les décisions concernant la vie de l'Église, l'expression de la foi et les grandes questions posées par les évolutions de société. Toutes ses décisions et déclarations n'engagent pas la foi catholique au même degré : une encyclique papale n'a pas la valeur d'un dogme, qui est l'énonciation d'un article de foi. Aux périodes défensives de son histoire, l'Église catholique s'est recentrée autour de l'autorité du pape, notamment après le grand schisme d'Orient (au moment même où l'Église orthodoxe a conservé des traditions plus pluralistes en son sein), mais aussi lors de la Réforme protestante, puis au début de la modernité issue des Lumières et de la Révolution française. En 1870, au concile Vatican I, l'Église s'est attachée à redéfinir la primauté et l'infaillibilité de son chef. Près d'un siècle plus tard, le concile Vatican II a rééquilibré l'autorité papale en réhabilitant dans ses fonctions primitives la collégialité des évêques. 

La collégialité épiscopale confère une responsabilité à tous les évêques, qui exercent leurs pouvoirs sous l'autorité du pape. C'est au chef suprême de l'Église qu'incombe, en effet, le droit de les réunir tous en concile œcuménique ou en synode (c'est-à-dire en assemblée régionale ou locale, par exemple, les évêques africains). Cependant, depuis le concile Vatican II, des conférences épiscopales nationales ou locales (par exemple, la Celam, la Conférence des évêques d'Amérique latine) se tiennent régulièrement à leur propre initiative. 

Assemblée des cardinaux – évêques élevés à ce rang par le pape –, le Sacré Collège joue un rôle de conseil particulier auprès du chef suprême de l'Église. Le rôle de cette assemblée consiste essentiellement à élire le nouveau pape. Mais, selon la règle édictée par Paul VI en 1970, ne participent au vote que les cardinaux âgé de moins de 80 ans. Le Sacré Collège, qui comptait 70 cardinaux de Sixte Quint à Jean XXIII, en rassemble près de 200 à la fin des années 2000. 



L'Église locale

Circonscrite par un territoire – le diocèse – plus ou moins vaste selon les régions du monde, l'Église diocésaine constitue l'unité de base de l'Église, dans laquelle la continuité apostolique est assurée par l'évêque. 

Nommé par le pape, l’évêque est choisi parmi les prêtres et ordonné par des évêques. La plupart d'entre eux sont à la tête d'un diocèse, qui est organisé en paroisses que l'évêque confie à des prêtres. L'évêque, qui a pouvoir de juridiction, est responsable en particulier de la pastorale (enseignement et mission) et des prêtres de son diocèse. 

Ordonnés par l'évêque, les prêtres sont au service de l'Église diocésaine. Ce sont exclusivement des hommes ayant fait vœu de célibat (à l'exception des Églises catholiques de rite oriental, où des hommes mariés peuvent être ordonnés). Ils reçoivent de l'évêque le pouvoir de dispenser tous les sacrements sauf l'ordination des nouveaux prêtres (réservée aux évêques). Ils président les célébrations liturgiques, organisent les nombreuses activités de catéchisme, d'entraide, de réflexion au niveau paroissial et diocésain. 

Les diacres constituent, au sein de l'Église, le premier degré de la hiérarchie et du sacrement de l'ordre. Tirant son origine d'une tradition ancienne, le diaconat a été remis en honneur par le concile Vatican II comme service spécifique de la communauté croyante ouvert aux hommes mariés. On parle alors de diacres permanents. 

Les laïcs sont les membres les plus nombreux de l'Église. Ils voient leur participation à la mission évangélique de l'Église mieux reconnue dans les sociétés laïcisées du IIIe millénaire. 



Les ordres religieux

En dehors des activités organisées autour des paroisses et, plus généralement, dans le cadre de la structure ecclésiastique, il existe d'autres formes de vie religieuse, plus dépouillées, plus disciplinées et souvent plus communautaires. Les ordres et les missions représentent ainsi des formes très différentes d'engagement au nom de la foi catholique. 


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Giotto, Innocent III approuve la règle de saint François

À l'instar des plus connus d'entre eux – bénédictins et bénédictines de saint Benoît (vie s.), franciscains de saint François d'Assise (xiiie s.), clarisses de sainte Claire (xiiie s.), dominicains de saint Dominique (xiiie s.) ou jésuites d'Ignace de Loyola (xvie s.) –, tous les ordres religieux suivent des règles de vie qui répondent aux trois appels évangéliques : la pauvreté, la chasteté et l'obéissance. Ils se différencient néanmoins par leur principale activité qui peut être la prédication, l'action missionnaire et sociale ou encore la prière (notamment dans les ordres contemplatifs vivant dans des monastères). 

Contrairement à la prêtrise, les ordres admettent hommes et femmes, mais dans des communautés séparées. Le statut de religieux n'est pas incompatible avec la prêtrise, tant et si bien que beaucoup de religieux sont également prêtres. Par ailleurs, certains ordres (comme les dominicains et les franciscains) ont institué un « tiers ordre », dans lequel sont regroupés des laïcs, mariés ou non, qui, tout en continuant à vivre dans le monde, s'engagent à suivre certains préceptes de la règle adoptée par l'ordre auquel ils appartiennent. 

Les ordres religieux ont, pour la plupart, essaimé sur tous les continents. Les responsables des communautés dépendent, selon les cas, de l'évêque du lieu ou d'une autorité centrale rattachée directement au Saint-Siège. 



Les mouvements catholiques

Les mouvements catholiques rassemblent des croyants désireux d'agir au nom de la foi, de la justice et de la charité chrétiennes, dans le cadre d'un des nombreux organismes existants, associations ou institutions. Alors que certains d'entre eux ont une dimension locale, d'autres (comme Caritas International, dont fait partie le Secours catholique français) sont internationaux. 

Ces mouvements allient à des degrés divers l'étude ou la formation religieuse, l'approfondissement spirituel et l'action caritative ou sociale. Une tension existe cependant entre ceux qui seraient tentés d'oublier le « monde » et ceux qui, au contraire, s'engagent « dans le monde » sans mettre en avant leur identité de membres de l'Église. 



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Léon XIII

À travers ces nombreux engagements, le catholicisme continue d'être actif dans les domaines de l'enseignement et de l'assistance hospitalière ou caritative, qu'il a longtemps eus en charge. Avec la révolution industrielle du xixe s., il s'est investi sur le terrain social pour dénoncer la « misère imméritée des ouvriers » (encyclique Rerum novarum de Léon XIII, en 1891) et pour y chercher remède. Connu sous le nom de catholicisme social, ce mouvement a débouché sur l'action politique, conduite par les partis de la démocratie chrétienne, et préparé l'éclosion de l'apostolat des laïcs, notamment l'Action catholique en France. 

La présence de plus en plus nombreuse de missionnaires dans les pays du tiers-monde a permis aux catholiques de participer à la lutte pour le développement des pays du Sud et de porter assistance aux plus défavorisés. 



L'évolution actuelle du catholicisme

Introduction

Ouverture sur le monde séculier, volonté de rejoindre les préoccupations des fidèles, telle est la tendance qui l'emporte aujourd'hui au sein de l'Église catholique, qui cherche à refréner la poussée des traditionalistes refusant toute modernisation liturgique et toute forme d'œcuménisme. 



Le concile Vatican II

La seconde moitié du xxe s. est marquée par le concile Vatican II. Convoqué par Jean XXIII, qui l'ouvre le 11 octobre 1962, il est clos le 8 décembre 1965 par Paul VI. Au terme de cette grande assemblée qui a réuni les évêques du monde entier et de nombreux experts théologiens, le catholicisme sort transformé, en particulier plus ouvert au dialogue : 
– avec les autres confessions chrétiennes dans le cadre du dialogue œcuménique, qui se traduit, dès le 7 décembre 1965, par la levée réciproque des excommunications entre Rome et Constantinople ; 
– avec tous les hommes s'interrogeant au sein de l'Église sur les problèmes de société, dans le respect de leur liberté ; 
– avec tous les catholiques, clercs et laïcs, qui ont reçu la même mission de témoigner du Christ et qui méritent ainsi une plus grande reconnaissance, due également au pluralisme culturel des Églises particulières et locales, dont il convient de respecter l'autonomie légitime (par exemple, par l'utilisation de la langue vernaculaire comme langue liturgique) ; 
– avec les autres religions, sur la base d'une reconnaissance plus ample du caractère impénétrable des voies de Dieu. 

Le concile Vatican II a été l'aboutissement et le point de départ d'un vaste travail théologique qui continue à susciter un intérêt général, de la part tant des clercs que des laïcs. 



La tentation intégriste

L'intégrisme catholique est né d'une réaction aux évolutions des sociétés modernes. Désignant initialement un parti politique espagnol, né vers 1890, à la suite de la condamnation papale du modernisme (Syllabus, 1864), le terme a pris un sens plus large. Aujourd'hui il s'applique aux catholiques intransigeants, qui refusent toute concession avec l'ordre social et politique des sociétés modernes, laïques et pluralistes. 

Au début du xxe s., sous le pontificat de Pie X, l'intégrisme a pris la forme d'une organisation secrète, la Sapinière, dont l'activité principale était de constituer des dossiers sur les catholiques jugés trop « compromis » avec la société moderne. Elle a mis fin à ses activités en 1921. 

Après Vatican II, l'intégrisme est devenu le creuset des tendances catholiques fondamentalement hostiles à l'aggiornamento (adaptation de l'Église à la modernité) engagé par le concile. Le 30 juin 1988, le schisme conduit par le chef des intégristes – l'évêque français Marcel Lefebvre – a été consommé avec l'Église de Rome. 


Documents associés

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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016 - 21:02

La Réforme en Suisse Allemande — Ulrich Zwingli


Au point de vue territorial et politique la Suisse présentait, au commencement du 16° siècle, un aspect très différent d’aujourd’hui. Le nombre des cantons, de huit jusqu’en 1481, monta progressivement à treize en 1513 et ne changea plus jusqu’en 1798. Dans certains d’entre eux, surtout Zurich, Berne, Bâle, Lucerne, l’élément urbain l’emportait du fait de l’importance qu’y occupait la ville principale. Ailleurs les campagnards avaient la primauté et manifestaient une vive répugnance aux innovations, quelles qu’elles fussent, tandis qu’en ville on se montrait plus accessible aux idées nouvelles. Il y avait donc mésentente profonde dans l’administration des affaires qui intéressaient l’ensemble de la Confédération et c’est par là que s’explique en partie la division si tranchée de la Suisse en deux camps lors de la Réforme. En outre, quelques cantons détenaient de vastes territoires en toute propriété : c’étaient des pays sujets. Berne, par exemple, avait acquis de longue date l’Argovie et fit, en deux étapes, la conquête du pays de Vaud qu’elle en vint à posséder presque entier. Le Tessin était un bailliage commun à tous les cantons. On pourrait allonger beaucoup cette énumération. Quand vint la Réformation, selon l’usage du temps, qui a été signalé ailleurs, le maître imposa sa religion à ceux qui dépendaient de lui. La pratique de deux cultes, si totalement divergents, sur un si petit territoire, ne manqua pas de déchaîner des conflits à main armée ; on peut même s’étonner de ce que le pays ne se soit pas scindé en deux États rivaux. La Suisse offre cette triste originalité d’avoir été le théâtre de la première guerre de religion en Europe (celle de Kappel en 1529) et aussi de la dernière (deuxième guerre de Willmergen en 1712), sans parler de celle du Sonderbund en 1847, provoquée également par des motifs confessionnels, mais qui débordaient sur le terrain politique. Ce n’est qu’à partir du milieu du 19° siècle que la paix religieuse a vraiment régné dans ce pays.

Au 16° siècle les ténèbres spirituelles étaient peut-être plus profondes encore en Suisse qu’ailleurs. La vie matérielle y tenait une place essentielle, l’agriculture à la campagne, le commerce, l’industrie, l’appât du gain, le service militaire dans les villes. Même dans celles-ci on ne distingue que de faibles lueurs témoignant d’un intérêt pour les choses de l’esprit et surtout pour celles de Dieu. D’une manière générale on traitait avec mépris ceux qui s’attachaient à l’étude de l’Écriture Sainte. Les prêtres disaient tout haut qu’elle n’offrait pas la moindre utilité ; l’un d’eux allait jusqu’à prétendre qu’on aurait pu vivre en paix et très heureux, quand même il n’y aurait pas eu d’Évangile dans ce monde. Le culte n’était plus qu’un amas de pratiques grossières, pires encore qu’ailleurs. D’après les témoignages des contemporains, à Zurich, à Bâle, à Berne, à Lausanne, à Genève, dans les villes comme dans les villages, le bigotisme était si général que la religion, si on peut appeler de ce nom des pratiques pareilles, consistait, chez la plupart des gens du peuple, à regarder le mouvement des doigts des prêtres, à les entendre marmotter des mots inintelligibles, à se prosterner devant les images, à b..... les reliques. Le trafic des indulgences se pratiquait aussi.

Mais, comme en Allemagne, quoique de façon tout à fait indépendante, un travail de Dieu se faisait dans les cœurs. Les esprits un peu éclairés étaient las des vexations d’un clergé enrichi des offrandes de la superstition. Le Seigneur formait des ouvriers pour démolir l’échafaudage des erreurs accumulées par le travail de Satan.


* * *


Le plus remarquable des réformateurs de la Suisse allemande, Ulrich Zwingli, naquit le 1er janvier 1484, trois mois après Luther, à Wildhaus, le dernier village de la longue et belle vallée du Toggenbourg qui fait partie aujourd’hui du canton de Saint-Gall. De tout temps sa population saine, vaillante et joyeuse manifesta un grand amour de l’indépendance. Les parents d’Ulrich, gens très honorables et connus par leur piété, charmés des belles dispositions de leur fils, conçurent de bonne heure le projet de lui faire embrasser la carrière ecclésiastique. Il fit de brillantes études à Bâle, à Berne, plus tard à Vienne. Partout il se distingua dans les exercices de discussions publiques, si fort à la mode alors ; elles le préparèrent aux joutes oratoires qu’il dut soutenir plus tard en faveur de la cause de l’Évangile.

À l’âge de vingt-deux ans Zwingli revint à Bâle, cette fois en qualité de maître de latin à l’école Saint-Martin. Il continuait ses études à l’université, où il suivit assidûment les leçons de Thomas Wittembach. Celui-ci annonçait à ses disciples l’aurore de temps nouveaux dans lesquels la grâce divine agirait avec puissance, où l’enseignement religieux se baserait uniquement sur la Bible et, en particulier, sur les écrits des apôtres. Il s’élevait aussi contre le célibat des prêtres, qu’il envisageait comme une institution funeste, antiscripturaire, contre nature. Il traitait de charlatanisme les indulgences, déclarait que le sang versé par Jésus sur la croix est la seule et unique rançon pour les péchés. C’est bien à Thomas Wittembach que Zwingli dut la connaissance première de la vérité.

La même année il reçut un appel à Glaris comme curé. Les habitants de cette ville auraient dû accepter en cette qualité un Italien qui n’avait d’autre recommandation que celle d’avoir servi comme palefrenier du pape. Indignés à juste titre, ils donnèrent leur préférence à leur compatriote, malgré sa jeunesse et à cause du témoignage excellent que lui rendirent ses maîtres. Il se dévoua aussitôt entièrement à son ministère, mais continua en même temps, pour lui-même et sans secours aucun, ses études classiques. Il lisait les auteurs latins dans le texte, les apprenait par cœur ; il leur doit le goût qui distingue ses écrits. Pour lire le Nouveau Testament dans l’original, il apprit, tout seul, le grec, copia de sa propre main les épîtres de Paul et les grava mot à mot dans sa mémoire. Il mettait une ardeur extraordinaire à découvrir la vérité qui, disait-il, « est pour moi ce qu’est le soleil pour l’univers. De même que nous le saluons partout où nous le voyons apparaître, de même qu’il nous encourage à l’ouvrage, de même l’esprit se tourne vers la lumière, et il se réjouit lorsque ses rayons viennent dissiper les ténèbres de l’ignorance. La lumière est pour le monde le plus grand sujet de joie ; la vérité est pour l’esprit l’objet le plus cher, le plus précieux et le plus souhaitable ».

Il écrivait aussi à un de ses amis : « Je veux puiser la doctrine du Christ à la vraie source, sans recourir à aucun intermédiaire ; c’est pour cela que je dois connaître la langue même dans laquelle les auteurs inspirés ont écrit. La philosophie et la théologie n’ont fait qu’accumuler les difficultés dans mon esprit. Aussi j’en ai conclu que je devais abandonner ces disciplines et chercher à pénétrer les pensées même de Dieu par l’étude de sa Parole. Je m’y appliquai en suppliant instamment le Seigneur de me donner sa lumière. Je ne lus plus rien que les Saintes Écritures et, à mesure que j’avançais dans ma lecture, le sens de la révélation divine devenait infiniment plus clair à mes yeux que si j’avais recouru à je ne sais combien de commentaires ». C’est ainsi que Zwingli se familiarisa avec la Bible, et surtout avec le Nouveau Testament. On s’en rendit bien compte lorsqu’on l’entendit prêcher : ce qu’il disait prouvait que ce qu’il savait, il l’avait appris du Seigneur lui-même, et non de l’homme.

Le grand humaniste Érasme, malgré le scepticisme qu’il affichait, attirait aussi beaucoup Zwingli. Voici ce que raconte Zwingli au sujet de ce qu’il devait au savant Hollandais : « Il y a huit ou neuf ans (il écrivait en 1523) que j’ai été amené à la conviction qu’il n’y a qu’un médiateur entre Dieu et nous, à savoir le Seigneur Jésus Christ. J’avais lu une touchante poésie latine du savant Érasme de Rotterdam dans laquelle il exprime cette pensée que le Seigneur Jésus est la source unique de tout bien et que nous sommes très fautifs de ne pas y puiser constamment. Lui seul est notre Sauveur, la consolation, la richesse, le trésor de nos âmes. Et je me dis : Puisqu’il en est bien ainsi, pourquoi chercher mon secours auprès des hommes ? Que peuvent-ils me donner ? Malgré d’autres cantiques dus à la plume du même Érasme, je n’ai pu détacher mon cœur de celui-là. Je me mis alors à examiner soigneusement la Sainte Écriture et les pères de l’Église pour y trouver un enseignement sur l’intercession des saints ; mes recherches restèrent vaines ; je ne découvris rien, absolument rien sur ce sujet ». C’est ainsi que Dieu se sert des moyens les plus inattendus pour attirer à lui les cœurs désireux de le trouver.

À cette époque, dans la plupart des cantons, les citoyens suisses concouraient tous sans exception, à la gestion des affaires publiques en se réunissant en assemblée dite landsgemeinde ; de même ils devaient tous prendre les armes au premier appel des magistrats. Ceci explique pourquoi on rencontre Zwingli beaucoup plus souvent que Luther sur l’arène politique. Deux fois aussi il dut prendre part, comme aumônier, aux expéditions que les Suisses faisaient alors en Italie pour soutenir, contre la France, la cause du pape et celle du duc de Milan. Il assista à la terrible défaite que subirent ses compatriotes à Marignan sous les coups de l’armée dirigée par François Ier. Mais ces deux campagnes lui ouvrirent les yeux sur l’affreuse déchéance morale et spirituelle dans laquelle était tombé le clergé italien, puis également sur le danger que couraient les Suisses eux-mêmes à ce contact impur. On tuait, on pillait sans retenue aucune, comme par plaisir ; tous les nobles instincts de la nature s’atrophiaient rapidement. L’amour du gain, même illicite, l’esprit de violence, le mépris d’autrui, la dégradation morale, la grossièreté sous toutes ses formes, tels étaient les vices que développait le service étranger. Rentré à Glaris, Zwingli prêcha avec une conviction éloquente contre cette pratique, irritant les autorités qui craignaient de voir disparaître par là un revenu important et assuré. Mais personne n’osa arrêter le vaillant prédicateur que toute la population chérissait parce qu’il ne manquait pas une occasion d’annoncer avec droiture tout ce qu’il trouvait dans l’Écriture. Quelle que fût la question qu’il traitât, il se basait sur la Bible. Son procédé favori consistait à expliquer la Parole de Dieu pour elle-même en rapprochant les passages qui se rapportaient au même sujet. Son éloquence respirait la force et l’animation ; tout vibrait chez lui et il tenait admirablement ses auditeurs en haleine. « Si », disait-il, « on voit clairement ce qui est vrai, à cause de cela même on discernera ce qui est faux ».

Sur un point pourtant Zwingli souffrait cruellement. Profondément pénétré du sentiment de sa misère morale, de sa faiblesse, il soupirait après la véritable sainteté, croyant, comme tant d’autres, y parvenir par ses propres efforts. Il passa par des luttes intérieures amères jusqu’à ce qu’il apprît à s’en remettre entièrement au Seigneur pour cela comme pour tout ce qui le concernait. Il écrivit plus tard : « Je n’avais personne qui m’aidât à m’élever vers le bien ; beaucoup au contraire me raillaient. Je suis tombé et retourné, comme le chien, à ce que j’avais vomi (voir 2 Pierre 2:22). Je suis descendu, avec une profonde douleur, avec honte, dans les abîmes de mon âme. Et alors j’ai tout montré à Celui auquel seul j’aime à me confesser, car que pourraient les hommes dans un cas comme celui-là ? Faut-il ajouter que j’ai trouvé la réponse, et une réponse parfaite ? »

Il est à craindre toutefois que Zwingli ne se serait laissé entraîner petit à petit par le courant politique. Il y avait à Glaris un parti important qui en voulait au réformateur de sa franchise ; on suscita même une cabale contre lui. Fougueux comme il l’était, Zwingli aurait subi la tentation de répondre aux basses calomnies dont on l’abreuvait. Mais le Seigneur veillait sur son serviteur et lui ménagea un asile de repos et de recueillement fort inattendu dans le couvent d’Einsiedeln, de même qu’il avait dit jadis à ses disciples : « Venez à l’écart… et reposez-vous un peu » (Marc 6:31). Il y fut appelé par l’abbé lui-même. Les habitants de Glaris, appréciant de plus en plus ses éminentes qualités, le virent partir avec une vive douleur et lui conservèrent son poste pendant deux ans, dans l’espoir qu’il viendrait le desservir de nouveau. Mais Zwingli reconnut bientôt que c’était le Seigneur qui l’avait conduit sur un champ de bataille plus favorable à l’exécution du grand dessein auquel il le destinait. Dans le silence et le calme du monastère, il trouvait plus de temps pour l’étude et la méditation. Puis la présence de pèlerins très nombreux lui fournissait des occasions continuelles de répandre au loin les vérités qui lui étaient devenues chères et qu’il ne pouvait garder pour lui. Il ne voulait pas qu’on pût lui adresser le reproche que se faisaient à eux-mêmes les lépreux de 2 Rois 7:9: « Ce jour est un jour de bonnes nouvelles, et nous nous taisons ». Bien plutôt il disait : « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé » (Ps. 116:10).

L’abbé d’Einsiedeln, homme pieux et désireux d’en connaître plus long sur la vérité évangélique, fit un accueil chaleureux à son jeune collaborateur et l’encouragea dans la voie où il était entré. Lui-même ne partageait pas la croyance commune, que l’hostie renfermait le vrai corps de Jésus Christ. Comme il ne célébrait point de messe, plusieurs des visiteurs du couvent lui en exprimèrent leur surprise. L’abbé leur répondit avec beaucoup de raison : « Si Jésus Christ est véritablement dans l’hostie, je suis indigne de la regarder, plus indigne encore de l’offrir en sacrifice au Père. S’il n’est pas dans l’hostie, malheur à moi si je propose au peuple un pain à adorer plutôt que Dieu ».

On lisait sur la porte du couvent une inscription ainsi conçue : « Ici on trouve une pleine rémission de tous les péchés ». À l’instigation de Zwingli cette inscription disparut. Puis l’abbé fit enterrer toutes les reliques auxquelles on avait rendu culte jusque-là. Il prescrivit aux religieuses qui dépendaient du monastère de lire le Nouveau Testament en langue allemande, plutôt que de réciter leurs heures, et permit à celles qui le voulaient de quitter le couvent et de se marier, si elles en trouvaient l’occasion.

À Einsiedeln Zwingli entra en relations avec plusieurs hauts dignitaires de l’Église, entre autres avec le célèbre cardinal Matthieu Schinner, l’adversaire déclaré de la politique française en Suisse ; il ne craignait pas d’insister auprès d’eux, quelque fût leur rang, sur la nécessité urgente et formelle d’une réforme radicale dans l’Église catholique, de laquelle, il faut le remarquer, il ne songeait pas encore à se séparer, pas plus que ne l’avait fait Luther au début. Son aversion pour les abus de tout genre s’accroissait dans ce milieu où, malgré les excellentes dispositions de l’abbé, la superstition s’étalait au grand jour et sous ses formes les plus répugnantes. Sa prédication devenait toujours plus incisive : « Ne croyez pas », s’écriait-il en s’adressant à ses auditeurs, « que Dieu habite dans ce soi-disant sanctuaire plutôt que dans n’importe quel autre lieu de la création. Où que soit sa demeure, il vous voit, il vous entend. Quelle puissance pourrait-il y avoir dans des œuvres dépourvues de tout profit quelconque : pèlerinages pénibles, offrandes, prières adressées à la Vierge et aux saints ? Et vous croyez vous assurer par là la faveur de Dieu ! À quoi bon entasser tant de vaines paroles ? Quel profit peut-il y avoir à porter une soutane, à se faire raser la tête, à se vêtir de robes richement brodées pour célébrer le culte ? Dieu regarde au cœur, et nos cœurs à tous sont totalement éloignés de lui dans notre état naturel. Le Seigneur Jésus Christ, qui s’est offert lui-même sur la croix une fois pour toutes, lui est le sacrifice, la victime qui donne satisfaction, durant toute l’éternité, pour tous les péchés que peuvent avoir commis ceux qui mettent leur confiance en lui ».

On voit que, dans ses discours, qui s’adressaient souvent à de véritables foules de pèlerins, il rendait ses auditeurs attentifs aux doctrines centrales du christianisme, dépouillées de toute enveloppe scolastique. Aux superstitions humaines il opposait l’amour du Christ et la soumission à la volonté de Dieu. On admirait la forme parfaite dans laquelle la parole s’échappait de ses lèvres. Le bruit de son éloquence et de sa valeur scientifique se répandit au loin. Un de ses admirateurs l’appelait « l’éclat et l’ornement de la patrie ». Mais ce n’était pas là ce que cherchait Zwingli ; il n’avait pas d’autre but, pas d’autre désir que d’annoncer la vérité à ces foules plongées dans l’erreur.


La célébrité dont il jouissait lui valut bientôt un appel en qualité de prédicateur attaché à la grande église du Grossmünster à Zurich. Il accepta, non sans hésiter, à cause de la lourde responsabilité qui lui incomberait, mais y voyant la main de Dieu qui l’invitait à déployer les talents qu’il avait reçus sur un théâtre plus étendu qu’il n’avait pu le faire jusque-là. Le clergé zurichois avait un triste renom et Zwingli prévoyait des luttes acerbes de ce côté-là. « Ce clergé », dit un historien, pourtant catholique, « était nombreux et bien doté. Un nouveau zèle pour les constructions ecclésiastiques se faisait remarquer, ainsi que pour la musique religieuse. Les fêtes se célébraient devant un grand nombre de prélats et de prêtres. On aurait pu en conclure que la vie spirituelle florissait. Mais ce n’était que vaine apparence. Un profond déclin avait envahi l’Église ; tout n’était que clinquant et vie extérieure ». On voit que le souci des choses de Dieu, le simple désir de suivre ses ordonnances n’existait pas. Ces prêtres n’étaient que des aveugles, conducteurs d’aveugles.

Le 1er janvier 1519 Zwingli monta dans la chaire du Grossmünster et informa ses auditeurs qu’il ne s’en tiendrait pas, dans ses sermons, aux péricopes indiqués par l’Église (*), mais qu’il expliquerait les livres de la Bible les uns après les autres, et qu’il annoncerait la doctrine du Christ d’après les textes originaux. Cette déclaration fit une profonde impression et fut en général accueillie avec sympathie par la majorité des fidèles, d’autant plus que tout, chez le nouveau prédicateur, attirait la confiance : sa belle prestance, la dignité de son maintien, sa voix chaude, quoique un peu faible, le choix heureux de ses expressions. Ses leçons étaient claires et faciles à saisir, pleines de sérieux et de cordialité ; ses réprimandes avaient un caractère paternel. La conscience qu’il avait de son mandat, le sentiment que le message qu’il publiait venait de Dieu, la conviction qu’il manifestait en le communiquant, tout cela donnait à ses entretiens un cachet spécial qui, au dire des contemporains, rappelait celui des discours des prophètes.

(*) Les péricopes sont un choix de textes bibliques, auquel le prêtre doit se tenir strictement, pour être lus à l’auditoire. Ils laissent de côté beaucoup de passages importants de l’Écriture.

La fermentation, provoquée par ses paroles courageuses et sévères, n’était pas pour l’arrêter dans sa résolution. Il trouva une adhésion croissante chez les bourgeois éclairés, qui éprouvaient de vrais besoins religieux et qui, sous l’impression d’ailleurs du mouvement qui avait éclaté en Allemagne, ne réclamaient plus le « lait » spirituel seulement, mais une « nourriture solide » (voir Héb. 5:12). L’homme du peuple reconnaissait en lui un prédicateur de la vérité, qu’aucune considération n’arrêtait. Des membres éminents du chapitre du Grossmünster, que la lecture de la Bible avait éloignés du système ecclésiastique romain, adhérèrent avec joie aux principes exposés par Zwingli et tournèrent résolument le dos aux fausses doctrines qu’ils avaient pratiquées jusque-là.

En fait Zwingli ne suivit pas à la lettre le programme qu’il avait tracé. Il raconte lui-même la marche qu’il suivit et que lui dicta l’enchaînement logique de l’enseignement qu’il se proposait de donner : « À mon arrivée à Zurich, je commençai à expliquer l’évangile selon Matthieu, puis les Actes des Apôtres, afin de montrer comment la vérité se répandit. Je passai ensuite à la première épître à Timothée, qui contient, pour ainsi dire, toute la règle de conduite d’un chrétien digne de ce nom. Voyant que de faux docteurs proclamaient des erreurs contre la foi, j’expliquai l’épître aux Galates, puis les deux épîtres de Pierre, pour prouver aux détracteurs de Paul que le même esprit avait inspiré l’un et l’autre apôtre. Enfin j’arrivai à l’épître aux Hébreux, qui fait connaître, dans toute son étendue, le bienfait du message apporté par le Seigneur dans le monde ».


Zwingli s’attachait avant tout à faire ressortir l’amour infini de Dieu dans le don de Jésus, son Fils unique et bien-aimé ; il invitait ses auditeurs à mettre toute leur confiance dans l’œuvre accomplie pour eux à la croix. Ses appels pressants à la repentance étaient accompagnés d’éloquentes réfutations des erreurs qui avaient cours ; avec une logique impitoyable il les sapait à la base. Il s’élevait aussi contre les mœurs dissolues qui ne distinguaient que trop la ville de Zurich, contre le luxe effréné, l’intempérance, les costumes extravagants, les injustices commises envers les pauvres et les déshérités de ce monde, l’oisiveté, le service mercenaire, la tendance qu’on avait à accepter des pensions de la part de princes étrangers. « Il n’épargnait personne », dit un de ses contemporains, « ni le pape, ni l’empereur, ni les seigneurs, ni même ses propres concitoyens, Zurichois ou Confédérés. On sentait chez lui une puissance irrésistible qui venait de Dieu et sans laquelle il n’aurait jamais pu parler avec une force et une autorité pareilles. Dans tout ce qu’il disait, il ramenait toujours son sujet au Seigneur, tellement il avait à cœur de le glorifier ».

Si, dans la chaire, il prenait des allures de dominateur, intensément pénétré de la valeur de la haute mission qui lui incombait, dans la rue, chez lui, c’était le plus affable des hommes, réalisant bien ce mot des Proverbes 19:22: « Ce qui attire dans un homme, c’est sa bonté ». Il ne craignait pas de frayer avec les corporations de commerçants et d’industriels, prenant même part aux discussions, mais toujours en vue de diriger l’attention de ses auditeurs du côté de ce qui devait tendre à la gloire de Dieu. Il abordait paysans et patriciens avec la même cordialité, « acceptant », d’après un témoignage du temps, « avec un égal plaisir, les invitations des riches et des pauvres. Il ne méprisait personne, témoignant une égale bienveillance envers chacun, chéri des malheureux, toujours serein devant les infortunes de la vie, jamais déprimé par les calamités, encourageant par tous ses discours, car son cœur reposait sur le Rocher des siècles ».

Zwingli était un travailleur infatigable. Chez lui il ne cessait de lire, d’écrire ou de traduire. À des heures déterminées il recevait tous ceux qui avaient besoin de ses conseils ou de ses instructions. Il prenait chaque jour quelques instants pour les consacrer à ses amis personnels. Mais souvent il passait une partie de ses nuits à sa correspondance.

Toute l’Allemagne et même une partie de l’Europe retentissait encore du bruit causé par la noble défense de Luther devant la diète de Worms. Les papistes suisses flétrissaient du nom de Luthériens quiconque s’écartait en un seul point des croyances et des pratiques romaines. Zwingli repoussait avec énergie cette dénomination et il avait raison : le réveil en Suisse n’était pas du tout un produit de celui qui avait eu lieu en Saxe. Lorsqu’il apprit à connaître les vérités contenues dans la Parole de Dieu, il ne savait rien de Luther, ignorait même son nom et ne se doutait nullement que, au-delà du Rhin, l’Esprit de Dieu travaillait aussi avec la même puissance.

De même qu’en Allemagne, en Suisse aussi les excès de la papauté aidèrent à la cause de l’Évangile. Sous la direction du dominicain Samson, le trafic des indulgences y pénétra et ne tarda pas à drainer le pays à tel point que les gouvernements s’en alarmèrent. Les gens du peuple surtout gaspillèrent leurs maigres ressources pour acheter de ces odieux documents ; il ne leur restait rien pour s’acquitter de leurs impôts. Berne ferma ses portes à Samson ; à force de ruses et de mensonges, il réussit à se les faire ouvrir et réalisa dans cette ville un gros bénéfice. Il se rendit ensuite à Baden, puis s’avança dans la direction de Zurich par des voies détournées, à travers les campagnes d’Argovie. Zwingli n’avait pas attendu ce moment pour dénoncer les pratiques éhontées du dominicain : « Christ est tout. Il est le commencement et la fin, l’alpha et l’oméga. Il est tout. Il peut tout. Nul autre que lui n’a le pouvoir de remettre les péchés. Il est notre justice, notre sainteté. Par lui seul nous pouvons nous tenir, sans conscience de péché, devant la présence de Dieu ».

Éclairés par le réformateur, les magistrats de Zurich interdirent à Samson l’entrée de leur ville, où la diète helvétique se trouvait réunie. Comme à Berne, Samson chercha à pénétrer au moyen de subterfuges, se prétendant investi du pape d’une mission spéciale auprès des députés des cantons. C’était faux. La fourberie découverte, le marchand reçut l’ordre de se retirer au plus vite. Complètement discrédité, même auprès de ses coreligionnaires, il s’empressa de rentrer en Italie.

La première année du ministère de Zwingli à Zurich fut marquée pour lui et pour la ville par une épreuve terrible. Accablé de fatigue, il s’était rendu aux bains de Pfäffers pour y prendre quelque repos, très relatif du reste, car il saisissait toutes les occasions pour prêcher l’Évangile aux malades qui l’entouraient. Soudain la nouvelle arriva que la peste avait éclaté à Zurich. Sans un instant d’hésitation, Zwingli y retourna en hâte, afin de se consacrer aux soins des malades. Ses amis l’engageaient à se ménager, mais en vain : atteint lui-même par le fléau, sa vie fut en grand danger ; la nouvelle de sa mort se répandit à Bâle. Le Seigneur intervint en sa faveur et, après de longues semaines d’angoisse, son entourage reprit espoir de le voir se rétablir. La convalescence dura des mois entiers, malgré la robuste constitution du malade. Il mit à profit cette période d’inaction forcée pour méditer sur la Parole de Dieu et acquit ainsi des forces spirituelles en vue des luttes qui l’attendaient. Il composa aussi plusieurs cantiques, où se reflète son état d’âme. Voici trois strophes de l’un d’eux :


Ma porte s’ouvre 

Et c’est la mort ! 

Ta main me couvre, 

Mon Dieu ! mon fort 


Ô Jésus, lève

Ton bras percé ;

Brise le glaive 

Qui m’a blessé !


Mais, si mon âme, 

En son midi,

Ta voix réclame, 

Christ, me voici !


Le réformateur courait d’autres dangers. Son intrépidité, sa franchise lui avaient fait de nombreux adversaires qui n’en voulaient rien moins qu’à sa vie. Un soir qu’avec ses amis il conversait paisiblement chez lui, quelques bourgeois entrèrent brusquement dans la chambre et demandèrent d’une voix agitée : « Y a-t-il de bons verrous à votre porte ? Tenez-vous sur vos gardes cette nuit ». Des alertes pareilles étaient fréquentes ; tous avaient des armes sur eux et une patrouille circulait dans la rue pour protéger la maison, ceci contre le gré de Zwingli qui savait qu’une puissance bien plus forte que celle de ses dévoués partisans, veillait sur lui sans relâche.

Une autre fois il reçut une lettre anonyme, ainsi conçue : « Des embûches vous guettent de tous les côtés. On a préparé un poison violent, destiné à vous ôter la vie. Ne prenez aucune nourriture hors de chez vous. Ne mangez pas de pain, sinon celui qu’aura cuit votre propre cuisinier. Il existe, dans les murs de la ville, une association qui s’est constituée dans le but exprès de vous mettre à mort. Je suis renseigné de toute première main. Ne doutez pas que je ne sois votre ami ; vous connaîtrez mon nom plus tard ».

Le lendemain, comme un de ses familiers les plus chers entrait dans sa maison, un passant l’arrêta pour lui dire : « Fuyez la demeure de Zwingli ; un drame va s’y passer ». Mais Dieu veillait sur son serviteur. Aucun mal ne l’atteignit. Au contraire, il n’en poursuivit que plus hardiment sa tâche. Sans avoir encore rompu ouvertement avec Rome, il persistait dans sa méthode qui consistait à suivre au pied de la lettre les enseignements de l’Écriture. À mesure qu’il construisait de la sorte un édifice entièrement nouveau et d’une solidité inébranlable, les fausses doctrines s’écroulaient d’elles-mêmes. Le jour vint pourtant où la rupture se produisit.
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016 - 21:02

Plusieurs personnes enfreignaient depuis quelque temps déjà l’ordonnance catholique qui prescrit l’abstinence des viandes pendant les jours de carême. De là grand scandale : dénonciation aux magistrats, incarcération des coupables. Zwingli prit leur défense et publia un écrit dans lequel il démontrait, par la Bible, que cette pratique, inventée par Rome, est en opposition flagrante avec les commandements de Dieu (voir 1 Tim. 4:1-5). L’évêque de Constance, duquel dépendait Zurich au point de vue ecclésiastique, adressa au Conseil une plainte officielle sur les faits qui venaient de se produire. Sans qu’il nommât personne, on sentait bien que c’était Zwingli qu’il avait en vue. Le réformateur releva le gant et, désireux d’amener une situation franche, il pria le Conseil de convoquer une conférence, à laquelle, espérait-il, l’évêque assisterait en personne. Le Conseil donna son approbation à cette proposition.

Une immixtion pareille de l’autorité civile dans le domaine religieux peut étonner à bon droit. Elle n’est nullement conforme à ce qu’enseigne la Parole de Dieu. C’était un fruit de la position anormale, antichrétienne, des évêques revêtus par l’Église d’un pouvoir temporel, dont les magistrats laïques allaient les dépouiller. La papauté, qui avait fait servir à son établissement les princes et la magistrature, rencontra dans cette lutte ces mêmes princes et cette même magistrature, qui avaient été pour elle un piédestal, unis, dans nombre d’États, pour la renverser. Zwingli, malheureusement, ne comprit pas que le chrétien doit rendre les choses de César à César, et les choses de Dieu à Dieu (Matt. 22:17 ; Marc 12:14 ; Luc 20:22). Il n’était pas seulement serviteur du Seigneur dans le domaine spirituel ; il y avait en lui l’étoffe d’un homme d’État et il ne réussit pas à s’en dépouiller. Il savait considérer avec sang-froid les circonstances données, mais croyait pouvoir et devoir recourir aux chefs du gouvernement pour faire aboutir tant la Réforme religieuse que la Réforme sociale, morale et politique, qu’il envisageait. Aussi a-t-il bien saisi son caractère, le sculpteur moderne qui l’a représenté la Bible et le glaive à la main : la Bible, base ferme sur laquelle il s’appuyait pour la tâche spirituelle que Dieu lui avait confiée ; le glaive, symbole de la puissance temporelle à laquelle il croyait devoir s’unir. Erreur funeste, et funeste aveuglement, dont bientôt il allait porter la peine.

La conférence ou Dispute de Zurich eut lieu en janvier 1523. Plus de 600 personnes y prirent part, parmi elles Faber, grand vicaire de l’évêque, celui-ci ayant refusé de venir. Au début de la discussion, Zwingli prononça la déclaration suivante : « J’ai prêché que le salut se trouve en Christ seul. On me traite, à cause de cela, dans toute la Suisse, d’hérétique, de séditieux. Je suis ici au nom de Dieu. Je conjure mes accusateurs, que je sais être dans cette salle, de se lever et de me faire droit au nom de la vérité ». Faber rétorqua qu’il n’était point là pour discuter, mais pour juger de l’état des choses et rendre compte à son supérieur. Zwingli renouvela son adjuration, mais personne ne répondit sérieusement. Ensuite Faber reprit la parole et, sans aborder les matières controversées, proposa de tout renvoyer à un prochain concile, suggestion faite déjà maintes fois en Allemagne, ou bien de s’en remettre à l’arbitrage de l’université de Paris ou de celle de Cologne. Zwingli demanda pourquoi. « N’avons-nous pas en main », dit-il, « la Parole de Dieu, écrite en hébreu, en grec, en latin, langues que nous connaissons tous les unes ou les autres ? Son autorité est illimitée ; celle des universités ne vaut que par les hommes qui les composent ». Cette proposition rejetée, Faber cita le cas d’un curé, condamné à la prison pour n’avoir pas prêché la Vierge et les saints et qui, grâce à l’intervention du vicaire, était revenu en arrière ; Faber omit de dire que c’était bien plutôt sous l’effet de la torture. Comme on le pressait de reproduire les arguments qu’il affirmait avoir avancés, il ne put alléguer que l’autorité de l’Église et des conciles, mais ne cita pas un seul texte biblique, et pour cause. La discussion tourna à l’entière confusion des catholiques et, le jour même de la clôture, le Conseil rendit une ordonnance aux termes de laquelle les assertions de Zwingli n’ayant été ni attaquées ni réfutées, il recevait l’autorisation de continuer à prêcher comme par le passé, et défense était signifiée à tous les ecclésiastiques du territoire de rien entreprendre ou de rien enseigner qu’ils ne fussent en mesure de démontrer par la Parole de Dieu.

À la suite d’une seconde dispute, qui eut lieu en automne de la même année, le Conseil enjoignit à Zwingli de composer une Instruction Chrétienne pour ceux de ces ecclésiastiques dont la culture insuffisante venait de se manifester. Ils étaient invités par surcroît à engager leurs ouailles à recevoir la Réforme, prétention singulièrement absurde, car on ne mentionnait pas même la nécessité de la conversion. On voit, une fois de plus, à quoi aboutit l’intrusion de la politique dans un domaine où il ne s’agit que des relations de l’homme vis-à-vis de Dieu. À Pâques 1525 la messe fut définitivement abolie et, avec elle, l’absolution, les pèlerinages et les processions, la confession, l’extrême onction ; on dut enlever des églises les reliques, les autels, les « images et les idoles », les orgues. D’autre part, des mesures furent édictées contre les jeux, les mascarades, le luxe dans les vêtements. Les moines quittèrent leurs monastères ; les nonnes furent libres d’y rester ou de partir. Les ecclésiastiques reçurent le droit de se marier et Zwingli, suivant l’exemple que lui donnaient quelques-uns d’entre eux, épousa une veuve, Anna Rheinhart ; elle fut, pour le réformateur, une compagne fidèle et vaillante.

Comme Luther, Zwingli vit la nécessité urgente d’instruire la jeunesse. Il fonda à Zurich même une école pour laquelle il eut la bonne fortune de pouvoir recruter un corps enseignant d’élite. Il publia aussi un petit livre où il indiquait à grands traits, mais avec sérieux et profondeur, les buts et les moyens essentiels de l’éducation de la jeunesse chrétienne.

On peut dire qu’à ce moment la Réforme était accomplie à Zurich, avec les réserves qui viennent d’être faites sur la profondeur et la solidité du travail accompli. Mais le Seigneur y mit la main et, malgré nombre de faiblesses, l’œuvre établie a subsisté à travers bien des obstacles. Le gouvernement avait beau affirmer, dans une lettre adressée au pape et sur laquelle celui-ci ne se trompa point, que Zurich n’appartenait pas à la « secte luthérienne » ; il avait beau déclarer qu’il se réglait uniquement sur la pure Parole de Dieu dans l’Ancien et le Nouveau Testament ; le fait éclatait au grand jour qu’il avait abandonné les anciennes croyances. Par là même il se rangeait aux thèses rédigées par Zwingli pour la première dispute de Zurich, où il affirmait que l’Évangile a force de loi sans avoir besoin d’être accrédité par l’Église ; que le chef de l’Église est le Christ et nul autre ; qu’il est le seul intermédiaire entre Dieu et les hommes ; que le salut ne réside que dans la foi en lui ; que la puissance civile tire sa force et sa légitimité de la doctrine du Christ ; que, par conséquent, tous les chrétiens lui doivent obéissance, pour autant qu’elle n’ordonne rien qui soit contraire à la volonté de Dieu.

