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Forum Religion Catholique

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Message  Arlitto Jeu 09 Juin 2016, 19:25

Rappel du premier message :

Forum Religion Catholique





Catholicisme




Religion des chrétiens qui reconnaissent le pape comme chef spirituel.

Le catholicisme, également appelé l’Église catholique, est la branche du 
[ltr]christianisme[/ltr]
 qui reconnaît l'autorité spirituelle et juridictionnelle du 
[ltr]pape[/ltr]
. « Totalité et universalité » : tel est le sens en grec ancien du terme katholikos, par lequel est désignée, dès le iie s. de notre ère, l'Église qui a été fondée par Jésus, puis celle qui est restée attachée à ce titre ancien après les divisions apparues au sein du monde chrétien.

Le catholicisme fonde son unité sur une communauté de foi, de sacrements et de vie religieuse (un seul Christ, une seule foi). Une, la foi catholique repose sur un triple fondement : l'Écriture, qui est parole de Dieu ; la Tradition, qui est continuité de l'action divine ; l'Église, dépositaire et seule interprète autorisée de la vérité.



L'Église catholique au sein du christianisme

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Lippo Memmi, saint Pierre

Selon l'Évangile, Jésus a lui-même désigné parmi ses apôtres un homme, Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » Le martyre de Pierre à Rome a ensuite désigné le siège épiscopal de la ville comme celui autour duquel doit s'affirmer l'unité de l'Église et de la foi. C'est ainsi que dans l'Église primitive est établie, vers le ier s., la primauté de l'évêque de Rome, successeur de Pierre. 

Les enseignements du Christ ont d'abord été transmis par voie orale. Aux premiers écrits chrétiens, notamment les lettres adressées par Paul aux communautés qu'il a fondées, vont succéder les Évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean. Face à la nécessité de légiférer pour authentifier, parmi les multiples écrits qui sont alors rédigés, ceux qui sont fidèles à l'enseignement du Christ, un corpus est rassemblé sous le nom de « Nouveau Testament », en même temps que les écrits juifs antérieurs sont rebaptisés « Ancien Testament ». De même, face à la multiplication des communautés chrétiennes qui naissent dans tout le Bassin méditerranéen à partir du ier s., sont structurées les formes de cette Église (assemblée), qui est appelée à préserver le message du Christ en le protégeant des interprétations erronées. 



Le schisme avec les chrétiens d’Orient



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Constantin Ier le Grand

Persécuté du ier au ive s., puis toléré et enfin reconnu comme religion officielle par l'empereur Constantin, au début du ive s., le christianisme parvient à s'établir dans l'Empire romain, tout en maintenant son unité ecclésiale et doctrinale jusqu'au xe s. Cependant se développent au sein de l'Église de nombreux débats théologiques, tranchés lors de grands conciles où sont élaborés et fixés des éléments essentiels de la doctrine chrétienne, comme l'universalité du christianisme (Jérusalem, en 49), la Trinité de Dieu (Nicée, en 325 ; Constantinople, en 381), la nature de Jésus-Christ, à la fois humaine et divine (Chalcédoine, en 451). Après l'éclatement de l'Empire romain à la fin du ve s., les divergences entre Orientaux et Occidentaux se font de plus en plus sentir. 

Alors que l'Église orientale reste sous la tutelle de l'empereur de Constantinople, l'Église latine doit, pour sa part, suppléer le pouvoir politique, qui s'est effondré avec la chute de l'Empire romain d’Occident. Rome y gagne en autorité non plus seulement spirituelle, mais également temporelle. L'Église d'Orient, déjà opposée à l'Église latine sur la formulation du dogme de la Trinité, lui reproche son autorité centralisatrice. En 1054, la rupture est consommée. L'Église latine garde le nom ancien de « catholique » et celle d'Orient prend celui d'« Église orthodoxe ». Certaines Églises feront néanmoins retour à la communion catholique, notamment au xviiie s., tout en gardant leurs rites de tradition orientale. 



La Réforme protestante


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Martin Luther

Face au pouvoir temporel de plus en plus hégémonique de l'Église catholique en Europe, les critiques se lèvent pour dénoncer les pesanteurs et les compromissions de l'appareil clérical. Les thèses de Martin Luther (1517) marquent le début de la Réforme, qui donne naissance aux Églises protestantes. Ce mouvement de contestation aspire à une simplification et à une personnalisation de la religion, en préconisant notamment la lecture directe de la 
[ltr]Bible[/ltr]
 par le croyant. Grâce au développement de l'imprimerie, il parvient en effet à retirer aux clercs et à l'Église le monopole de la pratique des Saintes Écritures. Dans le protestantisme, il n'y a pas d'épiscopat sacramentel, mais un sacerdoce commun à tous. Le baptême et la Cène (partage du pain et du vin) sont les seuls sacrements retenus, et toute pratique de dévotion ou toute démarche visant à s'assurer du salut sont rejetées : le salut ne s'achète pas, il est obtenu par la grâce de Dieu et non par les œuvres. 

L'Église catholique tente de répondre à ces vives attaques par la Contre-Réforme, ou Réforme catholique, en réaffirmant notamment l'autorité du pape ainsi que son attachement à la Tradition, à son magistère, aux sacrements et au salut par les œuvres. 



La foi catholique

Introduction

La foi catholique consiste en l'adhésion aux enseignements de l'Église portant sur les vérités que Dieu a révélées par son Fils. Elle se caractérise précisément par la définition des voies d'accès à ces vérités et au salut qu'elles portent en elles : la Révélation, l'Église et la Tradition, qui forment un tout indivisible. 



La Révélation


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Lorenzo Lotto, la Reconnaissance de la nature divine de l'Enfant Jésus

Selon le christianisme, Dieu s'est révélé aux hommes à travers l'histoire du peuple juif, auquel il a proposé son alliance, avant de se révéler pleinement à travers son Fils – Jésus-Christ mort et ressuscité –, en lequel il s'est incarné. 

Le Dieu révélé par le Christ est un Dieu unique mais en trois hypostases : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Il est créateur de toute chose et de toute vie. Empli de bonté envers sa création, il renouvelle, à travers le sacrifice de son Fils sur la croix, son alliance avec le peuple juif puis avec tous les hommes. Les chrétiens, en effet, croient non seulement à la résurrection du Christ, mais aussi à la résurrection des morts et à la vie éternelle : le salut. 

L'enseignement du Christ peut se résumer par cette phrase de l'Évangile de Luc (Luc X, 27) : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces, et de tout ton esprit. Et tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Le mot « alliance » traduit un lien de réciprocité entre Dieu et l'homme, et il exprime la « solidarité » de Dieu avec tout homme. Aussi toute adhésion de foi comporte des exigences d'engagement de solidarité humaine et sociale. 

La Révélation est tout entière contenue dans la vie, la mort et la résurrection du Christ. Les textes bibliques conservés par la Tradition transmettent les récits qui en ont été faits par les premiers chrétiens. 



L'Église

Dépositaire et interprète autorisée des vérités chrétiennes, l'Église veille au maintien de l'unité de la foi. Dans le catholicisme, c'est à elle, à l'assemblée des fidèles, que sont transmises les Écritures, et non à chacun de ses membres d'une manière individuelle. 

L'Église catholique ne peut admettre sans difficulté l'existence de plusieurs Églises chrétiennes. Selon elle, la volonté du Christ, réaffirmée dans le credo de Nicée, est que son Église soit « une, sainte, catholique et apostolique », et ce non seulement d'un point de vue théologique – comme le soutiennent orthodoxes et protestants –, mais également dans sa réalisation concrète. 

La conviction avec laquelle l'Église catholique revendique comme légitime le droit de rassembler tous les chrétiens repose sur trois éléments fondamentaux : 


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Évêque célébrant la messe

– La succession apostolique. Les évêques continuent avec le pape la mission confiée par Jésus aux apôtres. Leur ordination dans l'Église (par imposition des mains et sacrement de l'ordre) les investit des pouvoirs de gouverner, d'enseigner et de donner les sacrements au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. 

– La prédication de la Parole. De même que les premiers disciples ont reçu de Jésus l'Esprit saint, le collège des évêques et le pape sont assistés par l'Esprit lorsqu'ils doivent énoncer les vérités de foi. 


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Baptême d'un enfant

– Les sacrements. La présence du Christ dans l'Église se manifeste par l'Église elle-même et par les sacrements – signes sacrés porteurs de grâces et institués par le Christ –, à travers lesquels l'Esprit opère le don de Dieu. L'Église catholique dispense sept sacrements : le baptême et l'eucharistie (communs à toutes les Églises chrétiennes), la confirmation, le mariage, l'ordre, la réconciliation (pardon) et l'onction des malades (extrême-onction) pratiqués également dans les Églises orthodoxes. Par le sacrement de l'ordre (ordination), les clercs – diacres, prêtres, évêques – reçoivent le pouvoir de transmettre la grâce de Dieu par les sacrements. 



La Tradition

L'Église assure la présence du Christ à travers les âges, en tant que dépositaire des Écritures, mais aussi de la Tradition. Dans le catholicisme, la Tradition englobe l'ensemble des enseignements, des dogmes et des pratiques cultuelles que l'Église a adoptés tout au long de son histoire. Loin de penser que son épaisseur risque de rendre opaque la vérité du Christ, l'Église catholique considère que la Tradition garantit la transmission fidèle et intégrale de la Révélation. 

Par son action théologique, dogmatique, liturgique et même sociale, l'Église s'efforce sans cesse d'approfondir le mystère chrétien. Les nouveaux dogmes qu'elle élabore ne sont pas censés apporter de nouvelles vérités, mais éclairer un aspect de la vérité déjà révélée dans sa plénitude par le Christ. Ainsi, la vérité discernée à un moment donné par l'Église des fidèles n'est pas désavouée par les générations suivantes, mais elle est conservée dans la Tradition, tout en étant réinterprétée. 

Il existe une manière moderne d'adopter des dogmes qui tend à s'éloigner d'une conception « doctrinaire » de la Tradition et qui prend en compte la dimension historique de la parole doctrinale de l'Église. En témoignent les paroles du pape Jean XXIII au concile Vatican II (1962) : « Autre chose est le dépôt même ou les vérités de la foi, autre chose est la façon selon laquelle les vérités sont exprimées, à condition toutefois d'en sauvegarder le sens et la signification. » 

À toutes les époques et dans les divers contextes culturels, l'Église catholique a toujours professé sa foi dans l'assistance par l'Esprit saint pour interpréter et actualiser le message évangélique, en le préservant des interprétations subjectives et en lui conservant son authenticité et son unité. 



La liturgie

Ensemble des célébrations officielles du culte rendu à Dieu, la liturgie s'organise ordinairement au niveau de la communauté paroissiale. Ces célébrations publiques, qui ont lieu habituellement le dimanche ou le samedi soir, rassemblent à l'église les catholiques établis à proximité. Un calendrier liturgique répartit sur une année la célébration des grandes étapes de la vie du Christ (sa naissance est fêtée à Noël, sa résurrection à Pâques, etc.). 


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Messe à Notre-Dame de la Trappe

La principale liturgie est la messe, qui comprend deux grandes parties, la première étant consacrée à la lecture et aux commentaires de la Parole (sermon ou homélie), la seconde à l'eucharistie et à l'action de grâce. Comme le Christ l'a enseigné aux apôtres à la veille de sa mort, les catholiques partagent le pain et le vin dans l'eucharistie, un sacrement qui, plus qu'un acte dédié à la mémoire du Christ, est, dans la théologie catholique, sa transsubstantiation. Par la communion, les croyants participent à la vie du Christ, reçoivent son corps et son sang comme une nourriture spirituelle qui les sanctifie. 

Les catholiques, de même que les orthodoxes, prient la Vierge Marie et les saints, intercesseurs auprès de Dieu. 



L'institution catholique

Introduction

L'Église catholique possède une structure à la tête de laquelle se trouve le pape, suivi – dans l'ordre hiérarchique – par les évêques, les prêtres, les diacres et les laïcs (ou simples fidèles). 

Avec ses deux mille ans d'histoire et ses nombreux fidèles répartis dans le monde, l'Église catholique se révèle être une institution dont le gouvernement est fort complexe. 



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Rome
Le support territorial de l'Église catholique est l'État de la cité du Vatican, dont le statut a été établi par les accords du Latran, en 1929. Ce vestige des États pontificaux, institués au viiie s. pour garantir au pape une indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques, couvre un territoire de 44 ha enclavé dans la ville de Rome. La cité du Vatican jouit d'un statut de neutralité et d'inviolabilité. Cet État singulier est doté d'un gouvernement propre. Sa population s'élève à quelques centaines de personnes, principalement occupées dans la curie romaine. 



Le gouvernement de l'Église


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Premier concile du Vatican

Au sommet de la hiérarchie catholique, le pape est le garant de la continuité apostolique. Occupant le siège épiscopal de l'apôtre Pierre, il est évêque de Rome. Il nomme les évêques. Élu par le Sacré Collège des cardinaux et choisi parmi eux, il est aussi le signe visible de l'unité de l'Église. À ce titre, il représente l'autorité suprême, arbitrant toutes les décisions concernant la vie de l'Église, l'expression de la foi et les grandes questions posées par les évolutions de société. Toutes ses décisions et déclarations n'engagent pas la foi catholique au même degré : une encyclique papale n'a pas la valeur d'un dogme, qui est l'énonciation d'un article de foi. Aux périodes défensives de son histoire, l'Église catholique s'est recentrée autour de l'autorité du pape, notamment après le grand schisme d'Orient (au moment même où l'Église orthodoxe a conservé des traditions plus pluralistes en son sein), mais aussi lors de la Réforme protestante, puis au début de la modernité issue des Lumières et de la Révolution française. En 1870, au concile Vatican I, l'Église s'est attachée à redéfinir la primauté et l'infaillibilité de son chef. Près d'un siècle plus tard, le concile Vatican II a rééquilibré l'autorité papale en réhabilitant dans ses fonctions primitives la collégialité des évêques. 

La collégialité épiscopale confère une responsabilité à tous les évêques, qui exercent leurs pouvoirs sous l'autorité du pape. C'est au chef suprême de l'Église qu'incombe, en effet, le droit de les réunir tous en concile œcuménique ou en synode (c'est-à-dire en assemblée régionale ou locale, par exemple, les évêques africains). Cependant, depuis le concile Vatican II, des conférences épiscopales nationales ou locales (par exemple, la Celam, la Conférence des évêques d'Amérique latine) se tiennent régulièrement à leur propre initiative. 

Assemblée des cardinaux – évêques élevés à ce rang par le pape –, le Sacré Collège joue un rôle de conseil particulier auprès du chef suprême de l'Église. Le rôle de cette assemblée consiste essentiellement à élire le nouveau pape. Mais, selon la règle édictée par Paul VI en 1970, ne participent au vote que les cardinaux âgé de moins de 80 ans. Le Sacré Collège, qui comptait 70 cardinaux de Sixte Quint à Jean XXIII, en rassemble près de 200 à la fin des années 2000. 



L'Église locale

Circonscrite par un territoire – le diocèse – plus ou moins vaste selon les régions du monde, l'Église diocésaine constitue l'unité de base de l'Église, dans laquelle la continuité apostolique est assurée par l'évêque. 

Nommé par le pape, l’évêque est choisi parmi les prêtres et ordonné par des évêques. La plupart d'entre eux sont à la tête d'un diocèse, qui est organisé en paroisses que l'évêque confie à des prêtres. L'évêque, qui a pouvoir de juridiction, est responsable en particulier de la pastorale (enseignement et mission) et des prêtres de son diocèse. 

Ordonnés par l'évêque, les prêtres sont au service de l'Église diocésaine. Ce sont exclusivement des hommes ayant fait vœu de célibat (à l'exception des Églises catholiques de rite oriental, où des hommes mariés peuvent être ordonnés). Ils reçoivent de l'évêque le pouvoir de dispenser tous les sacrements sauf l'ordination des nouveaux prêtres (réservée aux évêques). Ils président les célébrations liturgiques, organisent les nombreuses activités de catéchisme, d'entraide, de réflexion au niveau paroissial et diocésain. 

Les diacres constituent, au sein de l'Église, le premier degré de la hiérarchie et du sacrement de l'ordre. Tirant son origine d'une tradition ancienne, le diaconat a été remis en honneur par le concile Vatican II comme service spécifique de la communauté croyante ouvert aux hommes mariés. On parle alors de diacres permanents. 

Les laïcs sont les membres les plus nombreux de l'Église. Ils voient leur participation à la mission évangélique de l'Église mieux reconnue dans les sociétés laïcisées du IIIe millénaire. 



Les ordres religieux

En dehors des activités organisées autour des paroisses et, plus généralement, dans le cadre de la structure ecclésiastique, il existe d'autres formes de vie religieuse, plus dépouillées, plus disciplinées et souvent plus communautaires. Les ordres et les missions représentent ainsi des formes très différentes d'engagement au nom de la foi catholique. 


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Giotto, Innocent III approuve la règle de saint François

À l'instar des plus connus d'entre eux – bénédictins et bénédictines de saint Benoît (vie s.), franciscains de saint François d'Assise (xiiie s.), clarisses de sainte Claire (xiiie s.), dominicains de saint Dominique (xiiie s.) ou jésuites d'Ignace de Loyola (xvie s.) –, tous les ordres religieux suivent des règles de vie qui répondent aux trois appels évangéliques : la pauvreté, la chasteté et l'obéissance. Ils se différencient néanmoins par leur principale activité qui peut être la prédication, l'action missionnaire et sociale ou encore la prière (notamment dans les ordres contemplatifs vivant dans des monastères). 

Contrairement à la prêtrise, les ordres admettent hommes et femmes, mais dans des communautés séparées. Le statut de religieux n'est pas incompatible avec la prêtrise, tant et si bien que beaucoup de religieux sont également prêtres. Par ailleurs, certains ordres (comme les dominicains et les franciscains) ont institué un « tiers ordre », dans lequel sont regroupés des laïcs, mariés ou non, qui, tout en continuant à vivre dans le monde, s'engagent à suivre certains préceptes de la règle adoptée par l'ordre auquel ils appartiennent. 

Les ordres religieux ont, pour la plupart, essaimé sur tous les continents. Les responsables des communautés dépendent, selon les cas, de l'évêque du lieu ou d'une autorité centrale rattachée directement au Saint-Siège. 



Les mouvements catholiques

Les mouvements catholiques rassemblent des croyants désireux d'agir au nom de la foi, de la justice et de la charité chrétiennes, dans le cadre d'un des nombreux organismes existants, associations ou institutions. Alors que certains d'entre eux ont une dimension locale, d'autres (comme Caritas International, dont fait partie le Secours catholique français) sont internationaux. 

Ces mouvements allient à des degrés divers l'étude ou la formation religieuse, l'approfondissement spirituel et l'action caritative ou sociale. Une tension existe cependant entre ceux qui seraient tentés d'oublier le « monde » et ceux qui, au contraire, s'engagent « dans le monde » sans mettre en avant leur identité de membres de l'Église. 



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Léon XIII

À travers ces nombreux engagements, le catholicisme continue d'être actif dans les domaines de l'enseignement et de l'assistance hospitalière ou caritative, qu'il a longtemps eus en charge. Avec la révolution industrielle du xixe s., il s'est investi sur le terrain social pour dénoncer la « misère imméritée des ouvriers » (encyclique Rerum novarum de Léon XIII, en 1891) et pour y chercher remède. Connu sous le nom de catholicisme social, ce mouvement a débouché sur l'action politique, conduite par les partis de la démocratie chrétienne, et préparé l'éclosion de l'apostolat des laïcs, notamment l'Action catholique en France. 

La présence de plus en plus nombreuse de missionnaires dans les pays du tiers-monde a permis aux catholiques de participer à la lutte pour le développement des pays du Sud et de porter assistance aux plus défavorisés. 



L'évolution actuelle du catholicisme

Introduction

Ouverture sur le monde séculier, volonté de rejoindre les préoccupations des fidèles, telle est la tendance qui l'emporte aujourd'hui au sein de l'Église catholique, qui cherche à refréner la poussée des traditionalistes refusant toute modernisation liturgique et toute forme d'œcuménisme. 



Le concile Vatican II

La seconde moitié du xxe s. est marquée par le concile Vatican II. Convoqué par Jean XXIII, qui l'ouvre le 11 octobre 1962, il est clos le 8 décembre 1965 par Paul VI. Au terme de cette grande assemblée qui a réuni les évêques du monde entier et de nombreux experts théologiens, le catholicisme sort transformé, en particulier plus ouvert au dialogue : 
– avec les autres confessions chrétiennes dans le cadre du dialogue œcuménique, qui se traduit, dès le 7 décembre 1965, par la levée réciproque des excommunications entre Rome et Constantinople ; 
– avec tous les hommes s'interrogeant au sein de l'Église sur les problèmes de société, dans le respect de leur liberté ; 
– avec tous les catholiques, clercs et laïcs, qui ont reçu la même mission de témoigner du Christ et qui méritent ainsi une plus grande reconnaissance, due également au pluralisme culturel des Églises particulières et locales, dont il convient de respecter l'autonomie légitime (par exemple, par l'utilisation de la langue vernaculaire comme langue liturgique) ; 
– avec les autres religions, sur la base d'une reconnaissance plus ample du caractère impénétrable des voies de Dieu. 

Le concile Vatican II a été l'aboutissement et le point de départ d'un vaste travail théologique qui continue à susciter un intérêt général, de la part tant des clercs que des laïcs. 



La tentation intégriste

L'intégrisme catholique est né d'une réaction aux évolutions des sociétés modernes. Désignant initialement un parti politique espagnol, né vers 1890, à la suite de la condamnation papale du modernisme (Syllabus, 1864), le terme a pris un sens plus large. Aujourd'hui il s'applique aux catholiques intransigeants, qui refusent toute concession avec l'ordre social et politique des sociétés modernes, laïques et pluralistes. 

Au début du xxe s., sous le pontificat de Pie X, l'intégrisme a pris la forme d'une organisation secrète, la Sapinière, dont l'activité principale était de constituer des dossiers sur les catholiques jugés trop « compromis » avec la société moderne. Elle a mis fin à ses activités en 1921. 

Après Vatican II, l'intégrisme est devenu le creuset des tendances catholiques fondamentalement hostiles à l'aggiornamento (adaptation de l'Église à la modernité) engagé par le concile. Le 30 juin 1988, le schisme conduit par le chef des intégristes – l'évêque français Marcel Lefebvre – a été consommé avec l'Église de Rome. 


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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016, 20:49

Les reliques et le culte des images


Les reliques


Deux choses contraires à l’Écriture caractérisent encore l’Église de Rome. C’est d’abord le culte des reliques des saints, de la Vierge et même du Seigneur, et ensuite le culte des images.

Les reliques sont de prétendus restes, des ossements ou parties du corps de ceux que l’on révère, ou bien des objets qui leur ont appartenu ou qu’ils ont touchés. C’est vers le troisième siècle que l’on commença à entourer les restes des martyrs d’une vénération superstitieuse. Malgré l’opposition de quelques hommes pieux, le mal s’étendit rapidement. Vraies ou fausses, les reliques se multiplièrent. On leur attribua un pouvoir miraculeux, une vertu divine permanente. On prétendit que par elles les malades étaient guéris, les démons chassés, les morts ressuscités. Elles préservaient des dangers, faisaient gagner des batailles, et c’est sur elles que l’on prêtait les serments les plus inviolables. Pour affirmer leur puissance merveilleuse, on racontait toute espèce d’histoires souvent absurdes, en tout cas mensongères, et elles devinrent souvent l’objet d’un trafic scandaleux. Chaque église, chaque chapelle, chaque monastère, tenait à avoir ses reliques d’autant plus précieuses et renommées que de plus grands soi-disant miracles s’opéraient par elles. Les endroits où se trouvaient les plus célèbres reliques devenaient des buts de pèlerinage. Et les choses sont restées telles dans notre temps qu’on appelle un siècle de lumière. Rome présente à ses dévots pour être adorés, des objets dont l’origine est plus que douteuse — idolâtrie honteuse, reposant sur des fables, et qui ressemble à celle des prêtres de Bouddha qui eux aussi prétendent avoir des reliques de leur saint.

Je ne puis pas énumérer toutes les reliques que Rome vénère, ni les endroits où elles se trouvent. Ajouté aux légendes qui s’y rapportent, cela ferait un gros volume. Je citerai seulement trois des plus célèbres. La première est la sainte croix, celle sur laquelle le Sauveur a souffert. On prétend que l’impératrice Hélène, mère de l’empereur Constantin, voulant faire construire une église sur l’emplacement du sépulcre de Jésus, les ouvriers, en creusant la terre, découvrirent les trois croix où le Seigneur et les deux brigands avaient été attachés. Un miracle, dit-on, fit découvrir laquelle était celle de Jésus. La plus grande partie de la croix fut conservée à l’église du saint-sépulcre à Jérusalem, où, à ce que l’on dit, elle est encore, recouverte d’argent. Le reste fut coupé en morceaux et distribué comme reliques. Nombre d’endroits, églises ou autres, prétendent posséder un fragment de la vraie croix, mais si on les rassemblait, on en aurait la charge de dix hommes. Peuvent-ils être tous vrais, si même il y en a un seul qui le soit, car l’histoire de la découverte de la croix ne repose que sur des légendes ? Et alors, à quoi rend-on culte ? À des morceaux de bois, comme les païens à leurs fétiches. N’est-ce pas attristant de voir les âmes abusées par de telles choses au sein d’une église qui se dit chrétienne ? Dieu peut-il par là être honoré, et le Seigneur glorifié ?

Une autre relique célèbre est la tunique sans couture que portait le Seigneur. On l’appelle la sainte robe, et l’on raconte à son sujet les fables les plus absurdes. Elle ne fut découverte que dans le 12° siècle et donnée à l’archevêque de Trêves, ville où on la montre encore. Mais on prétend l’avoir aussi à Argenteuil en France, et au Latran à Rome, sans compter des morceaux que l’on en possède, dit-on, en divers endroits. Où est la vraie ? Ou plutôt, n’est-ce pas tout fausseté ? Et c’est ce que l’on fait adorer par de pauvres gens abusés. N’y a-t-il pas là un système de mensonges inventé par Satan pour égarer les âmes et les détourner de Christ sous une apparence de dévotion ? Les Bouddhistes ont aussi comme relique le vêtement de Bouddha renfermé dans une châsse. Et ce n’est pas la seule ressemblance que présente Rome papale avec le culte de Bouddha.

La troisième relique non moins fabuleuse, mais hautement vénérée, est le saint suaire. Une légende du Moyen Âge raconte qu’une femme de Jérusalem présenta à Jésus, lorsqu’on le conduisait au Calvaire, un mouchoir pour essuyer la sueur et le sang de son visage. Lorsque le Seigneur le lui rendit, sa face s’était imprimée sur le linge. Une autre légende rapporte la chose d’une manière toute différente. Ce serait le Seigneur lui-même qui aurait imprimé son visage sur un linge et l’aurait envoyé au roi Abgare qui désirait son portrait ! Ici encore on voit l’absurdité et la fausseté de la légende. Quoi qu’il en soit, ce que l’on nomme le saint suaire se trouve, chose étrange, à Saint-Pierre de Rome, à Turin, en Espagne, et en d’autres endroits. Où est le véritable, à supposer qu’il y en ait un seul ? Le saint suaire, un morceau de la vraie croix et la moitié de la lance qui perça le côté du Seigneur, sont les trois grandes reliques devant lesquelles, dans la semaine sainte, le pape et les cardinaux vont se prosterner solennellement, donnant ainsi l’exemple de l’idolâtrie au peuple qui se prosterne avec eux devant ces objets inanimés. Où trouvons-nous dans l’Écriture quoi que ce soit qui autorise un semblable culte ? Nulle part. Au contraire, tout culte rendu à un objet quelconque, de quelque manière que ce soit, y est formellement condamné. L’Écriture nous enseigne à adorer par l’Esprit Saint le Dieu vivant et vrai, le Père et le Fils dans le ciel, et à mettre notre confiance en Lui. Quant aux miracles opérés par les reliques, ce sont des mensonges ou des supercheries, ou, s’ils sont réels, ils sont dus à la puissance satanique. L’homme de péché qui doit venir, viendra « selon l’opération de Satan », avec « toute sorte de miracles et signes et prodiges, de mensonges ». Et le mystère d’iniquité opère déjà (*).


(*) 2 Thessaloniciens 2:9, 7.


Les images


À côté du culte des reliques se place celui qui est rendu aux images. Nous le trouvons dans l’Église grecque comme dans l’Église romaine, avec cette différence que la première n’admet que les images peintes. Ce sont les icônes devant lesquelles, dans les chaumières, les maisons, les lieux publics, et dans les églises, brûlent des cierges et se prosterne le peuple.

L’Église romaine va plus loin. Les édifices consacrés à son culte sont remplis, non seulement de peintures, mais aussi de statues de la Vierge parées de riches vêtements, ainsi que l’enfant qu’elle porte, et de statues des saints et des anges. On y voit des crucifix, figures du Seigneur sur la croix ; on va même jusqu’à représenter dans des tableaux, sous une forme humaine, le Dieu invisible, le Père. Ces images se trouvent aussi dans les maisons des dévots catholiques et y sont vénérées ; dans les villes autrefois, il y en avait en quantité dans les rues, et l’on en trouve encore des vestiges. L’apôtre Paul ne serait-il pas indigné, plus encore qu’à Athènes, en voyant la chrétienté remplie d’idoles ? (Actes 17:16). Et n’est-il pas à regretter, pour le dire en passant, que des chrétiens qui condamnent l’idolâtrie romaine, ne soient pas plus soigneux d’en écarter toute trace sur eux et dans leurs maisons ?

C’est dans les églises surtout que s’étale le culte rendu aux images. Il n’en est guère qui n’ait une chapelle dédiée à la Vierge ; d’autres ont en outre des chapelles consacrées à tel ou tel saint. Là, indépendamment du maître-autel avec ses nombreux cierges et ses riches ornements, se trouvent, dans chaque chapelle, un autel pour dire la messe, des cierges, des tableaux et d’autres images, et devant ces images, on brûle de l’encens, et prêtres et laïques se prosternent, adorent et prient. Si mes lecteurs ont l’occasion de voir une représentation de l’intérieur d’un temple bouddhiste, ils seront frappés de la ressemblance qu’il présente avec une Église romaine. Ne peut-on pas dire, que ces lieux où l’on prétend servir le Dieu unique, sont de vrais temples d’idoles ? Idolâtrie d’autant plus affreuse que l’on fait de Christ une image taillée que l’on baise et que l’on adore, et que les autres images auxquelles on rend un culte, sont celles de Pierre, de Paul, et d’autres qui furent de fidèles serviteurs de Dieu à qui toute idolâtrie était en horreur ; et surtout idolâtrie condamnable au plus haut degré en ce qu’on se prosterne devant des représentations de Celui qui a dit : « Tu ne te feras point d’image taillée, ni aucune ressemblance de ce qui est dans les cieux en haut, ni de ce qui est sur la terre en bas, ni de ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point » (*). On tombe ainsi dans le même péché qu’Israël quand il fit le veau d’or. L’Église romaine allègue qu’on n’adore pas les images, mais qu’en leur rendant un culte « relatif », on vénère ceux qu’elles représentent. C’est un subterfuge ; le passage que nous venons de lire est formel, et d’ailleurs le fait certain est que la masse des fidèles adore réellement l’image. Ajoutons à ce qui précède qu’un pouvoir miraculeux est attaché à certaines images, et que les b..... — en particulier b..... le crucifix — est considéré comme un acte méritoire. Nous l’avons vu en parlant de l’extrême-onction.


(*) Exode 20:4-5.


Le culte des images commença de bonne heure en Orient et se répandit ensuite en Occident. Ce ne fut pas sans opposition. En Orient, des empereurs voulurent l’extirper par la force. Il en résulta des luttes sanglantes, car le peuple défendait avec acharnement ces images si chères, auxquelles il attribuait des miracles. En effet, souvent en Occident, comme en Orient, dans des calamités ou des dangers publics, on portait, dans une procession solennelle, telle ou telle image pour obtenir la délivrance. Si l’ennemi s’éloignait des murs d’une ville assiégée, si une maladie contagieuse venait à cesser, c’était grâce à la vertu de l’image.

Après les luttes dont j’ai parlé, un concile fut convoqué à Nicée, en l’an 787. Il décréta que des images du Sauveur, de la Vierge, des anges, et des saints, en peinture ou en mosaïque, seraient placées dans les églises pour être baisées (*) et révérées en se prosternant devant elles, distinguant toutefois cette adoration de celle qui n’appartient qu’à la nature divine. « On doit, dit le concile, leur offrir de l’encens et des cierges, car l’honneur rendu à l’image passe à celui qu’elle représente ». Ensuite on déclara anathème celui qui ne révérerait pas les images et qui dirait qu’elles sont des idoles.


(*) Les adorateurs de Baal baisaient son image (1 Rois 19:18. Voyez aussi Osée 13:2).

L’Église romaine, comme l’Église grecque, reçut les décrets de ce concile. Plus tard, le concile de Trente, dans le 16° siècle, statua : « On doit avoir et conserver, principalement dans les églises, les images de Jésus Christ, de la Vierge, mère de Dieu, et des autres saints, et leur rendre l’honneur et la vénération qui leur sont dus, parce que cet honneur est rapporté aux originaux qu’elles représentent ».

Telle a été la ruse de Satan pour entraîner les âmes dans l’idolâtrie, malgré la parole de Dieu qui la proscrit formellement. « Je ne donnerai pas ma gloire à un autre, ni ma louange à des images taillées », dit l’Éternel (*). Et quand nous voyons ces statues devant lesquelles on se prosterne, qu’elles soient de pierre ou de bois, comment ne pas nous rappeler les paroles si fortes d’Ésaïe : « Qui a formé un dieu, ou fondu une image, qui n’est d’aucun profit ? »… Un homme prend un bois : d’une partie il fait du feu et s’en chauffe et fait cuire du pain ; et de l’autre il en fait un dieu, une image taillée, et se prosterne devant elle. Et le prophète ajoute : « Il se repaît de cendres ; un cœur abusé l’a détourné ; et il ne délivre pas son âme, et ne dit pas : N’ai-je pas un mensonge dans ma main droite ? » (**). Combien ces paroles sont applicables à ces nombreux pauvres abusés qui se prosternent devant les peintures et les statues de bois ou de pierre, et leur adressent leurs prières !


(*) Ésaïe 42:8.

(**) Ésaïe 44:10-20.
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016, 20:50

Le Purgatoire


Une autre doctrine du catholicisme est le purgatoire. Qu’est-ce que le purgatoire ? C’est un lieu, dit l’Église romaine, où ceux qui sont morts en état de grâce, c’est-à-dire non coupables de péché mortel (*), sont purifiés par des châtiments et des souffrances temporaires, des fautes qui n’ont pas été suffisamment expiées ici-bas. Ces souffrances peuvent être allégées et leur temps abrégé, par les prières et les aumônes des parents et des amis du défunt, et surtout par des messes dites à son intention.


(*) L’Église romaine enseigne qu’il y a deux sortes de péchés : les péchés mortels qui font perdre la grâce de la justification, et les péchés véniels (de venia, pardon) qui ne font pas perdre la grâce. Si quelqu’un meurt en état de péché mortel, il va en enfer. Mais quelqu’un qui s’est rendu coupable d’un tel péché peut être pardonné et justifié par le sacrement de pénitence. 


Bien que saint Augustin, à l’occasion de la mort de sa mère Monique, mentionne déjà les prières pour les morts, ce n’est qu’en l’an 600 que la doctrine du purgatoire fut reçue parmi les dogmes de l’Église de Rome et que le pape Grégoire le Grand la formula en ces termes : « Nous devons croire qu’il y a un feu qui purifie des petites fautes avant que le jour du jugement arrive ». Le célèbre concile de Trente a défini complètement cette doctrine et prononcé l’anathème sur ceux qui la nient. Voici ce qu’il dit : « Il y a un purgatoire, et les âmes qui y sont retenues prisonnières, sont secourues par les prières des croyants, mais surtout par le sacrifice acceptable de la messe ». Le concile ordonne à tous les évêques, de « s’appliquer avec zèle à ce que la sainte doctrine du purgatoire qui nous a été transmise par les vénérables pères de l’Église et par les saints conciles, soit crue, gardée, enseignée et prêchée partout parmi les fidèles de Christ… Les âmes des justes sont purifiées dans les flammes du purgatoire par un châtiment temporaire, afin que de cette manière leur soit accordée l’entrée dans leur patrie éternelle, où rien d’impur ne peut être admis… Le sacrifice de la messe est offert pour ceux qui se sont endormis en Christ, mais qui ne sont pas entièrement purifiés ».

Telle est la doctrine romaine du purgatoire. Elle n’a, pour s’appuyer, aucun passage de la parole de Dieu (*), et, de l’aveu même du concile, ne repose que sur l’autorité des pères et des conciles. Nous allons voir qu’elle est contraire aux enseignements de l’Écriture, et au témoignage qu’elle rend à l’amour de Dieu et à l’œuvre de Christ pour la justification du pécheur et le pardon des péchés.


(*) La seule référence faite par l’Église romaine est celle d’un livre apocryphe (2 Macchabées), c’est-à-dire ne figurant pas dans la Bible hébraïque.

Où se trouve le purgatoire, et quel genre de souffrances les âmes y endurent-elles ? Les docteurs romains ne le disent pas, et le concile de Trente interdit sur ce point les questions curieuses. Mais il parle du « feu du purgatoire », et l’Église romaine, pour apitoyer les vivants sur le sort des âmes qui s’y trouvent, tolère qu’on le représente dans des tableaux comme un lieu où les âmes sont horriblement tourmentées dans un feu ardent. Et jusqu’à quand les âmes restent-elles dans ce lieu de souffrances ? Jusqu’à ce qu’elles aient « payé le dernier quadrant » (Matthieu 5:26), disent les docteurs romains, car c’est ainsi qu’ils appliquent à faux ce texte. Ils veulent dire par là que les âmes subissent les peines du purgatoire jusqu’à ce qu’elles aient été entièrement purifiées et que la justice de Dieu ait été satisfaite. L’Église romaine dit bien que l’intensité des souffrances peut être adoucie et leur durée abrégée par certaines œuvres accomplies en leur faveur, mais est-on jamais sûr que le dernier quadrant est payé et que l’âme sort enfin du purgatoire pour entrer au ciel ? Non, jamais. Et ainsi les pauvres catholiques romains sont laissés dans une continuelle incertitude quant au sort de leurs parents ou amis décédés, quand bien même ceux-ci ont reçu l’extrême-onction (qui selon Rome, doit effacer les dernières traces de péché), et qu’eux ont prié et fait dire des messes. Et ceux qui croient cet enseignement, ne peuvent qu’être dans une erreur constante en pensant à la mort qui va les jeter dans les souffrances du purgatoire, malgré leur foi et leurs œuvres, et cela durant un temps indéterminé.