On ne peut que se réjouir de voir triompher ainsi les principes de l’Évangile. Mais, comme ailleurs, les éléments humains déployaient beaucoup trop d’influence, si bien qu’on serait tenté de parler de réforme politique tout autant que de réforme religieuse. Cette tendance regrettable s’accentua en présence de l’attitude franchement hostile des cantons catholiques. Voyant s’effondrer les croyances auxquelles ils vouaient un attachement indéfectible, tous les moyens paraissaient bons pour les sauver du désastre. Une lutte à main armée n’effrayait pas. Très certainement, si les cantons évangéliques avaient regardé au Seigneur pour obtenir de lui, et de lui seul, appui et direction, il aurait répondu à leurs instances. Mais les magistrats ne virent d’autre parti à suivre que d’imiter leurs adversaires en s’engageant sur le même chemin qu’eux. C’était donc la guerre civile à brève échéance. Pendant ce temps les esprits atteignaient un degré d’exacerbation toujours plus intense ; accusations, basses calomnies pleuvaient de part et d’autre.

Il faut dire pourtant que, au début de cette période d’hostilité, la conduite de Zurich fit vraiment honneur à l’esprit de modération et d’indépendance de ses magistrats. En proclamant la Réforme, le canton s’isolait de ses Confédérés. Ceux-ci, en effet, étaient résolus à tout mettre en œuvre pour enrayer les progrès de ce qu’ils appelaient l’hérésie ; leur premier objet était de faire saisir Zwingli, s’il s’aventurait sur leur territoire. En attendant ils commirent divers actes de terrorisme, en vue de semer l’effroi dans le camp ennemi. La première victime de leurs rigueurs fut un cordonnier du nom de Hottinger qui, banni de Zurich pour avoir abattu un crucifix avant les ordonnances de 1525, avait commis l’imprudence de s’établir sur la frontière du comté de Baden. On lui tendit un piège, il fut arrêté et la diète helvétique le condamna à mort.

Les douze cantons envoyèrent à Zurich une délégation pour presser cette ville de s’abstenir de toute innovation. Le Conseil répondit avec fermeté : « Nous voulons rester fidèles à nos Confédérés ; mais en ce qui touche à la Parole de Dieu, nous ne pouvons rien céder ». Pour s’assurer le concours actif des habitants de tout le territoire, le Conseil informa les communes campagnardes de ce qui s’était passé ; toutes lui donnèrent raison. La diète n’osa pas marcher sur Zurich pour éteindre le foyer de la Réforme, mais elle se vengea en punissant les novateurs dont elle put s’emparer.

En somme, dans toute la Suisse, on se posait cette question : Que faut-il faire ? Que va-t-il arriver ? Même les esprits les plus aveuglés, surtout dans les conseils, sentaient le besoin d’agir. La démoralisation des prêtres provoquait partout des arrêts tendant à y porter remède ; ces arrêts des magistrats restaient sans effet. Impossible de se faire une idée de l’ignorance répandue dans les masses et chez les ecclésiastiques. Un moine, déclamant un jour contre Luther, Zwingli et tous leurs adhérents, s’écriait, du haut de la chaire : « On a inventé, il y a quelque temps, une nouvelle langue, mère de toutes les hérésies, le grec. C’est dans cette langue qu’est imprimé un livre, le Nouveau Testament, qui contient beaucoup de choses fort dangereuses. À présent il se forme un autre langage, l’hébreu ; quiconque l’apprend devient aussitôt Juif ».

Mais, depuis la conférence de Zurich, Faber ne cessait de se demander quels moyens employer pour étouffer définitivement la Réforme. L’expérience lui prouvait qu’on ne prêtait nulle attention aux injonctions des évêques ; que les publications ne servaient à rien, attendu que les réformateurs dépassaient de beaucoup leurs adversaires par leurs talents dialectiques et littéraires ; qu’en somme il n’existait plus aucun espoir de réussite, tant que Zwingli vivrait. Or sa popularité et son influence croissaient de jour en jour.

Une catastrophe inattendue encouragea chez les catholiques la conviction qu’il fallait agir sans retard et avec énergie. À la bataille de Pavie entre François Ier et Charles-Quint l’armée française subit une défaite complète, à tel point que le roi tomba prisonnier entre les mains du vainqueur ; dans ses rangs se trouvaient quelque 10000 Suisses, dont la plupart furent tués ou pris. Rarement désastre pareil avait frappé le pays ; partout on n’entendait que pleurs et lamentations ; il y avait peu de familles où l’on n’eût à déplorer la disparition d’un au moins de ses membres. On se rappelle combien Zwingli avait lutté contre le service mercenaire. L’événement lui donnait raison et augmentait d’autant son crédit, au grand déplaisir de ses ennemis.

Pour le prendre, ceux-ci résolurent de convoquer une dispute religieuse à Baden, malgré les instances des Zurichois qui désiraient vivement qu’elle se tînt dans leur ville. Les six cantons catholiques (Lucerne, Uri, Schwytz, Unterwald, Zoug et Soleure) y étaient représentés. Berne se joignit à eux, mais sans grande conviction ; peu après ce canton allait adhérer à la Réforme. On convoqua spécialement Zwingli. Mais le souvenir de Jean Huss, dont le sauf-conduit n’avait pas été respecté, le supplice récent d’un certain Wirth, le fait qu’on avait brûlé Zwingli en effigie à Lucerne, et ses écrits à Fribourg, enfin que son arrestation avait été décrétée par la diète, toutes ces raisons rendirent le Conseil de Zurich justement défiant et il refusa à Zwingli la permission de se rendre à Baden, ne voulant pas le voir exposé à un guet-apens. Puis, au jugement d’un contemporain, un acte de violence dont Zwingli aurait été victime eût sans doute entraîné Zurich à une action belliqueuse.

Les catholiques étaient représentés par leurs champions les plus brillants. Les évêques de Lausanne, de Constance, de Coire et de Bâle y déléguèrent leurs plus habiles docteurs. Le fameux Eck, qui avait disputé contre Luther, ainsi que Faber, y jouèrent le rôle principal. Œcolampade de Bâle remplaçait Zwingli, avec lequel il était étroitement lié. Berthold Haller de Berne était aussi présent, mais il n’agit que de façon très effacée. Au surplus Zwingli put suivre de près les débats ; quelques jeunes gens, notamment le Valaisan Thomas Platter, faisaient chaque soir le trajet de Baden à Zurich (environ 20 kilomètres) pour mettre le réformateur au courant de ce qui s’était dit pendant la journée. Il leur faisait part de son point de vue, sur lequel Œcolampade était informé le lendemain matin de bonne heure, avant l’ouverture de la séance.

Les principales thèses catholiques portaient sur les points combattus par les Réformés : le vrai corps et le vrai sang de Jésus Christ sont présents dans le sacrement de la Cène ; ils sont véritablement sacrifiés dans la messe pour les vivants et les morts ; on doit invoquer Marie et les saints, adorer les images, croire au purgatoire, à la purification du péché par les eaux du baptême, etc. Eck prit la parole le premier, du ton d’un homme sûr de la victoire et sans ménager de vraies insultes à l’adresse des Réformés présents. Œcolampade lui répondit sans proférer une seule injure : « Le docteur Eck », dit-il, « se vante d’être ici par ordre du duc de Bavière. Moi, je me fais gloire d’y être au nom de Jésus Christ, notre Seigneur. Nous prêchons Jésus Christ crucifié, aux uns occasion de chute, aux autres folie, mais puissance de Dieu pour ceux qui croient en lui » (voir 1 Cor. 1:21-31). Œcolampade avait fort à faire à tenir tête aux champions de la cause catholique ; mais le courage dont il fit preuve, le calme et la patience dont il ne se départit jamais au milieu des provocations les plus violentes, forcèrent le respect de ses contradicteurs eux-mêmes. Peut-être était-il mieux à sa place à Baden que son bouillant ami, dont la fougue aurait plus d’une fois suscité de violents orages qui n’auraient nullement servi la cause qu’il avait à défendre. Leur extérieur trahissait la différence de leurs caractères. Le visage de Zwingli, son maintien fier décelaient l’homme décidé, prêt à agir envers et contre tous avec la dernière énergie. Œcolampade se faisait remarquer par la modestie de sa tenue ; la douceur, la longanimité, traits essentiels de son caractère, se lisaient dans son regard paisible, sa physionomie calme et ferme. Tandis que les champions de Rome affichaient une grande pompe, organisaient presque chaque jour de somptueux repas, Œcolampade, retiré dans une petite chambre, consacrait à la prière et à l’étude l’intervalle entre les discussions. D’une manière générale les évangéliques se firent remarquer par leur connaissance approfondie des Écritures, les catholiques par l’habileté de leur dialectique. Eck, acculé par son adversaire, finit par s’écrier : « Je m’en tiens aux saints, quand même je n’aurais pas pour moi l’Écriture ».

Chacun pouvait prévoir l’issue de ce tournoi orageux, dirigé exclusivement par les adversaires de la Réformation. Extérieurement les catholiques l’emportèrent haut la main, du fait qu’ils formaient une très forte majorité. Mais une victoire pareille ne convainc que ceux qui l’ont remportée. Le catholicisme ne gagna point de terrain à la suite de la dispute de Baden ; les procédés utilisés par ses champions les desservirent même auprès de leurs partisans, pour peu qu’ils fussent sincères.

Quelque temps après, Zwingli put accepter une invitation que lui adressait le landgrave Philippe de Hesse, un des chauds défenseurs de la Réforme en Allemagne. Il désirait grouper les forces évangéliques et amener, si possible, les réformateurs à une entente sur les points, déjà nombreux, qui les séparaient. Luther et Mélanchton étaient présents. On tomba d’accord sur quatorze articles, mais sur le quinzième ce fut impossible ; il s’agissait de la question si controversée de la Cène. Luther resta irréductible et alla jusqu’à refuser de reconnaître comme frères ceux qui ne partageaient pas son opinion. « Vous avez un autre esprit que nous », osa-t-il dire. Zwingli versa des larmes sur cette opiniâtreté, mais en vain. Jusqu’à la fin Luther refusa de considérer Zwingli comme un collaborateur à une seule et même œuvre.

Avant d’en venir aux derniers moments de la vie de Zwingli, il vaut la peine de jeter un coup d’œil sur ses relations de famille. Très attaché à son foyer, il avait, en sa femme, une compagne excellente et trouvait auprès d’elle une atmosphère paisible, où il se reposait des luttes de la vie du dehors. De son premier mariage Anna Zwingli avait eu plusieurs enfants, déjà adultes ; elle en donna aussi plusieurs à son second mari, mais deux seulement lui survécurent.

Bien qu’il eût quitté de très bonne heure la vallée du Toggenbourg, le réformateur conserva un profond attachement à son village natal, comme aussi à ses parents, à sa sœur et à ses cinq frères. Il aurait désiré ardemment les voir tous suivre le chemin où le Seigneur l’avait conduit lui-même ; cette joie lui fut refusée. Ses frères lui témoignèrent même une vive hostilité, lorsqu’ils apprirent la nouvelle de sa conversion, et lui en firent d’amers reproches : « Quelle honte ce serait pour toute notre famille », lui écrivirent-ils, « quelle ignominie, si tu étais attaché au poteau comme hérétique, ou bien avais à subir telle autre mort infamante ! Et quel profit en retirerions-nous, les uns et les autres ? ». Zwingli leur répondit par une lettre admirable, toute imprégnée d’amour chrétien. En voici quelques fragments : « Pour ce qui me touche personnellement, je n’ai pas le moindre souci. Voici longtemps que j’ai remis entre les mains de Dieu ma personne et tout ce qui me concerne… Soyez certains qu’aucun mal ne saurait m’atteindre sans que je l’aie déjà pris en considération ; je suis prêt à l’affronter. Je sais que la puissance du Seigneur s’accomplira dans mon infirmité ; car quand je suis faible, alors je suis fort (voir 2 Cor. 12:9-10). Je connais également la puissance de ceux avec lesquels j’ai entrepris de lutter. Mais je dis pour moi ce que Paul disait pour lui-même : « Je puis toutes choses en celui qui me fortifie » (Phil. 4:13)… Quant aux craintes que vous éprouvez pour mon renom, pour celui de notre famille, écoutez ce que dit notre Seigneur Jésus Christ, mon Sauveur, qui veut être aussi le vôtre et dont je me considère le soldat : « Vous êtes bienheureux quand les hommes vous haïront, et quand ils vous retrancheront de leur société, et qu’ils vous insulteront, et rejetteront votre nom comme mauvais, à cause du Fils de l’homme. Réjouissez-vous en ce jour-là, et tressaillez de joie, car voici, votre récompense est grande dans le ciel » (Luc 6:22-23). Apprenez donc par là que plus mon nom sera entaché d’infamie dans ce monde pour l’amour du Seigneur et plus il sera honoré aux yeux de Dieu lui-même… Christ, le Fils de Dieu, a consenti à verser son sang pour notre salut. Ce serait donc un soldat bien lâche et indigne du nom invoqué sur lui que celui qui ne sacrifierait pas joyeusement sa vie pour son Chef glorieux. Connaissant celui qui l’a racheté, jetterait-il son bouclier loin de lui au fort de la mêlée et songerait-il à la fuite ?… Vous êtes mes frères dans la chair et je vous reconnais comme tels. Si vous vous refusez à être mes frères en Christ, je ne puis que m’en affliger très douloureusement, car la Parole de Dieu nous enseigne à quitter même notre père et notre mère, s’ils cherchent à nous détourner du chemin du Seigneur. Mettez toute votre confiance dans la Parole de Dieu ; n’hésitez pas ; ayez entière assurance. Déposez aux pieds du Sauveur toutes vos tristesses, tous vos mécomptes. Répandez vos prières devant lui. Auprès de lui seul cherchez joie, paix, rémission de vos péchés. Unissez-vous à Christ d’un lien si étroit, si intime, qu’il soit un avec vous et que vous soyez un avec lui. Dieu veuille que vous vous remettiez à sa protection paternelle, que vous vous laissiez conduire par son Esprit et enseigner par lui ! »

Il vaut la peine d’entendre rappeler toutes ces précieuses vérités sous la plume du grand réformateur. On voit combien il était merveilleusement enseigné de Dieu, quelle joie il avait éprouvée à trouver lui-même le chemin du salut et quel désir l’étreignait d’en faire participer d’autres. Il connaissait fort bien la communion dans la grâce par la foi au sacrifice de Christ. S’il avait mieux compris ce qu’est « la puissance de sa résurrection », il aurait moins été ce que certains de ses biographes appellent « le héros chrétien, le chrétien patriote ». Il était bon de le voir sous le jour du chrétien pur et simple au moment où il s’engage de plus en plus dans un chemin où il semble avoir oublié ce qu’il avait appris au commencement.


D’année en année la discorde entre Confédérés devenait toujours plus aiguë, s’aggravant en raison directe des progrès réalisés par la Réforme. Bâle et Berne y avaient accédé, d’autres villes encore. Les idées nouvelles réagissaient forcément sur la politique et entraînaient chaque jour des conséquences imprévues. Aussi, dans les cantons catholiques, conservateurs à outrance, comme on l’est volontiers dans les régions montagnardes, on manifestait d’autant plus résolument son attachement aux traditions ecclésiastiques, dont la chute paraissait devoir détruire les fondements mêmes de la vie publique et des existences particulières. L’antagonisme devenait toujours plus irréductible. Les partis oubliaient les scrupules qu’ils pouvaient avoir nourris jusque-là et ne visaient plus qu’à un seul but : le triomphe de leur point de vue religieux et la défense de leurs intérêts politiques et matériels.

Zwingli avait le cœur obsédé de sombres pressentiments. Chose triste à dire et qui montre à quel degré les préoccupations matérielles avaient maîtrisé son esprit, jadis si étroitement imbu de la Parole de Dieu, il semblait avoir complètement dévié du sentier de la foi. Il connaissait pourtant ces mots du Ps. 118:8-9: « Mieux vaut mettre sa confiance en l’Éternel que de se confier en l’homme. Mieux vaut mettre sa confiance en l’Éternel que de se confier dans les principaux ». Il en était venu à occuper à Zurich une situation incomparable, mais bien peu en rapport avec celle d’un serviteur de Dieu, uniquement consacré aux intérêts de son Seigneur et Maître. Exerçant une réelle autorité sur les Conseils de la ville, c’était la personnalité dirigeante, aussi bien dans les affaires politiques que dans le domaine ecclésiastique. Son opinion prédominait surtout dans les relations extérieures. Il rédigeait les actes les plus importants, car il prêtait son concours au greffier de la ville, homme peu cultivé et dont le style n’avait ni la précision, ni l’élégance désirables. Quelqu’un a dit de lui qu’en sa seule personne il était bourgmestre, chancelier et conseil. Mais ce qu’il y a de plus regrettable, c’est qu’il en venait à prêcher la lutte ouverte contre les ennemis de la Réforme, la guerre, s’il le fallait. « La paix », écrit-il à cette époque, « pour laquelle quelques-uns font tant d’efforts, est la guerre ; la guerre à laquelle nous poussons est la paix ; car nous n’avons soif du sang de personne, mais nous voulons couper le nerf aux oligarques. Si nous n’y réussissons pas, ni la vérité évangélique, ni ses serviteurs ne sont en sûreté chez nous. Il n’y a rien de cruel dans nos intentions, mais nous aspirons à servir les intérêts de l’amitié et de la patrie. Nous espérons sauver ceux qui périssent à cause de leur ignorance. Nous cherchons de toutes nos forces à maintenir la liberté ». Singulier langage chez un homme qui aurait dû, plus que tout autre, à cause de sa connaissance de l’Écriture Sainte, se rappeler à lui-même et rappeler aux autres le chant de l’armée céleste au moment de la naissance du Seigneur : « Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et sur la terre, paix ; et bon plaisir dans les hommes ! » (Luc 2:14).

Inquiète de la tournure que prenaient les événements Zurich se rapprocha de quelques villes qui partageaient ses vues et forma avec elles la Combourgeoisie chrétienne, qui, il faut le dire, ne portait nulle atteinte à la sécurité de la Confédération, ni au lien fédéral ; c’était une ligue purement défensive. Peu de temps après les cantons catholiques trahissaient positivement la Suisse en s’alliant avec son ennemi le plus acharné, le duc d’Autriche. Ceci ne fit qu’accentuer la tension des esprits. N’importe quel incident, le plus futile, pouvait déclencher un conflit à main armée ; il ne tarda pas à se produire. Un pasteur zurichois, Kaiser, « homme tout à fait pieux, courageux et intègre », avait prêché l’Évangile dans une localité située sur territoire schwytzois. Arrêté, on le traduisit devant le tribunal qui le condamna à être brûlé vif. Zurich intervint énergiquement en faveur de son ressortissant ; rien n’y fit et la sentence fut exécutée.

Devant cet outrage Zurich ne se contint plus. Son armée se composait d’hommes valeureux, prenant au sérieux la Réforme et imbus des principes moraux prêchés par Zwingli. On n’entendait dans le camp ni jurements, ni mauvais propos ; pas de jeux de hasard ; chaque matin un service religieux se célébrait. Zwingli se trouvait dans les rangs, la hallebarde sur l’épaule ; le Conseil avait voulu le dispenser d’accompagner sa bannière, mais il refusa de s’affranchir de ce qu’il considérait comme son devoir. L’armée s’avança jusqu’à Kappel, à l’extrême frontière du canton de Zurich, où les catholiques avaient établi leur camp. Au moment où le combat allait s’engager, le landamman Aebli de Glaris arriva et interposa sa médiation. « Zurichois », s’écria-t-il, « ne croyez pas surprendre les cinq cantons ; ils sont prêts à vous recevoir. Évitez, pour l’amour de Dieu, de détruire la vieille Confédération ». Zwingli lui répondit (et l’on voit par cette réponse combien son esprit était aveuglé, puisqu’il n’était plus apte à apprécier l’effort sincère tenté pour ramener la paix) : « Landamman, mon compère, tu rendras compte à Dieu de tout ceci. Nos ennemis se voient dans le sac ; c’est pourquoi ils nous donnent de bonnes paroles. Quand ils seront en force, ils ne nous épargneront pas ». À quoi Aebli répliqua : « Mon cher Ulrich, Dieu tient compte des bonnes intentions. Ayez confiance dans le Seigneur, et tout ira pour le mieux ». Il n’est pas difficile de déterminer lequel des deux interlocuteurs était animé d’un esprit vraiment chrétien. Aebli avait la réputation d’être un homme de bien. Dans son canton déjà il avait réussi à opérer une réconciliation entre les partis. Son appel généreux fut entendu et l’on conclut un armistice que suivit bientôt un traité de paix (1529).

On en vint à l’arrangement suivant : liberté de conscience et de culte dans toute la Confédération ; annulation de l’alliance avec l’Autriche ; suppression du service militaire étranger ; indemnité aux enfants du pasteur Kaiser ; plus d’actes de violence ni d’une part ni de l’autre. Telle fut cette paix, dite paix de religion, imposée aux catholiques et fortement marquée de la politique de Zwingli, mais nullement de sentiments chrétiens. Elle entraîna des conséquences lamentables. La haine subsistait en effet dans les cœurs, comme cela arrive toujours lorsqu’on ne se juge pas devant Dieu, avant d’imputer au prochain les fautes qu’il peut avoir commises. D’un côté on estimait avoir trop cédé, de l’autre on regrettait de n’avoir pas obtenu davantage. Zwingli passait par des jours très douloureux, triste résultat de la position mondaine qu’il avait prise et qui avait fait naître dans son cœur des sentiments déshonorants pour le Seigneur. De tous les côtés il recevait des reproches amers : on le dépeignait comme l’auteur responsable des dissensions et, quand il plaidait la cause des victimes des persécutions, on l’accusait de porter atteinte aux droits des persécuteurs. D’un autre côté, ses énergiques prédications contre les vices du peuple et des citoyens fortunés indisposaient beaucoup d’esprits. Il disait bien : « Nous ne devons mettre notre confiance qu’en Dieu seul ». Mais il ajoutait : « Puisque notre cause est juste, il faut aussi la défendre et, comme Josué et Gédéon, savoir verser notre sang pour Dieu et pour notre patrie ». Il méconnaissait donc totalement qu’il avait à servir le Prince de paix, qui a dit de ses serviteurs qu’ils ne doivent pas contester, mais être doux envers tous, propres à enseigner, animés de support, attendant, vis-à-vis de ceux qui leur résistent, de voir si Dieu ne leur donnera pas la repentance pour reconnaître la vérité (voir 2 Tim. 2:24-25).

Au cours du printemps 1531, les affaires intérieures de la Confédération prirent une tournure toujours plus fâcheuse. Dans les deux camps une haine implacable animait les esprits. Un observateur de sang-froid, Bullinger, ne pouvait s’empêcher d’écrire : « C’était un mépris, des insultes, des outrages criminels en beaucoup d’endroits et chez beaucoup de gens. Les prédicateurs papistes appelaient ceux des villes : hérétiques, voleurs de calices, assassins des âmes ; les évangéliques nommaient les papistes trafiquants de messes, idolâtres et gens impies, et traitaient ceux qui recevaient des pensions de l’étranger, de dévoreurs d’écus, de marchands de chair et de buveurs de sang. Tous les jours on inventait de nouveaux outrages ». C’est un spectacle affligeant et humiliant tout à la fois de voir combien ceux qui avaient appris à connaître le Seigneur peu d’années auparavant s’étaient promptement détournés des choses qui leur avaient été révélées et de constater avec quelle facilité le vieil homme reprenait le dessus. Zwingli déplorait grandement ces dispositions lamentables, mais ne semble guère avoir compris sa grosse part de responsabilité dans leur épanouissement. Convaincu que la Suisse courait de graves dangers, il persuada les Zurichois de reprendre les armes. Mais les Bernois temporisaient, désireux d’éviter la guerre civile, et proposèrent d’amener les petits cantons à résipiscence en leur imposant le blocus économique, c’est-à-dire qu’on leur fermait les marchés de Zurich, les seuls où ils pussent s’approvisionner avec quelque commodité. En effet ces populations alpestres, entièrement vouées à l’élevage du bétail, dépendaient de la ville pour les besoins de leur vie courante. Du coup ils se virent privés de blé, de sel, d’outils. C’était pour eux la famine à brève échéance, éventualité d’autant plus redoutable que les maigres réserves qu’ils avaient pu faire sur les approvisionnements de l’année précédente étaient épuisées du fait que les récoltes avaient manqué. Les commerçants de Zurich en pâtissaient aussi, car ils perdaient de nombreux clients. Zwingli lui-même désapprouvait nettement cette mesure. « Quand on a », disait-il, « le droit d’affamer ses adversaires, on a celui de les combattre, et si, par faiblesse, on ne les attaque pas, ce sont eux qui prendront les armes avec le courage du désespoir ». On regrette de ne pas entendre le réformateur user d’autres arguments pour blâmer ce qui se passait ; la Parole de Dieu lui en aurait fourni de péremptoires.

Du reste sa position devenait de plus en plus difficile. Comme pasteur, il jouissait de l’estime de tous les gens de bien ; tant qu’il se tenait sur le terrain de l’Évangile, aucune critique ne l’atteignait ; sa connaissance de la Parole de Dieu, le zèle qu’il mettait à l’annoncer, à la défendre, lui valaient tous les suffrages. Mais le rôle politique qu’il assumait lui aliéna bien des cœurs, même parmi ceux qui eussent été heureux de le soutenir jusqu’au bout ; ils voyaient le témoignage chrétien très sérieusement compromis. Zwingli sentit qu’il ne jouissait plus de la confiance générale et se présenta devant le Conseil, demandant à être relevé de ses fonctions. Malheureusement, après avoir énuméré les motifs d’ordre spirituel qui l’engageaient à se retirer, il en ajouta d’autres qui touchaient à la politique : on refusait de suivre ses avis, il devait donc chercher sa voie ailleurs. Le Conseil fut consterné ; on insista fortement auprès du réformateur et, au bout de quelques jours, il revint sur sa décision, repoussant ainsi l’occasion que Dieu avait placée devant lui pour se dégager des liens matériels qui l’enlaçaient.

Sentant néanmoins que quelque chose s’était brisé dans sa carrière, il avait perdu son élan et pressentait une catastrophe, sans savoir au juste d’où elle viendrait. « Une chaîne est préparée », disait-il ; « elle m’est destinée, ainsi qu’à beaucoup de braves citoyens de Zurich. C’est à moi qu’on en veut ; je suis prêt et soumis à la volonté de Dieu. Dieu n’en gardera pas moins sa Parole ; l’orgueil des hommes aura sa fin. Que Dieu garde les siens ! »

Pendant ce temps les catholiques poussaient activement leurs préparatifs de guerre, afin de surprendre les Zurichois qui, on le savait, hésitaient encore sur le parti à prendre. Le 9 octobre 1531, 3000 hommes des Waldstätten entrèrent en campagne dans le but de couper les communications entre Zurich et Berne. Pris au dépourvu, les magistrats de Zurich lancèrent l’ordre de mobilisation ; la moitié des hommes à peine y répondirent. Ils partirent en désordre. Zwingli les accompagnait en qualité d’aumônier.

Le surlendemain la bataille s’engagea, de nouveau à Kappel. Zwingli tomba, une des premières victimes de cet horrible choc fratricide ; une pierre le frappa à la tête au moment où il se penchait sur un mourant (*). La blessure n’était pas mortelle. Zwingli restait étourdi, mais quand il chercha à se relever, il reçut plusieurs coups de sabre, sans être reconnu du reste. Un homme qui se trouvait près de lui l’entendit murmurer faiblement : « Quelle calamité nous atteint ! Ils pourront tuer le corps, mais ils ne tueront pas l’âme ». Ce furent ses dernières paroles. Lorsque les vainqueurs parcoururent le champ de bataille, ils le trouvèrent étendu sous un arbre et respirant encore. On lui offrit un confesseur ; d’un signe de tête énergique, le mourant refusa. À ce moment la lueur d’un feu tout proche éclaira son visage. Un homme s’écria : « Mais c’est Zwingli ! » D’un coup d’épée un officier l’acheva. Ainsi s’accomplit cette parole de Jésus : « Tous ceux qui auront pris l’épée périront par l’épée » (Matt. 26:52). Le corps du réformateur fut transporté à Lucerne où le bourreau le livra aux flammes, puis dispersa les cendres aux quatre vents.


(*) On voit encore au Musée National de Zurich le casque de Zwingli ; il porte la trace très apparente du coup formidable qui lui fut asséné.

On ne saurait dépeindre la consternation qui envahit la ville de Zurich à la nouvelle de cette journée funeste. Elle y perdit plus de cinq cents morts, parmi lesquels se trouvaient vingt-six magistrats, l’élite du Petit Conseil, et vingt-cinq ecclésiastiques. Anna Zwingli ne pleurait pas seulement la mort de son mari, mais encore celle de son fils aîné (né de son premier mariage), de son gendre, de son frère, de son beau-frère.

Très certainement Ulrich Zwingli occupe une place éminente à côté des plus grands réformateurs. Doué d’une rare intelligence, homme d’une foi vivante, il avait saisi l’Évangile avec l’énergie propre aux montagnards parmi lesquels il avait vu le jour et mit une confiance inébranlable dans la puissance de Dieu pour faire triompher la saine doctrine. Il ne connut pas les angoisses morales et spirituelles par lesquelles passa Luther ; le travail qui se fit dans son cœur suivit une allure plus lente, plus régulière, mais non moins réelle. À mesure que l’Esprit de Dieu lui révélait les différentes vérités contenues dans la Bible, il en découvrait, grâce à son intelligence très lucide, la merveilleuse coordination. À ses yeux la doctrine chrétienne présentait un aspect parfaitement cohérent dont il contemplait l’ensemble tout aussi bien qu’il en discernait, jusque dans les détails, les différentes parties. Grâce à son indépendance de caractère, il s’affranchit plus facilement et plus radicalement que Luther des superstitions romaines. À entendre les témoignages que lui rendirent ses auditeurs, il excellait dans les explications bibliques, limpides, sobres, très solides, car il n’énonçait pas une affirmation sans la contrôler par l’Écriture elle-même.

C’est pourquoi on s’afflige d’autant plus de voir ce chrétien si qualifié, si éclairé, qui avait reçu du Seigneur tant de dons et de si riches connaissances, prendre l’attitude que l’on sait vis-à-vis du parti adverse, moins, semble-t-il, à cause de doctrines perverses qu’il fallait combattre que parce que les catholiques recouraient aux outrages et aux persécutions. Ici encore pourtant la Parole de Dieu lui indiquait la conduite à tenir : « Vous êtes bienheureux quand on vous injuriera, et qu’on vous persécutera, et qu’on dira, en mentant, toute espèce de mal contre vous… Réjouissez-vous et tressaillez de joie, car votre récompense est grande dans les cieux ; car on a persécuté ainsi les prophètes qui ont été avant vous » (Matt. 5:11-12). « Ne vous vengeant pas vous-mêmes, bien-aimés ; mais laissez agir la colère, car il est écrit : À moi la vengeance ; moi je rendrai, dit le Seigneur. Si donc ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire ; car en faisant cela, tu entasseras des charbons de feu sur sa tête » (Rom. 12:19-20).

On peut se demander ce que Zwingli, enlevé à l’âge de quarante-sept ans, aurait pu être, s’il avait mis entièrement au service du Seigneur les qualités brillantes dont il était investi, s’il était resté fidèle au ministère que Dieu lui avait confié. De cette vie, en partie gaspillée, il ressort une leçon que chacun doit retenir et que Paul résume en ces termes : « Nul homme qui va à la guerre ne s’embarrasse dans les affaires de la vie, afin qu’il plaise à celui qui l’a enrôlé pour la guerre ; de même si quelqu’un combat dans la lice, il n’est pas couronné s’il n’a pas combattu selon les lois » (2 Tim. 2:4-5).
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016 - 21:02

La Réforme dans les autres cantons de la Suisse Allemande


On ne saurait entrer dans le détail du mouvement de la Réforme dans les autres cantons suisses ; nulle part elle n’eut l’ampleur que lui conféra à Zurich la forte personnalité de Zwingli. Il vaut la peine toutefois d’y jeter un coup d’œil rapide, quand ce ne serait que pour profiter de l’occasion d’apprendre à connaître de façon sommaire quelques serviteurs de Dieu, remarquables eux aussi. Comme il le fait toujours, le Seigneur envoya dans chacun des cantons un homme spécialement formé par lui pour s’adapter aux circonstances locales et au caractère de la population.


Bâle


Depuis 1460 BÂLE possédait une université, devenue rapidement florissante grâce au corps professoral éminent dont elle se trouvait dotée. Les conditions dans lesquelles elle fut fondée reflètent la très haute intelligence des magistrats bâlois. Le pape Pie II, avant d’être élu à cette dignité, avait siégé en qualité de secrétaire du célèbre concile de Bâle au milieu du 15° siècle. Il s’attacha à cette ville et, devenu Souverain Pontife, témoigna aux bourgeois le désir de leur être agréable. Ceux-ci auraient pu, comme tant d’autres, solliciter l’envoi de quelque relique célèbre, accompagnée d’un octroi d’indulgence propre à attirer les pèlerins dans leur cité ; plus avisés, ils demandèrent au saint-père la création de l’université. Il consentit à leur demande en ces termes : « Rien de plus précieux que la perle de la science. Par elle, le fils du pauvre se rend nécessaire au monarque. Elle tire des nuages de la poussière l’esprit infini. Elle est le seul trésor qui s’agrandisse en se disséminant ».

Au début du 16° siècle une pléiade d’hommes distingués y enseignaient. Toutefois le nom du Hollandais Érasme éclipse tous les autres. Un des plus illustres savants de son époque, il se faisait remarquer par deux qualités très différentes : son esprit critique et la finesse de son ironie. « Il exerçait une grande influence autour de lui dans le sens conservateur : sa nature prudente, sa sensibilité délicate répugnaient à toute entreprise de nature à troubler le calme développement de l’Église, de l’État et des sciences, ou son confort personnel ». Helléniste émérite, il publia la première édition imprimée du Nouveau Testament en grec, œuvre de science et de conscience, dans laquelle il redressait nombre d’erreurs de la Vulgate, seul texte en usage alors ; il contribua ainsi, sans le pressentir assurément, de façon très directe, à la cause de la vérité. Comme on le sait, les traductions qu’on possédait alors des Saintes Écritures étaient des plus imparfaites ; on n’avait à sa disposition que peu de manuscrits, la plupart défectueux ; on ne savait pas les collationner, afin de leur attribuer à chacun sa valeur respective. Pour la première fois, chacun put avoir un texte digne de foi ; il rendit les plus grands services aux réformateurs. Luther s’y référait toujours ; c’est d’après lui qu’il donna sa traduction allemande (*).


(*) Cependant Érasme n’avait pu consulter que des manuscrits peu nombreux et pas toujours sûrs. De plus, pressé par son éditeur Froben, il n’avait pas, de son propre aveu, pu mettre tout le soin désirable à l’impression. Son texte, même retouché au cours des cinq éditions qu’il en donna de 1516 à 1535, est défectueux sur bien des points, et les améliorations apportées ensuite par Robert Estienne, puis par Théodore de Bèze furent loin de suffire. Or c’est ce texte qui servit de base au Nouveau Testament en grec publié par les Elzévirs de Hollande à partir de 1624, et qui fut appelé par eux « Texte reçu par tous » (1633). Il a fait autorité pour toutes les versions protestantes jusqu’à ce qu’un étude méthodique et approfondie des manuscrits (toujours plus nombreux grâce à de nouvelles découvertes), ait abouti, depuis le 18° siècle, à des restitutions plus fidèles des originaux disparus.


On imprimait énormément alors à Bâle ; plusieurs des ouvrages de Luther y furent édités. Érasme, aussi peu disposé à soutenir le papisme que le pur Évangile, disait plaisamment qu’à cette époque on osait tout imprimer à Bâle en faveur de Luther, mais qu’on n’osait rien écrire en faveur du pape. Sous le titre significatif de Éloge de la Folie, Érasme, dans une piquante allégorie, railla les travers de l’espèce humaine, ceux du clergé plus particulièrement.

Quand on voit l’intérêt qu’Érasme portait au texte de la Bible, on penserait qu’il se serait rallié à la Réforme. Il n’alla pas jusque-là : sa connaissance de la Parole de Dieu était purement intellectuelle ; elle n’avait pas pénétré dans son cœur de manière à le rendre sage à salut. Aussi il déçut profondément les espérances de ses plus fervents admirateurs. Indépendant de pensée, mais d’une santé délicate, dépourvu de courage moral, ami de la conciliation, mais cependant irritable, il se détourna de Luther, lorsqu’il le vit rompre avec l’Église. Homme de la Renaissance avant tout, il ne pouvait pardonner à la Réforme de refouler les belles-lettres et les beaux-arts à l’arrière-plan. Quand donc la messe fut abolie à Bâle, il quitta définitivement cette ville, non sans éprouver un vif regret d’abandonner les nombreux amis qu’il s’y était faits. Il n’en lança pas moins aux partisans du catholicisme cette boutade ironique : « À voir toutes les injures dont on accable maintenant à Bâle les images des saints et les crucifix, on se demande comment il se fait que tous ces vénérés personnages, habitués, assure-t-on, à déployer une puissance extraordinaire quand il s’agit de venger des offenses vénielles, on se demande, dis-je, pourquoi ils se sont départis de leur vigueur coutumière dans des circonstances aussi critiques pour eux ». On aurait tort cependant de méconnaître le rôle joué par Érasme et de le sous-estimer, car il déblaya le terrain en stigmatisant de nombreux abus. Mais il tenait à ses aises ; il ne sut pas choisir « plutôt d’être dans l’affliction avec le peuple de Dieu, que de jouir pour un temps des délices du péché », ni estimer « l’opprobre du Christ un plus grand trésor que les richesses de l’Égypte » (Héb. 11:25-26). Il oublia aussi que « l’amitié du monde est inimitié contre Dieu » (Jac. 4: 4).

C’est encore un professeur de l’université qui joua le rôle le plus actif dans l’établissement de la Réforme à Bâle : Œcolampade, dont le nom a déjà attiré l’attention à propos de la dispute de Baden. Allemand d’origine, de la famille Husschin (*), doué de brillantes qualités intellectuelles, il fit de fortes études que, d’après la coutume des humanistes, il poursuivit dans plusieurs villes. Il n’arriva à Bâle qu’en 1518. On lui créa un poste à l’université et ses cours attirèrent tout de suite de nombreux auditeurs ; il avait aussi à prêcher dans une des églises de la ville. Zwingli, avec lequel il s’était lié d’une chaude amitié, dut le mettre en garde contre le zèle débordant qu’il déployait dans ce double emploi. Maigre et délicat, usé par le travail et la souffrance, il avait une physionomie pleine de dignité qui éveillait la confiance et la sympathie ; la vie jaillissait de ses yeux, la sérénité était peinte sur son front. Son éloquence était en rapport avec son physique doux et pénétrant. Après une longue lutte intérieure il finit par être au clair avec lui-même et devint le champion résolu de la Réformation dans sa ville d’adoption. Bien que d’humeur très pacifique, il s’élevait énergiquement contre les dogmes et les pratiques catholiques. Il fut le premier à célébrer la Cène à Bâle, dans l’église même à laquelle il était attaché. Comme Zwingli, il fondait tout son enseignement sur la Sainte Écriture. Il publia ses cours sous la forme d’une série de volumes qui contiennent un commentaire complet de tous les livres de la Bible.


(*) Ce nom équivaut à l’allemand actuel Häuschen (petite maison). À l’époque on en fit Husschin, puis Hausschien et Hausschein (lumière de maison) et c’est sous cette dernière forme que le mot fut traduit en grec : Œcolampade.

L’influence d’Œcolampade agit fortement sur les Bâlois et partagea la ville en deux camps. Bien qu’en minorité dans les Conseils, les évangéliques demandèrent la libre prédication de la Parole de Dieu ; comme on hésitait à leur répondre, ils forcèrent l’entrée de la cathédrale et brisèrent toutes les images. Intimidé, le gouvernement céda. Il abolit la messe ; les chanoines, les moines, plusieurs professeurs et quelques familles, restées attachées à l’ancien culte, quittèrent la ville.

Œcolampade fut très douloureusement frappé du désastre de Kappel. Non seulement il y avait perdu son meilleur ami, mais il ressentait vivement le déshonneur dont cette journée frappait le témoignage du Seigneur dans la Suisse entière. La maladie de langueur qui le rongeait empira rapidement. Il vit venir la mort avec une parfaite sérénité. Comme on lui demandait s’il désirait plus de lumière dans la chambre, il mit la main sur son cœur et dit : « Il y en a assez ici ». Il expira deux mois après Zwingli.


Berne


Peuple essentiellement agricole et, en général, très routinier, fortement attachés à leurs traditions, les Bernois ne réagirent que lentement au contact des idées nouvelles. La politique qu’ils avaient adoptée les incitait à une prudence extrême. Comme ils désiraient s’étendre, au détriment du duc de Savoie, sur la partie occidentale de la Suisse actuelle, ils tenaient à rester en bons termes avec la France et, par conséquent, avec les petits cantons, afin de ne pas avoir à redouter des menaces à revers. C’est pourquoi les grandes familles bernoises cherchaient à maintenir, à consolider leurs rapports avec celles de la Suisse primitive qui n’entendaient pas se laisser dépouiller de la religion de leurs pères.

Mais la vérité n’en faisait pas moins son chemin ; une circonstance inattendue en favorisa l’expansion. Depuis longtemps les Dominicains, jaloux des Franciscains, déployaient tous leurs efforts pour les supplanter. Dans ce but ils profitèrent de la présence dans leur couvent d’un jeune homme, simple d’esprit, nommé Jetzer, pour organiser une infâme supercherie. Différents moines, vêtus de blanc, se rendirent auprès de Jetzer pendant son sommeil et, feignant d’être des apparitions célestes, lui firent croire qu’il recevait une révélation divine dans le but de dévoiler les prétendus crimes de l’ordre rival. Pendant quelque temps Jetzer ne se douta de rien, mais un jour il reconnut chez deux de ses mystificateurs des voix qui lui semblaient familières. Il posa des questions auxquelles on se refusa à répondre et, comme il insistait, on recourut à la violence pour le faire taire. Il réussit à s’enfuir du couvent, raconta ce dont il avait été le témoin et ainsi toute l’affaire éclata au grand jour. Il en résulta un immense scandale et, à la suite d’une enquête ordonnée par le Saint-Siège, quatre Dominicains subirent le supplice du feu.

À ce moment-là on vit arriver à Berne un jeune maître d’école, âgé de vingt ans à peine, Berthold Haller (*). Au cours de ses études, il s’était trouvé en relation avec plusieurs de ceux qui devaient occuper le premier rang dans le mouvement de la Réforme en Allemagne, entre autres Mélanchton. D’un caractère timide et conciliant, Haller ne possédait ni l’énergie d’un initiateur, ni l’impétuosité d’un apôtre. Ne sachant pas le grec, encore moins l’hébreu, il paraissait peu fait pour l’activité à laquelle Dieu le destinait. C’était un homme fidèle et dévoué, son calme et sa prudence, sa souplesse qui n’excluait pas la ténacité servirent la cause de la Réforme dans cette ville aristocratique mieux que ne l’eussent fait des champions plus énergiques et plus violents, tels Zwingli, Farel ou Calvin. Mais Haller manquait souvent d’audace. Le Seigneur le mit en contact avec Zwingli et celui-ci lui vint vigoureusement en aide. « Moi aussi », lui écrivit-il, « je sens le découragement m’envahir, quand je me vois injustement attaqué. Mais le Seigneur éveille alors ma conscience par ses exhortations et ses promesses. Il m’inquiète en me disant : « Quiconque aura honte de moi et de mes paroles, le Fils de l’homme aura honte de lui quand il viendra dans sa gloire et dans celle du Père et des saints anges » (Luc 9:26 ; voir Marc 8:38), et il me rend la paix en ajoutant : « Quiconque… me confessera devant les hommes, moi aussi je le confesserai devant mon Père qui est dans les cieux » (Matt. 10:32 ; voir Luc 12:8). Prenez donc courage, mon cher Berthold ! Nos noms sont inscrits, en caractères indélébiles, dans les annales des citoyens du ciel. Je suis prêt à mourir pour Christ. Si seulement vos concitoyens voulaient bien accepter la doctrine d’en haut, ils en seraient immédiatement apprivoisés. Remettez-vous donc à l’œuvre, mais avec beaucoup de délicatesse, de peur qu’ils ne se tournent contre vous et ne vous mettent en pièces ».


(*) Berthold Haller était Wurtembergeois d’origine. Il faut donc se garder de confondre son nom avec celui de la famille de Haller.

Dieu bénit la persévérance de son serviteur. Malgré l’opposition des familles nobles, il gagna une fraction importante de la population, si bien que, pour prévenir une revendication de l’opinion publique, qui n’eût pas manqué de se faire entendre, tellement Haller avait de partisans, le Conseil dut publier un édit enjoignant aux ecclésiastiques de prendre la Parole de Dieu pour base de leur prédication, telle qu’elle est contenue dans l’Ancien et le Nouveau Testament.

On a vu que Berne se fit représenter à Baden par Berthold Haller. La conférence terminée, elle demanda à en avoir le compte rendu exact. Celui qu’elle obtint, à force de réclamations, manquait complètement de précision et une requête, adressée dans le même sens, directement au pape Clément VII, n’eut pas plus de succès : il se bornait à engager l’État de Berne à renvoyer au prochain concile la liquidation de ces différends religieux ; dans tous les cas, il l’invitait à respecter les droits de l’évêque de Lausanne, dont il dépendait en ce qui touchait le domaine spirituel. Irrités de l’indifférence que tous manifestaient à l’égard de questions qu’ils persistaient à considérer comme vitales, les magistrats de Berne recoururent, à leur tour, à une dispute religieuse, convoquée pour le début de janvier 1528. On fit appel aux gens d’église, savants, docteurs de tous les pays. Les plus intéressés à s’y rendre étaient les évêques des diocèses suisses ; ils reçurent une invitation spéciale. Celui de Lausanne, le plus directement en cause, répondit qu’il ne viendrait pas, qu’il n’enverrait même aucun délégué, « attendu », écrivit-il, « qu’il n’avait pas autour de lui de gens assez instruits dans l’Écriture Sainte pour une affaire aussi importante que celle de la religion ». Berne insista ; l’évêque fit répondre qu’il était malade. Nouvelle demande : « Envoyez au moins de vos théologiens, quels qu’ils soient ; vous ne devez pas vous borner à tondre vos brebis ; vous devez aussi les paître. Si vous nous refusez encore, nous refuserons aussi de vous reconnaître aucun droit pastoral sur nos terres ». Les autres prélats suivirent la même ligne de conduite.

Les cantons antiréformistes s’irritèrent de plus en plus de la résolution de Berne : ils fermèrent les routes qu’auraient pu prendre sur leur territoire ceux qui se rendraient à la dispute et interdirent à leurs ressortissants d’y assister. Cette opposition ne put arrêter le mouvement : trois cent cinquante prêtres et moines, la plupart bernois, des savants de Glaris, de Zurich, d’Allemagne, accoururent à Berne, par fois par de longs chemins détournés, mais ils y parvinrent quand même. Le Seigneur les protégea contre les embûches qu’on leur tendit.

Au jour fixé, la conférence s’ouvrit sous la présidence de Vadian, bourgmestre de Saint-Gall. Le gouvernement bernois avait spécifié expressément que seul le texte de l’Ancien et du Nouveau Testament pourrait servir de base à la discussion. « Ce qui », disait la convocation, « sera prouvé dans cette dispute par l’Écriture Sainte, accepté et résolu, devra avoir pour nous force et vigueur éternelles sans aucune contradiction, et chacun devra s’y conformer fidèlement et invariablement ». Les thèses débattues roulaient sur les mêmes points, ou peu s’en faut, qu’à la dispute de Zurich : vraie nature de l’Église, son Chef, autorité unique et absolue de la Parole de Dieu pour gouverner l’Église et diriger les fidèles ; par conséquent condamnation de toutes les erreurs catholiques. Les débats durèrent dix-neuf jours ; les réformateurs Zwingli, Haller, Œcolampade, ainsi que Bucer et Capiton de Strasbourg, exposèrent avec clarté la vérité sur chacun de ces points ; en vain leurs antagonistes essayèrent-ils de justifier leurs positions ; l’autorité de la Bible prévalut sur tous leurs arguments. Dans la ville, on suivait les événements avec un intérêt palpitant ; d’elles-mêmes les pratiques et les croyances surannées s’écroulaient. Le 22 janvier, jour de la fête de Saint-Vincent, patron de la cathédrale, les chanoines demandèrent aux magistrats ce qu’ils devaient faire : « Ce que vous voudrez », fut la réponse ; « si vous jugez encore que la messe et les cérémonies usitées soient conformes à la Parole de Dieu, célébrez-les ». Aussitôt les ordres furent donnés de décorer l’église ; on prépara tout selon la vieille coutume, mais personne ne vint assister à la cérémonie. Le peuple abandonnait Rome et ses pratiques.

La discussion terminée, le clergé de la ville adhéra, presque au complet, aux principes de la Parole de Dieu. Un édit proclama la Réformation. La messe fut abolie dans la capitale tout d’abord, avec cette réserve que, si quelqu’un pouvait convaincre d’erreur, par l’Écriture Sainte, les auteurs de ces innovations, il n’avait qu’à se présenter ; inutile de dire que personne n’osa tenter l’aventure. Et dans le climat de violence de l’époque, on abattit les images, on les brûla et l’on démolit les autels. Les religieux reçurent l’autorisation de rester dans leurs couvents, sans y admettre de novices. Ceux qui en sortiraient seraient assistés des biens du couvent, mais devaient « quitter l’habit de leur ordre et en prendre un plus décent ». 


Saint Gall


Vadian, le président de la dispute de Berne, s’appelait de son vrai nom Jean de Watt. Né à Saint Gall d’une des familles notables de la ville, c’était un homme supérieurement doué et d’une générosité admirable. Il étudia successivement les belles-lettres, les sciences exactes, la jurisprudence, la théologie et la médecine. Après avoir été élève de l’université de Vienne, il en devint le recteur, puis visita successivement l’Allemagne, la Hongrie, la Pologne, l’Italie. Rentré dans sa ville natale, il s’y fixa pour pratiquer l’art médical. Tout en suivant cette carrière, il entra dans les Conseils du gouvernement et en devint l’âme. Esprit naturellement très ouvert, il s’intéressait hautement aux idées qui se répandaient et favorisa l’arrivée à Saint-Gall de prédicateurs évangéliques. Leurs arguments le frappèrent ; il se mit à lire la Bible et en ressentit une telle émotion qu’il fut convaincu à salut. Il entreprit alors de donner en public une explication suivie du livre des Actes des Apôtres, puis encouragea vivement un de ses concitoyens, Jean Kessler, sellier de son métier, qui fut converti et se mit à prêcher Christ devant un auditoire toujours plus nombreux, en prenant la première épître de Jean comme thème de cette série de discours. Bientôt le Conseil, à l’instigation de Vadian, rendit une ordonnance disciplinaire, interdisant les jurements, les blasphèmes, l’ivrognerie et la mendicité. On saisit ici le caractère de la Réforme suisse qui, un peu partout, commence par une régénération de mœurs et ne s’attaque aux croyances que lorsque la résistance de l’Église romaine vient démontrer l’intime corrélation qui rattache les mœurs à la doctrine.

Dès ce moment-là la prédication de l’Évangile fit de rapides progrès. Lorsqu’on apprit l’heureuse issue de la dispute de Berne, on peut dire que la Réforme prit pied définitivement à Saint-Gall. Cependant la présence dans la ville de la célèbre abbaye, dont le prince jouissait de droits étendus, offrait un obstacle à une décision radicale. Les églises de la ville appartenaient à la bourgeoisie ; on les débarrassa de tout ce qui pouvait y rappeler le culte catholique. Mais celle du couvent demeurait intacte. Irrités de ce qui leur semblait être une bravade, les magistrats de Saint-Gall déclarèrent qu’ils avaient droit de contrôle sur cet édifice aussi, que les ornements qui la décoraient leur appartenaient. Les religieux protestèrent, mais en vain ; ils durent céder à la force. « Voici », raconte Jean Kessler, « comment chacun se précipita sur les images. On les arracha des autels, des parois et des colonnes ; les autels furent brisés, les idoles mises en pièces à coups de hache ou de marteau ; on aurait dit une bataille. Au bout d’une heure on ne voyait plus rien en place. Ainsi les lourdes images de pierre et de bois tombèrent avec leurs niches, et leurs éclats volèrent au loin. Combien d’œuvres d’art précieuses et d’un travail subtil furent réduites en morceaux ! » Parmi les objets offerts à l’adoration se trouvait une croix d’argent, renfermant, disait-on, des reliques de grand prix ; on l’abattit et l’on trouva à l’intérieur deux petits cornets d’ivoire, sur l’un desquels on lisait ces mots. « Une pierre du Saint-Sépulcre » ; on l’ouvrit et l’on y découvrit une coquille d’escargot.

Dès le dimanche suivant l’église fut ouverte à la prédication de l’Évangile ; une foule de plus de trois mille personnes s’y réunit. C’est ainsi que la Réforme s’établit à Saint-Gall. Vadian y contribua pour beaucoup, davantage par son influence que par son action directe. Parmi les humanistes suisses, c’est lui qui, après Zwingli, exerça l’action la plus durable sur le nouveau mouvement. Mais on ne saurait approuver, pas plus ici qu’ailleurs, la violence comme témoignage pour des disciples de Jésus.


Ailleurs encore la lumière de l’Évangile éclaira les cœurs et les consciences, même dans des villes simplement alliées des cantons suisses, telles Mulhouse, Bienne. Schaffhouse aussi accepta la bonne nouvelle du salut, les Grisons en partie grâce au curé Frick. Il avait éprouvé une vive irritation à voir certains de ses collègues prêter une oreille sympathique à la voix de la vérité. Plein de dévouement à l’Église qu’il servait, il résolut de se rendre à Rome pour y dénoncer l’apparition de l’hérésie et pour solliciter des instructions sur les moyens à employer en vue de l’entraver. Mais douloureusement frappé, comme Luther, des abominations qui s’étalaient sous ses yeux, il rentra chez lui, sonda les Écritures, reconnut ses erreurs et, dès lors, avec un zèle infatigable, proclama le pur Évangile.

Enfin, parmi ceux qui contribuèrent largement à répandre les nouvelles doctrines dans toute leur intégrité, il convient de rappeler le nom d’Oswald Myconius (qu’il ne faut pas confondre avec Frédéric Myconius, l’ami de Luther). Myconius mena une vie très agitée à cause de sa fidélité à l’Évangile. Désigné tout jeune comme directeur de l’école des chanoines de Zurich, il fut l’un des principaux partisans de l’appel dans cette ville de Zwingli, un de ses meilleurs amis ; c’est de lui qu’il avait appris le message de la grâce de Dieu. Peu après il fut transféré à Lucerne, également comme professeur. Quelques écrits de Luther avaient pénétré dans cette ville et y produisirent un certain effet. Myconius en eut connaissance ; il n’avait jamais mentionné même le nom du réformateur, sauf à ses amis les plus intimes, et se contentait d’expliquer à qui voulait l’entendre l’Évangile dans toute son intégrité et sa simplicité. Il n’en fallut cependant pas davantage pour attiser la haine du clergé qui obtint des magistrats un ordre de faire comparaître devant eux le modeste et paisible chrétien. Après un interrogatoire sommaire, ils lui enjoignirent de « ne jamais lire avec ses élèves les écrits de Martin Luther ; de ne jamais prononcer son nom devant eux ; de ne jamais même penser à lui ».

Néanmoins la persécution ne tarda pas à sévir. Il y avait très peu de convertis à Lucerne ; on ne les connaissait même pas, ce qui amenait à grossir leur nombre démesurément ; mais la fureur de leurs ennemis se déversa sur l’infortuné Myconius, dont on fit un bouc émissaire. Il avait pourtant manifesté un grand dévouement dans le poste qu’il occupait : il avait tout sacrifié dans l’intérêt des jeunes gens qu’on lui confiait ; il avait quitté Zurich et Zwingli auquel il était tendrement attaché ; sa santé en pâtissait ; sa femme était infirme ; ils avaient un fils en bas âge et ne possédaient, pour l’élever, d’autres ressources que celles que Myconius pouvait se procurer par son travail. Si on l’exilait de Lucerne, où irait-il chercher un asile ? Mais ces considérations n’eurent aucun poids sur ses farouches accusateurs ; on le priva de son poste et on lui intima l’ordre de quitter la ville à très bref délai, sans autre faute à sa charge sinon le fait qu’il passait pour un disciple de Luther. Dans son désespoir, il écrivit à Zwingli, comme l’avait fait Berthold Haller dans des circonstances analogues. « Voici devant vous », disait-il, « votre pauvre Myconius, mis à pied par le Conseil de Lucerne. Où aller ? Je ne sais. Attaqué, comme vous l’êtes vous-même, quel asile pouvez-vous m’offrir ? Dans ma tribulation, je regarde au Seigneur, ma seule espérance. Plein de grâce et de miséricorde, il ne renvoie jamais à vide ceux qui lui adressent leurs supplications. Puisse-t-il suppléer à mes besoins ! »

Le valeureux Zwingli ne laissa pas longtemps son ami sans réponse. Il lui écrivit en ces termes : « Ce sont de rudes coups que ceux que l’adversaire assène à la maison de Dieu, en vue de la jeter à terre. Ses assauts se répètent si fréquemment que ce n’est plus seulement la pluie, ce ne sont plus seulement les torrents, les vents qui la battent en brèche, selon la prédication de Jésus Christ (Matt. 7:27) ; c’est la grêle et l’orage. Si je ne voyais pas le Seigneur soutenir le gouvernail, il y a longtemps que je l’aurais lâché moi-même ; mais je le vois, lui, au fort de la tempête : il tend les cordages, il manœuvre les agrès, il déploie lui-même les voiles ; bien mieux, il commande aux vents et ils lui obéissent. Voici mon avis. Présentez-vous devant le Conseil de la ville ; dites-leur quelques mots dignes d’un serviteur de Christ, quelques mots qui soient propres à adoucir leurs cœurs, non à les irriter. Affirmez nettement que vous n’êtes pas Luthérien, mais un disciple du Seigneur Jésus Christ. Priez vos élèves de vous accompagner et de parler en votre faveur. Si cela n’aboutit pas, venez chez votre ami, venez chez Zwingli, et considérez notre cité comme votre foyer ».


On ne peut que regretter que tous les discours de Zwingli n’aient pas été imprégnés de la même noblesse de sentiments et du même amour chrétien. Myconius suivit son avis, mais ce fut inutile ; il dut quitter Lucerne. Grâce à la protection du réformateur zurichois, il trouva de l’occupation pour un temps à Einsiedeln, puis se rendit à Bâle, où il seconda utilement Œcolampade et continua son travail.


Ainsi, des treize cantons qui composaient la Suisse d’alors, cinq avaient adopté la Réforme : Zurich, Bâle, Berne, Schaffhouse, Glaris ; deux étaient mixtes : Soleure et Appenzell ; les six autres conservaient l’ancienne religion. La Suisse se divisait donc en deux camps nettement tranchés, hostiles l’un à l’autre. Il en résulta de nouvelles luttes religieuses qui affaiblirent considérablement le pays. Au 19° siècle seulement, ils ont appris à vivre en bonne harmonie.
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016 - 21:03

La Réforme dans les pays de langue Française


Les débuts de la Réforme en France

Une des raisons, purement humaines, qui explique les progrès prompts et solides de la Réforme en Allemagne, c’est le morcellement de ce pays en une quantité de petits États ; il y en avait trois cent soixante environ. Le pouvoir central ne détenait qu’une faible autorité ; chacun de ces territoires, minuscules pour la plupart, évoluait à sa guise. L’empereur pouvait bien chercher à faire prévaloir le catholicisme ; il se heurtait sans cesse aux prérogatives locales, aux droits des souverains et des individus, qu’il ne réussissait pas à vaincre.

En France il en allait tout autrement. Au cours du Moyen Âge le pouvoir du roi, infime au début, s’accrut graduellement au détriment de celui des seigneurs. L’église de France, dite gallicane, n’avait cessé de contester la mainmise du Saint-Siège sur les affaires ecclésiastiques du royaume. Le roi la favorisait pour être sûr de trouver son appui moral contre les revendications de la féodalité. Par conséquent l’opposition des partisans de la Réforme aux prétentions du souverain en matière religieuse devint un crime politique. Voilà pourquoi aussi on trouve un grand nombre de nobles dans les rangs de « ceux de la religion », comme on les dénommait ; beaucoup y étaient attirés non par leurs convictions, mais par leur intérêt.

En France, comme ailleurs, la Renaissance, dans la main de Dieu, fraya le chemin à l’éclosion des vérités évangéliques. Les humanistes habituaient les esprits à remonter aux « sources » des connaissances, à se faire une opinion par eux-mêmes, vrai but de la culture intellectuelle, au lieu d’accepter aveuglément les théories toutes faites, enseignées par la scolastique et imprégnées d’empirisme. Or, parmi ces « sources », la Bible ne tarda pas à occuper une place éminente.

Jacques Lefebvre, d’Étaples en Picardie, enseignait depuis longtemps les mathématiques à la Sorbonne et commentait aussi les ouvrages d’Aristote sur la physique et la métaphysique. Au dire de Farel, « il faisait les plus grandes révérences aux images qu’autre personnage que j’aie connu ; et demeurant longuement à genoux, il priait et disait ses heures devant icelles, à quoi souvent je lui ai tenu compagnie ». Mais la préparation de ses cours l’amena à prendre contact avec les Saintes Écritures ; il les lut attentivement, avec un enthousiasme croissant, sans du reste prévoir le moins du monde qu’il allait inaugurer la Réformation en France : bel exemple de ceux « qui, ayant entendu la parole, la retiennent dans un cœur honnête et bon, et portent du fruit avec patience » (Luc 8:15). Il avait près de soixante-dix ans quand il écrivit ce qui suit dans la préface du premier des livres qu’il consacra à la Parole de Dieu ; c’était en 1509, sept ans avant que la voix de Luther se fît entendre : « Une lumière si brillante a frappé mes regards que les doctrines humaines m’ont semblé des ténèbres en comparaison des études divines, tandis que celles-ci m’ont paru exhaler un parfum dont rien sur la terre n’égale la douceur ».

En 1512 il était plus précis : « C’est à la pure grâce de Dieu que nous devons la justification de la foi, et par elle nous héritons de la vie éternelle… Qui ignore que le brigand a été justifié par la foi seule ? ». Lefebvre sentait la nécessité d’une Réforme et la croyait imminente : « Les signes des temps annoncent qu’un renouvellement est prochain ; et pendant que Dieu ouvre de nouvelles voies à la prédication de l’Évangile par les découvertes des Portugais et des Espagnols dans toutes les parties du monde, il faut espérer qu’il visitera aussi son Église et la relèvera de l’abaissement dans lequel elle est tombée ». Telle était la puissance de l’Esprit de Dieu qui parlait au cœur de ce pieux chrétien par le moyen de la Bible. Autour de lui se groupaient quelques jeunes gens, avides d’en apprendre plus long sur ce message merveilleux et si nouveau ; parmi eux il faut citer au tout premier rang Olivétan et Guillaume Farel. Ce dernier, originaire des environs de Gap en Dauphiné, plein d’une ardente fougue méridionale, ne tarda pas à annoncer avec hardiesse le salut par la foi et non par les œuvres. À juste titre on le considère comme le tout premier des prédicateurs de l’Évangile en France, dans l’ordre chronologique, il va de soi.

C’est à Meaux que les nouvelles doctrines trouvèrent tout d’abord un terrain favorable. L’évêque de cette ville, Guillaume Briçonnet, personnage d’un haut rang, avait fait deux fois le voyage à Rome, en qualité de représentant de la France auprès du Saint-Siège. Rentré dans son diocèse après une longue absence, il fut surpris de constater que des idées, inconnues jusque-là, s’y étaient introduites et y avaient fait de rapides progrès. Elles lui parurent dignes du plus vif intérêt ; il manda donc auprès de lui Lefebvre pour le renseigner. Lefebvre lui démontra que seule la Parole de Dieu, acceptée dans toute son intégrité et sa simplicité, ramène aux anciennes vérités, telles que les connaissait l’Église primitive, sans le moindre secours d’écoles de théologie, de savants, de critiques, en un mot sans aucune intervention humaine ; que l’Évangile est « la puissance de Dieu en salut à quiconque croit » (Rom. 1:16) ; que par conséquent les œuvres ne sauraient y concourir en aucune façon, ni rien de ce que l’homme prétend apporter. À son tour Briçonnet se mit à étudier les Saintes Écritures et il y trouva un bonheur intense, inconnu jusqu’alors : « La saveur de cette nourriture divine », écrit-il, « est si douce qu’elle remplit l’âme du désir d’en goûter toujours davantage. Quel vase serait capable d’en contenir toute l’excellence ? »

Briçonnet adressait ces lignes à Marguerite de Valois, sœur du roi François Ier, sur lequel elle exerçait une grande influence ; sa grâce et sa haute intelligence faisaient d’elle l’ornement de la cour. Sous la direction de son conseiller spirituel, elle se mit à lire et à étudier la Parole de Dieu ; elle apprit à connaître la voie du salut et fut convertie au moment même où les persécutions commencèrent à sévir. Aussitôt elle déploya toute son énergie pour venir en aide, en paroles et en actes, aux victimes de l’Église romaine. On la dénonça à son frère comme hérétique ; il refusa de rien entendre et, lorsqu’elle eut épousé le roi de Navarre, sa cour de Nérac devint un asile paisible pour ceux qui étaient poursuivis pour « cause de religion ».

On avait pu espérer un moment que François Ier se laisserait convaincre par la vérité. Marguerite écrivait en ces termes à Briçonnet qui l’exhortait à faire tout son possible pour gagner son frère : « Le roi et Madame (la reine mère) ont bien délibéré de donner à connaître que la vérité de Dieu n’est point hérésie… Le roi et Madame sont affectionnés plus que jamais à la réformation de l’Église ». Un peu plus tard, Marguerite leur ayant lu une lettre de Briçonnet sur ce sujet, « reconnaissant la vérité reluire en leur nihilité (néant), ils ont eu les larmes aux yeux ». Malheureusement François Ier, se laissant entraîner par des avis pernicieux, ne tarda pas à suivre un chemin tout opposé à celui qu’on lui traçait.

Lefebvre et Briçonnet mirent tout en œuvre pour répandre dans la France entière le Livre de Dieu ; ils désiraient que chaque Français pût le lire dans sa langue maternelle. On ne tarda pas à voir paraître les quatre évangiles, puis le Nouveau Testament tout entier. À Meaux, pour la première fois en France, des chrétiens se réunirent pour lire ensemble la Bible, l’étudier, prier et adresser leurs louanges au Seigneur ; elle faisait leur joie et leur consolation. Tout leur bonheur, c’était de sonder « les choses profondes de Dieu » (1 Cor. 2:10). Voyant ce beau zèle et désireux de propager dans la ville la connaissance de la vérité, Briçonnet fit venir de Paris un certain nombre de disciples de Lefebvre en leur enjoignant de lire au peuple l’Évangile en français ; Farel était du nombre. « Le peuple de Meaux et des environs avait un ardent désir de connaître la voie du salut nouvellement révélée, si que les artisans, comme cardeurs, peigneurs et foulons n’avaient d’autre exercice en travaillant de leurs mains que conférer de la Parole de Dieu et se consoler en icelle. Et spécialement dimanches et fêtes étaient employés à lire les Écritures ; en sorte qu’on voyait en ce diocèse reluire une image d’Église renouvelée ; les mœurs se réformaient et les superstitions s’en allaient bas » (*) De même, dans la campagne environnante, au moment du repas, les cultivateurs se réunissaient autour de l’un d’eux, qui leur faisait la lecture, tandis qu’ils prenaient leurs aliments.


(*) Crespin, Histoire des Martyrs.

Des progrès aussi manifestes ne pouvaient qu’irriter au plus haut point les tenants du catholicisme. Ils trouvèrent leur champion dans la personne de Noël Béda, grand maître de la Sorbonne. Animé d’un esprit médiocre et intransigeant, il dénonça les « hérétiques » comme les ennemis de la France. Érasme disait de lui : « En un seul Béda il y a trois mille moines ». « Délivrez-nous de ces nouvelles doctrines », s’écriait le défenseur de l’Église romaine. « Écrasez l’hérésie ; sinon cette peste, qui a déjà infecté la ville de Meaux, se répandra dans tout le royaume de France ». Ces attaques furibondes ébranlèrent Briçonnet, dont le caractère n’était pas à la hauteur de ses principes. Il ne manquait pas de piété, ni de zèle, mais se décontenançait en présence du danger. Ce n’était pas — loin de là — un de ces hommes chez qui la fidélité et la constance provoquent, s’il le faut, le sacrifice de leur vie, lorsqu’il s’agit de défendre un principe juste. Briçonnet céda devant l’orage qui grondait toujours plus fort. Pour sauver son existence, sa liberté, ses dignités, son orgueil familial, il renonça à ce qu’il savait être la vérité, puisque le Seigneur lui avait accordé la faveur de la proclamer bien haut pendant un temps. Cependant, jusqu’en 1525, grâce à la protection du roi, qui hésitait à sévir, aucun acte de persécution sanglante ne fut accompli. L’Évangile se répandit. Après Meaux, on le prêcha à Bourges, à Alençon, à Lyon, à Grenoble. Un petit groupe de chrétiens se réunissait secrètement à Paris.

Lefebvre passa les dernières années de sa vie à la cour de Navarre, où la reine Marguerite lui témoigna toutes sortes d’attentions. Mais ses jours furent assombris par le sentiment de la faiblesse du témoignage qu’il avait rendu au Seigneur. « Notre vénéré maître », raconte Farel, « en était si accablé qu’il ne cessait de répéter : « C’en est fait de moi. Je mérite la mort éternelle, parce que je n’ai pas eu le courage de confesser hardiment la vérité devant les hommes ». Il se lamentait sans relâche, jour et nuit. Notre ami, Gérard Roussel, ne le quittait pas, l’exhortant à reprendre courage et à mettre toute sa confiance dans le Seigneur. Mais Lefebvre répondait invariablement : « Nous sommes condamnés par le juste jugement de Dieu, parce que nous n’avons pas proclamé la vérité à laquelle nous devions rendre témoignage aux yeux de tous ». C’était vraiment un spectacle digne de toute commisération que de voir ce pieux vieillard en proie a un chagrin si amer et à une crainte pareille du jugement de Dieu ».

En effet, comme beaucoup d’autres croyants de son temps, il n’avait pas eu le courage de rompre radicalement avec l’Église romaine. « Les pratiques du culte », écrivit-il une fois, « ne sont, somme toute, que choses extérieures et, qui le sait ? sans doute tomberont-elles d’elles-mêmes, pourvu que nous annoncions l’Évangile et attendions les résultats. Notre tâche consiste à purifier la maison de Dieu, et non à la détruire ». Tel était aussi le sentiment de la reine Marguerite ; elle en porta la peine, car elle vécut toute sa vie « lasse de tout », écrit un de ses biographes. Malgré son dévouement pour les témoins de la foi, elle ne connut que très peu « l’opprobre de Christ » et se rendait bien compte, elle aussi, de sa culpabilité à cet égard. Mais c’était une enfant de Dieu, on ne saurait en douter un seul instant, chère au cœur du Seigneur. C’est par amour pour lui qu’elle ne cessa de secourir les siens, non pas seulement matériellement, chose relativement facile pour elle, étant donné la position élevée qu’elle occupait, mais encore en intervenant pour eux auprès du roi et en encourant par là la haine de la Sorbonne et de toute l’Église catholique. Plus d’une fois sa vie fut en danger. Elle se dépensa sans compter pour les chrétiens. « En vérité, je vous dis : En tant que vous l’avez fait à l’un des plus petits de ceux-ci qui sont mes frères, vous me l’avez fait à moi » (Matt. 25:40).

Une grande joie lui était réservée, celle d’entourer Lefebvre dans ses tout derniers moments : il avait quatre-vingt-douze ans. Le vieillard s’ouvrit à elle des remords qu’il éprouvait : « Comment puis-je », lui dit-il, « paraître devant Dieu, moi qui ai annoncé l’Évangile de son Fils en toute sincérité à beaucoup d’autres ; ils ont prêté l’oreille à mes enseignements et, à cause de cela même, ils ont dû marcher à la mort, après avoir enduré d’atroces supplices. Et moi, lâche que je suis, je me suis enfui. Je suis pourtant un vieillard, très avancé en âge. N’ai-je pas assez vécu, et plus qu’assez ? Je n’avais point à redouter la mort, au contraire, je devais la souhaiter. Oui, j’ai évité les lieux où j’aurais pu gagner la couronne des martyrs. Je me suis montré honteusement infidèle à l’appel de mon Dieu ».

La reine chercha à l’encourager en l’engageant à s’en remettre à la miséricorde du Seigneur qui connaît les pensées et les intentions du cœur de chacun des siens. Non sans peine, elle parvint à calmer ses angoisses. Là-dessus Lefebvre s’écria : « Eh bien ! Il ne me reste plus qu’à m’en aller auprès du Seigneur quand il lui plaira de m’appeler ». Puis, après avoir indiqué brièvement quelles étaient ses dernières volontés, il dit, le visage illuminé d’un sourire paisible : « Maintenant je dois me reposer. Soyez heureux ! À Dieu ! » Là-dessus il s’étendit sur un lit qui était là et s’endormit. Quand, au bout d’un certain temps, on chercha à l’éveiller, on constata que son âme avait quitté son enveloppe mortelle pour être pour toujours avec le Seigneur.

Farel garda pour son vieux maître une estime et une affection des plus profondes. On comprend que la pusillanimité de Lefebvre ne pouvait convenir à un homme comme lui, animé d’un zèle ardent pour la cause de l’Évangile, caractère décidé entre tous et ennemi déclaré des demi-mesures, des situations équivoques. Néanmoins il témoigna toujours à Lefebvre une reconnaissance émue et ne manquait jamais l’occasion de rappeler que c’est par son moyen et grâce à la bénédiction du Seigneur, qu’il était arrivé à la connaissance de la vérité. Les deux amis s’étaient rencontrés plus d’une fois à Nérac, la capitale du petit royaume de Navarre, et Marguerite aurait volontiers gardé auprès d’elle le jeune réformateur, mais l’ardeur de son tempérament demandait une existence beaucoup plus active. Farel aimait la lutte ; on le trouvait toujours sur le champ de bataille. Quand il avait vaincu l’ennemi sur un point, il laissait à d’autres le soin de reconstruire et passait plus loin, pour affronter de nouveaux combats, dans lesquels bien souvent il risqua sa vie et essuya les pires outrages. Au moment de la mort de Lefebvre, il avait quitté Nérac depuis quelque temps et avait entrepris de longs voyages, après lesquels il résolut d’évangéliser sa propre patrie, le Dauphiné. Trois de ses frères furent convertis par son moyen et il trouva bien d’autres sujets d’encouragement qui l’engagèrent à parcourir le pays en long et en large, annonçant l’Évangile, insistant « en temps et hors de temps » (2 Tim. 4:2) et dévoilant au grand jour les erreurs enseignées par l’Église romaine. Les prêtres soulevèrent le peuple contre lui, cherchèrent à l’arrêter. Mais il connaissait à fond la contrée ; les rochers et les cavernes n’avaient pas de secrets pour lui et, chaque fois que ses adversaires croyaient le saisir, il leur échappait pour reparaître ailleurs, prêchant la grâce de Dieu sans trêve ni repos, au bord des torrents comme dans les endroits les plus reculés et les plus sauvages. C’est probablement à son travail qu’est due la conversion d’un jeune homme, Antoine Boyve, plus connu sous le nom de Froment qui, plus tard, joua un rôle très utile pour propager la Réforme à Genève.

Farel poursuivit son activité dans le Dauphiné pendant plusieurs mois. « On m’avait mis en garde », raconte-t-il, « contre les artifices de Satan et contre les supplices de tout genre qui m’attendaient. Ils n’ont pas manqué ; ils furent même plus douloureux que je ne m’y attendais. Mais j’ai Dieu pour Père ; il a pourvu à tout et il me donnera la force dont j’aurai toujours besoin ».

Béda n’avait pas oublié ce « brandon de discorde » qui lui échappait sans cesse. Il suscita contre lui l’évêque de Gap qui se mit en quête du réformateur. « Voulant prêcher, il ne fut pas admis, parce qu’il n’était ni moine ni prêtre… De là il fut déchassé, voire fort rudement tant par l’évêque que par ceux de la ville, trouvant étrange sa doctrine, sans jamais en avoir entendu parler ». Farel demeura insaisissable, mais il finit par quitter le Dauphiné pour prêcher dans les Cévennes. Traqué par ses ennemis, il passa en Guyenne, puis en Navarre, mais, apprenant que le réseau tissé autour de lui se resserrait de plus en plus, il gagna le nord de la France, afin de pouvoir au besoin se réfugier en territoire bernois. Il séjourna quelque temps dans la principauté de Montbéliard, où le duc, Ulrich de Wurtemberg, l’accueillit avec bienveillance. Il se mit à répandre la vérité, dans la ville et la campagne, avec son impétuosité méridionale et son zèle missionnaire, fait d’énergie et d’audace. Comme toujours, il rencontra une résistance furibonde de la part du clergé ; rien n’y fit, pas même l’intervention de son ami Œcolampade, qui l’exhorta à la prudence. Après deux ans d’une activité débordante, il partit pour un autre champ de travail, mais il laissait après lui bien des âmes converties et le fruit de son labeur se constate de nos jours encore dans toute cette région. C’est au cours de son séjour à Montbéliard que Farel rédigea un admirable petit livre intitulé : Summaire et briefve declaration d’aulcuns lieux fort necessaires à ung chascun chrestien, qu’on peut considérer comme le premier catéchisme publié en langue française ; il précéda de cinq ans celui de Luther.

De Montbéliard Farel se rendit à Metz, où il ne réussit pas à s’implanter, puis à Strasbourg, enfin à Berne. Ici s’ouvre la seconde phase de son activité, qui remplit presque tout le reste de sa vie et se déroula essentiellement en Suisse romande. On en trouvera le détail plus loin.


* * *


Sous l’influence de sa sœur, François Ier avait, on l’a vu, prêté tout d’abord une attention sympathique à la prédication de l’Évangile. Mais il dut bientôt se rendre compte qu’il avait à choisir entre le chemin du Seigneur et celui du monde ; on ne peut servir deux maîtres. Or il était d’un caractère mobile et changeant. Un historien dit de lui : « La constance et la fermeté lui manquèrent toujours et il se laissa conduire par les événements plutôt qu’il ne les dirigea ». Avec cela, grand ami des plaisirs, refusant de renoncer à aucun prix à sa vie désordonnée, il se détourna, le sachant et le voulant, de la voie du salut, pour suivre celle de ses instincts pervers. D’autre part, comme les réformés mettaient l’autorité de Dieu au-dessus de la sienne, se déclarant ainsi opposé à la doctrine de la monarchie absolue, le roi prétendait voir en eux des ennemis de sa souveraineté. Et pourtant la Parole de Dieu lui donnait toute satisfaction : « Craignez Dieu ; honorez le roi » (1 Pierre 2:17). « Mon fils, crains l’Éternel et le roi » (Prov. 24:21).

C’est sous son règne que commencèrent les persécutions, à Meaux en tout premier lieu, cela se comprend. Là vivait un cardeur de laine, Jean Leclerc. Peu instruit dans la science courante, il avait lu avec grand soin la Bible, s’en était vraiment nourri, et il finit par jouer le rôle d’un pasteur dans le petit troupeau des enfants de Dieu. Ardemment désireux de défendre les intérêts du Seigneur, il n’y mit pas toujours la sagesse voulue. Un jour, justement indigné de voir affichée une bulle d’indulgence aux portes de la cathédrale, il l’arracha et mit à la place un écrit où le pape était désigné sous le nom d’antichrist. Il fut aussitôt découvert, arrêté, puis conduit à Paris, fouetté trois jours de suite dans les rues. Après ce supplice, on le marqua au front d’un fer rouge, puis on le bannit. Au moment où on lui infligeait ce cruel supplice, sa mère se trouvait là, tout près de lui et s’écria d’une voix que toute la foule entendit : « Gloire à Jésus Christ et à sa marque ! ». Leclerc partit pour l’exil. On le retrouve à Metz où son zèle mal éclairé l’entraîna à une nouvelle imprudence. À quelque distance de la ville se trouvait une chapelle, contenant des images de la Vierge et de différents saints ; une procession solennelle s’y rendait chaque année. La nuit avant cette cérémonie, Leclerc brisa toutes ces statues. On ne tarda pas à le désigner comme l’auteur de ce sacrilège et il fut brûlé vif après avoir subi les tortures les plus atroces. « Il n’y eut homme », dit Crespin, « qui ne fut ému et étonné, voyant une constance si grande que Dieu donna à un sien serviteur ».

Il en fut de même pour Louis de Berquin, un gentilhomme, érudit, homme de la cour, ami du roi. Il écrivit contre les erreurs de la Sorbonne, mais sans attaquer qui que ce fût. Une perquisition faite chez lui amena la découverte de livres de Martin Luther. Aussi le conduisit-on en prison. François Ier était en ce moment prisonnier à Madrid à la suite de sa défaite à Pavie ; à son retour il apprit les traitements infligés à ce gentilhomme, qu’il estimait hautement. Sur l’ordre du roi, Berquin recouvra la liberté. François Ier exigea que l’affaire se traitât devant son conseil : harcelé de questions, l’accusé se défendit contre l’imputation d’hérésie. « Ce qu’il croyait, ce qu’il avait écrit, n’était-ce pas la vérité, telle que l’enseignait la Parole de Dieu ? ». Mais il ne s’agissait pas de la Parole de Dieu ; il s’agissait de l’Église de Rome. L’acharnement des adversaires redoubla. À trois reprises, grâce à l’intercession de Marguerite auprès de François Ier, Berquin recouvra la liberté : le roi n’était pas fâché de montrer au clergé qu’il devait s’incliner devant le roi de France. Cependant la Sorbonne finit par l’emporter. Profitant d’une courte absence du souverain, elle fit monter sur le bûcher le fidèle témoin du Seigneur. « Ce fut fait et expédié en grande diligence, afin qu’il ne fût secouru ni du roi, ni de Madame la Régente, qui étaient lors à Blois ».

Malheureusement les réformés manquèrent trop souvent de mesure. Au lieu de s’attendre à Celui qui tient toutes choses dans ses mains, impatients de l’opposition qu’ils rencontraient, ils se laissèrent aller à agir par eux-mêmes, oubliant cette exhortation du Seigneur : « Remets ta voie sur l’Éternel, et confie-toi en lui ; et lui, il agira, et il produira ta justice comme la lumière, et ton droit comme le plein midi » (Ps. 37:5-6). C’est là sans doute une des raisons pour lesquelles la Réforme n’a jamais pu prendre pied définitivement en France. Décidés à frapper un grand coup, ils résolurent de proclamer nettement leur foi en affichant dans tout le royaume des « placards », contenant un réquisitoire virulent contre « les horribles, grands et imputables abus de la messe papale ». Ce long document se termine par ces mots cinglants : « La vérité les a abandonnés (les membres du clergé), elle les menace, elle les traque, elle les remplit d’effroi ; leur royauté sera bientôt abolie à jamais ». On ne saurait contester la vérité de ces assertions, mais ce n’était certes pas la volonté du Seigneur que de recourir à des moyens aussi violents.

Un de ces placards fut apposé, par la main d’un ennemi sans doute, sur la porte de la chambre du roi. On conçoit son indignation. Sur son ordre des poursuites s’engagèrent immédiatement contre les réformés. Il n’y eut qu’un cri : « Mort aux hérétiques ! Le roi le veut ! ». De tous côtés ce furent condamnations et exécutions sans pitié. Les suspicions tombèrent même sur l’entourage du roi : « S’il veut extirper l’hérésie, qu’il commence par sa propre cour et par ses propres parents ». Ces expressions désignaient très clairement Marguerite de Navarre ; sommée de comparaître à Paris, elle n’hésita pas un instant à s’y rendre, confiante dans l’intégrité de ses desseins, dans l’affection que lui portait le roi. Pour la première fois peut-être de sa vie, elle trouva au palais du Louvre un accueil sévère et glacial. Son frère l’accabla de reproches à cause des maux que l’hérésie, qu’elle encourageait, amenaient dans tout le royaume de France. Marguerite contint ses larmes et tint tête avec calme, mais fermement, aux arguments avancés. Elle osa même insinuer que ces calamités étaient dues bien plutôt à l’intolérance et au fanatisme des adversaires de l’Évangile. François se radoucit et consentit à révoquer la sentence prononcée contre trois prédicateurs réformés. Très peu de jours après, elle repartit pour Nérac.

En effet, les supplices ordinaires ne suffisaient plus à assouvir la haine du clergé. Il exigeait qu’on y ajoutât le spectacle d’une grande protestation publique en présence d’une foule immense qui remplit les rues de Paris, tandis que des milliers de spectateurs occupaient jusqu’aux toits des maisons. Par les portes de Notre Dame, largement ouvertes, on vit sortir un cortège majestueux, comprenant tous les plus hauts dignitaires de l’Église : archevêques, évêques, cardinaux, revêtus de leurs insignes, moines et religieux. Les reliques les plus vénérées, un morceau soi-disant de la vraie croix, un clou, un fragment de la lance qui transperça le flanc du Seigneur, la tête du roi saint Louis, attiraient les regards. Toute la cour suivait, derrière François Ier, à pied, tête nue malgré le froid rigoureux (c’était le 29 janvier 1535), portant à la main un cierge allumé. Près de lui ses trois fils, les magistrats et les plus hautes notabilités de l’État. La procession serpenta dans les rues et passa sur la place de Grève où six réformés, garrottés aux poteaux, attendaient que le roi lui-même mît le feu à leurs bûchers.

De retour à Notre-Dame, François Ier prit place sur un trône élevé et prononça, contre les doctrines évangéliques, un discours respirant la haine la plus acerbe. « Si », ajouta-t-il, « Mon bras était infecté de cette peste, je le couperais. Si un de mes enfants osait embrasser ces théories, s’il se permettait d’en faire profession, je le sacrifierais moi-même à la justice de Dieu et à ma propre justice ». On a peine à concevoir un pareil aveuglement satanique. Cédant aux conseils odieux qu’on lui prodiguait, François Ier se mit en rébellion ouverte avec la vérité et y entraîna tout son royaume à sa suite.

La France fut alors livrée pendant 25 ans à des accès de violence persécutrice, inspirée par la puissance diabolique ainsi déchaînée. On ignorait systématiquement les ménagements qu’aurait dû dicter la plus élémentaire prévoyance politique. On se donnait pour but, semblait-il, de tuer par plaisir, sans se préoccuper des conséquences proches ou lointaines que pouvaient engendrer ces pratiques barbares. Très sûrement la royauté française en a payé la peine lorsque triomphèrent les éléments extrêmes de la Révolution de 1789.

De tous ces actes de persécutions, le plus féroce peut-être fut celui dirigé contre les Vaudois de Provence. Comme leurs homonymes des vallées du Piémont, ils suivaient les enseignements du Seigneur. Il n’en fallut pas davantage pour déchaîner sur eux, une fois condamnés par le parlement d’Aix, le baron d’Oppède qui avait à assouvir quelque vengeance particulière. À la tête d’une bande de soldats mercenaires, formés au brigandage dans les guerres dont l’Italie fut sans cesse le théâtre, il se jeta sur d’innocentes populations qu’il fit massacrer en masse : hommes, femmes, vieillards, enfants. Quelques-uns seulement furent épargnés, pour aller ramer sur les galères du roi. À Cabrières, bourg fortifié, une soixantaine de paysans attendaient de pied ferme les assaillants derrière leurs remparts. Pour en venir à bout plus facilement, Oppède leur promit la vie s’ils se rendaient. Croyant à sa bonne foi, les assiégés ouvrirent leurs portes ; au même instant, ils furent taillés en pièces, l’église envahie et tous ceux qui y avaient cherché refuge, femmes, enfants, malades, subirent le même sort. Les fugitifs erraient dans les montagnes couvertes de neige, sans pain, sans abri. Les plus valides gagnèrent les vallées du Piémont et y rejoignirent leurs frères dans la foi ; d’autres périrent de misère. Un petit nombre, après le départ des massacreurs, se rapprochèrent de leurs cabanes en ruines, les relevèrent, et, peu à peu, on vit dans ces mêmes localités, si horriblement dévastées, des chrétiens se réunir pour chanter les louanges du Seigneur.

François Ier ne prétendait pas qu’on se livrât à de pareils excès. Informé des événements de Provence, il voulut faire punir sur-le-champ Oppède et ses principaux officiers ; le cardinal de Tournon, un des mauvais génies du temps, l’en dissuada. Cependant, comme toutes les règles de la guerre et les principes de la plus élémentaire humanité avaient été foulés aux pieds, Oppède et quelques autres furent cités devant le parlement de Paris. Le procès dura cinq ans. Grâce aux influences cléricales, le chef de cette sanglante expédition fut acquitté.

Le souvenir de la croisade contre les Vaudois poursuivit François Ier jusque dans ses derniers moments. Au cours de son affreuse agonie, on l’entendait gémir ; puis il sursautait, comme saisi d’effroi. Sur son visage on voyait passer une ombre sinistre ; il semblait contempler un spectacle terrifiant, invisible pour son entourage. Puis un tremblement violent le gagnait et il laissait échapper ces mots entrecoupés : « Ce n’est pas ma faute ; on a outrepassé mes ordres ». N’était-ce pas sa conscience qui parlait, bourrelée de remords ?

Deux ans plus tard, Marguerite de Navarre le suivait dans la tombe, pleurée de ses sujets qui se rappelaient cette parole de leur reine bien-aimée : « Rois et princes ne sont point les maîtres de leurs peuples, mais des ministres, institués par Dieu pour les soutenir et les protéger ». Marguerite fut la grand-mère du futur roi, Henri IV.

C’est ici le lieu de citer ces vers composés par Marguerite de Navarre après le supplice de Louis de Berquin :


Réveille-toi, Seigneur Dieu, 

Fais ton effort,

Et viens venger en tout lieu 

Des tiens la mort.

Tu veux que ton Évangile

Soit prêché par tous les tiens 

En château, bourgade et ville, 

Sans que l’on en cèle rien. 

Donne donc à tes servants 

Cœur ferme et fort

Et que d’amour tous fervents 

Aiment la mort.
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016 - 21:03

Jean Calvin


Années de jeunesse

Issu d’une honorable famille de Noyon en Picardie, où il naquit le 10 juillet 1509, Jean Calvin fut destiné dès son enfance à l’Église ; tout jeune encore on le voit doté d’une charge ecclésiastique. À Paris il commença les hautes études dans une école où il eut pour maître le savant Mathurin Cordier, auquel il confia plus tard la direction du Collège de Genève. Cordier n’adhéra à la Réforme qu’ultérieurement, mais il en suivait attentivement l’évolution et il est très possible qu’il initia son élève aux idées nouvelles. Ce pédagogue chrétien s’élevait éloquemment contre les mauvais traitements infligés aux enfants et voulait qu’on leur apprît « à aimer Christ, à respirer Christ ». « Le nom de Jésus Christ ! Verse-le comme goutte à goutte dans l’âme de tes élèves ; introduis-le, fais-le pénétrer en elle ! ». Plus tard le jeune homme fut transféré au collège Montaigu, de tendances plus cléricales, et où régnaient un ascétisme sévère et une saleté indescriptible. Érasme y avait étudié jadis et Ignace de Loyola, qui fonda plus tard l’ordre des Jésuites, y entra l’année même où Jean Calvin le quittait. Il fut aussi en contact avec Robert Olivétan, un des futurs traducteurs de la Bible ; ce fut, dit-on, le premier que Calvin entendit là prêcher ouvertement.