Mais Dieu soit béni, le purgatoire n’est qu’une invention de l’esprit humain et par conséquent un mensonge. Tout l’enseignement de l’Écriture est opposé à cette doctrine. 

D’abord nous n’y voyons nulle part qu’il y ait à distinguer entre les péchés mortels et les péchés véniels. Tout péché est mortel, car la parole de Dieu dit : « Les gages du péché, c’est la mort » (Romains 6:23), et après la mort, le jugement (Hébreux 9:27). Mais il est ajouté : « Le don de grâce de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus, notre Seigneur ». Et Jésus nous dit : « Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3:16). 

Et ce n’est pas après la mort seulement que nous aurons la vie éternelle ; nous l’avons dès ici-bas lorsque nous croyons de cœur au Seigneur Jésus, car il est écrit : « Qui croit au Fils a (et non aura) la vie éternelle » (Jean 3:36). Nous lisons encore : « En ceci a été manifesté l’amour de Dieu pour nous, c’est que Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui… Dieu… nous aima et… envoya son Fils pour être la propitiation pour nos péchés » (1 Jean 4:9-10). Puis : « Voyez de quel amour le Père nous a fait don, que nous soyons appelés enfants de Dieu… Bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu » (1 Jean 3:1-2). En croyant au Seigneur Jésus, nous avons déjà maintenant la vie éternelle et sommes de bien-aimés enfants de Dieu ; Dieu veut-il mettre son enfant, pour qui il a donné son Fils, et qui possède la vie éternelle, dans une horrible prison et d’affreuses souffrances jusqu’à ce qu’il ait payé le dernier quadrant ? Est-ce là le grand amour dont il nous a aimés ? (Éphésiens 2:4).

Il est vrai que si l’enfant de Dieu vient à manquer, Dieu le discipline ici-bas, pour son profit, afin de le rendre participant de sa sainteté (Hébreux 12:7-10), et cette discipline peut aller jusqu’à la mort du corps (1 Jean 5:16 ; 1 Corinthiens 11:30). Dieu permet aussi que nous soyons éprouvés de différentes manières, afin de nous purifier des choses qui ne conviennent pas à notre caractère de chrétiens (1 Pierre 1:6-7). Mais nous ne voyons nulle part dans l’Écriture qu’après cette vie, le croyant ait encore à souffrir pour satisfaire Dieu qui a été pleinement satisfait par le sacrifice de Christ. S’il déloge, c’est pour être avec Christ (Philippiens 1:23) et non dans le purgatoire. Absent du corps, il est avec le Seigneur (2 Corinthiens 5:8). L’Écriture nous dit aussi que les croyants ont à rendre grâces « au Père qui nous a rendus capables de participer au lot des saints dans la lumière » et qui nous a introduits « dans le royaume du Fils de son amour », et cela dès ici-bas (Colossiens 1:12-14). Le croyant cesse-t-il de jouir de ces heureux privilèges quand il a quitté cette vie ? Le lot des saints dans la lumière peut-il jamais être un lieu de tourments, et le purgatoire et ses souffrances fait-il partie du royaume du Fils de l’amour divin ? Non.

La doctrine du purgatoire fait donc injure à l’amour parfait de Dieu, et méconnaît les dons de cet amour. La pensée du purgatoire tient les âmes dans une crainte perpétuelle. Or Dieu veut que, dans la connaissance et la jouissance de son amour, nous soyons sans crainte. « Il n’y a pas de crainte dans l’amour », dit l’apôtre Jean, « mais l’amour parfait chasse la crainte, car la crainte porte avec elle du tourment ; et celui qui craint n’est pas consommé dans l’amour » (1 Jean 4:18).

Cette doctrine est aussi contraire à ce que l’Écriture enseigne touchant l’œuvre parfaite de Christ accomplie sur la croix pour notre salut complet et actuel, pour l’entier pardon de tous nos péchés. La parole de Dieu nous dit que Christ a « offert un seul sacrifice pour les péchés », que nous sommes « sanctifiés par l’offrande du corps de Jésus Christ faite une fois pour toutes », que, « par une seule offrande, il a rendu parfaits à perpétuité ceux qui sont sanctifiés », et enfin que Dieu ne se souviendra plus jamais de leurs péchés ni de leurs iniquités » (Hébreux 10:10, 12, 14, 17). Si les croyants sont sanctifiés, rendus parfaits à perpétuité, et si Dieu ne se souvient plus de leurs péchés, qu’ont-ils encore besoin d’un purgatoire ? Dieu veut-il exiger le paiement de péchés dont il ne se souvient plus, qui sont entièrement effacés de devant ses yeux ? De plus, il est dit : « Le sang de Jésus Christ son Fils nous purifie de tout péché » (1 Jean 1:7). S’il faut encore aller dans le purgatoire, cette affirmation de l’Écriture n’est pas vraie : on fait Dieu menteur. Nous lisons aussi : Christ a été « offert une fois pour porter les péchés de plusieurs » (Hébreux 9:28), c’est-à-dire de ceux qui croient, et : « Il a porté nos péchés en son corps sur le bois » (1 Pierre 2:24). Mais si l’on doit souffrir dans le purgatoire, c’est donc que le Christ n’a pas porté tous les péchés, c’est-à-dire que son œuvre est imparfaite et incomplète ! N’est-ce pas un blasphème ? Le fait est que l’Église romaine veut toujours que l’homme ait une part à faire dans l’œuvre du salut, ici-bas ou dans l’autre vie.

Combien nous sommes heureux, de savoir avec une entière certitude que, si nous croyons de cœur au Seigneur Jésus, Dieu nous « a pardonné toutes nos fautes » (Colossiens 2:13), que nous sommes sauvés pleinement, vivifiés avec Christ, ressuscités avec Lui, assis en Lui dans les lieux célestes (Éphésiens 2:5-6) (*), que nous n’avons plus aucune condamnation à redouter (Romains 8:1), que nous sommes lavés, sanctifiés, justifiés, au nom du Seigneur Jésus et par l’Esprit de notre Dieu (1 Corinthiens 6:11), et enfin que, si nous passons par la mort, c’est le Seigneur, et non le purgatoire, qui reçoit notre esprit bienheureux (Actes 7:59).


(*) Telle est l’union intime du croyant avec Christ. Peut-on supposer qu’un homme qui est vivifié et ressuscité avec Christ, assis en Lui dans les lieux célestes, puisse en même temps être dans les souffrances du purgatoire ?
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016, 20:51

Les Indulgences


Aux doctrines de la pénitence et du purgatoire se rattache celle des indulgences, entièrement étrangère aussi et contraire aux enseignements de l’Écriture sainte. Mais avant de voir ce que l’on entend par là, rappelons en quelques mots ce que la Parole de Dieu nous dit touchant le salut de notre âme. Elle nous apprend que nous sommes des pécheurs perdus, éloignés de Dieu et ses ennemis dans nos pensées et par nos mauvaises œuvres, privés du ciel et sujets à la condamnation éternelle (Colossiens 1:21 ; Romains 3:23 ; Jean 3:36). Elle nous dit que nous sommes morts dans nos fautes et dans nos péchés, sans force et incapables par nous-mêmes de revenir à Dieu, et qu’en nous il n’habite aucun bien (Éphésiens 2:1 ; Romains 5:6 ; 7:18). Et elle déclare de plus que personne ne sera justifié devant Dieu par des œuvres de loi, car la loi ne fait que manifester, par notre impuissance à l’observer, tout le mal qui est en nous (Romains 3:20).

Comment échapper à la juste condamnation prononcée contre nous ? Il n’y a qu’une unique ressource, nous dit la parole de Dieu. C’est la grâce divine : « Vous êtes sauvés par la grâce, par la foi, et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu ; non pas sur le principe des œuvres, afin que personne ne se glorifie » (Éphésiens 2:8-9). Le salut vient donc tout entier de Dieu, et il nous est accordé, sans aucun mérite de notre part, à cause de l’œuvre de Christ qui est mort pour nos fautes et a été ressuscité pour notre justification. Ce précieux Sauveur s’est chargé de nos péchés et les a expiés par son sacrifice parfait. C’est en vertu de ce sacrifice que Dieu nous pardonne et nous justifie, ainsi qu’il est écrit : « Étant justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est dans le Christ Jésus, lequel Dieu a présenté pour propitiatoire par la foi en son sang » (Romains 3:24-25). Quelles œuvres pourrions-nous ajouter à l’œuvre parfaite de Christ qui a satisfait Dieu ? Gratuitement ne veut-il pas dire que l’on n’a rien à payer ? Et comment avoir part à la justification, à la rédemption, au salut ? Simplement par la foi, la foi sans aucune œuvre, la foi au sacrifice du Seigneur, la foi en l’efficacité du sang versé sur la croix pour ôter nos péchés. Telle est la voie simple du salut pour le pécheur coupable et perdu.

L’Église romaine enseigne autrement : selon elle, l’homme est capable de faire le bien par lui-même et par conséquent peut et doit accomplir des œuvres propres à lui assurer le salut. Et comme preuve que la foi seule sans les œuvres ne suffit pas au salut, ses docteurs objectent les paroles de Jacques : « La foi sans les œuvres est morte… » et « vous voyez qu’un homme est justifié par les œuvres et non par la foi seulement » (Jacques 2:17-26). Mais Dieu ne peut se contredire : les paroles de l’Esprit Saint données par l’apôtre Paul sont vraies, et celles données par Jacques sont vraies aussi, et les unes s’accordent parfaitement avec les autres. La foi est dans le cœur une puissance vivifiante et purifiante (Actes 15:9). Celui qui croit du cœur au Seigneur Jésus est régénéré, ou né de nouveau. L’Esprit Saint produit en lui une vie nouvelle, et il est rendu capable de faire des œuvres agréables à Dieu, tandis qu’auparavant les œuvres qu’il faisait étaient des œuvres mortes et nullement agréées de Dieu. Les œuvres que le chrétien accomplit sont le fruit et non le moyen du salut ; elles sont la manifestation extérieure de la foi intérieure, de la vie de Dieu dans l’âme. C’est ainsi que Jacques dit qu’un homme n’est pas justifié par la foi seule, mais aussi par les œuvres, parce que celles-ci sont la preuve de la réalité de la foi. Dans une horloge, le ressort qui est caché montre son existence par les mouvements du balancier que l’on voit.

Les œuvres ne nous sauvent donc pas, mais les bonnes œuvres que le chrétien accomplit sont le fruit la grâce et la preuve qu’il est sauvé, que la vie de Dieu est en lui. Nous avons encore sur ce sujet si important le passage suivant : « Quand la bonté de notre Dieu Sauveur et son amour envers les hommes sont apparus, il nous sauva, non sur le principe d’œuvres accomplies en justice, que nous, nous eussions faites, mais selon sa propre miséricorde, par le lavage de la régénération et le renouvellement de l’Esprit Saint, qu’il a répandu richement sur nous par Jésus Christ, notre Sauveur, afin que, ayant été justifiés par sa grâce, nous devinssions héritiers selon l’espérance de la vie éternelle » (Tite 3:4-7). Et ensuite l’apôtre ajoute : « Que ceux qui ont cru Dieu s’appliquent à être les premiers dans les bonnes œuvres » (verset 8). Remarquons encore que les œuvres que le chrétien accomplit, ne sont pas des œuvres qu’il invente ou qu’il choisit ; elles sont le fruit de l’Esprit et, dit l’apôtre, « nous sommes son ouvrage (l’ouvrage de Dieu), ayant été créés dans le Christ Jésus pour les bonnes œuvres que Dieu a préparées à l’avance, afin que nous marchions en elles » (Galates 5:22 ; Éphésiens 2:10).

Mais l’Église romaine s’est écartée de ce sain enseignement. Les œuvres qu’elle préconise sont des œuvres purement extérieures ; c’est l’observation des rites et cérémonies de l’église, des prières cent fois répétées, des jeûnes, des macérations pour dompter la chair, des pèlerinages en tels ou tels lieux réputés, la fondation d’églises, de chapelles ou de couvents, faire l’aumône, donner tous ses biens, faire vœu de pauvreté, entrer dans un couvent en renonçant au monde, porter un cilice et se flageller ; toutes ces choses et d’autres encore sont considérées comme des œuvres méritoires propres à acquérir des droits au ciel. Voyez, à propos de ces œuvres, ce que l’apôtre Paul dit en Colossiens 2:16-23.

Selon l’Église romaine, plus on accomplissait de ces œuvres que nous avons mentionnées, plus on était saint, plus on était propre pour le ciel, et l’on en vint à croire qu’il existait des personnes qui allaient en sainteté au-delà du nécessaire pour entrer dans le ciel. Comme si l’on pouvait être trop saint aux yeux de Dieu ! Combien cela est loin de ce que dit la parole de Dieu : « Que celui qui est saint soit sanctifié encore » (Apocalypse 22:11). Ce sont ces personnes-là que le pape canonise, c’est-à-dire déclare saintes, et place dans le ciel pour y être invoquées. Mais ce n’est pas tout. Ayant fait plus qu’il ne fallait pour être reçus dans le ciel, les saints ont laissé après eux un reste de mérites qui peuvent être appliqués à d’autres, dit l’Église de Rome. C’est ce qu’elle appelle des mérites surérogatoires, mot qui veut dire au-delà de ce que l’on peut exiger. Mais que dit le Seigneur Jésus ?: « Quand vous aurez fait toutes les choses qui vous ont été commandées, dites : Nous sommes des esclaves inutiles ; car ce que nous étions obligés de faire, nous l’avons fait » (Luc 17:10).

Au 13° siècle, un docteur de l’Église de Rome, nommé Alexandre de Hales, et surnommé le docteur irréfragable, c’est-à-dire qu’on ne peut contredire, inventa une nouvelle doctrine. Il dit que Christ avait fait bien plus qu’il n’était nécessaire pour le salut des hommes. Une seule goutte du sang qu’il a versé suffisait pour cela, et puisqu’il en a versé beaucoup, ajoutait ce docteur, il en reste pour l’Église un trésor de mérites que l’éternité ne saurait épuiser. C’est une doctrine qui n’a aucun fondement dans la parole de Dieu, et qui n’est que le produit des vains raisonnements et de la folle imagination de l’homme. Mais le pape Clément VII l’a déclarée article de foi, et l’Église romaine l’a acceptée comme telle. Ce trésor des mérites de Christ a été augmenté des mérites surérogatoires des saints, et la garde et l’administration en ont été confiées au pape, vicaire de Jésus Christ sur la terre, dit l’Église romaine.

Que faire de ces mérites ? Moyennant des sommes à payer ou certaines pratiques à accomplir, l’église les applique à chaque pécheur dans la mesure que ses péchés nécessitent, et c’est là ce que l’on nomme les indulgences. Les vivants peuvent aussi les acquérir pour abréger les peines temporelles, soit les châtiments dans ce monde, soit ce qu’endurent les âmes dans le purgatoire. N’est-il pas triste de voir les âmes abusées, trompées, par de semblables enseignements ? Peut-on croire que les mérites d’une créature comme nous puissent nous être appliqués pour l’expiation de nos fautes ? Peut-on supposer que d’une manière quelconque, on puisse acheter quelque chose des mérites de notre adorable Sauveur qui a offert une fois pour toutes le sacrifice qui expie tous nos péchés, et qui donne gratuitement le salut et la vie éternelle ? Et quelle prétention terrible de la part d’un homme de se dire le dispensateur de ce qui n’appartient qu’à Christ, de ce que Christ seul donne !

Les indulgences devinrent la source du trafic le plus honteux. Au moyen d’une somme d’argent payée à l’église, on était dispensé de la repentance et des peines de la pénitence. On pouvait ainsi sans remords se livrer au péché. On alla jusqu’à établir une taxe des indulgences, qui indiquait ce qu’il fallait donner pour se racheter de tel ou tel péché, même du plus grossier. On accordait aussi des indulgences à l’accomplissement de tels ou tels actes que l’on faisait considérer comme méritoires. Ainsi une indulgence plénière, c’est-à-dire le pardon de tous les péchés commis, même les crimes les plus grands, avait été promise par le pape Urbain II à tous ceux qui prendraient part à la croisade, c’est-à-dire à l’expédition guerrière destinée à reprendre Jérusalem des mains des Turcs. Une indulgence plénière applicable aux âmes du purgatoire, fut accordée par le pape Pie VII à ceux qui, après la confession et la communion, récitent à genoux devant un crucifix une certaine prière.

Pour faire profiter du trésor des indulgences le plus grand nombre possible de personnes, le pape Boniface VIII, en l’an 1300, publia une bulle annonçant à l’Église qu’un jubilé se célébrerait à Rome tous les cent ans, et qu’à tous ceux qui s’y rendraient, il serait accordé une indulgence plénière, l’absolution de tous leurs péchés. D’innombrables pèlerins se rendirent à Rome de toutes parts, non sans apporter à l’Église de riches offrandes. Cent ans, c’était bien long. On plaça donc les jubilés, d’abord à cinquante ans, puis à trente-trois ans, et enfin à vingt-cinq ans d’intervalle. Et comme un grand nombre ne pouvaient facilement aller à Rome, on transporta sur différentes places de la chrétienté le jubilé et ses indulgences.

Ce trafic des choses saintes arriva au comble le plus honteux à l’époque de la Réformation. Le pape Léon X, homme léger et dissolu, avait besoin d’argent pour satisfaire à ses goûts dispendieux et à ses plaisirs. Pour s’en procurer, sous prétexte de vouloir achever la basilique de Saint-Pierre à Rome et de faire la guerre aux Turcs, il donna un nouvel essor à la vente des indulgences, dont les principaux marchés furent établis en Allemagne et en Suisse. Les scandales qui en résultèrent, l’indignation qu’ils soulevèrent, la manière grossière et impie dont agissaient ceux qui étaient préposés à cette vente, furent une des causes de la Réformation. Nous en reparlerons plus tard.

De nos jours, l’Église romaine applique toujours les indulgences, bien qu’en ayant supprimé les abus les plus grossiers. Ainsi elle accorde des indulgences d’un certain nombre de jours ou d’années, à l’accomplissement de tels ou tels actes, par exemple à des pèlerinages, à des prières récitées devant certains autels, ou adressées à tel saint. Et ces indulgences sont appliquées soit à celui qui les acquiert ainsi pour lui épargner un certain temps de souffrances dans le purgatoire, soit à des personnes défuntes en faveur desquelles ces actes sont accomplis.

Nous avons ainsi vu l’ensemble de ce qui constitue le papisme, ce grand système de doctrines qui cache le vrai christianisme. Nous avons encore à considérer les moyens terribles inventés par l’Église romaine pour tenir les âmes sous sa domination.
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016, 20:52

L’Inquisition


L’Inquisition était un tribunal ecclésiastique institué pour rechercher et punir les personnes coupables d’hérésie. Que faut-il entendre par ce mot ? Il signifie en réalité toute doctrine contraire à la parole de Dieu. Mais l’Église romaine appelle de ce nom ce qui est opposé à ses enseignements et à ses pratiques. Ainsi, si quelqu’un niait que le pape eût le pouvoir de pardonner les péchés, ou s’il ne croyait pas à la messe, ou, au purgatoire, ou s’il rejetait quelque autre des traditions de l’église, il était regardé comme un hérétique digne de châtiment.

Comment faut-il agir avec les hérétiques ? La parole de Dieu nous dit simplement qu’il faut les rejeter et n’avoir pas de communication avec eux (Tite 3:10 ; 2 Jean 10), et c’est ce que l’Église faisait au commencement. Mais quand elle se fut écartée de l’enseignement des Écritures, qu’elle y eut ajouté ses traditions et ses ordonnances, et qu’elle se fut érigée en dominatrice des consciences et des cœurs, elle en vint à dire qu’il fallait châtier les hérétiques qui ne voulaient pas renoncer à leurs erreurs, par la perte de leurs biens, par la prison, et enfin par le feu. Elle prétendait s’appuyer sur ce passage : « Contrains-les d’entrer ».

Déjà à la fin du 4° siècle, un nommé Priscillien, chef d’une secte qui portait son nom, fut mis à mort avec quelques-uns de ses disciples pour crime d’hérésie, par ordre de l’empereur Maxime (*). Son principal accusateur était un évêque du nom d’Ithacius. Ambroise de Milan et d’autres évêques jugèrent son action si indigne de sa charge, qu’il fut excommunié et mourut en exil. Ainsi à cette époque, sévir contre les hérétiques était désapprouvé par ce qu’il y avait de meilleur dans l’Église. Nous avons cependant vu, par exemple, dans l’histoire de Chrysostôme et d’autres, avec quelle rigueur on traitait ceux qui ne suivaient pas les opinions religieuses des empereurs.


(*) Priscillien était un véritable hérétique. Sa doctrine se rapprochait de celle des Manichéens ; mais ce n’était pas une raison pour le faire mourir.


Au 6° siècle, l’empereur Justinien édicta des pénalités contre les hérétiques, les Juifs et les apostats. Mais c’étaient des officiers civils qui poursuivaient les délinquants. Les cas d’hérésie étaient portés devant les tribunaux ordinaires. Plus tard les évêques furent investis du droit d’examiner ceux qui étaient accusés d’hérésie. S’ils ne renonçaient pas à leurs erreurs, vraies ou prétendues, ils étaient livrés au pouvoir civil pour être punis ; mais la poursuite des hérétiques ne se faisait pas d’une manière générale et l’on jugeait d’après les décisions des conciles.

Ce fut vers la fin du 12° siècle que des mesures rigoureuses et plus générales furent prises pour rechercher et punir ceux que l’Église de Rome appelait hérétiques, et ce fut à l’occasion de l’hérésie des Albigeois répandus en grand nombre dans le midi de la France et ailleurs. Nous en parlerons plus tard.

Le Saint-Siège, comme on appelle le siège épiscopal de Rome, sentait son autorité menacée par les progrès de cette hérésie. Aussi le pape Alexandre, en 1163, convoqua un concile à Tours. Voici une des décisions de cette assemblée : « À cause des hérésies existant à Toulouse et ailleurs, nous ordonnons aux évêques et à tous les prêtres du Seigneur demeurant dans ces lieux-là de veiller et sous peine d’anathème, de défendre que là où des partisans de ces hérésies sont connus, nul dans le pays n’ose leur donner asile, ni ne leur prête une aide quelconque. On ne doit avoir aucune relation avec ces personnes, ni pour vendre, ni pour acheter, afin que tout soulagement et toute marque d’humanité leur étant refusés, elles soient forcées d’abandonner l’erreur de leur vie. Et quiconque tentera de contrevenir à ce commandement, sera frappé d’anathème comme participant à leur iniquité. Quant aux hérétiques, s’ils sont pris, ils seront jetés en prison par les princes catholiques et privés de tous leurs biens ». Voilà comment parlaient les évêques de Jésus Christ chargés de paître les brebis ! Toute réunion, des hérétiques était strictement défendue. On remarquera que non seulement les hérétiques étaient punis par la prison, mais que leurs biens étaient confisqués. Une part allait aux princes, une autre à l’église, et cela devint, pour les hommes avides, un terrible stimulant à porter des accusations contre les personnes riches.

Le pape Innocent III (de 1198 à 1216) déploya le plus grand zèle pour extirper tout ce qui était tenu pour hérésie. Il convoqua, en 1215, le quatrième concile de Latran, où furent passés de nouveaux et rigoureux décrets contre ceux qui différaient, non seulement des conciles généraux, mais de l’Église de Rome. Les évêques devaient être les juges. Dans ce concile il fut décrété : « Les personnes notées seulement comme suspectes d’hérésie, à moins qu’elles n’aient pu se justifier elles-mêmes, seront frappées du glaive de l’anathème, et chacun devra les éviter. Si elles persistent pendant une année sous l’excommunication, elles seront condamnées comme hérétiques ». Ainsi se resserrait le filet destiné à prendre et à détruire les hérétiques. Bientôt le système prit sa forme définitive.

Au concile de Toulouse, en 1229, il fut décidé qu’une Inquisition permanente serait établie pour rechercher les hérétiques. Mais ce ne fut qu’en 1233, quand le pape Grégoire IX eut ôté aux évêques le pouvoir de punir ceux qui étaient coupables d’hérésie, et qu’il l’eut donné aux Dominicains, que l’Inquisition prit la forme d’un tribunal distinct. On le nomma le Saint-Office, et ses officiers furent appelés Inquisiteurs de la foi.

Avant d’aller plus loin, disons qui étaient les Dominicains. Un jeune prêtre espagnol, nommé Dominique de Guzman, né en 1170, se distinguait par son éloquence, sa piété, son ascétisme et son dévouement à la cause de l’Église romaine. En vue de la défendre contre les hérétiques, il fonda à Toulouse l’ordre des frères prêcheurs qui, d’après lui, furent nommés Dominicains. Bien que Dominique prétendît qu’il ne fallait employer contre les hérétiques d’autres armes que la prière, la persuasion et l’exemple, il accepta la charge d’inquisiteur, et comme tel persécuta les Albigeois avec la plus grande cruauté. Son emblème était un chien portant dans sa gueule une torche enflammée et brûlant le monde. Emblème frappant de ce qu’il fut car sa vie se passa à pourchasser les hérétiques et à les faire brûler. Il fut canonisé en 1234, et est ainsi un des saints que l’Église romaine invoque et prie ! L’apôtre Paul disait : « Je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu ». Dominique, lui, a passé sa vie à persécuter des chrétiens, et à cause de cela l’Église de Rome a fait de lui un saint, et a inscrit son nom comme tel dans le calendrier. Mais à moins qu’avant sa mort il ne se soit repenti de ses cruautés et n’ait imploré le pardon de Christ — ce que nous ignorons — son nom ne saurait être inscrit parmi les saints de Dieu. Les Dominicains sont vêtus d’une robe blanche avec un capuchon noir. Ils s’engagent par serment à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour défendre l’église et le pape et pour détruire l’hérésie. Le pape leur donna son approbation et les nomma « les vraies lumières du monde », tristes et terribles lumières que celles que projetaient les bûchers qu’ils allumèrent pour consumer de soi-disant hérétiques !

Bien que, dans toutes les contrées de l’Europe occidentale, le fanatisme des prêtres ait fait brûler par le pouvoir civil ceux qu’ils disaient hérétiques, l’établissement de l’Inquisition rencontra une forte opposition dans plusieurs États. C’est en Espagne et au Portugal, ainsi que dans les contrées qui étaient soumises à ces royaumes, que le terrible tribunal fut érigé d’une manière permanente et fonctionna avec une rigueur cruelle durant près de six cents ans, n’ayant été aboli qu’au commencement du 19° siècle.

Nous dirons maintenant quelques mots sur l’organisation du Saint-Office et sur la manière dont il procédait. Dans chaque contrée où l’Inquisition était établie, il y avait un Inquisiteur général. C’était toujours quelque haut dignitaire ecclésiastique qui dépendait du pape seul. Ni roi, ni prince, ni gouverneur n’avait autorité sur lui. Il nommait d’autres inquisiteurs pour chaque province où leur œuvre devait être poursuivie. Au-dessous de ceux-ci il y avait de nombreux officiers, tous prêtres et généralement de l’ordre des Dominicains. C’étaient des conseillers, des secrétaires, des consulteurs, outre les alguazils qui étaient chargés d’exécuter les ordres de l’inquisition, et les familiers ou serviteurs.

Toute personne attachée à l’Inquisition était liée par le serment le plus solennel à garder le secret sur ce qui se passait dans ses murailles. Tout témoin appelé devant les inquisiteurs, ainsi que tout prisonnier, devait prêter le même serment de ne jamais révéler ce qu’il y avait vu et entendu.

Partout où l’on soupçonnait qu’il y avait des personnes entachées d’hérésie, on envoyait des espions pour tâcher de les découvrir. On corrompait les serviteurs pour qu’ils déposassent contre leurs maîtres ; on s’efforçait d’engager les amis à trahir ceux qui avaient confiance en eux ; on encourageait même les enfants à dénoncer leurs parents au Saint-Office.

Tout garçon de 14 ans et toute fille de 12 ans devaient jurer devant le prêtre, non seulement qu’ils abjuraient toute doctrine contraire à l’Église de Rome, mais qu’ils feraient tout ce qui serait en leur pouvoir pour poursuivre et dénoncer ceux qu’ils sauraient tenir ces doctrines. Deux fois par an, on lisait dans toutes les églises un mandement ordonnant au peuple d’informer les inquisiteurs dans les six jours, des hérétiques qu’ils connaîtraient. Sinon ils pouvaient eux-mêmes être poursuivis comme tels.

Toute personne soupçonnée d’hérésie, qu’elle fût riche ou pauvre, de haute naissance ou simple paysan, prêtre ou laïque, pouvait s’attendre de jour ou de nuit à entendre la voix des alguazils : « Ouvrez, au nom du Saint-Office », et être sommée de comparaître devant le redoutable tribunal avec bien peu ou point d’espoir de revoir sa demeure et sa famille.

Tenter de s’échapper était inutile, car on n’épargnait aucun moyen de saisir les fugitifs, et les agents de l’Inquisition étaient partout ; d’ailleurs la fuite était considérée comme un aveu de culpabilité. Résister n’était pas moins impossible, car l’Inquisition avait en main toute la force armée du royaume, et qui aurait osé aider quelqu’un contre les serviteurs des inquisiteurs ? C’était s’exposer au même châtiment que l’hérétique lui-même

Lorsqu’un prisonnier était traduit devant le tribunal, on ne lui disait jamais de quoi il était accusé, mais on lui ordonnait de confesser ses opinions hérétiques, même s’il ne les avait jamais émises de vive voix à personne et les avait gardées dans ses pensées. Pour l’amener à cette confession, on employait toutes sortes de moyens et de ruses. Ordinairement les juges prétendaient savoir tout ce qui le concernait, mais ils lui disaient que, s’il avouait, on userait d’indulgence envers lui. Quelquefois même on lui promettait le pardon s’il disait tout, promesse rarement, si même jamais tenue. Mentir dans l’intérêt de l’Église n’est pas un péché pour les agents de Rome.

Si la persuasion ne réussissait pas, on employait la torture. Même si le prisonnier avait confessé sa foi, il y était souvent appliqué, afin que les souffrances lui fissent dénoncer ceux qui avaient les mêmes croyances que lui. Les tortures étaient affreuses, trop affreuses pour être décrites. Les membres étaient disloqués, les parties délicates du corps brûlées, etc. Les souffrances que les païens faisaient endurer aux chrétiens des premiers temps, ne dépassaient pas celles que le Saint-Office infligeait à ceux qui comparaissaient devant lui. Le supplice se prolongeait jusqu’à ce que l’on eût obtenu les aveux désirés, où jusqu’au moment où l’on craignait pour la vie de la victime. Combien de fidèles témoins de Christ, hommes et femmes, en Espagne et en d’autres contrées soumises à la cruelle Rome, ont enduré ces souffrances avec une constance héroïque pour l’amour du Seigneur et de la vérité ! « Ils n’ont pas aimé leur vie, même jusqu’à la mort » (Apocalypse 12:11).

Si la torture n’avait pas amené le prisonnier à faire des aveux, on employait la ruse pour en tirer de lui. On plaçait dans la même cellule une personne soi-disant accusée aussi du crime d’hérésie. Celle-ci parlait contre l’Église et l’Inquisition, et cherchait ainsi à obtenir de l’accusé quelque réponse à ses suggestions. On bien quelqu’un venait le voir sous prétexte de lui apporter des consolations. Il affirmait au prisonnier que s’il voulait s’ouvrir à lui, le secret serait bien gardé et qu’il userait de toute son influence pour le faire relâcher. Si le prisonnier ajoutait foi à ces paroles perfides, c’était son arrêt de mort. C’était toujours le même système de mensonge.

Lorsqu’on n’avait pas trouvé contre l’accusé des preuves suffisantes pour le condamner à la mort, ou s’il reconnaissait avoir tenu des doctrines contraires à l’Église de Rome, mais qu’il s’en repentait, il était quelquefois pardonné. Mais sur 2000, avoue un historien papiste, à peine un ou deux furent entièrement absous. Jamais le pardon n’était accordé à ceux que le Seigneur avait employés comme serviteurs de sa Parole. D’ailleurs le pardon ne libérait pas les pénitents, comme on nommait ceux qui se repentaient. Ils subissaient un châtiment plus ou moins rigoureux, plus ou moins prolongé. Ils étaient souvent enfermés pour la vie, soit dans les prisons de l’Inquisition, soit, pour les femmes, dans des couvents. Parfois on les plongeait dans des cachots où jamais la lumière ne pénétrait, ou bien tels que le prisonnier ne pouvait s’y tenir ni debout, ni assis, ni couché.

Quant à ceux contre lesquels deux témoins pouvaient affirmer qu’ils leur avaient entendu proférer des paroles hérétiques, ou ceux qui confessaient tenir des doctrines estimées telles et ne voulaient pas les rétracter, leur punition était la mort par le feu. Mais les inquisiteurs et leurs serviteurs ne prononçaient, ni n’exécutaient eux-mêmes la sentence. Non ; l’Église de Rome a horreur du sang, dit-elle, et défend à ses prêtres de le verser. Quand donc le Saint-Office avait jugé qu’un homme était digne de mort, elle le livrait au bras séculier, c’est-à-dire aux magistrats civils, en recommandant avec hypocrisie de le traiter avec douceur et de ne pas toucher à sa vie. Mais ce n’était qu’une manière de parler, et les magistrats le savaient bien. Ils n’ignoraient pas qu’épargner quelqu’un que l’Inquisition avait condamné, c’était se rendre suspects eux-mêmes, et s’exposer à la vengeance du terrible tribunal. Au contraire, s’ils faisaient brûler le condamné, ils gagnaient l’approbation des prêtres et obtenaient du pape le pardon de leurs péchés. Trois années d’indulgences étaient accordées à tous ceux qui assistaient au supplice des hérétiques.

L’Inquisition avait d’abord sévi en France contre les Albigeois. Elle agit ensuite en Espagne contre les Juifs et les Maures. Les Juifs étaient fort nombreux en Espagne et, sous la domination tolérante des Maures, avaient acquis de grandes richesses. Sous prétexte que les Juifs pervertissaient les chrétiens et qu’ils avaient profané les saintes hosties, mais en réalité, pour s’emparer de leurs biens, le roi Ferdinand ordonna qu’ils se fissent chrétiens ou qu’ils quittassent le royaume. Plusieurs aimèrent mieux s’en aller et abandonner leurs maisons et leurs biens plutôt que de professer une religion qui, pour eux, était une idolâtrie. D’autres consentirent à être baptisés, mais ils haïssaient une religion qu’ils n’avaient embrassée que par crainte, et en secret ils continuaient à pratiquer leurs anciens rites. C’est contre eux que l’Inquisition usa de son pouvoir pour les rechercher et les punir. Des milliers furent brûlés ou subirent d’autres châtiments, et le roi et les inquisiteurs se partagèrent leurs richesses.

Les Maures étaient des Arabes mahométans qui, au 8° siècle, avaient envahi la plus grande partie de l’Espagne et y avaient fondé un royaume florissant. On montre encore des ruines, vestiges de leur ancienne splendeur. Peu à peu, les princes chrétiens qui s’étaient réfugiés dans les montagnes des Asturies, au nord du pays, reconquirent les provinces occupées par les Maures, et les refoulèrent en Afrique. Enfin, Grenade, leur ville capitale, fut prise en 1492 par le roi Ferdinand et sa femme Isabelle, et leur domination prit entièrement fin. Leur dernier roi, Boabdil, alla vivre à Alpujarra dans la retraite. Il avait été stipulé qu’il pourrait demeurer en Espagne et que ceux de ses anciens sujets qui resteraient dans le pays y auraient le libre exercice de leur religion. Au commencement, les Maures furent traités avec douceur. Un évêque, nommé Fray Hernando de Talavera, qui était un vrai chrétien, eut à cœur leur conversion, et renonçant à une situation qui lui valait plus de richesses, il accepta d’être archevêque de Grenade. Il avait compris que le seul moyen d’amener les Maures au christianisme était de leur faire connaître Christ ; il se mit à l’œuvre dans ce but et traduisit pour eux la Bible en arabe. Par son esprit de douceur et sa vie irréprochable, il gagna l’affection des Maures qui l’écoutaient volontiers. Mais cette manière de répandre l’Évangile ne convenait pas aux autres évêques et aux conseillers du roi et de la reine. Fray Hernando dut leur céder et se retirer ; on l’accusa même d’hérésie, mais il fut absous par le pape.

Sous la pression des prêtres qui leur persuadèrent qu’il fallait purger le sol espagnol de tout ce qui n’était pas chrétien, le roi et la reine, malgré les traités, obligèrent l’ancien roi à quitter l’Espagne, et les Maures furent mis dans l’alternative d’être bannis ou de se faire baptiser. Des milliers furent expulsés, et d’autres milliers, gagnés par l’appât de riches récompenses, se laissèrent baptiser. Mais que valaient de semblables conversions ? Le nom de Christ n’en restait pas moins haï par ces soi-disant convertis qui gardaient en secret leurs anciennes coutumes religieuses. Le Saint-Office trouvait là de nombreuses occasions de sévir, quand on lui dénonçait ceux qui secrètement pratiquaient des rites musulmans, et les biens des condamnés revenaient encore au roi et aux inquisiteurs. Quel christianisme que le leur ! Le Seigneur Jésus avait dit à ses disciples : « Ne vous amassez pas de trésors sur la terre », et aussi : « Aimez vos ennemis ». Était-ce là ce que pratiquaient les membres du Saint-Office et ceux qui les assistaient ?