Quelques années plus tard, soit pour obéir au désir de son père qui cherchait à donner à son fils une carrière vraiment lucrative, soit parce qu’il suivait un penchant naturel de son esprit, Calvin abandonna la théologie pour les études juridiques à Orléans et à Bourges. Passionné de cette nouvelle discipline, il fit des progrès si rapides qu’au bout d’un an, dit Théodore de Bèze, « on ne le tenait déjà plus pour écolier, mais pour enseigner ». Il est très certain que la rigueur des méthodes juridiques convenait à l’intelligence de Calvin, porté à tout envisager sous le signe de la raison ; les règles strictes qu’il imposa dans la suite à la ville de Genève en portent le reflet. Il fréquenta assidûment les cours de Melchior Wolmar, helléniste éminent, qui interprétait tour à tour les auteurs profanes et, moins publiquement, la Bible qu’il avait appris à connaître en Allemagne. On y trouvait, disait-il, la réponse à tous les problèmes, le remède à tous les abus, le repos pour les âmes travaillées, celles des savants comme celles des gens du peuple.

Quelle réaction produisirent sur Calvin les leçons de son érudit professeur ? C’est presque impossible à déterminer. Au rebours de Luther qui se complaisait à narrer ses expériences personnelles, Calvin, imprégné d’une humilité profonde, craignant de porter atteinte à la gloire de Dieu en vantant l’homme, cachait autant que possible ce par quoi il avait passé, disant : « Vrai est que je n’aime pas à parler de moi ». Dans la préface de son Commentaire sur les Psaumes, le seul de tous ses ouvrages où il donne des détails sur lui-même, il se contente de rappeler qu’il fut d’abord, « plus que personne attaché aux superstitions papales », mais aucune date, aucune précision. Voici tout ce qu’il rapporte sur son état spirituel à cette époque : « J’estois bien éloigné d’avoir ma conscience certaine. Toutes les fois que je descendois en moi ou que j’élevois mon cœur à Dieu, une si extrême horreur me surprenoit qu’il n’y avoit purifications ni satisfactions qui m’en pussent guérir. Et tant plus je me considérois de près, tant plus rudes aiguillons pressoient ma conscience, tellement qu’il ne me demeuroit d’autre confort, sinon de me tromper moi-même en m’oubliant ». Mais le Seigneur eut pitié de lui. « Dieu, quoique je fusse si obstinément adonné aux superstitions papales qu’il estoit bien malaisé qu’on pût me tirer de ce bourbier profond, dompta et rangea mon cœur à docilité par une conversion subite, lequel, eu égard à l’âge, estoit par trop endurci en telles choses… Ayant donc reçu quelque goût et connaissance de la vraie piété, je fus incontinent enflammé d’un si grand désir de profiter, qu’encore que je ne quittasse pas tout à fait les autres estudes, je m’y employais plus mollement ».

Dans l’Épître à Sadolet, Calvin fait figurer un « homme du peuple » qui raconte sa conversion à l’Évangile de la grâce de Dieu en des termes où l’on entend sans doute un écho des sentiments que l’auteur avait éprouvés lui-même : « Une fois la doctrine du salut présentée, moi, offensé de cette nouveauté, à grand-peine ai-je voulu prêter l’oreille, et si je confesse qu’au commencement j’y ai vaillamment et courageusement résisté… Une chose y avoit qui me gardoit de croire ces gens-là : c’étoit la révérence de l’Église ». Quand enfin son esprit s’ouvre à la vérité, « estant véhémentement consterné et éperdu pour la misère en laquelle j’estois tombé et plus encore pour la connaissance de la mort éternelle qui m’estoit prochaine, je n’ai rien estimé m’estre plus nécessaire, après avoir condamné en pleurs et en gémissements ma façon de vivre passée, que de me rendre et retirer à mon Seigneur et Sauveur ».

Les amis de Calvin se rendirent bientôt compte du changement qui s’était opéré en lui. On l’avait vu remplacer ses professeurs à l’occasion ; on le pressa maintenant d’instruire ceux — et ils étaient nombreux — qui se préoccupaient des vérités éternelles. « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé » (Ps. 116:10) : cette parole se réalisait pour lui, malgré son caractère timide et fuyant. Voici ce qu’il en raconte lui-même : « Avant que l’an passât, tous ceux qui témoignoient quelque désir de la pure doctrine se rangeoient vers moi pour apprendre, bien que je ne fisse quasi que commencer moi-même ». Il en était « tout ébahi », d’autant, ajoute-t-il, « qu’étant d’un naturel un peu sauvage et honteux, j’ai toujours aimé repos et tranquillité. Je commençai donc à chercher quelque cachette et moyen de me retirer des gens ; mais tant s’en faut que je vinsse à bout de mon désir, qu’au contraire toutes retraites et lieux à l’écart m’estoient comme écoles publiques ».

Le chemin s’ouvrait si clairement devant Calvin qu’il s’y engagea résolument. Il renonça à ses études juridiques, retourna à Noyon pour rompre les derniers liens extérieurs qui le rattachaient encore à l’Église romaine et vint se fixer à Paris où sévissaient de violentes persécutions. Les chrétiens se réunissaient dans des assemblées secrètes. Calvin y prit une part active, prêchant avec une autorité qui ranimait la confiance. Il terminait volontiers ses discours par ces mots de Rom. 8:31: « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? ». Un catholique militant, ennemi déclaré de la Réforme, Estienne Pasquier, rend témoignage en ces termes à l’infatigable activité de Calvin et à son influence déjà très répandue : « Au milieu de ses livres et de son étude, il estoit d’une nature remuante le possible pour l’avancement de sa secte. Nous vîmes quelquefois nos prisons regorger de pauvres gens abusés, lesquels sans cesse il exhortoit, consoloit, confirmoit par lettres, et ne manquoit de messagers auxquels les portes estoient ouvertes, nonobstant quelques diligences que les geôliers apportassent au contraire. Voilà les procédés qu’il tint au commencement, par lesquels il gagna pied à pied une partie de notre France ».

Une circonstance imprévue attira l’attention sur lui. Un de ses amis, Nicolas Cop, recteur de l’Université de Paris, devait, selon l’usage, prononcer un discours dans une église le jour de la Toussaint. Très embarrassé, il pria Calvin de le lui composer. « Ce fut », raconte Théodore de Bèze, « une oraison tout autre que coutume n’estoit ». En effet la justification par la foi y était nettement proclamée, au détriment du mérite des œuvres. La Sorbonne s’émut. Cop jugea opportun de s’enfuir à Bâle. Quant à Calvin, dont on connaissait la responsabilité dans cette affaire, il s’échappa par une fenêtre, déguisé en vigneron, et gagna le midi de la France. À peine avait-il quitté la maison que la police faisait une perquisition dans sa chambre et y saisissait tous ses papiers, ce qui entraîna des poursuites judiciaires contre lui.

Au cours de l’année qui suivit, il mena une vie errante qui le conduisit à Angoulême, où il séjourna quelque temps chez un de ses amis, puis il passa à Nérac, à la cour hospitalière de Marguerite de Navarre, qui lui fit un accueil très sympathique et chercha à le retenir. Le vieux Lefebvre joignit ses instances à celles de la reine : Farel venait de partir et le vieillard, découragé, se demandait qui Dieu susciterait pour relever le flambeau de la vérité, lorsque Calvin arriva. Les deux chrétiens ne tardèrent pas à se lier d’une amitié profonde, tout en différant d’avis quant à la marche à suivre. Lefebvre croyait en effet à la régénération de l’Église par elle-même et aurait voulu garder son nouvel ami auprès de lui pour collaborer à cette œuvre. Mais Calvin voyait la complète inanité d’une entreprise pareille ; il convainquit Lefebvre qu’il n’existait qu’un remède, radical : démolir avant de reconstruire, mettre la hache au pied de l’arbre et l’abattre résolument.

C’est pour cette raison que le paisible séjour de Nérac ne convenait pas au jeune réformateur, bouillant du besoin d’agir promptement et énergiquement. Il quitta donc Lefebvre qui le vit partir avec regrets, sachant bien qu’ils ne se rencontreraient plus ici-bas, et retourna à Paris, pour n’y rester que peu de temps, car il ne fallait pas attirer l’attention de la police. Le scandale des placards avait provoqué un violent regain de persécutions et l’affaire Cop était encore dans toutes les mémoires. Calvin jugea donc opportun de chercher un asile où il pût reprendre et continuer tranquillement ses études et se dirigea sur Strasbourg dans le plus grand dénuement : un des serviteurs qui l’accompagnait s’était enfui en dérobant la « bougette », petite sacoche qui contenait le peu d’argent que Calvin possédait. À Strasbourg son ami Bucer lui offrait une hospitalité pleine de charme. Mais Bâle l’attirait plus encore ; il s’y rendit au commencement de février 1535, « afin que là », dit-il, « je puisse vivre à requoy (en repos) en quelque coin inconnu, comme je l’avois toujours désiré ». Mais le Seigneur ne lui accorda jamais ce loisir propice aux savantes études. Il écrit à ce propos : « Cependant que j’avois toujours ce but de vivre en privé sans estre connu, Dieu m’a tellement promené et fait tournoyer par divers changements que toutefois il ne m’a jamais laissé de repos en lieu quelconque jusqu’à ce que, malgré mon naturel, il m’a produit en lumière, et fait venir en jeu, comme on dit ».

En France les persécutions sévissaient avec violence ; pour les justifier aux yeux des gens mal avertis, on calomniait les réformés en les faisant passer pour des « anabaptistes et gens séditieux qui renversaient tout ordre politique ». C’est pour les défendre contre ces imputations odieuses que Calvin entreprit de présenter un exposé succinct de leurs doctrines, intitulé Institution de la Religion chrétienne, publié à Bâle en latin d’abord dans un petit volume, traduit plus tard en français, puis développé jusqu’à devenir un véritable monument d’apologétique.

La place manque ici pour analyser, même sommairement, cet énorme ouvrage qui contient un exposé complet fortement charpenté, de la doctrine évangélique. Quoique, sur plus d’un point, il y ait des réserves sérieuses à formuler, il ne faut pas oublier qu’au moment où le livre parut, la Réforme en était encore à ses tout premiers débuts ; on manquait des lumières qui nous ont été révélées depuis. La tournure d’esprit de l’auteur, si profondément imprégnée de logique, l’a maintes fois amené à des déductions opposées à la révélation divine. Ainsi on y trouve développée une théorie de la prédestination étrangère à l’Écriture. Mais il n’en reste pas moins que l’Institution chrétienne, comme on la dénomme habituellement, rendit aux réformés du 16° siècle des services inappréciables. Elle fut, dans les mains de Dieu, un instrument merveilleux pour fortifier leur foi et les éclairer, car, — on ne saurait assez y insister, — ils avaient tout à apprendre. Dans sa préface, Calvin dédie son ouvrage à François Ier ; le roi, assure-t-on, ne se donna pas même la peine de la lire. Il vaut la peine d’en citer quelques extraits :

« Il m’a semblé expédient », écrit Calvin, « de faire servir ce présent livre, tant d’instruction à ceux que j’avois délibéré d’enseigner, qu’aussi de confession de foi envers vous, Sire, afin que vous connoissiez quelle est la doctrine contre laquelle d’une telle rage sont enflambés ceux qui par feu et par glaive troublent aujourd’hui votre royaume… Bien sais-je de quels horribles rapports ils ont rempli vos oreilles et votre cœur… assavoir qu’elle ne tend à autre fin sinon que tous règnes et polices soient ruinés, la paix troublée, les lois abolies. Je ne demande donc point sans raison que vous veuilliez prendre la connoissance entière de cette cause. … J’entreprends la cause commune de tous les fidèles, et même celle du Christ, laquelle aujourd’hui est en telle manière déchirée et foulée en votre royaume qu’elle semble être désespérée… car la puissance des adversaires de Dieu a obtenu que la vérité de Christ soit cachée et ensevelie comme ignominieuse, et que la pauvrette Église soit ou consumée par morts cruelles, ou déchassée par bannissements, ou tellement étonnée par menaces et terreurs qu’elle n’ose sonner mot. Et cependant nul ne s’avance qui s’oppose en défense contre telles furies. Et s’il y en a aucuns qui veulent paroistre très fort favoriser la vérité, ils disent qu’on doit pardonner à l’imprudence et ignorance de simples gens, car ils parlent en cette manière, appelant imprudence et ignorance la très certaine vérité de Dieu ». Que le roi écoute donc, non pour faire grâce aux victimes, mais pour se convertir lui-même à la vérité, qui ne peut pas ne pas devenir claire à qui l’écoute. S’il n’écoute pas, malheur à lui, car « on s’abuse si on attend longue prospérité en un règne qui n’est point gouverné du sceptre de Dieu, c’est-à-dire sa sainte Parole ». Le roi la repoussera-t-il parce que ceux qui la lui prêchent sont « pauvres gens et de mépris ? ». Pauvres ils sont en effet, misérables, mais devant Dieu, comme tous les hommes, en qualité de pécheurs, et c’est pour cela qu’ils s’attachent à cette doctrine qui fait leur force, leur richesse, leur joie, celle du salut par la foi, doctrine, ajoute Calvin, qui « n’est pas nôtre, mais du Dieu vivant et de son Christ ». Elle se résume en un seul point : le salut par Jésus, par Jésus seul. Que le roi daigne au moins lire le livre que l’auteur lui présente, et son courroux tombera. « Par icelle je n’ai prétendu composer une défense, mais seulement adoucir votre cœur, lequel, combien qu’il soit à présent détourné et aliéné de nous, j’ajoute même enflambé, toutefois j’espère que nous pourrons regagner sa grâce, s’il vous plaît une fois, hors d’indignation et courroux, lire cette nôtre confession… Mais si au contraire les détractions des malveillants empêchent tellement vos oreilles que les accusés n’aient aucun moyen de se défendre, et si ces impétueuses furies, sans que vous y mettiez ordre, exercent toujours cruautés par prisons, fouets, géhennes, coupures, brûlures, nous, certes, comme brebis dévouées à la boucherie, serons jetés en toute extrémité, tellement néanmoins qu’en notre patience nous posséderons nos âmes et attendrons la main forte du Seigneur, laquelle, sans doute, se montrera en sa maison et apparaîtra armée, tant pour délivrer les pauvres de leur affliction, que pour punir les contempteurs qui s’égayent si hardiment à cette heure. Le Seigneur, Roi des rois, veuille établir votre trône en justice et votre siège en équité ! »

Peu après la publication de l’Institution chrétienne, Calvin entreprit un voyage sur lequel malheureusement nous ne savons que peu de choses. Répondant à l’appel de la duchesse de Ferrare, Renée de France, fille de Louis XII, il se rendit dans cette ville et noua avec la duchesse des relations épistolaires d’estime affectueuse que seule la mort du réformateur interrompit. Il ne cessa de diriger et d’exhorter sa royale correspondante avec cette franchise admirable et il eut la joie d’apprendre sa conversion peu après qu’elle fut rentrée en France. Peu auparavant Calvin lui avait écrit. « Quoi qu’il en soit, c’est par trop languir, Madame, et si vous n’avez pitié de vous, il est à craindre que vous ne cherchiez trop tard remède à votre mal. Outre ce que Dieu vous a de longtemps montré par sa parole, l’âge vous avertit de penser que votre héritage et repos éternel n’est pas ici-bas. Et Jésus Christ vaut bien de vous faire oublier tant France que Ferrare ». C’est à Renée que Calvin adressa sa toute dernière lettre (4 avril 1564) : « Madame », écrit-il, « je vous prierai me pardonner si je vous écris par la main de mon frère, à cause de la foiblesse en laquelle je suis et des douleurs que je souffre… Je vous prierai aussi de m’excuser si cette lettre est courte auprès de la vôtre… ».

De Ferrare Calvin regagna la Suisse en passant par la vallée d’Aoste où l’Évangile se répandait rapidement, mais la haine du clergé le contraignit à une fuite précipitée. Traqué de près par ses adversaires, il aurait dû franchir le haut col de la Fenêtre de Bagnes ; mais cette assertion paraît controuvée.

Puis nous retrouvons Calvin à Noyon où il avait à mettre en ordre des affaires domestiques, sans que nous sachions comment il avait réussi à rentrer en France. Il reprit, aussi vite que possible, le chemin de Bâle, accompagné d’une de ses sœurs, Marie, et d’Antoine, le seul frère qui lui restât et qui allait être le compagnon obscur, mais dévoué, de sa vie. Ils se proposaient de gagner Bâle par l’Allemagne ; la guerre qui venait de se rallumer entre François Ier et Charles Quint les en empêcha et les contraignit à suivre la route de France. Telles sont les voies de Dieu qui conduit ses serviteurs par des chemins qu’ils ne prévoient ni ne comprennent.

C’est ainsi que Calvin arriva à Genève.
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016 - 21:04

Premier séjour à Genève


Au 14° siècle les bourgeois de Genève avaient acquis des franchises qu’ils défendaient avec une âpreté et une vivacité particulières, soit contre l’évêque, soit contre la maison de Savoie qui convoitait la possession de la ville, place de commerce intéressante et point stratégique de grande valeur. Deux partis s’y formèrent : celui des mamelous, partisans des Savoyards, et celui des Eiguenots (*), leurs adversaires farouches. Grâce à l’appui des premiers, le duc parvint à occuper momentanément la vaillante cité, mais les vengeances féroces qu’il exerça contre ses ennemis les provoquèrent à la résistance. Le duc quitta Genève pour n’y plus jamais rentrer. Les Genevois conclurent une alliance avec Fribourg d’abord, plus tard avec Berne.


(*) Ce mot est l’allemand Eidgenossen, « ceux qui sont liés par serment ». Il a donné en français huguenots.

Plusieurs indices donnent à croire qu’à ce moment-là déjà l’idée d’une Réforme travaillait les esprits ; elle trouvait un terrain propice chez ceux qui redoutaient l’autorité épiscopale et comme les évêques dépendaient étroitement de la maison régnante en Savoie, on voit que le mouvement religieux se compliquait de tendances politiques. D’autre part le gouvernement bernois avait confié à Guillaume Farel le soin d’évangéliser les contrées qui lui étaient échues après les guerres de Bourgogne ; il parcourut donc le pays de Vaud, visita Neuchâtel, où Berne prétendait avoir des intérêts, puis se rendit aux Vallées vaudoises du Piémont. À son retour il s’arrêta à Genève en 1532. Son apparition y suscita un tumulte effroyable ; le clergé qui était nombreux (300 prêtres et moines pour une population de 12.000 habitants) veillait à ne pas se laisser déposséder de son influence. Un témoin oculaire nous renseigne en termes pittoresques sur l’état des esprits :

« Que vas-tu faisant çà et là, troublant toute la terre ? » demandait rudement à Farel l’orateur des prêtres rassemblés chez le vicaire de l’évêque. « Qui t’a fait venir en ceste ville ? Dis-nous, de quelle autorité prêches-tu ? Pourquoi es-tu venu troubler ceste ville ? — Ce n’est pas moy qui ay troublé la terre, ne ceste ville », répondit Farel, « mais ce a esté vous et les vostres, qui avez troublé non seulement ceste ville, mais tout le monde par vos traditions et inventions humaines et vies tant dissolues ». À l’ouïe de ces reproches, les ecclésiastiques se précipitèrent sur lui, furieux. « Il a blasphémé », disaient-ils. « Nous n’aurons plus faulte de tesmoings, il est digne de mort. Au Rhône ! Il vault beaucoup mieux que ce meschant Luther meure que de troubler ainsi tout le peuple ». On tira sur lui un coup « d’acquebute » dans la rue, mais il n’en fut pas atteint, au grand regret de l’auteur de ce récit. Deux jours après son arrivée, Farel dut quitter Genève par le lac.

Un de ses compatriotes, Antoine Froment, le remplaça. Pour ne pas exciter de soupçons, il ouvrit une école où, tout en enseignant à lire à ses élèves, il leur expliquait les Écritures. Surpris de cette innovation, les parents se mirent à accompagner leurs enfants, bientôt si nombreux que la salle ne put plus les contenir. Alors Froment sortit dans la rue et, le 1er janvier 1533, il prêcha sur ce texte : « Soyez en garde contre les faux prophètes qui viennent à vous en habits de brebis, mais qui au-dedans sont des loups ravisseurs » (Matt. 7:15). Après cette prédication, les autorités défendirent de prêcher dans Genève sous peine de trois coups de corde et Froment fut contraint de s’éloigner en présence de l’irritation que montraient les partisans de l’ancienne tradition religieuse. Pendant un certain temps le mouvement sembla hésiter, mais Berne lui donna une impulsion nouvelle en déclarant au gouvernement genevois qu’il mettait comme condition au maintien de l’alliance récemment contractée la libre prédication de l’Évangile dans la ville. L’évêque, effrayé, s’en alla ; comme le duc, il ne revint pas.

La fermentation religieuse devenant de plus en plus intense, Fribourg, fidèle à ses principes catholiques, rompit avec Genève. Farel s’y présenta à nouveau, accompagné de Viret et de Froment. Ils ouvrirent des débats publics auxquels, au début, aucun membre du clergé catholique ne daigna assister ; l’ignorance des prêtres était telle qu’ils n’osaient pas affronter le combat, car Farel leur opposait inexorablement l’Écriture Sainte qu’ils connaissaient encore moins que n’importe quoi. Quelques ecclésiastiques se hasardèrent enfin à entrer en lice, parmi eux un savant dominicain, docteur en Sorbonne. Ce fut sans succès pour leur cause et, après quatre semaines de débats, la Réforme triomphait à Genève. Farel invita les magistrats à se prononcer en faveur de l’Évangile : « Ne souffrez plus que Dieu soit ainsi offensé dans votre ville… Advisez pour l’honneur de Dieu et jugez juste jugement : que la cause de Dieu ne soit mise en arrière ». Le courant populaire entraîna les autorités plus loin qu’elles ne voulaient aller. Les évangéliques dépouillèrent les églises de leurs ornements avec une vraie frénésie. Le Deux-Cents décida que la messe serait provisoirement abolie et, le 21 mai 1536, les citoyens, réunis en Conseil Général, par un vote unanime et solennel, acceptèrent la nouvelle doctrine.

Mais une décision de cette nature, si heureuse fût-elle, ne pouvait transformer les cœurs. La chute du catholicisme ne fit que révéler deux maux très graves qui avaient envahi la cité : l’immoralité et l’incrédulité. Farel s’y attaqua avec son énergie coutumière, montrant que l’Évangile seul pouvait apporter le remède nécessaire à ce funeste état de choses. Les obstacles se multipliaient du fait des attaques renouvelées du duc de Savoie contre la ville ; toutes les préoccupations allaient aux questions militaires. Mais Farel ne perdait pas courage ; il se sentait tenu de persévérer, de lutter sans trêve ni repos : si l’œuvre de Dieu devait échouer à Genève, il fallait au moins que le serviteur du Seigneur la soutint jusqu’au dernier moment. Petit de stature et d’apparence chétive, comme l’apôtre Paul (2 Cor. 10:1, 10), il grandissait, devant les rebelles, de toute la hauteur de son indignation et de sa foi. Les yeux se baissaient devant lui ; les murmures l’accompagnaient, mais de loin, et pour se taire encore dès qu’il se retournait. En chaire, il ne ménageait rien ni personne. Sa parole roulait comme un tonnerre, ses invectives pleuvaient à pleine coupe sur les contempteurs de l’Évangile.

Mais Viret l’avait quitté pour répondre à un appel qu’il avait reçu de Neuchâtel et Farel ne se sentait pas de taille à soutenir seul la lutte bien longtemps encore. Ardent batailleur, il démolissait, mais se rendait bien compte qu’il n’était pas l’homme à reconstruire sur les ruines qu’il amoncelait. Comme Luther, il lui fallait un Mélanchton.

Au milieu de ses perplexités, il vit un jour accourir chez lui Louis du Tillet, un chanoine à demi réformé, qui avait jadis reçu Calvin à Angoulême ; c’est dans la riche bibliothèque de son ami que le réformateur « ourdit premièrement, pour surprendre la chrestienté, la trame de son Institution chrestienne ». Apprenant que Calvin venait d’arriver à Genève, du Tillet crut devoir en informer Farel. Celui-ci n’hésita pas un instant et se rendit en toute hâte à l’hôtellerie où son collègue était descendu, croyant n’y passer qu’une nuit et repartir le lendemain pour Bâle. Brusquement Farel exposa le but de sa visite : Calvin avait devant lui une tâche tout indiquée à Genève ; à tout prix il devait s’arrêter, interrompre son voyage, tout le travail qu’il pouvait avoir en chantier ; Dieu lui-même lui traçait sans ambages le chemin à suivre. Calvin repoussa la proposition qui lui était faite. Il ne se sentait pas qualifié, disait-il, pour cette charge. Il voulait bien être l’ouvrier du Seigneur dans la grande moisson qui se préparait, au besoin soldat du Seigneur dans la bataille ; mais défricher un champ, mais accepter la garde d’un poste déterminé, ce n’était pas son affaire. S’il avait rendu quelques services, n’était-ce pas par un livre, fruit du travail et de l’étude ? Qu’on le laissât donc aller là où il pourrait en écrire d’autres. Farel insista. Le livre était fait ; quel autre pourrait valoir le commentaire que l’auteur y ajouterait en mettant en pratique les préceptes qui s’y trouvaient consignés ? Qui avait le droit d’ailleurs, alors que, de toutes parts, la trompette sonnait, de dire qu’il n’était pas homme d’action, que sa tâche était d’étudier, d’écrire ? La preuve que Dieu attendait de Calvin autre chose, c’était que lui Farel, se trouvait sur son chemin et lui demandait sa collaboration au nom de Dieu. Là-dessus Calvin allégua des raisons nouvelles, cherchant, semblait-il, à rebuter Farel en lui peignant les défauts de l’homme qui deviendrait son collègue. Il se connaissait, disait-il ; il se savait tenace, opiniâtre. Encore une fois, qu’on le laissât s’ensevelir dans ses études ; là seulement il pouvait valoir quelque chose. Alors Farel éclata :

« Quand il vit », raconte Calvin lui-même, « qu’il ne gagnait rien par prières, il vint jusqu’à une imprécation, demandant qu’il plût à Dieu de maudire mon repos et la tranquillité d’études que je cherchais, si, en une si grande nécessité, je me retirois et refusois de donner secours et aide. Lequel mot m’épouvanta et ébranla tellement, comme si Dieu eust d’en haut étendu sa main sur moi pour m’arrêter, que je me désistai du voyage que j’avois entrepris ; toutefois, sentant ma honte et ma timidité, je ne voulus point m’obliger à exercer une charge certaine ».

Calvin céda donc, mais comme devait céder un caractère de sa trempe, c’est-à-dire avec la profonde conviction qu’il cédait à Dieu, non à un homme. Mais l’homme lui resta toujours cher et vénérable. Il aimait à se rappeler cette scène, cette « adjuration épouvantable ». Aux jours mauvais, il reprenait courage à la pensée de cette main « étendue d’en haut » pour le saisir et le soutenir, et aux jours heureux il remerciait le Seigneur de l’avoir choisi et soutenu. Il se la rappela sans doute quand le vieux Farel le vint voir pour la dernière fois, lui plus jeune de tant d’années, mais consumé avant le temps. Farel ne venait plus, ce jour-là, pour « l’arrêter », mais pour lui envier le bonheur du départ auprès du Seigneur et les félicités du repos sans fin.


Calvin se trouvait ainsi, contre son gré, fixé sur le champ de travail auquel Dieu le destinait. À part un court intervalle, il y resta jusqu’à la fin de sa vie, soit pendant près de vingt-huit ans qu’il employa à faire de Genève la « Rome protestante ». Il y a de sérieuses réserves à énoncer sur l’organisation qu’il créa de toutes pièces, toujours en suivant le penchant très logique de son esprit, au lieu de se laisser diriger par l’Esprit de Dieu. On lui objecterait avec raison, selon Jean 6:63: « C’est l’Esprit qui vivifie ; la chair ne profite de rien ». Néanmoins on ne peut qu’admirer, et en rendre grâces à Dieu, la ténacité avec laquelle il tint tête aux assauts incessants qu’il subit, qu’il repoussa toujours, au nom de la vérité qu’il défendit avec opiniâtreté envers et contre tous.

De concert avec Farel il rédigea une Confession de foi, « un bref formulaire de confession et de discipline », selon Théodore de Bèze, ainsi qu’un Catéchisme pour l’instruction de la jeunesse. Le premier de ces ouvrages surtout, reflet ou plutôt synthèse des principes développés dans l’Institution chrétienne, mérite de retenir l’attention.

Rejetant toute tradition ecclésiastique, Calvin exige la soumission de la vie tout entière à la lettre de la Parole de Dieu, « règle à suivre, sans y mêler aucune chose, sans y ajouter ni diminuer ». « Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité » (Jean 4:24). Donc point de « cérémonies et observances charnelles, comme si Dieu se délectoit en telles choses ». Point de « fiance en créature aucune ». Point d’images dans les temples, ni représentation de Dieu. « Comme Dieu est le seul Seigneur et Maître, nous confessons que toute notre vie doit être réglée aux commandements de sa sainte loi, et que nous ne devons avoir autre règle de bien vivre, ni inventer autres bonnes œuvres pour complaire à lui que celles qui y sont contenues ».

« Aveugle en ténèbres d’entendement », corrompu et « pervers de cœur » (*1), l’homme ne peut, par lui-même, ni parvenir à la vraie connaissance de Dieu, ni « s’adonner à bien faire » (*2). Il a donc besoin d’être « illuminé de Dieu » et « redressé à l’obéissance de la justice de Dieu ». Conséquence de ce qui précède, l’homme doit « chercher autre part qu’en soi le moyen de son salut ».


(*1) Rom. 3:10-19 — (*2) Rom. 7:18-20. 

Jésus est celui qui nous « a été donné du Père, afin qu’en lui nous recouvrions tout ce qui nous fait défaut en nous-mêmes » (*1). C’est par lui que nous sommes « réconciliés et remis en grâce » (*2) c’est par l’effusion de son sang que « nous sommes nettoyés » de toutes nos souillures.


(*1) Actes 4:12 — (*2) Col. 1:21.

Telle est l’œuvre de son Esprit. Notre volonté « est rendue conforme à celle de Dieu » (*1). Nous sommes « délivrés de la servitude du péché » (*2), et c’est ainsi seulement que « nous sommes faits capables de bonnes œuvres » (*3). Cependant, malgré la régénération, il reste en nous beaucoup de mal et d’imperfections. Ainsi nous « avons toujours besoin de la miséricorde de Dieu » et nous devons toujours « chercher notre justice en Jésus Christ, ne rien attribuant à nos œuvres ».


(*1) Phil. 2:13 — (*2) Rom. 6:6 — (*3) 2 Tim. 2:21.


Tous ces bienfaits nous sont accordés « par la seule miséricorde et clémence de Dieu, sans aucune considération du mérite de nos œuvres ». Et cependant les œuvres « que nous faisons en foi » lui sont « plaisantes et agréables », parce que, ne nous imputant point « l’imperfection qui y est », il ne voit plus en elles que ce qui « procède de son Esprit ». La foi est « l’entrée à toutes ces richesses ». Elle consiste à croire « aux promesses de l’Évangile », et à recevoir Jésus Christ « tel qu’il nous est décrit par la Parole de Dieu ».

Tout nous vient de Dieu par l’intermédiaire de Jésus Christ ; toute autre invocation est donc superflue et même criminelle. Toute prière qui ne « procède pas de l’affection du cœur est nulle ». Point d’ordonnances légitimes que celles qui sont fondées sur la Parole de Dieu ; point donc de « pèlerinages, moineries, différences de viandes, défenses de mariage, confesses et autres semblables ».

Suivent enfin des instructions concernant la cène et le baptême.

Jusqu’ici, on le voit, Calvin se tient sur le terrain strictement évangélique. Mais il l’abandonne complètement dans ses Articles concernant le règlement de l’Église, qui investissent les autorités civiles de la fonction de rechercher et de punir toute infraction aux lois chrétiennes. Aux pasteurs le droit de provoquer tous les règlements qu’ils jugent nécessaires, de signaler aux magistrats les délits, d’en prescrire la punition. Après avoir proclamé très haut la miséricorde de Dieu, sa grâce envers le pécheur repentant, Calvin replaçait Genève sous l’étreinte d’une loi implacable. Il constituait « l’État chrétien », sans se rendre compte que cette qualification demeure stérile tant que tous ceux qui composent l’État ne sont pas chrétiens eux-mêmes ; la foi est affaire individuelle qu’on ne peut imposer à la collectivité. Comment ranger sous le même drapeau les convertis et les inconvertis ? Le système de Calvin engendrait fatalement l’hypocrisie. Appliqué avec une vigueur excessive, il contraignait ceux qui voulaient échapper aux pénalités draconniennes prévues contre les délinquants, à mener une vie apparemment conforme à l’enseignement biblique. Mais cela ne pouvait durer indéfiniment. Un jour ou l’autre une infraction était commise, qui entraînait le châtiment ou bien provoquait la révolte. Il n’y a pas à mettre en doute la piété, l’absolue sincérité d’une partie importante de la population de Genève ; mais même dans ces milieux régnait un formalisme capable de tuer la vie spirituelle, la stricte observance des devoirs religieux étant l’objet d’un contrôle sévère. Et comment faire faire l’examen des cœurs ? Comment s’assurer de la réalité de la conversion, du moment que toute liberté quelconque était éteinte et que le devoir primordial consistait à suivre le chemin tracé par la loi humaine et non pas celui donné par la Parole de Dieu ?

On fait remarquer que Calvin suivait ici la ligne générale de son époque où, longtemps avant lui, on limitait à outrance. À la fin du Moyen Âge, faute d’une organisation politique solidement établie, les magistrats prenaient souvent des mesures rigoureuses pour enrayer par exemple les dépenses inconsidérées des citoyens, faute de quoi ceux-ci n’arrivaient pas à acquitter leurs impôts et les villes couraient à la ruine. Pour ne citer que Genève, on y relève, peu avant la Réformation, quatre ordonnances contre les jeux de hasard, quatre autres contre les abus de danses, d’autres contre la débauche, l’ivrognerie, les blasphèmes. Les lois somptuaires, destinées à prévenir les excès dans la mode, s’imposaient. Mais on regrette d’autant plus de voir Calvin, l’Évangile en mains, suivre des pratiques analogues sans montrer au préalable le vrai remède : le salut personnel par la foi dans l’œuvre de Jésus.

À Genève les luttes prolongées contre les ducs de Savoie et les évêques avaient stimulé au plus haut point le sentiment de la liberté. Les citoyens ne l’avaient emporté que par leurs propres efforts, sans aucun secours du dehors, sauf quelque appui de la part des Bernois. Fiers à juste titre de cette indépendance politique, acquise ainsi à la force du poignet, ils ne toléraient pas la moindre mainmise quelconque sur les droits de la cité. La même tendance se retrouvait dans les relations quotidiennes : chacun prétendait vivre pour soi et mener son existence comme il lui convenait ; peu lui importait son entourage. C’était l’individualisme poussé à outrance ; l’unité ne se reconstituait que pour tenir tête à l’ennemi du dehors. On comprend donc que les mesures disciplinaires prévues par Calvin produisirent une impression des plus pénibles. Toutefois on s’y soumit d’abord, dans l’espoir sans doute qu’à la pratique elles se révéleraient moins gênantes qu’on ne le craignait. Néanmoins des murmures se firent entendre :

« Calvin », disait-on, « était chargé d’expliquer l’Écriture ; de quel droit se mettait-il à faire autre chose, à parler des mœurs, à censurer ? Il faisait bien de montrer qu’on ne voulait plus la messe, et le pape, et la confession, et le reste. Prétendait-il relever une autorité abattue, pour devenir comme le confesseur et le pénitencier de la cité ? ». Calvin ne se fit point illusion sur la virulence de ces attaques. « Nous sommes en face des plus graves difficultés », écrivait-il à son ami Bullinger, le pasteur de Zurich ; « le peuple, en brisant le joug des prêtres, croit avoir secoué toute autorité en ce monde. Des citoyens disent. « La connaissance de l’Évangile nous suffit ; nous savons le lire, et nos actions ne vous regardent pas ». La plupart des hommes sont plus disposés à nous regarder comme prédicants que comme pasteurs. Ah que le relèvement de l’Église sera chose difficile ! Il faudra lutter contre les plus mauvaises inspirations de la chair et du sang ».

Mais Calvin et Farel étaient de ceux qui s’affermissent dans les périls qu’ils prévoient. Ils insistèrent auprès des conseils de la ville sur la nécessité absolue qu’ils voyaient de prendre des mesures immédiates et énergiques en vue du rétablissement des mœurs ; les magistrats leur donnèrent raison, non sans avoir obtenu de légers adoucissements, et l’exécution du plan tracé commença.

On ferma les maisons de jeu ; des joueurs ayant été saisis avec des dés pipés, l’un d’eux fut condamné à être exposé une heure, à Saint-Gervais, avec ses cartes autour du cou. Un adultère et sa complice furent promenés ignominieusement à travers les rues. L’auteur d’une mascarade ignoble dut demander pardon, à genoux, dans la cathédrale. Un homme coupable de faux serment fut hissé sur une échelle et y resta plusieurs heures, la main droite attachée en haut. Une coiffeuse, qui avait paré avec immodestie une jeune épouse, se vit condamnée à deux jours de prison. Des parents subirent des châtiments pour avoir négligé ou refusé d’envoyer leurs enfants à l’école. Au surplus, Calvin disait : « Je ne blâme pas les amusements au fond ; la danse et les jeux de cartes ne sont pas, en soi, un péché ; mais combien facilement ces plaisirs parviennent à dominer ceux qui s’y adonnent fréquemment ! Là où l’impureté est devenue une ancienne habitude, il faut éviter tout ce qui amène le danger d’y retomber ».

Cette police morale fut d’abord bien accueillie : les riches y étaient soumis, comme les pauvres, les grands comme les petits ; aucun lien de famille, aucun mérite politique n’en exemptait. Un homme considérable, pris en faute, faisait valoir auprès de Calvin les services qu’il avait rendus à Genève dans ses jours de péril pour l’indépendance nationale : « C’est un acte de mauvais citoyen », lui répondit Calvin, « quand on a versé son sang pour la patrie, de réclamer pour récompense le droit de pécher et de donner de mauvais exemples ».

Il faut ajouter que les deux réformateurs ne se bornèrent pas à réprimer, bien loin de là. Ils savaient combien il importe d’atteindre les cœurs et les consciences et d’agir puissamment sur les âmes. Aussi ils multiplièrent leurs relations, leurs visites, leurs enseignements dans l’intérieur des familles. Ils cherchaient à mettre à la portée de tous leurs doctrines avec leurs préceptes et s’appliquaient à bien connaître les opinions des citoyens, à rallier et encourager les croyants, à éclairer, à raffermir les incertains. Ce travail produisit des résultats bénis dont, comme toujours, l’ennemi se servit pour redoubler de malveillance. Les passions opposées s’enflammaient, les partis se dessinèrent avec netteté et se séparèrent profondément. C’est alors que l’on constitua le groupe des Libertins, terme auquel il ne faut pas appliquer le sens péjoratif que nous lui donnons de nos jours, bien que certains de ses membres ne l’aient que trop mérité. En principe les Libertins étaient les indépendants, les adversaires de toute sujétion politique, morale ou religieuse, les ennemis déclarés par conséquent du nouvel ordre de choses ; ils avaient beau jeu pour faire vibrer cette corde-là : « Que restait-il des vieilles franchises de la ville ? On ne les avait donc conservées, malgré le duc, malgré l’évêque, que pour se laisser imposer, au nom de la religion, des lois auxquelles l’évêque n’avait jamais songé et que le duc n’aurait pas appuyées ? »

Faisant un pas de plus, les pasteurs demandèrent que la Confession de foi fût imprimée et présentée à chacun des habitants de la ville, pour qu’ils déclarassent, par leur signature, s’ils y adhéraient ou non. Le résultat ne se fit pas attendre : à côté de ceux qui acceptèrent joyeusement et d’autres, moins nombreux, qui opposèrent leur refus, il se trouva un certain nombre de citoyens qui ne dirent ni oui ni non. Selon nos idées, ils étaient dans leur droit ; selon la conception du 16° siècle, ils faisaient acte de révolte, et en furent sévèrement blâmés, surtout par Corault, un collègue de Calvin et de Farel, jadis moine, ensuite prédicateur à la cour de Navarre, vieux, aveugle, et plein de verve, à l’éloquence inculte, mais puissante. Ses excès de langage, en cette occurrence, comme dans d’autres, obligèrent les magistrats à le mettre en prison, pour quelques jours, il est vrai ; il n’en sortit que pour s’entendre condamner à l’exil. Il mourut peu après.

Les élections qui suivirent donnèrent la majorité aux Libertins dans les Conseils de la ville. Des quatre syndics, trois leur appartenaient. On voit aussitôt réapparaître « certaines mauvaises mœurs, tant de nuit que de jour, ainsi que chansons et paroles déshonnêtes ». Les nouveaux magistrats cherchèrent à y mettre ordre, mais comment faire respecter leur autorité alors qu’on connaissait leur désapprobation à l’endroit des mesures restrictives ? Ils hésitaient cependant devant la perspective de luttes où, depuis dix-huit mois, la passion de leurs partisans et les leurs propres les poussaient de jour en jour.

Un incident d’ordre liturgique amena l’explosion. Les Conseils de la ville adoptèrent une modification au rituel établi, sans en référer à l’autorité ecclésiastique. Comme il s’agissait de la célébration de la Cène, Calvin et Farel déclarèrent qu’ils ne la distribueraient pas à ceux qui admettaient l’innovation proposée. Ils n’en montèrent pas moins en chaire le dimanche de Pâques 1538, non pour parler du Seigneur, mais pour vitupérer contre leurs adversaires, magistrats et citoyens. Il en résulta un violent tumulte et, le lendemain, les deux pasteurs reçurent l’ordre de « vider la ville dans trois jours ».

Il y a certainement beaucoup à leur reprocher. Néanmoins, pour apprécier à sa juste valeur leur attitude agressive et peu en harmonie avec les principes évangéliques, il importe de la situer dans l’ambiance de l’époque. Très violemment attaquée, la Réforme était provoquée à se défendre tout aussi âprement. Ces serviteurs de Dieu commirent des fautes ; mais nous savons par ailleurs leur ardent désir de suivre le Seigneur tout en marchant dans sa dépendance. Calvin s’en est expliqué en ces termes : « Toutes les fois que je pense combien j’ai été malheureux à Genève, je tremble dans tout mon être ; le souci de l’état des âmes, dont un jour Dieu me demanderait compte, me mettait au supplice quand j’avais à distribuer la Cène ; bien que la foi de beaucoup d’entre eux me parût douteuse, suspecte même, ils s’y pressaient tous sans distinction. Je ne saurais dire de quels tourments ma conscience était assiégée, le jour et la nuit ».

Farel retourna à Neuchâtel, séparation douloureuse pour les deux amis dont l’affection s’était affermie dans les luttes soutenues en commun. Quant à Calvin, il se rendit à Strasbourg où il ne tarda pas à occuper une position en vue comme pasteur et comme professeur : chaque matin il donnait une leçon sur l’Évangile selon Jean. Au pied de sa chaire se groupait un nombreux auditoire où l’on voyait beaucoup de réfugiés français, avides d’entendre expliquer la Parole de Dieu. Chargé aussi de plusieurs missions en Allemagne, Calvin entra ainsi en contact avec les protestants de ce pays. Dans ces diverses réunions, où l’on agitait des questions fort importantes et profondes, ainsi que des controverses épineuses, il apporta un esprit modéré, vraiment inspiré de la pensée du Seigneur. Non pas qu’il ne condamnât sans pitié les erreurs qui s’étaient déjà glissées parmi les chrétiens ; mais là où faire se pouvait, il déploya toute son énergie pour éviter les divisions, pour rapprocher les cœurs sur le terrain de la vérité, exhortant chacun à renoncer aux animosités personnelles et à rechercher la communion des enfants de Dieu. Il n’avait nullement désiré jouer ce rôle, écrit-il : « Combien que toujours je continuasse à estre semblable à moi-même, c’est à savoir de ne vouloir point apparoistre en grandes assemblées, je ne sais comment toutefois on me mena, comme par force, aux dites assemblées où bon gré malgré il me fallut trouver en la compagnie de beaucoup de gens ».

Chose étrange, Calvin ne rencontra jamais Luther et le regretta vivement : « Rien n’est plus important », écrivit-il à un ami, « que de maintenir une vraie harmonie entre tous les hommes à qui le Seigneur a confié, dans ce qui le concerne, une sérieuse influence. C’est sur ce point que Satan a les yeux fixés ; il ne travaille à rien tant qu’à susciter parmi nous des querelles et à nous isoler les uns des autres ». En revanche Calvin se lia d’une amitié intime avec Mélanchton, malgré les qualités très divergentes de leurs caractères : autant Calvin avait de précision et de fermeté dans l’esprit, autant son ami était doux, accessible aux influences diverses, facile à ébranler et à intimider, soit par ses proches, soit par ses adversaires, et enclin aux concessions pour éviter la lutte. Frappé de ces dispositions et de leurs inconvénients pour leur cause commune, Calvin fut pour Mélanchton un censeur indépendant et véridique, le mettant en garde contre ses faiblesses, sans toutefois jamais le blesser ; au contraire, ses lettres sont empreintes de la mansuétude la plus parfaite, jointe à une fermeté bien avertie.

En effet, et quoi qu’on ait dit à ce sujet, Calvin était homme de cœur, très attaché à ses amis, et il avait besoin d’affection. « Son cœur était dans sa tête », a-t-on affirmé ; mais il lui manquait aussi un dérivatif à son travail intense. Il songea à se marier. S’il ne trouva pas facilement la compagne qu’il lui fallait, c’est qu’il désirait, dans cette conjoncture de toute importance, n’agir que sous la direction expresse du Seigneur. Il fit enfin la connaissance d’une veuve avec trois enfants, Idelette Storder, originaire de la petite ville de Bure en Gueldre. Bucer la suivait de près. Il avait vu ses belles et solides qualités se développer encore, dans son veuvage, sous le poids de l’épreuve et du devoir. Le choix de Calvin se fit bientôt. Idelette lui apportait en dot une piété sérieuse, une tendresse vigilante, un cœur enfin à la hauteur de tous les sacrifices. Elle fut pour lui une compagne dévouée et le réformateur rencontra réellement chez elle « l’aide qui lui correspondait ». Ses lettres, où il parle assez fréquemment de sa femme, permettent de fixer sa physionomie morale ; ce sont les traits de la chrétienne, appliquée à tous les devoirs de sa vocation. Visiter les pauvres, consoler les affligés, accueillir les étrangers qui viennent frapper à la porte de son mari ; veiller à son chevet durant les jours de maladie, ou lorsque, bien disposé « par tout le reste du corps », il est « tourmenté d’une douleur qui ne le souffre quasi rien faire », tellement qu’il a « presque honte de vivre ainsi inutile » ; le soutenir aux heures de découragement et de détresse ; prier, enfin, seule au fond de sa demeure, quand l’émeute gronde de toutes parts et que, dans les rues, s’élèvent des cris de mort contre les ministres : voilà les soins qui remplissaient la vie d’Idelette.

Pendant ce temps, à Genève, l’administration des Libertins produisait ses fruits désastreux qui entraînaient de graves périls politiques. On attaquait la Confession de foi ; on congédiait, sous prétexte d’insoumission, les maîtres du Collège fondé par Calvin ; chaque nuit, quand ce n’était pas de jour, on assistait en pleine rue à des scènes grossières de licence. Aussi les catholiques relevèrent la tête. Une conférence se réunit à Lyon « pour chercher et mettre en œuvre les moyens de rétablir dans Genève l’ancienne religion ». Les bannis, de leur côté, visaient à mettre la main sur la ville. Enfin les vrais patriotes s’émurent. Devant ces intrigues extérieures le crédit des Libertins baissa rapidement et les hommes d’ordre et de piété reprirent le leur. Exprimée d’abord timidement, l’idée de rappeler les réformateurs exilés fit son chemin et ils en furent informés. Au premier moment Calvin s’y refusa catégoriquement, malgré les instances de Farel — qui, lui, ne pouvait quitter Neuchâtel — et répondit à ce dernier : « je savois bien », lui écrivait son ami, « que tu me presserois ; mais tu aurois eu pitié de moi si tu avois vu quelle angoisse m’a saisi quand ce message m’est arrivé ; j’étois à peine en possession de moi-même. Quand je me rappelle quelle vie j’ai menée là, je frissonne jusqu’au dedans de l’âme à l’idée d’y retourner. C’était à grand-peine alors que j’estouffois les pensées de fuite qui s’élevoient en moi ; je me sentois les mains et les pieds liés à cette ville par la volonté de Dieu. Et maintenant que sa grâce m’a rendu libre, j’irois de nouveau, par ma propre volonté, me replonger dans cet abîme dont je connois si bien l’horreur et les périls ! … Et pourtant, plus je me sens enclin à me détourner avec effroi de cette tâche, plus j’entre en défiance de moi-même. Je laisse donc l’affaire aller toute seule, et je prie mes amis de ne pas me presser. Je n’abandonnerai en aucun cas l’Église de Genève qui m’est plus chère que la vie ; je ne cherche pas ma commodité ni des subterfuges ; mais il faut que la volonté de Dieu me soit claire pour que je puisse marcher en sûreté et sous sa bénédiction ».

Cette volonté se manifesta toujours plus clairement. Le Conseil général de Genève révoqua l’arrêt d’exil prononcé trois ans auparavant et déclara « tenir Calvin et Farel pour gens de bien et de Dieu, et approuver tout ce que le Conseil d’État avoit fait pour ravoir Calvin et tout ce qu’il pourroit faire encore ». Calvin résista longtemps aux démarches faites auprès de lui dans ce sens, tellement les souvenirs terrifiants de son premier séjour le hantaient. « Plutôt cent autres morts », écrit-il à Farel, « que cette croix sur laquelle mille fois par jour il me faudrait périr ». Il finit pourtant par céder aux arguments de Viret et aux objurgations de Farel : « Plus mon esprit recule d’horreur devant cette charge et plus je me deviens suspect à moi-même… Non pas ce que je veux, ô Dieu, mais ce que tu veux ! » Longtemps après, racontant ses angoisses de cette époque : « Enfin », dit-il, « le regard de mon devoir, que je considérois avec révérence et conscience, me gagna, et fit condescendre à retourner vers le troupeau d’avec lequel j’avois été comme arraché ; ce que je fis avec tristesse, larmes, grande sollicitude et détresse, comme le Seigneur m’en est très bon témoin ».

On dépêcha à Worms, où il résidait alors, un héraut pour le chercher. Deux conseillers reçurent mission de l’installer dans la maison qu’on lui destinait. Les registres de la ville donnent d’intéressants détails à cet égard :

« Ordonné qu’il lui soit acheté du drap pour lui faire une robe… Fait mandement au trésorier de livrer pour la robe de Maistre Calvin, enclus drap et fourrure, huit écus soleil. Salaire de Maistre Calvin, lequel est homme de grand savoir et propice à la restauration des Églises chrestiennes, et supporte grande charge de passants : sur quoi résolu qu’il ait de gage par an cinq cents florins, douze coupes de froment et deux bossots de vin ».

Rentré à Genève, Calvin se garda bien de faire montre des appréhensions qu’il avait ressenties. Il demanda seulement au Conseil de « mettre ordre sur l’Église et que iceluy fust mis par écrit ». Quand, le dimanche suivant, il monta en chaire, il ne prononça pas le discours émouvant auquel beaucoup de personnes s’attendaient, ne fit pas la moindre allusion au passé, mais reprit simplement l’explication de l’Écriture au verset où il en était resté trois ans auparavant. Le peuple l’accueillit avec joie. « Il fut tellement reçu de singulière affection », dit Théodore de Bèze, « par ce pauvre peuple affamé d’ouïr son fidèle pasteur, qu’on ne cessa point qu’il ne se fût arrêté pour toujours » ; car le Conseil de Strasbourg avait d’abord refusé de faire plus que de le prêter aux Genevois ; il fallut de longs et laborieux pourparlers pour que Strasbourg consentît enfin à renoncer à le voir revenir.
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016 - 21:04

Second séjour à Genève


Le second séjour de Calvin à Genève dura vingt-trois ans, soit jusqu’au jour de sa mort. Il n’y a pas lieu de s’y arrêter très longuement ; bien des traits rappellent le premier. Calvin développa encore les principes, affirmés dans l’Institution chrétienne, en profitant de ses expériences qui lui dictèrent quelque modération, sans que, pour cela, il transigeât sur ce qu’il envisageait comme essentiel, c’est-à-dire l’absolue soumission de la population entière à la doctrine évangélique, enseignée dans l’Écriture Sainte, sous peine, pour les récalcitrants, des châtiments les plus sévères. L’Église et l’État demeuraient étroitement unis, avec leurs rôles respectifs mieux délimités que par le passé ; le cas échéant, ils se prêtaient mutuel appui. Calvin mit un soin particulier à proclamer très haut et à maintenir intégralement l’autorité de la Parole de Dieu, guide de toute la vie quotidienne et base unique de toute prédication. Celle-ci devait toujours reposer sur un passage biblique dont les pasteurs n’avaient à s’écarter sous aucun prétexte, pour faire des digressions morales ou autres. Calvin leur recommandait d’être brefs et incisifs, d’éviter toutes les longueurs qui risqueraient de fatiguer les auditeurs. « Il y a une chose dont je veux parler », écrivait-il un jour à Farel. « On dit que la longueur des sermons est un sujet de plainte. Tu m’as dit toi-même plus d’une fois que tu voulois y veiller ; ne l’oublie pas, je t’en supplie… Et puisque ce n’est pas pour notre propre édification que le Seigneur nous appelle à monter en chaire, mais pour celle du peuple, il est de ton devoir de te modérer de telle sorte que la Parole de Dieu n’ait pas à pâtir de ce que tu auras lassé les gens ». Même observation sur les prières, bien que Farel, au dire de tous les contemporains, priât admirablement. « Il vaut mieux prier longuement en particulier, brièvement dans l’assemblée. Si tu attends de tous une ardeur égale à la tienne, tu te trompes ».

Calvin donnait aussi une grande importance au chant. « Certes », disait-il, « les oraisons des fidèles sont froides, si bien que cela doit nous tourner à grande honte et confusion. Les psaumes nous pourront inciter à élever nos cœurs à Dieu, et nous émouvoir à une ardeur tant de l’invoquer que d’exalter par louanges la gloire de son nom ». En attendant qu’on eût des cantiques en nombre suffisant, on chantait des Psaumes, traduits par Clément Marot et par Théodore de Bèze. Calvin avait un tel souci de ne jamais s’écarter du texte biblique qu’il fit imprimer, au bas de chaque page, la traduction exacte, en prose, du texte hébreu, ne voulant pas qu’on pût attribuer au psalmiste ce qui pouvait être dû aux exigences de la versification.

Dans tout ce travail d’organisation, Calvin trouva d’actifs collaborateurs parmi ceux qui avaient contribué à son retour à Genève. On est ému et reconnaissant à Dieu de ce qu’il suscita, en faveur de son œuvre, une pareille pléiade d’hommes, entièrement dévoués à la cause de l’Évangile. Ce noyau se maintint solide au milieu des orages qui surgirent ; le Seigneur ne resta donc pas sans témoins dans cette ville de Genève, souvent si rebelle à la vérité et si encline à méconnaître les bénédictions dont elle avait été l’objet.

Il est bon de préciser dans quelle mesure Calvin s’occupa de l’administration de la ville ; on se fait parfois des opinions exagérées à ce sujet. Son autorité resta essentiellement morale et ecclésiastique, mais on avait l’habitude de le consulter sur les matières les plus diverses, sans pour cela suivre nécessairement son avis. On s’adressait à lui quand il s’agissait de conclure un traité avec Berne, comme aussi sur l’introduction d’un nouveau moyen de chauffage ; on lui confiait volontiers la rédaction d’une note diplomatique ; on le chargeait même de négociations avec les États voisins. Il faut dire que la très haute culture de Calvin le désignait tout naturellement à des missions délicates. Mais on aurait tort de parler d’une « tyrannie » qu’il aurait exercée sur la cité. Souvent on ne se rangeait pas à ses conseils. Ses ouvrages étaient soumis à la censure, comme tout ce qui s’imprimait à Genève ; on lui imposait certaines corrections et il devait les accepter. En revanche, dans le domaine des mœurs, Calvin exerça une autorité incontestable, qui donna à la ville une physionomie tout à fait à part : plus de fêtes mondaines, de spectacles, de danses, de débauche ; le luxe est banni ; la simplicité règne dans les vêtements et à table ; les crimes, les délits, qui abondaient, se font rares. Tout respire l’ordre, l’honnêteté, la pureté, la décence, la piété.

Mais de nouveau Satan mit tout en œuvre pour entraver les efforts des défenseurs de la Parole de Dieu. Instruits par les fautes qu’ils avaient commises, les Libertins crurent de bonne politique de se tenir sur une réserve prudente, tout en suivant de près les actes du réformateur ; leur perspicacité, sans cesse en éveil, leur permit de tirer parti des fautes commises par Calvin dans l’application trop rigide et sans appel de son système. Ils surent exciter la population contre ce qu’ils taxaient d’atteintes portées aux anciennes libertés de Genève, mot juste en apparence, si la liberté consiste à faire tout ce qu’on veut, sans tenir compte de son prochain, ni surtout des enseignements de Dieu, mais foncièrement inique quand on considère sous son vrai jour l’œuvre de régénération morale que poursuivait Calvin, en montrant aux citoyens les sentiers du Seigneur et surtout en leur faisant voir où trouver le salut de leurs âmes.

Ce furent de nouveau des vexations sans nombre, imaginées par les Libertins pour entraver l’œuvre de Dieu : tapages, orgies nocturnes, débauche, rien n’y manquait. Un jour Calvin dirigeait une étude biblique ; devant lui se groupaient des centaines d’hommes, parmi eux nombre de futurs prédicateurs et de futurs martyrs. Soudain on entendit au-dehors un grand vacarme, des éclats de rire immodérés, des cris, des propos malsonnants, qui forcèrent Calvin à s’interrompre dans son exposé. C’étaient une vingtaine de Libertins qui donnaient, par haine contre le réformateur, un échantillon de leurs allures et de ce qu’ils appelaient la liberté. Contre de pareils forcenés qui, à leur honte, assistaient encore aux services religieux, Calvin n’avait qu’une arme à employer, celle de l’excommunication. Il en usa et il en résulta un orage tel qu’il s’attendit à une nouvelle sentence d’exil. Il l’annonça dans une de ses prédications où il avait pris pour sujet les adieux de Paul aux Éphésiens (Actes 20:17-38) et tout l’auditoire fondit en larmes quand il termina par les paroles mêmes de l’apôtre : « Je vous recommande à Dieu et à la parole de sa grâce ». Le Seigneur intervint en faveur de son serviteur ; il inclina les cœurs des magistrats à une plus juste compréhension des événements et Calvin sortit grandi de cette dure épreuve.

La question des réfugiés servit de nouveau prétexte à la haine des Libertins. Genève considérait comme un devoir et un honneur d’accueillir avec une généreuse hospitalité les nombreux fugitifs de France « pour cause de religion » qui venaient lui demander assistance ; à beaucoup elle accordait le droit de bourgeoisie. Or les Libertins s’indignaient de les voir se multiplier dans la ville ; ils ne comprenaient rien à ce pieux héroïsme qui leur avait fait quitter châteaux et terres pour devenir simples sujets d’une toute petite république et se soumettre à ces ordonnances rigides dont eux, bourgeois, ne voulaient pas. Quant à ceux qui gagnaient leur vie du travail de leurs mains, on ameutait contre eux les artisans en leur faisant redouter une concurrence ruineuse, reproche des plus immérités, car, partout où ils s’établirent, ces réfugiés apportaient, avec l’exemple d’un travail consciencieux et persévérant, des procédés nouveaux. Le Seigneur permit qu’ils fussent ainsi en riche bénédiction matérielle à leur entourage. C’est lui encore qui réduisit à néant les odieuses machinations des Libertins contre ces nobles témoins de la vérité. L’émeute ourdie contre eux avorta piteusement. Les révoltés eurent beau crier et faire crier que les réfugiés allaient saccager la ville ; les citoyens ne s’émurent pas ou du moins ne s’émurent que pour aller grossir les rangs des amis de l’ordre. Les Libertins semblaient avoir pris à tâche de ne mériter aucune indulgence. Plusieurs d’entre eux subirent la peine de mort ; d’autres avaient fui ; le reste fut exilé.

Au plus fort de ce conflit éclata l’affaire de Michel Servet. Espagnol d’origine, il avait, dans plusieurs ouvrages, énoncé des théories fort désordonnées, matérialistes et panthéistes, et contestait la doctrine de la Trinité. En politique il s’affichait comme un révolutionnaire. Établi à Vienne en Dauphiné, il n’avait échappé que par une fuite précipitée à une sentence de mort par le feu, formulée par le tribunal catholique. Plus tard on le trouve à Genève. Calvin le signala aussitôt à la justice comme un individu dangereux. Il s’ensuivit un long procès au cours duquel on donna à l’accusé toutes les possibilités de se défendre et aussi de se rétracter. Il les repoussa, affichant une intransigeance hautaine et s’en prenant surtout à Calvin qu’il accabla d’outrages. « Misérable ! » s’écria-t-il, « tu ne sais ce que tu dis ; tu persistes à condamner ce que tu n’entends point. Penses-tu étourdir les juges par ton aboy ? Tu as l’entendement confus, en sorte que tu ne peux entendre la vérité. Tu en as menti, tu en as menti, tu en as menti, calomniateur ignorant ! »

Un tel entêtement entraînait une condamnation, et d’après la jurisprudence contemporaine c’était la mort. Mais, avant de se prononcer, les juges, sentant la gravité des circonstances, prirent l’avis des autorités de Bâle, Berne, Schaffhouse et Zurich. Leurs réponses, unanimes, se résument dans celle de Zurich : « Vous ne laisserez venir en avant la méchante fausse intention de votre dit prisonnier, laquelle est totalement contraire à la religion chrétienne, et donne de grands scandales ». Le Conseil de Genève se rangea à cette opinion et Servet fut brûlé vif.

On a violemment exploité cette affaire contre Calvin ; il s’est expliqué lui-même en ces termes : « Depuis que Servet fut convaincu de ses hérésies, je n’ai fait nulle instance pour le faire condamner à mort ; et de ce que je dis non seulement toutes gens de bien me seront témoins, mais aussi je dépite (je défie) tous les malins qu’ainsi ne soit ». Une fois la sentence prononcée, il insista vivement, mais sans succès, pour que le coupable fût décapité. On déplore néanmoins que, versé comme il l’était, dans les Écritures, il n’ait pas mis à profit cette exhortation du Seigneur : « Soyez miséricordieux, comme aussi votre Père est miséricordieux ; et ne jugez pas, et vous ne serez point jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez point condamnés » (Luc 6:36-37). Une fois de plus, il faut faire ici la part de l’esprit du siècle ; en présence des bûchers qui, en France surtout, s’allumaient de tous côtés, on comprend que la notion de tolérance ait eu peine à se frayer un chemin. Tout en réprouvant ces procédés, soyons reconnaissants de ce que nous en apprenons : ayons en horreur le mal, les fausses doctrines, sous quelque forme qu’elles se présentent, et prenons pour règle de conduite ces mots de 1 Jean 2:6: « Celui qui dit demeurer en lui, doit lui-même aussi marcher comme lui a marché ».

Ces conflits incessants, le travail énorme qui lui incombait ne contribuèrent pas peu à aggraver l’état de santé de Calvin, qui avait toujours été frêle. Après avoir eu la douleur de voir mourir en bas âge ses trois enfants, il eut celle, plus poignante encore, de perdre sa femme au bout de neuf ans à peine de mariage. « J’ai perdu », écrit-il à Viret, « l’excellente compagne de ma vie, celle qui ne m’eust jamais quitté ni dans l’exil, ni dans la misère, ni dans la mort. Elle m’estoit une aide précieuse, ne s’occupant jamais d’elle-même… Je comprime ma douleur tant que je puis ; mes amis font leur devoir, mais eux et moi, nous gagnons peu de chose. Tu connois la tendresse de mon cœur, pour ne pas dire sa foiblesse ».

Quoique jeune encore (il n’avait que trente-neuf ans), Calvin ne contracta pas de nouvelle union et se consacra avec d’autant plus d’ardeur aux tâches multiples qui lui incombaient. Par les nombreux réfugiés qui affluaient à Genève, par les relations qu’il avait nouées au cours de ses voyages en Suisse, en France, en Allemagne, en Italie, il se tenait au courant de tout ce qui concernait la Réforme dans l’Europe entière. Cette préoccupation à elle seule l’entraînait à une correspondance prodigieuse dans laquelle il faut comprendre les lettres innombrables, empreintes d’une profonde sympathie, qu’il adressait à ceux qui souffraient pour l’Évangile.

Calvin a beaucoup publié. À côté de l’Institution chrétienne qu’il remania sa vie durant, en la développant à chaque nouvelle éditions (*), et de nombreux écrits de controverse, il convient de citer ses commentaires sur presque tous les livres de la Bible, pleins de simplicité, de sagesse, de sens pratique. « Je sais », disait-il lui-même, « combien plusieurs trouveroient mieux à leur goût qu’on fît un amas de beaucoup de matières, d’autant que cela a grand lustre et acquiert bruit à ceux qui le font ; mais je n’ai rien en plus grande recommandation que de regarder à l’édification de l’Église. Dieu, qui m’a donné le vouloir, fasse par sa grâce que l’issue en soit telle ! ». Son étude sur le livre de Job surtout eut de son temps une grande réputation ; Coligny se la faisait lire et relire. Pour ces hommes vivant parmi tant de troubles, Job était comme la personnification de ces « tristesses, craintes, douleurs, doutes » dont le cœur humain est assailli. Un de ses derniers soucis, une grande joie aussi, fut la fondation de l’Académie de Genève.


(*) La première édition comprend six chapitres, la dernière quatre-vingts.

Calvin vécut toujours dans une austère simplicité, soucieux de n’imposer à personne la moindre dépense superflue en ce qui le touchait. C’est le trait que le pape Pie IV se plut à reconnaître en lui, lorsqu’il apprit sa mort : « Ce qui a fait la force de cet hérétique », disait-il, « c’est que l’argent n’a jamais été rien pour lui ». Le Conseil de Genève a peine à lui faire accepter, de temps à autre, un cadeau de vin ou de bois. Même dans les bonnes années, c’est tout juste s’il noue les deux bouts, « vu cette grande charge de passants », écrit-il, mais il ajoute : « Je ne dis point cela pour me plaindre. Dieu est bon envers moi, puisque j’ai tout ce qui suffit à mes désirs ».

Ses maux s’aggravaient. Douleurs à la tête et aux jambes, maux d’estomac, crachements de sang, la respiration pénible, la goutte et la pierre, rien ne manquait à ce long supplice et, au début de 1564, on se rendit compte qu’une issue fatale n’était pas douteuse. En février, tandis qu’il prêchait, une toux violente lui coupa la parole et sa bouche se remplit de sang. Les médecins lui interdirent tout service public, mais il continua à travailler dans son cabinet, malgré les instances de ses amis. « Sa réplique ordinaire était qu’il ne faisoit comme rien ; que nous souffrissions que Dieu le trouvât toujours veillant et travaillant à son œuvre comme il pourrait, jusques au dernier soupir ».

Sentant la fin approcher, il désira parler encore une fois aux magistrats et leur demanda audience. Le Conseil décida de se transporter en corps dans l’humble maison de la rue des Chanoines, où l’on vit arriver, dans toute la pompe des cérémonies publiques, les vingt-cinq seigneurs de la cité. Leurs registres ont conservé le résumé des paroles de Calvin : il les remercia « de ce qu’il leur avoit plu lui faire plus d’honneur qu’il ne lui appartenoit, les priant de l’excuser d’avoir fait si peu au prix de ce qu’il devoit tant en public qu’en particulier, et estimant que messeigneurs l’ont supporté en ses affections trop véhémentes, auxquelles il se déplaist, et dans ses vices, comme Dieu a fait de son côté ». Puis il leur tendit la main. « Je ne sais », dit Théodore de Bèze, « s’il eût pu advenir un plus triste spectacle à ces seigneurs qui le tenoient tous, et à bon droit, quant à sa charge comme la bouche du Seigneur, et quant à l’affection comme leur propre père, car il en avoit connu et dressé une partie dès leur jeunesse ».

Le lendemain il voulut voir les pasteurs. Il leur tint un discours « dont la substance estoit qu’ils ne perdissent pas courage ; que Dieu maintiendroit la ville et l’Église, bien qu’elles fussent menacées de plusieurs endroits. Que chacun se fortifiât en sa vocation ; que ce seroit pour nous rendre bien coupables devant Dieu si les choses, estant avancées jusqu’ici, venoient après en désordre par notre négligence… Il bailla la main à tous l’un après l’autre, ce qui fut avec telle angoisse et amertume de cœur d’un chacun, que je ne saurois même me le ramentevoir (rappeler) sans une extrême tristesse ».

Farel, le plus ancien des amis de Calvin, manquait auprès de son lit de mort. Il annonça son intention de venir le voir et persista à faire le voyage, bien que Calvin lui-même cherchât à l’en dissuader. « Bien te soit, très bon et cher frère », lui écrivit-il, « et puisqu’il plaist à Dieu que tu demeures après moi, souviens-toi de notre constante union dont le fruit nous attend au ciel, comme elle a esté profitable à l’Église de Dieu. Je ne veux pas que tu te fatigues pour moi. Je respire à grand-peine et j’attends d’heure en heure que le souffle me manque. Mais c’est assez que je vive et meure en Christ, qui est un gain pour les siens en la vie et la mort. Encore une fois, adieu, toi et tous les frères tes collègues ». Malgré ses quatre-vingts ans, Farel fit à pied le trajet de Neuchâtel à Genève, où il ne passa qu’une journée. Le lendemain, il prêcha, puis il prit le chemin du retour.

Les derniers jours de Calvin ne furent, nous dit son ami, qu’une prière continuelle. Souvent il répétait ces mots du Psaume 39:9: « je suis resté muet… car c’est toi qui l’as fait », ou ceux-ci d’Ésaïe 38:14: « Je gémissais comme une colombe ». Peu à peu « ses prières et consolations assidues » furent « plutôt soupirs que paroles intelligibles, mais accompagnées d’un tel œil que le seul regard témoignoit de quelle foi et espérance il estoit muni ». Le 27 mai « il sembla qu’il parloit plus fort et plus à son aise ; mais c’estoit un dernier effort de la nature ». Le soir, vers huit heures, il expira, et « voilà comme, en un même instant, le soleil se coucha et la plus grande lumière qui fust dans ce monde pour l’Église du Seigneur fut retirée auprès de lui ».

Les funérailles de Calvin se firent avec la plus grande simplicité. Il avait enjoint que tout se fît « à la façon accoutumée », c’est-à-dire qu’aucun monument ne s’élevât sur aucune tombe, quelque illustre que fût le défunt. La terre seule donc couvrit le cercueil de Calvin et il n’y eut d’autre épitaphe officielle que cette demi-ligne, écrite à côté de son nom sur le registre du Consistoire : « Allé à Dieu le samedi 27 ».


 Conclusion


On se représente volontiers Calvin comme le législateur de la Réforme. Ce trait ressort des portraits qu’on a de lui et qui le montrent souvent avec l’index de la main droite levé, geste qui lui était familier et bien connu chez ceux qui cherchent à tout prix à s’imposer à leur interlocuteur. Son visage émacié, taillé en lame de couteau, son regard aigu et pénétrant font encore ressortir une intelligence portée à dominer au nom de la logique implacable dont elle est animée.

Calvin ne convoitait pourtant pas l’autorité personnelle. Son tempérament timide, réservé, le portait à s’effacer lui-même ; il se fût volontiers contenté de se tenir dans la coulisse, tandis que les autres se présentaient au combat. Non pas qu’il y eût chez lui le moindre soupçon de lâcheté ; la suite des événements prouva abondamment le contraire ; mais il lui manquait le caractère d’un guerrier d’avant garde. Ce n’est pas pour lui-même qu’il luttait, mais bien pour un principe essentiel qui inspira toute sa doctrine : celui de la souveraineté absolue de Dieu. Comme on l’a remarqué, pour Luther la demande capitale de la prière enseignée par Jésus à ses disciples était celle-ci : « Remets-nous nos péchés ». Pour Calvin c’est : « Que ton nom soit sanctifié ». Cette toute-puissance de Dieu se manifeste dans l’œuvre de la création, comme dans celle de la rédemption. De là à proclamer la prédestination il n’y avait qu’un pas. Selon Calvin, qui suivait ici plusieurs Pères de l’Église, Dieu aurait décidé par avance, au nom de sa souveraineté, lesquels d’entre les hommes seront sauvés, tandis que les autres ne le seront pas, ne pourront pas l’être. Ainsi le sort de chacun aurait été fixé dès l’éternité. Calvin entrevit ce que sa doctrine a de contraire à la grâce de Dieu qui « apporte le salut… à tous les hommes » (Tite 2:11) ; il l’offre à tous sans exception aucune. Conscient de cette difficulté insurmontable, Calvin déclare que c’est un « mystère » que l’homme ne saurait sonder. « Ce sont », dit-il, « choses que Dieu a voulu être cachées, et dont il s’est retenu la connaissance » ; c’est « la hautesse de sa sapience, laquelle il a voulu plutost adorée de nous que comprise et assujettie au sens humain ». Et il ajoute : « Nous disons que ce conseil, quant aux élus, est fondé en sa miséricorde, sans aucun regard de dignité humaine. Au contraire, que l’entrée de la vie est forclose à tous ceux qu’il veut livrer en damnation, et que cela se fait par son jugement occulte et incompréhensible, combien qu’il soit juste et équitable » (*). Il n’en reste pas moins que Calvin se trouve ici en opposition formelle avec l’Écriture Sainte ; néanmoins, tout autant que les autres réformateurs, il reconnaît, sans réserve aucune, l’autorité inconditionnelle de la Parole de Dieu.


(*) Institution chrétienne III, 21.

À cause de cette souveraineté pleine et entière, il ne saurait y avoir aucun intermédiaire entre Dieu et l’homme, sinon « l’homme Christ Jésus » (1 Tim. 2:5). Du coup Calvin abolit le rôle que l’Église catholique s’est arrogé à cet égard. Ainsi, il est sacrilège quiconque prétend s’interposer, Église ou prêtre. À Dieu seul revient la gloire d’attirer l’âme, même la plus égarée, même la plus faible ; le nouveau-né n’a nul besoin, pour échapper à la perdition, du soutien de l’Église. L’homme dépend donc entièrement de Dieu et nullement des autres hommes ; il sera leur serviteur pour obéir à l’enseignement du Seigneur (2 Cor. 4:5), mais ne sera assujetti à aucun joug humain. Dans ce sens Vinet a pu écrire : « Le christianisme est dans le monde l’immortelle semence de la liberté ».

Comment donc expliquer le régime extrêmement rigoureux imposé par Calvin à Genève ? Il n’avait pas à créer ici de toutes pièces un système jusque-là inconnu, mais devait extirper un mal invétéré, des habitudes profondément ancrées, réformer les mœurs, tout cela pour la gloire de Dieu. Non pas que le mal fût plus grave à Genève qu’ailleurs ; partout le cœur de l’homme est désespérément mauvais et Calvin aurait agi de même partout où le Seigneur l’eût placé.

Nombreuses certainement furent les fautes commises par Calvin, dues les unes à sa tournure d’esprit, les autres aux circonstances dans lesquelles il se débattait. Malgré sa connaissance approfondie de la Bible, trop souvent il ne la suivait pas au pied de la lettre, parce qu’il laissait intervenir l’élément humain. Aux grands maux les grands remèdes : ce dicton est à sa place lorsqu’on veut chercher à comprendre, sans l’excuser, l’attitude prise par Calvin. Et quand on considère ce qu’il était de nature, son goût pour l’étude, son aversion pour la lutte, qu’expliquent entre autres sa santé déb..., les cruelles souffrances physiques qu’il endurait, on reste émerveillé de l’œuvre du Seigneur chez son serviteur : « De faible qu’il était, il fut rendu vigoureux, il devint fort dans la bataille » (Héb. 11:34). Intrépide devant le danger, doué des plus hautes qualités intellectuelles, d’une piété très vivante, ce fut un des témoins de la vérité les plus remarquables de son temps et de tous les temps. Il réalisa tout particulièrement cette promesse faite à Paul : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans l’infirmité » (2 Cor. 12:9). Au milieu de la veulerie générale de nos jours, c’est un utile et salutaire enseignement que de considérer la figure de Jean Calvin, qui courait « avec patience la course » qui était devant lui, « fixant les yeux sur Jésus, le chef et le consommateur de la foi » (Héb. 12:1-2).
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016 - 21:05

Les Réformés en France depuis la mort de François Ier (1547) jusqu’à l’Édit de Nantes (1598)


Après François Ier son fils, Henri II, monta sur le trône. À la suite de celui-ci régnèrent successivement ses trois fils, François II, Charles IX et Henri III, et enfin Henri IV, roi de Navarre, soit six souverains en 63 ans (1547-1610). Sous les quatre premiers de ces princes, la France traverse une des périodes les plus sombres de son histoire, marquée par les guerres de religion ; Henri IV rétablit l’ordre et la paix en promulguant le célèbre édit de Nantes (1598). Celui-ci assure aux réformés des avantages importants, qu’ils ne conservent du reste pas longtemps ; Richelieu déjà leur en enlève plusieurs. Toutefois l’édit subsiste nominalement : les réformés ont au moins droit à l’existence, jusqu’à ce que, en 1685, Louis XIV leur enlève brutalement tout ce que son grand-père leur avait octroyé.

Comme on l’a vu plus haut, les réformés se laissèrent aller à nouer des alliances politiques avec les partis hostiles à la royauté, celui des nobles tout particulièrement. Cherchant ainsi de l’appui auprès des hommes, acceptant avec empressement celui qu’on leur offrait volontiers, car on appréciait hautement leur sûreté morale à une époque où les valeurs de cet ordre ne comptaient plus guère, les réformés acquirent de la puissance matérielle, mais perdirent du même coup le sentiment de leur dépendance vis-à-vis du Seigneur. Ils connaissaient pourtant ces mots du Ps. 146:3, 5, 7 : « Ne vous confiez pas dans les principaux, dans un fils d’homme, en qui il n’y a pas de salut… Bienheureux celui qui a le Dieu de Jacob pour son secours, qui s’attend à l’Éternel, son Dieu,… qui exécute le jugement en faveur des opprimés ».

Par la force des choses, les alliances qu’ils contractèrent déchaînèrent des conflits à main armée, ce qui prouve surabondamment la gravité de l’erreur qu’ils commirent. Comme toute guerre civile, ces luttes religieuses amenèrent un déploiement d’horreurs sans nom ; la France presque entière fut mise à feu et à sang. Pas plus que leurs adversaires, les réformés ne manifestèrent la moindre tolérance, la moindre commisération à l’égard de ceux qui ne partageaient pas leurs opinions ; le 16° siècle, il faut le dire, ignorait totalement ces notions, si répandues aujourd’hui. Néanmoins les réformés avaient dans leurs mains la Parole de Dieu, qui dit : « Si celui qui te hait a faim, donne-lui du pain à manger, et s’il a soif, donne-lui de l’eau à boire ; car tu entasseras des charbons ardents sur sa tête, et l’Éternel te le rendra » (Prov. 25:21, 22 ; Rom. 12:20). Trop fréquentes furent les scènes hideuses de dévastation et de carnage, avec le lamentable spectacle de populations entières, tristes débris d’affreux massacres, errant de ville en ville et de canton en canton, chassées de leurs demeures et n’en trouvant pas d’autres. On reconstituait l’itinéraire que ces malheureux avaient suivi aux monceaux de cadavres qui jalonnaient les chemins. Catholiques et protestants faisaient preuve de la même férocité, combien éloignée de l’exemple donné par le Prince de paix ! Deux hommes en particulier s’acquirent un sinistre renom de cruauté : le catholique Montluc et le protestant des Adrets. Les garnisons égorgées tout entières, les puits comblés de corps humains, les arbres des chemins utilisés comme gibets, marquaient partout la trace de Montluc. Quant à Des Adrets, on raconte entre autres, qu’après la prise d’une ville, il fit couper la tête à la moitié des défenseurs de la place et força les autres à se précipiter du haut d’une tour sur les pointes des piques de ses soldats. L’un d’eux hésitait. « Tu te reprends à deux fois », lui cria Des Adrets. « Eh monseigneur », répliqua le malheureux, « je vous le donne en dix ». Il fut, dit-on, le seul qui obtint grâce.

Une partie de la noblesse tenait pourtant pour la royauté, à qui elle allait faire payer cher son appui. Les chefs de ce groupe appartenaient à la famille des Guises, bien connus par la haine implacable qu’ils vouaient à quiconque se réclamait du nom du Seigneur. À leurs côtés il faut nommer la reine mère, Catherine de Médicis, femme de Henri II, qui exerça, sur ses trois fils, l’influence la plus néfaste. En tant qu’Italienne, elle s’adonnait volontiers aux arts magiques, à la sorcellerie, à l’astrologie, dont sa patrie était l’un des ardents foyers. Nièce du pape Clément VII, dont elle connaissait et partageait la haine contre toute innovation religieuse, elle n’eut pas de peine à attiser celle que son royal époux avait apprise à l’école du précédent monarque.

Les réformés étaient à ce moment-là en nombre. On évalue leur effectif à environ le sixième de la population de la France. Ils comptaient dans leurs rangs l’élite du pays : gens de lettres, juristes, soldats, jusqu’à des hommes qui avaient appartenu autrefois à l’Église romaine. Malgré tout, ils restaient faibles, faute de ne pas s’en tenir strictement aux enseignements de la Parole de Dieu. Ils se réunissaient régulièrement, mais pas pour la fraction du pain, cela sous l’influence de Calvin qui ne voulait pas que la Cène fût distribuée autrement que par des pasteurs officiellement institués. De la sorte ils méconnaissaient la promesse du Seigneur que, « là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Matt. 18:20). Au lieu de réaliser l’unité du Corps de Christ, ils ne constituaient que des groupements isolés les uns des autres et se privaient ainsi de la joie qu’il y a pour les chrétiens à rappeler la mort du Seigneur, selon son désir, en rompant le pain et à célébrer ensemble son amour pour ses rachetés.

Mais il y avait parmi les réformés des âmes d’élite, en toute première ligne l’amiral de Coligny. Appelé à un poste de premier rang dans l’armée du roi, il déploya, dans maintes occasions, les plus rares talents militaires et n’eut jamais en vue que l’indépendance et la prospérité de son pays. À ces buts il sacrifia tous ses intérêts personnels. Fait prisonnier à Saint-Quentin par les Espagnols, il fut conduit au fort de l’Écluse, non loin de Genève, puis à Gand. Durant sa captivité, Coligny lut avec fruit la Bible et plusieurs écrits sur les graves questions qui agitaient alors la chrétienté. L’indomptable patience des réformés, jetés sur les bûchers ou abandonnés dans d’immondes cachots, inspira une vive sympathie à son âme généreuse. Une fois rendu à la liberté, il professa hautement sa foi en l’œuvre accomplie de Christ pour lui, comme pour les pécheurs qui mettent leur confiance en lui. La profondeur et la sincérité de ses convictions, son caractère intrépide, son ardent désir de servir le Seigneur en toute fidélité, sa prudence calme, ses mœurs pures, éloignées du faste et des désordres de la cour, tout cela fait de la figure de l’amiral de Coligny une des plus nobles que nous offre l’histoire de France.

Et l’on aime à placer à côté de lui, quoiqu’il se trouve dans le camp opposé, Michel de l’Hôpital, homme éminent, magistrat intègre, qui tout en demeurant attaché à la foi catholique, n’en fut pas moins favorable aux réformés et rêva la tolérance dans un siècle de persécutions.


Henri II inaugura son règne en faisant brûler quatre huguenots le jour de son avènement. Malgré tout la Réforme continua à gagner du terrain ; aussi les rigueurs redoublèrent. Par l’édit de Châteaubriant le roi ordonna que le crime d’hérésie devait être recherché par les juges civils tout autant que par les juges ecclésiastiques ; si donc les accusés étaient acquittés par les uns, ils ne manqueraient pas d’être frappés par les autres. De plus les dénonciateurs devaient recevoir non plus le quart des biens des condamnés, mais le tiers : appât jeté à la cupidité, au fanatisme. Bien plus, les propriétés des émigrés pour cause de religion seraient confisquées au profit du roi. Interdiction formelle d’écrire aux fugitifs, de leur envoyer quoi que ce fût, en particulier de l’argent. Enfin l’édit ajoutait ce qui suit : « Il ne sera imprimé ni vendu aucuns livres concernant la sainte Écriture, faits depuis quarante ans en çà, que premièrement ils n’aient été vus et visités… Comme en notre ville de Lyon il y a plusieurs imprimeurs et qu’ordinairement il s’y apporte grand nombre de livres étrangers, même de ceux qui sont grandement suspects d’hérésie, nous ordonnons que, trois fois l’an, il sera fait des visites dans les officines et boutiques d’imprimeurs, marchands de livres, par deux bons personnages d’Église ». Mais « la Parole de Dieu n’est pas liée » (2 Tim. 2:9) ; elle est « vivante et opérante, et plus pénétrante qu’aucune épée à deux tranchants » (Héb. 4:12) ; Henri II dut s’en rendre compte. Aveuglé par sa femme, entraîné par ses mauvais conseillers, il convoqua une séance spéciale du Parlement de Paris, où chacun des conseillers eut à émettre séance tenante son avis sur les mesures à prendre contre les « novateurs ». La plupart recommandèrent de renforcer les pénalités établies, mais il se trouva deux hommes pour émettre une opinion différente.

Le conseiller Faur alla jusqu’à dire en face du roi : « Craignez qu’on ne dise de vous cette parole adressée jadis par Élie à Achab : « C’est toi et la maison de ton père qui troublez Israël ? » (1 Rois 18:17). Henri II frémit de rage, mais se contint.

Là-dessus Anne Dubourg, un des plus jeunes conseillers, prit à son tour la parole. Son visage demeurait calme, mais sa bouche allait articuler des vérités qui soulevèrent une violente tempête : « Il est des hommes », dit-il, « qui commettent contre les lois plusieurs crimes dignes de mort, des blasphèmes, des adultères, des débauches de toute espèce, et ces crimes restent impunis malgré leur énormité, tandis qu’on demande des supplices contre des gens à qui l’on ne peut reprocher aucun crime ». C’était lancer, sans le vouloir peut-être, un trait contre le roi lui-même, dont la vie adultère était assez connue.

Le fidèle conseiller continue : « Peut-on en effet imputer le crime de lèse-majesté à des hommes qui ne font mention des princes que dans leurs prières et pour appeler sur eux la protection du Très-Haut ? On sait parfaitement qu’ils ne sont pas séditieux ; mais on affecte de les regarder comme tels, parce que, s’appuyant sur les Saintes Écritures, ils ont arraché tout prestige à la puissance romaine et exposé au plein jour la turpitude d’une Église qui penche vers sa ruine ; parce qu’enfin ils demandent de salutaires réformes qui, seules, peuvent ramener l’Église à sa dignité primitive ».

Blessé au vif, foulant aux pieds l’inviolabilité du Parlement, Henri Il fit aussitôt saisir Faur et Dubourg et les jeta à la Bastille. Quelques mois plus tard, ce dernier subissait le supplice du feu. Dans sa rage Henri II s’était promis d’assister à l’exécution ; Dieu lui-même le lui interdit. Au cours d’un tournoi, un de ses courtisans l’atteignit à l’œil d’un coup de lance. On le transporta dans son palais, souffrant horriblement. Le mal ne fit qu’empirer ; aux douleurs physiques s’ajoutaient les remords cuisants : « Ils sont innocents », s’écriait l’infortuné souverain en songeant aux deux conseillers. « Dieu me punit de les traiter si mal ». — « Rassurez-vous, Sire », lui dit le cardinal de Lorraine, un de ces Guises qui furent le fléau de la France, « rassurez-vous ! De telles pensées ne sont que des suggestions du démon ». Tout l’art des médecins fut inutile ; au bout d’un mois Henri II expirait, laissant le trône à son fils François II, un enfant de seize ans.

Sous son règne, comme sous ceux de ses deux successeurs, le caractère politique des guerres de religion ne fit que s’accentuer. Il ne saurait entrer dans notre dessein de les raconter en détail. Pour les réformés, elles sont marquées par des alternatives de succès et de revers ; à peine leur a-t-on accordé certains avantages qu’on les leur retire, d’où renouvellement continuel des hostilités. Charles IX leur octroie l’édit de Janvier, suivi de l’horrible massacre de Vassy, perpétré à l’instigation du duc de Guise. Mais celui-ci ayant été assassiné à la satisfaction de Catherine de Médicis qui redoutait son ambition, la reine mère consentit à signer la paix d’Amboise, puis celle de Saint-Germain : les réformés obtenaient la liberté de conscience et l’autorisation de célébrer le culte domestique ; mais le culte public n’était toléré que dans quelques villes et dans les maisons de la noblesse. Mais Catherine était de ces « ouvriers d’iniquité, qui parlent paix avec leur prochain, tandis que la méchanceté est dans leur cœur » (Ps. 28:3). Ces concessions n’étaient à ses yeux qu’un leurre, destiné à endormir les huguenots, afin de leur fondre dessus avec d’autant plus de succès. Elle n’avait qu’un but en vue : l’extermination de tous les réformés, jusqu’au dernier. Animée d’un esprit diabolique de dissimulation, elle travaillait à réaliser son désir en y mettant une persévérance extraordinaire, prête aussi à recourir à tous les moyens, même les plus pervers. On l’a comparée à bon droit à un requin qui suit le navire dans l’attente de sa proie, que la mer soit calme ou qu’elle soit agitée. Le royaume était en effet divisé en deux camps, égaux en apparence et irréconciliables. Malgré plusieurs campagnes, les catholiques n’avaient aucune perspective de venir à bout de leurs adversaires. C’est alors que Jézabel recourut aux procédés qui lui étaient chers entre tous : la trahison et le meurtre secret. Les historiens les plus sérieux affirment sans hésitation que la raison d’État ne saurait en aucun cas être invoquée pour justifier le massacre de la Saint-Barthélemy. Rome n’avait rien à redouter pour sa suprématie, ni le roi de France pour son autorité. Il ne faut y voir qu’un acte dicté par le fanatisme, par le ressentiment que nourrissait Catherine à l’égard des enfants de Dieu.

À ses côtés se trouvent le pape Pie II et Philippe II, roi d’Espagne. Ce sont trois étrangers qui portent la responsabilité première de cette machination inique. D’autres y trempèrent, mais ils ne pouvaient rien faire aboutir sans la sanction royale. Le Souverain Pontife tordit les Écritures pour persuader à Charles IX qu’il se trouvait dans la même position que Saül, roi d’Israël, lorsque Samuel lui enjoignit, de la part de l’Éternel, de « détruire entièrement » Amalek (1 Sam. 15:3). Mais Saül désobéit à l’ordre divin et il lui en coûta son trône et sa vie. Charles IX comprit l’allusion et consentit à ce que l’on exterminât tous les huguenots, afin qu’il n’en restât pas un seul pour lui reprocher son forfait.

Grâce au traité de Saint-Germain, les réformés jouissaient de quelque repos. Catherine et ses suppôts en profitèrent pour ourdir mieux leur complot. Attirer à Paris les chefs huguenots, les combler de caresses, pour les massacrer tous à la fois, voilà le plan infernal déjà conçu en 1564 et différé jusqu’au moment propice. Le vieux chancelier Michel de L’Hôpital soupçonna, puis eut la certitude de ce qui se tramait contre les réformés. Retiré des affaires avec le sentiment de son impuissance à faire naître une paix durable, il supplia la cour de ne pas étouffer la voix de la justice et de la clémence. Mais Coligny, trop droit pour croire à une infraction au traité de paix et à de vils guet-apens, se laissa émouvoir par l’accueil affectueux que lui fit le roi, en l’appelant son père. Charles IX lui promit de réparer certains torts qu’avaient subis des réformés de la part de catholiques trop zélés.