Mais, après les Juifs et les Maures, quand des âmes, lors de la Réformation, eurent été éclairées et converties au Seigneur par la parole de Dieu et les écrits des réformateurs, ce fut contre elles que l’Inquisition tourna tous ses efforts. En effet, c’était un danger mortel pour l’Église de Rome. Personne n’aurait songé à se faire Juif ou mahométan ; mais la parole de Dieu montrait les erreurs et les abus de l’Église de Rome, et, lorsqu’elle était saisie dans le cœur, elle séparait les âmes fidèles. C’est pourquoi l’Inquisition mit tout en œuvre, les prisons, le fer et le feu, pour étouffer la vérité, en accablant et détruisant ceux qui en étaient les témoins. Elle l’avait fait en des temps précédents et en d’autres contrées, chaque fois que la vérité avait éclairé des âmes et qu’elles l’avaient confessée ; mais c’est en Espagne et au Portugal que la persécution prit un caractère systématique. L’Inquisition n’a été abolie en Espagne que dans les premières années du 19° siècle, mais peut-on dire que l’esprit qui l’a inspirée a pris fin ? Dans le courant d’un siècle (le 16°), en Espagne seulement, sous six différents grands inquisiteurs, plus de 20000 personnes furent brûlées pour cause de religion, et plus de 225000 condamnées à différentes peines ! Et toutes ces cruautés accumulées s’accomplissaient au nom de Celui qui s’est donné Lui-même pour le salut des hommes, et qui disait à Jean et à Jacques demandant à faire descendre le feu du ciel sur des hommes qui ne recevaient pas leur Maître : « Vous ne savez de quel esprit vous êtes animés !».
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016, 20:52

Les Témoins de la vérité pendant les siècles de ténèbres


 Les témoins de la vérité au Moyen Âge

Il était nécessaire de présenter les erreurs fatales qui caractérisent l’Église de Rome, parce que nous vivons au milieu d’elle, et qu’il importe pour nous de voir combien, tout en assumant le nom de chrétienne, elle s’est écartée des enseignements de Christ et des apôtres. Elle a annulé, par son idolâtrie, le culte qui ne doit être rendu qu’à Dieu et à son Fils, et a mis à la place du salut par la grâce de Dieu, le salut par des œuvres qui ne peuvent justifier le pécheur. Et il est non moins important d’être mis en garde contre elle, par le fait qu’elle a beaucoup d’attraits pour le cœur naturel par une apparence religieuse qui répond à certains besoins de l’âme, par son culte pompeux qui parle aux sens, et par une certaine piété et souvent un grand dévouement chez plusieurs de ses membres. Mais, dit l’apôtre, « la pensée de la chair est inimitié contre Dieu » (Rom. 8:7), et les ordonnances selon les enseignements et les commandements des hommes n’ont qu’une apparence de sagesse en dévotion volontaire et en humilité, en ce qu’elles n’épargnent pas le corps ; mais c’est pour la satisfaction de la chair (Colossiens 2:21-23). De plus, cette Église se présente comme revêtue d’une autorité qu’elle assume faussement, il est vrai, mais qui convient à la paresse de beaucoup d’âmes. Et c’est ainsi qu’elle « séduit, entraîne et égare ».

Nous n’avons parlé que très peu de cette autre grande fraction de la chrétienté qui s’appelle l’église orthodoxe grecque. Les patriarches (c’est-à-dire les principaux prélats) des églises de l’Orient, et spécialement celui de Constantinople, ne voulurent jamais reconnaître la suprématie du pape de Rome. De là vint une séparation qu’on appelle « le schisme oriental », et qui fut consommée en 1054. Au 19° siècle, la plus nombreuse partie de l’Église grecque se trouvait en Russie, soumise au tsar qui la gouvernait par un synode dont il nommait les membres. Mais l’Église grecque est aussi idolâtre que l’Église romaine. Si elle rejette les images sculptées, elle a ses icônes ou images peintes des saints, de la Vierge, du Seigneur, et même de Dieu le Père ! Elles sont répandues partout, depuis la hutte du pauvre paysan, jusqu’aux palais des grands, et malheur à qui ne les révère pas ! Les fausses doctrines de la transsubstantiation, des prières pour les morts et d’autres, existent là comme dans l’Église romaine, et là aussi c’est le clergé qui domine sur les consciences.

Il faut reconnaître que soit l’une, soit l’autre, de ces deux grandes églises rivales, envoyèrent des missionnaires dans les contrées encore païennes de l’Europe du centre et du nord, et en d’autres pays. C’étaient en général des moines, hommes pieux, dont on ne peut méconnaître le courage et le dévouement, et dont plusieurs aimaient vraiment le Seigneur. Nous avons mentionné quelques-uns d’entre eux. Le nom de Jésus Christ fut ainsi peu à peu porté chez tous les peuples de l’Europe qui ne le connaissaient pas encore. Mais Rome imposa aux nations qu’elle évangélisa ainsi, son autorité avec sa hiérarchie, ses formes religieuses et ses superstitions, et l’Église grecque ne fit pas autrement. De plus, on ne chercha pas la conversion du cœur chez ceux qu’on évangélisait. Ceux qui y consentaient étaient baptisés, et ils étaient chrétiens ! Souvent c’était par la force des armes qu’on forçait les peuples à se faire chrétiens par le baptême. D’autres fois, c’était le roi d’un pays qui, par politique, abandonnait le paganisme, et persuadait ou obligeait son peuple à le suivre. Les païens laissaient leurs idoles et leur culte pour d’autres idoles et d’autres cérémonies. L’Europe fut ainsi christianisée, c’est-à-dire devint chrétienne de nom. L’Église devint ce grand arbre dont parle le Seigneur en Matthieu 13, d’une grande apparence, mais abritant dans son opulent feuillage toutes sortes de choses mauvaises. Et c’est ce que nous voyons actuellement. Et dans ce monde ainsi christianisé, si quelqu’un veut être sauvé, il faut qu’il soit vraiment converti, tout comme s’il eût été païen, et qu’il quitte le chemin large de la simple profession chrétienne, pour entrer par la porte étroite du salut, la foi au Seigneur Jésus Christ.

Il faut encore dire qu’outre ces missionnaires dont nous parlions, il y eut dans l’Église romaine, durant les siècles d’obscurcissement du Moyen Âge, des hommes vraiment pieux. Nous en citerons deux des plus remarquables. L’un fut Anselme, qui vécut dans la seconde moitié du 11° siècle, et fut archevêque de Canterbury en Angleterre. Il écrivit, entre autres, un traité sur la Rédemption avec ce titre : « Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? ». Il y enseigne que le Fils de Dieu est devenu un homme, afin de souffrir à la place du pécheur pour satisfaire à la justice de Dieu. « Par sa mort », dit-il, « le Fils de Dieu offrit une satisfaction d’un prix infini, et par là même suffisante pour couvrir les péchés de toute l’humanité ». Et il exhortait les mourants à regarder uniquement aux mérites de Jésus Christ.

Le second de ces hommes distingués est Bernard de Clairvaux, ainsi nommé parce qu’il fut abbé du monastère de ce nom. Il vivait dans la première moitié du 12° siècle, et avait été élevé par une mère pieuse, dont les enseignements le gardèrent loin des plaisirs du monde. Dès l’âge de vingt-deux ans, il entra dans la vie monastique et devint bientôt célèbre par sa puissante éloquence et son activité infatigable. Il acquit ainsi une grande influence dans l’Église, parlant avec hardiesse aux grands de la terre comme aux petits. Il était d’ailleurs d’une charité inépuisable envers les pauvres. Il aimait la Bible et en faisait sa lecture favorite, et, pour lui, ni jeûnes, ni pénitences, ne sauvaient le pécheur, mais Christ seul. Il était aussi poète, et composa plusieurs hymnes latines. L’une d’elle en particulier nous montre l’amour qu’il avait pour Jésus. On l’a traduite, mais bien imparfaitement, en français ; en voici deux strophes :


Chef (*) couvert de blessures, 

Tout meurtri, tout en sang, 

Chef accablé d’injures, 

D’opprobres, de tourments ; 

Chef, des gloires divines 

Autrefois couronné,

C’est maintenant d’épines 

Que ton front est orné.


Ah ! pour ton agonie,

Pour tes grandes douleurs, 

Je veux toute ma vie

Te bénir, mon Sauveur ! 

Ta grâce est éternelle, 

Et rien, jusqu’à la fin, 

Ne pourra, cœur fidèle, 

Me ravir de ta main.


(*) Chef signifie ici tête


Mais avec leur piété, leur charité, leur dévouement, ces hommes, et d’autres tels qu’eux, ne soutenaient pas moins l’Église romaine, ses erreurs et ses superstitions. On se rappelle ce que saint Bernard disait relativement à la Vierge : « Si tu es effrayé de la majesté de Jésus, recours à Marie ! » Et il sévissait avec rigueur contre de prétendus hérétiques, car c’est ainsi qu’il nommait ceux qui, s’attachant à la parole de Dieu, se séparaient de Rome.

Il est vrai que bien des hommes pieux de l’Église romaine déploraient et dénonçaient les vices du clergé, des moines et des papes, et cherchaient à les réformer. Ils s’efforçaient de corriger les mœurs dissolues des moines en introduisant dans les couvents des règles sévères, et en fondant de nouveaux ordres. Mais ce n’était pas couper le mal à la racine. Les nouveaux ordres monacaux, tels que les franciscains et les dominicains, ne firent que fortifier, par l’appui qu’ils lui prêtèrent, l’autorité de l’Église de Rome, et, sous différents noms, les diverses congrégations, en une certaine mesure, dominèrent et dominent encore le chef même de l’église, le pape.

Dans ces ténèbres d’erreur et de superstition, et sous cette domination du clergé, que devenait la vérité de Dieu, qu’il avait donnée aux hommes ? Cette vérité ne peut jamais périr, et Dieu eut toujours des témoins pour la maintenir. Mais ce fut au milieu et au prix de beaucoup de souffrances, car l’Église romaine les poursuivait partout, ne pouvant supporter qu’on se dérobât à son autorité. Dans l’état de choses représenté par l’assemblée de Thyatire, ils étaient ceux dont le Seigneur reconnaissait les œuvres, la foi, l’amour, le service et la patience, le résidu qui ne suivait pas la doctrine de Jésabel et ne connaissait pas les profondeurs de Satan (Apocalypse 2:19, 24).

Il y avait bien, dans quelque cellule d’un couvent, un moine ou une nonne qui déplorait la corruption de l’église, et se réfugiait comme consolation auprès du Sauveur qu’il aimait. Tel, par exemple, ce pauvre chartreux qui écrit sa confession en ces termes. « Ô Dieu très charitable ! Je sais que je ne puis être sauvé et satisfaire ta justice autrement que par le mérite, la passion très innocente et la mort de ton Fils bien-aimé. — Pieux Jésus ! tout mon salut est dans tes mains. Tu ne peux détourner de moi les mains de ton amour, car elles m’ont créé, formé et racheté. Tu as inscrit mon nom d’un style de fer, avec une grande miséricorde et d’une manière ineffaçable, etc ». Et il ajouta : « Si je ne puis confesser ces choses de la langue, je les confesse du moins de la plume et du cœur ». Puis il plaça sa confession dans une boîte de bois qu’il renferma dans un trou fait à la muraille de sa cellule. Plusieurs siècles après, en 1776, on abattit un corps de logis qui avait fait partie de ce couvent, et on trouva la confession du frère Martin. Un autre adressait chaque jour au Seigneur cette prière : « Ô mon Seigneur Jésus Christ ! Je crois que tu es seul ma rédemption et ma justice ». N’est-il pas doux de penser que le Seigneur, dans ces temps ténébreux, avait des âmes cachées pour qui il était leur trésor ? Mais elles demeuraient silencieuses et soumises, et gardaient pour elles-mêmes la lumière intérieure qui illuminait et réjouissait leur cœur.

Mais il y eut d’autres fidèles qui ne craignirent pas de confesser hautement leur foi, rompant avec l’erreur et s’attachant uniquement à la parole de Dieu. Ils forment une ligne non interrompue de témoins jusqu’aux jours de la Réformation. C’est d’eux que nous avons à nous occuper maintenant.


Les Pauliciens


Voici quelle fut l’origine de la secte à laquelle on donna ce nom. Vers l’an 660, vivait près de Samosate, ville sur l’Euphrate en Arménie, dans un bourg nommé Mananalis, un homme respectable du nom de Constantin. Les écrivains catholiques romains le représentent comme ayant adopté certaines doctrines manichéennes, mais d’autres disent qu’il appartenait à l’Église grecque. C’était au temps où les sectateurs de Mahomet s’étaient emparés de la Syrie. Un jour se présenta chez Constantin un diacre de l’église arménienne qui avait été fait prisonnier par les Sarrasins (*), mais qui avait réussi à recouvrer sa liberté. Constantin l’accueillit, le garda quelques jours chez lui, et le diacre, en le quittant, lui donna en retour de son hospitalité, deux manuscrits contenant l’un, les quatre évangiles, et l’autre, les quatorze épîtres de Paul. C’était pour ces temps où les manuscrits des Écritures étaient rares et chers, un riche et précieux présent. Par ce don nous pouvons juger de la nature des conversations que Constantin avait eues avec son hôte. Constantin lut et étudia les saints livres, et la lumière de la vérité pénétra dans son âme. Il brûla ses mauvais livres, et ne voulut plus en étudier d’autres que les évangiles et les épîtres. Ses principes religieux et sa vie tout entière furent changés. « De l’abondance du cœur la bouche parle » : Constantin commença à communiquer à d’autres ce que Dieu lui avait appris par sa Parole, et des disciples se réunirent autour de lui. Il avait vu dans les Actes et dans les Épîtres ce qu’étaient les églises au commencement, et il désirait y revenir. Par là il rejetait nécessairement et la hiérarchie qui dominait l’Église grecque aussi bien que la romaine (**), et les erreurs de ces deux églises, surtout l’adoration des saints et de la Vierge.


(*) Ce mot vient de Saraceni, tribu nomade de l’Arabie, une des premières à embrasser l’islam, et qui faisait la principale force des armées arabes musulmanes.

(**) À cette époque, du reste, le schisme entre l’Église grecque orthodoxe et l’Église romaine n’était pas consommé (il le sera seulement en 1054), mais les Églises avaient leur particularités, et ne supportaient pas l’autorité du pape romain.


Constantin alla se fixer à Cibossa, autre ville d’Arménie, et de là il travailla avec ses disciples à répandre les vérités que Dieu lui avait fait connaître. Ses ennemis l’ont accusé de rejeter l’Ancien Testament et certaines parties du Nouveau. Cette calomnie a eu sans doute son fondement dans le fait qu’il ne possédait, comme nous l’avons vu, qu’une partie du Nouveau Testament. Peut-être à cause de cela et de ses primitives croyances, se mêla-t-il quelques erreurs à son enseignement.

Constantin prit le nom de Silvain, le compagnon de Paul (1 Thessaloniciens 1:1), et ses disciples, associés à son œuvre, empruntèrent à leur tour de nouveaux noms aux autres compagnons de l’apôtre, tels que Timothée, Tite et Tychique. Ils prenaient ces noms, parce qu’ils s’attachaient à répandre la doctrine contenue dans les écrits de Paul, et c’est aussi probablement d’après lui qu’ils reçurent le nom de Pauliciens.

Silvain, comme nous l’avons dit, s’était établi à Cibossa. En y arrivant, il avait dit aux habitants : « Je suis Silvain et vous êtes les Macédoniens », faisant allusion aux travaux de Silvain (ou Silas), en Macédoine, à Philippes et à Thessalonique (Actes 15:40 ; 16:19, 25 ; 17:1-4, etc. ; 18:5). Pendant vingt sept ans, Silvain travailla avec un zèle infatigable à annoncer ce qu’il avait appris dans les Écritures. Un grand nombre de personnes, soit de l’Église grecque, soit des sectateurs de Zoroastre (*), furent converties par son moyen, et des congrégations furent établies en divers endroits tant par lui que par ses disciples.


(*) Zoroastre, fondateur ou réformateur de l’ancienne religion des Perses, que l’on nomme Mazdéisme. Elle enseigne la co-existence de deux principes éternels : l’un est Ormuzd, le bien, le vrai, la lumière, représenté par le soleil ; l’autre Ahriman, le mal et les ténèbres, en guerre avec Ormuzd qui finira par le vaincre. C’est au soleil comme représentant Ormuzd, que les sectateurs de Zoroastre rendaient leurs hommages. Partout ils élevaient des autels sur lesquels brûlait le feu sacré. Sous le nom de Guèbres ou de Parsis, se trouvent encore dans l’Inde un certain nombre d’adorateurs du soleil.

Les progrès de la nouvelle secte furent tels qu’elle attira sur elle l’attention des autorités ecclésiastiques, et ce fut sans doute le clergé qui porta la chose devant l’empereur. Celui-ci rendit en l’an 684 un édit contre Constantin et les assemblées pauliciennes. L’exécution en fut confiée à un officier de la cour nommé Siméon, qui reçut en même temps l’ordre de faire mettre à mort le chef de la secte, et de reléguer ses partisans dans des cloîtres et sous les soins du clergé, afin de les ramener dans le bon chemin. Arrivé à Cibossa, Siméon fit comparaître devant lui Constantin et un grand nombre de ses disciples. Puis il ordonna à ceux-ci, sous peine de la vie, de lapider leur maître. Mais tous, à l’exception d’un seul, nommé Justus, refusèrent d’obéir à cet ordre cruel, et laissèrent tomber les pierres dont on les avait armés. Ce Justus avait été adopté et élevé par Constantin, et l’ingrat, d’un coup de pierre, tua son bienfaiteur. Les autres furent mis à mort, mais Justus fut loué par les ennemis des Pauliciens comme un second David, parce que d’un seul coup de pierre, il avait abattu le nouveau Goliath, le géant hérétique.

Mais le Seigneur est au-dessus de tout ; il peut faire que la colère de l’homme tourne à sa louange (Psaume 76:10). Autrefois, après « Étienne eut été lapidé, le Seigneur suscita Paul qui avait été un témoin contre lui, et de même le supplice de Constantin et de ses amis fit naître en Siméon même un successeur à Constantin Silvain dans l’œuvre du Seigneur. La vue de la grâce divine qui avait soutenu les martyrs avait frappé Siméon. Il eut des entretiens avec quelques Pauliciens, et le résultat en fut pour lui la conviction qu’ils étaient dans le vrai chemin. Il retourna cependant à Constantinople où il resta encore trois ans, réfléchissant sérieusement sur ce qu’il avait vu et entendu, et, nous pouvons le supposer, demandant à Dieu de l’éclairer et le guider. Enfin, quittant la cour et abandonnant sa position et tous ses biens, il retourna en Arménie. Là il devint, sous le nom de Tite, le zélé successeur de Constantin Silvain. Les voies de Dieu ne sont-elles pas merveilleuses ?

Cinq ans après la mort de Constantin, Justus, son meurtrier, dans sa haine contre eux, se porta comme dénonciateur des Pauliciens. Il se rendit auprès de l’évêque de Colonia et lui dit que l’hérésie des Pauliciens s’était relevée et s’étendait de plus en plus. L’évêque envoya à l’empereur Justinien II un rapport sur ce qui lui avait été dit par Justus. Siméon, par ordre du cruel empereur, fut saisi avec un grand nombre de Pauliciens. Un immense bûcher fut dressé, et tous périrent dans les flammes. Nous voyons par là, que l’Église grecque ne se montrait pas moins impitoyable que l’Église romaine envers ceux qui condamnaient ses erreurs et se séparaient d’elle.

Mais le sang des martyrs sembla augmenter la force et le nombre des Pauliciens. D’autres apôtres et de nouvelles assemblées surgirent, pour ainsi dire, des cendres du bûcher où avaient péri Siméon et ses compagnons. La secte s’étendit dans toute l’Asie mineure, dans le Pont, dans une partie de l’Arménie et dans les contrées à l’ouest de l’Euphrate. Pendant de longues années, les Pauliciens endurèrent avec patience les persécutions que les gouverneurs civils, excités par le clergé, leur firent subir. Trois hommes d’entre eux qui avaient été pris avec Siméon avaient été épargnés et envoyés à Constantinople pour être interrogés. Ils réussirent à s’échapper et revinrent à Mananalis, où durant trente ans ils vécurent, avec d’autres Pauliciens, sous la protection des Sarrasins.

Vers l’an 777, Dieu suscita un nouvel aide aux Pauliciens dans la personne de Sergius. Avant de vous parler de ce serviteur de Dieu, je vous ferai remarquer que ce qui caractérisait les Pauliciens, c’était leur attachement aux Écritures. Leurs ennemis les accusaient de beaucoup d’erreurs condamnables, et il est possible que quelques-uns d’entre eux, de leurs docteurs surtout, n’en fussent pas exempts. Mais ils tenaient à la parole de Dieu, et c’était elle qui les soutenait et qui, par leur moyen, opérait des conversions. C’est ce que montre l’histoire de Sergius. Lorsqu’il était encore jeune, une femme âgée de la secte des Pauliciens lui donna une Bible. Il la lut et l’étudia soigneusement, fut converti, et, prenant le nom de Tychique, il se mit à enseigner. Nous voyons que, de même que Constantin, il fut amené à la foi par la simple lecture de la parole de Dieu. Et il en est souvent de même de nos jours.

Pendant trente-quatre ans, Sergius s’occupa à répandre les vérités qu’il avait apprises, dans toutes les villes et les provinces qu’il visitait, tout en travaillant de son métier de charpentier pour gagner sa vie. C’est ainsi que l’apôtre Paul travaillait aussi de son métier de faiseur de tentes (Actes 18:3), et pouvait dire : « Vous savez vous-mêmes que ces mains ont été employées pour mes besoins et pour les personnes qui étaient avec moi » (Actes 20:34). Sergius ne se contentait pas de prêcher. Il disait : « De l’Orient à l’Occident, du Nord au Midi, j’ai annoncé l’Évangile, en travaillant à genoux ». Il voulait dire avec beaucoup de prières. C’est ce que font les vrais serviteurs du Seigneur (voir Éphésiens 1:16 ; Philippiens 1:4 ; Colossiens 1:9 ; 4:12 ; etc.). Sergius était un homme doux, d’une piété intime et profonde. Sa prédication pratique et sa vie pure furent des moyens dans la main de Dieu pour gagner beaucoup d’âmes. Aussi de nouvelles persécutions eurent lieu. Beaucoup de Pauliciens s’enfuirent et Sergius avec eux. Ils trouvèrent un asile chez les Sarrasins, et Sergius mourut là en l’an 811.

Haïs de l’Église grecque, parce que, disaient leurs ennemis, ils reniaient la foi orthodoxe, qu’ils n’adoraient pas la Mère de Dieu, qu’ils n’admettaient pas que le pain de la Cène fût changé dans le corps de Christ, et qu’ils avaient abandonné l’Église d’Orient, les Pauliciens n’étaient pas moins haïs de l’Église romaine. Les succès qu’avait obtenus Sergius par ses travaux, le firent stigmatiser par Rome comme étant l’Antichrist annoncé, le chef de la grande apostasie.

La persécution contre les Pauliciens atteignit sa plus grande intensité sous la régence de la cruelle Théodora, mère de l’empereur Michel III (de 842 à 857). Elle était protectrice fanatique du culte des images, et résolut d’exterminer les Pauliciens « racines et branches », à moins qu’ils ne revinssent à la vraie foi, celle de l’Église grecque. Les écrivains, tant ecclésiastiques que profanes, rapportent qu’elle en fit périr au moins cent mille, qui furent décapités, crucifiés, pendus, brûlés ou noyés et leurs biens confisqués. Quand on compare ces sanglantes exécutions avec ce que nous avons dit de l’Inquisition, nous voyons que l’Église d’Orient n’a rien à envier à celle d’Occident. Les persécutions, d’ailleurs, reçurent l’approbation du pape Nicolas I, qui écrivit à Théodora pour la féliciter de son zèle à extirper l’hérésie.

Mais, chose triste à dire, une partie des Pauliciens, au lieu d’endurer patiemment la persécution, se souleva contre l’empire. Un officier impérial supérieur, nommé Karbéas, ayant appris que par l’ordre de Théodora, son père avait été mis à mort par la main du bourreau, se mit à la tête de cinq mille Pauliciens, et se rendit chez les Sarrasins où se trouvaient un grand nombre de leurs frères. Les Sarrasins, toujours en guerre avec l’empire grec, les accueillirent volontiers et leur donnèrent la ville de Téphrice où ils bâtirent une citadelle, et de là livrèrent de nombreux combats aux troupes de l’empereur. Cette guerre dura trente ans avec des alternatives de succès et de revers. Mais ce fut une faute. Dieu ne veut pas que les siens prennent les armes pour se défendre contre les persécuteurs. Le Seigneur a dit : « Tous ceux qui auront pris l’épée périront par l’épée » (Matthieu 26:52). Aussi ne poursuivrons-nous pas l’histoire de ces Pauliciens. Nous en suivrons d’autres qui, en plusieurs contrées, portèrent la lumière qu’ils avaient reçue. Il y en eut qui se répandirent en Arabie, où ils continuèrent à faire des prosélytes.

Mais ce qui est plus intéressant et plus important pour la suite de notre sujet, c’est de connaître l’influence que les Pauliciens eurent en Occident. Avant Théodora, il y avait eu, comme nous l’avons vu, des persécutions contre eux. L’empereur Constantin Copronyme, vers le milieu du 8° siècle, en avait transporté un grand nombre dans la Thrace, et leur avait assigné comme résidence la ville de Philippopolis, un des postes avancés de l’empire. C’est de là que leurs doctrines pénétrèrent et se répandirent en Europe. Ils semblent surtout avoir travaillé avec succès parmi les Bulgares, peuple barbare venu des rives de la Volga et qui s’était établi sur les bords du Danube. Les Bulgares furent convertis en partie au christianisme dans le 9° siècle ; d’autres s’étaient faits mahométans. C’est chez les premiers que les Pauliciens portèrent leur doctrine (*). Aussi un auteur romain, Pierre de Sicile, écrivit-il à l’archevêque de Bulgarie pour le mettre en garde contre la contagion des Pauliciens. Ils étaient donc partout un peuple méprisé et poursuivi, mais Dieu les gardait. Dans le 10° siècle, un autre empereur grec envoya de nouveau comme colons un grand nombre de Pauliciens dans les vallées de l’Hémus (nommé aujourd’hui les Balkans). De là, ils se répandirent peu à peu dans l’Europe occiden tale où leurs congrégations connues sous différents noms, furent haïes et persécutées par l’Église de Rome.


(*) Ils prirent le nom de Bogomiles (amis de Dieu).
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016, 20:52

Les Témoins de la vérité en Occident


Nous avons vu comment, en Orient, les Pauliciens, s’appuyant sur les Écritures, rejetaient les superstitions et les rites de l’Église grecque, et enseignaient la voie du salut selon les lumières qu’ils avaient. Transportons-nous maintenant en Occident ; là aussi de nombreux témoins surent maintenir, au prix même de leur vie, ce qu’ils connaissaient de la vérité.

Comme nous l’avons vu, depuis que Constantin avait embrassé le christianisme, la mondanité et la corruption, des superstitions et des mauvaises doctrines s’étaient introduites dans l’Église, et en même temps la prétention de l’évêque de Rome et du clergé de dominer sur tous les laïques, et d’imposer des enseignements fondés sur des traditions, au lieu de s’en tenir à la parole de Dieu. Mais dès lors aussi, il y eut des fidèles qui ne voulurent pas abandonner les enseignements des apôtres, et qui à cause de cela eurent à souffrir des persécutions et la mort.

Ce ne furent pas seulement de simples chrétiens qui protestèrent ainsi contre Rome et ses abus. Au 5° siècle, un prêtre du midi de la France, nommé Vigilantius, s’élevait avec véhémence contre le culte des reliques, les pèlerinages, les prières adressées aux saints, les jeûnes et les mortifications, et aussi contre le célibat des prêtres. Au 9° siècle, Claude, évêque de Turin, protesta contre les mêmes erreurs. Il trouva les églises pleines d’images qu’il fit enlever et brûler, ainsi que les croix. Il disait au peuple qu’autant valait adorer Jupiter et Saturne, que les images et les statues de Pierre et de Paul. « Faut-il adorer la croix, ou la porter ? » disait-il. « Si l’on adore tout bois taillé en forme de croix, parce que Christ a été suspendu à la croix, pourquoi pas aussi les crèches, les langes, les bateaux, les ânes ? ». Et quant aux reliques, autant valait, disait-il, révérer un os de bête qu’un os de saint. Mais Claude ne se contentait pas de combattre les superstitions romaines. Versé dans les Écritures qu’il étudiait avec zèle, il maintenait que nous sommes sauvés par la foi seule, et que tous les autres apôtres étaient égaux à Pierre. Dans le même siècle, mais un peu plus tard, un moine saxon, nommé Gottschalk, rejetait la doctrine du salut par les œuvres et soutenait la vérité du salut gratuit par la foi, ainsi que d’autres doctrines scripturaires. Il fut condamné par un concile, battu de verges publiquement et jeté en prison. Il y mourut après dix-neuf ans de captivité.

Revenons aux chrétiens dont nous parlions d’abord. Nous ne pouvons pas tracer leur histoire dès les temps apostoliques, car elle ne nous a pas été conservée. Nous savons seulement que, malgré les persécutions, ils subsistèrent à travers les siècles dans beaucoup de contrées, connus sous différents noms tels que ceux de Cathares, ou purs, d’Albigeois, nom tiré de la ville d’Albi où ils étaient nombreux, de Vaudois, nom dont l’origine est incertaine, de pauvres de Lyon : nous verrons d’où vient cette dernière dénomination. Dès le milieu du 12° siècle, on trouve dans plusieurs parties du continent, en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, de petites congrégations composées en grande partie de pauvres artisans, distinctes de l’Église de Rome et qui possèdent les Saintes Écritures. Mais déjà dans le 11° siècle, on en trouve des traces. À cette époque, des missionnaires orientaux qualifiés de poblicans (corruption probablement de pauliciens) vinrent d’Italie en France, dans le Périgord et l’évêché de Limoges. Ils gagnèrent là un certain nombre de disciples, non seulement parmi les pauvres, mais aussi parmi les seigneurs. Ils cherchèrent ensuite à s’étendre en d’autres contrées. Ainsi, vers l’an 1022, arrivèrent à Orléans un paysan du Périgord et une femme italienne. Ils enseignèrent leurs vues et se firent un certain nombre d’adhérents parmi les gens du peuple ; ils persuadèrent même quelques nobles et plusieurs chanoines. Ils se réunissaient en secret et de nuit, crainte, sans doute des persécutions. Dans ces réunions, les Écritures étaient lues et expliquées. Les Poblicans enseignaient qu’elles restaient une lettre morte, si l’Esprit Saint ne venait illuminer le cœur. Ils disaient que le baptême n’a aucune valeur pour le salut, rejetaient l’invocation des saints, et la présence réelle de Christ dans l’eucharistie. On les signala comme hérétiques au roi de France Robert, surnommé le pieux, qui les fit examiner par l’archevêque de Sens. Ils furent condamnés à mort. Deux seulement se rétractèrent. Comme les autres, parmi lesquels se trouvaient dix chanoines et plusieurs religieuses, se rendaient au supplice, ils passèrent devant le roi et la reine Constance. Celle-ci, voyant parmi les condamnés son ancien confesseur, saisie de colère, le frappa avec une canne et lui creva un œil. Les martyrs, près de mourir, disaient : « Faites-nous ce que vous voudrez ; déjà nous voyons notre Roi qui est dans les cieux, nous tendre les mains pour nous conduire en triomphe ».

Plus tard, la persécution sévissant en France, un grand nombre se réfugièrent à Cologne. Mais là aussi, ils furent persécutés et plusieurs périrent par le feu. En 1163, un certain nombre furent saisis dans une grange où ils tenaient leur réunion, et furent condamnés à être brûlés. Du milieu des flammes, un de leurs chefs, nommé Arnold, imposa les mains à ses compagnons de souffrances en leur disant : « Frères, soyez constants dans votre foi, dès aujourd’hui vous serez réunis aux martyrs du Christ ». On raconte qu’il y avait parmi ces condamnés une jeune fille qui n’avait pas abjuré, mais que quelques personnes avaient sauvée, étant touchées de sa jeunesse et de sa beauté. Voyant les flammes dévorer les condamnés, elle s’écria : « Où est Arnold, mon maître vénéré ? ». Et comme on le lui montrait expirant, elle s’arracha des mains qui la retenaient, et se voilant le visage, elle s’élança au milieu des flammes. Cela était beau et touchant, humainement parlant, mais était-ce tout à fait selon Dieu ?

Ainsi partout l’Église de Rome poursuivait et mettait à mort comme hérétiques, ces humbles chrétiens qui s’attachaient à la parole de Dieu. Ils n’avaient sans doute pas les lumières que nous avons, et peut-être des erreurs se mêlaient-elles à leurs enseignements, mais ils protestaient contre l’idolâtrie de Rome et ses pratiques, et attendaient le salut de Christ seul. En 1212, cinq cents de ces croyants, hommes et femmes, furent saisis à Strasbourg. Parmi eux se trouvaient des nobles, des prêtres, des riches aussi bien que des pauvres. Ils déclarèrent que leurs frères étaient fort nombreux en Piémont, en France, tant au nord qu’au midi, à Naples, en Sicile, en Italie, en Flandre. Sur ces cinq cents prisonniers, quatre-vingts, dont douze prêtres et vingt-trois femmes, furent brûlés vifs. L’un d’eux, nommé Jean, s’adressa à la foule et termina par ces paroles : « Nous sommes tous des pécheurs, mais ce n’est pas pour fausse doctrine, ni pour mauvaise conduite, que nous sommes condamnés à mourir. Nous avons le pardon de nos péchés, mais ce n’est pas par le moyen des prêtres, ni grâce au mérite de nos œuvres ».

Il est hors de doute que parmi ceux qui se séparaient de l’Église de Rome, il y avait de vrais hérétiques, mais Rome mettait dans la même masse tous ceux qui ne se soumettaient pas à son autorité, et elle avait intérêt à confondre les vrais croyants avec les hérétiques, afin de pouvoir tous les condamner. Mais sans nous arrêter davantage sur les persécutions qu’eurent à souffrir ces témoins de Dieu, nous donnerons quelques détails sur eux (*). Comme nous l’avons vu, on les désignait sous différents noms, mais eux se disaient chrétiens, et entre eux ils se nommaient « frères ». Suivant les endroits, on les appelait frères apostoliques, frères suisses ou italiens. Un de leurs persécuteurs, Rainerio Sacchoni, leur rend un témoignage remarquable. Il les connaissait bien et son témoignage n’est pas suspect, car après avoir été avec eux, il était rentré dans l’Église de Rome, s’était fait dominicain et était devenu inquisiteur : « De toutes les sectes », dit-il, « il n’en est point d’aussi fatale à l’Église que les Léonistes (**), et cela pour trois raisons : d’abord, parce qu’ils datent d’un temps fort reculé, quelques-uns les faisant contemporains du pape Sylvestre (l’an 315). De plus, c’est la secte la plus nombreuse ; il y a à peine une contrée où ils ne se trouvent. Enfin, tandis que les autres sectes inspirent l’horreur par leurs blasphèmes contre Dieu, les Léonistes ont une grande apparence de piété et surtout ils mènent une vie honnête devant les hommes. Ils professent d’ailleurs toute la vérité quant à Dieu et toutes les doctrines contenues dans le symbole des apôtres. Mais en même temps ils abhorrent l’Église de Rome et les prêtres romains ». C’était là leur grand crime. On pouvait mener une vie mondaine et même dissolue ; pourvu que l’on restât soumis au pape, tout allait bien. La parole de l’apôtre se vérifiait : « Tous ceux aussi qui veulent vivre pieusement dans le Christ Jésus, seront persécutés » (2 Timothée 3:12).


(*) Nous puisons quelques-uns de ces détails dans l’ouvrage de F. Bevan, intitulé : « Trois amis de Dieu ».

(**) Un des noms par lesquels on désignait ces chrétiens. Il vient probablement d’un certain Jean de Lyon, un des disciples de Valdo. Nous parlerons plus loin de ce dernier.

L’inquisiteur Rainerio Sacchoni continue à décrire ainsi les Vaudois, afin, dit-il, que chaque bon catholique puisse les reconnaître et se saisir d’eux : « Vous les reconnaîtrez à leur conduite et à leur langage. Ce sont des gens graves et modestes. Il n’y a ni luxe ni désordre dans leurs vêtements. Ils sont sûrs en affaires et évitent les faux serments et les tromperies. Ils ne recherchent point les richesses, mais se contentent du nécessaire. Ils sont chastes et tempérants, et fuient les tavernes et les lieux de divertissements. Ils s’abstiennent de la colère. Ils sont toujours à leur travail ou bien occupés à enseigner et à s’instruire mutuellement, ce qui fait qu’ils sont absents des prières et instructions de l’Église. On les reconnaît aussi à leur langage simple et sobre, exempt de paroles oiseuses. Ils ne se permettent ni conversations légères, ni mensonges, ni jurements ».

Voilà certes un beau témoignage. Plût à Dieu qu’on pût le rendre maintenant à tous ceux qui se disent chrétiens ! Pourquoi donc poursuivre les Vaudois comme des êtres malfaisants et les persécuter jusqu’à la mort ? Le même inquisiteur nous en donne les raisons et énumère ainsi les griefs de l’Église de Rome contre les Vaudois : « Ils prétendent être la vraie église et disent que celle de Rome est la femme impure d’Apocalypse 17. Ils nient qu’aucun vrai miracle ait jamais été opéré dans cette Église. Ils tiennent de nulle valeur les ordonnances que l’église a introduites depuis le temps des apôtres, et disent qu’il ne faut pas les observer. Ainsi ils rejettent les fêtes, les jeûnes, les ordres monastiques et les choses bénites de l’Église romaine. Ils s’élèvent contre la consécration des églises et des cimetières, comme étant des inventions des prêtres pour augmenter leurs gains. Quelques-uns d’entre eux disent que le baptême des enfants ne sert à rien, puisqu’ils ne peuvent pas croire. Ils rejettent le sacrement de confirmation, et, à sa place, ceux qui les enseignent imposent les mains aux disciples. Ils ne croient pas que le corps et le sang de Christ soient dans le sacrement de la Cène ; selon eux le pain est appelé figurément le corps de Christ. Ils disent que le prêtre, qui est un pécheur, ne peut lier ni délier personne, étant lié lui-même, et que tout laïque pieux et intelligent peut absoudre un autre et imposer des pénitences. Ils rejettent l’extrême onction, et disent qu’il n’y a point de purgatoire, et que les prières pour les morts ne servent à rien. Les offrandes pour les morts, ajoutent-ils, vont seulement au clergé. Ils se moquent des fêtes célébrées en l’honneur des saints, et travaillent aux jours fériés. Ils ne gardent ni le carême, ni les autres fêtes. Ils ne reçoivent pas l’Ancien Testament. Ils disent que ceux d’entre eux qui en sont capables doivent confier à leur mémoire les paroles des Écritures, afin de pouvoir enseigner les autres. Non seulement ce sont les hommes qui enseignent parmi eux, mais aussi les femmes — non en public toutefois, mais en particulier ». Enfin l’inquisiteur prétend qu’au lieu du mariage, ils pratiquaient l’impureté ; mais c’est sans doute parce qu’ils ne recouraient pas à un prêtre pour être mariés. Et quant à rejeter l’Ancien Testament, les propres documents des Vaudois prouvent le contraire. Il est probable aussi que la plupart ne possédaient que le Nouveau Testament en langue vulgaire, l’Ancien n’ayant pas été traduit. Il est vrai que certains hérétiques que l’on confondait volontiers avec eux, n’admettaient pas cette portion des Écritures comme venant de Dieu. Nous voyons donc que les choses que disaient les Vaudois, sont celles que toute personne soumise à la parole de Dieu affirme de nos jours contre l’Église de Rome. Mais leur grand crime était de juger que l’Église de Rome était impure et qu’il ne fallait pas écouter ses prêtres.

Parmi le peuple, les Vaudois passaient pour des espèces de sorciers qui se rassemblaient dans des caves obscures pour invoquer le diable qui venait au milieu d’eux sous une figure effrayante. On disait aussi que des démons leur apparaissaient sous forme de chats et de grenouilles ; mais le chroniqueur qui rapporte ces dires populaires, et qui était cependant leur ennemi, dit que ce sont des fables. « Ce qui les rend dangereux », ajoute-t-il, « c’est leur grande apparence de piété ».

Pour condamner, comme ils le faisaient, les enseignements et les prétentions de l’Église de Rome, les Vaudois s’appuyaient sur la Bible. C’est dans ce saint Livre également qu’ils puisaient leurs croyances. Ils professaient la nécessité de la nouvelle naissance, et la justification et le salut des pécheurs par la foi au Seigneur Jésus. Ils disaient aussi que la Bible est un livre fermé, si l’Esprit Saint n’illumine l’âme pour la faire comprendre. Leur attachement à la parole de Dieu était grand. Dès l’an 1203, plusieurs portions en avaient été traduites en langue vulgaire et répandues parmi le peuple. C’est ce qui donna lieu au décret du concile de Toulouse en 1229, défendant que ces écrits fussent mis entre les mains des laïques. Mais les Vaudois disaient que, pour comprendre la pensée du Seigneur, il fallait retourner à l’enseignement de Christ et de ses apôtres. C’était un des griefs de l’Église de Rome contre eux. « Ces hérétiques », dit un inquisiteur, « prétendent que les enseignements de Christ et de ses apôtres sont tout ce dont nous avons besoin pour le salut, sans les statuts de l’Église ». D’après leurs ennemis mêmes, l’étude de l’Écriture sainte était leur grande occupation. « Tous », dit un de leurs juges, « hommes et femmes, grands et petits, de jour et de nuit, ne font qu’étudier ou enseigner la Bible. L’ouvrier qui n’a pas de loisirs dans la journée, la lit de nuit, aussi négligent-ils leurs prières » (il veut dire la messe). Quel exemple pour nous ! Avons-nous cette soif salutaire de la divine Parole, nous chez qui elle est si abondamment répandue, qu’il n’est presque pas un enfant qui ne la possède ?

Les édits rendus contre eux par Rome et ses conciles n’empêchèrent pas les Vaudois de prescrire à toute personne âgée de vingt ans l’étude journalière de la Bible. Aussi partout dans l’Europe où ils étaient dispersés, leur foi et leurs enseignements étaient-ils les mêmes. Un de leurs ennemis qui, au 12° siècle, en avait vu quelques-uns dans les montagnes reculées où ils avaient cherché un refuge, dit ceci : « Ils sont vêtus de peaux de moutons, et ignorent l’usage du linge. Ils habitent, mêlés avec leur bétail, des huttes bâties en pierres de silex avec un toit plat recouvert de terre. Ils ont en outre deux grandes cavernes où ils se cachent quand ils sont poursuivis comme hérétiques. Mais pauvres comme ils le sont, ils se montrent contents, et bien qu’extérieurement rudes et sauvages, ils savent lire et écrire, et connaissent assez le français pour comprendre la Bible. On trouverait à peine parmi eux un jeune garçon qui ne pût rendre compte d’une manière intelligente de la foi qu’ils professent ».

Les Vaudois étaient remarquables par les portions étendues des Écritures qu’ils avaient apprises par cœur. Cela était bien nécessaire dans un temps où il fallait près d’une année pour copier un exemplaire de la Bible, et où un tel manuscrit était donc d’un prix très élevé. D’ailleurs les prêtres romains brûlaient toutes les portions des Écritures qui tombaient entre leurs mains, mais ils ne pouvaient pas toucher à ce qui était écrit dans la mémoire et dans le cœur. Les Vaudois du Piémont avaient des pasteurs nommés barbes, ce qui veut dire oncle, terme de respect et d’affection à la fois. La préparation des barbes au ministère de la Parole consistait à apprendre par cœur les évangiles de Matthieu et de Jean, toutes les épîtres, et la plus grande partie des Psaumes, des Proverbes et des prophètes. Des jeunes gens dans les vallées formaient des espèces de sociétés dont chaque membre devait apprendre par cœur un certain nombre de chapitres. Lorsqu’on s’assemblait pour le culte, souvent dans quelque coin écarté des montagnes, ces nouveaux Lévites, se tenant devant le pasteur, récitaient l’un après l’autre les chapitres du précieux volume. Qu’elle leur était chère cette Parole divine ! Ils payaient souvent de leur vie la gloire de la posséder et de la connaître ! L’inquisiteur Rainerio dit qu’il connaissait parmi eux un simple paysan qui pouvait réciter tout le livre de Job, et plusieurs qui savaient par cœur presque tout le Nouveau Testament. C’est cette connaissance des saintes lettres qui les rendait capables de résister à ceux qui voulaient les attirer dans l’Église romaine. Ils confondaient leurs ennemis. Un moine envoyé vers eux pour les convaincre de leurs erreurs, s’en retourna tout confus, disant que dans toute sa vie il n’avait appris autant des Écritures que dans les quelques jours qu’il avait passés avec ces hérétiques. Et les enfants étaient les dignes émules de leurs parents. Un des docteurs de la Sorbonne qui furent envoyés de Paris auprès des Vaudois, reconnaît qu’il avait plus appris et compris des doctrines du salut par les réponses des jeunes enfants, que dans toutes les disputes et discussions entre docteurs qu’il avait entendues. Jeunes lecteurs, êtes-vous comme ces enfants des Vaudois, connaissant dans votre intelligence et votre cœur les vérités du salut ? Bernard de Clairvaux, que l’on nomme saint Ber nard et qui avait combattu les Vaudois, dit aussi qu’ils défendaient leurs hérésies par les paroles de Christ et des apôtres.

Les Vaudois ne gardaient pas pour eux le trésor de la vérité que les Écritures leur avaient enseignée. Ils étaient infatigables dans leur zèle à la répandre. Et s’ils étaient persécutés et chassés dans d’autres contrées, ils y annonçaient la Parole, comme ceux de Jérusalem « dispersés par la tribulation … à l’occasion d’Étienne » (Actes 11:19-20). Leurs évangélistes qu’ils appelaient apôtres, c’est-à-dire envoyés, allaient ordinairement deux à deux, un vieillard et un jeune homme. Pour ne pas être reconnus, ils se déguisaient en colporteurs ou marchands ambulants portant des balles contenant de menus articles de toilettes, des voiles, des bagues, ou encore des couteaux, des épingles, des perles de verre. En échange, ils acceptaient des œufs, du fromage, des vêtements, car il leur était interdit de recevoir de l’argent. Arrivaient-ils chez un frère, ils étaient accueillis avec joie, et l’on s’empressait de leur donner l’hospitalité, car on pensait être agréable à Dieu en recevant ses messagers. Lisez sur ce sujet, Matthieu 10:40. Plusieurs de ces missionnaires étaient des étudiants en médecine ; en voyageant ils utilisaient leurs connaissances médicales. Mais leur grand but était le salut des pécheurs. Dans les châteaux comme dans les chaumières, aux riches et aux pauvres, partout où une porte leur était ouverte, ils annonçaient Jésus Christ.

Rainerio Sacchoni rapporte combien les Vaudois étaient ingénieux pour répandre leurs doctrines et nous dit comment ils procédaient. Ils se présentaient, par exemple, dans un château comme colporteurs, et montraient leurs marchandises au châtelain et à la châtelaine. « Messire », disaient-ils, « ne voudriez-vous pas acheter cette bague ou ce cachet ? Madame, qu’il vous plaise de jeter un coup d’œil sur ces mouchoirs, sur ces dentelles pour voiles. Je les vends bon marché ». Si après un achat, on demandait au marchand, s’il n’avait pas d’autres objets à offrir, il disait : « Oh ! oui ; j’ai des bijoux beaucoup plus précieux que ceux-ci, et je vous en ferai présent si vous me promettez de ne point me trahir ». La promesse étant donnée, il continuait : « J’ai une pierre précieuse venant de Dieu, un joyau d’un prix inestimable qui allume l’amour de Dieu dans le cœur de celui qui le possède. C’est la parole de Dieu par laquelle il communique aux hommes sa pensée ». Et alors le colporteur leur lisait ou leur récitait des portions des évangiles dont sa mémoire était bien fournie. S’il était encouragé à continuer, après avoir lu par exemple tout le premier chapitre de Luc, il répétait des passages tels que celui-ci : « Malheur à vous, car vous fermez le royaume des cieux aux hommes. Vous n’y entrez pas vous-mêmes, et vous ne leur permettez pas d’entrer. Malheur à vous qui dévorez les maisons des veuves, etc »., et il montrait que cela s’appliquait aux prêtres et aux moines. Souvent il laissait le manuscrit entre les mains de ses auditeurs. Mais le but de ces évangélistes était bien plus de faire connaître aux âmes l’amour de Dieu et de Christ et d’allumer cet amour dans les cœurs, que de parler contre le clergé.

Ceux qui, instruits par le Seigneur, avaient à cœur le bien de leurs frères, mais qui ne pouvaient pas voyager, écrivaient des lettres aux différentes assemblées, et les apôtres itinérants ou d’autres frères les portaient à leur destination. Il aurait été dangereux d’y mettre des adresses ; la suscription portait : « Aux frères chrétiens ». Les messagers savaient bien à qui les remettre. Partout où ils le pouvaient, les apôtres prêchaient, souvent en plein air. Les frères avaient aussi des réunions de prières et d’étude de la Parole, ainsi que des écoles pour les enfants. Ils avaient aussi tous l’habitude de rendre grâces avant les repas, et avaient un culte de famille. Les frères construisaient des asiles pour les pauvres et de modestes salles de prières attenantes, car ils n’estimaient pas qu’il fût nécessaire d’élever à grands frais de splendides églises pour y adorer Dieu. Ils savaient que le Seigneur Jésus se trouve là où deux trois sont réunis en son nom. Ils prenaient la cène en souvenir du Seigneur qui a donné sa vie pour nous, et pensaient que comme Christ nous a aimés, nous devons nous aimer les uns les autres.

En général, les Vaudois étaient haïs par le clergé romain et par ceux qui le suivaient aveuglément, il y avait cependant des catholiques qui, tout en restant attachés aux formes et aux cérémonies de l’Église, sympathisaient avec les frères et étaient en communion d’esprit avec eux. Une autre chose à remarquer, c’est que les frères et les évangélistes de ce temps-là n’avaient pas, sur plusieurs points de la parole de Dieu la lumière que nous avons, et qu’ainsi ils erraient en différentes choses ; mais ils aimaient le Seigneur, trouvaient leur bonheur dans la communion avec Dieu, et donnaient leur vie pour la vérité qu’ils connaissaient. Un homme que Dieu suscita, leur fut utile pour les éclairer : c’est Pierre Valdo, de Lyon, dont nous dirons quelques mots.
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016, 20:53

Pierre Valdo


Pierre Valdo était un riche marchand de la ville de Lyon et vivait dans la seconde moitié du 12° siècle. Nous avons raconté comment l’Évangile avait été porté au IIe siècle dans cette grande cité et quelle cruelle persécution les fidèles y subirent. Dans la suite, de même que le reste de la chrétienté, l’Église de Lyon était tombée dans l’erreur et la superstition ; cependant des traditions évangéliques s’y étaient conservées, grâce au zèle et à la fidélité de quelques évêques qui avaient été à sa tête.

À l’époque où vivait Valdo, la masse du peuple était presque complètement ignorante, et les nobles, les plus illustres chevaliers même, ne savaient souvent ni lire, ni écrire. Avec le clergé, les marchands faisaient exception ; les nécessités de leur commerce exigeaient certaines connaissances. Pierre Valdo était donc lettré jusqu’à un certain point ; de plus, il était intelligent, de bonnes mœurs, pieux et bienfaisant, et honoré de tous. Quelques écrits des anciens pères de l’Église (*) étant tombés entre ses mains, il fut frappé de voir combien l’Église romaine s’était écartée du christianisme primitif. Le dogme de la transsubstantiation s’établissait alors, accompagné de l’adoration de l’hostie. Valdo ne put s’empêcher de voir dans l’un une chose contraire au simple bon sens, et dans l’autre une grossière idolâtrie. De plus, il avait remarqué que les Pères en appelaient constamment aux Écritures, les citant pour appuyer ce qu’ils enseignaient. Il conçut dès lors un grand désir de les connaître.


(*) Le lecteur se souvient que l’on nomme ainsi les hommes éminents par leur science et leur piété, tels que Justin, Irénée, Tertullien, Augustin, etc., qui enseignèrent dans l’Église par leurs prédications et leurs écrits. Mais ils étaient des hommes faillibles, errèrent sur plusieurs points et se contredirent souvent.


Jusque-là on ne peut pas dire que la conscience de Valdo eût été réveillée. Sans doute que, comme bon catholique, il comptait sur ses bonnes œuvres pour être sauvé. Mais Dieu lui adressa un sérieux et puissant appel. Un soir qu’il était à table quelques amis, l’un d’eux tomba mort subitement. Valdo fut saisi à la pensée de l’incertitude de la vie. Ne pouvait-il pas, lui aussi, être appelé tout à coup à paraître devant Dieu ? Était-il prêt à rencontrer la mort ? Que lui fallait-il faire pour être sauvé ? Dans son anxiété il consulta son confesseur, lui dit que le meilleur moyen pour assurer son salut était de faire ce que le Seigneur avait dit au jeune homme riche : « Vends tout ce que tu as, et donne aux pauvres ». Valdo n’hésita pas. Il donna à sa femme et à sa fille ce qui leur était nécessaire, paya ce qu’il devait, et distribua le reste. Cela était-il vraiment le remède pour apaiser la conscience et procurer la paix à l’âme ? Donner tous ses biens peut-il expier les péchés ? Non, assurément. Valdo le sentit et chercha dans les Écritures la réponse aux besoins de son âme. Mais à cette époque, la Bible n’avait pas été traduite dans les langues vulgaires de l’Europe occidentale. On n’en avait que la version latine appelée la Vulgate qui avait suffi aussi longtemps que l’empire romain avait subsisté et que le latin avait été la langue dominante en Occident. Valdo ne se découragea pas. Aidé par deux prêtres, il traduisit la Bible dans la langue courante, et là, dans la parole de Dieu, il apprit où se trouvait le salut, dans la foi au Seigneur Jésus, mort pour nos péchés et ressuscité pour notre justification.

Ayant ainsi trouvé la paix de son âme, il se sentit pressé d’annoncer à d’autres la bonne nouvelle de la grâce de Dieu. Comme nous l’avons dit, il distribuait ses biens aux pauvres ; mais en nourrissant leurs corps, il leur parlait des richesses impérissables de Christ. « Sa maison », dit un historien, « devint une florissante école et comme un hôpital public pour héberger et nourrir spécialement les pauvres qui venaient de dehors pour être instruits ».

À mesure que les Écritures devenaient plus familières à Valdo, il voyait plus clairement qu’elles condamnent bien des choses que l’Église de Rome enseigne, et qu’elles en renferment d’autres dont cette Église ne parle pas. Il avait donc deux choses à faire : premièrement, à apprendre et à faire connaître ce que l’Écriture enseigne, et secondement, à montrer que tout ce qui ne s’accorde pas avec elle est condamné. C’est ce qu’il faisait dans ses instructions à ceux qui venaient à lui, ou bien en allant de maison en maison pour annoncer la vérité. Il eut bientôt un grand nombre d’adhérents. Pour répandre la vérité qu’il avait apprise, il fit faire des copies des Écritures, et ayant formé un certain nombre de disciples, il les envoya deux à deux pour colporter et expliquer les saints écrits. Ils allaient donc prêchant l’Évangile dans les chemins et sur les places publiques, écoutés avec attention par les foules et gagnant des âmes.

Mais il n’était pas possible que ce mouvement demeurât caché au clergé qui ne pouvait non plus y être indifférent, puisque de fait Valdo et ses disciples condamnaient Rome, ses erreurs et les pratiques de ses prêtres. L’archevêque de Lyon leur enjoignit de ne plus se mêler de la lecture et de l’enseignement de la Bible, sous peine d’être excommuniés et poursuivis comme hérétiques. Mais ils répondirent par ces paroles de l’Écriture : « Le Seigneur a dit : Allez et instruisez toutes les nations », et : Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes ». L’archevêque avait dit à Valdo : « Si tu enseignes encore, tu seras condamné et brûlé comme hérétique ». — « Comment tairais-je ce qui concerne le salut éternel des hommes ? » répondit avec hardiesse le pieux serviteur de Christ. L’archevêque irrité voulait le faire saisir, mais il craignit le peuple. Valdo d’ailleurs avait tant d’amis à Lyon, aussi bien parmi les riches que parmi les pauvres, tant d’âmes qui avaient été amenées au Sauveur par son moyen, qu’il put rester caché dans la ville pendant trois ans, enseignant, encourageant et fortifiant les fidèles.

Le pape Alexandre III apprit ce qui se passait à Lyon. Il excommunia Valdo et ordonna à l’archevêque de procéder avec la dernière rigueur contre lui et ses adhérents. Valdo se vit ainsi forcé de quitter Lyon avec un certain nombre de ses disciples, hommes et femmes, afin d’échapper aux persécutions. Dans la main de Dieu, ce fut un moyen de répandre au loin l’Évangile et la parole de Dieu dans toutes les contrées où ces fugitifs, qu’on appela « les pauvres de Lyon », portèrent leurs pas. Ils contribuèrent aussi à éclairer les nombreuses petites communautés qui n’acceptaient pas les erreurs de Rome, mais qui elles-mêmes n’étaient pas entièrement pures dans la foi. Elles étaient nombreuses et unies entre elles, puisque l’on dit qu’un de leurs membres pouvait voyager du sud de l’Italie au nord de l’Allemagne en logeant chaque soir chez un frère. En certaines contrées, comme aux environs de Trèves et dans le nord de l’Italie, ces communautés avaient des écoles publiques en plus grand nombre que les catholiques, et elles convoquaient les assemblées au son des cloches. Les persécutions exercées avec persévérance et cruauté par l’inquisition et le clergé eurent raison finalement de ces chrétiens qui refusaient de se soumettre à Rome ; il n’y eut que les vallées du Piémont où ils subsistèrent malgré tous les efforts de leurs ennemis, et où ils subirent les plus terribles persécutions, comme nous aurons l’occasion de le voir.

Pour revenir à Valdo, il se rendit, accompagné d’un grand nombre des siens, d’abord en Dauphiné dans les vallées de Freissinière, de Vallouise et de Valcluson, où se trouvaient d’anciennes communautés chrétiennes. De là plusieurs passèrent dans les vallées du Piémont où ils rencontrèrent les anciens Vaudois auxquels ils apportèrent leur traduction de la Bible. La persécution força Valdo à fuir de nouveau ; il alla en Picardie, puis en Allemagne et enfin en Bohême, travaillant toujours à l’œuvre du Seigneur. C’est dans cette dernière contrée qu’il termina paisiblement ses jours.

Quant aux disciples de Valdo, confondus sous le nom de Vaudois avec ceux que l’on nommait déjà ainsi, ils ne s’étaient pas, non plus que leur chef, séparés de l’Église. Ils réclamaient seulement l’autorisation de prêcher. Nécessairement Rome ne pouvait pas l’accorder. « Si nous le faisions », disait un prélat dans un concile, « on nous chasserait ». Malgré cela, ils continuèrent à évangéliser, et on les excommunia. Plusieurs se répandirent en Provence et en Espagne où ils eurent d’abord quelque succès, mais sous le règne d’Alphonse II, roi d’Aragon, ils furent aussi persécutés et chassés à l’instigation du clergé.

Pour terminer ce qui concerne les disciples de Valdo et les Vaudois, il faut ajouter qu’ils insistaient sur la doctrine capitale de l’Évangile, la justification par la foi, et qu’ils repoussaient toutes les cérémonies, les erreurs et les superstitions de l’Église romaine. Comme nous l’avons vu précédemment, ils étaient fermement attachés à la Bible, et se montraient recommandables par une vie pure qui contrastait avec celle que menait en général le clergé romain. N’est-ce pas une chose profondément intéressante de voir la puissance divine conserver, à travers les siècles et au milieu des efforts incessants d’adversaires acharnés, une lignée de témoins de la vérité évangélique, à part des souillures de la soi-disant vraie Église ? Ils formaient ce résidu dont parle le Seigneur dans sa lettre à Thyatire, et qui n’avait pas connu les profondeurs de Satan (Apocalypse 2:24).
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016, 20:53

Les Albigeois — Pierre de Brueys et Henri de Lausanne


Comme nous l’avons vu, dès la fin du 10° siècle et le commencement du 11°, des missionnaires bulgares étaient venus dans la Haute Italie, puis étaient descendus jusqu’en Calabre. D’autres s’étaient dirigés vers la France, dans les Flandres et sur les bords du Rhin. Mais c’est surtout dans le sud-ouest de la France qu’ils gagnèrent le plus d’adhérents. L’avidité et la corruption du clergé qui attiraient sur lui le mépris et la haine du peuple, furent une des causes de leurs succès, et comme les nobles ne se pliaient qu’avec répugnance aux exigences et aux prétentions de domination des prêtres, les « sectaires » trouvaient près d’eux un appui.

On leur donnait, ou ils se donnaient à eux-mêmes, le nom de cathares, d’un mot grec qui veut dire pur. Ils se tenaient à part de l’Église de Rome et de ses cérémonies, niaient son autorité, enseignaient la simplicité apostolique, et rejetaient les doctrines des sacrements, du purgatoire, de la messe, etc. Quelques-uns d’entre leurs chefs, que l’on désignait sous le nom de bons hommes, semblent avoir tenu certaines graves erreurs manichéennes ; mais on ne les connaît guère que par les récits de leurs adversaires. Ce que l’on sait sûrement, c’est que leur vie austère et pure formait un contraste frappant avec celle des prêtres et des moines, et leur donnait un grand ascendant sur le peuple. Nous ne pouvons douter que parmi les cathares ne se trouvassent de vrais enfants de Dieu qui firent pour leur foi le sacrifice de leur vie. D’ailleurs nous avons vu que ceux des disciples de Valdo dispersés, qui vinrent parmi eux, leur apportèrent des lumières qui contribuèrent à épurer leurs croyances. Comme les cathares étaient surtout nombreux dans la ville d’Albi et la contrée environnante, on les désigna sous le nom d’Albigeois.

Avant de nous occuper plus spécialement des Albigeois, nous dirons quelques mots de deux hommes remarquables qui, dans la première moitié du 12° siècle, s’étaient mis en opposition avec l’Église de Rome, et vinrent prêcher dans les provinces méridionales de la France. C’étaient Pierre de Brueys et Henri de Lausanne.

Le premier était un prêtre qui, éclairé sans doute par les Écritures, commença vers l’an 1110 à s’élever contre la corruption de l’Église dominante et les vices du clergé. Son activité s’exerça surtout dans la Provence et le Languedoc. Il put, chose bien frappante, prêcher impunément durant l’espace de vingt ans. L’ennemi n’eut pas le pouvoir d’arrêter ce courageux témoin, jusqu’à ce qu’il eût achevé de rendre son témoignage. Pierre de Brueys disait que le baptême appliqué aux enfants ne les sauve pas ; il niait le mérite des œuvres pour le salut, et rejetait la transsubstantiation, les prières pour les morts, l’invocation des saints et le célibat des prêtres. Il combattait la suprématie de Rome et l’organisation ecclésiastique. « Ce sont les croyants », disait-il, « qui composent l’Église ». Il voulait dire que ce n’était pas le clergé, comme le prétend l’Église de Rome. Il prêchait la repentance et la réforme des mœurs, surtout celle des prêtres et des moines. Mais le zèle de Pierre de Brueys l’entraîna plus loin. Il aurait voulu qu’on démolît les églises, que l’on brûlât les croix et les objets d’un culte idolâtre. Il mit à exécution ce qu’il exhortait à faire, et à Saint-Gilles en Languedoc, il brûla un certain nombre de croix portant l’image de Christ (*). C’était trop. La multitude, excitée par les prêtres, se saisit de lui ; il fut traîné au bûcher et brûlé vif. C’était en l’année 1130. Mais les doctrines qu’il avait prêchées, ne pouvaient être si aisément extirpées. Il avait laissé des disciples, nommés d’après lui Pétrobusiens et que les flammes de son bûcher enhardirent plutôt qu’elles ne les découragèrent. Ils continuèrent à dévoiler hautement les misères de l’Église et du clergé.


(*) Des scènes analogues eurent lieu, en différents endroits, dans les premiers temps de la Réformation.

Henri de Lausanne fut un de ces courageux prédicateurs dont nous parlions. Il avait été moine à l’abbaye de Cluny. Dans la solitude du cloître, il s’était beaucoup occupé de l’étude du Nouveau Testament, et la parole infaillible de Dieu lui avait révélé la vraie nature du christianisme. Dès lors il brûla du désir de faire connaître aux autres la vérité telle qu’il l’avait puisée à sa divine source. Il commença à prêcher. Son apparence extérieure était bien propre à donner du poids et de l’autorité à sa parole. De haute taille, marchant nu-pieds, négligé sur sa personne, doué d’une voix puissante, jetant sur ses auditeurs des regards pleins de feu, précédé d’ailleurs partout où il allait par une grande réputation de science et de sainteté, tout en lui commandait l’attention de la multitude ; tandis que son éloquence entraînante, ses paroles profondes, son apparition extraordinaire frappaient d’effroi les prêtres, et lui attiraient l’approbation du peuple. Dans l’esprit de Jean le Baptiseur, il appelait les âmes à la repentance et exhortait le peuple à se tourner vers le Seigneur. En même temps il exposait les vices du clergé. Cela provoquait nécessairement l’opposition et la haine des prêtres et des moines, mais la multitude n’en était que plus fortement attirée vers lui. Les gens des basses classes aussi bien que les principaux bourgeois, tous se laissaient diriger par lui et le suivaient comme leur conducteur spirituel.

Pour autant que nous le savons, c’est à Lausanne qu’il commença sa mission, et de là lui vint son surnom. Il prêcha aussi la repentance dans la vallée du Léman, puis il se rendit au Mans, en France, vers l’an 1116. Il avait auparavant envoyé deux messages à Hildebert, évêque de cette ville, lequel l’accueillit favorablement. Henri fut encore mieux reçu par le peuple. Il exhortait, comme nous l’avons dit, à la repentance, et ainsi que Pierre de Brueys, il niait le mérite des œuvres pour le salut, s’élevait contre les superstitions romaines et la suprématie du pape. « Bientôt », dit un écrivain, « le résultat de sa prédication fut que les gens, comme enchaînés à sa personne, furent remplis de mépris et de haine envers le haut clergé, au point qu’ils ne voulurent plus avoir rien à faire avec lui. Ils ne suivaient plus les offices de l’Église romaine ; et même les prêtres se virent les objets de mauvais traitements de la part de la populace et durent recourir à la protection des magistrats ». Cela assurément était un mal, et nous aimons à penser qu’Henri n’approuvait pas ces excès. L’évêque Hildebert était allé à Rome ; à son retour le peuple du Mans refusa de recevoir sa bénédiction. Lorsque Hildebert s’aperçut de la grande influence qu’Henri exerçait dans son diocèse sur les jeunes prêtres et sur la multitude, au lieu de sévir contre lui il se contenta de lui assigner un autre champ de travail. L’évêque agit en cela en homme intelligent, et Dieu se servit de lui pour que son serviteur portât la lumière en d’autres endroits.

Henri s’éloigna tranquillement et alla rejoindre Pierre de Brueys en Provence. Là il poursuivit sa mission contre les abus et les erreurs de Rome d’une manière encore plus ouverte et plus décidée, s’attirant ainsi toute l’inimitié du clergé. La mort de Pierre de Brueys ne ralentit pas son zèle. Dieu lui accorda encore quelques années durant lesquelles il put poursuivre sans empêchement son œuvre. Mais enfin l’archevêque d’Arles le fit saisir, et le concile de Pise, en l’an 1134, le condamna à être enfermé en prison comme hérétique. Peu après cependant il fut relâché à condition d’aller dans une autre province. Henri se rendit en Languedoc, et là ses prédications eurent un effet si puissant que partout où il allait les églises se vidaient et que les ecclésiastiques étaient délaissés et même traités avec mépris.

Pour réprimer ce mouvement, le pape Eugène III, en 1147, envoya à Toulouse un légat. Celui-ci sentant toute la difficulté de sa mission, demanda à saint Bernard de Clairvaux de l’accompagner. Le vénérable abbé y consentit et annonça par écrit sa venue et le but de son voyage aux seigneurs du midi de la France : « Les églises », dit-il, « sont abandonnées ; le peuple est sans prêtres ; les prêtres sont sans honneur, et les chrétiens sans Christ. Les églises ne sont plus respectées comme des lieux consacrés ; les sacrements ne sont plus regardés comme saints ; les fêtes ne sont plus célébrées. Les hommes meurent dans leurs péchés — sans pénitence et sans viatique — et les âmes, sans y être préparées, entrent en présence du terrible tribunal. On refuse aux enfants le baptême, et ainsi ils sont exclus du salut ». On voit par ses paroles les progrès qu’avaient faits les doctrines antiromaines, et aussi quel était l’attachement de saint Bernard à la papauté dont il connaissait cependant tous les vices. Il parcourut les contrées troublées par ce que lui-même et les prêtres appelaient l’erreur ; il accomplit, prétendit-on, des miracles et purifia les églises souillées par l’hérésie. Le peuple crédule et entraîné par son éloquence, l’admira et un grand nombre retournèrent dans les églises abandonnées. Ainsi étant venu à Albi, où les disciples des cathares étaient plus nombreux, il prêcha dans l’église principale devant une grande multitude. Après son éloquente prédication, il dit : « Revenez, revenez à l’Église, et afin que nous sachions qui sont ceux qui se repentent, qu’ils lèvent la main au ciel ». Tous levèrent leur main droite. Il en fut de même à Toulouse. Mais là les tisserands et les principaux de la ville étaient seuls attachés aux doctrines cathares ; la masse du peuple y était étrangère. Une sentence fut rendue contre les hérétiques, et les seigneurs promirent de la faire exécuter. Quant à Henri il dut fuir. Poursuivi de lieu en lieu, il fut enfin saisi et incarcéré dans les cachots de l’archevêque de Toulouse. En 1148, la mort le délivra de ses persécuteurs et l’introduisit dans le repos éternel.

L’influence exercée par le zèle et l’éloquence de Bernard de Clairvaux fut de courte durée. Les doctrines cathares reprirent le dessus, épurées, comme nous l’avons dit, par l’action des Vaudois de Lyon, chassés par la persécution, et qui apportaient avec eux les Écritures. Pour combattre ce mouvement, une conférence fut convoquée en 1165 par l’évêque d’Albi. On y invita quelques « bonshommes », ou chefs des cathares. Après qu’on les eut interrogés, on les déclara hérétiques, mais on n’osa rien décréter contre eux. L’un d’entre eux rendit un témoignage remarquable de leur foi. Après avoir hardiment affirmé qu’il était prêt à prouver par le Nouveau Testament que les prêtres, leurs ennemis, au lieu d’être de bons pasteurs n’étaient que des mercenaires, il ajouta : « Écoutez, ô bonnes gens, écoutez cette profession de foi : Nous croyons à un seul Dieu, à son Fils Jésus Christ, à la communication du Saint Esprit aux apôtres, à la résurrection, à la nécessité du baptême et de l’eucharistie ».

Le pape Innocent III (de l’an 1198 à 1216), homme plein d’énergie, résolut d’en finir avec cette hérésie sans cesse renaissante et qui s’étendait toujours plus. Il envoya d’abord en Languedoc comme légats, l’inquisiteur Rainerio Sacchoni et un autre. Leur mission était de chercher à convertir les Cathares. Douze abbés de Cîteaux (*) les accompagnaient. Le pape chargea ensuite deux autres légats, dont l’un était Pierre de Castelnau, de poursuivre cette œuvre. Diégo, évêque d’Ossuna, et Dominique, son sous-prieur, le fondateur de l’ordre des Dominicains et de l’inquisition, se joignirent à eux. Dominique, voyant que ses efforts et ceux de ses compagnons étaient infructueux, leur conseilla d’aller nu-pieds, pauvrement vêtus, sans argent, imitant dans tout leur extérieur les « parfaits », ou chefs des cathares. Ils s’insinuaient ainsi auprès des soi-disant hérétiques, et tout en cherchant à les ramener dans l’Église romaine, ils s’informaient de leurs croyances et de tout ce dont plus tard ils pourraient se faire une arme contre eux. Leurs efforts furent sans résultat, et le pape vit qu’il fallait prendre d’autres mesures et se servir d’autres armes.


(*) Cîteaux est un village de la Côte-d’Or, près duquel était une abbaye de religieux nommés Cisterciens, du nom latin du village (Cistercium). Cet ordre de moines prit dans le Moyen Âge une très grande extension.

Les Albigeois croyant aux intentions pacifiques du pape, demandèrent une conférence publique. Pour gagner du temps, Innocent l’accorda. Les évêques et les moines acceptèrent le débat, et l’on se réunit à Montréal, près de Carcassone. Des arbitres furent nommés des deux parts. Les Albigeois avaient désigné un de leurs diacres, Arnaud Hot, pour soutenir leurs croyances par la parole de Dieu. Il entreprit de prouver :

1° Que la messe avec la transsubstantiation était d’invention humaine et non de l’ordonnance de Jésus Christ et des apôtres.

2° Que l’Église romaine n’était pas l’Épouse de Christ, mais plutôt une église de trouble, enivrée du sang des martyrs.

3° Que la police de l’Église romaine n’est ni bonne, ni sainte, ni établie par Jésus Christ.

On voit avec quelle hardiesse les Albigeois se présentaient devant leurs ennemis, et quelle confiance ils avaient dans la vérité des doctrines qu’ils soutenaient. La conférence dura quatre jours. Arnaud Hot provoqua l’admiration des assistants par son éloquence. Quant aux prêtres, ils ne purent prouver leurs thèses ni par Jésus Christ, ni par les apôtres. La question principale qui fut traitée était celle de l’eucharistie. Arnaud démontra sans peine que « selon la doctrine de la transsubstantiation, le pain n’existe plus, puis qu’il est changé dans le corps de Christ. La messe est donc sans le pain, et en conséquence n’est pas la Cène du Seigneur, où il y a du pain. Le prêtre rompt le corps, puisque l’hostie est devenue le corps de Christ ; il ne rompt donc pas le pain, et ainsi il ne fait pas ce qu’ont fait Jésus Christ et Paul ». Les légats, les évêques, les prêtres et les moines, pleins de honte et de déplaisir, ne voulurent pas en entendre davantage et se retirèrent.

Pendant ce temps, le pape avait envoyé dans toute l’Europe des prédicateurs chargés d’annoncer une croisade pour écraser l’hérésie dans le sud de la France. « Nous vous exhortons », disaient-ils, « à vous efforcer de détruire la méchante hérésie des Albigeois, et de les traiter avec plus de rigueur que les Sarrasins même. Poursuivez-les avec une main forte ; privez-les de leurs terres et de leurs possessions ; chassez-les et mettez des catholiques à leur place ». Tel était le langage de ceux qui se disaient les ministres de Jésus, de Celui qui ne voulait pas que ses disciples fissent descendre le feu du ciel sur ceux qui refusaient de le recevoir (Luc 9:51-56). À ceux qui s’engageaient à prendre les armes pendant quarante jours contre les hérétiques, on promettait la rémission de tous leurs péchés et le paradis. Cette prédication de sang fut entendue, comme nous le verrons.

Toulouse et son comté étaient un des principaux centres des Albigeois, et avaient alors pour seigneur Raymond, sixième comte de Toulouse. C’était un prince sage, humain et paisible. Bien que catholique, et regrettant que les Albigeois ne fussent pas attachés à l’Église romaine, il les tolérait et les protégeait, voyant en eux des sujets loyaux, fidèles, qui s’appliquaient au travail et contribuaient à la prospérité de la contrée. En 1207, le pape lui envoya, comme légat, Pierre de Castelnau pour le sommer d’exterminer par le fer et le feu ses sujets hérétiques, s’ils ne voulaient pas abjurer leurs erreurs et rentrer dans le giron de l’Église. Deux fois Raymond refusa et deux fois il fut excommunié par le légat, et son pays placé sous l’interdit. Le pape approuva les faits de son légat et écrivit à Raymond une lettre où ressort tout l’orgueil et l’arrogance de celui qui se nommait le serviteur des serviteurs du Seigneur, mais qui en même temps fut le premier à s’intituler « Vicaire de Dieu sur la terre ». « Homme pire que la peste », disait-il, « tyran ambitieux, cruel et horrible ! Quel orgueil s’est emparé de ton cœur et combien grande est ta folie, que tu troubles la paix de ton prochain, et que tu braves les saints commandements de Dieu, en protégeant les ennemis de la foi ! Si tu ne crains pas les flammes éternelles, tu dois redouter les châtiments temporels que tu as mérités par tant de méfaits. Car en vérité l’Église ne peut être en paix avec le chef d’aventuriers et de brigands, avec le protecteur des hérétiques, le contempteur des saints commandements, l’ami des Juifs et des usuriers, l’ennemi des prélats, et le persécuteur de Jésus Christ et de son Église. Le bras du Seigneur restera étendu contre toi jusqu’à ce que tu sois réduit en poussière. En vérité, il te fera sentir combien il est difficile d’échapper à la colère que tu as amassée sur ta tête ! »

Contre qui et pourquoi le pape lançait-il de si terribles menaces ? Contre un prince qui ne voulait pas servir de bourreau aux prêtres et verser le sang innocent de ses fidèles et laborieux sujets. Et cependant si grande était la puissance et l’autorité de ce chef de la chrétienté, et telle la crainte qu’inspiraient ses anathèmes, que Raymond s’inclina devant sa volonté. Il signa un écrit par lequel il s’engageait à détruire tous les hérétiques qui se trouvaient dans ses domaines. Mais il ne pressa la persécution qu’avec mollesse et hésitation. Le légat s’en aperçut, et brûlant d’indignation, il se répandit en invectives violentes contre le comte, le traitant de lâche et de parjure, et l’excommuniant de nouveau. Devant cette insolence, comment s’étonner que Raymond, profondément blessé, se soit laissé aller à la colère ? Dans un moment à déplorer, il se serait écrié, dit-on, que Pierre de Castelnau paierait de sa vie son impudence. Quoi qu’il en soit, un de ses chevaliers, jaloux de l’honneur de son seigneur, se rendit auprès du légat, et lui adressa des remontrances au sujet de sa conduite vis-à-vis de Raymond. Comme le légat lui répondait avec la même hauteur, le chevalier irrité le perça de son poignard et le blessa mortellement.