Pour mieux donner créance à ses allures hypocrites, Catherine de Médicis mit tout en œuvre pour amener le mariage de sa fille Marguerite avec Henri de Navarre, plus tard roi de France sous le nom de Henri IV et fils de Jeanne d’Albret. Celle-ci, douée d’un caractère ferme et décidé, avait fait profession publique de sa conversion et, grâce à elle, les pratiques catholiques furent abolies en Navarre. Si l’on considère que ce petit royaume se trouvait sur les flancs des Pyrénées, entre la France et l’Espagne, deux puissances entièrement dévouées au pape, on conviendra que Jeanne montra là un beau courage, en même temps qu’une admirable confiance en Celui auquel elle voulait rendre témoignage envers et contre tout. Malgré les menaces terribles qu’on lui adressa, elle n’en persévéra pas moins dans la voie où elle était entrée si résolument. Pendant douze ans le Seigneur la protégea puissamment et elle mit ce temps à profit pour faire traduire et publier la Bible dans le dialecte du pays ; elle créa des écoles, étudia les lois comme un juriste et améliora de façon très intelligente le bien-être de ses sujets. Quoique à regret, elle donna son consentement au mariage projeté. À cet effet elle rendit visite à la cour de France qui résidait alors à Blois. Le roi et sa mère lui prodiguèrent toutes les marques de l’amitié et l’engagèrent à prolonger son séjour auprès d’eux. Mais Jeanne s’y refusa ; elle devait, disait-elle, se rendre encore à Paris. Après quelques jours elle tomba malade de façon très mystérieuse, infectée, à ce qu’on croit, par des gants empoisonnés que lui avait remis un certain maître René, parfumeur florentin, mais connu surtout comme l’empoisonneur de la reine. Au bout de cinq jours Jeanne d’Albret s’endormit paisiblement dans le Seigneur, sans la moindre parole de reproche à l’adresse de ses meurtriers.

Le mariage fut célébré le 18 août 1572 au milieu de fêtes splendides qui durèrent plusieurs jours et auxquelles participèrent tous les princes huguenots. Personne n’éprouvait la moindre anxiété. On pensait que cette union mettrait fin aux troubles qui avaient ensanglanté le pays ; elle semblait inaugurer une ère de paix et de prospérité sans pareille. Or c’est au cours de ces réjouissances que se tint au Louvre un conseil secret dans lequel on arrêta dans ses moindres détails le plan du massacre projeté.

Le 22 août Coligny sortait du Louvre. Il ignorait qu’on venait de mettre sa tête à prix : cinquante mille couronnes, telle était la récompense que toucherait le meurtrier. Chemin faisant, l’amiral lisait une requête d’un de ses frères dans la foi et allait s’occuper de la meilleure voie à suivre pour y répondre. Tout à coup, près de l’église Saint-Germain l’Auxerrois, une balle atteignit Coligny au bras gauche et lui fracassa un doigt. L’assassin réussit à prendre la fuite. On transporta l’amiral chez lui et les seigneurs protestants accoururent à son chevet. « Voilà », leur dit le vieillard, « le fruit de cette belle réconciliation dont le roi s’est porté garant ». Malgré l’opposition de sa mère, Charles IX se rendit aussi auprès de l’illustre blessé. « Mon père », lui dit-il, « je vous tiens pour un des plus grands capitaines de mon royaume. Calmez-vous. Ne songez qu’à vous guérir ; j’aurai soin de tout. Vous endurez la blessure et moi j’en aurai toujours la peine ».

Deux jours plus tard, le 24 août 1572, entre deux et trois heures du matin, jour de la Saint-Barthélemy, on entendit tout à coup sonner la cloche de cette même église de Saint-Germain l’Auxerrois, qui se trouve vis-à-vis du Louvre. À peine les premiers coups eurent-ils retenti qu’une violente fusillade éclata dans les rues. Charles IX témoigna une vive agitation ; la sueur froide perlait sur son front. Soudain il se leva et fit appeler le duc de Guise pour lui ordonner de ne rien précipiter. Mais c’était trop tard. Catherine de Médicis, qui redoutait l’inconstance de son fils, avait enjoint d’avancer l’heure fixée pour le début de la tuerie. Et bientôt, au bruit de toutes les cloches de la ville, maintenant mises en branle, se mêlaient les hurlements de rage, les imprécations des meurtriers, puis les cris de douleur et d’effroi des infortunées victimes, surprises dans leur sommeil et froidement égorgées dans leurs lits. Pour se faire reconnaître les assassins portaient un brassard blanc. Bientôt le sang ruissela dans toutes les rues.

L’amiral de Coligny devina bien vite ce que se passait. Il ne doutait pas qu’on n’en voulût à lui plus qu’à tous les autres huguenots, car il connaissait la haine invétérée que lui portait le duc de Guise. Il ne se trompait pas. Une troupe furieuse envahit sa demeure, dirigée par un serviteur du duc, et pénétra dans la chambre où l’amiral reposait. Sans autre avertissement, le soudard plongea un épieu dans la poitrine du vieillard, puis jeta son corps par la fenêtre. Guise le reconnut et le repoussa d’un coup de pied. Seize ans plus tard, le même Henri de Guise tombait à son tour sous le poignard d’un assassin aux ordres du roi Henri III. Quand celui-ci vit le cadavre, il lui donna un coup de pied en pleine figure. Telle est la justice rétributive de Dieu !

Au cours de la même nuit, sous le couvert de la religion, on égorgea cinq cents membres de la haute noblesse protestante. Ils habitaient presque tous le même quartier de Paris et le duc de Guise se l’était spécialement réservé. « Plus l’herbe est épaisse, plus la faux y mord », voilà le mot d’ordre donné à la farouche soldatesque.

Henri de Navarre et Condé, fils du célèbre Condé, tué à Jarnac, logeaient au Louvre. Le roi les manda devant lui et les accabla d’injures. « Je ne veux », leur dit-il, « qu’une religion dans mon royaume. Mort ou messe ! Choisissez ! » Henri fut conduit dans la chapelle du palais. Condé déclara que sa liberté, sa vie étaient à la merci du roi, mais que nulle menace, nul supplice ne le feraient aller à la messe, dût-il périr. Charles le relâcha, en affirmant qu’il aurait la tête tranchée dans les huit jours, s’il ne se ravisait pas. Quelques seigneurs protestants s’étaient réfugiés au Louvre, sous la sauvegarde du roi de Navarre. Ils furent sommés, l’un après l’autre, de descendre dans la cour et là, sous les yeux même du roi, les gardes les taillèrent en pièces jusqu’au dernier. L’un d’eux ne put s’empêcher de s’écrier : « Est-ce là cette parole que le roi nous a donnée ? Que Dieu venge un jour cette perfidie et cette cruauté odieuses ! ». La réponse vint deux cent vingt ans plus tard avec la mort de Louis XVI. 

Les annales du monde entier renferment peu de scènes aussi ignobles que celle de la Saint-Barthélemy. Les passions les plus basses, le fanatisme le plus froid et le plus atroce s’y étalent dans toute leur horreur. « C’était être huguenot », dit Mézeray, « que d’avoir de l’argent, ou des charges enviées, ou des ennemis vindicatifs, ou des héritiers affamés ». Le massacre s’étendit à toute la France ; des milliers d’innocents périrent, à Lyon en particulier, où les réformés étaient nombreux. Comme le procureur du roi enjoignait au bourreau de remplir son office, celui-ci répondit : « Je ne prête mon ministère que pour l’exécution des arrêts des juges, et non pour assassiner des innocents ». Même réponse de la part des soldats de la citadelle « Ce que vous nous demandez est contre l’honneur nous ne sommes pas des assassins. Quel mal ont donc fait ces malheureux qu’on veut que nous égorgions ? ». On alla jusqu’à ouvrir les portes des prisons et à massacrer sans autre ceux qu’on y trouvait. Les cadavres étaient jetés dans le Rhône qui en vint à rouler des flots rougis de sang ; pendant longtemps les riverains ne voulurent ni toucher aux poissons du fleuve, ni faire usage de son eau.

Quelques gouverneurs de provinces refusèrent d’obtempérer aux ordres féroces qu’ils reçurent. Il convient de citer aussi l’évêque de Lisieux, Jean Hennuyer, qui en fit autant. « Je m’opposerai toujours de toutes mes forces à une action pareille », déclara-t-il nettement au lieutenant royal. « Je suis le pasteur de Lisieux et ces gens que vous voulez me faire tuer sont des brebis de mon troupeau. Si elles se sont égarées hors du bercail de l’Église romaine, j’ai le devoir de les épargner, pour les y faire rentrer, si possible. Je n’ai jamais lu dans l’Évangile que le berger doit laisser verser le sang de son troupeau. Au contraire, j’y lis qu’il doit verser son sang, donner même sa vie pour elles ». Sur la demande du lieutenant royal, l’évêque confirma ces paroles par écrit.

Les appréciations sur le nombre des victimes varient beaucoup. À Paris on en a compté de 2000 à 4000 ; c’est Brantôme qui dit que Charles IX aurait pu voir quatre mille cadavres flotter sur la Seine. Dans un registre des comptes de la ville de Paris, un poste indique la somme payée aux fossoyeurs du cimetière des Innocents pour avoir enterré 1100 corps, échoués sur la rive du fleuve à Chaillot, à Auteuil et à Saint-Cloud. « Il est probable », ajoute le greffier, « que beaucoup d’autres furent entraînés plus loin. On est loin de les avoir tous jetés à la Seine ». En province les chiffres les plus modérés annoncent 70000 morts. Si l’on y ajoute tous ceux qui périrent de misère, de faim, de douleur, les vieillards, les enfants abandonnés, les femmes sans abri, on arrive à un total bien plus considérable.

La nouvelle du massacre de la Saint-Barthélemy produisit une profonde impression dans l’Europe entière. Tandis que les États protestants flétrissaient l’horrible attentat, Rome était au comble de la joie. Le pape Grégoire XIII connaissait les projets de Charles IX et attendait impatiemment des nouvelles. Enfin un messager arriva de Paris, portant une lettre du nonce, datée du 24 août : « Tout s’est bien passé à Paris ; on va en faire de même dans tout le royaume ». Le messager reçut une gratification de mille pièces d’or. Le canon tonna au château Saint-Ange ; on chanta à Saint-Pierre un Te Deum solennel et le pape fit frapper une médaille, portant d’un côté son effigie et de l’autre l’ange exterminateur, immolant les hérétiques. Le roi d’Espagne, Philippe II, dont on connaît le caractère sombre, rit pour la première fois de sa vie, dit-on, quand on l’informa du massacre et ne put trouver d’éloges assez forts pour le jeune roi et sa mère.

L’Angleterre, l’Allemagne, la Suisse, Genève surtout, virent arriver une multitude de fugitifs éperdus, à demi-morts. Vainement les agents français tentèrent d’accréditer auprès des cours protestantes la fable d’un complot ourdi par Coligny. L’audience donnée à ce sujet par Élisabeth, reine d’Angleterre, fut empreinte d’une tristesse lugubre ; toute la cour portait de longs vêtements de deuil. L’ambassadeur dut passer parmi les courtisans sans que personne le saluât ; il ne put balbutier son odieuse apologie et se retira consterné, en s’écriant avec amertume qu’il avait honte de porter le nom de Français. À Genève on institua un jour solennel de jeûne et de prières. En Écosse le vieux Knox, empruntant le langage des prophètes, s’écria du haut de la chaire : « La sentence est prononcée contre ce meurtrier, le roi de France ; la vengeance de Dieu ne se retirera pas de sa maison ; son nom sera en exécration à la postérité ».

Ces paroles se réalisèrent. Le remords ne tarda pas à envahir l’âme de Charles IX. La nuit il entendait des hurlements sinistres dans le ciel au-dessus de son palais. À tous moments, « aussi bien veillant que dormant », il lui semblait voir « ces corps massacrés, les faces hideuses et couvertes de sang ». Il cherchait à s’étourdir, à se briser de fatigue ; il restait à cheval douze et quatorze heures consécutives. « Ses regards », écrivait un ambassadeur, « sont devenus sombres. Dans ses entretiens et ses audiences, il ne regarde pas en face celui qui lui adresse la parole ; il baisse la tête, ferme les yeux, puis il les ouvre tout à coup, et comme s’il souffrait de ce mouvement, il les referme avec non moins de vivacité ». Il expira moins de deux ans après le massacre, atteint d’une maladie étrange qui amenait son sang à s’écouler lentement par tous les pores. Mais, sans confiance aucune dans son entourage, il se figurait que sa mère avait été cause de sa maladie, en lui faisant administrer un poison. Dieu permit que, sur son lit de mort, ce roi, qui avait voulu que pas un réformé ne restât en vie, fût soigné par sa vieille nourrice et un médecin, huguenots l’un et l’autre. La veille de sa mort, la nourrice se trouvait seule à son chevet. Elle entendit le malheureux qui soupirait et pleurait. Elle s’approcha doucement. « Ah ! ma nourrice, ma mie », lui dit-il, « que de sang et que de meurtres ! Ah ! que j’ai eu un méchant conseil ! Ô mon Dieu, pardonne-les-moi et me fais miséricorde, s’il te plaît ! »

Tous les auteurs directement responsables de la Saint-Barthélemy moururent de mort violente, à une exception près, la reine mère. Mais elle vécut assez longtemps pour voir échouer lamentablement tous les projets qu’elle avait conçus. Le cardinal de Lorraine fut assassiné en prison et Henri III, le dernier rejeton de la famille, tomba sous le poignard d’un meurtrier, comme Knox l’avait prédit.

Ce roi se montra encore plus incapable que ses frères. Sous son règne les guerres de religion continuèrent à sévir, si bien que la France souffrait horriblement et payait cher l’acharnement de ses souverains contre les enfants de Dieu. Au dire d’un contemporain, « les fermes et quasi tous les villages étaient inhabités et déserts ». Les paysans cessaient même de labourer ; affamés, ils se soulevaient. Les routes étaient effondrées, les ponts coupés. Dans les villes toute industrie et tout commerce avaient péri.

Henri IV, roi de Navarre, qui succéda à son cousin, Henri III, mit tout en œuvre pour réparer ces maux. Ce fut un des plus grands monarques des temps modernes. Élevé dans la religion réformée, comme on l’a vu, il manqua malheureusement de la force de caractère nécessaire pour rester fidèle aux enseignements qu’il avait reçus de sa mère et crut agir pour le bien de la France en embrassant le catholicisme, estimant fâcheux pour le pays que le roi professât une religion autre que celle de la majorité de ses sujets. Son cœur sans doute ne fut jamais franchement catholique. Mais ses convictions n’étaient pas bien arrêtées ni bien profondes. Ami du plaisir, il supportait avec peine l’austérité du régime calviniste. Son âme n’était pas assez élevée pour sacrifier ses intérêts à ses croyances et sa conscience trop accommodante pour ne pas concilier les uns avec les autres. Il méprisa l’exhortation : « Tiens ferme ce que tu as » (Apoc. 3:11).

Le roi n’oublia cependant pas ses anciens coreligionnaires. Tout en cherchant à pacifier le royaume, il ne voulait pas le faire à tout prix, estimant que chacun des partis en présence devait tolérer les autres. C’est dans cet esprit qu’il promulgua, en 1598, le célèbre Édit de Nantes, le premier acte par lequel les réformés reçurent enfin la reconnaissance légale de leur existence. En voici les principales dispositions :

Ils obtenaient la liberté de conscience, c’est-à-dire le droit, élémentaire pour nous, mais qui ne l’était pas au 16° siècle, de croire selon leur conviction personnelle, sans être astreints au même culte que le souverain et le reste de la population.

Ils pouvaient pratiquer librement leur culte dans les châteaux des seigneurs haut justiciers et dans une ville par bailliage. C’était là une liberté bien limitée. Les seigneurs haut-justiciers étaient ceux qui avaient droit de vie et de mort sur leurs sujets ; le roi, qui prétendait que cette prérogative devait lui appartenir à lui seul, cherchait à diminuer leur nombre. Puis dans les bailliages souvent très étendus, pour beaucoup de personnes, il fallait un déplacement considérable pour se rendre dans la seule localité où le culte était autorisé. Néanmoins les réformés ne pouvaient qu’éprouver une vive reconnaissance envers Dieu de ce que le principe au moins du culte collectif fût admis.

Les réformés recevaient le droit d’exercer des charges publiques, la magistrature entre autres. On rendait ainsi hommage à l’intégrité généralement reconnue de la plupart d’entre eux ; leur influence allait s’étendre aussi.

Enfin ils recevaient une centaine de villes, dites « places de sûreté », où ils pouvaient se réfugier en cas de troubles et tenir même tête aux troupes qu’on enverrait contre eux, avantage considérable, mais qui ne manqua pas de se retourner à leur désavantage. En effet la résistance qu’ils purent ainsi opposer aux ordres royaux risquait de les faire taxer d’insubordination du moment qu’ils pouvaient résister à l’autorité légalement et à main armée.

Néanmoins l’Édit de Nantes marque pour les réformés une accalmie bienfaisante. Dieu leur accorda de la sorte une période de repos, au cours de laquelle ils purent se ressaisir et affermir leur foi. La situation qui leur était ainsi faite leur permit également d’acquérir une belle prospérité matérielle. L’ennemi se tenait aux aguets et, moins d’un siècle plus tard, il trouva là un prétexte pour déchaîner à nouveau contre eux des persécutions terribles.
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016 - 21:05

Les Réformés en France aux 17° et 18° siècles


Les réformés ne jouirent pas longtemps en plein de l’Édit de Nantes. Sous Louis XIII, fils et successeur de Henri IV, ils eurent affaire au cardinal de Richelieu, chef du Conseil du roi, qui avait assigné à sa politique la ligne directive suivante : assurer l’autorité royale en annulant les privilèges de quiconque prétendait y résister. Or ces adversaires, que Richelieu ne nommait pas, étaient les nobles et les protestants. Ces derniers, en effet, constituaient un véritable État dans l’État grâce à leurs villes de sûreté où ils pouvaient concentrer des forces militaires, et au droit qu’ils avaient de se réunir en assemblées provinciales et nationales. Inquiets au sujet des intentions du cardinal, au lieu de compter sur la puissance de Dieu pour leur aider, et oubliant que la Bible prescrit la soumission aux autorités, les réformés prirent les armes pour résister à une attaque éventuelle. Ils avaient choisi la Rochelle comme centre de leurs opérations. Richelieu assiégea la place et s’en empara malgré l’héroïque résistance des rebelles. Peu après il leur octroya la Grâce d’Alais, titre significatif, qui prouvait qu’il ne s’agissait plus d’un traité, comme on en avait conclu précédemment, ni d’une négociation de puissance à puissance. Les protestants rentraient dans le droit commun et perdaient par conséquent tous ceux des privilèges concédés par l’Édit de Nantes, qui leur avaient permis de constituer un parti politique. En revanche, la liberté de culte et l’égalité absolue avec les catholiques leur étaient garanties. Richelieu estimait en effet que « la religion ne se sème pas avec le sang » et tenait « pour absolument condamnable la contrainte religieuse ». Il est frappant de voir le Seigneur agir de façon si évidente dans le cœur de ce haut dignitaire de l’Église, qui, toute sa vie durant, s’opposa formellement à toute violence et força ses coreligionnaires intolérants à respecter la liberté de conscience de leurs compatriotes.

Louis XIV adopta une tactique fort différente. Il dut reconnaître que les protestants n’avaient pris aucune part quelconque aux troubles de la Fronde, qui éclatèrent pendant sa minorité, mais qu’ils s’étaient comportés en sujets parfaitement loyaux. Il rendit même publiquement hommage à leur fidélité. Cependant, dès le début de son règne, animé du même désir que Richelieu, d’amener « l’unité dans ses États », il affirma sa ferme volonté de faire rentrer dans l’Église catholique les douze cent mille protestants du royaume. Point de « rigueur » ; application stricte de l’édit de Nantes, mais « rien au-delà » ; « en renfermer même l’exécution dans les plus étroites limites que la justice et la bienséance pouvaient permettre ». Ce sont les propres paroles du roi. Quant aux grâces, aux faveurs « qui dépendaient de lui seul », aucune.

Tout rigide qu’il fût, ce système pouvait se supporter ; il accordait davantage aux protestants français qu’à ceux qui habitaient tous les autres pays catholiques de l’Europe. Mais c’en était beaucoup trop aux yeux du clergé, docile serviteur de la haine pontificale vis-à-vis du témoignage chrétien selon la parole de Dieu. Il déclarait ouvertement que l’édit de Nantes était « le plus mauvais par lequel était permise la liberté de conscience à chacun, qui est la pire chose du monde ». Elle passait pour « un précipice creusé devant les pieds, comme un piège préparé à la simplicité des humains et comme une porte ouverte au libertinage ». Et le clergé ajoutait que « la destruction de l’hérésie est notre unique affaire ». Contradiction formelle avec les mots de Jean 4:24: « Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité ». Les Jésuites prirent en mains la direction du mouvement. Ils se donnèrent pour but d’exercer une influence toujours plus marquée sur l’esprit du jeune roi ; mais, trop habiles pour lui conseiller d’abolir l’édit d’un seul trait de plume, puisque Henri IV l’avait concédé à perpétuité, ils entreprirent de l’ « interpréter », tout en engageant le souverain à en respecter, disaient-ils, la lettre. Combien est vraie l’affirmation que la lettre tue, mais l’esprit vivifie ! Les Jésuites le savaient mieux que personne.

L’application de cette méthode aboutit à une persécution de vingt-cinq ans, avant d’en venir à la suppression définitive de la Réforme. On se mit à interdire aux protestants tout ce que l’édit ne leur garantissait pas en termes exprès. Il ne disait pas, par exemple, qu’ils pourraient enterrer leurs morts quand et comme ils le voudraient ; assister aux mariages et aux baptêmes en tel nombre qui leur plairait ; entrer comme apprentis dans toute corporation, etc. Des ordonnances royales, inspirées par les ennemis des réformés, défendirent donc qu’aucun enterrement protestant eût lieu après six heures du matin ou avant six heures du soir ; que le cortège comptât plus de trente personnes ; que, pour un mariage ou un baptême, plus de douze protestants fussent présents. On démolit les temples élevés postérieurement à l’édit ; on dut borner l’enseignement, dans les écoles protestantes, à la lecture et l’écriture.

Ces mesures laissaient prévoir que d’autres suivraient, de plus en plus rigoureuses. Les protestants résolurent donc de s’adresser directement au roi et de lui représenter à quel point leurs inquiétudes se légitimaient ; il y avait lieu de lui rappeler aussi la fidélité qu’il devait à la parole donnée par son grand père. Le vénérable pasteur Du Bosc de Rouen fut chargé de parler au nom des membres de la délégation. Voici la péroraison de son émouvant discours : « On nous ôte nos temples ; on nous exclut des métiers ; on nous prive des moyens de vivre et il n’y a plus personne de notre religion qui ne songe à la retraite (à s’exiler). Si donc votre Majesté songe à frapper un dernier coup, chacun tâchera à se sauver ; ce ne sera plus qu’une débandade générale. Je proteste saintement en votre présence que je dis la vérité comme elle est. Au nom de Dieu, Sire, écoutez en cette occasion nos gémissements et nos plaintes. Écoutez le dernier soupir de la liberté mourante ». Lorsque la délégation se fut retirée, Louis XIV se contenta de dire : « Jamais je n’avais entendu si bien parler ». Mais il ne changea rien à son attitude vis à-vis de ses infortunés sujets.

La conduite privée du roi donnait lieu à de tels reproches que l’opinion publique s’en émouvait ; c’était un scandale public. C’est alors que ses confesseurs, les pères jésuites Letellier et Lachaise, ainsi que Mme de Maintenon, lui persuadèrent qu’il effacerait la déplorable impression produite par ses liaisons criminelles en convertissant au catholicisme les huguenots. Dès lors l’édit de Nantes se trouva révoqué en fait, avant de l’être officiellement cinq ans plus tard. Complètement enlacé dans les pièges de Satan, le roi prêta une oreille complaisante à ses mauvais conseillers et promulgua des mesures bien plus graves que celles mentionnées plus haut.

Les enfants protestants furent autorisés à se convertir au catholicisme, malgré leurs parents, dès l’âge de sept ans, « âge auquel ils sont incapables de raison et de choix », disait cyniquement l’ordonnance. On devine sans peine combien il était aisé d’amener ces jeunes enfants à admettre et à promettre tout ce qu’on leur proposait. Ces nouveaux convertis étaient libres de quitter leur famille, s’ils le voulaient, en exigeant de leurs parents une pension. Successivement on interdit aux protestants toutes les fonctions publiques, puis toutes les carrières libérales. Ils ne purent acheter aucun office ; ils ne purent être ni avocats ni médecins. À peine leur laissait-on l’industrie et le commerce ; ils s’y jetèrent en foule et prospérèrent.

À côté de ces mesures de rigueur on essaya de la corruption en créant une caisse de conversions ; quelques centaines de malheureux abjurèrent pour six francs par tête. On leur accorda comme récompense l’exemption d’impôts. Mais la très grande masse des réformés restait inébranlablement ferme dans sa foi ; la puissance du Seigneur se manifestait de manière éclatante dans leur infirmité.

Pour hâter les conversions, on imagina les horribles dragonnades, menées par les « missionnaires bottés ». C’étaient tout simplement en effet des soldats, des dragons, qu’on logeait chez les protestants. L’armée se recrutait alors dans la lie de la population. Ces dragons se conduisirent comme en pays conquis, saccageant les maisons, torturant les habitants ; dans certains cas, par exemple, battant du tambour jour et nuit, pour priver de sommeil leurs malheureuses victimes. Ce système ne réussit que trop bien : le nombre des abjurations augmenta si rapidement qu’on put faire croire au roi qu’il ne restait plus, en France que « quelques centaines d’obstinés », ignoble mensonge, car les huguenots demeurés fidèles au Seigneur étaient infiniment plus nombreux que ceux qui avaient apostasié. Dans ces conditions, déclarait-on, l’édit de Nantes n’avait plus sa raison d’être et, le 18 octobre 1685, Louis XIV en signait la révocation. Les protestants non encore convertis ne seraient inquiétés en aucune façon ; mais ils encouraient la peine des galères s’ils essayaient d’émigrer, et leurs enfants seraient élevés dans la foi catholique. Tous les temples devaient être détruits et les pasteurs expulsés.

Il va de soi que le clergé accueillit cet acte infâme avec des transports de joie, de même que la presque unanimité de la nation, à laquelle on n’avait cessé d’insuffler des sentiments de jalousie à l’égard des réformés dont la prospérité matérielle était notoire. Les plus grands écrivains : Bossuet, Racine, La Bruyère, Fénelon, n’eurent qu’une voix pour célébrer l’événement ; Mme de Sévigné écrivait : « C’est la plus grande et la plus belle chose qui ait jamais été imaginée et exécutée ».

Deux hommes de marque blâmèrent nettement la révocation. L’historien Saint-Simon, dont on ne publia les Mémoires que très longtemps après sa mort, tellement il portait des jugements sévères sur Louis XIV et sa cour, avait osé écrire cette phrase cinglante au sujet de l’événement : « Le roi n’entendait autour de lui que des éloges et il avalait à longs traits ce poison ». Vauban, le célèbre ingénieur militaire, déplorait, lui aussi amèrement, la révocation, en se plaçant, il est vrai, au point de vue strictement stratégique. « Elle amena », écrivit-il, « la désertion de cent mille Français, la sortie de soixante millions de francs, la ruine du commerce ; les flottes ennemies furent grossies de neuf mille matelots, les meilleurs du royaume, leurs armées de six cents officiers et de douze mille soldats, plus aguerris que les leurs ». Vauban disait encore : « Les rois sont bien maîtres des vies et des biens de leurs sujets, mais jamais de leurs opinions, parce que les sentiments intérieurs sont hors de leur puissance ».

La plupart des protestants qui avaient abjuré ne le firent qu’avec le secret espoir que l’orage passerait et que le temps reviendrait de la liberté religieuse. Quand la révocation leur eut démontré combien cette perspective était vaine, un grand nombre retrouvèrent leur confiance en Dieu et leur courage, qui fut admirable. Malgré la surveillance étroite aux frontières et sur les côtes, ils partirent par milliers. Deux cent mille au moins, peut-être bien davantage, renoncèrent à tout, fortune, foyer, patrie, risquèrent leur liberté, leur vie, pour leur foi. Des hommes capables de pareils sacrifices et de pareille énergie, formaient une élite dont la disparition affaiblit singulièrement la France et enrichit proportionnellement les pays qui leur donnèrent asile. C’est pour ce motif que Colbert, bien plus clairvoyant que le roi aveuglé par sa passion, s’était prononcé catégoriquement contre la révocation. Mais les concurrents des protestants les voyaient de mauvais œil, parce qu’ils se donnaient tout entiers à leur travail, n’étant pas, comme les catholiques, entravés à chaque instant par le chômage obligatoire lors des fêtes d’Église. L’Angleterre, la Suisse, l’Allemagne accueillirent les malheureux réfugiés avec un empressement digne de tout éloge. Plus de vingt mille d’entre eux se fixèrent dans le Brandebourg, centre de la Prusse actuelle, vrai désert de sable qu’ils surent mettre en valeur et fertiliser. On raconte que, plus tard, le grand électeur de Brandebourg recevait un jour l’ambassadeur de France ; celui-ci lui demanda de la part de Louis XIV ce que son maître pourrait faire pour lui être agréable : « Une seconde révocation de l’édit de Nantes », aurait rétorqué l’électeur en ricanant. En revanche, certaines régions de la France : la Touraine, le Lyonnais, le Poitou périclitèrent fortement et plusieurs industries furent gravement atteintes. La révocation excita en Europe la haine de tous les États protestants contre la France. On peut dire à coup sûr qu’elle fut, dans la main de Dieu, la cause principale de déchéance de la France pendant la seconde partie du règne de Louis XIV. « C’est une abomination pour les rois de faire l’iniquité ; car, par la justice, le trône est rendu ferme » (Prov. 16:12).

L’ère des persécutions se rouvrit. Elles furent terribles et pratiquées avec des raffinements de cruauté encore inconnus. Un seul exemple suffira pour les caractériser ; c’est le récit fait par une des victimes. Blanche Gamond, transférée de Grenoble à l’hôpital de Valence dont le directeur d’Hérapine, qu’on surnomma la Rapine, était si célèbre dans l’art d’opérer des conversions contraintes, que son seul nom faisait faiblir des courages, restés jusque-là inébranlables. « Le soir arrivé, la Rapine me fit venir avec celles qui n’avaient jamais changé de religion. Nous étions six en sa présence ; il y avait pour spectateurs vingt à trente papistes. Quand nous fûmes là, il nous fit mettre toutes en rang devant lui et s’adressa à nous en disant : « Vous êtes des opiniâtres et des rebelles au roi et à Dieu ; mais je veux que vous changiez, ou vous crèverez sous les coups. Je vous ferai bien céder, race M...... de vipères, à coups de nerf de bœuf, car je sais mon métier. Vous ferez la balayure de l’hôpital ; vous balayerez depuis le matin jusqu’au soir, et si vous manquez, vous aurez cent coups de bâton. Après cela je vous ferai mettre au cachot, où vous mourrez de faim ; mais, afin que vous languissiez plus longtemps, vous n’aurez qu’un peu de pain et d’eau. Dans trente ou quarante jours au plus, vous serez mortes ; puis on vous jettera à la voirie et le roi sera défait d’un méchant sujet, malheureuse en cette vie, damnée dans l’autre. Comptez là-dessus ». Plus d’une fois, Blanche Gamond faillit succomber sous ces traitements atroces. Un jour, en particulier, la Rapine, exaspéré de sa résistance et de sa fermeté, comme elle le raconte elle-même, écumant de colère, l’ayant fait mettre à genoux et l’accablant des plus outrageantes épithètes, enjoignit aux filles de service de lui donner les étrivières. Six de ces cruelles mégères, trop bien dressées à cet emploi, armées chacune d’un paquet de verges d’osier, longues d’une aune, l’ayant déshabillée jusqu’à la ceinture, l’attachèrent à une poutre de manière qu’elle était pendue par les bras, et la fouettèrent jusqu’au sang, en lui disant avec moquerie : « Maintenant, prie ton Dieu ! » Le Seigneur répondit en effet aux supplications de sa faible, mais indomptable servante, et la libéra des mains de son tortionnaire.

D’autre part, les montagnards des Cévennes, poussés à bout, prirent les armes pour défendre leur religion. On les appela les Camisards, parce que, pour se reconnaître, ils portaient une longue chemise blanche par-dessus leurs vêtements. Malheureusement ils se laissèrent aller à bien des excès regrettables ; ils eurent leurs prophètes, leurs inspirés qui enflammaient leur ardeur, leur donnaient même des avis qu’ils tenaient pour célestes, car ils prétendaient avoir des visions. Leur chef, Cavalier, jeune homme enthousiaste, avait reçu à Genève une certaine instruction. Le soulèvement dura deux ans (1702-1704) ; il retint les meilleures troupes de Louis XIV et l’un de ses maréchaux les plus distingués, Villars, rendant ainsi un service signalé aux ennemis de la France. On ne peut que blâmer les Camisards d’avoir souvent dépassé la juste mesure, mais ils se comportèrent néanmoins en valeureux témoins du Seigneur, très convaincus, très sincères.

Au 18° siècle un certain nombre des exilés rentrèrent, mais la persécution guettait toujours les protestants. Leurs assemblées étaient interdites sous peine de prison ou des galères, et de mort pour les pasteurs. Ils durent se rencontrer dans la solitude des forêts ou dans les montagnes et les cavernes. Ce fut le cas surtout des habitants des Cévennes et on a donné à leurs groupements le nom d’Église du Désert. Une héroïne de ces temps périlleux pour les enfants de Dieu fut Marie Durand, dont le nom est très connu. Enfermée à 15 ans dans la tour de Constance à Aigues-Mortes en 1730, elle n’en sortit qu’avec sa chevelure toute blanchie par 38 ans de captivité et les souffrances qu’elle endura. On voit encore, sur le dallage de la pièce où elle était retenue captive, gravé de sa propre main dans la pierre, ce seul mot : « Résister ! » C’est le résumé, d’une éloquence grandiose dans sa brièveté, de tout ce qu’endurèrent les martyrs de France. 

Deux hommes se firent remarquer par leur dévouement à ces assemblées de fidèles : Antoine Court et Paul Rabaut. 

Antoine Court, élevé par une mère pieuse, car il avait perdu son père de bonne heure, s’attacha, très jeune encore, à l’un des prédicants qui étaient restés dans son pays natal, le Vivarais. Il suivait les réunions nocturnes avec assiduité et y prit souvent la parole. Les privations qu’il eut à endurer, les dangers qu’il courut, le firent tomber dangereusement malade. Retenu longtemps dans sa chambre, il eut le temps de réfléchir, de se mûrir. Lorsqu’il put enfin reprendre de l’activité, ce fut pour se consacrer de toute son âme au service de ses frères dans le Seigneur. Sous son influence, les protestants résolurent d’opposer à la persécution, désormais, non plus la résistance armée, mais la foi et la patience, en un mot de compter uniquement sur le Seigneur, afin de recevoir de lui la direction sur le chemin à suivre. On décida aussi d’interdire aux femmes de prendre la parole dans les assemblées, selon 1 Cor. 14:34, de faire comprendre aux illuminés, qui prétendaient recevoir d’en haut des révélations spéciales, que ceci non plus n’était pas conforme à l’enseignement scripturaire ; on leur enjoignit donc de se taire et d’écouter ceux de leurs frères que leur âge et leur expérience qualifiaient pour ce service. Enfin Court crut voir la nécessité de créer une école pastorale, pour former des ministres versés dans la connaissance de la Parole de Dieu et aptes à enseigner les autres. Ce séminaire ne pouvait pas exister en France ; le clergé, averti, l’aurait fait fermer sans délai. Il s’ouvrit donc à Lausanne (*) et fournit à l’Église du Désert plus d’une centaine de pasteurs. Antoine Court caractérisa ainsi ce qu’il appelait l’esprit du Désert : « Ce doit être avant tout un esprit de sanctification, de marche constante dans la dépendance de Dieu, de renoncement à soi, un esprit de prière, de réflexion, de grande sagesse, puisée à la seule source où on la trouve, auprès du Seigneur lui-même, un esprit de martyr qui, nous apprenant à mourir tous les jours à nous-mêmes, nous dispose à perdre courageusement la vie dans les tourments ou sur un gibet, si telle est la volonté de Dieu ». Les élèves d’Antoine Court eurent à supporter un redoublement de violence de 1750 à 1760, mais le Seigneur les fortifia et leur accorda la faveur de ne pas faiblir devant le danger.


(*) On a des raisons de croire que le siège du Séminaire de Lausanne était à la Cité, dans une maison en face du portail de la cathédrale, au haut des Escaliers du Marché. Une inscription commémorative y a été apposée. La maison en question est aujourd’hui incorporée à la Faculté des Lettres de l’Université.


Paul Rabaut, le plus connu d’entre eux, exerça, pendant un demi-siècle, un ministère très apprécié et fidèle. Il gagna l’affection de tous et leur estime par son dévouement, mais aussi par la sagesse qui le caractérisait ; c’était vraiment cette « sagesse d’en haut… paisible, modérée, traitable, pleine de miséricorde » (Jac. 3:17). Rabaut eut beaucoup à souffrir. Le sang des martyrs ne cessait de couler ; les condamnations iniques pleuvaient. Ainsi douze couples se voyaient condamnés en bloc, pour le simple fait d’avoir été unis par des pasteurs, les femmes à la prison, les hommes aux galères. Rabaut assista à la Révolution française. Il en discerna bien vite le véritable caractère. Son fils, Rabaut-Saint Étienne, se laissa élire comme député à l’Assemblée nationale et en devint même le président. Son père ne se laissa pas éblouir par cet honneur et écrivit à son fils : « Garde-toi de l’illusion. Penses-tu vraiment qu’une liberté véritable puisse sortir de cette Révolution ? La France ne sera sauvée que quand elle se donnera à Celui qui nous sauve. Et Celui qui nous a sauvés n’est ni Rousseau, ni Voltaire, ni le pape. C’est le Seigneur Jésus Christ lui-même, par son sang qui a coulé à la croix ». Prophétie qui s’accomplit bien vite, car, trois ans plus tard, le jeune Rabaut payait de sa tête son intrusion dans les affaires politiques. Son père fut jeté en prison ; relâché après la Terreur, il mourut bientôt à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

Il est frappant de voir, dans la France du 18° siècle, comment Dieu s’est servi, pour la réalisation de ses desseins, d’hommes qui professaient l’incrédulité la plus acharnée, parmi eux Voltaire. Il passa sa vie, il employa ses talents à lutter contre le christianisme ; son esprit diaboliquement satirique le poussa aux pires invectives contre la Bible, contre la personne du Sauveur, contre les miracles. Voltaire fut néanmoins un chaleureux défenseur de la tolérance dans tous les domaines et le prouva entre autres en prenant en main la cause d’un protestant de Toulouse, Calas, qui fut roué vif sous l’inculpation, fausse, d’avoir assassiné son propre fils. Voltaire n’eut ni trêve ni repos jusqu’à ce qu’il eût obtenu la révision du procès et l’entière réhabilitation de l’infortunée victime du clergé catholique. Tous les écrivains, dénommés les philosophes, soutinrent la même idée, au nom de la liberté dont chaque individu doit pouvoir jouir. Mais, poussant ce principe jusqu’à ses dernières conséquences, s’appuyant sur la seule puissance de la logique humaine, ils déclaraient hautement que l’homme étant son propre maître ne doit dépendre de rien ni de personne ; ils en faisaient le roi de l’univers. Leurs idées ont fait leur chemin d’autant plus aisément qu’ils surent les exposer sous une forme simple et séduisante. Elles s’épanouissent aujourd’hui en plein dans les pays qui, comme la Russie, ont osé nier l’existence même de Dieu, réalisant ainsi par avance une partie de l’état de choses décrit en 2 Thes. 2.

Ne voit-on pas là, en ce qui concerne la France, un châtiment de Dieu sur ce royaume où la vérité brilla d’un si vif éclat, puis fut étouffée par un mouvement concerté par le gouvernement et le clergé, et auquel la nation elle-même ne prêta que trop volontiers la main ? « Ô liberté ! que de crimes on commet en ton nom ! » s’écria, en montant à l’échafaud, Mme Roland, une des victimes de la Révolution. Il est une liberté après laquelle toute la création soupire dans son désir d’être « affranchie de la servitude de la corruption, pour jouir de la liberté de la gloire des enfants de Dieu » (Rom. 8:21).
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016 - 21:05

La Réforme en Suisse Romande


Au point de vue territorial, la Suisse romande présente, au 16° siècle, un aspect complexe. Quatre évêques y possédaient de vastes domaines : celui de Sion, maître du Valais ; celui de Bâle à qui appartenait le Jura bernois ; celui de Lausanne, dont le diocèse s’étendait de la Veveyse à la Venoge et comprenait d’autres territoires encore ; enfin celui de Genève. Politiquement Neuchâtel dépendait d’un prince français.

Quant au Pays de Vaud, il était, en bonne partie, propriété de la maison de Savoie, ainsi que la moitié occidentale du canton de Fribourg. Mais Berne avait des visées sur ces belles et riches contrées. Elle les avait déjà envahies lors des guerres de Bourgogne en 1475-76 et s’était approprié les quatre « Mandements » d’Aigle (Aigle, Ollon, Bex, les Ormonts). En commun avec Fribourg, elle gouvernait les bailliages de Morat, Grandson, Orbe et Echallens. Ce premier succès n’avait point mis fin à son ambition. Ne pouvant s’étendre du côté de l’est, où Zurich et les cantons primitifs lui faisaient obstacle, elle s’assignait pour tâche de créer à ses États une forte frontière au couchant, sur la ligne du Jura ; ainsi, du même coup, elle couvrait la Confédération contre les menaces éventuelles de la France. Par là aussi elle deviendrait maîtresse sans conteste des routes qui se réunissaient à l’extrémité inférieure du lac Léman.

Il ne faut pas oublier non plus que Berne venait d’adhérer à la Réforme ; ainsi ses combats inévitables avec la Savoie allaient de pair avec la propagande religieuse. Et celle-ci se compliquait du fait de la co-propriété des « bailliages communs » avec Fribourg, aussi attachés au catholicisme que Berne l’était aux doctrines nouvelles.

Le tout premier précurseur de la Réformation à Lausanne fut un moine cordelier d’Avignon, nommé Lambert, qui prêcha devant l’évêque. Ses idées se rapprochaient de celles de Luther ; cependant il ne déplut point au prélat et aurait pu continuer ses prédications, si, impatient d’entendre Luther lui-même, il ne s’était hâté de quitter Lausanne, au grand déplaisir d’une partie de ses auditeurs, séduits par l’originalité de ses propos. Y avait-il plus que de la curiosité dans leurs cœurs ? Il est probable que, tels les Athéniens d’autrefois, ils passaient leur temps « à dire et à ouïr quelque nouvelle » (Actes 17:21). En tous cas, il ne paraît pas qu’il y ait eu, à ce moment-là, de travail profond dans leurs âmes.

Ailleurs cependant dans le Pays de Vaud le bruit se répandait de ce qui se passait en Allemagne, en France, à Zurich ; les noms de Luther, de Calvin, de Zwingli étaient dans toutes les bouches. L’agitation gagnait de proche en proche. L’autorité laïque finit par s’en émouvoir et le bailli de Vaud convoqua à Moudon les « États », en vue de prendre avis sur les « mauvaises, déloyales, fausses et hérétiques allégations et opinions de ce maudit et déloyal hérétique, Martin Luther, par lesquelles il se dit communément, ont été faits de gros esclandres et abus contre la foi chrétienne… Ont donc statué que celui qui aurait voulu soutenir et maintenir les fausses et decevables opinions devant dites, en tout ou en partie, recevra trois estrapades de corde et sera incarcéré trois jours durant ». En cas de récidive, « qu’il doit être brûlé comme faux et déloyal, avec son livre (sa Bible), si point en avait ».

Il en allait autrement dans les possessions bernoises, où les maîtres prétendaient imposer la Réforme. Mais les prédicateurs se trouvaient en présence d’une grosse difficulté du fait que presque tous ignoraient la langue française. Or, à ce moment-là même, plusieurs réfugiés arrivaient de France à Bâle, visiblement dirigés par le Seigneur, parmi eux Guillaume Farel. Berne accepta avec empressement ses offres de service et l’envoya à Aigle, où il s’établit en qualité de maître d’école, sous le pseudonyme d’Ursinus. La haute valeur de son enseignement, ses discours persuasifs dans les familles, lui gagnèrent bientôt des amis, mais produisirent aussi une vive fermentation. Le clergé et une partie de la population s’opposèrent et le bruit en vint à Berne, si bien que le Haut Conseil écrivit au lieutenant du gouverneur d’Aigle : « Touchant le prégeur (prêcheur) françois qui prêge en Alioz (Aigle), bien qu’entendons qu’il est très docte et que prêge la vérité de l’Évangile, pource que n’est pas prestre, voulons que tu le fasses à cesser et désister de son prégement ». Néanmoins, quinze jours plus tard, le secrétaire du même Conseil note : « On permet à Farel de prêcher à Aigle jusqu’à ce que le coadjuteur présente un autre prestre qualifié ». Sur ces entrefaites Berne publia l’Édit de Réformation, « rejetant à jamais le joug des évêques, qui n’ont su que nous tondre et non pas nous paître », abolissant le culte des images et remplaçant la messe par « une prédication assidue de la Parole de Dieu ». Désormais Farel prêcha ouvertement dans la ville et dans les environs ; il en résulta un tumulte tel que Berne dut occuper militairement la contrée et qu’elle punit sévèrement les fauteurs de désordres.