Le meurtre de Pierre de Castelnau fournit à Innocent III une occasion favorable pour faire sentir au comte Raymond le poids de sa colère. Pierre de Castelnau fut exalté comme martyr, Raymond fut déclaré coupable d’avoir été le premier auteur du crime, et mis au ban de l’Église. Les fidèles furent sommés de venir aider à sa destruction, et une croisade fut prêchée contre les Albigeois. « Debout ! soldats du Christ », écrivit Innocent III à Philippe Auguste, roi de France, « debout, roi très chrétien, écoute le cri du sang. Aide-nous à tirer vengeance de ces malfaiteurs ! Debout ! nobles et chevaliers de France ! Les riches campagnes du midi seront le prix de votre vaillance ! » La prédication de la croisade fut confiée aux Cisterciens sous la direction de leur fanatique abbé Arnoult, « homme », écrit un historien, « dont le cœur était renfermé sous la triple cuirasse de l’orgueil, de la cruauté et de la superstition ». Dominique, le fondateur de l’inquisition, lui fut adjoint. Toutes les indulgences promises à ceux qui prenaient la croix (*) pour la délivrance du saint sépulcre, furent assurées à ceux qui prendraient part à la croisade contre Raymond et les Albigeois. Les prêtres faisaient partout valoir cette occasion facile d’obtenir le pardon de tous les péchés et la vie éternelle.

(*) Ceux qui s’engageaient dans ces expéditions portaient une croix rouge sur l’épaule droite.

À l’appel du pape, une armée de 300000 hommes se rassembla sur les frontières des malheureuses provinces que gouvernaient Raymond et d’autres seigneurs. Trois corps de troupes furent formés. À la tête de chacun se trouvaient un archevêque, un évêque et un abbé. Le commandement en chef fut donné au fameux Simon de Montfort, homme vaillant, mais ambitieux, avide de possessions et d’honneurs, et entièrement dévoué au pape et à son Église.

Raymond, incapable de résister à des forces aussi considérables, se soumit aux exigences du pape. Celui-ci promit de lever l’interdit sous certaines conditions. Raymond devait se laver de toute participation au meurtre de Pierre de Castelnau ; livrer sept de ses meilleurs châteaux forts comme preuve de la réalité de sa repentance ; faire pénitence publique pour ses fautes passées, et enfin se joindre aux croisés contre ses propres sujets et en particulier contre son neveu Roger, comte de Béziers. Raymond se récria contre la rigueur de ces conditions, mais en vain ; elles devaient être exécutées à la lettre. Il subit la pénitence publique. Il reçut l’absolution dans l’église de Saint-Égidius, en présence de trois archevêques et de dix-neuf évêques. Ensuite on le conduisit à la cathédrale où Castelnau avait été enterré. Le dos nu, portant autour du cou une corde dont deux évêques tenaient les bouts, il arriva à la porte de l’église et là dut jurer sur l’hostie qu’il obéirait à la sainte Église romaine. Puis sur la tombe de Castelnau il s’agenouilla, et sur ses épaules nues tombèrent des coups de fouet avec une telle violence et qui le mirent dans un tel état que, lorsqu’il put échapper à ses bourreaux et aux regards de la foule qui contemplait l’incroyable humiliation de son souverain, il dut sortir par une porte de derrière. Telle était la douceur de l’Église romaine, cette sainte mère, comme elle s’appelle. Il restait à Raymond à accomplir la partie la plus douloureuse de sa pénitence, celle de prendre les armes contre ses sujets et son neveu.

L’armée des croisés se mit alors en mouvement excitée par les prêtres et les moines fanatiques. « En avant », disaient ceux-ci. « Mettez à mort les hérétiques ; dévastez tout, n’épargnez rien. La mesure de leur iniquité est comble et la bénédiction de l’Église repose sur vous ». Était-ce là l’esprit de Christ qui, lorsque ses disciples lui demandaient que le feu du ciel descendît sur ceux qui ne le recevaient pas, leur disait : « Vous ne savez de quel esprit vous êtes animés. Le fils de l’homme n’est pas venu pour détruire les vies des hommes, mais pour les sauver » ? L’armée se répandit comme un torrent sur les campagnes fertiles du Languedoc et mit tout à feu et à sang, dévastant, pillant et tuant ou brûlant les habitants sans défense.

Roger, comte de Béziers, neveu de Raymond, résolut de protéger ses sujets contre la violence des Croisés. Ses deux villes fortes étaient Béziers et Carcassonne. Bientôt parurent, sous les murs de la première de ces villes, ceux qui se nommaient « les défenseurs de la croix, les prêtres du Seigneur ». Raymond n’était resté que quelques jours avec eux ; il était allé à Rome s’humilier devant le pape. Roger se rendit d’abord auprès du légat du pape, lui disant qu’il y avait dans la ville plusieurs habitants fidèles à la foi catholique et qu’il le suppliait de ne pas faire périr les innocents avec les coupables. Il lui fut répondu que pour sauver la ville, les Albigeois devaient renoncer à leur foi et promettre qu’ils se soumettraient à l’Église romaine.

Cette réponse fut rapportée aux habitants, et les Albigeois furent pressés d’accepter les conditions proposées ; ainsi ils sauveraient eux-mêmes et les catholiques. C’était une pénible position pour les Albigeois, mais ils déclarèrent à leurs concitoyens qu’ils ne pouvaient renoncer à leur foi et qu’ils préféraient mourir. Ils laissaient aux catholiques et à Roger de faire pour eux-mêmes les meilleures conditions qu’ils pourraient.

Voyant qu’ils ne pouvaient ébranler la résolution des Albigeois, les catholiques eurent recours à leur évêque qui était auprès du légat. L’évêque supplia celui-ci de les épargner, en lui représentant qu’ils étaient toujours restés fidèles à l’Église, et qu’ils ne devaient pas être massacrés avec les Albigeois, et même que ceux-ci pourraient être gagnés par la bonté. La réponse du légat fut brève et sévère ; la ville devait se rendre, et à moins que tous ne confessassent leur péché et ne revinssent à l’Église, tous partageraient le même sort. Les Albigeois persistèrent dans leur résolution de ne point abandonner une foi qui leur avait acquis le royaume de Dieu et sa justice. Les habitants catholiques eux-mêmes, comprenant qu’il n’y avait rien à espérer, même pour eux, déclarèrent qu’ils aimaient mieux mourir que de livrer leur ville à l’ennemi. Quand le légat apprit cette réponse, il s’écria avec fureur : « Qu’il ne reste donc pas pierre sur pierre de cette ville ; que l’épée et le feu dévorent hommes, femmes et enfants ! ».

Après un siège de courte durée, la ville dut se rendre à discrétion, et la menace d’Arnoult fut exécutée de la manière la plus effroyable. On lui avait demandé comment distinguer les catholiques des Albigeois, afin d’épargner les premiers : « Tuez-les tous », répondit-il ; « le Seigneur connaît ceux qui sont siens ». Le massacre commença sans distinction de rang, d’âge ou de sexe. Les prêtres même et les religieux, reconnaissables les uns et les autres à leur costume, ne furent pas épargnés. Des femmes et des enfants s’étaient réfugiés dans les églises, pensant trouver un asile dans ces enceintes sacrées, mais en vain ; la main des serviteurs de la sainte Mère Église les y égorgeait. Personne n’échappa des 23000 habitants de Béziers ; puis la ville fut pillée et brûlée.

Roger s’était retiré dans Carcassone, ville mieux fortifiée que Béziers. Les croisés l’y suivirent. Partout sur leur passage le pays restait dévasté, car frappés de terreur, les habitants de la campagne avaient fui abandonnant leurs maisons et leurs terres. Roger avait rassemblé les habitants de Carcassonne, catholiques et Albigeois. Il leur avait dit l’horrible massacre de Béziers qui avait eu lieu sans distinction de religion, et leur avait montré que les croisés, sous un voile religieux, n’avaient en vue que le pillage. Il enflamma ainsi leur courage, et tous se préparèrent à défendre leur ville. Maints assauts furent livrés par l’ennemi et toujours repoussés. Les croisés avaient éprouvé de grandes pertes, soit dans les combats, soit par suite de maladies amenées par la chaleur brûlante, par le manque d’eau et l’air empesté par la multitude des cadavres laissés sans sépulture. La disette de vivres se faisait aussi sentir parmi eux. Le terme de quarante jours pour lesquels ils s’étaient engagés, expirait pour un grand nombre, ils avaient gagné le pardon de leurs péchés, et des milliers avec leurs chefs, ne voulant rester sous aucune condition, regagnèrent leurs foyers.

Le légat alarmé, voyant que la ville ne serait pas réduite si aisément qu’il le pensait, eut recours à une ruse diabolique. Il persuada à l’un des officiers de l’armée d’essayer d’attirer le comte Roger hors de la ville, promettant à cet officier, outre les récompenses terrestres, celles qui lui seraient réservées dans le ciel, s’il réussissait. Il ne réussit que trop bien. Sous le prétexte de négociations de paix, et sur la promesse et le serment solennel de ramener Roger sain et sauf dans la ville, celui-ci se rendit auprès du légat avec quelques-uns de ses chevaliers. À peine avait-il commencé à présenter quelques propositions au légat et à parler en faveur des habitants de la ville, qu’Amoult se leva et déclara que les habitants feraient à leur bon plaisir, mais que Roger était prisonnier. En vain celui-ci protesta contre une telle perfidie ; n’était-ce pas sur la foi d’un serment solennel qu’il était venu ? Arnoult dit que l’on n’était pas tenu de garder la foi à un homme qui avait été infidèle à Dieu. En un clin d’œil Roger et ses compagnons furent chargés de chaînes, et bientôt on apprit que le noble comte était mort en prison, non sans de forts soupçons qu’il avait été empoisonné.

Les habitants de Carcassonne ayant appris le sort de leur jeune et courageux chef, perdirent tout espoir de défendre leur ville. Échapper semblait impossible, parce que l’ennemi les entourait de toutes parts. Le désespoir s’emparait d’eux, lorsque le bruit se répandit que quelques-uns des plus vieux habitants se souvenaient que quelque part dans la ville s’ouvrait un passage souterrain conduisant au château de Caberet, à une distance d’environ trois lieues ; mais personne n’en connaissait l’entrée. Excepté les hommes qui défendaient les remparts, tous se mirent à chercher diligemment, et enfin on entendit répéter : « L’entrée est trouvée ». Aussitôt on fit des préparatifs pour l’exode ; on rassembla des vivres pour plusieurs jours, mais sauf les quelques objets qu’ils pouvaient emporter avec eux, tout le reste devait être laissé. Mais cela valait infiniment mieux que de tomber entre les mains de meurtriers sans merci. Nous pouvons être sûrs que bien des actions de grâces montèrent à Dieu pour cette perspective de délivrance, et que bien des prières lui furent adressées pour que leur entreprise fût couronnée de succès.

Ce n’était pas moins très douloureux. « C’était une vue triste et affligeante », dit leur historien, « que ce départ accompagné de soupirs, de larmes et de lamentations, tandis qu’ils s’avançaient avec l’espoir incertain de sauver leurs vies par leur fuite ; les parents conduisant leurs jeunes enfants, et les plus robustes soutenant les vieillards décrépis. Et surtout combien il était navrant d’entendre les gémissements des femmes ! »

Dieu les protégea ; le jour suivant ils atteignirent sains et saufs le château, d’où ils se dispersèrent partout où Dieu leur ouvrit une porte de refuge. Au matin, l’armée assiégeante fut étonnée de n’entendre aucun bruit dans la ville. On craignit quelque stratagème, mais les murailles ayant été escaladées, un cri se fit entendre : « Les Albigeois ont fui ». Le butin, par l’ordre du légat, fut partagé entre les croisés, et les prêtres se vengèrent de la fuite des Albigeois en faisant brûler quatre cents habitants qui avaient été faits prisonniers !

Simon de Montfort avec son armée continua à s’avancer dans le pays. Il assiégea le château de Minerve, près de Saint-Pons. On disait de cette place que depuis trente ans aucune messe n’y avait été dite, preuve de l’extension des doctrines vaudoises. Raymond, comte de Termes, défendait la place, mais le manque d’eau l’obligea à se rendre. Le légat avait décidé de laisser la vie sauve aux catholiques et à ceux qui se convertiraient. Les chevaliers se récrièrent disant qu’ils étaient venus pour exterminer les hérétiques et non pour les absoudre. Le légat les rassura en disant : « Je les connais ; pas un ne se convertira ». En effet, Raymond étant exhorté à revenir à la foi catholique, refusa et fut jeté en prison, où bientôt il mourut. Sa femme, sa sœur, sa fille et d’autres femmes de qualité, repoussèrent les efforts faits pour les convertir, et furent brûlées ensemble. Restaient les habitants. Sommés de reconnaître le pape et l’Église romaine, ils s’écrièrent tous ensemble : « Nous ne voulons pas renoncer à notre foi, et nous rejetons la vôtre. Vous travaillez pour le néant ; ni mort, ni vie, ne nous fera abandonner notre croyance ». Sur cette réponse, le comte Simon et le légat firent allumer un grand feu où furent jetés cent quarante hommes et femmes. Un historien qui rapporte ce fait dit que « ce fut une chose merveilleuse de les voir monter au bûcher avec allégresse, et comme de vrais martyrs de Jésus Christ ».

En maints autres endroits, les Albigeois montrèrent la fermeté de leur foi, tandis que Montfort, son armée et les prêtres déployaient contre eux la cruauté la plus grande. Nous ne poursuivrons pas cette histoire de meurtre et de carnage. Qu’il suffise de dire que Montfort, ayant mis le siège devant Toulouse, y expia ses cruautés. Il fut frappé d’une pierre lancée par une machine, et mourut. Cela n’arrêta pas la persécution contre les Albigeois. Les inquisiteurs achevèrent l’œuvre de leur destruction. Il périt, dit-on, un million de victimes dans les provinces méridionales de la France. Un grand nombre d’Albigeois se réfugièrent dans les forêts et les montagnes ; d’autres passèrent dans les vallées des Alpes, en Italie et en Lombardie.
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016, 20:53

Les Précurseurs de la Réformation


Comme nous l’avons vu, la main impitoyable de l’Église de Rome — cette sainte Mère, comme elle se nommait — s’appesantissait partout et sur tous ceux qui ne pliaient pas le genou devant elle, et qui rejetaient sa suprématie et ses doctrines antichrétiennes. « Hors d’elle, point de salut », affirmait-elle ; et ce salut n’était pas le salut par grâce, mais un salut acheté par des œuvres, dispensé par les prêtres, intermédiaires soi-disant entre Dieu et les hommes, dominant les consciences et assumant, pour maintenir leur prestige et leur autorité, la prétention blasphématoire de transformer, par des paroles consacrées, le pain et le vin de la Cène dans la personne de Christ, chair, sang, âme et divinité ! À la tête de ce système d’iniquité, qui enlaçait les âmes et les maintenait dans les ténèbres, le pape étendait sa domination non seulement sur le clergé, archevêques, évêques et prêtres, et sur les laïques, mais prétendait régenter les princes, les rois et les empereurs. La prison, le fer et le feu, avaient bientôt raison de ceux qui ne pliaient pas sous ce pouvoir redoutable, les hérétiques, comme Rome les nommait, et nomme tous ceux qui, s’attachant à la parole de Dieu, rejettent ses erreurs.

Toutefois, en dépit de toutes les rigueurs, de toutes les persécutions, il y eut toujours, comme nous l’avons vu, un témoignage pour la vérité, une lumière plus ou moins brillante au milieu des ténèbres, plus ou moins pure au sein de la corruption, des témoins fidèles, bravant tout pour Christ, et souffrant et mourant pour maintenir ce qu’ils avaient appris de cette parole de Dieu que le clergé cachait au peuple. C’était le petit résidu de Thyatire, protestant contre les abominations de Jésabel (Apocalypse 2:24).

Mais Dieu ne voulait pas que les ténèbres continuassent à peser sur le monde. Il allait susciter des hommes, ses serviteurs, qu’il soutiendrait par sa puissance contre Rome et les grands de la terre, qui remettraient en lumière pour tous sa Parole, la Bible, sur laquelle ils s’appuieraient, et qui annonceraient l’Évangile du salut par la foi en Jésus. 

C’est le temps de cette œuvre puissante de l’Esprit de Dieu que l’on nomme la Réformation. Mais comme l’aube précède et annonce le jour, il y eut avant les grands réformateurs que Dieu suscita, tels que Luther, Calvin, et autres, les précurseurs qui préparèrent la voie. Parmi eux se trouvent surtout Wiclef en Angleterre et Jean Huss en Bohême. Nous dirons quelques mots de ce que Dieu opéra par leur moyen.


 Wiclef


Nous avons vu comment l’Église de Rome réussit à se soumettre peu à peu l’Angleterre. Elle y domina longtemps, non sans qu’il y eût des protestations contre sa suprématie, et des efforts faits contre l’autorité qu’elle s’attribuait même sur les rois. Plus d’un conflit eut lieu entre le pouvoir royal et la papauté ; le premier résistant à la prétention du pape d’être le suzerain du roi qui n’aurait été que son vassal ; mais l’Église n’avait rien perdu de son ascendant sur le peuple.

Avant que Wiclef parût sur la scène, il y avait eu en Angleterre des évêques même qui s’élevèrent contre la tyrannie de Rome. Parmi eux un des plus remarquables fut un évêque de la ville de Lincoln, Robert Grosse-Teste, qui vivait dans la première moitié du 13° siècle. Il était un homme pieux et énergique ; mais en même temps très humble. Il était savant et lisait les Écritures dans les langues originales. Il reconnaissait leur souveraine autorité et la mettait au-dessus de celle du pape. C’était dans le temps où le pape Innocent III venait de se proclamer « vicaire de Dieu sur la terre », que Grosse-Teste écrivait : « Suivre un pape rebelle à la volonté de Christ, c’est se séparer de Christ et de son corps, et s’il vient un temps où tous suivent un pontife égaré, ce sera la grande apostasie. Les vrais chrétiens refuseront alors d’obéir, et Rome sera la cause d’un grand schisme ». Ne semble-t-il pas annoncer la Réformation près de trois siècles à l’avance ?

Grosse-Teste désirait sérieusement la réforme des abus qu’il voyait dans l’Église, mais la tâche était trop grande ; pour réformer il aurait fallu se séparer, et le temps n’était pas venu. Deux grands ordres de moines mendiants venaient de se former, les Dominicains et les Franciscains. D’abord Grosse-Teste les avait favorisés, mais il vit bientôt quels abus il y avait parmi eux, et le besoin qu’ils avaient aussi de réformes. Il s’en occupa et les serra de près. Alors ils en appelèrent au pape. Celui-ci qui était alors à Lyon, obligea l’évêque à se présenter devant lui. Mais le pape, gagné par l’argent que les moines lui avaient donné, décida en leur faveur contre Grosse-Teste. En vain l’évêque rappela-t-il au pape ses lettres et ses promesses ; Innocent IV lui répondit : « Nous sommes disposés à les favoriser : ton œil est-il mauvais parce que je suis bon ? » (*). Combien cette citation profane de l’Écriture dut choquer le pieux évêque ! « Ô argent », dit-il en soupirant, « combien ton pouvoir est grand, surtout à la cour de Rome ! » N’est-il pas étrange que cette scène n’ait pas ouvert complètement les yeux de l’évêque sur l’apostasie de Rome ?


(*) Le pape s’appliquait le passage de Matthieu 20:15.

Peu de temps après, le pape envoya en Angleterre, pour remplir des places vacantes, des prêtres italiens qui ne savaient pas un mot d’anglais. En même temps il commanda à Grosse-Teste de donner à un jeune garçon, son neveu, un riche canonicat à la cathédrale de Lincoln. L’évêque refusa énergiquement, en disant : « Après le péché du diable, il n’y en a pas de plus opposé à l’Écriture que celui qui perd les âmes en leur donnant un ministère infidèle. Ce sont les mauvais pasteurs qui sont la cause de l’incrédulité, des hérésies et des désordres. Quand le premier des anges m’ordonnerait un tel péché, je devrais m’y refuser. Mon obéissance me défend d’obéir, c’est pourquoi je me rebelle ». Son obéissance à la parole de Dieu lui défendait d’obéir au pape. Ce fut le grand principe de la Réformation ; c’est celui qui doit nous guider — obéir à la parole de Dieu.

Le pape fut indigné. « Quel est ce vieux radoteur », dit-il, « qui ose juger mes actions ? Par saint Pierre et saint Paul, si ma générosité ne me retenait pas, je ferais de lui un exemple et un spectacle à toute l’humanité. Le roi d’Angleterre n’est-il pas mon vassal et mon esclave ? Et si je lui disais un mot, ne le jetterait-il pas en prison, chargé de honte et d’infamie ? ». Les cardinaux cherchèrent à l’apaiser. Ils lui firent remarquer que l’évêque était un saint homme et que sa lettre était vraie, et que le persécuter ferait appeler le mépris sur lui-même. Innocent ne les écouta pas, excommunia l’évêque et en nomma un autre à sa place. Mais comme les cardinaux le lui avaient dit, on ne tint nul compte de ses actes, et Grosse-Teste conserva son siège épiscopal jusqu’à sa mort en 1253.

Innocent voulut se venger sur les restes du pieux évêque et pensait à le faire exhumer, lorsqu’une nuit, raconte le chroniqueur Matthieu Pâris, Grosse-Teste lui apparut, s’approcha de son lit, le frappa de sa crosse, et lui dit d’une voix terrible et avec un regard menaçant : « Misérable ! le Seigneur ne permet pas que tu aies quelque pouvoir sur moi. Malheur à toi ! ». Le pape poussa un cri et resta à demi mort. Dès lors il n’eut plus une nuit tranquille, et mourut un an après Grosse-Teste, en faisant retentir son palais de ses gémissements.

Quelle manière d’agir, en vérité ! Traiter le roi d’Angleterre comme étant son vassal et son esclave ! Mais c’était depuis Grégoire VII la prétention des chefs de l’Église de Rome de dominer sur le pouvoir temporel. Quant à Grosse-Teste, sur son lit de mort, il déclarait encore qu’une « hérésie était une opinion conçue par des motifs charnels et contraire à l’Écriture, ouvertement enseignée et obstinément défendue », tandis que Rome traite d’hérésie tout ce qui est contraire à ses enseignements, quand bien même ceux-ci sont en opposition avec la parole de Dieu. Grosse-Teste fut une lumière dans ce temps de ténèbres. Son attachement à la parole de Dieu et son opposition à l’erreur furent remarquables ; il était capable de montrer à d’autres le chemin du salut, et bien que nous ignorions jusqu’où s’étendit son influence, sa trace ne fut certainement pas perdue pour les siècles suivants.

Dans la première moitié du 14° siècle vécut en Angleterre un autre pieux prélat, nommé Bradwardine. C’était un homme savant dans les sciences, particulièrement dans les mathématiques, mais il était aussi versé dans les Écritures. Il avait d’abord enseigné comme docteur à l’université d’Oxford, puis avait accompagné comme chapelain le roi d’Angleterre Édouard III, dans les guerres de celui-ci contre la France. Très humble et simple dans ses manières et dans sa vie, il avait d’abord été orgueilleux de sa science, et par elle éloigné de la croix de Christ. Il se confiait dans sa raison pour connaître la vérité, et pensait que l’homme, par sa propre force, pouvait faire quelque chose pour son salut. C’est ce que Pélage (*) autrefois avait enseigné, et sa doctrine, d’abord combattue, s’était glissée et prévalait dans l’Église romaine. Un jour qu’à genoux dans l’église, il écoutait la lecture des saintes Écritures, il fut frappé par ce passage : « Ce n’est pas de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde » (Romains 9:16). Le salut ne vient ni de la volonté, ni des efforts de l’homme, mais de la miséricorde de Dieu, de sa pure et souveraine grâce. Il ne voulut pas d’abord se soumettre à cette vérité qui humilie l’orgueil de l’homme en lui montrant qu’il ne peut rien et qu’il n’est rien. Mais il ne put pas résister à la puissance de la parole de Dieu, et il fut converti à la grande et précieuse doctrine de la grâce qui seule sauve le pécheur. Il se mit aussitôt à enseigner ce qu’il avait reçu. Il s’occupait peu des traditions des hommes, mais il était pénétré de l’Écriture et s’affligeait de voir l’Église romaine mettre à la place de la pure grâce de Dieu pour le salut les efforts et les œuvres de l’homme.

(*) Nous avons parlé de Pélage à propos d’Augustin. Il vivait à la fin du 4° et au commencement du 5° siècle.

« Comme autrefois quatre cent cinquante prophètes de Baal s’élevaient contre un seul prophète de Dieu », disait-il, « qu’ils sont nombreux ceux qui, aujourd’hui, combattent avec Pélage contre ta grâce gratuite ! Ils prétendent non recevoir gratuitement la grâce, mais l’acheter. La volonté de l’homme doit précéder, disent-ils, et la tienne doit suivre. La leur est la maîtresse, et la tienne la servante. Le monde presque entier marche dans l’erreur de Pélage. Lève-toi donc, Seigneur, et juge enfin ta cause ! » On voit que Bradwardine avait compris les paroles de l’apôtre Paul : « Vous êtes sauvés par la grâce, par la foi, et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu » (Éphésiens 2:8) et encore : « Étant justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est dans le Christ Jésus » (Romains 3:24). Le Seigneur devait se lever, en suscitant d’abord Wiclef et ses disciples, et plus tard Luther et les autres réformateurs, dont la doctrine fondamentale serait, d’après les Écritures, le salut gratuit par la grâce et non acheté par des œuvres. Quant au pieux Bradwardine, qui avait combattu pour cette précieuse vérité, il venait d’être nommé archevêque de Canterbury, lorsqu’il mourut en 1349.

Occupons-nous maintenant de Wiclef. Il était né en 1324, dans un village du comté d’York, nommé Wycliffe. C’est de là qu’il tira son nom. Il était Jean de Wycliffe. Il étudia à Oxford au collège de Merton, et avait pu y entendre les enseignements de Bradwardine et en profiter. Pendant qu’il était encore étudiant en 1345, une peste terrible ravagea l’Asie, l’Europe, et sévit aussi fortement en Angleterre. Ce jugement de Dieu saisit profondément Wiclef. Effrayé à la pensée de l’éternité, troublé dans son âme à la vue de ses péchés et dans l’attente du jugement, il demandait à Dieu ce qu’il fallait faire, et Dieu lui répondit par sa sainte Parole. Il trouva la paix, et ce qu’il avait appris, il résolut de le faire connaître à d’autres, mais il commença avec prudence.

En 1361, ayant été choisi comme chef ou directeur du collège de Balliol, il se mit à exposer plus énergiquement la parole de Dieu et les doctrines de la foi. Dans la semaine, il les expliquait et les démontrait aux étudiants, et le dimanche il les prêchait au peuple dans un langage simple. Sa piété et sa droiture, aussi bien que sa science, donnaient un grand poids à sa parole. Il accusait le clergé d’avoir mis de côté les saintes Écritures, et demandait que l’autorité de la parole de Dieu fût rétablie dans l’Église.

À cette époque aussi, Wiclef s’élevait avec force contre les différents ordres de moines mendiants (*) et surtout contre les franciscains, tout dévoués au pape. Il les représente s’efforçant, par des fraudes pieuses, d’accaparer les richesses du pays en dépouillant riches et pauvres. « Chaque année », disaient-ils, « saint François descend du ciel au purgatoire, et délivre les âmes de tous ceux qui ont été ensevelis sous l’habit de son ordre ». Évidemment pour obtenir une si grande faveur, il fallait payer. Nous avons là un exemple des mensonges qui se débitaient pour abuser de la crédulité du peuple. Ces moines, franciscains et autres, enlevaient les enfants à leurs parents et les enfermaient dans leurs cloîtres. Ils faisaient semblant d’être pauvres, et, la besace sur l’épaule, s’en allaient mendiant d’un air piteux, auprès des grands et des petits. Mais, en même temps, ils vivaient dans des demeures somptueuses où ils amassaient des richesses, se vêtant d’habits précieux, et passant leur temps dans des festins. Remplis d’orgueil, les moindres d’entre eux se tenaient pour des seigneurs et, s’il y en avait de plus instruits, ils s’estimaient autant que des rois. Tandis qu’ils se divertissaient et s’enivraient à leurs tables richement servies, ils envoyaient n’importe qui prêcher à leur place des fables et des légendes pour amuser et dépouiller le peuple. Si quelque seigneur parlait de donner ses aumônes aux pauvres et non aux moines, ceux-ci poussaient des cris contre une telle impiété et menaçaient le pays de toutes sortes de calamités. C’est Wiclef qui trace ainsi le tableau de la vie de ces moines mendiants et de la tyrannie qu’ils exerçaient sur la nation. Quoi d’étonnant à ce qu’il les stigmatisât et déclarât hautement leurs vices et les abus qu’ils se permettaient ! Ils entraînaient à leur perte les âmes que lui, éclairé par la parole de Dieu, désirait sauver.


(*) Les deux principaux ordres de moines mendiants étaient les franciscains et les dominicains. Le premier fut fondé par saint François d’Assise, appelé ainsi du nom de sa ville natale. Après une jeunesse dissipée, il fut saisi un jour en entendant lire ces paroles de Jésus au jeune homme riche : « Va, vends ce que tu as et donne aux pauvres ». François se voua à la pauvreté ; vêtu de haillons, mendiant pour vivre, il se mit à prêcher la pauvreté et la pénitence. Il avait de la piété, mais sans connaissance, et en même temps un esprit bizarre, rempli d’idées étranges. Il saluait les oiseaux et toutes les bêtes de la création comme des frères et des sœurs et leur adressait des discours. Son ascendant sur les foules était très grand, et ce qui l’augmentait encore, c’étaient les stigmates des cinq plaies de Jésus mort que l’on prétendait avoir été imprimées sur son corps par un séraphin. Tels sont les mensonges et les illusions dont Satan se sert pour séduire les âmes. Un grand nombre de disciples se rassemblèrent autour de François, et ils furent constitués en ordre par le pape Honorius III, en 1223. Ils devinrent la milice la plus dévouée aux papes. Mais ils ne gardèrent pas longtemps l’austérité recommandée par leur fondateur.

Nous avons parlé déjà de Dominique et des dominicains, agents principaux de l’inquisition.


En l’an 1365, Wiclef fut appelé à s’occuper d’un autre sujet. Le pape Urbain V réclama du roi Édouard III le paiement annuel de 1000 marcs que le roi Jean avait autrefois consenti à payer à Innocent III, comme tribut féodal, en se reconnaissant son vassal. Le pape sommait Édouard de le reconnaître comme souverain légitime de l’Angleterre, et, en cas de refus, le citerait à comparaître devant lui à Rome. Ces prétentions orgueilleuses soulevèrent une grande indignation en Angleterre.

Wiclef s’y opposa avec énergie et fit valoir tous les arguments qui militaient contre les exigences du pape. Il les fit connaître à plusieurs des membres du parlement qui s’était assemblé pour examiner cette affaire. Le parlement refusa de se rendre aux demandes du pape, et déclara qu’aucun prince n’avait le droit d’aliéner la souveraineté du royaume sans le consentement du peuple. Le pape vit qu’il était inutile d’insister, et s’efforça de conserver au moins son autorité spirituelle sur l’Angleterre. Une conférence se réunit à Bruges dans ce but. Wiclef y fut envoyé avec d’autres commissaires. Nous ne nous arrêterons pas sur ce qui fut traité dans cette conférence ; nous dirons seulement que ce séjour à l’étranger fut d’un grand profit à Wiclef. Ses yeux s’ouvrirent davantage à toute l’iniquité du système de la papauté, et il fut confirmé dans le jugement qu’il avait déjà porté sur elle.

À son retour en Angleterre, Wiclef fut nommé recteur de l’église de Lutterworth, et il se mit à prêcher avec hardiesse ses doctrines pour la réformation de l’Église. « L’Évangile », disait-il, « est l’unique source de la religion. Le pontife romain n’est qu’un coupeur de bourses. Loin d’avoir le droit de réprimander le monde entier, il peut être légitimement repris par ses inférieurs, et même par les laïques ». En appelant le pape un coupeur de bourses, il voulait dire qu’il cherchait à s’enrichir par toutes sortes de moyens, au détriment des princes et du peuple.

Le langage et les prédications de Wiclef alarmèrent le clergé et les partisans du pape. L’évêque de Londres, Courtenay, l’accusa d’hérésie, et Wiclef dut comparaître, en 1377, devant une assemblée du clergé, dans l’église de Saint-Paul. Un immense concours de peuple remplissait la cathédrale, foule composée en grande partie de fanatiques dévoués au pape. Wiclef s’avança entre le duc de Lancaster, régent du royaume et ami du réformateur, et Lord Percy, maréchal d’Angleterre. Ils eurent beaucoup de peine à se frayer un passage à travers cette foule animée de sentiments hostiles, et qui, si Wiclef eût été seul, lui aurait fait un mauvais parti. Enfin ils arrivèrent devant le clergé présidé par Courtenay. Celui-ci ne fut pas peu surpris de voir l’accusé se présenter sous la protection des deux plus puissants seigneurs du royaume. Il y eut entre l’évêque et les deux lords un échange de paroles aigres, et le duc de Lancaster, dans un moment d’irritation, dit à quelqu’un de sa suite : « Plutôt que de me soumettre à ce prêtre, je le tirerai par les cheveux à bas de sa chaire ». Mais ce propos fut entendu par d’autres, et un grand tumulte s’ensuivit. Les partisans de l’évêque se jetèrent sur les deux lords que leurs serviteurs et leurs amis défendirent ; à grand’peine purent-ils s’échapper. Wiclef était demeuré calme : on le renvoya en lui défendant de prêcher ses doctrines.

Mais il ne pouvait se taire. Il continua à prêcher et à dénoncer le mal de la papauté. En ce moment il y avait deux papes qui prétendaient chacun être le véritable chef de l’Église. Wiclef disait que les deux formaient un seul Antichrist. Il fut de nouveau cité devant l’évêque ; mais cette fois il vint seul, sans l’appui des grands seigneurs. On s’attendait à le voir dévoré, dit un historien, car il entrait dans la fosse aux lions. Mais comme autrefois Daniel et Paul, il fut délivré de la gueule du lion (*). À peine l’évêque avait-il commencé de procéder contre Wiclef, que sir Clifford entra et, de la part de la reine mère qui aimait Wiclef, défendit de continuer. Le clergé fut confondu ; il n’avait aucun pouvoir pour résister. Wiclef se retira en déposant une protestation : « J’ai le désir et l’intention », disait-il, « par la grâce de Dieu, d’être un vrai chrétien, et, aussi longtemps que je respirerai, de professer et de défendre la loi de Christ ».


(*) Daniel 6:20-22 ; 2 Timothée 4:17.

Dès lors Wiclef ne s’occupa plus autant de la politique que devait suivre l’Angleterre à l’égard du pape. Il se livra plus entièrement à l’œuvre de l’évangélisation dont la valeur s’accrut à ses yeux. Il désirait que l’Évangile fût annoncé jusque dans les moindres hameaux. Les moines parcouraient bien le pays en prêchant les absurdes légendes des saints, pourquoi ne répandrait-on pas partout l’Évangile ? Il s’adressa à ses disciples et leur dit : « Allez et prêchez ; c’est l’œuvre la plus sublime. Mais n’imitez pas les prêtres que l’on voit après le sermon assis dans les cabarets, à la table de jeu, ou perdant leur temps à la chasse. Quant à vous, après avoir prêché, visitez les malades, les vieillards, les pauvres, les aveugles et les infirmes, et secourez-les selon votre pouvoir ».

Les évangélistes de Wiclef, les pauvres prêtres, comme on les nommait, s’en allèrent donc, le bâton à la main, pieds nus, vêtus d’une robe d’étoffe grossière, vivant d’aumônes, et prêchant l’Évangile dans les champs, au bord des routes, dans les cimetières, près des villages, partout où ils trouvaient des auditeurs. Wiclef leur avait enseigné que le salut ne vient ni des anges, ni des saints, mais qu’il est en Christ seul. « Un ange », disait-il, « n’aurait pu faire propitiation pour l’homme, car la nature qui a péché n’est pas celle des anges. Le Médiateur devait être un homme ; mais tout homme étant redevable à Dieu de tout ce qu’il est capable de faire, il fallait que le Médiateur eût un mérite infini et fût en même temps Dieu ».

Le clergé régulier s’alarma et obtint une loi qui ordonnait à tout officier du roi de jeter en prison les prédicateurs. Aussi, dès que paraissait un pauvre prêtre pour prêcher, les moines qui se tenaient cachés pour l’épier, allaient chercher main-forte afin de l’arrêter. Mais souvent, aussitôt que les sergents s’approchaient, le peuple se serrait autour du prédicateur et formait une forte barrière pour empêcher qu’il fût molesté. Ainsi, par le moyen de ces prédicateurs dévoués, l’Évangile se répandait de plus en plus et atteignait jusqu’aux endroits les plus reculés du pays. Le jour à venir révélera seul les fruits de ces semailles de la parole de Dieu.

Outre son œuvre d’évangélisation, Wiclef s’acquittait à Oxford de ses fonctions de professeur. Mais il n’était pas d’une forte constitution ; ses travaux et les luttes qu’il avait soutenues l’avaient affaibli, et, en 1379, il tomba dangereusement malade. On ne s’attendait pas à ce qu’il se relevât, et le parti du pape jubilait. Mais pour que son triomphe fût complet, il fallait obtenir de Wiclef la rétractation de ce qu’il avait enseigné. Quatre représentants des quatre ordres religieux accompagnés de quatre aldermen (*), se rendirent auprès du mourant. « Vous avez la mort sur les lèvres », lui dirent-ils, « repentez-vous de vos fautes, et rétractez en notre présence tout ce que vous avez dit contre nous, à notre préjudice ». Wiclef resta calme et serein, et se tut pendant un moment. Les religieux étaient pleins d’espoir et attendaient sa rétractation.


(*) Charge qui répond à celle de conseillers municipaux.

Il demanda à son serviteur de le soulever sur son lit. Alors, rassemblant ses forces et fixant sur ses ennemis un regard perçant, il dit : « Je ne mourrai pas, mais je vivrai, et je déclarerai encore les turpitudes des moines ». Désappointés et confus, ses adversaires se retirèrent. Wiclef se rétablit, et vécut pour accomplir une œuvre plus grande que tout ce qu’il avait fait jusqu’alors.