Farel n’était pas homme à demeurer à un poste fixe. Il obtint de Leurs Excellences la permission d’annoncer l’Évangile chez tous leurs sujets et ceci l’amena successivement à Lausanne, à Morat, à Avenches, à Bienne, dans le Jura bernois, puis à Neuchâtel. À Lausanne, la présence de l’évêque entretenait une atmosphère très hostile à la Réforme. Insulté et maltraité, Farel dut s’éloigner en toute hâte. Berne en conçut un vif ressentiment et s’en plaignit à l’évêque en ces termes : « Nous avons appris avec douleur ce que vous avez fait à Maistre Guillaume Farel, notre sujet. Nous ne pouvons assez nous étonner que l’évêque et sa sainte compagnie maltraitent ainsi des gens qui prêchent l’Évangile… Nous vous exhortons donc de permettre qu’on vous prêche la Parole de Dieu, de recevoir honnêtement ceux qui la prêchent, particulièrement Farel… Si on lui fait le moindre mauvais traitement, nous le sentirons comme s’il était fait à nous-mêmes. Prenez donc garde qu’on touche à un des cheveux de sa tête ».

En 1530 Farel parut pour la seconde fois à Neuchâtel, accompagné de son jeune compatriote, Antoine Froment. Après une prédication en plein air, les auditeurs détruisirent les images et les ornements d’une chapelle. Peu après, à Valangin, Farel subit les pires outrages. « Ils procédèrent furieusement contre Maistre Guillaume et commencèrent de le frapper et le tirer par les cheveux ; et le traînoient en le battant dessus tête, bras, épaules et visage, tellement que son visage estoit tout en sang et qu’on ne lui connaissoit point de face d’homme. Ils le menèrent toujours battant jusque devant la chapelle et le firent s’agenouiller en lui disant : « Juif, adore ton Dieu qui est dans cette chapelle et lui dis qu’il te sauve ! » et lui frappant la tête contre la chapelle en telle sorte que le sang demeura contre icelle dite chapelle. Et il répondait toujours qu’il voulait adorer Jésus Christ, le Sauveur du monde ». Trois mois plus tard, à la suite d’une nouvelle prédication du réformateur, un auditeur s’écria : « Il faut ôter les idoles ». Là-dessus la foule se précipita vers la Collégiale et brisa toutes les images. Le fait est rappelé par une inscription encastrée dans un pilier de l’église : « 1530, le 23 octobre, fust ostée et abattue l’idolâtrie de céans par les bourgeois ».

Il vaut la peine de dire quelques mots aussi de ce qui ce passa à Orbe l’année suivante. Grâce au régime de copropriété avec Fribourg, la ville, dans sa majorité, restait catholique ; les réformés, protégés par Berne, se montraient remuants. Un d’eux, indigné d’un propos tenu du haut de la chaire par un prédicateur catholique, s’écria en pleine église « Il en a menti ! ». Il en résulta un scandale terrible : « les hommes qui étaient aux chapelles voulaient sortir pour l’assommer, comme méchant, mais ceux qui étaient les plus prochains des dites chapelles les cloyèrent (fermèrent), en sorte qu’ils ne purent sortir. Sur ce les femmes, toutes d’un vouloir et courage, allèrent où était le dit Christophe (l’interpellateur), le prindrent par la barbe, la lui arrachant et lui donnant des coups tant et plus, et le dommagèrent par le visage, tant d’ongles que autrement, en telle sorte que finalement qu’il leur eût été laissé faire, il ne fût jamais sorti de la dite église, qui fût été grand profit pour le bien des bons catholiques ». Le châtelain réussit à arracher le malheureux à ces mégères et l’enferma en prison pour le mettre à l’abri. Berne délégua à Orbe des commissaires pour procéder à une enquête ; ils amenèrent Farel avec eux et lui enjoignirent de prêcher le jour de Pâques (1531). Ce fut un nouveau tumulte, pire encore que le précédent : « Il s’en alla mettre en chaire pour prêcher et lors chacun le suivit, hommes et femmes et enfants, qui tous et un chacun criaient et sifflaient pour le destorber (empêcher) avec toute exclamation, l’appelant chien, mâtin, hérétique, diable, et autres injures que l’on lui disait, en sorte que l’on n’eût pas ouï Dieu tonner et n’entendaient aussi chose que il dit. Et sus cela les habitants, voyant qu’il ne se voulait désister, se commencèrent à mutiner et prendre jusques à donner des coups ». Le bailli dut conduire Farel dans sa propre demeure pour le protéger.

Après un séjour de quelque durée, pendant lequel les violences s’apaisèrent, Farel quitta la ville et confia le soin de l’œuvre commencée à un bourgeois de la localité, Pierre Viret, dont il sera question plus loin. Plus paisible que son ami, Viret gagna peu à peu la confiance de ses auditeurs ; de nombreuses conversions eurent lieu et, le jour de Pâques 1532, une assistance imposante remplit l’église pour le service réformé.

Pendant ce temps les intrigues de Charles III, duc de Savoie, contre Genève devenaient de plus en plus inquiétantes. Berne y voyait un grand danger pour elle-même d’abord, car elle courait le risque de se voir encerclée et coupée de toutes les routes vers l’occident, pour la Réforme aussi, car le triomphe de la maison de Savoie aurait marqué le retour immédiat des catholiques à Genève. En 1536 elle déclara donc la guerre au duc qui ne se défendit que mollement. Ainsi, sans grands efforts, Berne mit la main sur le Pays de Vaud, objet de ses convoitises depuis longtemps, et qu’elle garda pendant deux siècles et demi.

Comme de juste, les Bernois commencèrent par assurer l’organisation politique de leur conquête. Cela fait, ils avisèrent à y introduire, de gré ou de force, leurs opinions religieuses. Tout en suivant cette ligne de conduite, courante alors, Farel, plus que tous les autres réformateurs, insistait sur le salut individuel, sur la notion de l’Église, corps de Christ ; mais bien peu de ses amis et de ses collègues virent les choses aussi clairement que lui.

Pour donner une apparence de légalité à leurs procédés dictatoriaux, les Bernois organisèrent à Lausanne une dispute religieuse, à laquelle ils convoquèrent de nombreux représentants du catholicisme, ceci afin de leur ôter le prétexte qu’ils auraient pu avancer que tout se faisait sans qu’on les eût entendus. Farel joua le premier rôle dans cette discussion ; à ces côtés se trouvaient Pierre Viret et Jean Calvin. C’est Farel qui prononça le discours d’ouverture :

« Le Seigneur Jésus Christ », dit-il entre autres, « est venu dans ce monde de péché pour y apporter le salut et la vie éternelle à quiconque croit en lui. Il est mort sur la croix. Il veut réunir en un les enfants de Dieu que Satan cherche à disperser par tous les moyens en son pouvoir ». Puis il demanda à tous d’intercéder en prières au Seigneur « pour que la vérité seule triomphe ; pour que personne n’hésite à l’accepter malgré la faiblesse et l’incapacité de ceux qui sont ici pour la défendre ; pour que tous se tournent vers le Souverain Pasteur des brebis qui donna sa vie pour les hommes perdus ; pour que personne ne cherche sa propre gloire, mais que Christ seul soit reconnu de chacun ».

Pour faciliter la discussion, Farel avait rédigé dix thèses, dont voici les principales (le français est modernisé) :

« 1. La Sainte Écriture n’enseigne point d’autre manière pour être justifié sinon celle qui est par la foi en Jésus Christ, une fois offert et qui jamais plus ne le sera ».

« 2. Cette Écriture reconnaît Jésus Christ, qui est ressuscité des morts et est assis au ciel à la droite du Père, comme seul chef et sacrificateur, vraiment souverain médiateur et avocat vraiment de son Église ».

« 5. L’Église ne reconnaît aucun ministre autre que celui qui prêche la Parole de Dieu ».

« 6. L’Église ne reçoit autre confession que celle qui est faite à Dieu, ni autre absolution que celle qui est donnée de Dieu par la rémission des péchés, et qui seul pardonne et remet les péchés, auquel seul à cette fin se faut confesser ».

« 8. L’Église reconnaît le magistrat civil seulement ordonné de Dieu, nécessaire pour conserver la paix et la tranquillité de la chose publique. Auquel elle veut et ordonne que tous obéissent en tant qu’il ne commande rien contre Dieu ».

« 9. Elle affirme que le mariage, institué de Dieu à toutes personnes, pourvu que à cela soient aptes et idoines, ne répugne à la sainteté de quelque état que ce soit ».

« 10. Quant aux choses indifférentes, comme sont viandes, breuvages et observation des jours, combien que l’homme fidèle en puisse user librement en tout temps, ce qu’autrement qu’en science et charité il ne doit faire ».

Les catholiques ne mirent pas en ligne de grands orateurs ; les chanoines se contentèrent de lire une protestation contre la dispute elle-même, renvoyant toute décision à un prochain concile. Leurs seuls défenseurs un peu chaleureux furent un jeune officier et un médecin, nommé Blanchérose, au témoignage d’un de ses coreligionnaires, « homme tenant de la lune et fort fantastique, lequel en ses disputes mêlait la médecine avec la théologie et faisait incontinent à rire ». Un vicaire fit cette déclaration naïve : « Si les prêtres sont aussi ignorants que vous le dites, ce n’est pas une grande gloire pour vous de les avoir vaincus. Que n’avez-vous pitié de leur ignorance ? ». Comme dans toutes les discussions de cette nature, la direction des débats ne fut pas impartiale, à en juger d’après cette affirmation, toutefois contestée, de Pierrefleur, banneret d’Orbe : « D’autres opposants y eut, mais quand l’on connaissait qu’ils voulaient trop presser et s’avancer en disputes, on les faisait taire ». Farel et Viret portèrent, seuls d’abord, le poids de la discussion et répondirent à leurs contradicteurs avec beaucoup d’à propos et dans un langage savoureux et dru qui ne ressemble guère à celui qu’on emploie de nos jours dans des débats de cette nature. Calvin n’intervint qu’au bout de quatre jours ; on discutait sur la présence réelle dans la Cène. Un catholique accusait ses adversaires d’ignorer les Pères de l’Église. Calvin se leva. Servi par sa mémoire prodigieuse, il retourna le grief contre l’autre partie, citant, avec une précision étonnante, Tertullien, Chrysostôme, Augustin. Puis, passant à l’attaque, il montra la faiblesse insigne de l’exégèse catholique. L’auditoire sentit que tous avaient trouvé leur maître. Les réformés triomphèrent donc.


On a vu tout à l’heure le nom de Pierre Viret, né à Orbe en 1511. Pierrefleur résume en ces termes sa carrière jusqu’à son départ pour la France : « Fils d’un couturier et retondeur de drap, Viret avait été dès son commencement introduit aux lettres à Orbe, et puis fut à Paris, où il demeura pour quelque temps, comme deux à trois ans, où il profita fort bien aux lettres. Lui étant à Paris, fut noté tenir de la religion luthérienne, en sorte qu’il lui fut bien de se sauver, et tourna (retourna) au dit Orbe en la maison de son dit père, où il séjourna jusqu’à ce qu’il fut prédicant. La première charge fut d’aller à Grandson commis pour y prêcher, et puis il tomba en grande estime entre les prédicants luthériens. Il se fit compagnon de Guillaume Farel, et furent ceux qui commencèrent à prêcher la dite loi à Genève, et fut le grand prêcheur au dit Genève. Semblablement à Lausanne, ayant partout grand crédit et autorité… Il fut en grand bruit, tellement qu’il était le plus aimé et avancé des gens et grands seigneurs de sa religion ».

Dès que les Bernois eurent conquis le Pays de Vaud, ils insistèrent auprès de Viret pour qu’il renonçât à la tâche qu’il avait entreprise à Genève et se rendît à Lausanne, encore presque entièrement catholique. Avec un courage admirable, le jeune prédicateur, qui avait à peine vingt-cinq ans, se mit à prêcher dans une des églises de la ville ; les dominicains lui donnaient la réplique à la cathédrale. Son éloquence calme, mais insistante, fit une profonde impression ; le Seigneur bénit son ministère et, par son moyen, bien des personnes furent amenées à connaître le salut par Christ. Viret possédait une vaste érudition : il avait lu tous les Pères de l’Église, connaissait à fond la doctrine de chacun d’eux et ainsi tenait tête, sans défaillir, aux champions de la cause adverse, qui le redoutaient plus que tous les autres « prédicants ». Son caractère actif et résolu se revêtait de douceur, assaisonnée de grâce. Cordial, d’abord facile, il se montrait infatigable au travail.

En premières noces, il épousa Élisabeth Turtaz d’Orbe, qu’il eut la grande douleur de perdre au bout de huit ans déjà ; voici les paroles touchantes qu’il écrivit à ce sujet « Par la mort de ma femme bien aimée, le Seigneur m’a frappé — et toute ma famille — du coup le plus dur. Il m’a ôté la moitié de moi-même, il m’a privé d’une fidèle compagne, d’une bonne maîtresse de maison, d’une épouse qui s’adaptait admirablement à mon caractère, à mes travaux, à mon ministère tout entier. Le coup m’éprouve au point qu’il me semble être un étranger chez moi… J’ai été tellement accablé que rien ne pouvait plus me plaire sous le ciel. Je m’accusais moi-même de ne pas supporter mon malheur, je ne dirai pas comme un ministre de Jésus Christ, mais comme un homme qui commence à connaître les vérités de la Parole de Dieu. Moi qui professais d’être non seulement un disciple, mais un prédicateur de la sagesse chrétienne, je ne savais pas user, dans l’excès de ma douleur, des remèdes que je conseillais à autrui ».

Quelque temps après, Viret contracta un second mariage avec une veuve, originaire de Rolle, dont il eut six enfants, Sébastienne de la Harpe. Son unique fils mourut en bas âge ; ses deux filles aînées, Marie et Marthe, furent filleules de Farel et de Calvin. Les détails charmants qui les concernent, comme aussi mainte affaire de ménage, maint incident de la vie quotidienne mettent une note gaie et sympathique dans la correspondance austère des réformateurs. De temps à autre, ils se rendaient visite les uns aux autres ou se réunissaient tous trois chez l’un d’eux. Leurs relations, empreintes de la plus sincère cordialité et qui révèlent le plus parfait accord, sont une des belles pages de l’histoire de la Réformation. Théodore de Bèze a bien marqué le trait distinctif de chacun d’eux, quand il parla de la « science » de Calvin, des « tonnerres » de Farel, du « miel » de Viret. Deux citations encore montreront le réformateur vaudois sous ce jour si aimable de père de famille.

À Calvin il écrit en 1550: « Je suis aux prises avec les difficultés les plus grandes. Je plie sous le faix, d’autant que j’entrevois moins d’espoir d’une amélioration. Ma patience, trop longtemps exposée et meurtrie, qui, je ne sais comment, a duré jusqu’ici, commence à s’irriter. Une seule chose me réconforte : la paix de la famille, l’affection mutuelle et la concorde avec mes collègues et les professeurs, les progrès de l’école. Si cela me manquait, je ne vivrais plus et il me faudrait aller ailleurs… Ma femme, mes fillettes et toute la famille vont bien et me prient de te saluer. Ta filleule est d’un naturel tout à fait doux, agréable, paisible, d’un charmant visage. Lorsque tu viendras, sa vue te rendra joyeux ».

À Farel la même année : « Ta petite Marie aurait trouvé la mort récemment, si Dieu n’avait fait un vrai miracle en sa faveur. En jouant à la façon des enfants et en tirant le cordon de la sonnette fixée au mur de ma maison, elle a fait tomber sur sa tête la sonnette et l’énorme pièce de fer qui la soutenait. Mais, par la providence divine, elle s’est tirée saine et sauve de ce coup qui aurait brisé la tête du plus vigoureux géant. Dieu a détourné le coup ailleurs ; elle n’a eu que de légères contusions, guéries le lendemain ».

Après vingt ans d’activité à Lausanne, Viret entra en conflit avec les magistrats bernois qui prétendaient avoir la haute main sur les mœurs du pays, tandis que le réformateur soutenait que le seul moyen de régénérer les cœurs, c’était de les amener « captifs à l’obéissance du Christ », selon 2 Cor. 10:5. Le gouvernement de Berne ne voulut rien entendre et prononça contre Viret une sentence de bannissement, le considérant comme rebelle aux lois de l’État. Il se rendit donc à Genève où il rejoignit Théodore de Bèze, qui avait quitté Lausanne deux ans auparavant pour des motifs analogues. Mais, après un court séjour auprès de son ami, sa santé sérieusement ébranlée, l’obligea à chercher un climat plus doux ; il se dirigea donc vers le midi de la France et se fixa tout d’abord à Nîmes, où il recommença à prêcher, puis à Lyon. Le gouvernement bernois l’autorisa à faire une courte visite à Orbe, pour y régler des affaires de famille ; il put donc prendre ainsi congé de son pays natal, dont il écrivit un jour : « Si je dois souhaiter que Dieu soit glorifié entre les hommes, où dois-je désirer qu’il le soit plus et plus tost qu’au pays de ma naissance et entre mes circonvoisins ? Et si je suis tenu de souhaiter et de travailler à avancer le talent d’un chascun, autant qu’à moi sera possible, de qui dois je avoir plus de soing sinon de ceux de mon pays mesme ? Je n’ay pas voulu laisser mon pays et ma nation pour m’en aller ailleurs, sans luy avoir premièrement présenté les dons et grâces qui m’ont esté commises du Seigneur, pour les présenter par mon ministère à ceux-là auxquels Dieu m’a conjoinct de plus près ».

Chassé de Lyon par les intrigues des Jésuites, Viret accepta l’invitation de Jeanne d’Albret, mère d’Henri IV, qui l’appelait à enseigner à l’Académie d’Orthez. « Dieu ayant pitié de moi », écrit-il, « m’a conduit dans ce bon pays de Béarn, où j’ai été reçu en grande affection par la reine ». Un dernier orage vint le secouer dans sa paisible retraite. Une armée catholique ayant envahi le Béarn, Viret et d’autres ministres furent gardés comme otages au château de Pau. Quelques mois plus tard, les huguenots reconquirent le royaume et libérèrent les captifs. Dans le service solennel d’actions de grâces qui eut lieu à cette occasion, Viret prêcha sur ce texte : « Notre âme est échappée comme un oiseau du piège des oiseleurs : le piège s’est rompu, et nous sommes échappés. Notre secours est dans le nom de l’Éternel qui a fait les cieux et la terre » (Ps. 124:7-8).

En mars ou avril 1571, sans qu’on sache exactement le lieu ni la date, Pierre Viret s’endormit dans le Seigneur à l’âge de soixante ans environ et entra dans ce repos après lequel il avait soupiré au cours de sa carrière si agitée et marquée par de cruelles souffrances. L’ancien chancelier d’État bernois, Nicolas Zurkinden, apprenant son décès, écrivit à Théodore de Bèze : « J’ai pleuré, non ce frère affranchi désormais des misères de ce bas monde, mais sur l’Église, privée d’un tel serviteur. Je m’affligerais sans mesure si je ne savais qu’il est auprès du Seigneur, où j’espère rejoindre bientôt l’exilé d’autrefois dans la maison du Père ».

Comme on a pu s’en rendre compte, Pierre Viret ne fut pas un initiateur. Entré dans le sillon que d’autres avaient creusé, il n’en présente pas moins un caractère original. Il possédait le tempérament d’un véritable évangéliste, obéissant ainsi à l’adjuration adressée par Paul à Timothée : « Prêche la parole, insiste en temps et hors de temps, convaincs, reprends, exhorte, avec toute longanimité et doctrine » (2 Tim. 4:2). Il annonçait en effet la vérité où qu’il se trouvât, sous les halles, sur les places publiques, dans les fossés de la ville, dans les chapelles, dans les cathédrales, car sa devise était : « Ma vie ne m’est pas si chère que la gloire de Dieu et l’honneur de mon ministère ». Il ajoutait : « Pour m’acquitter fidèlement d’icelui (de mon ministère), il me faut oublier tout ce que je puis avoir de plus cher au monde, voire jusqu’à ma propre vie ».

Viret insiste toujours énergiquement sur la valeur des principes. « Que ce que vous avez entendu dès le commencement demeure en vous : si ce que vous avez entendu dès le commencement demeure en vous, vous aussi vous demeurerez dans le Fils et dans le Père » (1 Jean 2:24). « C’est », dit-il, « par le moyen de la doctrine principalement que l’on peut corriger les erreurs et abus ». Il considère l’Écriture comme l’unique règle de foi. Elle seule possède l’autorité suffisante pour faire contrepoids à celle de l’Église et de la tradition : « Il n’y a point de certaine assurance des choses divines et célestes et de toutes les matières appartenantes à la religion et à nostre salut, sinon en la doctrine céleste révélée à l’Église par le Sainct Esprit ». Le sens de l’Écriture est facile à trouver ; il n’est pas nécessaire, pour l’établir, de recourir aux traditions des Pères ; il suffit, quand il subsiste quelque incertitude, de demander à l’Écriture de s’éclairer elle-même. « Le vray moyen de disputer (discuter) entre chrestiens est de conférer les passages de la Sainte Écriture les uns avec les autres, en telle manière que les plus obscurs soient assez exposés par les plus clairs et que le Sainct Esprit qui en est l’autheur, en soit aussi l’expositeur et le juge lui-mesme ».

Viret porta le gros de son effort à faire pénétrer la Parole de Dieu dans la masse du peuple ; de là l’origine des luttes qui agitèrent sa vie. Il a pour tout premier adversaire le péché. Il combat l’indifférence, la légèreté, les profanations de toute nature. Il souffre profondément du manque de piété jusque chez ceux que la Réforme a atteints et qui ont fait profession de christianisme. Il ne ménage pas ses expressions pour les stigmatiser : « C’est une Réforme manquée, faite à poste (rapidement), par laquelle les hommes ne veulent point réformer leurs mœurs et leurs anciennes et mauvaises coutumes et manières de faire à la règle de l’Évangile, mais veulent réformer l’Évangile à leur règle et le faire servir à leurs affections et à leur gain et profict particulier. Il y en a bien peu qui, sous l’ombre de la liberté de l’Évangile, ne prennent telle licence qu’il leur plaist ».

Le réformateur vaudois ne cesse de répéter que l’homme, laissé à lui-même, ne peut rien pour son salut ; que c’est la foi qui sauve ; « qu’il n’y a de salut en aucun autre » que dans le Seigneur Jésus ; « car aussi il n’y a point d’autre nom sous le ciel, qui soit donné parmi les hommes, par lequel il nous faille être sauvés » (Actes 4:12). Et voici comment il caractérise la prédication : « Ce qu’annoncent les prédicateurs, ils l’annoncent au nom et en l’authorité de celuy qui les a envoyés. Dieu seul, par la secrète opération de son Sainct Esprit, remue les cœurs et fait au-dedans les choses qui sont extérieurement dénoncées et signifiées par la parole. Il faict cela en toute liberté, sans estre attaché aux lieux, aux tems et aux personnes. Bien que la parole des hommes ait d’elle-mesme et de son naturel le pouvoir de toucher et d’esmouvoir les sens extérieurs, toutefois elle ne peut parvenir jusques à l’esprit, pour le toucher et l’esmouvoir, sinon que la vive et puissante parole de Dieu, de laquelle ceste cy est une représentation et image, soit conjoincte avec icelle et que, par la vertu (puissance) de Dieu, elle descoule et parvienne jusques au cœur des hommes ». Tout ceci est une paraphrase de Héb. 4:11-12.

Il ressort de cet exposé, tout d’abord, que le prédicateur doit être convaincu de la vérité du message qu’il proclame : comment persuader les autres, si la certitude n’existe pas dans son esprit et dans son cœur ? « Ceux-là sont seulement dignes d’estre tenus pour vrais prophètes qui croyent eux mesmes et s’efforcent de faire de tout leur pouvoir ce qu’ils preschent et qu’ils enseignent aux aultres ».

Tous les enfants de Dieu peuvent et doivent être des prédicateurs de ce qu’ils ont appris, en mettant en pratique les choses qui leur ont été révélées par le Saint Esprit. Les vrais évangéliques, dit-il aux chrétiens de Montpellier, doivent briller « par bonne et saine doctrine et par sainteté et honnesteté de vie ; ils doivent travailler au salut de leurs frères par bonne et pure doctrine et par bons exemples de saincte vie et honneste ». Il adresse de sévères admonestations au coupable de « jurement » ou de blasphème, à celui qui « a battu et maltraicté sa femme », à celui qui s’est « courroucé » en pleine rue, à celui qui a un différend au sujet d’un « chaudron » ; il flétrit surtout impitoyablement les mauvaises mœurs.

Enfin, détail à relever, à une époque où l’on pratiquait toutes les violences, où les plus mauvaises passions étaient exacerbées dans le domaine de la politique comme dans celui de la religion, Viret, se basant, comme toujours, sur la Parole de Dieu, insiste sur la soumission aux autorités, tant qu’elles ne s’élèvent pas contre la loi divine, et il recommande la pratique de la charité chrétienne, de la tolérance. Il ne craint pas de déclarer aux réformés eux-mêmes que leurs brutalités sont téméraires, sévèrement blâmables. Tel était son prestige, inspiré par sa douceur qui n’excluait point l’autorité, qu’à sa voix, les « excès » cessent, les « affections » (passions) se calment. Les protestants déposent les armes, les rendent : bel exemple donné par cet homme qui avait appris, à l’image de son divin Modèle, à être « doux et humble de cœur » (Matt. 11:29).

C’est encore Viret qui, passant à Valence, sauve un jésuite que l’on conduisait au supplice. À Lyon, quand le gouverneur, à bout de vivres, va jeter dehors les bouches inutiles, soit sept mille vieillards, malades, femmes et enfants, Viret lui remontre que ce serait grande pitié d’envoyer tant de pauvres gens à la boucherie ; qu’il s’agit d’une guerre à laquelle « le moindre pauvre a intérêt, puisque nous combattons pour la liberté de nos consciences ». Le gouverneur prend confiance en Dieu et cède au conseil donné.

Plus que n’importe lequel des réformateurs, Viret réalisa ces mots de Prov. 19:22: « Ce qui attire, dans un homme, c’est sa bonté ». Bèze le qualifie de « merveilleusement débonnaire ». Il fut, dit-il, « le sourire de la Réforme ». Ses dons le prédisposaient à faire l’éducation des masses, tâche à laquelle il appliqua avec amour toute son activité. Dans son Instruction chrétienne, il montre que la loi divine est indispensable dans les sociétés humaines, puis il fait une exposition familière du décalogue, semée de préceptes pratiques, d’exemples tirés de la vie ordinaire. À propos de la sanctification du dimanche, il écrit un chapitre intitulé : « De ceux qui vont au sermon pour y dormir ». Il attaque avec véhémence ceux « qui s’appellent déistes, d’un nom tout nouveau », gens qui ne nient point Dieu, mais ignorent le Seigneur Jésus, savants, littérateurs, épicuriens d’érudition, dilettantes du doute : « Il y a danger », s’écrie-t-il, « que nous n’ayons plus de peine à combattre avec de tels monstres qu’avec les superstitieux et idolâtres ». Ce n’est point que Viret décrie la science, ni qu’il l’ignore de propos délibéré ; au contraire, il parle de la nature en termes élevés, bien propres à nous faire admirer la variété et l’étendue de ses connaissances. Mais il préfère, comme il dit, « un pauvre laboureur qui connaît son Dieu et Jésus Christ son Sauveur et les confesse en son rude langage, à tous ces grands poètes, orateurs et philosophes, qui en sont du tout ignorants ». Selon Viret la science doit être « chambrière et servante de la foi ». Le savant doit « enfantiller avec les enfants, user de rusticité avec les rustiques, édifier les pauvres ignorants, ainsi qu’ils édifient les savants ». Cette prédilection de Viret pour les humbles frappait ses adversaires, si bien que Pierrefleur lui reprochait de séduire de préférence « les pauvres et simples gens ».

C’est une figure singulièrement attachante que celle de Pierre Viret. Il ne se place pas au premier plan et ne désire pas y être. Moins brillant que les autres réformateurs, remarquable par sa constante et sincère humilité, il travailla avec ardeur et avec foi à la tâche que le Seigneur avait placée devant lui, selon 1 Cor. 4:2: « Ce qui est requis dans des administrateurs, c’est qu’un homme soit trouvé fidèle » (2 Cor. 5:9). Nul ne mit plus d’ « ardeur à lui être agréable ». Malgré une santé chancelante, de cruelles épreuves, une opposition sans cesse renaissante, « il tint ferme, comme voyant celui qui est invisible » (Héb. 11:27).


Farel fut appelé comme pasteur à Neuchâtel en 1538 ; il y mourut en 1565, âgé de soixante-seize ans. De fréquents congés lui permirent de faire rayonner son influence dans les lieux les plus divers, entre autres à Metz et dans le Dauphiné, sa patrie. On a remarqué avec raison que, tandis qu’on parle de Luthériens, de Calvinistes, de Zwingliens, de bien d’autres encore dont les convictions sont rattachées au nom d’un homme, jamais on n’a prononcé le terme de « Farélites ». Guillaume Farel aurait été le premier à protester énergiquement contre une appellation pareille. Comme l’apôtre Paul, il eût été en droit de se rendre, en toute justice, ce témoignage : « Je n’ai pas jugé bon de savoir quoi que ce soit parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié » (1 Cor. 2:2). Il put écrire ces mots : « Je ne puis souffrir que personne cherche le salut dans les choses d’ici-bas, au lieu de les chercher en Jésus Christ seul. Qui aurait raison de me condamner si j’affirmais qu’il n’y a nul évangile, nulle bonne nouvelle, sinon en Jésus seul ? ». Il ne voulait amener ses auditeurs à personne d’autre qu’au Seigneur lui-même, à sa Parole, à ses promesses. « Si nous le connaissons », disait-il encore, « nous devons le connaître où il est, à la droite du Père » (On notera que cette affirmation revient dans une des thèses présentées à la dispute de Lausanne).

Toutefois, de sa première éducation romaine, Farel avait gardé l’empreinte de l’idée d’autorité en ce qui concerne la manière d’amener les hommes à la vérité révélée dans la Bible, les voies et moyens à employer pour leur faire accepter cette vérité. Un historien a tracé de lui ce portrait : « Partout où cet homme petit et laid, au visage bruni par le soleil, à la barbe rouge et aux cheveux hérissés, faisait son apparition et annonçait la Parole de Dieu, la lutte et les orages ne manquaient pas de se déchaîner. Il était rare qu’un de ses prêches se terminât sans tumulte. Il trouvait son plaisir à provoquer la colère de ses adversaires, à prendre la parole au milieu du vacarme, à couvrir de sa voix puissante, que les contemporains comparaient au tonnerre, les vociférations d’une foule agitée… Aucun nom n’était plus détesté des catholiques que le sien. Le clergé romain mettait tout en œuvre pour se débarrasser de l’intrus ; le peuple des campagnes s’ameutait contre lui. À mainte reprise il fut assailli dans ses pérégrinations, maltraité à coups de poing et à coups de pied, et même jeté au cachot. On le vit souvent battu, ensanglanté, malmené au point de cracher le sang. Mais ni la prison, ni les mauvais traitements n’étaient de force à briser son courage. Encore tout meurtri et couvert de plaies, il se remettait à l’œuvre ».

Le grand souci de Farel, c’est que le nom du Seigneur soit glorifié. Il a écrit, en parlant du nom de Christ : « Ne veux-je pas qu’en tous lieux il flamboie ? ». Au cours de sa longue carrière, ces mots de Jean 3:30 ne cessent de le préoccuper : « Il faut que lui croisse, et que moi je diminue ». Aussi, lorsqu’on chercha à honorer sa mémoire tout en restant fidèle à son esprit, a-t-on bien fait de se contenter de graver son nom sur une pierre de la Collégiale de Neuchâtel, en le faisant suivre de ces trois mots seulement : « Gloire à Dieu ! »

Quant à Antoine Froment, le collaborateur de Farel à Genève à l’aurore de la Réforme, il ne répondit pas aux espoirs qu’on avait cru pouvoir faire reposer sur lui. Il fut pasteur à Genève tout d’abord, puis dans la région de Thonon, où il paraît avoir vécu dans une misère telle qu’il finit par ouvrir une boutique où il vendait des huiles et du vin ; il avait du reste le génie du commerce. Les préoccupations matérielles prirent une telle place dans sa vie qu’il abandonna la carrière pastorale et rentra à Genève, où il fut secrétaire de François Bonivard, puis il prit une patente de notaire. Il se maria peu heureusement et se laissa entraîner à des fautes graves qui le firent bannir de la ville. « Froment », disait Farel en jouant mélancoliquement sur le nom de son ami d’autrefois, « a dégénéré en ivraie ».

Pendant plusieurs années Froment mena une vie errante, au cours de laquelle il séjourna assez longtemps à Vevey. Vers la fin de sa vie, il reçut l’autorisation de rentrer à Genève où il mourut en 1572, en laissant une succession criblée de dettes. Triste couronnement d’une carrière qui s’était annoncée pleine des plus belles promesses. Froment était éloquent et courageux ; il avait montré un zèle sincère pour le service du Seigneur. Mais l’amour du monde prit le dessus chez lui ; il n’écouta pas l’exhortation de l’apôtre : « N’aimez pas le monde, ni les choses qui sont dans le monde : si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui » (1 Jean 2:15).
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016 - 21:06

La Restauration Catholique


Le Concile de Trente


Malgré l’opposition violente et continuelle qu’elles rencontraient, les doctrines protestantes se propageaient toujours davantage. Elles avaient pris pied solidement dans plusieurs pays : l’Angleterre, l’Écosse, les Pays Bas hollandais, dans une grande partie de l’Allemagne et de la Suisse. Ailleurs elles tenaient tête à l’Église romaine. Parmi les catholiques il était des âmes sincères qui reconnaissaient la nécessité d’une réforme ; les abus étaient trop criants pour ne pas froisser ceux qui avaient à cœur les vrais intérêts des choses touchant à la religion. Les esprits clairvoyants les avaient dénoncés depuis longtemps ; si on les avait écoutés, une réforme se serait faite au sein de l’Église elle-même ; certains papes du reste s’y étaient essayés. Mais ces efforts n’avaient rien eu que d’extérieur, du moment qu’ils ne visaient point à supprimer le mal, mais bien plutôt à consolider la puissance ecclésiastique. Il aurait fallu mettre la cognée à l’arbre et l’abattre résolument. Avant Luther, personne n’avait osé entreprendre une tâche pareille ; on sentait instinctivement qu’une fois la besogne commencée, elle aboutirait à la ruine totale de l’édifice entièrement bâti par la main des hommes.

L’Église catholique considéra d’abord avec mépris et sans inquiétude les progrès de l’hérésie naissante. Elle crut que, pour l’anéantir, il suffirait, comme jadis, des foudres du Saint-Siège et des bûchers de l’Inquisition. Quand enfin elle s’aperçut des progrès du protestantisme, elle reconnut que celui-ci répondait à des besoins spirituels sérieux et elle comprit qu’il fallait, bon gré mal gré, donner à ces besoins une satisfaction quelconque. C’est alors qu’elle essaya d’opposer à la Réforme protestante une sorte de réforme ou plutôt de restauration catholique. De toutes parts et depuis longtemps de vives réclamations s’étaient élevées contre les désordres ecclésiastiques et la démoralisation du clergé, il importait qu’on se hâtât de faire disparaître ces taches honteuses. La Réforme avait attaqué jusque dans leurs bases les dogmes et les institutions de l’ancienne Église ; il fallait, pour lui résister, rajeunir tous les anciens moyens d’oppression. L’Église avait mésusé de sa puissance ; on devait donc y remédier, rendre en tous cas moins choquante la position que la papauté s’était arrogée vis-à-vis des souverains, en s’attribuant une autorité temporelle qui contredisait son essence même.

Dans ce but le pape Paul III convoqua à Trente en Tyrol un concile œcuménique, terme indiquant qu’il comprendrait des représentants de toute la chrétienté, c’est-à-dire des protestants aussi. Mais ceux-ci refusèrent de s’y rendre. La composition de l’assemblée leur montra qu’ils y figureraient à titre d’accusés, nullement de collaborateurs. La majorité des membres appartenaient en effet au clergé italien et allemand dont on connaissait l’animosité de principe contre tout ce qui ne leur cédait pas entièrement. En outre, le concile se tenait en communication constante avec le Saint-Siège ; c’est dire que c’est de Rome que venait l’inspiration. Le pape redoutait en effet par-dessus tout de voir le concile s’ériger en instance suprême de l’Église et aller jusqu’à limiter l’autorité pontificale.

Le concile de Trente posa d’abord en principe le maintien absolu de tous les dogmes de l’Église catholique. La doctrine ainsi fixée devait être considérée comme infaillible (*) ; on n’avait plus à la discuter, encore moins à la transformer. Une fois la décision prise, le concile pria le pape de la sanctionner, reconnaissant par là la suprématie du souverain pontife vis-à-vis de l’assemblée des prélats et soumettant de la sorte l’Église à son autorité absolue. Il n’en faut pas davantage pour montrer que les protestants ne pouvaient à aucun prix siéger dans un aréopage qui affichait des principes pareils et se mettait en contradiction flagrante avec la Parole de Dieu dont, du reste, elle interdisait la lecture aux laïques ; ceux-ci ne devaient la connaître que par l’intermédiaire du clergé qui l’interprétait. Or le Seigneur Jésus dit : « Sondez les Écritures, car vous, vous estimez avoir en elles la vie éternelle, et ce sont elles qui rendent témoignage de moi » (Jean 5:39).


(*) On remarquera qu’il s’agit ici de l’infaillibilité de la doctrine, non de celle du pape, qui ne fut proclamée qu’en 1870, par le concile de Vatican 1.

Le concile proclama que les croyances de l’Église reposent sur les Saintes Écritures, mais « complétées par la tradition ». Or c’est précisément par la tradition qu’elle justifie ses fausses pratiques ; celles-ci supplantent et annulent donc la Parole de Dieu, comme le faisaient déjà les Juifs : « Mais Jésus, répondant, leur dit : Et vous, pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu à cause de votre tradition ? car Dieu a commandé, disant : « Honore ton père et ta mère » ; et : « que celui qui médira de père ou de mère, meure de mort » ; mais vous, vous dites : Quiconque dira à son père ou à sa mère : Tout ce dont tu pourrais tirer profit de ma part est un don, — et il n’honorera point son père ou sa mère. Et vous avez annulé le commandement de Dieu à cause de votre tradition » (Matt. 15:3-6).

Enfin le concile déclara encore que l’Église romaine est supérieure à toute autre et que tout catholique doit obéissance au pape, « successeur de saint Pierre et vicaire de Jésus Christ ». On ne saurait accumuler plus d’erreurs, plus de contradictions flagrantes avec l’enseignement du Seigneur.

Pour se maintenir et se défendre, l’Église sentait le besoin de recourir à des auxiliaires. Un des plus efficaces se trouva dans l’ordre des Jésuites. En outre elle remit en vigueur les vieux moyens d’oppression. L’inquisition fut rajeunie ; son tribunal suprême siégea à Rome. Partout il établit d’autres tribunaux et délégua des inquisiteurs avec un pouvoir illimité pour rechercher et punir chaque atteinte à la foi. Ni rang, ni dignité ne devaient se soustraire à leur justification. Ils pouvaient faire arrêter toute personne suspecte, punir de mort les coupables et vendre leurs biens. Aucun ouvrage ancien ou moderne ne devait paraître sans leur autorisation. Afin de surveiller les publications récentes, on institua la fameuse Congrégation de l’Index, chargée de dresser la liste des ouvrages prohibés. L’inquisition se mit aussitôt à l’œuvre. En Italie la terreur régna bientôt d’un bout à l’autre de la péninsule. Tout ce qui sentait la nouveauté fut proscrit et les routes qui conduisaient en Suisse et en Allemagne se couvrirent de fugitifs. Heureusement l’inquisition ne fut pas accueillie avec la même faveur par les autres contrées catholiques. L’Espagne seule l’accepta sans réserve.


Les Jésuites


Fondé par un gentilhomme basque, Ignace de Loyola, l’ordre des Jésuites prononce le vœu d’obéissance absolue au pape. Son organisation puissante en fait une véritable armée, dirigée par un général et animée par le principe de la soumission complète de l’inférieur au supérieur. La vie des Jésuites différait totalement de celle des moines : pas de solitude, pas d’austérités excessives, pas d’habits monastiques ; l’ordre comprenait nombre de laïques outre les ecclésiastiques. Plus ou moins jetés dans le monde, mêlés aux hommes et aux affaires, ils se sont répandus sur la surface du monde entier, dans les pays protestants comme dans les pays catholiques, s’immisçant dans tout, dans la politique comme dans la vie privée.

Les Jésuites s’assignèrent pour but le triomphe de ce qu’on appelle l’ultramontanisme, c’est-à-dire des doctrines catholiques telles qu’on les comprend en Italie. Ils voulaient soumettre à l’autorité du pape princes et peuples, rendre cette autorité souveraine en tout et partout, puis répondre aux besoins intellectuels et moraux qui avaient fait éclater la Réformation. Ayant posé en principe l’excellence de l’objet qu’ils avaient en vue, ils estimèrent qu’ils devaient le faire aboutir par tous les moyens possibles, légitimes ou prohibés par la morale publique, peu importe. L’idéal poursuivi les sanctifiera, d’où la formule célèbre : la fin justifie les moyens, affirmation subversive entre toutes, puisqu’elle ouvre la porte à n’importe quel abus de pouvoir, légitime l’arbitraire, annihile l’effet des lois, protectrices de la société. C’est la ruine de la civilisation, de l’ordre établi.

Mais demandera-t-on, qui se prononcera sur la valeur du but à atteindre ? Il peut paraître excellent à l’un, haïssable à l’autre. Ici intervient l’élément humain : l’Église est l’instance souveraine et juge sans appel. L’individu n’a qu’à suivre la voie qu’on lui trace. Pourvu qu’il travaille aux intérêts de la papauté, il lui suffisait de répondre à ce que lui dictait son cœur et l’Église l’assurait de son approbation. Or la Parole de Dieu nous dit que « le cœur est trompeur par-dessus tout et incurable », et elle ajoute : « Qui le connaît ? Moi, l’Éternel, je sonde le cœur, j’éprouve les reins ; et cela pour rendre à chacun selon ses voies, selon le fruit de ses actions » (Jér. 17:9-10). Non pas que les Jésuites niassent les Écritures ; trop habiles pour commettre une maladresse pareille, qui les discréditerait auprès de nombre de leurs coreligionnaires sincères, ils les citaient à tout propos, mais en les interprétant et en les appliquant à leur gré selon 2 Pierre 3:16-17: « Choses… difficiles à comprendre, que les ignorants et les mal affermis tordent, comme aussi les autres écritures, à leur propre destruction ». On leur a adressé à bon droit ce reproche cinglant : « Vos propres généraux ont prévu que le dérèglement de votre doctrine dans la morale peut être funeste non seulement à votre société, mais encore à l’Église universelle ». Or c’est cette Église qu’ils prétendent protéger.

Ils la mettaient bien plutôt au service des mauvaises passions humaines qu’elle couvrait de son autorité. Rendue ainsi la complice indispensable de leurs actions criminelles, ceux qui les commettaient voyaient leur intérêt à la soutenir ; elle triomphait grâce à leurs vices. On ne saurait énumérer ici toutes les complaisances que la doctrine jésuitique avait imaginées pour rassurer les pécheurs ; elles trouvaient leur application surtout dans l’acte de la confession, instituée par l’Église romaine pour provoquer la contrition d’avoir offensé Dieu par quelque péché ; elle a pour sanction la pénitence que le prêtre pouvait imposer au coupable. L’une et l’autre pratiques sont en contradiction formelle avec ce que dit la Bible : « Je confesserai mes transgressions à l’Éternel ; et toi, tu as pardonné l’iniquité de mon péché » (Ps. 32:5). « Si nous confessons nos péchés, il (Dieu) est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés et nous purifier de toute iniquité » (1 Jean 1:9). Mais le jésuitisme visait à expliquer la faute, partant à l’atténuer, à l’excuser à tel point qu’il en venait à la justifier purement et simplement. Comme l’écrivait un de leurs contradicteurs les plus autorisés et les plus incisifs, Blaise Pascal, dans ses Provinciales : « Ils contentent le monde en permettant les actions, et ils satisfont à l’Évangile en purifiant les intentions ». Les jésuites eux-mêmes s’exprimaient comme suit à ce sujet : « Ce n’est pas qu’autant qu’il est en notre pouvoir nous ne détournions les hommes des choses défendues ; mais quand nous ne pouvons pas empêcher l’action, nous purifions au moins l’intention ; et ainsi nous corrigeons le vice par la pureté de la fin ». Avec un véritable cynisme, ils affirmaient par exemple : « Si les valets peuvent en conscience faire de certains messages fâcheux, c’est seulement en détournant leur intention du mal dont ils sont les entremetteurs pour la porter au gain qui leur en revient. Voilà ce que c’est que de diriger l’intention ». Les Jésuites couvraient de la sorte tous les actes condamnés par la morale courante la plus élémentaire. Dès la chute Dieu mit dans le cœur de l’homme la notion du bien et du mal. L’enfant, dès son âge le plus tendre, en a la conscience ; bien avant d’avoir atteint ce qu’on appelle l’âge de raison, il a le sens de ce que les parents lui permettent et ne lui permettent pas. Voilà ce que les Jésuites prétendent effacer. On lit dans Héb. 4:12-13: « La parole de Dieu est vivante et opérante, et plus pénétrante qu’aucune épée à deux tranchants, et atteignant jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; et elle discerne les pensées et les intentions du cœur. Et il n’y a aucune créature qui soit cachée devant lui, mais toutes choses sont nues et découvertes aux yeux de celui à qui nous avons affaire ».

Le croyant n’a qu’une ligne de conduite, celle que lui trace la Parole de Dieu ; elle éclaire son chemin d’une lumière éclatante, le juge s’il s’en écarte. Elle nous exhorte (Matt. 6:22) à avoir un « œil simple », grâce auquel « le corps tout entier sera plein de lumière ». Ces enseignements, si clairs, de la Bible, la théorie jésuitique des opinions probables les réduit à néant. Elle déclare que « une opinion est appelée probable lorsqu’elle est fondée sur des raisons de quelque considération. D’où il arrive quelquefois qu’un seul docteur fort grave peut rendre une opinion probable ». « D’où il résulte », fait remarquer Pascal, « qu’un seul docteur peut tourner les consciences et les bouleverser à son gré, et toujours en sûreté ». Et si deux docteurs « graves » ont l’un et l’autre émis une opinion probable, mais que leurs avis soient diamétralement opposés, on suivra celui des deux qui vous agrée le mieux, celui qui vous sera le plus profitable. Tel est le système appelé la casuistique, celle-ci s’appliquant aux cas les plus divers. « Ils ne le cachent à personne et couvrent leur prudence humaine et politique du prétexte d’une prudence divine et chrétienne, comme si la foi n’était pas toujours une et invariable dans tous les temps et dans tous les lieux, comme si c’était à la règle à se fléchir pour convenir au sujet qui doit lui être conforme, et comme si les âmes n’avaient pour se purifier de leurs taches qu’à corrompre la loi du Seigneur ». On trouve au Ps. 19:7: « La loi de l’Éternel est parfaite, restaurant l’âme ; les témoignages de l’Éternel sont sûrs, rendant sages les sots ». Comme on le voit, jamais les Jésuites ne font mention de l’œuvre de la grâce de Dieu, soit pour sauver le pécheur, soit pour accompagner le racheté dans ce monde ; c’est ce qui provoqua le conflit entre eux et les Jansénistes de Port-Royal, pour lesquels Pascal avait une grande sympathie. Comme il le dit expressément en parlant des Jésuites : « vous avez bien mis ceux qui suivent vos opinions probables en assurance à l’égard de Dieu et de la conscience, car, à ce que vous dites, on est en sûreté de ce côté-là en suivant un docteur grave. Vous les avez encore mis en assurance du côté des confesseurs, car vous avez obligé les prêtres à les absoudre, sur une opinion probable, à peine de péché mortel. Mais vous ne les avez point mis en assurance du côté des juges, de sorte qu’ils se trouvent exposés au fouet et à la potence en suivant vos probabilités ».

Ce n’est pas tout encore. Il est des cas où l’on peut être contraint de se prononcer catégoriquement ou bien d’articuler une promesse nette par oui ou par non. Les Jésuites prétendaient encore tirer d’affaire ceux que la parole donnée a mis dans quelque embarras. Voici en quels termes ils formulaient la théorie des restrictions mentales : « On peut jurer qu’on n’a pas fait une chose, quoiqu’on l’ait faite effectivement, en entendant en soi-même qu’on ne l’a pas faite un certain jour, ou avant qu’on fût né, ou en sous-entendant quelque autre circonstance pareille, sans que les paroles dont on se sert aient aucun sens qui le puisse faire connaître. Et cela est fort commode en beaucoup de rencontres, et est toujours très juste quand cela est nécessaire, ou utile pour la santé, l’honneur ou le bien ». Il est également permis d’user de « termes ambigus en les faisant entendre en un autre sens qu’on ne les entend soi-même ». En outre disait-on « les promesses n’obligent point quand on n’a point intention de s’obliger en les faisant ». Ici encore et toujours « l’intention règle la qualité de l’action ». C’est « dire la vérité tout bas et un mensonge tout haut ».

Entraînés, par ce relâchement complet du sens moral, sur la pente glissante et dangereuse de l’opportunisme, les Jésuites étaient arrivés au blasphème positif en faisant de Dieu l’auteur du mal qui se commet. « Une action ne peut être imputée à péché », écrit l’un d’eux, « si Dieu ne nous donne, avant que de la commettre, la connaissance du mal qui y est et une inspiration qui nous excite à l’éviter ». S’il fallait réfuter des propos aussi abominables, il suffirait de rappeler ce que dit de lui-même l’apôtre Paul en 1 Tim. 1:15, où il se qualifie de « premier des pécheurs », mais « miséricorde lui avait été faite », parce qu’il avait agi dans l’ignorance (v. 13) et bien qu’il eût persécuté l’assemblée avec zèle (Phil. 3:6).

Pareilles théories avaient leur contrecoup dans la vie courante. Pour le Jésuite, « ce n’est qu’un péché véniel de calomnier et d’imputer de faux crimes pour ruiner de créance qui parle mal de nous ». À quoi Pascal répondait : « Quand il s’agirait de convertir toute la terre, il ne serait pas permis de noircir des personnes innocentes, parce qu’on ne doit pas faire le moindre mal pour en faire réussir le plus grand bien et que la vérité de Dieu n’a pas besoin de notre mensonge ». Nous lisons que le diable « est menteur, et le père du mensonge » (Jean 8:44).

Ils justifiaient le vol avec la même désinvolture. Quant au meurtre, il devenait légitime quand il s’agissait, par exemple, de défendre son honneur. Un fils pouvait désirer la mort de son père et se réjouir quand elle arrive, pourvu que ce ne soit que pour le bien qui lui en revient et non pas par haine personnelle. À l’instigation de Richelieu, Louis XIII avait interdit le duel entre nobles ; la subtilité des Jésuites le tolérait dans l’Église. On s’indigne de les voir recourir à la Bible lorsque celle-ci les condamne de façon formelle. Ils autorisent la vengeance quand Paul écrit aux Romains 12:17, 19: « Ne rendant à personne mal pour mal ; … ne vous vengeant pas vous-mêmes,… car il est écrit : À moi la vengeance ; moi je rendrai, dit le Seigneur ». Et encore : « Le magistrat… ne porte pas l’épée en vain ; car il est serviteur de Dieu, vengeur pour exécuter la colère sur celui qui fait le mal ». Mais d’autre part, « ceux qui commettent de telles choses sont dignes de mort », et non seulement ceux qui les pratiquent, mais aussi ceux qui « trouvent leur plaisir en ceux qui les commettent » (Rom. 1:32).

Si le criminel doit comparaître devant le tribunal, il n’a rien à redouter, lui assurent les pères jésuites, car ils l’autorisaient à acheter les juges à prix d’argent : Un juge, affirmaient-ils, est bien obligé de rendre ce qu’il a reçu d’un plaideur en faveur de qui il a prononcé un arrêt juste, mais il n’est jamais obligé à rendre ce qu’il a reçu d’un homme en faveur duquel il a rendu un arrêt injuste. Faut-il enfin parler de l’aumône ? Le Seigneur exhortait ceux qui l’écoutaient à se montrer bienfaisants envers les nécessiteux, alors qu’ils disposaient peut-être eux-mêmes de quelque superflu. Mais les Jésuites disent : « Plusieurs casuistes ont trouvé moyen de décharger les personnes les plus riches de l’obligation de donner l’aumône. On ne voit pas facilement l’accord en interprétant le mot superflu, en sorte qu’il n’arrive presque jamais que personne en ait. Ce que les personnes du monde gardent pour relever leur condition et celle de leurs parents n’est pas appelé superflu. Et c’est pourquoi à peine trouvera-t-on qu’il y ait jamais de superflu dans les gens du monde, et non pas même dans les rois ».

Enfin, ce que Pascal dénonce de plus révoltant dans ces enseignements des Jésuites, c’est que certains d’entre eux ont mis en question la nécessité d’aimer Dieu. « Quand est-on obligé d’avoir actuellement affection pour Dieu ? » ose écrire l’un d’eux. Suarez dit que c’est assez si on l’aime avant l’article de la mort, sans déterminer le temps ; Vasquez, qu’il suffit encore à l’article de la mort ; d’autres, quand on reçoit le baptême ; d’autres, quand on est obligé d’être contrit ; d’autres, les jours de fêtes. Et pourtant l’antique commandement subsiste dans toute sa plénitude et toute sa force : « Tu aimeras l’Éternel, ton Dieu, de tout ton cœur, et de toute ton âme, et de toute ta force. Et ces paroles, que je te commande aujourd’hui, seront sur ton cœur » (Deut. 6:5-6). Comme on le leur a dit, les Jésuites anéantissent par là la moralité chrétienne en la séparant de l’amour de Dieu, dont ils prétendaient dispenser les hommes, encourageant un seul désir, celui de vivre à leur aise dans ce monde, sans se voir astreints à la moindre restriction quelconque. Mais, pour reprendre l’argumentation de Pascal sur cette question, le monde doit se soumettre aux lois que Dieu a établies dans sa sagesse éternelle, bien que le diable y ait mis les lois qu’il lui a plu d’instituer. « Le Seigneur a mis l’honneur à souffrir : le diable, à ne point souffrir. Jésus Christ a dit à ceux qui reçoivent un soufflet de tendre l’autre joue ; et le diable a dit à ceux à qui on veut donner un soufflet de tuer ceux qui voudront leur faire cette injure (Voir Matt. 5:39 ; Luc 6:29). Jésus Christ déclare heureux ceux qui participent à son opprobre ; et le diable déclare malheureux ceux qui sont dans l’ignominie (Matt. 5:11). Jésus Christ a dit : « Malheur à vous quand tous les hommes diront du bien de vous » ; et le diable dit : « Malheur à ceux dont le monde ne parle pas avec estime ».

Ce qui précède explique l’emprise formidable des Jésuites sur les esprits timides, mal affermis ou bien enclins au mal. Se prétendant conduits par « la sagesse divine, qui est plus assurée que la philosophie », ils ont une assez bonne opinion d’eux-mêmes pour croire qu’il est utile et même nécessaire au bien de la religion que leur crédit s’étende partout et qu’ils gouvernent toutes les consciences. On a pu dire que, selon eux, de deux personnes qui faisaient la même chose, celui qui ne savait pas leur doctrine péchait et que celui qui la savait ne péchait pas. L’un d’eux a même avoué ceci : « Les hommes sont aujourd’hui tellement corrompus que, ne pouvant les faire venir à nous, il faut bien que nous allions à eux. Autrement ils nous quitteraient ; ils feraient pis : ils s’abandonneraient complètement. Et c’est pour les retenir que nos casuistes ont considéré les vices auxquels on est le plus porté dans toutes les conditions, afin d’établir des maximes si douces, sans toutefois blesser la vérité, qu’on serait de difficile composition si l’on n’en était content ». Aveu terrible sous sa forme pateline ! N’est-ce pas là le moyen le plus propre à retenir les pécheurs dans leurs désordres par la fausse paix que cette confiance téméraire apporte, plutôt que de chercher à les en sortir en leur présentant la grâce de Dieu, seule capable de les sauver ?

Les Jésuites étaient passés maîtres dans l’art de la séduction. Toute leur formation intellectuelle y tendait. Plus prudents aujourd’hui qu’autrefois, car ils savent à merveille s’adapter aux circonstances, on les rencontre dans tous les milieux, en particulier dans l’enseignement. Les professeurs Jésuites sont d’autant plus appréciés qu’ils sont excellents pédagogues. Leurs livres d’école sont des modèles du genre au point de vue de la forme, clairs, attrayants, bien rédigés. Mais le fond laisse presque toujours à désirer


L’Église catholique elle-même finit par s’alarmer d’avoir, pour la soutenir, des auxiliaires aussi suspects. La prospérité matérielle des Jésuites suscita également contre eux une violente animosité : sous prétexte de missions, ils avaient fondé aux colonies des maisons de commerce qui, menées selon leurs principes, faisaient aux négociants honnêtes une concurrence ruineuse. Les unes après les autres, les puissances catholiques leur fermèrent leurs États sous la pression d’un irrésistible mouvement d’opinion, et, en 1773, le pape Clément XIV, cédant aux instances dont il était l’objet, prononça la suppression de l’ordre. Celui-ci se reconstitua cependant secrètement, les membres dispersés ayant maintenu le contact entre eux. En 1814 Pie VII rétablit les Jésuites dans tous leurs droits et privilèges.

Rendus prudents par ces circonstances, les Jésuites ont modifié le caractère de leur activité. Ils s’occupent beaucoup de missions et non sans succès. En Europe leur sort subit les vicissitudes de la politique et ils eurent à subir le contrecoup des révolutions qui agitèrent le 19° siècle (*).

(*) En Suisse, dans l’année 1847, les Jésuites furent cause d’une guerre civile. Le gouvernement de Lucerne leur avait confié la tâche de diriger l’enseignement public dans ce canton. Émus du danger qui pouvait en résulter pour la Suisse entière, la majorité des cantons invitèrent Lucerne à se désister de cette entreprise. Lucerne ayant refusé et six cantons s’étant solidarisés avec lui, les autres les y contraignirent par la force des armes.
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016 - 21:06

La Réforme dans les autres pays d’Europe 


Pays de langue Anglaise

 Angleterre


Deux circonstances, en apparence contradictoires, servirent, dans la main de Dieu, à l’avènement de la Réforme en Angleterre : la fidélité des Lollards ; la position prise par le roi Henri VIII vis-à-vis du Saint Siège.

On a vu plus haut comment, au 14° siècle déjà, Wiclef arriva à connaître le salut par la grâce et comment le flambeau qu’il avait allumé fut entretenu et transmis à la postérité par d’humbles chrétiens qui se recrutaient presque tous parmi les petits de ce monde. Leur témoignage contribua à ébranler chez nombre d’Anglais leur confiance dans les doctrines pontificales ; il diminua sérieusement l’influence de la papauté et ouvrit les voies au grand mouvement des esprits au 16° siècle. Mais Rome avait l’œil ouvert et plus d’un de ces serviteurs du Seigneur, « desquels le monde n’était pas digne » (Héb. 11:38), paya de sa vie son attachement aux vérités qu’il avait apprises.

Au milieu du 15° siècle une guerre civile, celle des Deux Roses, déchira l’Angleterre et entrava gravement l’essor de la vie artistique et intellectuelle. Le commerce se trouva réduit à sa plus simple expression ; l’ignorance régnait sur tout le pays et, sauf parmi les Lollards, tout vestige de piété sincère semblait avoir disparu. C’est dans ces conditions que Henri VIII monta sur le trône. Destiné par son père à la carrière ecclésiastique, il avait fait de fortes études et garda toujours un goût prononcé pour les questions théologiques. Les humanistes saluèrent avec joie son avènement ; Érasme surtout se répandit en éloges sur les talents dont Dieu avait richement comblé ce prince, mais qu’il employa de façon déplorable.


Toutefois, le savant hollandais changea bientôt de ton. Pendant un séjour qu’il fit en Angleterre, il n’avait pas manqué l’occasion de lancer des sarcasmes cinglants contre les moines de ce pays, auxquels il ne reconnaissait que deux caractères distinctifs : leur gloutonnerie et leur ignorance. Devenu par conséquent l’objet de la haine du clergé, il jugea bon de partir directement pour Bâle où il publia, très peu après, la première édition de son Nouveau Testament grec. À peine sortis de presse, quelques exemplaires, expédiés à Oxford et à Cambridge, y rencontrèrent un accueil enthousiaste. Luther n’avait pas encore affiché ses thèses à la porte de la cathédrale de Wittemberg que l’Angleterre possédait déjà la Parole divine, le pur Évangile de Jésus Christ. Un de ces Nouveaux Testaments tomba entre les mains d’un étudiant de l’université d’Oxford, William Tyndale ; il le lut avec avidité, fut converti et n’eut plus dès lors qu’une pensée, celle de communiquer à d’autres le trésor qu’il possédait. Il donna dans ce but une série de conférences, puis se mit à traduire en anglais la Bible entière. Ne pouvant se livrer à ce gros travail en Angleterre avec tout le recueillement voulu, à cause de l’agitation qui régnait encore dans le pays, il se rendit à Anvers, où il publia le Nouveau Testament d’abord, puis l’Ancien. Cette traduction fit rapidement son chemin dans les demeures des nobles comme dans celles des humbles. Tyndale subit plus tard le supplice du feu, mais son nom demeurera toujours lié à l’établissement de la Réforme en Angleterre.

Comme l’a fait remarquer Merle d’Aubigné, le grand historien de la Réforme, celle-ci, en Angleterre, est due essentiellement à l’action de la Parole de Dieu, plus peut-être que dans aucun autre pays. « On n’y trouve pas de grandes individualités, comme en Allemagne, en Suisse, en France, où l’on rencontre un Luther, un Zwingli, un Calvin ; mais les Saintes Écritures s’y répandent abondamment. C’est la Parole du Dieu vivant, cette puissance invisible, qui a répandu la lumière dans les îles Britanniques dès l’année 1517, et plus encore à partir de 1526. Le christianisme anglo-saxon se distingue par son caractère nettement biblique et c’est ce qui l’a conduit à être, plus que tout autre, l’instrument, dirigé par Dieu, pour provoquer la diffusion des oracles divins dans le monde entier ».

Déjà tout au début de son règne Henri VIII se posa en protecteur intrépide de l’Église romaine. Indigné des virulentes attaques de Luther contre le catholicisme, il rédigea à son adresse un pamphlet grossier qui lui valut, de la part du pape Léon X, le titre de défenseur de la foi. Mais, au bout de quelques années, ces relations cordiales s’altérèrent complètement. Avant de monter sur le trône, Henri VIII avait épousé Catherine d’Aragon, veuve de son frère et tante de Charles-Quint. Au bout de vingt ans de mariage, le roi prétendit avoir des scrupules sur la légitimité de cette union. Le fait est qu’une autre femme, Anne Boleyn, avait attiré ses regards. Tout son rêve était de l’épouser. Pour cela il devait demander au pape de défaire ce qu’un autre pape avait permis. Il interrogea donc les docteurs de l’Église. L’un d’eux, Cranmer déclara que le roi n’avait pas le droit de passer outre aux ordonnances de Dieu, que son union avec la veuve de son frère était illicite (*), qu’il fallait au surplus consulter sur la question les principales universités d’Europe. Presque toutes se prononcèrent dans le même sens que Cranmer. La cour de Rome délibérait de son côté, très embarrassée : si elle se prononçait pour le divorce, elle s’aliénait Charles-Quint, neveu de Catherine ; si elle s’y refusait, elle mécontentait Henri VIII. Pour se tirer d’affaire, le pape cita le roi à comparaître devant lui. Henri refusa et, après six ans de débats, il rompit avec Rome et répudia Catherine pour épouser Anne Boleyn. Puis le Parlement le proclama chef suprême de l’Église en Angleterre. Le clergé ne savait quelle attitude prendre à reconnaître l’usurpation du souverain, il renonçait fatalement à toute relation avec Rome. Mais le tempérament despotique de Henri VIII n’admettait aucune tergiversation ; au clergé de se soumettre ou de se démettre. Pour atténuer la fâcheuse impression causée par ces atermoiements et reconquérir les bonnes grâces du vindicatif monarque, les prélats prirent eux-mêmes l’initiative de mesures dirigées contre quiconque manifesterait quelques velléités d’indépendance vis-à-vis de la volonté royale. Cette décision visait tout d’abord les Lollards et ceux qui adhéraient à leurs doctrines.


(*) Il s’appuyait de façon dérisoire sur les passages de Lév. 18:16 ; 20:21 : « Si un homme prend la femme de son frère, c’est une impureté ».

Cranmer fit ce qu’il put pour enrayer les actes de violence. Henri VIII l’avait désigné en qualité d’archevêque de Canterbury, la plus haute dignité ecclésiastique du royaume, pour le récompenser du service qu’il lui avait rendu au moment de son divorce. Peu avide d’honneurs, Cranmer accepta cette charge dans l’espoir d’en profiter pour faire triompher les principes qui lui étaient chers. Il déclara qu’il n’admettrait l’autorité du pape qu’autant qu’elle ne serait pas contraire à la Parole de Dieu et qu’il lui serait permis de combattre les erreurs pontificales chaque fois que l’occasion s’en présenterait. D’autre part il introduisit une traduction anglaise de la Bible et l’usage de la langue du pays dans le culte. Il alla même jusqu’à exiger qu’un exemplaire de la Parole de Dieu fût déposé dans chaque église du royaume. Il expulsa un certain nombre de prêtres dont la conduite causait des scandales. Mais sa timidité l’empêchait d’afficher une attitude décidée du côté où il savait pourtant être la vérité.

Cependant, avant de s’en prendre à ceux qu’il qualifiait d’hérétiques, le roi ordonna la suppression de tous les monastères d’Angleterre, comme foyers des plus grossières impostures. C’était déblayer le terrain sur lequel, sans que Henri s’en doutât, l’édifice de la Réforme devait s’établir. « Le cœur d’un roi, dans la main de l’Éternel, est des ruisseaux d’eau ; il l’incline à tout ce qui lui plaît » (Prov. 21:1). Mais tout en fermant ces maisons, le roi voulut élever une barrière contre l’invasion des doctrines évangéliques. Dans ce but, une commission de prélats reçut pour mission le soin de rédiger un symbole qui devînt loi de l’État. La commission se déclara incompétente. Là-dessus le roi dressa lui-même le formulaire, en six articles, qu’on a dénommé le statut du sang. Il prononçait la condamnation à mort de quiconque n’admettait pas en plein la doctrine de la transsubstantiation, la confession auriculaire, les vœux de célibat pour le clergé ; c’était, somme toute, la reproduction complète des croyances romaines, moins la reconnaissance du pape comme chef de l’Église. Le Parlement l’adopta. Cranmer fit une opposition énergique, mais sans succès. Il ne réussit pas mieux lorsqu’il pria Henri VIII de réserver une partie des biens confisqués aux couvents, en vue de la fondation d’hôpitaux pour les pauvres.

Les conséquences ne se firent pas attendre. Le roi montra le vrai fond de son caractère, celui d’un tyran cruel et sans scrupule aucun. La moindre résistance entraînait la mort ; il fit pendre de fervents catholiques qui n’avaient pas commis d’autre crime, sinon celui de mettre en doute ses droits à la suprématie tant religieuse que politique. Quiconque était simplement suspect d’hérésie subissait naturellement le même sort. Et pourtant la version de Tyndale circulait malgré le martyre infligé à son auteur. Bien des yeux s’ouvraient à la lumière. Les foules accouraient dans les églises afin d’entendre lire la Parole de Dieu. Cranmer y fit même enlever certaines images favorites dont on faisait un abus trop criant. Néanmoins la persécution sévissait sans pitié, avec toutes sortes de raffinements de cruauté. Le roi se plongeait toujours plus dans un bourbier d’ignominie où il s’était laissé entraîner. Sa vie privée est un tissu d’abominations : il épousa successivement six femmes, dont il fit décapiter deux ; il divorça d’avec deux autres ; une seule mourut de mort naturelle ; la sixième lui survécut.

Mais toutes ces turpitudes, tous ces martyres aboutissaient à fin contraire des intentions du monarque. Du sang des victimes jaillissait une lumière intense. La vérité faisait des progrès d’autant plus rapides qu’on s’évertuait à l’entraver. Dieu se servit de ces circonstances atroces pour amener à lui un grand peuple. On attribue à Henri VIII la mort de soixante-douze mille personnes ; il en résulta tout simplement, après de nouvelles et cruelles épreuves, il est vrai, le triomphe des principes que, dans son aveuglement, il avait cru pouvoir étouffer.

Henri VIII laissait un fils et deux filles ; tous trois furent successivement appelés au trône.

Édouard VI n’avait que dix ans à la mort de son père. Quoique élevé dans une cour corrompue et entouré de catholiques, le jeune prince manifesta de bonne heure son aversion pour certaines pratiques romaines et sa prédilection pour les prédications évangéliques. Il avait souffert en silence à la vue des cruautés commises contre des sujets paisibles, dont le seul crime consistait à suivre les enseignements de la Parole de Dieu. Un de ses oncles maternels, chrétien décidé, favorisa les bonnes dispositions d’Édouard et, à l’avènement de ce dernier, parvint à se faire investir d’une sorte de protectorat ; grâce à lui les persécutions subirent un temps d’arrêt. Les chrétiens détenus furent élargis ; on abolit les terribles six articles ; nombre d’exilés pour cause de religion rentrèrent en Angleterre.

Lors du couronnement du nouveau roi, la coutume voulait qu’on portât devant lui, au moment où il quittait la cathédrale de Westminster pour regagner son palais, trois grandes épées, emblème des trois parties dont se composait son royaume. Avant de sortir, Édouard fit remarquer qu’il manquait une quatrième épée. « Pourquoi donc ? Laquelle ? » demandèrent les courtisans qui l’entouraient. « La Bible », répliqua le jeune souverain, et il ajouta, en citant Éph. 6:17: « La Parole de Dieu est l’épée de l’Esprit ; nous devons la préférer en tous points aux trois autres. C’est elle qui doit nous gouverner ; sans elle nous ne sommes rien du tout. Celui qui prétend régir ses États sans elle ne mérite pas le titre de ministre de Dieu, ni de roi ». On s’empressa d’obéir à l’ordre royal.

Édouard prenait son plaisir à lire les Saintes Écritures. À l’âge de quatorze ans il écrivit, de sa propre main, un recueil de passages condamnant l’idolâtrie, et en particulier le culte des images. Sous son règne la Réforme fit de rapides progrès. Son protecteur correspondait avec Calvin sur les conseils duquel il fit de l’Angleterre un vrai refuge où de nombreux proscrits trouvèrent un bienveillant accueil. C’est à ce propos que Calvin lui écrivit en 1548:

« Nous avons tous à rendre grâce à notre Dieu et Père de ce qu’il s’est servi de vous en œuvre tant excellente que de remettre au-dessus la pureté et droite règle de son service en Angleterre par votre moyen, et faire que la doctrine du salut y soit fidèlement publiée pour tous ceux qui voudront l’écouter ; de ce qu’il vous a tenu la main forte en bénissant tous vos conseils et labeurs pour les faire prospérer ». Il lui recommande de faire enseigner au peuple la pure et saine doctrine, d’extirper les abus et de « corriger soigneusement les vices, et de tenir la main à ce que les scandales et dissolutions n’aient point la vogue, tellement que le nom de Dieu soit blasphémé ».

Plus tard il écrivait à Édouard VI, à qui il dédiait plusieurs livres : « Il y a des choses indifférentes qu’on peut licitement souffrir. Mais il nous faut toujours garder cette règle qu’il y ait sobriété et mesure aux cérémonies, en sorte que la clarté de l’Évangile n’en soit pas obscurcie, comme si nous étions encore sous les ombres de la loi (*) … Or il y a des abus manifestes qui ne sont pas à supporter, comme de prier pour les trépassés, comme de mettre en avant à Dieu l’intercession des saints en nos prières, comme de les adjoindre à Dieu en jurant. Je ne doute pas, Sire, que vous ne soyez averti que ce sont autant de corruptions de la vraie chrétienté. Je vous supplie, au nom de Dieu, qu’il vous plaise y tenir la main, à ce que le tout soit réduit à sa droite intégrité ». On regrette de ne pas trouver, sous la plume du réformateur, des conseils de mansuétude, de tolérance envers les égarés. La tolérance n’était pas de ce siècle-là ; l’idée de l’unité, en religion comme en politique, primait tout et ouvrait la voie aux persécutions. Il a fallu de douloureuses expériences, en Angleterre et ailleurs, pour apprendre qu’on peut ne pas pratiquer la religion de l’État, sans, pour cela, être ennemi de l’État.


(*) Il est probable que Calvin mettait ici Édouard VI en garde contre l’organisation que, déjà alors, on était en train de donner à l’église anglicane. On sait que, extérieurement, elle conserve une grande pompe dans les cérémonies, toute pareille à celle de l’église catholique.


Chose pourtant encore exceptionnelle à cette époque, Édouard accorda aux protestants étrangers, résidant à Londres, la permission d’ériger un temple à leur usage : « Considérant que c’est l’office d’un prince chrétien », disait-il, « pour bien administrer son royaume, de pourvoir à la religion et aux malheureux affligés et bannis à cause d’elle, nous vous faisons savoir que, ayant pitié de la condition de ceux qui, depuis assez longtemps, demeurent dans notre royaume et y viennent journellement, de notre grâce spéciale ordonnons qu’il y ait, dans notre cité de Londres, un temple appelé le temple du Seigneur Jésus, où l’assemblée des Allemands et des autres étrangers puisse se tenir et se célébrer, dans le but que, par les ministres de leur église, le Saint Évangile soit interprété purement ».

Cranmer avait la haute main dans le gouvernement et ne craignait plus maintenant d’afficher sa fidélité aux principes révélés dans la Parole de Dieu. Il supprima les lois arbitraires édictées par Henri VIII, envoya partout des prédicateurs zélés de l’Évangile, fit répandre la Bible encore plus largement qu’auparavant, autorisa le mariage des prêtres ; la Cène devait être distribuée sous les deux espèces. Malheureusement, vis-à-vis de ceux qui ne partageaient pas ces idées, Cranmer se laissait aller à l’esprit du temps, oubliant cette exhortation de Paul à Timothée. « Convaincs, reprends, exhorte, avec toute longanimité et doctrine » (2 Tim. 4:2). Il demandait souvent au roi des sentences de mort contre les rebelles à la Réforme. Le pieux souverain, trop inexpérimenté pour lui résister, signait en soupirant et ajoutait, car il se sentait la conscience chargée : « Si je fais mal, vous en serez responsable ». Et il signait.

Mais le jeune roi, dont les enfants de Dieu étaient en droit d’attendre de grandes choses, tomba gravement malade au bout de six ans de règne. Les soins les plus dévoués ne purent le sauver. Peu avant d’expirer, il adressa, à haute voix, au Seigneur une fervente prière dont on a conservé quelques fragments : « Seigneur Dieu ! » s’écria-t-il, « délivre-moi de cette misérable vie et reçois-moi dans les demeures éternelles. Toutefois que ta volonté soit faite, et non la mienne ! Seigneur, je te remets mon esprit. Tu sais combien ce serait chose heureuse pour moi que d’être auprès de toi ; mais, à cause de tes enfants dans ce pays, conserve cette vie et rends-moi la santé, afin que je puisse m’employer vaillamment à ton service. Mais, ici encore, que ta volonté soit faite, et non la mienne ! Seigneur, mon Dieu, bénis mon peuple et sauve ton héritage ! Préserve ton peuple élu d’Angleterre ! Ô Dieu, défends ce royaume de toutes les erreurs de la papauté ! Maintiens ta vérité, afin que moi et mon peuple nous puissions bénir ton saint nom ! » Ainsi mourut Édouard VI à l’âge de seize ans à peine.

La couronne revenait de droit à la sœur d’Édouard, Marie, fille d’Henri VIII et de sa première femme, Catherine d’Aragon. Mais, la sachant catholique très bigote, son frère, sur son lit de mort, avait exprimé le désir de voir lui succéder une de ses cousines, Jane Gray, qui avait adhéré de cœur aux doctrines évangéliques et, très cultivée, adressait à Bullinger, le successeur de Zwingli, des lettres en latin, conservées à la bibliothèque de Zurich, dans lesquelles elle demandait conseils et directions sur les principes du christianisme. Mais la noblesse anglaise, tout en éprouvant une vive sympathie pour cet arrangement refusa de l’accepter. Marie monta donc sur le trône et n’hésita pas à condamner à mort Jane Gray dans laquelle elle voyait une usurpatrice et une hérétique. L’épreuve produisit ses fruits bénis dans le cœur de l’infortunée jeune femme ; elle n’avait que vingt ans et venait de se marier. Sa foi, jusqu’alors chancelante, s’affermit à tel point que, de son cachot, elle écrivit à ses amis des lettres d’adieux, animées d’un merveilleux esprit de renoncement à tout ce qu’elle laissait derrière elle ; elle rendait aussi un témoignage touchant à l’amour de son Sauveur pour elle.

À l’une de ses sœurs, elle écrivait, en lui léguant son Nouveau Testament grec : « Ma chère Catherine, je t’envoie un livre qui, bien qu’il ne soit pas revêtu d’or, est plus précieux que toutes les pierres les plus rares et du plus grand prix. C’est le livre de l’Évangile du Seigneur Jésus Christ ; c’est sa dernière volonté, c’est son testament qu’il nous a laissé, à nous, pauvres misérables pécheurs que nous sommes dans notre nature première. Il t’enseignera le chemin de la joie éternelle. Fais comme le serviteur qui veille, afin que, quand viendra le jour de la mort, tu ne sois pas trouvée sans huile, comme les vierges folles. En ce qui concerne ma mort, réjouis-toi, comme je le fais, ma très chère sœur. Je suis assurée qu’en perdant cette existence mortelle, j’en revêtirai une éternelle, incorruptible. Au nom de Dieu, je t’exhorte à ne jamais te relâcher de la vraie foi chrétienne. Si tu renies la vérité pour prolonger ta vie, le Seigneur te reniera aussi. Si, au contraire, tu t’adresses à lui, s’il le juge à propos, il prolongera tes jours pour ta consolation et sa gloire ».

Au nom de la reine Marie Tudor, le peuple anglais a accolé, avec raison, l’épithète de la « sanguinaire ». De nouveau la persécution sévit avec rage. Des centaines de victimes périrent par le feu ou sur l’échafaud, pendant les cinq années de son règne. Parmi ces martyrs pour le nom du Seigneur, il faut retenir les noms de Latimer, un vieillard de quatre-vingt-quatre ans, un des prédicateurs les plus puissants et les plus bénis de son temps, et celui de Ridley, son ami intime. On les attacha ensemble au poteau. Au moment où le bourreau allumait les fagots, Latimer se pencha vers son compagnon de souffrances et lui dit d’une voix si nette que toute la foule l’entendit : « Aie bon courage, mon cher Ridley ; comporte-toi en homme. En ce jour nous allumons un flambeau si brillant que, Dieu voulant, l’Angleterre ne le verra jamais s’éteindre ».

De graves menaces pesaient également sur Cranmer, qui avait été pourtant le conseiller sage et hautement apprécié de Henri VIII et de son fils, Édouard VI. Bien qu’il crût de plein cœur au salut par Christ, il avait longtemps hésité à confesser sa foi : il craignait trop de se compromettre, aimait trop les solutions moyennes qui donnaient des demi-satisfactions à chacun, mais évitaient les positions nettes et franches. Sous Édouard VI il avait pourtant suivi une ligne de conduite tout à fait favorable à la Réforme. Maintenant, très âgé, accablé d’infirmités corporelles, il se laissa éblouir un instant par les brillantes promesses de la nouvelle souveraine, succomba à la tentation et signa un acte de soumission au pape et à Marie Tudor. Mais il se ressaisit presque aussitôt. Triomphants, les papistes prétendirent exiger de lui qu’il lût lui-même, publiquement, le texte de sa rétractation dans une des églises d’Oxford, où avait lieu son procès. Mais il déçut leur attente.

Le prisonnier s’avança, entouré de prêtres et de gens d’armes. On l’avait vêtu d’une méchante robe et coiffé d’un vieux bonnet. Son visage défait laissait deviner les rudes combats d’une conscience chargée et pressée de rendre de nouveau un éclatant témoignage à la vérité. Dans la chaire, un des tenants de la papauté ouvrit la cérémonie par une prédication dirigée contre l’hérésie et exaltant le bonheur de ceux qui la rejetaient. Puis il s’adressa à l’ancien archevêque de Canterbury et l’invita à exposer le changement qui s’était opéré en lui, afin d’ôter tout soupçon à ses auditeurs et pour que tous reconnussent qu’il était maintenant en réalité un catholique romain. Le vieillard prit aussitôt la parole :

« Mes chers auditeurs », s’écria-t-il en se tournant vers la foule qui remplissait le vaste édifice jusque dans ses derniers recoins, « je vous supplie tous de prier Dieu pour qu’il lui plaise de pardonner mes péchés. Il y a une chose surtout qui me cause une extrême douleur. Je vous la dirai. Avant tout, prions ! »

Après une prière, mêlée d’abondantes larmes, Cranmer reprit : « J’en viens maintenant à ce qui, plus que tous les autres péchés que j’ai commis, me tourmente le plus cruellement dans ce monde : c’est d’avoir signé de ma main l’écrit qui m’a été présenté. Sans doute aucun, je l’ai fait contre la vérité et contre ma conscience. Je pensais, par ce moyen, éviter la mort et prolonger ma vie en ce misérable monde ; mais maintenant je proteste que je révoque et annule tous les écrits que j’ai faits et signés depuis le jour de ma dégradation. Je les désavoue d’ores et déjà totalement. Quant à cette malheureuse main qui m’a servi à signer cette méchanceté contre ma conscience, je la voue à être brûlée avant les autres membres. Le pape, je le tiens pour l’ennemi du Christ et même pour l’antichrist. Je déteste toute sa doctrine comme fausse, et toutes ses erreurs comme pernicieuses et contraires à la Parole de Dieu ».

À l’ouïe de ce langage, la stupéfaction fut à son comble : les chrétiens se réjouissaient et bénissaient Dieu ; les catholiques grinçaient des dents. Bientôt après le vaillant témoin de Jésus Christ fut entraîné au supplice, à l’endroit même où Latimer et Ridley avaient souffert la même peine. Quand il vit les flammes s’élever, il étendit tant bien que mal sa main droite en s’écriant à voix haute : « Main indigne ! Main indigne ! » Les bourreaux eux-mêmes étaient émerveillés de voir son courage. Ses souffrances ne durèrent que peu d’instants. On l’entendit dire encore, comme tant d’autres martyrs : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit ! » Et son âme fut recueillie auprès du Seigneur : « absent du corps et présent avec le Seigneur » (2 Cor. 5:8).

À la suite de son mariage avec Philippe II d’Espagne, un des pires adversaires de la Réforme, le court règne de Marie Tudor entraîna l’Angleterre au bord de l’abîme. Elle eut pour successeur sa demi sœur Élisabeth, fille de Henri VIII et Anne Boleyn, dont l’avènement amena en Angleterre un changement radical et définitif au point de vue religieux. La nouvelle souveraine joignait à une vaste capacité naturelle des connaissances fort étendues, mais aussi un reste de cet instinct cruel et tyrannique, funeste héritage de son père. Élevée dans les doctrines de la Réforme, elle ne les avait saisies que par son intelligence ; son cœur y restait indifférent et elle conserva, sa vie durant, un goût prononcé pour l’apparat du culte catholique. Néanmoins elle comprit tout ce que cette religion avait de répugnant pour la très grande majorité de ses sujets ; les persécutions perpétrées par Marie avaient aliéné à la couronne presque tout ce que l’Angleterre comptait d’hommes et de femmes éclairés. Aussi, par simple bon sens politique, puisque c’était le vrai moyen d’assurer son pouvoir, Élisabeth se prononça catégoriquement en faveur de la Réforme. Mais deux lois, qui ne reflétaient que trop les tendances autocratiques de la souveraine, risquèrent de compromettre l’avenir du pays.

Par la loi de suprématie, le souverain était déclaré chef suprême de l’Église, que ce fût un roi ou une reine. La loi d’uniformité fixait le rituel, avec obligation pour tous de s’y conformer ; les formes du culte, la liturgie, tout le service divin doivent être les mêmes d’un bout à l’autre du royaume, et ce rituel comporte beaucoup de formes extérieures empruntées à celui de l’Église romaine. Aussi ce césaro-papisme provoqua de vives résistances, de la part des adversaires de la Réforme, mécontents de ne plus diriger les esprits, et de la part des réformés eux-mêmes qui estimaient beaucoup trop importantes les concessions faites à l’ancien culte. Parmi ceux-ci il se forma un groupement dont les membres s’intitulaient les Puritains. Beaucoup d’entre eux, proscrits lors des persécutions, avaient vécu à l’étranger, en France surtout ; l’épreuve avait fortement trempé leurs caractères et leur foi. Leur contact avec les huguenots leur montra ce que c’était que d’adorer le Seigneur en toute simplicité, sans le moindre apparat extérieur. Ils furent tout d’abord profondément froissés de voir les prélats anglicans se croire obligés d’endosser, au cours du service religieux, des vêtements somptueux et ils résolurent de purifier l’Église — de là leur nom — de tout ce qu’ils considéraient comme mondain et comme opposé à la pensée du Seigneur. Leur résistance leur attira de cruelles persécutions : Cinquante-six d’entre eux furent jetés pêle-mêle dans un cachot, où la faim, la misère en firent périr plusieurs ; trois montèrent sur l’échafaud.

Les Puritains ne s’avouèrent pas vaincus, sentant bien qu’ils représentaient le véritable esprit anglais, libéral jusqu’à l’indépendance, tandis que les allures de la cour et du gouvernement rappelaient trop la tendance catholique, portée à imposer à tous ses principes et ses procédés. D’autres scissions se produisirent et amenèrent la formation de plusieurs groupements rivaux, entre autres celui des presbytériens, qui se rapprochaient du calvinisme et confiaient l’administration de l’église à des anciens, puis celui des congrégationalistes chez lesquels chaque congrégation est indépendante des autres et ne relève que du Seigneur. Comme on le voit, aucun de ces corps religieux ne se réclame du principe posé par le Seigneur lui-même, à savoir l’unité du corps de Christ.

Il y aurait beaucoup d’autres fautes, quelques-unes très graves, à alléguer contre la reine Élisabeth, mais elles appartiennent au domaine politique ou bien privé et n’intéressent pas le sujet qui nous occupe. Par la bonté de Dieu, cette souveraine fut, dans sa main, l’instrument de deux grands bienfaits pour l’Angleterre. Elle affranchit son pays du joug de Rome ; elle mit la Parole de Dieu dans les mains de tous ses sujets.


Élisabeth resta célibataire. À sa mort la couronne d’Angleterre passa à son plus proche héritier, Jacques Ier, roi d’Écosse, de la dynastie des Stuarts, qui détint le pouvoir pendant trois quarts de siècle. Cette maison avait de fortes affinités avec le catholicisme ; des liens de famille l’unissaient à la cour de France, ce qui ne contribuait pas peu à l’éloigner de la Réforme. Les Stuarts ne réussirent pourtant pas à ramener leur royaume à l’ancienne croyance. Mais les Puritains surtout furent l’objet de leur haine féroce, parce que, plus que tous les autres protestants, ils voulaient suivre à la lettre la volonté de Dieu, telle qu’elle est révélée dans sa Parole. Pour fuir la persécution qui se déchaîna contre eux, plusieurs de ces chrétiens fidèles quittèrent leur patrie pour aller chercher en Amérique une terre où ils pourraient vivre en liberté et rendre à Dieu le culte en esprit et en vérité qu’il attend de ceux qui lui appartiennent. Ils fondèrent la colonie du Massachussets (au N.-E. des États-Unis actuels). Cette contrée était alors absolument inculte, couverte d’immenses forêts, peuplées d’animaux féroces et d’Indiens, plus à craindre encore. Aussitôt débarqués, les colons durent défricher le sol, l’ensemencer, puis attendre l’année suivante, avant de rien récolter. L’hiver fut extrêmement rigoureux ; aussi endurèrent-ils de cruelles souffrances ; leur foi fut mise à une dure épreuve. Le Seigneur leur aida à triompher de tout. D’autres les suivirent, toujours plus nombreux, si bien que le gouvernement anglais s’alarma de cet exode qui, il dut le reconnaître, privait le pays d’éléments excellents, travailleurs et de haute moralité. Aussi une loi fut promulguée, interdisant toute nouvelle émigration. Au moment où elle entrait en vigueur, huit navires s’apprêtaient à partir, chargés de Puritains parmi lesquels se trouvait Olivier Cromwell et Hampden qui furent, l’un et l’autre, quelques années plus tard, les auteurs de la chute du roi Charles Ier ; c’est ainsi que se réalisa pour lui la parole bien connue : « Qui creuse une fosse y tombera, et la pierre retournera sur celui qui la roule » (Prov. 26:27 ; Eccl. 10:8).

L’Église anglicane ne prospéra pas spirituellement ; l’abus des formes et de la hiérarchie étouffait la voix de l’Esprit. Puis le favoritisme s’y développa au point qu’une partie du clergé n’était plus du tout à la hauteur de sa tâche ; par sympathie pour tel ou tel on mettait à la tête des paroisses des pasteurs notoirement indignes qui, le plus souvent, grassement rétribués eux-mêmes, se déchargeaient entièrement sur leurs vicaires, qu’ils écrasaient de travail et laissaient presque mourir de faim. Mais la masse du peuple, resté fidèlement attaché à l’Évangile, déplorait cet état de choses. Des hommes éminents protestaient contre la mondanité grandissante. Le grand poète Milton s’exprimait ainsi sur son temps : « Une époque est venue, où Dieu a véritablement rempli la terre de sa connaissance ; la vraie Église du Seigneur n’est pas celle qui possède des autels, des cierges, des liturgies, des fonctionnaires portant un costume spécial et somptueux. Dieu regarde au cœur ».

Parmi les réformateurs de ce protestantisme languissant, moribond, il faut citer le nom de George Fox, fondateur de la secte des quakers. Issu d’une famille très modeste, il passa par une période de luttes morales longue et douloureuse. Enfin il céda à l’appel que le Seigneur lui adressait et se mit à parcourir l’Angleterre, prêchant la repentance par la foi en Jésus et enseignant que Dieu n’habite pas des temples faits de main ; que ce qu’il cherche dans l’homme, c’est un cœur régénéré par la puissance de l’Esprit Saint. Il prescrivait une morale sévère, interdisait la science et l’art, le serment, le service militaire, l’asservissement à la mode. Il proclamait en même temps l’égalité de tous les hommes, défendait d’enlever son chapeau devant qui que ce soit, même devant le roi, ordonnait le tutoiement à l’égard de tous. Les quakers suivent encore aujourd’hui la plupart de ces règles ; on les reconnaît à leur costume très simple, fait invariablement de drap gris-brun. Sur d’autres points Fox et ses partisans commirent des exagérations regrettables ; ils reconnaissaient que, dans le culte, auquel tous doivent participer, il faut attendre une direction de l’Esprit avant de parler ; mais, selon eux, cette influence doit se manifester extérieurement par une sorte d’agitation convulsive, un tremblement de tout le corps, d’où leur est venu leur nom de quakers, mot qui signifie les trembleurs.

Mentionnons encore le nom de William Penn, un de leurs adhérents les plus dévoués. Il hérita de son père une fortune considérable, qui lui permit d’aller s’établir en Amérique avec un certain nombre de quakers. Il fonda ainsi la Pennsylvanie, qui devait former un État des États-Unis ; la capitale se nomme Philadelphie, c’est-à-dire l’amitié fraternelle, un des principes fondamentaux de la secte. Cette contrée, jusqu’alors déserte, devint un asile, largement ouvert à tous les persécutés.

Les quakers se signalent encore maintenant par la rigueur de leurs principes et par l’amour chrétien qu’ils déploient soit entre eux, soit vis-à-vis de tous les hommes. Au cours de la guerre de 1914 à 1918, comme leurs convictions leur interdisaient le service militaire, ils firent néanmoins preuve d’une activité bienfaisante en fondant des hôpitaux et en créant toutes sortes d’institutions, destinées à soulager les hommes en arrière du front. Par leur ferveur spirituelle, par leurs mœurs pures, ils ont été un élément de vie au sein de l’Église sur son déclin.
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