L’œuvre que Wiclef avait à cœur d’accomplir, c’était de donner aux Anglais la Bible dans leur propre langue. Il y avait bien eu, avant lui, quelques traductions, en langue vulgaire, de diverses portions des Écritures, mais ces volumes restaient cachés dans les bibliothèques des couvents. Il s’ensuivait que, sauf le clergé et peut-être quelques personnes qui pouvaient lire le latin, personne ne possédait une Bible et ne savait de son contenu que ce que les prêtres en disaient. Et cependant depuis des siècles l’Angleterre professait le christianisme. Il est vrai, comme nous l’avons vu, que défense était faite au peuple d’avoir et de lire les saints écrits en langue vulgaire. Mais le temps était venu où, malgré cette défense, la Bible allait être répandue parmi tous, savants et ignorants.

Wiclef ignorait le grec et l’hébreu ; il fut donc obligé de faire sa traduction sur la version latine appelée la Vulgate, mais cela valait mieux que de n’avoir pas la Bible du tout. Il travailla laborieusement à cette œuvre durant dix années, aidé par quelques amis, et un an après la maladie dont nous avons parlé, en 1380, l’ouvrage fut terminé et publié sans notes, ni commentaires.

Quand nous disons publié, il faut comprendre que l’on en fit des copies pour les vendre. L’imprimerie n’avait pas encore été inventée, et l’on n’avait d’autre moyen d’avoir des exemplaires d’un ouvrage que le long et coûteux procédé de les écrire à la main. Les copistes se mirent diligemment à l’œuvre, et bientôt des portions du saint volume furent mises en vente. Elles furent rapidement écoulées, ainsi que des copies du volume entier. L’accueil que reçut l’œuvre de Wiclef dépassa son attente. C’était avec joie que nombre de personnes achetaient la parole de Dieu. Elles n’avaient jamais connu cette source de toute vérité, et maintenant elles pouvaient lire dans leur langue maternelle les merveilles de la révélation de Dieu donnée à l’homme. Une grande lumière, la lumière de Dieu, s’était levée dans les ténèbres de superstitions et d’erreurs qui couvraient le monde, et depuis lors, malgré les efforts de Satan et de ses agents pour l’éteindre, elle n’a pas cessé de briller dans ces contrées.

L’ennemi se montra bientôt. Dès que Wiclef eut publié sa traduction de la Bible, il fut assailli de tous côtés par les amis du pape. « C’est une hérésie », disaient les uns, « de faire parler la Sainte Écriture en anglais ». D’autres disaient : « Maître Wiclef, en traduisant l’Évangile en anglais, l’a rendu plus accessible et plus compréhensible aux laïques et même aux femmes qu’il ne l’avait été jusqu’ici aux clercs intelligents et lettrés » ; à quoi d’autres ajoutaient, en affectant de craindre que l’Évangile ne fût ainsi rendu méprisable : « La perle évangélique est foulée aux pieds par les pourceaux ». Quelques-uns se plaçaient sur un autre terrain et prétendaient mettre l’Église au-dessus des Écritures. « Puisque l’Église », disaient-ils, « a approuvé quatre évangiles, elle aurait pu tout aussi bien les rejeter et en admettre d’autres. L’Église sanctionne ou condamne ce qu’elle veut. Croyez l’Église plus que l’Évangile ». C’était là le grand point. L’Église de Rome voulait être l’autorité suprême. Mais ce n’est pas elle qui a donné les Écritures. C’est Dieu lui-même, et ce sont elles que nous devons croire.

Wiclef ne se laissait point émouvoir par les clameurs des prêtres et des moines. « Quand même le pape et tous les clercs disparaîtraient de la face de la terre », disait-il, « notre foi ne défaudrait pas, car elle est fondée sur Jésus seul, notre Maître et notre Dieu ». D’ailleurs il n’était pas sans encouragements. Une copie des évangiles avait pénétré jusque dans le palais, et Anne de Luxembourg, femme du roi Richard II, s’était mise à les lire diligemment. Elle les communiqua à Arondel, archevêque d’York, qui, frappé de voir une étrangère, une reine, lire des « livres aussi vertueux », il voulait dire excellents, se mit à les étudier, et blâma les prélats qui en négligeaient la lecture. À la Chambre des lords, une motion fut faite par les partisans des prêtres de saisir tous les exemplaires des Écritures et de les détruire. Mais le duc de Lancaster s’écria : « Sommes-nous donc la lie du genre humain que nous ne puissions pas posséder la loi de notre religion dans notre propre langue ? »

Cependant l’œuvre progressait. Wiclef lui-même fut amené à étudier plus profondément la Bible qu’il avait donnée au peuple. La doctrine de la messe, ce point fondamental de l’Église de Rome, attira son attention. C’était une des sources de gain pour le clergé et la base de son autorité sur le peuple. Faire descendre à sa parole Dieu du ciel dans l’hostie consacrée, à quelle hauteur cela élevait le prêtre ! Wiclef éclairé par la parole de Dieu, ne pouvait admettre qu’un homme eût le pouvoir de transformer un morceau de pain dans la chair, le sang et la divinité de Christ. « L’hostie consacrée que nous voyons sur l’autel », disait-il, « n’est pas Christ, ni une partie de Christ, mais elle est son signe efficace ». — « Comment peux-tu, ô prêtre, qui n’es qu’un homme, créer ton Créateur ? » ajoutait Wiclef. « Quoi ! la plante qui croît dans les champs, cet épi que tu cueilles aujourd’hui, demain sera Dieu ! Ne pouvant faire les œuvres de Jésus, tu veux faire Celui qui a accompli les œuvres ! »

L’attaque de Wiclef contre la doctrine de la transsubstantiation effraya ses amis. Le duc de Lancaster qui jusqu’alors l’avait soutenu, cessa de le défendre, après l’avoir exhorté, supplié, et même lui avoir ordonné de se taire sur ce sujet. Mais Wiclef ne pouvait cacher la lumière qu’il avait reçue de Dieu. Ses ennemis trouvèrent là une bonne occasion pour chercher à le perdre.

Courtenay avait été promu à l’archevêché de Canterbury. Il se hâta de convoquer un synode dans le but de condamner Wiclef. On se réunit en mai 1382, et l’on allait procéder à la condamnation de celui qu’on tenait pour hérétique, lorsqu’un violent tremblement de terre se fit sentir à Londres et dans une partie de l’Angleterre. Les prélats effrayés crurent voir dans ce phénomène une marque de la désapprobation de Dieu, et hésitaient à prononcer la sentence. Mais l’habile archevêque sut se faire de l’événement une arme en sa faveur. « Ne savez-vous pas », dit-il, « que les vapeurs nuisibles qui prennent feu dans le sein de la terre et produisent ces phénomènes qui vous effrayent, perdent leur force lorsqu’elles s’échappent ? De la même manière, en rejetant l’hérétique de notre communion, nous mettrons fin aux convulsions de l’Église ». Rassurés, les évêques prononcèrent la condamnation de Wiclef, après avoir entendu la lecture de dix propositions qu’on disait être de lui et qui furent déclarées hérétiques.

L’archevêque pressa le roi d’approuver la décision du synode. « Si nous permettons à cet hérétique de faire continuellement appel aux passions du peuple » (*), dit-il au roi, « notre destruction est inévitable. Il faut réduire au silence ces Lollards (**), ces chanteurs de psaumes ». Le roi donna des ordres pour que l’on jetât dans les prisons de l’état ceux qui soutiendraient les propositions condamnées. Un à un, ses amis les plus dévoués abandonnaient Wiclef mais il ne perdit pas courage. Il se consola en disant : « La doctrine de l’Évangile ne périra jamais ». Wiclef aurait dû en rester là, et continuer paisiblement son œuvre, mais il crut devoir en appeler à la Chambre des communes et présenta une pétition où il disait entre autres : « Puisque Jésus Christ a répandu son sang pour affranchir l’Église, je demande son affranchissement. Je demande que chacun puisse sortir de ces sombres murailles, où règne une loi tyrannique, et embrasser une vie simple et paisible sous la voûte du ciel. Je demande que les pauvres habitants de nos villes et de nos campagnes ne soient pas contraints de fournir à un prêtre mondain, souvent vicieux et hérétique, de quoi satisfaire son ostentation, sa gourmandise et son impudicité ; de quoi acheter un beau cheval, des selles magnifiques, des brides avec des clochettes retentissantes, de riches vêtements, des fourrures précieuses, tandis que le pauvre peuple voit ses veuves, ses femmes et ses enfants mourir de faim ». Nous voyons par ces lignes quels abus criants étaient tolérés et quel joug pesait alors sur le peuple. La Chambre des Communes vit que son autorité avait été méconnue, puisque les ordres du roi n’avaient pas reçu son assentiment, et elle ordonna le rappel.


(*) Il y avait eu à cette époque un soulèvement des paysans, et on l’attribuait à tort aux prédications de Wiclef.

(**) Probablement de lollen, chanter. On donnait ce nom à ceux qui s’opposaient à Rome, et plus spécialement aux disciples de Wiclef.

Courtenay fut déconcerté, mais, déterminé à ne pas laisser échapper Wiclef, il se rendit à Oxford, rassembla les chefs de l’église, et somma Wiclef de paraître devant lui, en ayant soin de laisser les portes ouvertes aux laïques et aux étudiants, afin que l’humiliation du vieux champion de la vérité fût complète et publique. Wiclef était affaibli par l’âge et ses nombreux travaux ; mais il avait une âme forte dans un corps chétif, et n’avait jamais craint de paraître devant un homme. Il se rendit à la sommation. Mais l’affaire se termina d’une manière à laquelle Courtenay était loin de s’attendre. Arrêtant sur l’archevêque ce regard perçant et assuré qui avait autrefois fait fuir les moines, il accusa le clergé catholique romain d’être semblable aux prêtres de Baal et lui reprocha de répandre l’erreur et de fermer les yeux au mal, afin de vendre ses messes et de remplir sa bourse. Puis en terminant, il s’écria : « La vérité vaincra », et il se retira sans qu’aucun de ses ennemis osât dire un mot ou l’arrêter. Il se retira à Lutterworth.

Wiclef n’était pas encore à l’abri des attaques de ses ennemis. Il vivait paisiblement au milieu de ses paroissiens et de ses livres, étudiant la vérité et l’annonçant autour de lui, lorsqu’il reçut du pape un bref (*) le sommant de paraître devant lui à Rome. Cette sommation lui serait sans doute arrivée plus tôt s’il n’y avait eu en ce temps-là deux papes rivaux, trop occupés à s’insulter et à se maudire l’un l’autre, pour avoir le temps de penser à un aussi chétif personnage que Wiclef. L’Écosse, la France et d’autres pays, reconnaissaient le pape Clément VII, tandis que l’Angleterre, l’Italie et d’autres États, tenaient pour le pape Urbain VI. Comme celui-ci avait en Angleterre un grand nombre de chauds partisans, ils insistaient, auprès de lui sur le danger que les doctrines de Wiclef faisaient courir à la cause de l’Église romaine, de là le bref du pape.


(*) Nom donné aux communications papales.

Wiclef crut que ses infirmités croissantes suffisaient pour le justifier de ne pas se rendre à l’appel du pape, mais il résolut de lui écrire et de lui faire connaître quel est le véritable Chef de l’Église. Dans sa lettre, en premier lieu, il exalte l’Évangile, puis il déclare que le pape lui-même est tenu d’y obéir : « Je crois », dit-il, « que l’Évangile de Christ est le corps complet de la révélation de Dieu. Je crois que Christ qui nous l’a donné est Lui-même vrai Dieu et vrai homme, et qu’ainsi cette révélation est au dessus de tout. Je crois que l’évêque de Rome est obligé plus que tout autre à s’y soumettre, car la grandeur parmi les disciples de Christ ne consiste pas en dignités et en honneurs mondains, mais à suivre de près et fidèlement le Christ dans sa vie et dans ses actes. De là je conclus que nul homme fidèle ne doit suivre le pape ni aucun des hommes saints, si ce n’est quand ils suivent Jésus Christ. Il faut qu’à l’exemple de Christ, le pape remette à l’État ses pouvoirs temporels, et engage son clergé à faire de même ».

Urbain VI était trop occupé de sa lutte avec Clément pour se mettre davantage en peine de Wiclef, de sorte que celui-ci put continuer ses travaux sans être molesté. C’est alors qu’il écrivit son « trialogue ». Ce sont des entretiens entre trois personnages symboliques, la vérité, le mensonge et l’intelligence. Le premier propose des questions, le second fait des objections et le troisième établit la saine doctrine. Une des grandes vérités que Wiclef affirme est l’autorité suprême des Écritures. « L’Église est tombée », dit l’un des interlocuteurs, « parce qu’elle a abandonné l’Évangile et lui a préféré les lois du pape. Quand il y aurait cent papes à la fois dans le monde, et que tous les moines de la terre fussent transformés en autant de cardinaux, il ne faudrait leur accorder aucune confiance en matière de foi, s’ils ne s’appuient pas sur les saintes Écritures ».

Voici encore quelques-unes des conclusions de Wiclef : « L’autorité des saintes Écritures, qui sont la loi du Christ, surpasse infiniment celle de toute autre écriture ».

« L’Écriture est la règle de la vérité, et doit être la règle de la réforme. Il faut rejeter toute doctrine et tout précepte qui ne reposent pas sur cette base ».

« Croire que l’homme peut quelque chose dans l’œuvre de la régénération est la grande hérésie de Rome, et de cette erreur est venue la ruine de l’Église ».

« La conversion procède de la grâce de Dieu seule ; le système qui l’attribue en partie à l’homme et en partie à Dieu est pire que celui de Pélage ».

« Christ est tout dans le christianisme ; quiconque abandonne cette source toujours prête à communiquer la vie, et se tourne vers les eaux troubles et croupissantes, est un insensé ».

« La foi est un don de Dieu ; elle exclut tout mérite, et doit bannir de l’âme toute crainte ».

« La seule chose nécessaire dans la vie chrétienne et dans la cène, n’est pas un vain formalisme et des rites superstitieux, mais la communion avec Christ selon la puissance de la vie spirituelle ».

« Le peuple chrétien doit se soumettre non à la parole d’un prêtre, mais à la parole de Dieu ».

« La vraie Église est l’Assemblée des justes, pour lesquels Christ a répandu son sang ».

« Tant que Christ est dans le ciel, l’Église a en Lui le meilleur pape. Il est possible qu’un pape soit condamné au dernier jour pour ses péchés ».

Telles sont les vérités que Wiclef, enseigné par le Saint Esprit, tira des Écritures. Il n’eut pas d’autre maître. Il passa tranquillement ses derniers jours. Menacé comme il l’était de toutes parts, il pouvait bien s’attendre à mourir comme martyr. « Annoncez », disait-il, « la parole de Christ à d’orgueilleux prélats, et le martyre ne vous manquera pas. Quoi ! vivre et me taire ? Jamais ! Que le coup tombe, je l’attends ». Mais Dieu lui donna de mourir en paix. Le 29 décembre 1384, il était dans la chapelle de Lutterworth debout devant l’autel, au milieu de ses paroissiens. Au moment où il élevait le pain de la cène, il tomba frappé de paralysie. Transporté dans sa demeure, il vécut encore quarante-huit heures et rendit l’esprit le dernier jour de l’année.

Ainsi passa celui à qui Dieu avait permis d’accomplir une grande œuvre en Angleterre, celle de donner la Bible au peuple, d’envoyer prêcher l’Évangile et de dénoncer les erreurs de Rome. Depuis ce moment la lumière divine ne s’éteignit plus dans ce pays, et elle se répandit dans d’autres contrées. Ceux qui suivirent sa doctrine furent nommés Wiclefites, ou plus communément Lollards. Rome les poursuivait de sa haine, et plusieurs subirent le martyre. Etre un disciple de Wiclef, adhérer à ses enseignements, suffisait pour être déclaré hérétique et poursuivi comme tel par l’Église de Rome. Celle-ci manifesta combien elle avait senti l’attaque dirigée contre elle par l’œuvre de Wiclef. N’ayant pu atteindre le réformateur durant sa vie, elle se vengea sur lui après sa mort. Le concile de Constance tenu en 1415, ordonna que ses restes fussent brûlés. La sentence fut exécutée en 1428, et les cendres furent jetées dans un ruisseau voisin. Mais la vérité que Wiclef avait mise en lumière ne pouvait être brûlée. Elle était semée dans les cœurs et portait du fruit pour la vie éternelle.

Peu avant sa fin, Wiclef prononça ces paroles remarquables : « Quelques frères (des moines) que Dieu daignera enseigner, ayant abandonné leur infidélité, reviendront librement à la primitive religion du Christ, et alors édifieront l’Église comme Paul ». Ne semble-t-il pas avoir annoncé d’avance le réformateur Luther ?
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016, 20:54

Les Lollards


La mort de Wiclef n’arrêta pas le zèle de ses disciples. La puissance de la doctrine qu’il avait enseignée se montra dans le nombre de ceux qui la reçurent. L’Angleterre, à un certain moment, sembla tout entière gagnée aux vues du réformateur. On trouvait partout des « Lollards », comme on les appelait ; dans les chaumières des paysans, comme dans les châteaux des nobles. Ils se sentaient tellement appuyés par le sentiment presque général de la nation qu’en l’année 1395, ils adressèrent une requête au parlement demandant qu’on abolît le célibat des prêtres, la transsubstantiation, les prières pour les morts, les offrandes faites aux images, la confession et plusieurs abus de l’Église romaine. Ils affichèrent leurs conclusions aux portes de Saint-Paul et de Westminster.

Le clergé romain s’émut de cette hardiesse. Arondel, archevêque d’York, et Braybrocke, évêque de Londres, demandèrent au roi Richard II d’intervenir. Celui-ci défendit au Parlement de discuter la requête des Wiclefites, et menaça de mort les principaux d’entre eux, s’ils persistaient à soutenir ces détestables doctrines. Peu de temps après, Richard fut détrôné par son cousin le duc de Lancaster et mourut en prison. Le duc de Lancaster monta sur le trône sous le nom de Henri IV. C’est lui dont le père avait été l’ami et le protecteur de Wiclef, et les Lollards espérèrent que le nouveau roi leur serait favorable. Ils furent cruellement déçus. Arondel, qui avait aidé Henri IV à s’emparer du trône, lui avait dit en le couronnant : « Pour consolider votre trône, gagnez le clergé et abandonnez les Lollards ». Le roi répondit : « Je serai le protecteur de l’Église ». Il le fit bientôt voir.

Jusqu’au commencement du quinzième siècle, il n’y avait eu en Angleterre aucune loi qui condamnât les hérétiques à être brûlés. Partout ailleurs le pouvoir civil avait abandonné sur ce point son droit au pouvoir spirituel, c’est-à-dire au clergé. Afin de prouver à l’archevêque sa sincérité, le roi rendit un édit ordonnant que tout hérétique impénitent serait brûlé vif pour épouvanter les autres. En même temps, les prêtres firent courir et répandirent partout des bruits de complots et de desseins dangereux formés par les Lollards. Le Parlement confirma l’édit en l’an 1400. Brûler les hérétiques devint ainsi chose légale en Angleterre. L’édit portait que la sentence serait exécutée « publiquement, en un lieu élevé, aux yeux du peuple ». Dès que le primat (*) et les évêques eurent ainsi liberté d’agir, ils se mirent activement à poursuivre leur œuvre de ténèbres.


(*) L’archevêque d’York était le premier et au-dessus de tous les prélats du royaume. De là son titre de primat.

Leur première victime fut un ministre pieux de Londres. Il enseignait ouvertement les doctrines prêchées par Wiclef, et avait osé dire : « Au lieu d’adorer la croix sur laquelle Christ a souffert, j’adore Christ qui a souffert sur elle ». Il avait comparu à Newbury. Là, par crainte des souffrances qu’il aurait à endurer, il s’était d’abord rétracté. Mis en liberté, il était retourné à Londres. Peu après il reprit courage, une nouvelle force lui fut donnée, et il se remit à annoncer ouvertement l’Évangile, et à protester contre les erreurs de Rome. Il fut de nouveau saisi, jeté en prison, et condamné au bûcher comme hérétique relaps. On le traîna à Saint-Paul ; là il fut dégradé de la prêtrise, puis l’archevêque le remit à la bonté du grand maréchal du royaume, car il est défendu à l’Église de verser le sang. La bonté du grand maréchal ne lui manqua pas ; il fut brûlé, et glorifia Christ dans sa mort. Quelle hypocrisie des chefs religieux ! Croyaient-ils vraiment disculper l’Église de verser le sang tout en le faisant répandre par la main de ceux qu’elle s’assujettissait ?

Le second martyr était un simple artisan, nomme John Badby. Il était accusé d’avoir nié la transsubstantiation. Il fut conduit à Londres pour y être jugé. Outre les deux archevêques d’York et de Canterbury, il y avait comme juges plusieurs évêques et le duc d’York, chancelier du royaume. Arondel se donna beaucoup de peine pour convaincre Badby que le pain consacré devenait véritablement le corps de Christ. Les réponses de l’accusé furent claires et simples, et montrèrent un grand courage et une fermeté inébranlable. « Si réellement », dit-il « chaque hostie, après que le prêtre l’a consacrée, est le corps du Seigneur, il y a donc plus de 20000 dieux en Angleterre. Je crois en un seul Dieu tout puissant ».

Badby ne voulant pas se rétracter, fut condamné à être brûlé. Au moment où le bourreau mettait le feu au bûcher, le prince de Galles, héritier de la couronne, vint à passer. Peut-être n’était-ce pas sans l’intention de voir ce spectacle extraordinaire. Quoi qu’il en soit, il fut frappé de voir le martyr paisible et tout à fait impassible, attaché au poteau, tandis que le bourreau attisait le feu. Les flammes s’approchaient du prétendu hérétique, déjà elles avaient atteint ses pieds, et l’on entendit le mot « grâce » sortir de ses lèvres. Le prince, supposant qu’il implorait la grâce de la part de son juge, ordonna d’écarter le feu. « Veux-tu abandonner ton hérésie », demanda-t-il, « et te soumettre à la foi de la sainte mère Église ? Si tu le fais, tu auras une pension annuelle sur la cassette royale ». Mais Badby resta inébranlable. Il n’avait pas fait appel à la grâce des hommes, mais s’était recommandé à la grâce de Dieu. Irrité par la constance de ce chrétien, le prince commanda qu’il fût rejeté dans les flammes, et le courageux martyr y trouva bientôt la fin de ses souffrances.

Encouragé par l’appui que le roi lui prêtait, le clergé rédigea une suite d’articles que l’on nomme la constitution d’Arondel. Ils défendaient, sous les peines les plus sévères, la lecture de la Bible et des livres de Wiclef, et appelaient le pape non un simple homme, mais un vrai Dieu sur la terre. La persécution sévit alors dans toute l’Angleterre. Il y avait dans le palais archiépiscopal une prison que l’on nommait la tour des Lollards. Elle fut bientôt remplie de prétendus hérétiques. Un grand nombre de ces martyrs souffrirent la torture destinée à leur faire abjurer leur foi, avant d’être livrés à une mort cruelle. Plusieurs gravèrent sur les murailles de leur prison l’expression de leurs douleurs et de l’espérance qui les soutenait. On y lit encore ces mots tracés par l’un d’eux : « Jésus, amor meus » (Jésus, mon amour) ; témoignage touchant de la foi qui l’animait, rendu à l’objet suprême de ses affections.

Le roi Henri V avait succédé à son père. C’est lui qui avait été témoin du supplice de Badby, mais la constance jusqu’à la mort du martyr n’avait eu aucun effet sur son cœur. La persécution continua à sévir contre les Lollards. Ce ne fut pas seulement contre les petits, mais des personnes d’un rang élevé furent aussi frappées. Parmi elles, l’une des plus illustres fut sir John Oldcastle qui, par son mariage avec Lady Cobham, était devenu Lord Cobham. Il avait été un vaillant guerrier, s’était distingué dans maints combats, et avait été un favori du roi Henri IV. Il avait aussi suivi le prince de Galles dans sa vie de dissipation et de péché. Mais la grâce de Dieu l’avait saisi, nous ignorons à quelle époque de sa vie. Nous savons seulement qu’il devint l’ami et le disciple de Wiclef, et fut zélé pour répandre les doctrines que celui-ci enseignait. Après la mort de Wiclef, il resta dévoué aux Lollards. De même qu’il avait servi son roi par son courage dans les combats, de même il se montra plein de hardiesse pour le service de Christ et de ses disciples. En tant que lord, il avait un siège au Parlement. Là il ne cacha point sa foi et son opposition à Rome ; il alla même jusqu’à dire : « Il serait bon pour l’Angleterre que la juridiction du pape s’arrêtât à Calais, et ne passât pas la mer ». Paroles bien hardies à prononcer dans un tel lieu et dans un tel temps.

Cobham faisait faire de nombreuses copies des écrits de Wiclef, et les remettait aux « pauvres prêtres » qu’il recevait dans son château, afin qu’ils les répandissent partout où ils iraient prêcher l’Évangile. Lui-même assistait à leurs prédications, revêtu de son armure, la main sur son épée, et prêt à les défendre contre quiconque viendrait les troubler. Tant que le roi Henri IV vécut, il ne permit pas aux prélats de s’attaquer à son ancien favori. Il en fut autrement après sa mort.

Henri V, qui, avant d’être roi, avait mené une folle vie de dissipation et de péché, devint, en montant sur le trône, zélé pour l’Église. Arondel et les évêques auraient bien voulu emprisonner ou brûler tous les prédicateurs, mais ils pensèrent qu’ils arriveraient plus aisément à leurs fins en faisant taire ou jeter en prison, sinon mettre à mort, leur protecteur, lord Cobham. Ils virent le moment propice. Ils accusèrent Cobham de tenir et de répandre plusieurs hérésies, et demandèrent au roi de le faire comparaître devant lui. Le roi leur répondit qu’il essayerait de persuader Cobham de renoncer à ses nouvelles opinions. Il le fit donc venir et l’exhorta à se soumettre à la sainte Mère l’Église. Cobham répondit : « Je suis toujours prêt, très excellent prince, à vous obéir, d’autant plus que je vous reconnais pour un roi chrétien et un ministre de Dieu. Après Dieu, je vous dois une entière obéissance et je m’y soumets. Mais pour ce qui est du pape et de son clergé, je ne leur dois en vérité ni hommage, ni service, parce que je sais par les Écritures que le pape est le grand Antichrist, l’adversaire déclaré de Dieu, et l’abomination placée dans le lieu saint » (*).


(*) En réalité, si l’esprit de l’Antichrist est bien là à l’œuvre, depuis le temps des apôtres, l’Antichrist est un personnage encore futur.


Ce discours hardi déplut au roi ; il ne voulut plus intervenir en faveur de son ancien ami, et les évêques purent agir à leur guise. Arondel somma Cobham de comparaître devant lui le 2 septembre, afin de répondre aux accusations d’hérésie portées contre lui. Agissant d’après sa déclaration qu’il ne devait ni hommage, ni service, au pape et à ses subordonnés, il ne tint aucun compte de la citation de l’orgueilleux prélat. Arondel la fit afficher aux portes du château de Cowling qu’habitait Cobham, et à celles de la cathédrale de Rochester. Les amis et les vassaux de Cobham les déchirèrent aussitôt. Arondel avait une autre arme ; il excommunia le courageux gentilhomme. Ceux qui savaient ce que comportait la grande excommunication pouvaient bien être effrayés de l’acte audacieux du fier champion de Rome.

Sans se laisser abattre, ni décourager, lord Cobham écrivit une confession de sa foi sur le modèle de ce que l’on nomme le symbole des apôtres, mais exprimée essentiellement en paroles de l’Écriture sainte. Il la porta au roi, le suppliant de l’examiner. Henri ne voulut pas même la regarder. « Je ne recevrai pas cet écrit », dit-il, « remettez-le à vos juges ». Ces juges, c’étaient l’archevêque et ceux qui l’assistaient. Le roi, poussé par eux, envoya un de ses officiers pour se saisir du vieux guerrier. Si c’eût été un envoyé du clergé la question se serait décidée par les armes, selon la coutume de ces temps ; mais la sommation venait du roi, à qui Cobham se sentait tenu d’obéir. Il suivit l’officier et fut incarcéré à la Tour de Londres. Le 23 septembre, il fut amené dans l’église de Saint-Paul devant l’archevêque et les évêques de Londres et de Winchester, et d’autres ecclésiastiques. L’archevêque lui offrit l’absolution, s’il voulait se soumettre et confesser ses erreurs. Cobham répliqua en lisant un exposé de sa foi dont il présenta une copie à Arondel. Mais celui-ci avec irritation s’écria : « Il faut croire ce que la sainte Église de Rome enseigne, sans exiger l’autorité de Christ ». — « Croyez, croyez ! » lui criaient les prêtres ». — « Je suis prêt », dit Cobham, « à croire tout ce que Dieu veut que je croie ; mais je ne croirai jamais que le pape ait le droit d’enseigner ce qui est en opposition avec les Saintes Écritures ».

Il fut reconduit à la Tour, et la cour s’ajourna au lundi suivant. Cette fois, elle se réunit dans le couvent des Dominicains. Une foule de prêtres, de moines, de chanoines, d’ecclésiastiques, de vendeurs d’indulgences, s’y trouvait rassemblée et accueillit le prisonnier par un torrent d’injures. On lui offrit de nouveau l’absolution, à condition qu’il s’humiliât et confessât ses hérésies. « Non, vraiment », répondit-il ; « car je ne vous ai jamais offensés ». Puis accusant avec véhémence le pape et les princes de l’Église, il s’écria : « Votre domination est le poison de l’Église ! » — « Qu’entendez-vous par ce poison ? » demanda Arondel. — « Vos possessions et vos honneurs… Considérez ceci, vous tous qui êtes présents ici. Christ était doux et miséricordieux ; le pape est un tyran et un orgueilleux. Rome est le nid de l’Antichrist, et de ce nid sortent ses enfants ».

Alors eut lieu une scène étrange et des plus touchantes. Cobham ayant recouvré son calme, se jeta à genoux sur les dalles, et levant ses mains vers le ciel, il dit : « Je me confesse à Toi, ô mon Dieu, Dieu vivant et éternel ! Je reconnais que, dans ma fragile jeunesse, je t’ai très gravement offensé par l’orgueil, la colère, l’intempérance et l’impureté. Dans ma colère, j’ai blessé plusieurs hommes, et j’ai commis beaucoup d’horribles péchés. C’est pourquoi, ô Seigneur ! j’implore ta miséricorde ». Puis se relevant, le visage baigné de larmes, il se tourna vers les assistants et dit : « Ainsi, bonnes gens, pour avoir violé la loi de Dieu, ces hommes ne m’ont jamais maudit ; mais maintenant à cause de leurs propres lois et de leurs traditions, ils me traitent, et d’autres avec moi, de la manière la plus cruelle ».

Lorsque la cour se fut remise de l’émotion causée par cette scène, elle examina le noble témoin de Christ touchant sa foi et sur les quatre points qui formaient le fond de l’accusation portée contre lui. Le premier concernait la présence réelle de Christ dans l’eucharistie. Cobham s’en tint aux Écritures, tandis que ses adversaires en appelaient aux décisions de l’Église.

« Que pensez-vous de la sainte Église ? » lui demanda Arondel.

« La sainte Église », répliqua Cobham, « est l’ensemble de tous ceux qui seront sauvés et dont Christ est le Chef ».

« Que dites-vous du pape ? » demanda un des docteurs.

« Lui et vous tous ensemble », répondit Cobham, « vous composez le grand Antichrist. Le pape est la tête ; vous, les évêques, les prêtres et les prélats et les moines, vous formez le corps, et les moines mendiants sont la queue, car ils cachent par leurs sophismes la méchanceté de tous ».

L’évêque de Londres dit : « Vous savez bien que Christ est mort sur une croix matérielle ».

« Oui », dit Cobham, « et je sais aussi que notre salut n’est pas venu par cette croix matérielle, mais par Celui-là seul qui est mort sur cette croix. Et je sais que le bienheureux saint Paul ne se glorifiait en aucune autre croix que dans les souffrances et la mort de Christ ».

L’habile primat espérait encore arriver à convaincre par ses sophismes et ceux des prêtres le vieux chevalier ; mais tous ses efforts furent vains. « Je ne puis croire autrement que ce que j’ai dit ; faites de moi ce que vous voudrez », dit Cobham.

Comme la nuit approchait, l’archevêque se leva et dit que l’accusé devait se soumettre à l’Église, ou que la loi aurait son cours. Le visage tout en larmes, Cobham dit encore : « Je ne puis autrement. Je ne désire pas votre absolution. C’est du pardon de Dieu que j’ai besoin ».

Alors tous se levèrent et se découvrirent, et le primat lut à haute voix la sentence de mort. Lorsqu’il eut terminé, le courageux chevalier dit : « C’est bien ; vous pouvez tuer mon corps, mais vous n’avez aucun pouvoir sur mon âme. J’en appelle à la grâce de mon Dieu éternel ». Il s’agenouilla encore une fois et pria pour ses ennemis. Il fut condamné à être brûlé comme hérétique, et ramené à la Tour. Cinquante jours de délai furent accordés avant l’exécution du jugement. Dans l’intervalle ses ennemis ne restèrent pas inactifs. Les lois iniques de l’Église et de l’État avaient mis leurs victimes entre leurs mains, que pouvaient-ils désirer de plus ? Ils tenaient à leur faire abjurer leurs soi-disant erreurs. Mais comme Cobham ne le voulait ni ne le pouvait, ils le firent pour lui, et par une fausseté aussi méchante qu’abominable, ils prétendirent qu’il avait rétracté ses hérésies et rendu hommage à Jean XXIII, l’un des trois papes rivaux, et un homme exécrable s’il en fût. Mais peu de personnes crurent à leur mensonge.

Cependant, avec l’aide de quelques amis et la connivence du gouverneur de la Tour, Cobham réussit à s’échapper et se réfugia dans le pays de Galles. Les Lollards n’avaient nullement été découragés par la captivité de Cobham. Ils avaient continué à répandre leurs doctrines avec le plus grand zèle. Mais les prêtres exaspérés, voulant arrêter leurs progrès et mettre un terme à « la contagion de leur enseignement », comme ils disaient, firent courir le bruit de complots et d’un soulèvement général des Lollards. « Lord Cobham », disaient-ils, « est leur chef, et leur but est de détrôner le roi, de tuer la famille royale, de renverser le gouvernement de détruire toutes les cathédrales et de confisquer les biens de l’Église ».

Le roi s’émut à la pensée du danger prétendu qu’il courait, et rendit des lois encore plus sévères contre les malheureux confesseurs de Christ. Une grande réunion de prédication devait avoir lieu hors des portes de Londres. On la signala au roi comme un commencement d’exécution du complot. Il sortit en personne à la tête d’une armée contre cette foule désarmée d’hommes, de femmes et d’enfants, qui n’offrirent aucune résistance. Plusieurs furent taillés en pièces, d’autres furent faits prisonniers ; parmi eux sir Roger Ashton, un des fidèles compagnons de Wiclef, et vingt-huit autres qui furent exécutés comme traîtres. Quant à Cobham, on offrit mille marcs de récompense à qui le livrerait, vivant ou mort. Mais il était si grandement estimé que personne, durant les quatre années qu’il erra de lieu en lieu, ne mit les mains sur lui. À la fin, il fut trahi par Lord Pewis qui obtint le prix du sang du noble martyr.

On le ramena à la Tour, et il fut appelé à comparaître devant les Lords qui le condamnèrent à une mort cruelle comme coupable de trahison et d’hérésie. Il devait être brûlé à petit feu.

Le jour de l’exécution arriva. On le fit sortir de prison les mains liées derrière le dos. Une sainte joie brillait sur son visage. La sentence fut exécutée, accompagnée de toutes les marques possibles d’ignominie. On plaça sur une claie l’ancien favori du roi Henri IV, et on le traîna à travers les rues jusqu’à Saint-Gilles. Beaucoup de personnes de qualité se trouvaient là comme spectateurs, ainsi qu’une foule du peuple. Arrivé au lieu du supplice, Cobham s’agenouilla et pria encore pour ses persécuteurs. Puis il se tourna vers la foule et l’exhorta sérieusement à suivre les enseignements de la sainte parole de Dieu, et à se garder de ces faux docteurs dont la vie et la conduite étaient en si complète opposition avec Christ et son esprit.

Comme on lui offrait l’assistance d’un prêtre, il la refusa en disant : « C’est à Dieu seul, qui est présent maintenant comme toujours, que je veux confesser mes péchés ; c’est à Lui que je veux en demander le pardon ». Beaucoup des assistants fondaient en larmes, et prièrent avec lui et pour lui. En vain les prêtres affirmaient qu’il souffrait comme hérétique et ennemi de Dieu. Le peuple croyait Cobham plus que les prêtres.

Par un raffinement de cruauté, on l’avait suspendu par des chaînes attachées autour de son corps, au-dessus d’un feu qui brûlait lentement, afin que le supplice durât plus longtemps. « Rendez grâces à Dieu », furent les dernières paroles que l’on pût entendre sortir de la bouche du martyr dans ses souffrances indicibles. Enfin la mort y mit un terme, et l’esprit bienheureux du fidèle témoin alla près du Seigneur, en attendant le moment de la glorieuse résurrection.

« Ainsi », dit un chroniqueur, « est allé reposer le vaillant chevalier sir John Oldcastle, sous l’autel de Dieu, qui est Jésus Christ, avec la sainte compagnie de ceux qui, dans le royaume de patience, ont souffert une grande tribulation et la mort pour sa parole et son témoignage. Ils attendent auprès de Lui que leur nombre soit complet et la pleine rédemption des élus ».

Depuis ce temps les prisons de Londres regorgèrent de Wiclefites, qui furent livrés sans défense à la haine de leurs ennemis. « Qu’ils soient pendus pour offense au roi, et brûlés pour offense à Dieu », disaient les prêtres de Rome. Ceux qui échappaient à la prison et à la mort, étaient forcés de se réunir en secret. Mais Dieu se servit de cette victoire apparente de l’ennemi pour affaiblir dans les esprits d’un grand nombre la puissance et l’influence de la papauté, et pour frayer ainsi la voie à la Réformation dans le siècle suivant. La piété, la patience et la fermeté inébranlable des témoins de Jésus, faisaient une impression profonde sur les cœurs de plusieurs, tandis que la rage de persécution y semaient le mécontentement et le doute.

Henri Chicheley qui succéda à Arondel comme archevêque de Canterbury, le dépassa en zèle pour l’extermination des Lollards. Arondel semble avoir été frappé par un jugement de Dieu. Peu de temps après avoir prononcé la sentence de mort de Lord Cobham, il fut atteint d’une maladie incurable de la gorge qui le conduisit en peu de temps au tombeau.

Nous verrons plus loin comment d’autres témoins de Christ en Angleterre souffrirent pour son nom.
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016, 20:54

Jean Huss


C’est en Bohême que fut suscité, après la mort de Wiclef, celui qui, avec ce dernier, fut un des principaux précurseurs de la Réformation. La Bohême est en grande partie habitée par une population de race slave. Le christianisme y fut introduit dans le 11° siècle, à l’époque des guerres de Charlemagne. C’est vers les années 820 à 826, que le moine Urolf évangélisa la partie est de la Bohême, nommée Moravie, et qui, à cette époque, était un royaume gouverné par ses propres princes, mais plus ou moins sous l’influence des princes allemands voisins. L’Église romaine y prédominait alors ; le culte se célébrait en langue latine, et la religion ne consistait guère qu’en formes et en cérémonies qui laissaient le peuple dans l’ignorance des vérités de l’Écriture. En 863, les princes moraves Rastislav, Svatopluk et Kotzel, voulant à la fois s’affranchir de la tutelle des princes allemands et du joug de Rome, envoyèrent à l’empereur grec de Constantinople des messagers pour lui dire : « Notre peuple est baptisé, mais nous n’avons pas de docteurs pour nous instruire et pour traduire les Saintes Écritures dans notre langue. Envoyez-nous quelqu’un qui nous explique les Écritures ».

Il y avait alors deux frères, nés dans le premier quart du 9° siècle, nommés Méthodius et Constantin. Ce dernier, à la fin de sa vie, prit le nom de Cyrille. Ils étaient fils d’un homme riche et considéré, peut-être d’origine slave. Il leur avait fait donner une éducation soignée, et ils avaient acquis la connaissance de plusieurs langues, entre autres de la langue slave. Constantin, le plus jeune, remarquable par sa science, se voua à l’état ecclésiastique. Méthodius fut d’abord un homme du monde. Il avait servi dans l’armée, et l’empereur lui avait confié l’administration d’une principauté slave. Mais après quelques années, Méthodius abandonna le monde, se fit moine et se retira dans un couvent où son frère vint le rejoindre. Mais ce n’était pas pour rester inactifs. Les missionnaires de ces temps-là, soit dans l’église latine, soit dans l’Église grecque, sortaient tous des couvents, et portaient le christianisme chez les nations encore païennes du nord et de l’est de l’Europe. Constantin avait commencé une mission chez les Bulgares, et vers l’an 860, les deux frères furent envoyés par l’empereur grec Michel, sur la demande du prince des Khazares, vers ce peuple qui habitait la Crimée et les bords du Don, pour l’instruire et le convertir.

C’est après cette mission que, pour répondre au désir des princes moraves, l’empereur leur envoya Méthodius et Constantin. Les deux frères furent bien accueillis par le prince et son peuple à Velegrad, maintenant Olmütz, ou Olomouc, en Moravie. Dès qu’ils furent arrivés, ils se mirent à prêcher l’Évangile dans la langue slave commune à la Bohême et à la Moravie, et à instruire la jeunesse. Le culte divin fut aussi célébré dans la langue vulgaire. Le zèle et la piété des missionnaires amenèrent, par la grâce de Dieu, beaucoup de conversions ; des églises et des écoles s’élevèrent de toutes parts. Méthodius et Constantin perfectionnèrent l’alphabet et l’écriture slaves, et complétèrent la version de la Bible dont ils avaient déjà traduit quelques portions longtemps auparavant.

Ils poursuivirent leurs travaux en Moravie et dans le reste de la Bohême, malgré l’opposition des prêtres romains. Ceux-ci, chose étrange à dire, n’admettaient pas qu’on pût louer Dieu en d’autres langues que l’hébreu, le grec et le latin. Or Méthodius et Constantin, sans se détacher de l’Église romaine qui, alors, était encore unie à l’Église orientale grecque, étaient avant tout préoccupés du désir d’amener des âmes à Christ. Ils croyaient avec raison que le peuple ne pouvait être édifié et consolé que dans sa langue maternelle, et à cause de cela, ils tenaient à se servir, dans le culte, de la liturgie en langue slave.

Leurs différends avec les prêtres romains les amenèrent à entreprendre un voyage à Rome pour exposer leurs vues au pape Adrien II. Celui-ci les reçut avec cordialité et les approuva. Il rétablit même en faveur de Méthodius, l’évêché de Pannonie dont le siège était à Blatno, maintenant Mosaburg, près du lac Balaton. De là, Méthodius évangélisa jusqu’en Croatie où la liturgie slave s’est conservée jusqu’à ce jour. Quant à Constantin, épuisé par ses travaux, il mourut à Rome en 869, dans un couvent où il s’était retiré, et où il avait pris le nom de Cyrille.

Méthodius ne jouit pas en paix de la position et des privilèges que le pape lui avait accordés. Il fut accusé par les archevêques et les prêtres allemands d’avoir porté atteinte aux droits de l’évêque de Salzburg sur la Pannonie, et subit un emprisonnement de trois années. Mais la Moravie étant tombée sous la domination de Svatopluk, il put se rendre de nouveau à Rome en 881, se justifia devant le pape, et reçut de celui-ci plein pouvoir pour continuer ses travaux. Il mourut à Olmütz en 885, après une vie consacrée d’une manière infatigable au service de Dieu.

Après sa mort, le parti allemand reprit le dessus et chassa les prêtres slaves. Le rituel latin s’introduisit de nouveau graduellement, et les deux pays, la Bohême et la Moravie, tombèrent de plus en plus sous la domination du pontife romain. En 967, le pape Jean XIII y rétablit la hiérarchie romaine et tous les abus de son église. En 1079, le pape Grégoire VII défendit l’usage de la liturgie orientale, c’est-à-dire de l’Église grecque, définitivement séparée de l’Église romaine, et la célébration du culte en langue vulgaire. Depuis ce temps, le Romanisme prévalut, et tout ce qui ressemblait à une religion vitale et scripturaire disparut à peu près. On ne peut cependant douter qu’au milieu de beaucoup de ténèbres, d’erreurs et de superstitions, Dieu n’eût dans ces pays un résidu fidèle qui recevait la vérité et retenait la foi de l’Évangile. Cela doit avoir été le cas, car en quelques endroits la langue vulgaire ne cessa pas d’être employée dans le culte public, et la Cène d’être donnée sous les deux espèces. Quelques-uns des puissants seigneurs étaient aussi favorables à l’Évangile et protégeaient leurs frères pauvres, comme aussi les Vaudois qui, exilés de leurs vallées natales, s’étaient réfugiés en Bohême, et contribuaient à y répandre la précieuse semence de la parole de Dieu.

Ce que nous venons d’exposer nous aidera à comprendre l’histoire de Huss.

Nous avons déjà fait allusion au triste état dans lequel se trouvait la chrétienté en Occident à la fin du 14° et au commencement du 15° siècle. Nous en dirons encore quelques mots avant de nous occuper de Jean Huss qui vécut à cette époque.

Au commencement du 15° siècle, l’Église catholique romaine, en dépit de l’unité dont elle se vante, avait à sa tête deux papes opposés l’un à l’autre. Benoît XIII avait sa résidence à Avignon, et Grégoire XII, à Rome. Cet état de choses durait depuis l’époque où Philippe le Bel, roi de France, après avoir humilié la papauté dans la personne de Boniface VIII, avait obligé le pape Clément V à transférer à Avignon le siège pontifical, afin que les papes demeurassent sous la puissance des rois de France. Mais un certain temps après, sous l’influence de l’empereur allemand, les Romains élirent un autre pape, celui d’Avignon refusant de retourner à Rome. Soit le pape d’Avignon, soit celui de Rome, prétendaient être les vicaires de Christ sur la terre, et s’accusaient l’un l’autre devant le monde entier d’hypocrisie, de parjures, et des desseins secrets les plus honteux. Ces princes de l’Église, Benoît XIII et Grégoire XII, bien qu’étant des vieillards d’environ soixante-dix ans, avaient une conduite telle que l’Europe entière en était scandalisée. Que faire pour guérir les plaies de l’Église et rétablir l’unité brisée ? Les deux papes promettaient bien et juraient même d’abdiquer leur dignité, si les intérêts de l’Église le réclamaient ; mais ils trouvaient bientôt un prétexte pour manquer à leur parole.

Alors les cardinaux des deux partis se réunirent à Livourne, afin de se consulter sur les moyens de mettre un terme à ce schisme affligeant. Ils arrivèrent à la conclusion que, dans les circonstances présentes, ils avaient le droit de convoquer un concile qui déciderait entre les deux prétendants au siège de Pierre et rétablirait ainsi l’unité de l’Église. La ville de Pise en Italie fut choisie pour le lieu où le concile se réunirait. Bien que ce fût une chose inusitée qu’un concile fût convoqué sans l’approbation du pape ou de l’empereur, toute l’Église approuva la mesure que les cardinaux avaient prise. Les papes furent ainsi privés de leur plus haut privilège, et appelés à répondre devant un nouveau tribunal ; mais ils avaient tellement perdu l’estime de la chrétienté, que tout le monde applaudit à la résolution des cardinaux.

Le concile s’ouvrit le 25 mars 1409 et fut un des plus remarquables que mentionne l’histoire de la chrétienté, soit par le nombre, soit par la qualité de ceux qui y assistèrent. On y comptait vingt-deux cardinaux, quatre patriarches latins, douze archevêques et quatorze représentants d’archevêques, quatre-vingts évêques et cent deux représentants, quatre-vingt-sept abbés et deux cents représentants, un grand nombre de prieurs, le grand maître des chevaliers de Rhodes et seize commandeurs du même ordre, des députations de toutes les universités, plus de trois cents docteurs en théologie, et des envoyés des rois et princes de l’Europe. Que ne devait pas accomplir une assemblée si respectable ? Les séances durèrent du mois de mars jusqu’à la fin du mois d’août. Après beaucoup de délibérations, les deux papes furent jugés à l’unanimité. Le 5 juin, la sentence fut rendue. Tous deux furent déclarés hérétiques, parjures, opiniâtres, incapables d’exercer l’autorité suprême et illimitée du pouvoir papal, et même indignes d’occuper aucune dignité. Le siège de Pierre fut déclaré vacant, et il s’agit alors de choisir un nouveau pape, chose plus difficile que de déposer les deux autres. Les vingt-quatre cardinaux chargés de faire ce choix, portèrent leurs suffrages sur Pierre de Candia, cardinal de Milan, qui fut élu sous le nom d’Alexandre V. Mais les deux papes d’Avignon et de Rome rejetèrent la décision du concile et continuèrent à exercer leurs fonctions comme papes légitimes, lançant l’un et l’autre leurs malédictions et leurs excommunications contre le concile et le nouveau pape leur rival. Il y eut donc trois papes. Le concile, loin de guérir le schisme, l’avait agrandi. Où était l’unité de l’Église romaine ? Où la succession apostolique, fondement de cette unité ? Alexandre V ne vécut qu’un an après son élection. À sa place on nomma Jean XXIII, homme, de l’aveu des écrivains les plus sérieux, sans principes, sans mœurs, et sans aucune crainte de Dieu.

Les difficultés furent plus grandes que jamais. Qu’y avait-il à faire ? pouvait-on encore se demander. La papauté semblait en danger de sombrer. Le pape lui-même était insuffisant pour rétablir la paix dans l’Église. L’empereur allemand Sigismond résolut d’intervenir, montrant ainsi pour le bien de l’Église plus d’intérêt que les papes. D’accord avec le roi de France et d’autres souverains, il engagea Jean XXIII à convoquer un concile général de toute l’Église, afin de mettre un terme aux luttes funestes qui l’agitaient.

La ville impériale de Constance fut choisie pour recevoir dans ses murs l’auguste assemblée. L’afflux de personnes de toutes conditions, attirées dans la ville pour cette occasion, était si grand, qu’on compte que le nombre de chevaux qui amenèrent les assistants était de trente mille. Outre les nombreux dignitaires de l’Église, plus de cent princes, cent huit comtes, deux cents barons et vingt sept chevaliers s’étaient rendus à l’invitation du pape. Des tournois, des fêtes, des plaisirs de toutes sortes se succédaient pour délasser les membres du concile de leurs occupations spirituelles. Cinq cents chanteurs avaient été rassemblés, prêts à charmer les heures de loisir des saints prélats et des gentilshommes, et à restaurer leurs esprits. Tous ces princes de l’Église, tous ces ecclésiastiques et ces grands de la terre étaient réunis afin de se consulter pour la guérison de la plaie mortelle de la papauté, mais à part quelques exceptions, l’histoire nous rapporte quelle fut la conduite abominable, l’impiété, la honteuse hypocrisie de ces soi-disant saints prêtres, et les faits scandaleux dont la ville de Constance fut témoin durant les trois ans et demi que dura le concile commencé le 5 novembre 1414, sans parler de l’impie mise à mort des deux témoins de Christ, Jean Huss et Jérôme de Prague.

Le but du concile de Constance était double : en premier lieu, il s’agissait de mettre un terme au schisme, et secondement, de réprimer ce que l’on nommait les hérésies de Wiclef et de Huss. On se proposait bien aussi de réformer certains abus dans l’Église, mais il semble qu’à cet égard les choses restèrent dans le même état. Quant au premier point, après avoir établi qu’un pape est assujetti au jugement d’un concile général de l’Église, le pape Jean XXIII fut déposé à cause de sa vie immorale et de son parjure vis-à-vis de l’empereur. Grégoire et Benoît subirent le même sort et s’y résignèrent. À leur place, on élut Othon di Colonna, sous le nom de Martin V. Nous avons donné ces détails pour montrer ce qu’était alors celle qui s’appelle la sainte Église catholique.

Pour ce qui regarde les soi-disant hérésies abhorrées de Wiclef et de Huss, nous verrons comment le concile agit pour les réprimer.

Remarquons seulement ici combien, au point de vue de l’Église romaine, le danger était grand. Les précieuses vérités de l’Évangile, en dépit des tortures et des bûchers de Rome, avaient jeté de profondes racines dans des milliers et des centaines de milliers de cœurs, et s’étaient répandues dans presque tous les pays de l’Europe. En l’an 1416, à ce même concile de Constance, un an avant le martyre de Cobham et trente-six ans après que Wiclef eut traduit la Bible, l’archevêque de Lodi déclarait que les hérésies de Wiclef et de Huss avaient trouvé de zélés partisans presque partout en Angleterre, en France, en Italie, en Hongrie, en Russie, en Lithuanie, en Pologne, en Allemagne, et dans toute la Bohême. Ainsi, un ennemi déclaré rendait, sans le savoir ou sans y penser, témoignage à la puissance merveilleuse de la parole de Dieu. L’homme ne peut rien contre la vérité.

Indépendamment des semences de vérité qui étaient restées cachées en Bohême, comme nous l’avons fait remarquer, une circonstance spéciale contribua à réveiller les esprits et à préparer la voie à la réception de l’Évangile. En 1382, deux ans avant la mort de Wiclef, la princesse Anne de Luxembourg, avait épousé Richard II, roi d’Angleterre. Anne était une femme pieuse qui aimait et sondait les Écritures. Son mariage établit entre les deux pays des relations étroites dans un temps où les enseignements de Wiclef se répandaient avec une rapidité extraordinaire. Des hommes savants de Bohême, entre autres Jérôme de Prague, allèrent à l’Université d’Oxford, et à leur retour dans leur pays y rapportèrent plusieurs des écrits de Wiclef que l’on traduisit en latin et en langue bohème. Ce qui valait davantage, plusieurs avaient reçu dans leur cœur les vérités enseignées par le réformateur. D’un autre côté, des étudiants anglais se rendirent aussi à l’Université de Prague et apportèrent avec eux les livres de Wiclef. La reine Anne elle-même favorisait ce mouvement religieux. Après sa mort, qui eut lieu en 1394, plusieurs des personnes qui l’avaient suivie revinrent en Bohême, et contribuèrent aussi à répandre les doctrines évangéliques. Elles pénétrèrent ainsi jusque parmi les membres de l’Université qui se mirent à lire et à examiner les livres qui les renfermaient. Du nombre de ces docteurs se trouvait Jean Huss, dont nous allons maintenant nous occuper.

Jean Huss naquit le 6 juillet 1369 (d’autres disent en 1373), dans la petite ville de Hussinetz, d’où il tira son nom, située au sud de la Bohême près des frontières de la Bavière. Ses parents étaient d’humble extraction, comme le furent ceux de Luther. Ils purent cependant l’envoyer faire ses études à l’Université de Prague. On raconte que lorsque sa mère le conduisait à l’Université (son père étant déjà mort), elle apportait au recteur un présent qu’elle perdit dans le voyage. Très affligée de cette perte, elle se mit à genoux à côté de son fils, le recommanda au Tout-Puissant et invoqua sur lui sa bénédiction. Sa prière fut exaucée, mais elle ne vécut pas assez longtemps pour voir combien richement Dieu lui répondit.

La carrière universitaire de Huss fut brillante. Il se distingua de bonne heure par une grande intelligence et en même temps par sa modestie, sa fermeté et sa conduite irréprochable. Il était d’un abord doux et affable et gagnait les cœurs de tous ceux qui s’approchaient de lui. Pendant ses années d’étude, il se montra très attaché à la papauté ; il était un fils dévoué de l’Église de Rome et avait une foi entière dans la vertu des sacrements. Ainsi à l’époque du jubilé de Prague en 1393, il donna ses dernières pièces de monnaie au confesseur de l’église de Saint-Pierre. Comme les écrits de Wiclef étaient déjà répandus en Bohême, Huss, comme nous l’avons dit, en eut connaissance ; mais il ne lut d’abord que ses œuvres philosophiques qu’il étudia soigneusement.

Huss était entré dans les ordres, et se fit distinguer bientôt par ses remarquables capacités. Il fut revêtu successivement des grades universitaires : maître es arts, professeur à l’Université et enfin doyen de la faculté de philosophie. Sa renommée étant parvenue jusqu’à la cour du roi Wenceslas, la reine Sophie de Bavière le choisit pour son chapelain.

Jusqu’alors rien n’annonçait en Huss un réformateur, bien que sans doute il vît les abus de l’Église romaine et la corruption, non seulement des nobles et du peuple, mais aussi du clergé. Mais en 1402, il fut nommé prédicateur de la chapelle de Bethléem. C’était un édifice pouvant contenir 3000 personnes, élevé en 1392 par un riche citoyen de Prague, agréé par le roi et l’archevêque, et destiné uniquement par le fondateur à la prédication en langue bohème. Il disait : « Lorsque Christ apparut à ses disciples après sa résurrection, il leur donna commission de prêcher la parole de Dieu, de manière à conserver constamment sa mémoire vivante dans le monde ». Dès le moment où Huss commença à prêcher dans la chapelle de Bethléem, et qu’il eut à sonder davantage la parole de Dieu, un grand changement semble s’être opéré en lui, graduellement toutefois. On peut dire qu’il fut alors converti à Dieu. En même temps, Dieu appliquait la vérité à l’âme de ses auditeurs.

Selon un écrivain contemporain, la condition morale des habitants de Prague à cette époque, était la plus basse possible. « Le roi », dit-il, « les nobles, les prélats, le clergé, les citoyens, s’abandonnaient sans contrainte à l’avarice, à l’orgueil, à l’ivrognerie, à la débauche et à tous les vices. Au milieu de cette corruption Huss se leva, réveillant les consciences par sa parole. C’était tantôt contre les prélats, tantôt contre les nobles, puis contre le clergé inférieur, qu’il dirigeait ses coups ». Ainsi Dieu s’était suscité un champion pour combattre le mal et l’erreur. C’est alors aussi que Huss lut les écrits théologiques de Wiclef et qu’il les étudia sérieusement, admirant la piété de l’auteur et d’accord avec lui dans les réformes que celui-ci demandait. « Je suis attiré par ses écrits », disait-il, « car il s’y efforce avec énergie à ramener tous les hommes à la loi du Christ, et spécialement le clergé, invitant ce dernier à renoncer à la pompe mondaine et à vivre comme les apôtres et selon l’exemple de Christ ».

Huss était appelé à prêcher fréquemment dans la chapelle de Bethléem. Aux nombreux jours de fête de l’Église, il le faisait souvent deux fois dans la même journée, et toujours en langue vulgaire. Il devait ainsi étudier de plus près la parole de Dieu et creuser toujours plus profondément dans la mine inépuisable des vérités qu’elle renferme ; de cette manière il en acquérait une conception de plus en plus claire et croissait rapidement dans la connaissance des choses divines, en s’imprégnant de l’esprit de la Parole infaillible. Ce qu’il recevait ainsi intérieurement par la Parole et l’Esprit de Dieu, il le répandait au-dehors dans ses prédications qui exerçaient une puissante action sur ses auditeurs. Plusieurs étaient saisis par la vérité, d’autres s’y opposaient, ainsi qu’à celui qui l’annonçait. Mais Huss trouva dans l’archevêque et dans la reine des protecteurs, de sorte qu’en dépit de l’opposition de ses ennemis, il put continuer à prêcher, proclamant les vérités de la Sainte Écriture, et en appelant constamment à elle pour justifier ce qu’il disait. Autour de lui se formait et s’accroissait toute une communauté d’âmes pieuses qui avaient soif des eaux vives de la grâce et faim du pain de vie, qui est Christ. Huss était un vrai pasteur d’âmes, surtout pour les gens des classes les plus humbles qui venaient à lui avec une conscience troublée que l’absolution du prêtre ne soulageait pas. Il n’avait pas conscience du mouvement qui commençait par son moyen, et ignorait où il serait conduit. Il était entré, sans en avoir l’idée, dans la voie de la Réformation que Dieu opéra plus tard.

Un événement vint, vers ce temps-là, jeter dans les esprits à Prague des pensées propres à ébranler la foi en l’autorité du pape. Dans cette ville arrivèrent deux gradués d’Oxford, disciples de Wiclef, nommés James et Conrad de Canterbury. Ils tinrent des disputes publiques sur la doctrine de la primauté du pape. Les choses n’étaient guère mûres pour une tentative aussi hardie, et les autorités de la ville leur enjoignirent le silence. Mais ils savaient peindre aussi bien que parler, et leurs pinceaux se montrèrent pleins d’éloquence. Avec l’assentiment de leur hôte, ils peignirent dans le vestibule de la maison, d’un côté l’entrée du Seigneur à Jérusalem, « débonnaire et monté sur le poulain d’une ânesse », et de l’autre la magnificence plus que royale d’un cortège pontifical. On y voyait le pape portant la triple couronne, couvert de vêtements resplendissants d’or et brillants de pierres précieuses, monté sur un cheval richement caparaçonné, précédé de trompettes proclamant sa venue, et suivi d’un cortège nombreux de cardinaux et d’évêques splendidement vêtus.

Ces peintures parlaient aussi haut que des discours, et le contraste qu’elles présentaient frappait chaque spectateur. Toute la ville fut émue ; une grande excitation fut produite, et les visiteurs anglais trouvèrent prudent de s’éloigner. Mais ils avaient fait naître des pensées qu’aucune autorité n’avait le pouvoir d’étouffer. On peut cependant se demander si les consciences et les cœurs étaient atteints par de semblables attaques contre l’erreur et les abus, et si la prédication pure et simple de la vérité comme elle est en Jésus, n’était pas bien préférable pour atteindre ce but et détacher les âmes d’un système antichrétien en les amenant à jouir du salut et de la paix.

Huss fut un de ceux qui vinrent voir les peintures des deux Anglais. Il s’en retourna tranquillement et se mit à étudier de plus près les écrits de Wiclef. Il fut d’abord effrayé des choses hardies qui étaient présentées contre les superstitions, les abus et les mensonges de l’Église de Rome, mais il fut enfin convaincu.

Dieu avait donné à Huss pour le soutenir au milieu des luttes que bientôt il eut à rencontrer, un ami fidèle dans la personne de Jérôme de Faulfisch, plus connu sous le nom de Jérôme de Prague. Il était, comme nous l’avons dit, un des étudiants de Bohême qui étaient allés à Oxford, et là il avait été converti aux vérités de l’Évangile exposées par Wiclef. De retour dans son pays natal, il avait répandu les écrits du réformateur anglais, et, dans des discussions publiques, il avait soutenu les doctrines de la foi selon l’Écriture. Bientôt l’université de Prague fut partagée en deux camps ; les uns tenant pour les principes de Wiclef, les autres s’y opposant. L’attention des chefs de l’université fut éveillée, et en mai 1403, une réunion eut lieu pour examiner quarante-cinq propositions tirées, disait-on, des écrits de Wiclef. L’université était partagée en nations Bohême, Bavière, Saxe et Pologne chacune ayant une voix quand on votait sur quelque sujet. La Bavière, la Saxe et la moitié de la Pologne étant de langue allemande, pouvaient toujours avoir la majorité sur les Bohémiens. Dans le cas présent, le parti allemand l’emporta pour condamner les propositions de Wiclef, auxquelles plusieurs de ceux de Bohême étaient favorables. Il fut défendu sous peine du feu de les répandre et de les professer. Huss se contenta de nier que ces propositions se trouvassent dans Wiclef. Jusqu’alors Huss avait surtout attaqué dans ses prédications les désordres dans les mœurs de la cour, du peuple et du clergé, et insisté sur une réforme nécessaire à cet égard, en prêchant en même temps toujours plus clairement le salut gratuit par Jésus Christ.

Ce qui contribua surtout à ouvrir les yeux de Huss sur les impostures de Rome, fut le soi-disant miracle de Wilsnack. Dans cet endroit, situé en Prusse, dans la province de Brandebourg, se trouvaient les restes d’un ancien autel faisant partie d’une église détruite autrefois, sans doute dans quelque guerre. Vers l’an 1403, dans cet autel on découvrit trois des hosties qui servent à célébrer l’eucharistie dans l’Église romaine. Quand on les trouva elles étaient d’une couleur rougeâtre. Or nous savons que les catholiques romains disent que quand les hosties ont été consacrées par le prêtre, elles sont changées dans le corps et le sang du Seigneur, et qu’ainsi le corps et le sang du Seigneur sont dans l’hostie. Quand donc on vit ces hosties rouges, on crut que le sang de Christ était devenu visible, que les hosties étaient teintes du même sang qui coulait dans les veines du Seigneur quand il était sur la terre. Le bruit de ce fait se répandit. On dit que c’était un miracle que chacun pouvait venir contempler, et les foules accoururent. Le clergé de l’endroit encouragea la croyance à ce soi-disant miracle. Il y trouvait son profit, car Wilsnack devint un « lieu saint », où de toutes parts, de la Suède, de Norvège, de Hongrie, de Pologne et de toute la Bohême, on venait en pèlerinage avec de riches offrandes. Des miracles, disait-on, s’accomplissaient près de l’autel par la vertu des saintes hosties. Un fait montrera jusqu’où allait l’imposture de certains. Un citoyen de Prague qui avait une main estropiée, s’était fait faire une main en argent et l’avait suspendue dans l’église comme offrande votive en l’honneur des hosties sanglantes, ainsi qu’on les appelait. Il était resté quelques jours dans l’endroit, très probablement inconnu des prêtres, et en réalité pour mettre à l’épreuve leur honnêteté. Mais un jour il fut surpris d’apprendre que l’un d’entre eux avait déclaré publiquement que cette main en argent avait été offerte comme mémorial de la guérison miraculeuse de la main malade du donateur. Le pauvre homme ne put supporter cette fausseté ; il étendit devant tous sa main aussi malade que jamais, au grand déshonneur du prêtre, mais par là éclairé lui-même ainsi que plusieurs autres.

Les foules ne cessaient cependant pas d’accourir et de se prosterner autour des hosties sanglantes. L’archevêque de Prague Zbynek, qui au moins était un honnête homme, avait des doutes quant aux hosties et aux miracles qui s’opéraient dans ce lieu. Il nomma, pour examiner l’affaire, trois commissaires dont l’un était Huss. Après une minutieuse investigation, ils rapportèrent que les miracles n’avaient rien de réel, et que les hosties n’étaient pas teintes de sang. Elles ne devaient leur apparence rougeâtre qu’à la moisissure provenant de l’humidité où elles avaient été exposées. L’archevêque défendit dans tout son diocèse les pèlerinages à Wilsnack.

Jusqu’alors l’archevêque et Huss avaient été en bons termes, mais cette entente ne dura pas. Bien que Zbynek eût déclaré en 1405, qu’il n’y avait point d’hérésie en Bohême, quelques membres du clergé avaient été accusés d’être favorables aux principes de Wiclef, et l’archevêque les avait sommés de répondre à l’accusation. L’un d’entre eux, Nicolas de Welenowitz, fut jeté en prison, puis, ayant été relâché, il fut banni du diocèse. Huss prit en mains sa cause et écrivit à l’archevêque une lettre où il blâmait sa conduite. « Comment ! » disait-il, « des hommes souillés de sang, coupables de toutes sortes de crimes, marchent dans les rues avec impunité, tandis que d’humbles prêtres, qui font tous leurs efforts pour combattre et détruire le péché, qui accomplissent leurs devoirs sous votre direction ecclésiastique, qui, pleins de bonté, fuyant l’avarice, s’adonnent gratuitement au service de Dieu et à la proclamation de sa Parole, sont jetés dans les cachots comme hérétiques, et doivent subir l’exil pour avoir prêché l’Évangile ! » Un langage aussi courageux ne pouvait manquer de faire de l’archevêque Zbynek un ennemi de Huss et fournissait un prétexte pour accuser celui-ci d’être un partisan de Wiclef.

La lutte entre les partis qui existaient dans l’université de Prague n’avait point cessé. Le roi Wenceslas l’aggrava en rendant un édit qui donnait trois votes aux Bohémiens et un seul aux étrangers. Les Allemands résolurent, si le roi maintenait son édit, de quitter Prague. Le roi refusant de revenir sur ce qu’il avait décidé, un grand nombre de professeurs et d’étudiants se retirèrent. Cela amena la fondation de l’université de Leipzig. Huss qui avait approuvé la décision du roi, fut nommé recteur de l’université de Prague. Ce fut un grief de plus contre lui de la part de l’archevêque qui, par le départ des Allemands, voyait se fortifier le parti de la réforme. D’un autre côté, ceux qui avaient quitté Prague répandaient partout que Huss était entaché d’hérésie.

Comme nous l’avons vu, le concile de Pise avait déposé les deux papes Grégoire XII et Benoît XIII, et avait élu Alexandre V. L’archevêque de Prague qui d’abord avait tenu pour Grégoire XII, reconnut le nouveau pape et obtint de lui une bulle contre tous ceux qui, en Bohême, soutenaient les doctrines de Wiclef. De plus, la bulle défendait toute prédication dans les chapelles privées et condamnait au feu les écrits de Wiclef. C’était évidemment contre Huss que le coup était dirigé. Sur ces entrefaites, Alexandre V mourut, empoisonné, dit-on, par son ami Balthasar Cossa, qui lui succéda sous le nom de Jean XXIII. Huss fit vainement appel au nouveau pape, et l’archevêque résolut d’en finir et de mettre à exécution la bulle d’Alexandre V.

Il commença par ordonner que tous les écrits de Wiclef lui fussent livrés dans un délai de six jours pour être examinés. Mais sans l’avoir fait, il déclara son intention de les brûler et, le 16 juillet 1410, malgré l’opposition de l’université et sous prétexte que le roi n’avait pas défendu leur destruction, il fit brûler devant son palais environ deux cents volumes des écrits de Wiclef et d’autres réformateurs. C’étaient des manuscrits de prix, ornés de belles enluminures, et avec des couvertures très riches. Cette exécution causa une grande indignation, et plusieurs en prirent l’occasion pour tourner l’archevêque en ridicule. Il était fort ignorant et dut apprendre à lire, dit-on, lorsqu’il entra en charge. On fit des chansons qui couraient dans les rues de Prague :

Notre archevêque doit apprendre

Son A, B, C,

Afin qu’il puisse au moins comprendre

Ce qu’il a brûlé.

Le roi défendit sous peine de mort de les chanter. Huss n’était pour rien en cela ; il se contenta de dire : « C’est une pauvre chose de brûler des livres. Cela n’a jamais ôté un seul péché du cœur des hommes. Si celui qui a condamné ces livres ne peut rien prouver contre eux, il a seulement détruit quelques vérités, plusieurs belles pensées, et cela n’a servi qu’à multiplier parmi le peuple les troubles, les inimitiés, les soupçons et les meurtres ». En effet, chose triste à dire, le sang avait coulé dans ces dissensions.

Quant à la défense de prêcher dans la chapelle de Bethléem, Huss ne pensait pas devoir obéir. Il estimait qu’il était protégé par l’acte de fondation de la chapelle, mais surtout il pensait qu’il devait obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Il disait : « Quelle autorité se trouve-t-il dans les saints écrits, ou sur quel fondement raisonnable peut-on se baser, pour défendre de prêcher dans un lieu si public et si convenable dans ce but, au milieu de la grande ville de Prague ? Au fond de tout cela il n’y a autre chose que la jalousie de l’Antichrist ». Huss comprenait et affirmait que l’appel divin à prêcher l’Évangile avait une autorité supérieure à n’importe quel appel de la part de l’homme. « Où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté ». Il continua donc ses prédications en laissant à Dieu les résultats.

Huss aurait désiré réformer les abus de l’Église de Rome à laquelle il était attaché et dont il ne se sépara jamais ouvertement ; mais comment faire au milieu de la confusion et des luttes qui régnaient dans l’Église ? Il avait à peser tout en présence de Dieu, et devait arriver, fortifié par Dieu, à prendre une résolution quant à ce qu’il avait à faire. Obéirait-il à Dieu pour autant qu’il avait compris sa volonté, et irait-il contre le courant, ou bien se laisserait-il aller avec le courant en évitant le mal autant qu’il le pourrait ?

Écoutons la conclusion à laquelle il arriva : « Afin de ne pas me rendre coupable par mon silence, abandonnant la vérité pour un morceau de pain ou par crainte des hommes, je déclare que mon dessein est de défendre même jusqu’à la mort la vérité que Dieu m’a rendu capable de connaître, et spécialement la vérité des saintes Écritures, puisque je sais que la vérité demeure, qu’elle est puissante à jamais, qu’elle subsiste éternellement, et qu’avec elle il n’y a point d’acception de personnes ». Noble résolution ! Au milieu des ténèbres qui alors couvraient l’Église, être déterminé à rester du côté de la lumière qui l’amènerait en collision avec les ténèbres et les puissances des ténèbres, c’était un vrai courage. Dieu seul pouvait l’inspirer à son fidèle témoin.

Nous avons vu que Huss en avait appelé au pape ; l’archevêque avait fait de même et fut écouté par le pape qui nomma le cardinal Othon di Colonna pour examiner le cas de Huss. Le cardinal somma Huss de comparaître à Bologne où se trouvait alors le pape. Là, le réformateur ne pouvait s’attendre qu’à une condamnation. La reine Sophie prit en main la cause de son confesseur, et le roi écrivit au pape et au cardinal en faveur de Huss, exprimant aussi sa volonté « que la chapelle de Bethléem à qui, disait-il, pour la gloire de Dieu et le salut du peuple, nous avons accordé des franchises pour la prédication de l’Évangile, subsiste, et soit confirmée dans ses privilèges… et que notre loyal, dévoué et bien-aimé Huss soit établi sur cette chapelle, et prêche en paix la parole de Dieu ». Le roi demanda aussi que Huss fût excusé de ne pas se rendre à Bologne.

Sur ces entrefaites, Colonna avait prononcé l’excommunication contre Huss pour n’avoir pas obéi à sa sommation, mais le pape, se rendant à la lettre du roi, ôta l’affaire à Colonna et nomma un autre commissaire. Cependant l’archevêque fit tous ses efforts pour persuader au pape de faire comparaître Huss devant lui, et lui envoya, ainsi qu’aux cardinaux, de riches présents. Le pape nomma alors le cardinal Brancas qui, sans l’avoir entendu, déclara Huss hérésiarque, c’est-à-dire chef d’hérétiques, et plaça sous l’interdit la ville de Prague où Huss résidait. L’archevêque triomphait, et, par ses ordres, le clergé se mit à fermer les églises (*). Mais ici encore le roi intervint et confisqua les biens du clergé qui voulait maintenir l’interdit. Le peuple aussi se souleva contre les prêtres.

(*) Dans toute ville placée sous l’interdit aucun service religieux ne pouvait être célébré.

Huss cependant, profitant de ce conflit, continua tranquillement son œuvre, laissant le roi s’arranger avec l’archevêque et le cardinal. Combien tout cela est remarquable et comme l’on peut y voir la main de Dieu qui s’étendait sur son serviteur pour le garder en se servant des passions des hommes. Car le roi au fond ne se souciait pas de la vérité, et était en réalité un très méchant homme, que ses sujets emprisonnèrent deux fois pour ses crimes. Le roi et l’archevêque en vinrent à un compromis. L’archevêque leva l’interdit et écrivit au pape qu’il n’y avait point d’hérésie en Bohême, et de son côté, le roi fit relâcher les ecclésiastiques qu’il gardait en prison et leur rendit leurs biens. La paix fut ainsi rétablie en quelque mesure. L’archevêque Zbynek quitta la Bohême en septembre 1411, et mourut peu de temps après.


Le pape Jean XXIII (*) avait envoyé en Bohême un légat pour recruter des partisans contre ses adversaires. Le légat demanda au nouvel archevêque Albic de faire comparaître Huss devant lui. Il demanda tout d’abord au réformateur s’il voulait obéir aux commandements apostoliques. « Certainement », dit Huss, « et de tout mon cœur ». Le légat, se tournant vers l’archevêque, lui dit : « Vous le voyez : le maître est tout prêt à obéir aux commandements apostoliques ». Mais Huss s’apercevant qu’on l’avait mal compris, dit : « Entendez-moi bien, monseigneur. J’ai dit que j’étais prêt à obéir de tout mon cœur aux commandements apostoliques ; mais j’appelle ainsi les doctrines des apôtres de Christ, et pour autant que les commandements du pape s’accordent avec elles, je m’y soumettrai très volontiers. Mais si je vois en eux quelque chose qui s’écarte de l’enseignement des apôtres, je ne leur obéirai pas, dussé-je voir le bûcher dressé devant moi ». Le légat n’insista pas ; il avait d’autres affaires et Huss échappa pour le moment.


(*) Voir plus haut. Ce Jean XXIII est considéré aujourd’hui comme illégitime — un antipape.
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Message  Arlitto Sam 11 Juin 2016, 20:55

Les Indulgences en Bohême


Nous avons dit que le légat auquel Huss avait fait une réponse si hardie et si sincère, avait d’autres affaires que de poursuivre le réformateur. En effet, il était chargé de procurer de l’argent à son maître, le pape Jean XXIII. Dans ce but, il était porteur d’une bulle papale qui accordait des indulgences à ceux qui aideraient le pape contre ses ennemis, en particulier contre Ladislas, roi de Naples. Ces indulgences étaient promises à ceux qui s’enrôleraient comme soldats et à ceux qui, en les achetant, soutiendraient de leur argent la cause du pape. Les prêtres se mirent donc à vendre publiquement les indulgences, en vantant au pauvre peuple leur efficacité pour effacer les péchés et abréger les peines du purgatoire. Huss s’opposa énergiquement à ce honteux trafic. À cause de cela, plusieurs de ses amis à l’université se séparèrent de lui, entre autres Étienne Paletz, doyen de la faculté de théologie, qui devint dès lors un de ses plus grands ennemis.

Huss déclarait que, « par les indulgences, le riche dans sa folie est leurré par une fausse espérance ; la loi de Dieu est mise à néant ; le simple peuple s’abandonne plus librement au péché ; des péchés sont estimés comme de peu d’importance, et d’une manière générale, les gens sont dépouillés de leur avoir. Par conséquent, ajoutait Huss, que les fidèles n’aient rien à faire avec les indulgences ».

Jérôme de Prague parla aussi contre les indulgences et fit à ce sujet un discours si véhément que les étudiants, enflammés par ses paroles, lui firent le soir une ovation. Ils ne se bornèrent pas à cela. Ils formèrent une procession, attachèrent les bulles papales au cou de quelques femmes placées sur un char, et parcoururent ainsi les principales rues de la ville. Puis ayant amassé une pile de fagots, ils brûlèrent publiquement les bulles, comme précédemment l’archevêque avait brûlé les livres de Wiclef.

Il est certain que Huss, ni Jérôme de Prague, n’étaient pour rien dans cet acte que nous ne saurions approuver. C’est par d’autres moyens que la vérité combat l’erreur. Il fut prouvé plus tard que la chose avait été faite à l’instigation d’un des favoris du roi.

L’affaire cependant déplut au roi, qui donna des ordres sévères pour que les prêtres ne fussent pas molestés quand ils publieraient les bulles et vendraient les indulgences. Ainsi encouragés, les prêtres continuèrent leur impie négoce. Mais un jour qu’ils exhortaient le peuple et le pressaient d’acheter leur marchandise, trois jeunes gens, de simples artisans, s’adressèrent à l’un des vendeurs, en disant : « Tu mens ! Maître Huss nous a enseigné mieux que cela. Nous savons que tout cela n’est que fausseté ». Un tumulte s’ensuivit ; les prêtres réussirent à se saisir d’eux et les amenèrent devant le sénat qui les fit enfermer. Le jour suivant, s’étant réuni, il les condamna à mort, suivant l’édit du roi. Huss apprit cette décision et se hâta de se rendre auprès du sénat ; deux mille étudiants l’accompagnaient. Il déclara qu’il regardait la faute de ces jeunes gens comme la sienne, et que plus qu’eux, il méritait la mort. Le sénat promit de ne point verser le sang. Huss, comptant sur cette promesse, quitta la salle du sénat, et le tumulte s’apaisa.

Mais le sénat n’avait pas l’intention de tenir sa parole. Quelques heures après, une troupe de soldats conduisit les prisonniers vers le lieu d’exécution. Le bruit s’en répandit bientôt, quelques personnes suivirent les soldats, et comme la foule s’augmentait à chaque instant, les autorités craignant des désordres, donnèrent l’ordre aux soldats de s’arrêter, et à l’exécuteur de décapiter les trois prisonniers. Celui-ci ayant achevé son œuvre, s’écria : « Que celui qui agira comme ceux-ci, éprouve le même sort ! » Nombre de voix répondirent : « Nous sommes tous prêts à faire comme eux et à mourir comme eux ». Plusieurs femmes, et surtout des béguines (*) trempèrent leurs mouchoirs dans le sang des victimes et les gardèrent comme des reliques. Une femme offrit un drap pour couvrir leurs corps, et une troupe d’étudiants attachés à Huss les portèrent à la chapelle de Bethléem. On les enterra avec une grande solennité, au milieu des chants et des hymnes de la congrégation. Ces trois hommes furent naturellement considérés comme des martyrs, et quelques personnes donnèrent à la chapelle de Bethléem le nom de « chapelle des trois saints ». En effet, Huss avait prêché la vérité ; ces trois jeunes hommes l’avaient apprise de lui ; ils l’avaient reçue, et ils avaient été mis à mort pour le témoignage qu’ils avaient rendu à cette vérité ; n’étaient-ils donc pas des martyrs ? N’était-ce pas un horrible péché de vendre pour de l’argent un soi-disant pardon des péchés, qu’on donne à cette prétention le nom d’indulgence, ou tel autre que l’on voudra ?


(*) Femmes pieuses, qui se vouaient à des œuvres de charité.

La mort de ces trois jeunes hommes fut loin d’abattre le courage des amis de la vérité. Au contraire, ils se sentirent fortifiés, et s’attachèrent d’autant plus aux doctrines que Huss enseignait dans la chapelle de Bethléem. Mais le pape avait appris ce qui se passait à Prague et comment Huss condamnait la vente des indulgences. Il remit l’affaire aux mains du cardinal Pierre de San Angelo, avec l’ordre d’user de la plus grande sévérité envers les hérétiques. Huss fut sommé de se rendre à Rome pour répondre aux accusations portées contre lui. Mais, sur l’avis de quelques-uns de ses amis, il refusa et en appela solennellement du pape à Jésus Christ. Le cardinal prononça contre lui la sentence d’excommunication et mit l’interdit sur la ville de Prague. Toutes les églises furent fermées, les cierges des autels furent éteints, et les morts privés de la sépulture ecclésiastique. Un ordre du pape enjoignait de se saisir immédiatement de Huss, de le jeter en prison, de le condamner et de le brûler ; mais le temps de son martyre n’était pas encore venu. De plus la chapelle de Bethléem devait être détruite jusqu’en ses fondements. Les sénateurs résolurent d’exécuter les ordres du pape. Le 2 octobre, ils voulurent disperser par la force la congrégation de Bethléem et saisir Huss ; ils rencontrèrent une si forte résistance qu’ils furent obligés d’abandonner leur projet. Ils entreprirent alors de renverser la chapelle, mais quand leur dessein fut connu, il y eut dans la ville un si grand trouble qu’ils durent aussi y renoncer.

On conseilla alors à Huss de quitter pour un temps la ville de Prague. Il y consentit et se retira dans sa ville natale. Le seigneur qui la possédait était un de ses amis.

Mais les pensées de Huss se tournaient toujours vers son cher troupeau de Bethléem. « Je me suis retiré », lui écrivait-il, « non pour renier la vérité, car je suis prêt à mourir pour elle, mais parce que des prêtres impies m’empêchent de la proclamer ». Il ne restait cependant pas oisif. À l’exemple de son divin Maître, il parcourait la contrée, prêchant dans les villes et dans les villages. Les foules étaient suspendues à ses lèvres, ravies de sa douceur, de son courage et de son éloquence. « L’Église », disait on, « a déclaré que cet homme est un hérétique et un démon, et cependant sa vie est sainte, et sa doctrine pure et sublime ». En même temps, Huss étudiait diligemment les Écritures, et à cette époque, il écrivit un traité sur l’Église. Il s’appuyait sur ce passage : « Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis là au milieu d’eux ». « C’est donc là », disait-il, « que serait une véritable église particulière. Christ seul est la Tête pleinement suffisante de l’Église ». Puis se tournant vers ce qui se nommait elle-même l’Église, il ajoutait : « On peut bien s’étonner en voyant ceux qui sont le plus dévoués au monde, qui mènent la vie la plus abominable, la plus opposée à la marche avec Christ, et qui sont les plus stériles quant à l’accomplissement des conseils et des commandements du Seigneur, affirmer avec effronterie et sans pudeur qu’ils sont la tête ou les membres éminents de l’Église qui est l’Épouse de Christ ».

C’était en effet à cette époque que Jean XXIII prétendait comme pape être la tête de l’Église, lui, un des hommes les plus abominables qui aient existé.

Le calme s’étant un peu rétabli dans la ville de Prague, Huss revint à son cher troupeau de Bethléem, exposant la vérité selon les Écritures et continuant à s’élever contre la corruption du clergé et les abus de l’Église de Rome. Mais bientôt les troubles recommencèrent ; l’interdit fut de nouveau mis sur cette ville par l’archevêque qui jusqu’alors avait soutenu Huss, mais qui maintenant l’invita à quitter Prague, pensant qu’une fois qu’il serait loin le calme renaîtrait. Mais comment cela pouvait-il se faire ? La vérité et l’erreur, la parole de Dieu et les commandements des hommes, l’esprit de la Réformation et l’esprit de l’Antichrist, étaient en conflit, et il n’était pas au pouvoir de Huss, ni d’aucun homme, d’arrêter la lutte, et Huss, s’il l’eût pu, ne l’aurait pas voulu. Cependant, craignant que sa présence à Prague ne devînt un danger pour ses amis, il se retira de nouveau à Hussinetz.

De là il écrivait à ses amis des lettres où respire une âme pleine de calme, de courage et d’une foi ferme. C’est dans l’une que se trouvent ces paroles pour ainsi dire prophétiques qu’il répéta plus d’une fois : « Les méchants ont commencé par préparer à l’oie (Huss veut dire oie en langue bohème) de perfides filets. Si l’oie, qui n’est qu’un oiseau domestique, paisible, et que son vol ne porte pas haut dans les airs, a pourtant rompu leurs lacs, il viendra d’autres oiseaux, dont le vol s’élèvera hardiment vers les cieux et qui les rompront avec bien plus de force. Au lieu d’une oie déb..., la vérité enverra des aigles et des faucons au regard perçant ». Les réformateurs accomplirent cette prédiction, semblable à celle de Wiclef.

Huss aurait beaucoup désiré prêcher encore dans la chapelle de Bethléem. Ce désir devint si grand qu’en 1413, il brava tous les dangers et fit de courtes visites à Prague, passant quelques heures d’entretiens intimes avec ses amis, et se retirant dès qu’il voyait que sa présence était soupçonnée. Pour être plus près de Prague, il vint résider dans un château du voisinage. Là il prêcha aussi et des foules s’assemblaient de toutes parts pour l’entendre.


Huss devant le Concile de Constance


Bien que Huss n’eût guère que 40 ans, il avait accompli la plus longue partie de sa remarquable carrière. Une plus courte, mais plus grande, était devant lui. Dans la tranquillité de son lieu de naissance, il avait creusé plus profondément les Écritures et s’était affermi dans les vérités qu’il y avait puisées ; en même temps, dans la communion avec son Dieu et son Sauveur, il s’était fortifié en esprit pour le prochain combat. Quant à lui-même, il semble bien n’avoir eu aucun doute sur ce qu’était Rome. Il avait été émancipé intérieurement de son esclavage et des ténèbres de ses enseignements, mais il ne s’en était point séparé extérieurement. Ce que Dieu lui avait enseigné et avait fait pour lui, il désirait y faire participer son pays qu’il aimait. Il avait préparé le terrain et répandu la bonne semence ; quelques fruits se montraient, mais le temps de la moisson n’était pas encore venu. Il fallait attendre le jour de la Réformation. Il avait rendu témoignage à la vérité dans la chaire de Bethléem et par ses écrits ; il allait maintenant monter sur une autre scène devant un auditoire bien différent, et sceller par sa mort son témoignage. Presque toute la Bohême, d’ailleurs, était avec lui, surtout dans son opposition à la domination des prêtres.

Nous avons vu que pour mettre un terme au schisme qui déchirait l’Église, l’empereur Sigismond avait décidé le pape Jean XXIII à convoquer un concile à Constance. Comme le concile devait s’occuper aussi de juger et de réprimer les hérésies de Wiclef et de Huss, l’empereur demanda à son frère Wenceslas, roi de Bohême, d’envoyer Huss à Constance pour paraître devant le concile. Il promit de lui donner un sauf-conduit pour le protéger. Huss continuait à s’occuper avec bonheur et bénédiction de la prédication de l’Évangile, lorsqu’il reçut l’ordre de partir pour Constance. Il n’avait pas besoin d’être pressé d’obéir. Depuis longtemps il désirait d’avoir l’occasion de se laver publiquement de l’accusation d’hérésie et d’exposer sa foi et son enseignement, et en même temps il avait à cœur de rendre témoignage contre les corruptions de l’Église. Il écrivit à l’empereur : « Sous le sauf-conduit de votre protection, avec la permission du Très-Haut, je partirai au prochain concile de Constance ».

Plusieurs de ses amis à Prague, où il était retourné, craignaient pour sa sûreté, mais rien ne put ébranler sa résolution. Il remettait sa cause à Dieu. « Si ma mort », disait-il « peut glorifier son nom, qu’Il veuille la hâter, et m’accorder la grâce d’endurer avec courage tout le mal qui peut m’arriver. Mais s’il vaut mieux pour moi que je revienne vers vous, alors supplions Dieu que ce soit sans aucun mal, je veux dire sans que sa vérité ait souffert, de sorte que nous soyons désormais capables d’arriver à une plus pure connaissance de la vérité, pour détruire les doctrines de l’Antichrist et laisser un bon exemple à nos frères ».

Le sauf-conduit de l’empereur était ainsi conçu : « À tous les princes séculiers et ecclésiastiques… et à tous nos sujets… Nous vous recommandons avec une entière affection, à tous en général et à chacun en particulier, l’honorable maître Jean Huss, bachelier en théologie, maître ès arts, porteur de ces présentes, se rendant au concile de Constance et que nous avons pris sous notre protection et sauvegarde ». Huss avait de plus une déclaration d’orthodoxie signée par le nouvel archevêque de Prague, et une recommandation du roi.

Le 11 octobre 1414, Huss quitta Prague ; le roi lui avait donné pour l’accompagner les chevaliers Wenzel de Duba et Jean de Chlum. Partout, dans le cours de son voyage, qui dura plusieurs jours, on lui témoigna un grand intérêt ; les foules accouraient sur son passage pour le voir, et il en profitait pour rendre raison de l’espérance qui était en lui et pour annoncer ce que l’Écriture lui avait enseigné. Le 3 novembre, il entra dans Constance. L’empereur n’y était pas encore, mais le pape Jean XXIII s’y trouvait déjà, et Huss lui fit connaître son arrivée. Durant quatre semaines on le laissa tranquille, mais ses ennemis personnels, Paletz avec eux, étant arrivés, ils mirent tout en œuvre contre lui.

Le 28 novembre, Huss était dans son logement avec le chevalier de Chlum, lorsqu’on annonça des visiteurs. C’étaient les évêques d’Augsbourg et de Trente avec deux autres. Ils venaient l’assigner à paraître devant le pape. Huss protesta ; c’était dans le concile qu’il voulait être entendu. Le chevalier de Chlum protesta aussi, mais les évêques lui donnèrent l’assurance que l’on n’avait aucune mauvaise intention contre Huss. Ils partirent donc. Au bas de l’escalier, ils rencontrèrent la maîtresse de la maison qui prit congé de Huss avec larmes. Il lui donna sa bénédiction.

Arrivé devant le pape, ses ennemis produisirent contre lui une longue liste d’accusations. Ils se réjouissaient de l’avoir entre leurs mains et disaient ouvertement : « Maintenant que nous te tenons, nous ne te lâcherons pas jusqu’à ce que tu aies payé le dernier quadrant ». Des soldats avaient été placés dans les rues adjacentes pour prévenir tout trouble. Vers le soir on ordonna à de Chlum de se retirer ; Huss devait rester. Le chevalier vit alors le piège qu’on leur avait tendu et, rempli d’indignation, il se rendit auprès du pape et lui reprocha sa trahison. Le pape déclara que ce n’était pas de son fait, mais de celui des cardinaux. Ce pouvait être vrai, car il était à leur merci. Huss refusant de se rétracter, fut mis en prison sous la garde du greffier de la cathédrale, et, huit jours après, il fut transféré dans la prison du couvent des dominicains, au bord du Rhin.

Le chevalier de Chlum se hâta d’informer l’empereur de la violation de son sauf-conduit. Dans toute la Bohême l’indignation fut grande, et les seigneurs de ce pays demandèrent à Sigismond qu’il fît mettre Huss en liberté. L’empereur, au premier moment, fut rempli de colère et donna l’ordre de relâcher le prisonnier, menaçant de briser les portes de la prison si on ne le faisait pas. Mais lorsqu’il fut arrivé à Constance, les prêtres lui persuadèrent que l’on n’était pas tenu de garder la foi à des hérétiques, et Huss resta en prison. Rien ne peut excuser le manque de foi de l’empereur, mais combien plus grand est le crime du pape, et des princes de l’Église qui, pour ne pas laisser échapper leur proie, l’ont poussé à ce parjure !

Avant de juger Huss, le concile avait à s’occuper de mettre fin au schisme. Dès la première séance, il fut décidé que les trois papes rivaux devaient renoncer à leur dignité avant que l’on pût nommer un nouveau chef suprême de l’Église. Jean XXIII, seul des trois présents au concile, promit, pour l’amour de la paix dans l’Église, d’abdiquer publiquement le lendemain. Mais qu’étaient les promesses, l’honneur et la conscience pour un tel homme ! Aidé par quelques amis, il s’enfuit de Constance sous un déguisement, afin que son absence empêchât le concile de prendre aucune décision. L’empereur, irrité, le fit poursuivre. Jean fut saisi à Fribourg, ramené à Constance, et forcé de déposer les insignes de son pouvoir spirituel, le sceau et l’anneau du pêcheur. L’archevêque de Salisbury déclara qu’un pape qui, comme Jean, s’était souillé de crimes de toutes sortes, méritait d’être brûlé. On l’enferma dans le château de Gottleben, le même où Jean Huss était tenu dans une étroite captivité. L’ex-pape resta là durant quatre ans jusqu’à la fin du concile. Après qu’il se fut humilié devant le pape régnant, il fut mis en liberté et élevé au cardinalat. On n’usa pas d’une telle douceur envers l’intègre et innocent réformateur, comme nous le verrons.

À propos de la condamnation du pape, Huss écrivait à un ami : « Quand l’hiver viendra, ils sauront ce qu’ils ont fait en été. Considérez qu’ils ont jugé leur chef, le pape, comme digne de mort à cause de ses horribles forfaits. Répondez à cela, vous docteurs qui prêchez que le pape est un Dieu sur la terre ; qu’il peut vendre et gaspiller les choses saintes comme il lui plaît ; qu’il est la tête de tout le corps de l’Église ; qu’il est le cœur de l’Église et la gouverne spirituellement ; qu’il est la source jaillissante de toute vertu et de toute bonté ; qu’il est le soleil de l’Église et le sûr refuge pour tout chrétien. Oui, contemplez maintenant cette tête pour ainsi dire séparée par l’épée, ses péchés manifestés, cette source inépuisable tarie, ce divin soleil obscurci, ce cœur arraché et flétri par la réprobation, de sorte que nul ne peut y chercher un refuge ». La condamnation de Jean XXIII était en effet la justification de tout ce que Huss avait dit contre la puissance de Rome.

Quant au réformateur, bien qu’il sentît ce qu’avait de honteux le manque de foi de l’empereur, sa confiance ne reposait pas sur ce sauf-conduit. « Je me confie entièrement », écrivait-il, « dans le Dieu tout-puissant, mon Sauveur. Il m’accordera son Esprit pour me fortifier dans sa vérité, de sorte que je puisse faire face avec courage aux tentations, à la prison, et, s’il le faut, à une mort cruelle ».

Le cachot dans lequel Huss avait été enfermé était près de l’égout du couvent, de sorte qu’un air pestilentiel le remplissait. Le prisonnier tomba dangereusement malade. Le pape lui envoya son propre médecin, car, ainsi que le disait quelqu’un, « on ne désirait pas qu’il mourût de mort naturelle ». Par l’intercession de ses amis, il fut transféré dans une prison plus saine du couvent des franciscains, et quelques jours après au château de Gottleben, où il fut enchaîné, les mains attachées la nuit par un cadenas au mur contre lequel était appuyé son lit. Là il attendit le moment d’être appelé devant le concile.

Le concile était bien résolu à mettre Huss hors d’état de propager ses enseignements, et il aurait voulu éviter le bruit d’un interrogatoire public. Différents passages que l’on avait tirés de ses écrits, étaient jugés suffisants pour passer outre à sa condamnation. D’un autre côté, plusieurs personnes venaient visiter le prisonnier dans sa cellule solitaire et le pressaient de reconnaître et d’abjurer ses erreurs. Sur son refus, il était souvent insulté et maltraité. Il protesta contre cette manière d’agir secrète et inquisitoriale, et insista pour être traduit devant le concile afin de pouvoir se défendre publiquement. Son fidèle ami, le chevalier de Chlum, se rendit, avec quelques autres gentilshommes de Bohême, auprès de l’empereur, et le pria de prendre lui-même l’affaire en main. Leur demande fut favorablement accueillie, et l’on fixa un jour pour la comparution de Huss. Le dessein des prêtres fut ainsi déjoué.

Le 5 juillet 1415, Huss fut amené devant le concile. Sauf deux ou trois gentilshommes de Bohême qui lui restaient fidèles, il était seul devant cette grande assemblée d’ecclésiastiques, de princes et de seigneurs. Son corps était affaibli par sa longue détention et la maladie dont il se remettait à peine, mais son esprit était fort dans le Seigneur ; il était prisonnier, mais libre dans son âme. Il se reconnut comme l’auteur des livres qui lui furent présentés. Puis on lut les passages incriminés qui devaient motiver sa condamnation. Les uns étaient des citations exactes de ses écrits, d’autres étaient dénaturées, il y en avait enfin d’entièrement fausses. Mais dès qu’il eut commencé à défendre ses doctrines en se fondant sur l’autorité des Écritures et sur le témoignage des Pères de l’Église, sa voix fut couverte par des cris violents et tumultueux. Le bruit et l’agitation devinrent tels que le concile se vit obligé d’ajourner la séance.

Deux jours après, les débats continuèrent. L’empereur était présent pour maintenir l’ordre. Une éclipse de soleil presque totale remplit de terreur l’assemblée et les habitants de la ville. Une obscurité à peu près complète couvrait la cité, le lac et les campagnes environnantes. On pensait que le jour du jugement était arrivé. Enfin la lumière reparut graduellement et Huss fut introduit. Ses accusateurs étaient là aussi nombreux, mais plus calmes. Le concile avait préparé une formule d’abjuration qu’il fut invité à signer. Huss répondit avec une dignité tranquille : « Je ne rétracterai rien de ce que j’ai dit ou écrit, à moins que l’on ne me prouve que mes paroles sont en opposition avec la parole de Dieu ». Et comme on l’accusait d’avoir soutenu et répandu les enseignements de Wiclef, il convint d’avoir dit : « Wiclef était un vrai croyant ; son âme est maintenant dans le ciel, et je ne puis souhaiter pour la mienne une plus grande sécurité que celle que Wiclef possédait ». Les moqueries et les rires accueillirent cette confession simple et sincère. Après plusieurs heures de discussion, Huss fut reconduit dans sa prison, et les membres du concile se dispersèrent pour se reposer dans les jouissances et les plaisirs que la ville leur offrait.

Le jour suivant, Huss comparut pour la troisième fois. On lui lut trente-neuf articles renfermant les erreurs qu’on l’accusait d’avoir enseignées dans ses écrits, ses prédications et ses conversations privées.

Comme la plupart des réformateurs, Huss insistait surtout sur la doctrine du salut par la foi, sans les œuvres. En outre il affirmait que personne, de quelque charge ou dignité qu’il fût revêtu, fût-il pape ou cardinal, ne pouvait être un membre de la vraie Église de Christ, s’il menait une vie profane. « La vraie foi à la parole de Dieu », disait-il, « est le fondement de toutes les vertus ». À l’appui de ses assertions, il en appelait au nom vénéré d’Augustin. Celui-ci soutenait que la possession des vertus apostoliques donnait seule à un pape ou à des prélats un droit à la succession apostolique. « Le pape », disait-il, « qui n’imite pas Pierre dans sa vie, n’est pas un représentant de Christ, mais un précurseur de l’Antichrist ». Là-dessus Huss citait ce passage de saint Bernard : « Un esclave de l’avarice n’est pas un successeur de saint Pierre, mais de Judas Iscariote ». Devant ces citations le concile se trouvait très embarrassé, personne n’osant contredire des déclarations de docteurs aussi respectés.

Ainsi il y avait deux chefs principaux d’accusation contre Huss : il mettait en question la doctrine de l’Église romaine, et il condamnait le faux système de la papauté. Mais son affirmation hardie que nulle dignité royale ou sacerdotale n’avait de valeur devant Dieu, si ceux qui la possédaient vivaient dans des péchés mortels, fut surtout ce qui semble avoir emporté sa condamnation. Le cardinal de Cambrai ayant taxé d’impiété cette déclaration, Huss affirma encore plus fortement qu’un roi qui vit en état de péché mortel, n’est pas un roi devant Dieu. Peut-être allait-il trop loin, car l’Écriture nous dit que toute puissance temporelle est établie de Dieu, mais peut-être aussi voulait-il dire que la dignité royale ne constituait pas un titre à faire valoir devant Dieu, et qu’elle n’excuse pas le péché. Quoi qu’il en soit, ces paroles décidèrent de son sort. L’empereur indigné s’écria : « Jamais il n’y eut sur la terre un hérétique plus dangereux », à quoi le cardinal de Cambrai ajouta : « Comment ! il ne te suffit pas d’abaisser la puissance spirituelle, tu veux aussi précipiter les rois de leur trône ! » « Un homme », avança un autre cardinal, « peut être un vrai pape, un vrai prélat, ou un vrai roi, alors même qu’il ne serait pas un vrai chrétien ». — « Pourquoi donc », répondit Huss sans être effrayé, « avez-vous dépouillé Jean XXIII de sa dignité ? » — « À cause de ses iniquités manifestes », répartit l’empereur.

Les débats continuèrent. On pressa Huss de toutes manières de rétracter ses erreurs et de reconnaître que les accusations portées contre lui étaient bien fondées. On lui demanda de se soumettre implicitement aux décisions du concile. Mais ni promesses, ni menaces n’eurent d’effet sur lui. « Abjurer », dit-il, « signifie reconnaître et abandonner une erreur que l’on aurait tenue. Or quant aux opinions et aux doctrines que l’on m’attribue faussement, je ne puis naturellement pas les rétracter ; quant à celles que je reconnais et soutiens, je suis prêt, et de tout mon cœur, à les abandonner dès que le concile m’en aura enseigné de meilleures ». La réponse fut : « Ce n’est point l’affaire du concile d’enseigner, mais de conclure, et d’attendre de toi l’obéissance pure et simple à sa décision. Si tu refuses, les peines résultant de ton obstination te seront appliquées ». Et là-dessus ceux qui auraient dû être de débonnaires pasteurs du troupeau de Christ exigèrent hautement et unanimement, ou une rétractation complète, ou la mort sur le bûcher. L’empereur, à qui sa conscience pouvait bien lui reprocher son manque de foi, eut, dit-on, un entretien particulier avec Huss ; les plus habiles et les plus savants docteurs en philosophie et en théologie s’efforcèrent de l’ébranler et de l’amener à céder. Tout fut inutile ; Huss, avec modestie et fermeté, répliqua qu’il ne pouvait rétracter aucune de ses doctrines, à moins qu’on ne lui en eût montré la fausseté par l’Écriture. On le ramena dans sa prison. Son fidèle ami, le chevalier de Chlum, l’y suivit afin de le consoler par des paroles de sympathie. « Quel rafraîchissement », dit Huss une fois, « de voir ce vrai gentilhomme n’estimer pas au-dessous de sa dignité d’étendre sa main vers un pauvre hérétique dans les fers, et qui est abandonné de tout le monde ! »

C’est à ce véritable ami que Huss dans son cachot racontait un songe qu’il avait eu. Une nuit, il crut voir le pape et les évêques effacer les images de Jésus Christ qu’il avait fait peindre sur les murs de la chapelle de Bethléem. Ce songe l’afflige, mais le lendemain il voit plusieurs peintres occupés à rétablir les images en plus grand nombre et avec plus d’éclat. Ce travail achevé, les peintres, entourés d’un grand peuple, s’écrient : « Que maintenant viennent papes et évêques, ils ne les effaceront plus jamais ». — « Et plusieurs peuples se réjouissaient dans Bethléem, et moi avec eux », ajoutait Huss. — « Occupez-vous de votre défense plutôt que de rêves », lui dit le chevalier de Chlum. — « Je ne suis point un rêveur », répondit Huss, « mais je tiens pour certain que l’image de Christ ne sera jamais effacée. Ils ont voulu la détruire ; mais elle sera peinte de nouveau dans les cœurs par des prédicateurs qui vaudront mieux que moi ». Ainsi ce qui occupait par-dessus tout ce prisonnier pour la vérité, c’était Christ et son triomphe. Dieu lui donnait la sainte confiance que les ennemis de Christ ne prévaudraient pas contre Lui.

Lorsqu’on eut emmené Huss, l’empereur se leva et dit : « J’ai entendu les accusations portées contre Huss. Il en a reconnu quelques-unes comme vraies ; d’autres ont été soutenues contre lui par des témoins dignes de foi. Pour les unes comme pour les autres, il mérite la mort. S’il n’abjure pas toutes ses erreurs, il doit être brûlé. Il faut que le mal soit extirpé radicalement. S’il se trouve à Constance quelques-uns de ses partisans, on doit sévir contre eux avec la plus extrême rigueur, et avant tout contre son disciple, Jérôme de Prague ». Ce jugement impérial ayant été rapporté au martyr, il dit simplement. « J’avais été averti de ne pas me fier à son sauf-conduit. Je me suis fait une grande et douloureuse illusion ; il m’a même jugé avant mes ennemis ».

Après cette scène, Huss fut laissé en prison durant un mois. De nouveaux efforts furent faits, même par des personnes du plus haut rang, pour l’engager à se rétracter. On espérait que cette pression incessante jointe à la faiblesse croissante de son corps, finirait par vaincre ce que l’on nommait son opiniâtreté. Ce fut en vain. Celui qui l’avait rendu capable de rendre sans trembler témoignage pour Christ devant ses ennemis, le fortifia aussi contre ces derniers assauts de Satan. Il resta inébranlable, cependant toujours prêt, disait-il, à abandonner toute doctrine qui lui serait démontrée fausse d’après les Écritures.


Jean Huss, sa condamnation et sa mort


L’empereur Sigismond avait donné son avis, le concile n’avait plus qu’à confirmer la condamnation de Huss. Il se réunit le 6 juillet 1415 dans la cathédrale. Comme hérétique, le prisonnier dut rester dehors pendant la célébration de la grand-messe. Ensuite l’archevêque de Lodi prêcha sur ce texte : « Afin que le corps du péché fût annulé » (Romains 6:6). Évidemment il entendait par là que l’hérétique devait être brûlé. Cette perversion du sens de la parole de Dieu répondait bien au dessein du concile. La prédication de l’archevêque ne renfermait autre chose que de violentes sorties contre toutes les hérésies et les erreurs jugées telles par l’Église romaine. Il dirigea surtout ses coups contre Huss qu’il montra comme un hérétique aussi dangereux qu’Arius, et comme un faux docteur pire que Sabellius. Il termina par des louanges à l’adresse de l’empereur. « C’est ta charge glorieuse », lui dit-il entre autres, « de punir l’hérésie et de mettre fin aux schismes, et avant tout de châtier cet hérétique obstiné », et il indiquait Huss qui, à genoux, priait avec ferveur.

On lut contre lui environ trente chefs d’accusation. Huss tenta à plusieurs reprises de parler pour sa défense, mais on ne le lui permit pas. La sentence fut prononcée à peu près en ces termes : « Comme Jean Huss, durant de longues années, a perverti le peuple en répandant des doctrines notoirement hérétiques et comme telles condamnées par l’Église, en particulier les doctrines de Wiclef, et qu’ainsi il a donné lieu à un scandale public ; comme il a avec opiniâtreté foulé aux pieds les clés (le pouvoir) de l’Église ainsi que les peines ecclésiastiques (*), et que, méprisant les juges ordinaires de la terre, il en a appelé à Jésus Christ comme Juge souverain, appel qui est insultant pour l’autorité spirituelle et tend à la faire mépriser ; comme de plus il a persisté dans ses erreurs jusqu’au dernier moment, et les a maintenues devant le concile ; en raison de cela nous décidons que, comme un hérétique obstiné et incorrigible, il soit dépouillé de ses saintes dignités (**) et en soit déclaré indigne ».


(*) L’interdit qui avait été prononcé, et malgré lequel Huss avait continué à prêcher.

(**) De son caractère de prêtre.

Après la lecture de ce jugement, Huss commença à prier à haute voix pour ses ennemis, ce qui fut accueilli par un rire moqueur de la part de quelques membres du concile. Mais Huss élevant ses mains en haut, s’écria : « Vois, ô Sauveur miséricordieux, comment ce concile juge comme erreur ce que tu as enseigné et pratiqué. Toi, Jésus, accablé par tes ennemis, tu as remis à ton Dieu et Père ce qui te concernait. Tu nous as ainsi laissé ton exemple, afin qu’opprimés aussi, nous ayons notre recours au jugement de Dieu ». Il déclara encore une fois solennellement qu’il n’avait conscience d’aucune hérésie, et ne pouvait abjurer ce qu’il n’avait pas enseigné. Puis jetant un regard perçant sur Sigismond, il ajouta : « Je suis venu dans ce concile en me confiant au sauf-conduit de l’empereur ». Sigismond baissa les yeux, confus au souvenir de son manque de foi.

La veille du jour fixé pour l’exécution du saint martyr, il reçut la dernière visite de son fidèle ami, le chevalier de Chlum. « Mon cher maître », lui dit celui-ci, « je suis un homme ignorant et, par conséquent, absolument impropre à donner un conseil à un homme aussi éclairé que vous. Malgré cela, je vous prie instamment que si dans votre for intérieur vous avez conscience de quelqu’une des erreurs dont on vous accuse, vous n’ayez pas honte de la rétracter et de l’abandonner. Mais si vous êtes persuadé de votre innocence, je suis si éloigné de vous conseiller de dire quelque chose contre votre conscience, que je vous exhorterai plutôt à souffrir toute espèce de torture plutôt que de rétracter ce que vous tenez pour vrai ». Huss, profondément touché, répondit avec larmes. « Dieu m’est témoin que j’ai toujours été et que je suis encore prêt à rétracter de tout mon cœur et avec serment quelque erreur que ce soit qui m’aura été montrée telle par les Écritures ».

Selon le jugement du concile, Huss fut dégradé de son caractère de prêtre. L’archevêque de Milan assisté de six évêques procéda à cette triste cérémonie. Huss fut revêtu des vêtements sacerdotaux, on plaça dans sa main le calice ou coupe de la Cène, et il fut conduit devant le maître-autel comme pour célébrer la messe. Il se laissa faire tranquillement et fit seulement la remarque que « son Sauveur aussi avait été livré aux moqueries revêtu d’un habit royal ». On lui ôta le calice des mains, on le dépouilla des vêtements consacrés, et on effaça de sa tête les traces de la tonsure. En lui retirant le calice, les prêtres dirent : « Ô Judas maudit, qui as abandonné le conseil de paix et as pris part à celui des Juifs, nous te retirons le saint calice rempli du sang de Jésus Christ ». — « Je me confie », répondit Huss, « en la miséricorde de Dieu, et je boirai de sa coupe aujourd’hui dans son royaume ». — « Nous livrons ton âme aux diables de l’enfer », s’écrièrent les évêques. — « Mais moi », dit le martyr, « je remets mon esprit entre tes mains, Seigneur Jésus Christ ; je te recommande mon âme que tu as sauvée ».

Rome repousse l’accusation de verser le sang. Le concile déclara donc que l’hérétique Huss était retranché du corps de l’Église et placé hors de son domaine, et elle le livra comme laïque au jugement du pouvoir séculier. C’était la sentence de mort. L’empereur ordonna l’immédiate exécution du condamné. L’électeur Louis de Bavière, maréchal de l’empire, accompagné de huit cents chevaliers et d’une grande foule de peuple, conduisit Huss au lieu du supplice dans une prairie hors de la ville. Le cortège s’arrêta un instant devant le palais épiscopal. Là on brûla une quantité des livres du réformateur. Huss sourit à la vue de cet acte de mesquine vengeance. Il essaya de dire quelques mots à la garde impériale et au peuple, mais l’électeur ne le permit pas, et donna l’ordre de continuer la marche. Rien ne pouvait troubler la paix du courageux témoin de la vérité : Dieu était avec lui. En s’avançant vers le lieu où le bûcher se dressait, il chantait à haute voix des Psaumes et priait avec tant de ferveur que le peuple disait : « Nous ne savons pas ce que cet homme a fait, mais nous l’entendons adresser à Dieu des prières magnifiques ».

Arrivé près du bûcher, Huss s’agenouilla, pria pour que Dieu pardonnât à ses ennemis, et recommanda son âme à Christ. Le poteau où il fut attaché était planté profondément en terre. Des piles de fagots furent entassés sous ses pieds. On l’attacha fortement au poteau, puis on empila autour de lui du bois jusqu’à son menton. Avant de donner l’ordre d’allumer le feu, le maréchal de l’empire lui demanda si, dans ce dernier moment, il ne voulait pas abjurer ses erreurs et sauver son âme et sa vie. « Quelles erreurs ? » répondit Huss. « Je ne me sens coupable d’aucune. J’appelle Dieu à témoin que tout ce que j’ai écrit et prêché l’a été en vue de sauver les âmes du péché et de la perdition ; et ce que j’ai écrit et prêché, je le scelle aujourd’hui volontiers de mon sang ».

Le feu fut mis au bûcher, et comme les flammes l’entouraient, Huss commença à chanter à haute voix : « Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! » Ses souffrances furent de courte durée. Comme d’une voix affaiblie il répétait pour la troisième fois ces paroles, l’épaisse fumée et la flamme poussées par le vent contre son visage, l’étouffèrent avant que son corps fut consumé. Jésus avait eu pitié de lui, et son esprit bienheureux était allé près de son Sauveur dont il avait été un fidèle témoin. On alluma le bûcher une seconde et une troisième fois, afin qu’il ne restât que des cendres de sa personne et de ses vêtements, et ses cendres mêmes, recueillies avec la terre sur laquelle elles étaient répandues, furent jetées dans le Rhin.

Un écrivain dit : « Huss semble avoir pénétré plus avant que ses devanciers dans l’essence de la vérité chrétienne. Il demandait à Christ de lui faire la grâce de ne se glorifier que dans la croix et dans l’opprobre inappréciable de ses souffrances. Il fut, si l’on peut ainsi dire, le Jean-Baptiste de la Réformation. Les flammes de son bûcher allumèrent dans l’Église un feu qui répandit au milieu des ténèbres un éclat immense, et dont les lueurs ne devaient pas si promptement s’éteindre ».
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